Article
Reference
Réinventer la presse plutôt que de la sauver
AMEZ-DROZ, Philippe René
Abstract
Article d'opinion relatif à la crise de la presse écrite imprimée, en Suisse. Evocation des nouveaux modèles économiques à l'ère numérique
AMEZ-DROZ, Philippe René. Réinventer la presse plutôt que de la sauver. Le Temps , 2017
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:93524
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Date: 23.03.2017
Le Temps 1002 Lausanne 021 331 78 00 www.letemps.ch
Genre de média: Médias imprimés Type de média: Presse journ./hebd.
Tirage: 32'266 Parution: 6x/semaine
N° de thème: 377.116 N° d'abonnement: 1094772 Page: 10
Surface: 39'599 mm²
Observation des médias Analyse des médias Gestion de l'information Services linguistiques
ARGUS der Presse AG
Rüdigerstrasse 15, case postale, 8027 Zurich Tél. 044 388 82 00, Fax 044 388 82 01 www.argus.ch
Réf. Argus: 64707455 Coupure Page: 1/2
Réinventer la presse plutôt
que de la sauver
OPINION La Suisse est un pays de lecteurs de journaux avec un taux de pénétration, à fin 2015, de 75,1%, ce qui le classe au deuxième rang mondial, derrière le Japon, et au premier rang euro- péen. Une statistique qui souligne une situa- tion paradoxale: la perception de la «crise de la presse» masque une forte résilience de la presse écrite imprimée en Suisse. La Fonda- tion statistique suisse en publicité met d'ail-
leurs en évidence que le segment presse, toutes catégories confondues, représente
encore à fin 2015 1,4 milliard de francs de recettes publicitaires nettes sur 5,2 milliards, soit 27%. Une érosion de près de 20% en cinq ans, au détriment plus particulièrement de la«presse quotidienne, hebdomadaire et domi- nicale», selon le classement de la REMP.
Le nombre de titres suisses pouvant être considérés comme des journaux d'informa- tion générale demeure encore élevé: près de 200 titres. Mais là aussi, la nuance s'impose:
en 2001, l'Office fédéral de la statistique obser- vait une tendance à la «concentration de la presse et disparition de titres». Une trentaine de titres, dont la plupart ont déjà connu des restructurations, sont aujourd'hui au coeur de la réflexion sur l'avenir de la presse écrite imprimée en Suisse.
La tendance à la concentration ne concerne plus seulement les titres mais également la propriété des médias, en raison de la taille critique nécessaire pour prétendre exister à Père digitale. Elle se caractérise en particulier par la fragmentation des audiences et l'hybri- dation des contenus diffusés sur les plate- formes numériques et les réseaux sociaux.
Le découplage entre la publicité et l'infor- mation journalistique, dont le modèle histo- rique est à l'origine du succès de la presse écrite imprimée, illustre ce changement de paradigme. Il est irréversible et le processus de disparitions de titres tout comme celui de la concentration de la propriété des médias est une question de temps, ce qui ne signifie pas la «mort de la presse écrite» mais la trans- formation complète et radicale du paysage
médiatique suisse. Cette transformation doit- elle être freinée par une forme d'aide directe ou indirecte? Ce débat doit être remis dans son contexte.
La Suisse, contrairement à son voisin fran- çais, a toujours opté pour un système d'auto- régulation du marché. Pas d'aide directe, des aides indirectes à la distribution très modestes (3o millions de francs) et des restrictions en matière de diffusion de la publicité par le dif- fuseur radio-télévision de service public, la
Le lecteur étant devenu lui-même un agent
économique producteur et consommacteur
de contenus, il s'agit de réorienter le
journalisme pour en faire l'arbitre incontesté des contenus d'information à réelle valeur ajoutée
SRG SSR. Tant le secteur privé que le secteur public ont investi dans l'innovation numé-
rique et multiplient les expériences pour
résister aux nouveaux acteurs de l'économie digitale, entre autres acteurs dominants les fameux GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon).Les stratégies tarifaires s'inspirent des nou- velles formes de fonctionnement de l'écono- mie de l'information, soit le versioning. Ce modèle d'affaires, qui permet de monétiser différentes versions d'un même bien, est cou- plé à celui du bundling, ou offres groupées, qui caractérise le modèle économique des télé- coms offrant des bouquets. A l'ère de la gra- tuité, apparente, ces modèles d'affaires sont confrontés à une concurrence globalisée et à un consentement-à-payer des utilisateurs très
Date: 23.03.2017
Le Temps 1002 Lausanne 021 331 78 00 www.letemps.ch
Genre de média: Médias imprimés Type de média: Presse journ./hebd.
Tirage: 32'266 Parution: 6x/semaine
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délicat à réaliser, en particulier auprès des digital natives. C'est la raison pour laquelle la plupart des modèles d'affaires sur Internet se financent essentiellement par la diffusion de la seule publicité, avec pour conséquence une publiphobie croissante.
Pour la presse écrite, en ligne, la stratégie de versioning est nécessairement celle du nou- veau modèle d'affaire, complétée de contenus mixtes, comme la vidéo. «Sauver la presse»
consiste dès lors à reconsidérer le manage- ment des médias à l'ère numérique. L'utilisa- teur étant devenu lui-même, avec les médias sociaux et le Big Data, un agent économique producteur et consommacteur de contenus, il s'agit de réorienter le professionnalisme intrinsèque du journaliste pour en faire l'ar- bitre incontesté des contenus d'information à réelle valeur ajoutée dans une masse tou- jours plus informe de contenus d'opinion.
Il faut donc davantage «sauver le journa- lisme» que «sauver la presse», par le biais de mesures facilitant la distinction des contenus
identifiés comme d'intérêt public et non d'in- térêts sectoriels ou de communication. S'il ne fait aucun doute que l'existence du service public est incarné par de multiples acteurs
en Suisse, dont les titres de presse écrite
imprimée, l'avenir de la SRG SSR apparaît aujourd'hui bien plus fragilisé qu'on ne l'ima- gine. Non en raison de la fragmentation de l'offre et de la multiplication de contenus télé- visuels provenant de chaînes étrangères, mais par la transformation des réseaux sociaux en médias de proximité.PHILIPPE AM EZ-DROZ CHARGÉ DE COURS MEDI@LAB, UNIVERSITÉ DE GENÈVE
