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Taux d intérêt nominaux négatifs «Terra incognita»

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Academic year: 2022

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Taux d’intérêt nominaux négatifs – « Terra incognita »

Au vu de ses objectifs immédiats (baisse des taux d’intérêt gouvernementaux et des primes de risque acquittées par les pays dits périphériques), la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) est une réussite.

À cet égard, les succès manifestes déjà obtenus n’excèdent-ils pas les résultats originellement espérés ? Des taux d’intérêt nominaux historiquement très faibles (voire quasi nuls) même sur des maturités très longues et, a fortiori, des taux d’intérêt négatifs soulèvent des questions économi- ques épineuses. Et c’est un euphémisme.

En amont : une politique monétaire doublement non conventionnelle

La BCE dispose d’un arsenal de trois taux directeurs. Le principal taux est le taux de refi- nancement : c’est celui auquel une banque peut se procurer chaque semaine des liquidités. Ce taux central est, de facto, essentiel car représentatif de la politique monétaire.

Il est encadré par un taux plancher et un taux plafond. Ce dernier (dit « taux de facilité de prêt marginal ») permet à une banque d’obtenir de façon exceptionnelle des liquidités au jour le jour.

Le taux plancher dit « taux de facilité de dépôt » est celui auquel la BCE rémunère les liquidités excédentaires que les banques déposent sur le compte qu’elles y détiennent.

Or, en juin 2014, la BCE ne s’est pas contentée de ne plus rémunérer les liquidités bancaires en imposant un taux de dépôt nul, elle l’a installé en territoire négatif (-0,10% en juin 2014, puis -0,20%

en septembre).

Cette décision visait à décourager la conservation de liquidités excédentaires par les banques : elle devait les inciter à rééquilibrer leurs portefeuilles

privé et l’acquisition d’actifs obligataires plus risqués (obligations des pays non core de la zone euro, ou même corporate).

Avec l’introduction d’un taux d’intérêt négatif sur les dépôts, la BCE n’a pas créé un précédent. En effet, des taux d’intérêt directeurs négatifs ont déjà été « expérimentés ». La Banque centrale de Suè- de a introduit en 2009 un taux négatif de -0,25%

sur les facilités de dépôts. En 2012, la Banque centrale du Danemark a mis en place un taux négatif de -0,20% sur les certificats de dépôts.

Enfin, afin de prévenir une appréciation excessive de sa devise, la banque centrale de Suisse a, quant à elle, imposé un taux négatif de -0,25% en décembre (porté à -0,75% dès janvier 2015) sur les dépôts à vue.

Il est cependant hautement hasardeux de tenter de dresser des parallèles, et aussi de tirer des leçons de ces expériences. Dans les cas particuliers de la Suède et du Danemark, il s’agit de petites éco- nomies ; dans le cas helvétique, il s’agit de pour- suivre un objectif de change très spécifique.

Ainsi, l’introduction en juin 2014 par une grande banque centrale d’un taux d’intérêt négatif sur les

-0,5 0 0,5 1 1,5 2 2,5 3

09 10 11 12 13 14 15

% Zone euro : taux directeurs et marché interbancaire

Facilité de prêt Facilité de dépot Taux de refinancement Euribor 3M

Source : Bloomberg, Crédit Agricole S.A.

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dépôts bancaires constitue bien une « inno- vation », voire une double innovation.

En effet, la stratégie menée par la BCE se distingue de celles qu’ont adoptées la Fed et la Banque d’Angleterre qui n’ont pas opté pour des taux de dépôts négatifs, mais pour des program- mes de quantitative easing.

En juin, la mise en place imminente d’un véritable quantitative easing n’était certes pas encore à l’or- dre du jour. Néanmoins, les rumeurs d’un recours à cette ultime mesure monétaire non conven- tionnelle se propageaient déjà rapidement.

Les grands principes du quantitative easing à l’européenne

En janvier 2015, la BCE a annoncé un programme étendu de rachats d’actifs (aussi appelé quantitative easing ou QE). Cette mesure doit permettre à la BCE d’atteindre son objectif d’inflation à 2%, tel qu’établi dans le traité de Maastricht, alors même que des éléments laissaient craindre une période prolongée d’inflation nulle, et même de déflation.

La BCE va ainsi procéder de mars 2015 à septembre 2016 à des rachats d’obligations émises par les gou- vernements, les agences et les institutions europé- ennes appartenant à la zone euro. Ces opérations, ajoutées à des mesures existantes, s’élèvent au total à 60 milliards d’euros par mois, pour un montant global de 1 140 milliards d’euros.

Les achats sont effectués uniquement sur le marché secondaire, pour rester en conformité avec la législation européenne ; en outre, les titres éligibles au rachat doivent nécessairement délivrer un rendement supérieur au taux de dépôt de la BCE (-0,2%).

À cela s’ajoutent des mesures d’octroi de liquidités aux institutions financières, afin qu’elles utilisent ces res- sources pour financer les entreprises et les ménages.

Cela doit, in fine, soutenir l’activité, stimuler l’inves- tissement, la consommation et permettre à l’inflation de converger vers la cible de 2%.

La mise en place de taux négatifs sur les dépôts a été interprétée comme le premier pas vers une politique monétaire accommodante vraiment non conventionnelle. Les conséquences financières ont été immédiates, parfois « brutales » : accélération de la hausse des marchés actions (malgré quelques phases de répit et de correction, l’Euro Stoxx 50 a augmenté de 110% depuis son point bas, en mars 2009), baisse des taux d’intérêt à long terme des pays-cœur de la zone euro, recul de l’euro contre dollar.

La BCE avait ainsi déjà atteint au moins partiel- lement (mais discrètement) certains de ses objectifs …

La diffusion de la baisse des taux d’intérêt ou le déplacement progressif du curseur

Bien qu’il ne s’agisse pas d’un taux de marché, le taux de refinancement de la BCE donne le ton : au-delà de son influence immédiate sur l’EONIA (Euro OverNight Index Average) puis l’Euribor trois mois, ce taux directeur est un déterminant essentiel des rendements à court terme des dettes obligataires des pays core de la zone euro. Ainsi, avant même que la BCE n’annonce officiellement (janvier 2015) son quantitative easing, les taux courts des pays core de la zone euro (en l’occur- rence l’Allemagne) étaient déjà en territoire négatif.

Les taux d’intérêt courts réels (taux d’intérêt dimi- nués de l’inflation) s’y situaient même auparavant.

2800 3000 3200 3400 3600 3800 4000

1 1,05 1,1 1,15 1,2 1,25 1,3 1,35 1,4 1,45

janvier-14 mai-14 septembre-14 janvier-15

% La BCE, l'euro et les actions...

EUR/USD Eurostoxx 50 (ech. dr.) Source : Bloomberg, Crédit Agricole S.A.

Quantitative easing Taux de dépôt

négatif

-2 0 2 4 6

00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13 14 15

% Le coeur de la zone euro : les taux d'intérêt réels négatifs

Taux d'intérêt réel

Taux gouvernemental allemand à 5 ans Inflation (glissement annuel)

Source : Bloomberg, Crédit Agricole S.A.

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La baisse des taux d’intérêt s’est ensuite opérée progressivement : elle s’est logiquement étendue à mesure que s’intensifiait la recherche de rende- ments. Partie des maturités courtes de la courbe des taux d’intérêt des pays-cœur, elle a atteint les maturités plus longues. Cela s’est traduit par une baisse des taux d’intérêt et un aplatissement de la courbe des taux.

Le mouvement de reflux des taux d’intérêt s’est ensuite étendu aux taux des pays non core et s’est traduit par une compression des primes de risque intra zone euro.

Des taux d’intérêt nominaux négatifs : une anomalie (qui pourtant s’explique…)

Plusieurs arguments de fond justifient l’existence de taux d’intérêt nominaux historiquement faibles et ce depuis désormais longtemps. L’apparition de taux d’intérêt nominaux négatifs (aussi étrange soit-elle) relève d’une sorte d’extrapolation des explications existantes.

caisses de retraites, les compagnies d’assurance, les banques. Ces acteurs essentiels se doivent de posséder des actifs très sûrs. Ils détiennent généralement leurs actifs obligataires jusqu’à maturité. Ils préfèreront des obligations offrant des rémunérations quasi nulles et désormais négatives à des actifs offrant certes des rendements plus attractifs mais risqués et volatils. Pour ces acteurs captifs, tout devient une question de relativité dans un univers « contraint » d’investissement où les taux négatifs deviennent progressivement la nor- me. Un taux d’intérêt nominal à long terme est, par ailleurs, la somme des taux de croissance et d’inflation anticipés auquel s’adjoint une prime de risque. Celle-ci rémunère le « renoncement à la liquidité », l’incertitude (après tout, il ne s’agit que d’inflation et de croissance anticipées …) et elle doit être d’autant plus élevée que la maturité du titre est longue.

Les anticipations d’une croissance durablement faible (thèse de la « stagnation séculaire ») conju- guées à la peur de la déflation justifient des taux d’intérêt durablement bas. Compte tenu par ailleurs d’un environnement tant économique que financier peu rassurant (euphémisme) depuis la crise de 2008, les investisseurs témoignent d’un engouement pour les actifs sans risque et cherchent désespérément des valeurs refuge.

Couplée aux explications précédentes, l’apparition de taux d’intérêt nominaux négatifs reflèterait une aversion extrême au risque et, in fine, l’insuffisance d’actifs considérés comme véritablement non ris- qués, d’autant que la demande captive de la BCE, acheteuse en dernier ressort d’actifs sans risque, contribue à assécher le marché.

Les dangers de taux nominaux historiquement faibles et désormais négatifs

La courbe des taux d’intérêt de référence (alle- mande, en l’occurrence) est extrêmement plate : son aplatissement est tel qu’il donne l’illusion que le risque (notamment celui issu des incertitudes d’un investissement à long terme) a disparu. Cet aplatissement est évidemment dangereux pour les principaux acteurs du système financier, les ban- ques dont les activités sont l’intermédiation finan- cière, la transformation de ressources courtes en actifs longs.

Détenir une obligation offrant une rémunération infime, même négative, n’implique pas nécessaire- ment une perte en capital. Néanmoins, espérer réaliser un gain en capital suppose que baissent les taux d’intérêt sur les obligations nouvellement émises. Celles-ci rendent les obligations détenues

-1 -0,5 0 0,5 1 1,5 2 2,5 3

3M 2 ans 5 ans 10 ans 15 ans 20 ans 30 ans

% Zone euro : l'aplatissement de la courbe des taux

Janvier 2014 Juillet 2014 Avril 2015 Source : Bloomberg, Crédit Agricole S.A.

0 1 2 3 4 5 6 7

janv.-14 mai-14 sept.-14 janv.-15

% Zone euro : la baisse des taux souverains à 10 ans

Allemagne France Italie

Espagne Portugal

Source : Bloomberg, Crédit Agricole S.A.

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devient extrêmement difficile (et même périlleux, mais c'est pourtant le choix de certains acteurs) de tabler sur une baisse supplémentaire des taux.

Dès lors, à moins de se situer dans une optique buy and hold, se pose le risque de perte en capital.

Cependant, dans un monde globalisé où les inves- tisseurs sont mondiaux, les achats de titres à rendements négatifs peuvent se justifier dès lors que les perspectives d’appréciation de la devise, si elles se concrétisent, peuvent se solder par des gains en capital à la revente une fois convertie dans la monnaie dépréciée de l’acheteur. La Suisse a ainsi continué à bénéficier de flux acheteurs en dépit de taux fortement négatifs en raison d’espoirs de nouvelle hausse du franc suisse, après la décision de la Banque centrale de stopper toute intervention sur le marché des chan- ges. La recherche « désespérée » de rendements a évidemment incité les investisseurs à se déplacer sur la partie longue de la courbe des taux d’intérêt des pays-cœur. L’exercice est proche de son terme car les courbes sont quasiment plates.

Par ailleurs, plus la maturité d’une obligation est longue, plus sa sensibilité (baisse de son prix en cas de hausse nouvelle des taux de marché) est élevée, tout comme l’est le risque de perte en capital. La stratégie d’allongement des maturités a donc largement atteint ses limites (selon nous, elle les a même déjà touchées).

Les investisseurs ont élargi leur recherche de rendements aux pays non core de la zone euro et aux obligations corporate (voire émergentes). Les rendements sont certes plus attractifs. Néanmoins, les primes des obligations corporate se sont déjà resserrées. Les surplus de rendements offerts par le marché du crédit sont à niveau historiquement faibles et la discrimination entre les risques peu marquée. Le coût du crédit Investment Grade et High Yield se situe désormais autour de 1% et 4%

respectivement. Le potentiel de resserrement des spreads permettant d’espérer un gain en capital est donc limité (et ce, toutes choses égales par ailleurs, c’est-à-dire sans remontée des taux sans risques).

Il reste donc, essentiellement, aux investisseurs le pari sur la poursuite de la hausse des marchés actions. Un pari fondé sur la croissance, sa vitalité, sa pérennité.

Quid des taux d’intérêt réels ?

L’inflation est à un niveau historiquement (dange- reusement) bas que justifie naturellement l’anémie de la croissance européenne. L’Europe envoie

depuis peu des signes de reprise. Mais, elle est convalescente et les pressions déflationnistes commencent seulement à s’y dissiper.

La faiblesse de l’inflation tient également au recul impressionnant du prix de l’énergie. La chute du prix du pétrole est quasi vertigineuse : le prix du baril (Brent) est passé de 115 USD/baril mi-juin 2014 à 47 USD/baril mi-mars (soit une baisse de près de 60%) Une correction à la hausse est attendue. Le prix moyen a atteint 54 USD/baril au premier trimestre 2015. Nous tablons sur une remontée progressive à 65 USD/baril, puis 80 USD/baril (derniers trimestres 2015 et 2016, respectivement).

Ce facteur de reflux de l’inflation ne peut donc être considéré comme durable. Ainsi, les taux d’intérêt nominaux ont baissé plus sensiblement que l’infla- tion courante : cela se traduit par des taux d’intérêt réels négatifs. Ceux-ci devraient théoriquement promouvoir l’appétit pour le crédit. Ils contribuent surtout à alléger le coût de refinancement des dettes gouvernementales en zone euro et rendent les trajectoires de dette plus soutenables.

Cependant, à cet égard, la situation de la zone euro est paradoxale, voire inquiétante. Dans un contexte où la croissance (courante et anticipée) y demeure modeste et l’inflation (également cou- rante et anticipée) très basse, il existe bien un plancher à la baisse des taux réels. Dès lors, en cas de remontée des taux nominaux, les taux longs réels peuvent excéder la croissance réelle.

In fine, cela alourdit mécaniquement le poids des dettes, dégrade la solvabilité, renchérit le coût de l’assainissement bilanciel et finit par alimenter une croissance et une inflation durablement faibles.

L’existence de taux d’intérêt nominaux négatifs peut être expliquée théoriquement. Si la littéra- ture académique sur les taux d’intérêt réels négatifs est abondante, elle est en revanche encore très rare sur les taux nominaux négatifs…

On peut également trouver des justifications

« concrètes », mais bien peu réjouissantes, à l’apparition de rendements obligataires néga- tifs. Leur existence soulève d’épineuses ques- tions. Et risque, si elle se prolonge, de générer des distorsions de prix d’actifs et de perturber la bonne allocation du capital. Il faut donc espérer que ces rendements se retrouvent rapidement en territoire positif. 

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