Cour pénale internationale 1
Chambre de première instance V 2
Situation en République centrafricaine II 3
Affaire Le Procureur c. Alfred Rombhot Yekatom et Patrice-Édouard Ngaïssona — 4
n° ICC-01/14-01/18 5
Juge Bertram Schmitt, Président — Juge Péter Kovács — Juge Chang-ho Chung 6
Procès — Salle d’audience n° 1 7
Jeudi 4 novembre 2021 8
(L’audience est ouverte en public à 9 h 31) 9
Mme L’HUISSIER : [09:31:19] Veuillez vous lever.
10
L’audience de la Cour pénale internationale est ouverte.
11
Veuillez vous asseoir.
12
(Le témoin est présent dans la salle de vidéoconférence) 13
TÉMOIN : CAR-OTP-P-0808 (sous serment) 14
(Le témoin s’exprimera en français) 15
M. LE JUGE PRÉSIDENT SCHMITT (interprétation) : [09:31:41] Bonjour à tous.
16
Bonjour, Monsieur le témoin.
17
Madame le greffier, veuillez citer l’affaire.
18
Mme LA GREFFIÈRE (interprétation) : [09:31:54] Bonjour, Monsieur le Président.
19
Bonjour, Messieurs les juges.
20
Situation en République centrafricaine II, affaire Le Procureur c. Alfred Yekatom et 21
Patrice-Édouard Ngaïssona — référence de l’affaire ICC-01/14-01/18. Nous sommes en 22
audience publique.
23
M. LE JUGE PRÉSIDENT SCHMITT (interprétation) : [09:32:06] Les présentations, 24
s’il vous plaît.
25
Mme STRUYVEN (interprétation) : [09:32:10] L’Accusation est représentée 26
aujourd’hui par Maria Berdennikova, Yassin... Yassin Mostfa, Kweku Vanderpuye et 27
moi-même, Olivia Struyven.
28
M. LE JUGE PRÉSIDENT SCHMITT (interprétation) : [09:32:28] Très bien.
1
Et maintenant, Maître Suprun. Les représentants légaux des victimes.
2
M. SUPRUN (interprétation) : [09:32:39] Bonjour, les ex-enfants soldats sont 3
représentés par moi-même, Dmytro Suprun.
4
M. LE JUGE PRÉSIDENT SCHMITT : [09:32:40] Thank you.
5
M. DANGABO MOUSSA : [09:32:43] Bonjour, Monsieur le Président. je représente 6
ici les représentants légaux des victimes, en tant que Dangabo Moussa Abdou, et 7
avec l’équipe d’Asso Mouhia et de Mme Anne Grabowski. Merci.
8
M. LE JUGE PRÉSIDENT SCHMITT (interprétation) : [09:32:55] Merci.
9
Maintenant, la Défense.
10
Me DIMITRI : [09:32:57] Bonjour, Monsieur le Président. Bonjour à tous.
11
M. Yekatom, qui est avec nous dans le prétoire, est représenté aujourd’hui par 12
M. Florent Pages-Granier, M. Jérémy Pizzi, Mme Laurence Hortas-Laberge qui va être 13
avec nous bientôt, et moi-même, Mylène Dimitri.
14
M. LE JUGE PRÉSIDENT SCHMITT (interprétation) : [09:33:06] Oui, la voilà qui 15
arrive, d’ailleurs. Merci.
16
Maître Knoops, maintenant.
17
Me KNOOPS (interprétation) : [09:33:12] Bonjour, Messieurs les juges.
18
L’équipe de la Défense de M. Ngaïssona est représentée aujourd’hui par Me Proulx, 19
Me Pedroso, Despoina... Despoina Eleftheriou, et moi-même. Et M. Ngaïssona est 20
avec nous.
21
M. LE JUGE PRÉSIDENT SCHMITT (interprétation) : [09:33:33] Bonjour à tous.
22
Bonjour aux conseils.
23
Bonjour, Monsieur le témoin.
24
Et Maître Dimitri, je vous passe la parole.
25
Me DIMITRI : [09:33:41] Thank you, Mr Président.
26
QUESTIONS DE LA DÉFENSE (suite) 27
PAR Me DIMITRI : [09:33:51]
28
Q. [09:33:53] Rebonjour, Monsieur Ngaya.
1
R. [09:33:55] Bonjour, Madame.
2
Q. [09:33:57] Vous allez toujours bien, on peut continuer ? 3
R. [09:33:59] Ça va. On peut continuer. C’est... un peu... un peu la fatigue, mais ça va.
4
Q. [09:34:05] Je vais terminer aujourd’hui, je vous rassure.
5
Alors, juste, je vais vous demander encore un peu de patience, mais je termine 6
aujourd’hui.
7
R. [09:34:13] O.K.
8
Q. [09:34:15] Alors, au cours de votre témoignage, vous avez expliqué, en quelque 9
sorte, le sentiment d’abandon qu’a vécu la population centrafricaine et le fait qu’elle 10
n’a pas eu d’autre choix que de résister contre les abus commis par la Séléka. Et vous 11
avez... notamment au paragraphe 108 de votre déclaration, qui est à l’onglet 6 du 12
Bureau du Procureur, vous avez expliqué que les Anti-balaka, c’était un mouvement 13
populaire qui s’est développé à travers tout le pays. C’était un mouvement populaire 14
où il n’était pas nécessaire de recruter.
15
Alors, je vais vous faire visionner une vidéo, Monsieur Ngaya, qui, je pense, va dans 16
le sens de vos propos, et ensuite, j’aurai quelques questions. C’est une vidéo qui a été 17
filmée à Bangui, elle est datée du 10 janvier 2014.
18
Elle est à l’onglet 19 du classeur de la Défense, CAR-D29-0008-0007. Je vais vous 19
faire visionner de 1 min 37 à 1 min 49, donc c’est quelques secondes seulement.
20
Pour les interprètes, il s’agit de l’onglet 20 pour la transcription, CAR-D29 0006-1090, 21
et ce sera des lignes 19 à 22 dans le classeur des... des interprètes.
22
Et la vidéo, de même que tout le matériel audio-vidéo que je vais présenter 23
aujourd’hui, peut être montrée au public.
24
(Le greffier d’audience s’exécute) 25
M. LE JUGE PRÉSIDENT SCHMITT (interprétation) : [09:36:18] Vous avez la 26
transcription, s’il vous plaît ? Les interprètes voudraient avoir à nouveau les 27
numéros de la transcription.
28
Me DIMITRI : [09:36:23] Onglet 20 dans votre classeur, lignes 19 à 22.
1
(Diffusion de la vidéo) 2
[Insertion d’une portion de la transcription originale de la vidéo n°CAR-D29-0008-0007, 3
sans aucune modification ou altération de la part des sténotypistes judiciaires de langue 4
française]
5
« Mais les Balaka c’est qui ? C’est nous sommes là là, les Balaka c’est la population 6
c’est la population ; voilà s’il démissionne on va déposer les Balaka. » 7
Me DIMITRI : [09:37:04]
8
Q. [09:37:04] Monsieur Ngaya, vous avez vu la vidéo que je viens de vous faire 9
visionner, qui, je pense, va dans le sens de vos propos. Alors, est-il exact qu’en raison 10
de ce côté populaire, à l’époque, tout le monde pouvait s’autoproclamer Anti-balaka, 11
comme on a entendu la personne dans la vidéo lorsqu’elle a dit : « Les Balaka, c’est 12
nous, c’est la population » ? 13
R. [09:37:32] Merci, Madame. En fait...
14
M. LE JUGE PRÉSIDENT SCHMITT (interprétation) : [09:37:34] On a beaucoup de 15
bruits de fond.
16
Bon, c’est terminé, mais il y avait un... des voix en bruit de fond. C’est terminé.
17
Q. [09:37:49] Monsieur Ngaya, vous avez bien entendu la question et compris la 18
question ? Donc, c’est à propos des Anti-balaka ? 19
R. [09:38:00] Oui, j’ai bien compris la question. En fait, ce que j’ai dit dans mon 20
témoignage ne reflète que la... la réalité qu’on a vécue à ce moment-là, la situation...
21
On n’a jamais vécu ce que notre pays a vécu à ce moment. C’est un épisode qu’on n’a 22
jamais vécu dans notre pays.
23
Écoutez, la République centrafricaine, à un certain moment de son histoire, a été 24
considérée comme la Suisse africaine. C’est un pays où on pouvait... on vivait en 25
paix, où on pouvait traverser. Je voyais... quand j’étais encore tout jeune, je voyais les 26
touristes à bicyclette traverser, voyager dans... dans le pays. Donc, c’est un pays qui 27
n’a pas de culture de violence. On n’est... on n’avait... on connaissait pas la violence.
28
Alors, mais ce que j’ai vécu, ce que le pays a vécu, c’était inimaginable. Écoutez, 1
quand la Séléka a quitté Birao pour commencer à... pour venir à s’approcher de 2
Bangui, durant tout son parcours, ils avaient déjà commencé les exactions. Les 3
pasteurs étaient tués, les églises étaient incendiées, les prêtres... Et si vous... vous 4
essayez de... de faire... certainement, je pense que vous devriez avoir les 5
informations sur ça.
6
Et donc, déjà, durant tout le parcours de la Séléka, il y avait déjà des exactions avant 7
qu’ils puissent s’attaquer à Bangui. Et dès qu’ils avaient pris le pouvoir à Bangui, je 8
vous l’avais déjà dit, ils ont... donc ils se sont départagés en zones. Ils ont sillonné 9
toutes les... les localités de la RCA, toujours en train de piller, en train de tuer et en 10
train de saccager les églises. Ils s’en prenaient particulièrement aux hommes de 11
Dieu. Les... les religieux sont naturellement inoffensifs, hein. Les pasteurs, les prêtres 12
sont des gens qui sont inoffensifs, mais on ne savait pas pour quelle raison les... la 13
Séléka s’en prenait particulièrement à ces hommes-là.
14
Je... je vous ai déjà dit : vous allez... Moi, j’ai... je suis de Bossangoa, mais j’ai... et j’ai 15
fait mon école primaire dans la Lobaye, à Mbata. J’ai fait CP1, CP2 jusqu’à CM2 à 16
Mbata, j’ai fait la sixième au lycée de Mbaïki.
17
Mais les... les Pygmée, qu’on appelle « Baminga »… communément « Baminga », 18
c’est des gens qui ne s’intéressent jamais, hein, au pouvoir, à la vie publique. Mais 19
les Séléka arrivent dans les villages ; les Pygmée, ils les pillent, ils les tuent. Je ne sais 20
pas quelle est ce genre de situation.
21
Et ça, c’est à un moment où il y avait des forces internationales déployées en 22
Centrafrique soi-disant pour protéger les populations civiles. Alors, je pense que 23
c’est l’ensemble de tout ça qui a poussé... hein, vous savez, il y a ce qu’on appelle 24
l’instinct de survie, et ce qui a poussé les populations à réagir. Alors, donc, ce que 25
l’enfant-là est... de... la vidéo que vous avez publiée n’est qu’une réalité. C’est ce que 26
je dis dans mon témoignage. Merci.
27
Q. [09:41:29] Merci, Monsieur Ngaya.
28
Je vais vous montrer une autre vidéo filmée à Bangui, diffusée à la télévision 1
début 2014. Il s’agit de l’onglet 4 du classeur de la Défense, CAR-OTP 2012-0413. Je 2
vais vous diffuser de la 16e seconde à 1 minute, 13 secondes.
3
Pour les interprètes, il s’agit de l’onglet 5 du classeur de la Défense, CAR-D29-0006- 4
1087. Et c’est de la ligne... de la page 1, ligne 10, à la ligne 22, pour le cahier des 5
interprètes.
6
Je vais vous montrer la vidéo, Monsieur Ngaya, et encore une fois, j’aurai une petite 7
question de clarification.
8
(Diffusion de la vidéo, interprétation) 9
« Donc, on sait qu’il y a eu des fusils cachés dans ce quartier chrétien. Ils portent des 10
sacs qui ont des armes traditionnelles, y compris des bâtons cloutés, mais les 11
combattants anti-balaka sont furieux. La plupart veulent du sang séléka. Ce sont les 12
rebelles musulmans qui ont poussé au coup. Cet homme dit : “C’est les Séléka, le 13
problème”. Un ami le pousse vers ce qu’il pense être les Français. “C’est à eux... c’est 14
à cause d’eux qu’on souffre” dit-il. “Ils devraient commencer avec les gens qui ont 15
des armes plutôt que commencer avec les gens qui n’ont pas d’armes. Nous, on a 16
juste des couteaux, on n’a pas d’armes automatiques. Vous nous avez tous désarmés.
17
Mais, et maintenant, que se passe-t-il si les Séléka arrivent ? Qu’est-ce qu’on va 18
faire ? On va tous mourir, n’est-ce pas ?” » 19
Me DIMITRI : [09:43:50]
20
Q. [09:43:51] Monsieur Ngaya, vous en avez parlé dans votre témoignage, il était 21
difficile de distinguer entre un vrai Anti-balaka ou un membre de la population.
22
Êtes-vous d’accord avec moi que, sur les images qu’on vient de voir, il est également 23
difficile de distinguer les personnes présentes, à savoir si elles appartiennent ou non 24
aux Anti-balaka, malgré que la journaliste les identifie comme tels ? Êtes-vous 25
d’accord avec moi que ce qu’on voit, c’est des civils ? 26
R. [09:44:24] C’est exactement ce que vous voyez, hein, c’est exactement ce que vous 27
voyez. C’est bien dommage que c’est la situation que l’on... qu’on avait vécue.
28
Q. [09:44:35] Merci.
1
La Procureur vous a mentionné une vidéo, lundi, dans laquelle vous vous êtes 2
reconnu avec M. Émotion Namsio. Ma consœur vous a diffusé cette vidéo hier, dans 3
lequel vous avez fait un discours lors d’une conférence de presse le 3 avril 2014. Je 4
vais pas vous remontrer la vidéo, pour sauver un peu de temps, j’aurais quelques 5
questions supplémentaires. Si jamais vous voulez la revoir, je vous la remontre, mais 6
vous allez voir, mes questions sont assez simples.
7
Mais pour les besoins du procès-verbal, il s’agit de l’onglet 5 du classeur du Bureau 8
du Procureur, CAR-OTP-2023-1845, de 2 min 28 à 4 min 26. Et la transcription était à 9
l’onglet 30 du Bureau du Procureur, CAR-OTP-2107-1504, des lignes 34 à 56.
10
Alors, spécifiquement, Monsieur Ngaya, dans cette vidéo, vous faites référence aux 11
voyous qui attaquent PK 5, et vous dites — et je vous cite : « Il faut comprendre les 12
musulmans, car ils n’ont pas les outils nécessaires pour distinguer les vrais Anti- 13
balaka et qui est faux. ».
14
Et lors de cette même conférence de presse, vous dites à la ligne 44 : « Pour les 15
musulmans, tout le monde, c’est des Anti-balaka. ».
16
On a parlé du fait que c’était difficile, pour la coordination ou pour un civil comme 17
vous de... ou pour des journalistes, de distinguer qui est anti-balaka et qui est civil et 18
qui se fait faussement identifier comme étant un Anti-balaka. Mais lorsqu’on écoute 19
votre conférence de presse, est-ce que j’ai raison de dire que cette difficulté à 20
distinguer qui est vrai Anti-balaka, elle est également présente chez les victimes ; les 21
victimes, les musulmans, pour eux aussi, tout le monde était anti-balaka.
22
R. [09:47:04] C’est exact, c’est exact, mais je vous en prie, c’est-à-dire que tout ce que 23
le pays a vécu, je ne sais pas qui est victime et qui ne l’est pas. Si vous regardez, si 24
vous essayez de vous plonger dans l’histoire, à ce moment, dans ce contexte-là, 25
aujourd’hui je vous écoute parler des musulmans comme victimes, mais c’est 26
difficile à... à accepter. En tout cas, moi, moi, je suis victime. Je suis un pauvre 27
fonctionnaire et, tout mon temps, je m’organise pour m’occuper de ma famille, tous 28
les petits biens que j’avais mis de côté ont été pillés. Ne suis-je pas victime ? 1
Et ça, vous allez voir que... Je connais une famille de pasteur, c’était un jeune pasteur 2
qui a son épouse, avec des enfants ; les Séléka sont entrés, ils... d’abord, ils ont 3
commencé... ont… lui ont demandé de... de faire monter sa grosse moto dans leur 4
voiture, dès qu’il a fini de mettre la moto dans la voiture, on l’abat. Alors, vous avez 5
des milliers de... d’exemples de ce genre-là.
6
Alors, en tout cas, ça... ça me met mal à l’aise, je vous en prie, de considérer les... les 7
musulmans comme victimes. Le problème, c’est qu’il faut comprendre les 8
musulmans. C’est une confusion. On était dans un contexte où c’était vraiment une 9
confusion, hein. De... D’un côté comme de l’autre, la population confondait les 10
musulmans aux Séléka, et les musulmans confondaient la population aux Anti- 11
balaka.
12
Et justement, bon, moi, en regardant tout ça, j’ai... j’ai une autre manière de 13
concevoir les choses. Moi, je pense que la République centrafricaine étant un État, il 14
fallait travailler à retrouver l’État, à retrouver un pays qui doit s’engager dans le 15
développement. Regardez, vous voyez les indicateurs de développement humain, la 16
République centrafricaine est toujours dernier de la planète. En Afrique centrale, elle 17
est toujours dernier, alors que ce n’est pas les moyens qui manquent pour ce pays 18
pour... pour se développer. Alors, moi, je... en regardant toutes ces choses-là, il faut...
19
ça me révolte, personnellement, et que depuis toujours, mon état d’esprit, c’est de 20
comment faire pour que ce pays-là se retrouve et puisse s’engager dans le processus 21
de développement. Parce que, de toutes les manières, nous avons des enfants, nous 22
avons des petits-enfants, et on ne va pas... qu’est-ce qu’on va leur léguer ? On ne va 23
pas toujours créer les conditions pour que nos progénitures puissent vivre dans la 24
misère.
25
Donc, voilà un peu comment il faut voir. C’est une confusion qui était là de part et 26
d’autre. Les musulmans regardaient tout le monde comme des Anti-balaka, les...
27
les... les… de l’autre côté, on confondait les Anti-balaka… les musulmans à... aux 28
Séléka. Et c’était une confusion générale et, malheureusement, qui nous a conduits 1
dans cette situation chaotique.
2
Q. [09:50:18] Merci, Monsieur Ngaya.
3
Je vous rassure, je minimise absolument pas votre... le fait que vous étiez une 4
victime, c’est simplement que vous en avez parlé énormément au cours de votre 5
témoignage et dans votre déclaration, comment vous et les... les autres non- 6
musulmans ont été victimes. Mais c’est aussi mon rôle d’essayer d’identifier 7
pourquoi les victimes musulmanes identifient, parfois à tort, un perpétrateur 8
comment étant un Anti-balaka. D’où... d’où ma question.
9
Alors, si on termine sur ce point, est-ce qu’il est également exact, dans cette 10
conférence de presse — et je me réfère plus particulièrement aux lignes 54 à 56 — 11
que vous spécifiez, à raison, que ce n’est pas forcément les Anti-balaka qui attaquent 12
les musulmans ou qui détruisent leurs maisons, souvent, c’est la population.
13
R. [09:51:11] Souvent, la... c’est la population, et il y a des voleurs. Je me souviens, il 14
y a un... est-ce que c’est un... un ancien militaire, mais il y a un… quelqu’un, là, qui 15
avait... qui a organisé son groupe. Ça, c’est pas tellement... pas trop loin du KM 5, et 16
c’était une bande qui faisait du pillage, qui s’attaquait aux... aux populations 17
musulmanes. Mais je pense que, après, certainement, les vrais Anti-balaka se sont 18
organisés pour lui mettre la main dessus et le confier à la gendarmerie. Je pense qu’il 19
doit y avoir une histoire de ce genre-là.
20
Alors, il y a des voleurs... et le KM 5 étant le centre commercial... c’est un centre 21
commercial, c’est là où il y avait beaucoup de biens des musulmans, et les 22
musulmans sont des gens qui sont... qui aiment le commerce. Et donc, les voleurs 23
étaient... s’organisaient, en tout cas, pour… pour commettre des… des… hein, des 24
actes scandaleux dans ce sens-là. Et c’est… c’est justement ce qui donnait 25
l’impression que...
26
Je ne suis pas en mesure de vous dire, hein, de toutes les manières, ça, c’est ce que 27
j’ai... c’est les informations qu’on a glanées par-ci par-là, mais bon, je ne suis pas en 28
mesure de vous dire... donner suffisamment de précisions à ce niveau-là.
1
Q. [09:52:43] Monsieur Ngaya, lors de votre deuxième déclaration avec le Bureau du 2
Procureur, au paragraphe 112, vous dites que « les Anti-balaka se sont formés 3
initialement pour résister à la Séléka, mais que plus tard, ils se sont mis à terroriser la 4
population. » 5
Hier, vous avez expliqué que « c’est un petit groupuscule, ce n’est pas tous les Anti- 6
balaka. » 7
Mais moi, je voudrais clarifier le passage de votre déclaration, surtout lorsque vous...
8
vous utilisez les termes « plus tard, ils ont commencé à terroriser la population. » 9
Est-ce qu’il est exact… est-ce que vous êtes d’accord avec moi que « plus tard », en 10
fait, vous référez à une période qui est postérieure au 5 décembre ? 11
R. [09:53:18] Oui, c’est une période qui est postérieure au 5 décembre. C’est vraiment 12
une période qui est postérieure au 5 décembre, c’est... c’est un peu ce qui explique le 13
fait qu’on s’était levés, hein, on... c’est ce qui a justifié, disons, notre... nos actions 14
dans… dans... à ce moment-là.
15
Q. [09:53:40] Et si on veut être encore plus précis sur cette période, est-ce que vous 16
êtes d’accord avec moi qu’on la situe plutôt en janvier 2014, et... à partir de 17
janvier 2014 ou même au-delà ? 18
R. [09:53:58] Disons qu’il faudrait situer ça autour de... bon, fin décembre, hein, fin 19
décembre 2013, janvier 2014, au... et au-delà.
20
Q. [09:54:15] Merci.
21
Vous avez expliqué, lors de votre témoignage, lundi, que des jeunes venus des 22
villages, sans famille, avaient besoin de se nourrir pour survivre, ce qui a poussé 23
certains à piller la population afin de subvenir à leurs besoins. Et vous avez... vous 24
avez donné plusieurs exemples de... de pillages et de vols par certains Anti-balaka.
25
Et vous avez... vous avez même cité vous-même en exemple comme étant victime 26
parce qu’on aurait pillé votre moto et votre véhicule de fonction.
27
Ma question est très, très simple : est-ce que j’ai raison que tous ces actes qui étaient 28
nourris par le manque de nourriture, le besoin de survie — ils n’avaient plus rien, ils 1
avaient pas de famille à Bangui. En fait, ces Anti-balaka qui pillaient ne visaient pas 2
davantage les musulmans... pas plus les musulmans que les chrétiens, mais la 3
population en général, raison pour laquelle ils vous ont également pillés de vos 4
biens ? 5
R. [09:55:44] Oui, mais, en fait, c’est exactement ce que vous dites. Vous avez...
6
Je vais vous dire quelque chose, peut-être, que je n’ai... je n’ai jamais mentionné.
7
Quand ils avaient pris ma moto, une semaine après, ils sont venus me voir pour me 8
demander... — c’est quelque temps après, je pense pas... c’est pas une semaine, c’est 9
à peu près un mois ou deux mois —, après, ils m’ont demandé de lui... leur donner 10
de l’argent pour qu’ils puissent me restituer ma moto. Je leur ai dit « je ne fais pas 11
ça. » Je... je leur ai dit « Je vous abandonne la moto, je ne prends plus ça. » 12
Donc, vous voyez, dans... c’est, en fait le... le... c’est le… le… l’envie, le gain facile ; 13
c’est l’envie, hein, c’est le gain facile qui… qui les animait. Et donc, je crois que vous 14
avez fait une bonne analyse de la situation, c’est-à-dire vous percevez très bien hein 15
la vraie problématique.
16
Q. [09:56:42] Je vous remercie.
17
Je vais parler, maintenant, un peu du 5 décembre. J’ai quelques précisions à obtenir 18
de votre part.
19
Dans votre déclaration, vous dites que le 5 décembre, vous êtes resté dans la maison 20
de votre frère, dans le quartier Gobongo. C’est bien ça ? Et ça, c’est le jour 21
du 5 décembre, vous êtes à Gobongo ? 22
R. [09:57:04] C’est un peu... un peu avant le 5 décembre que j’ai… j’ai déménagé pour 23
Gobongo, parce que des éléments de Noureddine Adam... parce que... m’ont 24
manqué deux fois à la maison, ils voulaient me… me prendre et ils m’ont manqué 25
deux fois. Et donc, quand mon frère cadet a eu l’information, il a dit que non, non, il 26
n’est pas question d’attendre que je meure pour qu’on puisse se mettre à pleurer, et 27
donc, il m’a offert sa maison qui était... qui était vide. Et donc, c’est comme ça que 28
j’ai déménagé pour Gobongo, mais c’était déjà, je crois, le courant du mois de 1
septembre 2013 que je suis allé à Gobongo. Et donc, c’est une maison qui est bien 2
clôturée, et donc, quand les... les Anti-balaka sont entrés, nous, on s’était enfermés 3
dans la concession. Et donc, c’est à la télé... pendant deux ou trois jours, là, on ne 4
pouvait pas sortir, et c’est à la télé qu’on suivait les informations.
5
Q. [09:57:58] En fait, vous anticipez ma prochaine question.
6
Donc, le 5 décembre et les jours qui suivaient... qui suivent le 5 décembre, parce que 7
c’est une concession clôturée, fermée, vous, vous voyez pas ce qui se passait... ce qui 8
se passe — pardon —, vous pouvez tout simplement suivre ça par la télévision. C’est 9
ce que j’ai bien compris ? 10
R. [09:58:25] Oui, c’est ça.
11
Q. [09:58:26] Et est-ce que j’ai raison de dire qu’à Gobongo, il existe un endroit 12
nommé PK 9-Gobongo ? 13
R. [09:58:38] Oui, oui. PK 9, oui, oui, c’est... vous dépassez légèrement le marché 14
Gobongo, et donc, ça se situe à ce niveau-là.
15
Q. [09:58:51] Et...
16
R. [09:58:53] Mais... s’il vous plaît ? 17
Q. [09:58:54] Oui.
18
R. [09:58:55] Euh... bon, euh... on n’a pas l’habitude d’utiliser le concept PK9 pour la 19
ligne de Gobongo, c’est-à-dire qu’on n’a pas l’habitude... La ligne de Gobongo, il y a 20
PK 10. PK 10, ça, on utilise ça comme pour désigner le... le... le secteur. Gobongo, on 21
parle tout simplement de Gobongo. Sinon, il y a... vous dépassez Gobongo, il y a 22
PK 10. PK 10, c’est un secteur, il y a des quartiers, mais on... on appelle ça au nom de 23
PK 10. Et si vous avancez un peu, il y a aussi PK 11, il y a des quartiers, mais on 24
n’appelle pas par... on n’appelle pas ça par le nom des quartiers, c’est PK 11. Et puis, 25
ensuite, il y a PK12. Donc, à partir de Gobongo, c’est tout simplement Gobongo. Et 26
vous dépassez Gobongo, il y a PK 10, il y a PK 11 et il y a PK 12.
27
Q. [09:59:45] Et si on revient à PK 9, Gobongo — et c’est juste pour ma 28
compréhension personnelle, Monsieur Ngaya —, moi, ce que je comprends, c’est 1
qu’il y a une différence entre PK9 Gobongo et PK 9 qui est à la sortie de Bangui, 2
PK9 Bimbo. Pourriez-vous me dire quelle est la distance, si vous le savez, entre ces 3
deux PK 9 ? 4
R. [10:00:18] La distance entre les deux PK 9, euh, il faut...
5
Il faut compter 9 à 10 kilomètres, hein. Il faut compter 9... parce que, si vous partez 6
de Boy-Rabe jusqu’à PK 9, ça fera aussi 9 kilomètres, si vous partez par exemple…
7
mais si vous partez de Gobongo jusqu’à PK 9, je pense qu’il faut... ça... ça doit faire 8
10 kilomètres — PK 9, route de... de Mbaïki. C’est ça. Parce que vous voyez, si vous 9
permettez que je puisse vous planifier un peu, PK 9, c’est à partir du PK 0, du 10
point 0 de la ville de Bangui. Il y a sortie... sortie... Sur la route de Mbaïki, c’est... le 11
PK 9, il y en a... il y a eu un service de... une barrière de... de... des agents de sécurité.
12
Et sur la route de... de... de la sortie Nord, il y a PK 12, il y a aussi une barrière des 13
éléments de la sécurité.
14
Maintenant, quand vous essayez de considérer sur le plan de la ville, à partir de Boy- 15
Rabe pour aller jusqu’au PK9, de route de Mbaïki, ça fait à peu près 9 kilomètres. À 16
partir de Boy-Rabe pour aller au PK 12, ça peut faire 7 kilomètres, parce que Boy- 17
Rabe se situe à peu près à 5 kilomètres de... de... du PK 0 de... de... de la ville de 18
Bangui.
19
Q. [10:01:43] Je vous remercie.
20
On a parlé du fait que, le 5 décembre, vous êtes dans cette concession fermée et que 21
vous n’êtes donc pas témoin direct de ce qui se passe, de l’attaque du 5 décembre, 22
que vous suivez ça plutôt à la télévision.
23
Je voudrais clarifier deux ou trois passages de votre déclaration. Alors, vous — et 24
vous en avez parlé dans votre témoignage — que l’attaque du début décembre, elle...
25
elle dure... bon, les combats durent une à deux semaines et que vous restiez à la 26
maison à Gobongo la plupart du temps, et que vous sortiez uniquement durant les 27
périodes d’accalmie. Ça, c’est au paragraphe 59 de l’onglet 6 du Bureau du 28
Procureur, de votre déclaration.
1
Alors, moi, je voudrais clarifier les choses avec vous : quand vous dites « nous 2
restions à la maison la plupart du temps », est-ce que vous sortiez une fois par jour, 3
une fois tous les trois jours, une fois par semaine ? 4
R. [10:02:44] Euh... À ce moment-là, si je devais sortir, c’est certainement pour des...
5
l’approvisionnement. La maison où... où... où je me suis réfugié se trouve à 6
quelque... disons, une... une centaine de mètres du marché de Gobongo. Donc, si je 7
dois sortir, c’est peut-être chercher... pour trouver de quoi manger. Donc, c’est à ce 8
rythme-là, c’est-à-dire que sortir, là, on prend aussi des risques. Sortir, on prend 9
aussi des risques. C’est pour cette raison qu’il fallait être prudent.
10
Q. [10:03:19] Je comprends tout à fait, Monsieur Ngaya.
11
Et donc, ce que je comprends, c’est que, lorsque vous sortez, vos sorties sont très 12
limitées à... à... une quinzaine de minutes, 30 minutes, le temps de vous 13
approvisionner. Elles sont limitées en temps et elles sont limitées en distance, c’est-à- 14
dire que vous sortez à quelque 100 mètres de votre concession et vous rentrez 15
aussitôt dès que vous vous approvisionnez. Est-ce que c’est ce que je comprends de 16
vos allées et venues lors des deux semaines qui suivent le 5 décembre ? 17
R. [10:03:57] Oui, il faut dire… situer ça à peu près une semaine, une semaine, deux 18
semaines après le 5 décembre, mes sorties étaient très, très limitées. Une semaine, 19
deux semaines après 5 décembre, mes sorties étaient très limitées. Mais, après, j’ai 20
pris le courage de... de revenir regarder un peu dans le quartier, là où j’habitais 21
dans... à... à Boy-Rabe. Je pouvais sortir, hein, je faufilais dans le quartier avec ma 22
moto pour venir voir à peu près... Je ne pouvais pas emprunter les grandes... les 23
grandes artères, je faufilais dans les quartiers pour arriver là où j’habitais pour 24
évaluer la situation dans... dans ma propre maison à moi, pour voir est-ce que...
25
qu’est-ce que... comment ça s’est passé.
26
Donc, voilà un peu le... l’atmosphère à ce moment-là.
27
Q. [10:04:46] Puisque je comprends que vous n’avez pas été témoin direct des... du...
28
de ce qui se passe le 5 décembre et que ce que vous suivez, vous le suivez à la 1
télévision, le 5 décembre et dans la... les deux semaines qui suivent, alors, je voudrais 2
vous montrer une... une vidéo, justement. Puisque vous faites référence dans votre 3
déclaration au fait que vous suivez les événements du 5 décembre et des jours qui 4
suivent à la télévision, je voudrais vous montrer une vidéo. Je vous mets en garde un 5
peu, Monsieur Ngaya, elle est... elle est un peu difficile à voir, la vidéo. Je vous la 6
montre. J’aurai ensuite quelques questions.
7
C’est à l’onglet 6 du classeur de la Défense, CAR-OTP-2075-2005. La transcription à 8
l’onglet 7, CAR-D29-0006-1091.
9
Monsieur Ngaya, c’est un reportage de TV5 Monde daté du 15 décembre 2013, donc 10
dans cette période où vous suivez les événements à la télévision.
11
Je vous montre un extrait du début de la vidéo jusqu’à la 48ème seconde.
12
Et pour les interprètes, dans votre cahier, à l’onglet 7, ce sera des lignes 6 jusqu’à la 13
ligne 17.
14
(Diffusion de la vidéo) 15
[Insertion d’une portion de la transcription originale de la vidéo n° CAR-OTP-2075-2005, 16
sans aucune modification ou altération de la part des sténotypistes judiciaires de langue 17
française]
18
« INTERVENANT NON IDENTIFIÉ : C’est un criminel (inaudible)!
19
REPORTER NON IDENTIFIÉ : Au quartier Combattant, un musulman vient d’être 20
lynché. Des hommes et des enfants surexcités s’acharneront des dizaines de minutes 21
sur le cadavre.
22
INTERVENANT NON IDENTIFIÉ : C’est un criminel qu’on est en train de tuer là, 23
c’est un musulman. On fait seulement le boulot.
24
REPORTER NON IDENTIFIÉ : Un à un, les convois de la FOMAC, la Force de 25
l’Afrique centrale, passent mais ne s’arrêtent pas. Soudain, le groupe se disperse. Ce 26
sont les bataillons tchadiens, redoutés par les chrétiens.
27
INTERVENANT NON IDENTIFIÉ : Ils ont peur des Séléka. C’est pour cela que 28
quand vous voyez les gens comme ça…quand vous voyez les gens comme ça, il est 1
en train de partir.
2
REPORTER NON IDENTIFIÉ : Les troupes françaises aussi passeront devant la 3
scène sans ralentir. » 4
Me DIMITRI : [10:07:45]
5
Q. [10:07:46] Monsieur Ngaya, la scène qu’on voit à la vidéo, ce sont des populations 6
civiles qui s’acharnent sur un musulman. C’est ce que je vous suggère. Et ma 7
question, en fait, lorsque vous dites au paragraphe 40 de votre déclaration, à l’onglet 8
22, classeur du Bureau du Procureur, que le 5 décembre, les Anti-balaka ont tué des 9
musulmans innocents, est-ce que vous êtes d’accord avec moi qu’en fait, vous basez 10
vos conclusions sur le genre de vidéos qu’on vient de visionner, où il est difficile, 11
même pour vous, de distinguer si ces actes sont commis par les Anti-balaka ou par la 12
population civile ? 13
R. [10:08:38] C’est comme vous avez dit, hein. Heureusement qu’il y a des 14
documents de ce genre pour, au moins, apporter la lumière. C’est... Comme je vous 15
ai dit, c’est difficile que je puisse vous dire si c’est des Anti-balaka ou bien des... des 16
populations civiles. La... La confusion était... était grande. La confusion était grande.
17
Regardez même la vidéo, vous voyez comment les gens réagissaient par rapport...
18
par rapport à la situation. Donc, c’est la... la situation était vraiment chaotique.
19
Q. [10:09:11] Merci pour cette explication, Monsieur Ngaya.
20
Vous avez également parlé, au cours de vos... des... des derniers jours, lors de votre 21
témoignage, vous avez déploré également le rôle des médias internationaux dans 22
cette confusion.
23
Ma consœur vous a montré, hier, si je ne m’abuse, un document que vous aviez 24
rédigé pour M. Ngaïssona — qui est à l’onglet 22 du classeur Ngaïssona, CAR-OTP- 25
2025-0396, à la page 0402 — dans lequel vous déplorez le rôle des médias 26
internationaux dans l’augmentation des tensions dans le pays, notamment par leurs 27
manières dramatiques d’accuser à tort les... les Anti-balaka d’actes scandaleux. Êtes- 28
vous d’accord avec moi que la vidéo qu’on vient de vous visionner, c’est un exemple 1
de ce que les médias internationaux faisaient et de la façon dont ils accusaient les 2
Anti-balaka d’actes scandaleux alors que c’étaient souvent des actes commis par la 3
population civile ? 4
R. [10:10:29] C’est... C’est... C’est exactement cela, Madame. Vous savez, je vais... je...
5
je l’ai relevé plusieurs fois, hein, quand on parle même des médias internationaux, 6
c’est... c’est... il s’agit plutôt des... des médias français : vous avez France 24 ou bien 7
TV5 Monde. Et quand vous voyez les images, c’est... c’est souvent des images 8
tendancieuses, c’est souvent des commentaires tendancieux, au point que ce... ce que 9
nous ressentions, ici au pays, en Centrafrique, c’est... c’est qu’il y a... il y a... il y a 10
parti pris, il y avait parti pris. Et... Et donc, c’étaient vraiment des choses qu’on ne 11
comprenait pas, hein. C’est pour cette raison que je... je... j’avais relevé ça dans...
12
dans... dans mon témoignage.
13
Q. [10:11:22] Merci, Monsieur Ngaya.
14
Je vais maintenant changer de sujet. Je vais parler de la période postérieure au... au...
15
au 5 décembre.
16
Dans votre déclaration, au paragraphe 102 de l’onglet 6 du Bureau du Procureur, 17
vous indiquez qu’en octobre 2014, les Anti-balaka réagissent suite à une attaque 18
lancée par des musulmans, et vous donnez l’exemple d’attaques sur les 19
commissariats du cinquième arrondissement.
20
Alors, je ne veux pas revenir sur cet incident. Ma question, elle est un peu plus 21
générale : est-ce que je comprends de vos propos que, même après 22
le 5 décembre 2013, et donc au cours de l’année 2014, il restait des Séléka ou des 23
groupes de musulmans armés qui continuaient à commettre des attaques dans 24
Bangui ? 25
R. [10:12:28] Mais oui. Ça, c’est même plus... plus longtemps après. Il y avait les 26
Séléka qui continuaient à commettre des actes barbares, des... tuer des gens dans la 27
ville de Bangui. C’est pour cette raison que le KM 5 ne pouvait pas être fréquenté.
28
C’est... C’est pour cette seule raison. Parce que, dès que tu commets l’erreur d’entrer 1
au KM 5, c’est... c’est ta vie que tu exposes. Et... et donc, c’est... c’est pour cette seule 2
raison-là que le KM 5 était, pendant très longtemps, n’était plus fréquenté par... Or, 3
beaucoup de gens, beaucoup de Centrafricains aiment bien venir faire leurs... leurs...
4
leurs... leurs courses au KM 5. Or, ça... ça, on a manqué de ça pendant très, très 5
longtemps à cause des tueries, hein, au KM 5.
6
Et... Et, s’il vous plaît, hein, c’est... c’est à ce moment-là... Je vais vous donner 7
quelques scènes, hein. Je vais vous dire quel... Quand la Séléka était au pouvoir, dès 8
qu’ils font un mariage, dès qu’il y a une cérémonie de mariage des... des musulmans, 9
ils vont venir au stade 20 000 places, au complexe sportif 20 000 places pour fêter. Et 10
quand ils sont être au complexe 20 000 places pour fêter, il y a... ils vont faire crépiter 11
des armes longtemps. C’est-à-dire que, bon, à ce moment-là, ils... ils... ils jouissaient, 12
ils sentaient qu’ils ont déjà dominé les non-chrétiens (sic), et ils étaient les maîtres de 13
la situation. C’était ce que... ce qu’ils voulaient faire comprendre. Autrement dit, il y 14
avait... je ne sais pas quel genre de... de... d’objectif dans tout ça. Je pense qu’il y a 15
des éléments, hein, qui... qui concordent. C’est-à-dire que eux, ils voulaient islamiser 16
la République centrafricaine, donc neutraliser, anéantir les non-chrétiens et, 17
maintenant, par après, imposer l’islam. Il y a même un drapeau, un drapeau avec 18
l’emblème de… de… de l’islam là-dessus. Donc, c’est un peu ce qui justifiait le 19
comportement des musulmans à ce moment-là.
20
Je vous ai parlé hier de... de ces informations qu’on avait, de ce que... c’est ce que le 21
Président Idriss Deby avait... en tant que Zaghawa, a fait au Tchad. Ils ont donc 22
anéantis les... les… les Tchadiens, et les sud... les Tchadiens du sud qui étaient des...
23
des chrétiens ; alors, ils les ont anéantis et... et, donc, c’est la même méthode qu’ils 24
voulaient faire ici, en Centrafrique.
25
En fait, c’est… c’est un peu les informations que nous avons à ce moment-là.
26
Q. [10:14:48] Merci.
27
J’aimerais rebondir un peu sur ce que vous dites justement par rapport à… au PK 5, 28
là, au cours de... donc après le 5 décembre 2013 et au cours de l’année 2014, qui était 1
devenu infréquentable parce que beaucoup trop dangereux. Certains témoins l’ont 2
décrit, d’ailleurs, comme une poudrière. À votre connaissance… Ma question est très 3
précise, Monsieur Ngaya : après le 5 décembre et au cours de janvier 2014, avez-vous 4
connaissance d’attaques de la part du PK 5 sur les quartiers limitrophes, par exemple 5
Boeing ? 6
R. [10:15:34] Oui, ça, c’est des choses qui étaient fréquentes. Les attaques des 7
musulmans, il y a Boeing, il y a aussi même Combattant. Vous savez, c’est... si vous 8
voyez l’aéroport de Bangui, il y a une rue qui part de l’aéroport parallèlement à la 9
piste d’atterrissage pour entrer dans Bangui. Et donc, là, il y a des... tout au long de 10
cette rue-là, il y a.... il y a un… un quartier qu’on appelle Fondo, le quartier Fondo.
11
Donc, il y a Boeing d’un côté, mais il y a aussi tous les quartiers... Ici, il vient (phon.) 12
du quartier Fondo, il y a même Combattant qui subissait des... des attaques 13
sporadiques des musulmans du KM 5. Et il y a le... le 5ème arrondissement, le poste 14
de police du 5ème arrondissement, c’est à l’entrée du KM 5. Et… Et donc, là aussi, 15
dans le quartier du 5ème arrondissement, les musulmans attaquaient les… les 16
quartiers qui étaient à la... limitrophes au 5ème arrondissement.
17
Si vous voyez l’avenue de France qui continue pour monter en ville, à côté, il y a le 18
quartier Sara. Ce quartier aussi subissait les attaques des musulmans de... de… de…
19
du KM 5. Ainsi de suite. Tout... Tout autour du KM 5, les… les musulmans 20
attaquaient. C’est ça.
21
Q. [10:16:55] Est-ce qu’on peut également inclure dans les quartiers autour de PK 5, 22
quartiers qui sont victimes d’attaques par PK 5 en décembre 2013 et 2014, est-ce 23
qu’on peut également inclure le quartier Cattin ? 24
R. [10:17:12] Oui, le quartier Cattin. Vous savez, quand vous arrivez au... il y a le 25
quartier Cattin, il y a le quartier Fatima. Là, en mai... en mai 2000... si c’est en 26
mai 2015... je... c’est 2014 ou 2015, il y a… en mai, c’était le 1er... 1er mai, la Fête du 27
travail, mais les prêtres de... qui étaient de l’église de Fatima ont été tués dans 28
l’église par les éléments… les musulmans du PK 5. C’est les Séléka, c’est les 1
musulmans, on peut pas distinguer. Mais c’étaient des attaques des... des gens qui 2
venaient de PK 5 pour attaquer. Les prêtres ont été tués avec certains... certains 3
fidèles, des chrétiens.
4
Donc, tout autour... j’ai simplement oublié de mentionner : Fatima, Cattin, tous les 5
quartiers limitrophes environnant le 5ème arrondissement subissaient ces choses-là.
6
Q. [10:18:04] Êtes-vous d’accord avec moi, Monsieur Ngaya, qu’en raison de ce 7
danger que créait PK 5, en décembre-janvier 2014, en raison de ces attaques 8
provenant de PK 5 vers les quartiers limitrophes, Combattant, Boeing, Cattin, êtes- 9
vous d’accord avec moi que, en conséquence, les populations civiles de Boeing, de 10
Cattin fuient ? Les musulmans vont fuir vers PK 5, les chrétiens vont fuir vers le 11
Ledger ou ailleurs. C’est-à-dire que les actes commis par les musulmans armés ou les 12
Séléka armés dans PK 5 sur les quartiers limitrophes ont pour conséquence de faire 13
fuir les populations des quartiers limitrophes ; qu’elles soient musulmanes ou non 14
musulmanes, les gens fuient.
15
R. [10:19:07] J’ai même des noms des collaborateurs qui ont abandonné leur quartier 16
qui étaient proches du PK 5. J’ai des noms des… des… des collaborateurs. Il y en a 17
qui habitent le quartier Sara, c’est proche de… de… de PK-5. Il y en a un autre qui 18
habite le quartier Fondo. Et ils ont abandonné cette maison-là. Aujourd’hui, ils 19
vivent... jusqu’au jour d’aujourd’hui, ils vivent dans d’autres quartiers. Alors, ils ont 20
abandonné. Il y a un autre collaborateur qui est mort déjà mais qui habite... C’est-à- 21
dire qu’il y a… il y a plein de monde qui ont abandonné définitivement leur quartier 22
dans… dans ces zones à cause de... de… de cette situation. Et je les... j’ai les noms.
23
Peut-être que ça... ça vous servira pas, mais bon, je dis ça.
24
Q. [10:19:57] Merci. J’ai... J’ai pas nécessairement besoin des noms, Monsieur Ngaya, 25
mais ce dont... ce… ce qui me servirait, par contre, c’est que vous me confirmiez que 26
même les... les… en... que même les musulmans, en raison des attaques de PK 5 sur 27
les quartiers limitrophes, même les musulmans de Cattin, Boeing préfèrent aller se 28
réfugier dans PK 5.
1
R. [10:20:24] Ah oui, c’est pas seulement... c’est pas seulement Cattin. à l’époque, il y 2
avait plein de musulmans à Boy-Rabe, il y avait une mosquée à Boy-Rabe. Mais tout 3
ça, les… les... tous les musulmans ont fui. Tous les musulmans ont fui. Et c’est... ils se 4
sont réfugiés, hein, au… au… au PK 5. C’est... C’est… C’est exactement ce que vous 5
décrivez, hein.
6
Q. [10:20:43] Merci.
7
Je vais changer de sujet, Monsieur Ngaya.
8
Juste pour vous expliquer le contexte de mon prochain sujet, vous avez longuement 9
parlé des forces internationales tchadiennes, des forces... des autres forces 10
internationales, mais vous avez notamment parlé du… du chaos créé par les forces 11
internationales tchadiennes. Vous avez fait référence à l’incident où les forces 12
tchadiennes ont tiré sur une marche pacifique. Vous avez été très clair, je… je veux 13
pas y revenir, mais je veux… je veux juste vous expliquer le contexte de ma 14
prochaine question.
15
Et vous avez expliqué également que ça... ce comportement des forces 16
internationales tchadiennes avait contribué à cette colère par les civils chrétiens 17
contre les Tchadiens. Vous en avez parlé hier.
18
Et vous avez... Donc, mon prochain sujet, c’est un peu la... l’insécurité et le manque 19
de... de forces de sécurité dans le pays à l’époque. Vous avez parlé de la persécution 20
des FACA dans votre première déclaration, vous en avez parlé au cours de votre 21
témoignage. Vous avez dit que la Séléka a pris les armes des FACA et que personne 22
ne pouvait vous défendre à l’époque du régime Séléka — ça, vous l’avez dit au 23
paragraphe 44 de l’onglet 6 du Bureau du Procureur. Et vous avez mentionné qu’il 24
n’y avait presque pas de forces de sécurité de l’État, que ce soient des gendarmes ou 25
des policiers — vous avez dit ça au paragraphe 129 de l’onglet 22 du Bureau du 26
Procureur et au paragraphe 111 de l’onglet 6.
27
Alors, ma question est la suivante : êtes-vous d’accord avec moi que, en raison de ce 28
sentiment d’insécurité, couplé au fait que, jusqu’en 2015, vous mentionnez qu’il n’y a 1
presque pas de forces de sécurité de l’État, que ce soient des gendarmes ou des 2
policiers, les FACA ne voulaient pas céder aux mesures de confiance mises en place 3
par le gouvernement Samba-Panza et par les forces internationales et, donc, 4
refusaient d’être désarmés, parce qu’il y avait pas de... il y avait... on leur garantissait 5
pas la sécurité ? 6
R. [10:23:19] Mais, s’il vous plaît, c’est-à-dire que, à ce moment-là, si toi qui es armé 7
et que tu te permets de te désarmer, ça veut dire que tu t’exposais. Vous savez, c’est 8
un moment où même les FACA ne pouvaient plus se promener en tenue militaire.
9
Les FACA ne se promenaient plus en tenue militaire, sauf ceux-là qui sont un peu 10
forts. Et même quand on parle de la gendarmerie, les unités de gendarmerie étaient 11
restées... c’est… c’est en ville là-bas qu’il y avait l’OCRB et la gendarmerie dont les 12
actions étaient très limitées. Et… Et donc, on pourrait même pas envisager parler de 13
désarmement à ce moment-là. On peut pas... On peut pas espérer parler de 14
désarmement à ce moment-là.
15
Q. [10:24:10] Merci.
16
Je vais encore changer de sujet, Monsieur Ngaya.
17
Je vais parler un peu de la notion de ComZone. Dans votre déclaration, au 18
paragraphe 96 de l’onglet 6 du Bureau du Procureur, vous expliquez que le 19
ComZone ne contrôlait pas nécessairement un lieu ou une zone spécifique, qu’il 20
pouvait être en charge d’un groupe d’Anti-balaka qui avait une liberté de 21
mouvement dans un lieu.
22
Est-ce que j’ai raison de dire que, en raison du chaos qui régnait et de tout ce que 23
vous avez dit lors de votre témoignage, on ne peut pas exclure que, dans un lieu ou 24
un quartier, il y avait plusieurs groupes anti-balaka, et donc plusieurs ComZone ou 25
plusieurs groupes anti-balaka qui s’autoproclament anti-balaka, mais qui ne sont pas 26
nécessairement des... réellement des Anti-balaka ? 27
R. [10:25:20] Bon, je… c’est ce que je... je l’avais déjà mentionné, il y a un homme, là 28
— est-ce que c’est un ancien militaire —, qui avait son groupe autour de… du PK 5 1
et qui commettait des pillages.
2
Vous savez, l’idée de ComZone, c’est quoi ? C’est-à-dire que c’est des unités, hein, 3
c’est… c’étaient des groupes qui venaient des... des villages. C’étaient des groupes...
4
des petits groupes de combat. Ils étaient, hein… c’étaient des groupes homogènes, et 5
ils se sont constitués, et ils ont combattu. Donc, chaque groupe avait son autonomie 6
quand ils venaient des... des… des différents villages. Et quand ils sont entrés dans 7
Bangui, ils sont restés, diront (phon.) dans ces entités. Ce n’est pas qu’ils contrôlent 8
un quartier donné, mais là où ils pouvaient s’installer, est-ce que c’est dans une 9
école, est-ce que c’est dans une maison d’habitation qui a été abandonnée ? Donc, ils 10
se regroupaient dans ces... ces maisons-là, et c’est un peu comme ça qu’on... il y a la 11
notion de base. Quand on parle de base des Anti-balaka, c’est à peu près ça.
12
Autrement dit, c’est une unité anti-balaka qui reste — comment dirais-je — 13
homogène en... et c’est... c’est… ils sont liés par… par le... le… les uns les autres par 14
cette solidarité qu’ils avaient déjà dans leur village quand ils étaient... ils ont 15
progressé sur Bangui. Alors... Et donc, ils arrivent à Bangui, ils n’ont... ils n’ont pas 16
de point de... de… d’appui, ils occupent une maison d’habitation abandonnée, et ils 17
sont là. Donc, c’est comme ça que, eux, ils opéraient. Donc, ils pouvaient poser...
18
Moi, je n’ai pas une cartographie tellement précise de leur implantation dans la ville 19
de Bangui, mais, au moins, certaines bases que je connaissais à ce moment-là, je... je 20
peux vous dire, mais il y a... les autres bases, je peux pas, en tout cas.
21
Et là aussi, c’est là où je pouvais circuler. Il y a... Il y a des endroits où je pouvais pas 22
circuler. Et donc, c’est pour cette maison que je ne suis pas en mesure de vous dire...
23
donner une cartographie exacte de l’implantation de ces ComZone et de leurs... leurs 24
éléments dans… dans la ville de Bangui.
25
Q. [10:27:29] Je comprends, mais votre... votre… votre réponse m’aide beaucoup.
26
Vous dites que ce n’est pas qu’ils contrôlent un quartier donné. Alors, vous êtes 27
d’accord avec moi qu’un ComZone n’a pas forcément connaissance... un ComZone 28
n’a pas forcément le contrôle ou la connaissance de l’existence de toutes les 1
personnes armées qui se trouvent dans le lieu où il se situe ? 2
R. [10:27:55] Mais oui. Ils ont... Ils ont quels moyens pour connaître tout ça ? Ils ont 3
quels moyens ? Eux, ils se sont... ils sont venus d’un village, ils se sont installés 4
quelque part et puis... et puis c’est tout. Ils ont quels moyens pour savoir si telle ou 5
telle unité se trouve à tel endroit ? Bon, je sais pas si je suis en mesure de vous dire, 6
de répondre parfaitement à cette question, parce que c’est... c’est quand même 7
compliqué, mais de… de manière...
8
Q. [10:29:00] De manière générale.
9
R. [10:28:25] ... empirique, hein, de... de ce qu’on voit, je ne sais pas quel est... quel est 10
leur... quels sont les moyens qu’ils ont, hein, parce que, bon... Il y en a, entre eux, qui 11
se connaissent. Certains ComZone, entre eux, se connaissent ; d’autres, peut-être, ne 12
se connaissent pas. Ils sont venus de toutes parts et que, bon… Vous... Vous voyez, 13
les... il y a des unités comme... anti-balaka qui viennent, par exemple, de... de… de 14
Bouca, de Batangafo, ils arrivent à Bangui. Il y en a qui viennent de... vous voyez, 15
comme... le nord du pays. Quand je dis Batangafo, Bouca, ça, c’est le nord du pays. Il 16
y en a qui viennent, par exemple, de... de Yaloké ou alors de… de Bozoum ou de 17
Bouar, ça, c’est le nord-ouest du pays. Alors, ils sont arrivés à Bangui. Bon, 18
maintenant, je suis pas en mesure de vous dire est-ce qu’il y en a, entre eux, les 19
ComZone qui se connaissent, qui se (inaudible)... ont leurs numéros de téléphone, ça, 20
bon, moi, je n’ai pas de moyen pour vous dire ça.
21
Q. [10:29:32] Au cours de votre témoignage, vous avez longuement parlé du fait que 22
la population locale se vengeait contre les attaques des Séléka dans les provinces, et 23
que la... la coordination était blâmée, les Anti-balaka étaient blâmés. Au 24
paragraphe 113 de votre première déclaration, vous en parlez également.
25
Maintenant, on blâme l’entité anti-balaka, on blâme la coordination ; est-ce que j’ai 26
également raison de dire que le ComZone également prenait le blâme pour les actes 27
criminels commis par les locaux non anti-balaka, les locaux qui se trouvent dans...
28
dans sa zone ou dans... dans le territoire occupé par le ComZone ? 1
Vous comprenez ma question ? C’est-à-dire qu’on ne blâme pas juste la 2
coordination, on ne blâme pas juste l’entité anti-balaka, on va aussi blâmer, à tort, le 3
ComZone.
4
R. [10:30:35] Bon, c’est justement ce qui explique une des actions que, plus tard, on 5
devait essayer de mettre en œuvre pour éviter, dans le processus de normalisation...
6
et pour éviter la confusion, parce qu’il fallait créer des conditions pour que la paix 7
revienne. C’est-à-dire que les accuser à tort, ça, c’est une chose qui était revenue 8
plusieurs fois. On les accusait à tort, et nous, on avait constaté cela. Et quand on s’est 9
rendu compte que ça, c’était un stratagème, il s’agit d’un stratagème pour les 10
autorités politiques de l’époque, avec la... la... de la combine des forces 11
internationales, pour faire perdurer la transition. C’était un stratagème. Donc, on 12
s’en est rendu compte et on a proposé des actions pour essayer, hein, de prendre en 13
compte cette question.
14
Q. [10:31:32] Vous parlez de la combine des forces internationales ; je voudrais... je 15
voudrais rebondir là-dessus, en fait. Êtes-vous d’accord avec moi qu’une des raisons 16
du manque de contrôle des ComZone, c’est notamment lié à l’insuffisance des forces 17
internationales et le... et le manque de... d’assistance par les forces internationales ? 18
On l’a vu un peu plus tôt, dans la vidéo, les forces internationales passent, ne 19
s’arrêtent pas. Donc, êtes-vous d’accord avec moi que c’est aussi une des difficultés 20
que le ComZone, en général... dont le ComZone souffrait ? 21
R. [10:32:18] C’est même cette difficulté qui... qui nous a poussés à entrer en scène.
22
C’est ce genre de difficulté qui nous avait poussés à entrer en scène et essayer de 23
prendre en charge toutes les... toutes les problématiques pour les présenter et les 24
porter à l’attention de... du gouvernement et des instances internationales.
25
Autrement dit, il y avait... il y avait surtout une mauvaise volonté. Il y avait surtout 26
une mauvaise volonté. Je ne parlerais pas d’insuffisance des forces internationales, je 27
parlerais plutôt de mauvaise volonté de... des forces internationales. On se demande 28
est-ce qu’il y avait un état-major de... de ces forces internationales qui avait... est-ce 1
qu’il y avait une... un commandement, une chaîne de commandement de ces forces 2
internationales sur les différents contingents qui étaient déployés pour la protection 3
des populations civiles ? Le contingent burundais se comportait autrement, le 4
contingent tchadien faisait à sa tête ; les différents contingents faisaient... à sa tête.
5
Peut-être... bon... est-ce que... Le contingent camerounais avait un autre style de 6
travail, et cetera. Donc, est-ce qu’il y avait vraiment un commandement, une chaîne 7
de commandement pour que ces forces internationales... qu’il puisse avoir une 8
emprise sur les différents contingents ? Quand on les regarde, c’est n’importe quoi.
9
Et donc, moi, je pense qu’il y a... il y a plutôt... on ne peut pas dire insuffisance des 10
forces, non, c’est plutôt la mauvaise volonté. Il y a... il y a de... la mauvaise foi, la 11
manipulation.
12
Q. [10:34:07] Je retiens vos propos là-dessus, Monsieur Ngaya. Je vais... je vais y 13
revenir, parce que c’est un point intéressant pour moi, mais je vais continuer dans 14
ma lignée.
15
Vous dites, dans votre déclaration, au paragraphe 129 de l’onglet 22 du Bureau du 16
Procureur, que « L’intention de discipliner les éléments était là. Nous voulions les 17
amener à la police pour qu’ils puissent être enfermés, mais en pratique, c’était 18
difficile à implémenter. » Je vais pas revenir là-dessus, vous avez été très clair.
19
Vous avez également parlé, au cours de votre témoignage, du fait qu’avant la police 20
militaire, qui a été créée par les Anti-balaka, il n’y avait pas d’organe ou de système 21
mis en place pour les arrestations.
22
Moi, je veux établir avec vous une chronologie de cette problématique. Vous me 23
suivez ? 24
R. [10:35:02] Oui, je vous suis exactement.
25
Q. [10:35:04] Alors, mes questions sont... vont... L’objectif de mes prochaines 26
questions, c’est que je veux établir une chronologie parce qu’après, je veux revenir 27
sur les forces internationales.
28
Confirmez-vous... êtes-vous d’accord avec moi qu’au moment où les Séléka prennent 1
le pouvoir, ils prennent le contrôle des gendarmeries, ils ont fait fuir les gendarmes, 2
ils ont fait fuir les policiers et ils ont pris leurs armes ? Et ça, c’est partout dans le 3
pays. Les postes de gendarmerie et les postes de police sont pillés, occupés par la 4
Séléka ; les gendarmes, les policiers fuient.
5
R. [10:35:42] C’est... c’était exactement cela, Madame, c’était exactement cela. On a...
6
Il fallait désarmer toutes les forces de défense et de... de sécurité. C’est-à-dire que, 7
même très longtemps après, Djotodia l’a confirmé dans ses déclarations, il ne voulait 8
pas... il ne voulait plus de forces armées centrafricaines. Ça, c’est... Lui, il a dit ça à la 9
radio.
10
Donc, c’est... peut-être, ça, c’est une... que... un objectif que, eux, ils avaient quand ils 11
avaient pris le pouvoir.
12
Q. [10:36:16] Et toujours dans cette chronologie, lorsque Djotodia démissionne, êtes- 13
vous d’accord avec moi que, même si les gendarmes ont voulu reprendre leurs 14
postes, ils étaient pas armés, ils avaient... ils avaient pas de matériel, ni armes, ni 15
véhicules ; ils étaient très limités en termes d’outils pour assurer leurs fonctions.
16
R. [10:36:44] Mais oui, c’est une évidence. Écoutez, Séléka a pris le pouvoir...
17
occupe... Là, d’ailleurs, Djotodia dormait à l’état-major général des armées ; il 18
dormait là-bas. Et la poudrière de l’armée, c’était l’état-major. Donc, ils ont... ils ont 19
pris possession de la poudrière. Là, au domicile de M. Francis Bozizé, qui était 20
ministre de la Défense à l’époque, il y avait un conteneur qui... où on pouvait avoir 21
des pare-balles, des PA (phon.), et cetera, de l’armement ; ils avaient récupéré ça. Et 22
tout ce qu’il y avait en termes d’armement des forces de défense et de sécurité, la 23
Séléka avait récupéré. Donc, à ce moment-là, avant l’entrée de la Séléka, il y a une 24
pratique, il y avait... il y a la tradition de l’armée : les forces de défense et de sécurité 25
en Centrafrique, ils ne... ils ne... ils n’amènent pas leurs armes à la maison. Ça, c’est 26
une tradition militaire : ils n’amènent pas leurs armes à la maison, ça reste dans les 27
poudrières.
28
Alors, étant donné que la Séléka a récupéré toutes ces... toutes les poudrières, 1
comment voulez-vous que les forces de... les forces de sécurité puissent avoir des...
2
des équipements pour leur travail ? Ça n’existait plus.
3
Q. [10:37:58] Merci, Monsieur Ngaya.
4
R. [10:38:02] Si vous permettez ? 5
Q. [10:38:04] Je... Oui.
6
R. [10:38:05] Si vous permettez ? 7
Q. [10:38:08] Allez-y.
8
R. [10:38:10] Les informations qu’on avait : tous les armements qu’ils avaient pris, ils 9
les ont envoyés à Birao. C’est-à-dire que le stock des armements qu’ils ont récupérés, 10
ils ont envoyé ça à Birao.
11
Q. [10:38:24] D’où ma question un peu plus précise, Monsieur Ngaya : lorsque 12
Djotodia quitte le pouvoir, janvier 2014, même si les gendarmes veulent revenir à 13
leur poste après la prise de pouvoir par Samba-Panza, il n’y a pas d’équipement ; 14
vous êtes d’accord ? Vous le dites, les... ils amené ça à Birao. Donc, les gendarmes, 15
les policiers, ils ont pas d’équipement lorsque Samba-Panza prend le pouvoir.
16
R. [10:38:54] Mais c’est exactement ça. Aujourd’hui, en Centrafrique, le problème 17
d’équipement des forces armées centrafricaines est resté un vrai problème, c’est à 18
cause de ça. C’est resté un vrai problème jusqu’à aujourd’hui. Je ne veux pas parler 19
politique aujourd’hui, hein, mais c’est resté vrai... un vrai problème.
20
Q. [10:39:12] Je vous remercie.
21
Je vais vous montrer une vidéo qui va un peu dans ce sens, c’est-à-dire de la réalité 22
que vous avez vécue comme Centrafricain, par rapport à l’absence d’équipement des 23
gendarmes. Et puis j’aurai ensuite quelques questions.
24
Alors, la vidéo est à l’onglet 8 de l’onglet (sic) de la Défense : CAR-OTP-2055-2610 ; la 25
transcription, c’est à l’onglet 9 du classeur de la Défense : CAR-OTP-2107-6906 ; la 26
traduction est à l’onglet 10 : CAR-OTP-2122-2271. On va visionner un extrait de 27
20 secondes jusqu’à 2 minutes 12.
28