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ALGÉRIE : les femmes

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ALGÉRIE : les femmes

en première ligne

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Numéro 53 (été 1990)

Editorial

Inégalités : ça suffat comme сї!

En France, si vous saviez

Grève à Radio-France : Fréquence-Femmes Viols par inceste : Procès contre le silence .

Prisons de femmes : Vol au-dessus

d’un nid де coucous

Dossier : Algérie, les femmes en première ligne Algérie : L'avenir n’est pas joué

Les islamistes ne sont pas sortis du néant Le défi des féministes algériennes

Tunisie : « Islam progressiste » ou laïcit

Si toutes les femmes du monde Brésil : Forces et faiblesses

du mouvement des femmes ... 25 30

Pologne : Solidarnosc contre l'avortement 022186.

Yougoslavie : Féminisme d'hier et d'aujourd'hui... 37

Cinéma d’elles

Le cinéma des femmes, ХІІ festival ... 39

En débat

Le Temps de la différence, de Luce Irigaray ... 40

КЕЛИ su ue monte nd ӨӨҮ RE 2% 42

Luttes de femmes en Amérique latine

Clara Coria,

psychanalyste et féministe argentine,

auteur de deux ouvrages

sur les rapports entre sexes et le pouvoir de l'argent, nous parlera de sa recherche et de sa pratique

vendredi 15 juin à 18 h 30 à la Maison de l'Amérique latine

217, boulevard Saint-Germain, Paris (métro Solferino)

Liste des anciens numéros

n°26 — automne 1983

Dossier : Femmes immigrées ... 15F

n°27 — hiver 1983

Dossier : Femmes contre la guerre ... épuisé

n°28 — printemps 1984

Dossier : Les nouvelles technologies

Les femmes mises au défi? ... ISF n°29 — automne 1984

Dossier : Vive la famille ? n° 30 — hiver 1984

Dossier : Bébés sur ordonnances ... 15Е

n°31 — printemps 1985

Dossier : La réaction sort ses griffes ... iSF n°32 — été 1985

Dossier : Les patrons les aiment flexibles ... 15F n°33 — automne 1985

Dossier.-Vicletoes reseau ISF n°34 — hiver 1985

Dossier : Elections 1986

Pas de bonnes fées pour Cendrillon ... ISF

n°35 — printemps 1986

Dossier : Qu'est-ce qui fait courir les jeunes ? . n°36 — été 1986

Dossier : Santé

Sois patiente et tais-toi

n° 37 — automne 1986 Dossier : Ecoles, crèches Les bébés nous alertent ! n°38 — hiver 1986

Dossier : Séparation

La garde des enfants en débat n° 39 — printemps 1987

Dossier : Si toutes les femmes du monde n°40 — ёё 1987

Dossier : Sexualité

Au plaisir des femmes . . . . . .

n° 41/42 — automne 1987

Spécial 10 ans des « Cahiers »...

n°43 — hiver 1987 Au travail, dans la famille,

ces viols івпогёѕ . n° 44 — printemps

La politique côté femmes ... 20F n° 45 — été 1988

OE: MaL ее sursson 20 F

n° 46 — automne 1988

Les exclues . 24F

n°47 — hiver

Les luttes dans la santé ..., 24F

n°48 — printemps 1989

Fonction publique : ton univers inégalitaire ... 24F

n° 49 — été 1989

1789 : les femmes dans la tourmente révolutionnaire 24F n° 50 — automne 1989

Les femmes à l'heure du marché unique ... 24F n°51 — hiver 1989

Peugeot, Finances : elles travaillent, elles luttent . . 24F

n° 52 — printemps 1990

Allemagne de l'Est ... 24F

Les Cahiers du féminisme sont publiés par la LCR. Ils se veulent un instrument militant au service des luttes des femmes

contre leur oppression, dans une perspective socialiste.

Les Cahiers du féminisme veulent aussi être un lieu de débat

et d'échange d'expériences.

N'hésitez pas à nous faire part de vos suggestions еї... de vos critiques.

ISSN 0154-7763

Edité par la PEC, commission paritaire n° 60155.

Directrice de publication : Isabelle Alleton.

Rédaction, administration : 2, rue Richard-Lenoir, 93108 Montreuil.

Imprimerie : Rotographie, Montreuil.

TERTERA OT EEEE NEE E E EE S EEEE

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Editorial

Inégalités

Ça suffat comme сї

En France, l'économie va bien, parait-il : inflation jugulée, reprise de l'investissement des entreprises, profits en hausse. C'est l'INSEE qui le dit.

Tout va très bien, donc, mais pour qui ?

L'INSEE, toujours lui, nous l'explique fort bien : la désindexation des salaires favorise l'envol des profits. La consommation des ménages ayant les plus faibles revenus stagne, tandis que la consommation du quart des ménages les plus aisés augmente de 20 % en francs constants. Seule la

« gestion sociale de la crise » (création d'emplois bidons ou sous-payés tels les TUC, SIVP ou autres sigles) a permis un maintien minimal de la consommation des plus pauvres.

Nous assistons à une croissance des revenus de la propriété qui bénéficient, entre autres, d'une fiscalité très favorable. Même parmi les salariés, les écarts se creusent : selon Libération du 12 mai, les salaires mensuels nets des cadres ont progressé de 9 % de 1982 à 1988, tandis que ceux des ouvriers augmentaient de 2,5 % et le SMIC seulement de 1 %.

De nombreux ménages connaissent des difficultés insurmontables : problèmes d'endettement tellement importants qu'ils ont obligé le gouver-

nement à réagir ; problèmes de logement qui, à Paris, entraînent mainte- nant des expulsions non de squatters marginaux, mais de véritables salariés. Très nombreux aussi sont ceux qui doivent opérer une réduction de leurs dépenses d'habillement et de loisirs.

Comment peut-on imaginer, dans ces conditions, que les femmes s'en sortent bien ? La gestion du budget, en ces temps d'austérité, devient ипе véritable acrobatie et le « travail invisible » des femmes est condamné à augmenter.

De plus, même si le fait est mieux connu, il est n'est pas inutile de rappeler que les femmes font partie de la population la plus vulnérable.

53 % des chômeurs sont des femmes, la majorité des smicards sont des

smicardes, 60 % des ТОС sont des femmes, etc. Et ce n'est pas la loi de 1983 sur l'égalité professionnelle qui a contribué à résoudre ce problème...

Ces inégalités favorisent la désagrégation des liens sociaux et, sur ce terrain, peuvent se développer toutes les outrances, tous les fantasmes les plus irrationnels. Un racisme longtemps larvé s'exacerbe et s'affiche au grand jour. Le Реп pavoise sur toutes les chaines de télévision et vitupère, dans un discours désormais ouvertement nazi, contre les immigrés et les Juifs, désignés comme la source de tous nos maux.

L'absence de perspective collective, de solution aux problèmes immé- diats, et le discrédit des partis officiels expliquent l'écho que ces propos rencontrent auprès d'un nombre croissant de travailleurs.

Tous ceux qui ont renoncé à expliquer les raisons fondamentales de l'immigration (l'aggravation du sous-développement et la recherche d'une main-d'œuvre à bon marché par le patronat) et, à l'inverse, se rallient à la notion de « seuil de tolérance » doivent être tenus pour responsables de cette montée inquiétante du racisme.

La seule solution à la question de l'immigration réside dans la remise en cause des inégalités entre le Nord et le Sud, à commencer par l'annula- tion de la dette des pays dominés. La solidarité avec tous les exclus et les laissés-pour-compte est plus que jamais une priorité.

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En France, si vous saviez

Grève à Radio-France

Fréquence-Femmes

ne grève des personnels des ra- U dios nationales ! Pourquoi nous

y intéresser plus spécialement ? Ce n'est pas seulement poussées par notre lassitude des radios périphériques ou d’Hector, ce satellite émettant en permanence de la musique préenregis- trée, répétée en boucle !

Mais, en fait, cette grève est la plus longue de Radio-France (treize jours) depuis l'éclatement de ГОВТЕ en 1974.

De plus, les revendications avancées aujourd'hui sont identiques à celles por- tées par les luttes de ces dernières an-

nées : revendications salariales (ici, cinq cents francs pour tous) et reconnais- sance des qualifications. Et, dernier fait notable, les femmes ont participé nom- breuses à ce mouvement, ni ultra-mino- ritaires comme chez Peugeot, ni ultra-

majoritaires comme chez les infirmières, mais très présentes, fait correspondant à une insertion professionnelle des fem- mes de plus en plus incontournable ; elles y ont connu l'épreuve du feu des luttes collectives, des difficultés à s'y faire entendre, à remettre en cause les

pouvoirs en place.

Après avoir assisté à une assemblée générale décisive sur la reprise du travail, nous avons rencontré Anne, Sophie, Sylvie et Christiane.

Radio-France

ne tourne pas rond

Nos quatre interlocutrices sont très représentatives de la diversité des mé-

tiers de cette vaste Maison de la radio,

qui compte plus de cinq mille salariés avec les personnels des quarante-sept radios locales. Anne est choriste, enga- gée depuis peu de temps (moins de deux ans). Elle a un salaire décent (dix mille cinq cents francs par mois), mais qui évoluera peu : la progression à l'ancien- neté est plafonnée а 15 %. Dans cette profession, le malaise, ressenti principa- lement par les jeunes, vient surtout de l'absence de politique artistique de la direction et de mise en valeur des forma- tions musicales de Radio-France. Sophie est attachée d'émission, autrement dit elle assure le secrétariat de la produc- tion, métier « peu payé et ingrat », où il faut savoir « répondre au stress », « faire cing choses en même temps et rester calme ». Quant à Sylvie et Christiane, elles sont assistantes de réalisation : elles sont chargées de la préparation, de l'en- registrement, du montage et du mixage

des émissions. Comme tous leurs collé-

gues, elles ont été confrontées dans le

cadre de leur travail aux restrictions

budgétaires de la dernière période. Un exemple agaçant pour elles : l'obligation de signer un registre pour obtenir des boites de « collant » nécessaire pour le

montage des bandes.

La majorité des cinq mille employés de Radio-France sont des titulaires гёріѕ par une convention collective, mais plus

d'un millier sont des cachetiers, c'est- à-dire embauchés sur des contrats à durée déterminée (CDD) dont la durée,

variable, peut être prolongée. Parmi ces

cachetiers, certains (les « stars » de Ra- dio-France) ont de trés hauts salaires,

dépassant vingt-cinq mille francs par mois ; mais d’autres gagnent moins de

six mille francs. En outre, cette grève a fait découvrir que, parmi les « intégrés » (titulaires), plus de deux cents person- nes gagnaient moins de quatre mille cinq cents francs par mois (personnels de service, manutentionnaires, plantons) : ce qui fait dire à Sylvie que, « sociale-

ment, Radio-France est la plus retarda-

taire des sociétés issues de l'ex-ORTF ».

Toute cette prolifération de cas indi- viduels rend d'autant plus remarquable l'émergence d'une revendication com- типе : cinq cents francs pour tous. C’est certainement le fruit d'un sentiment lar-

gement partagé : les personnels des ra-

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dios d'Etat sont qualifiés, sont compé-

tents : « Tous aiment leur boulot », souli-

gnent Sylvie et Christiane. Ils ont ré- pondu présent chaque fois que cela s'est avéré nécessaire, mais sans pour autant

obtenir de réelle contrepartie salariale.

Un des premiers tracts du conflit le dit bien: « Chacun d'entre nous a donné énormément, en matière d'efforts ои de

boulot supplémentaire, qu'il s'agisse de

l'augmentation des heures d'antenne (ra- dios locales, France-Info, Radio-Bleue, nuits de France-Musique et de France- Culture...), de l'informatisation des ré- dactions et des services administratifs, (...) du remplacement des emplois sup- primés ou des multiples “réformes” de circonstance. » (Cent cinquante emplois

ont été supprimés en 1987.)

Ce n’est pas seulement le manque de reconnaissance des efforts collectifs qui

est reproché, mais aussi le manque de

reconnaissance individuelle du travail

fait et de la qualification. Ainsi, d’après

Christiane, « /е5 assistants de réalisation sont souvent considérés comme des lar- bins »; pour une émission, c'est l'assis-

tante qui va « faire tout le boulot », mais personne n'en tiendra compte, sauf si l'émission est mauvaise... Dans le gèné- rique, la plupart du temps, seul le nom du producteur et/ou du réalisateur appa- гай, parfois celui du preneur de son, et tous les autres techniciens et salariés

sont oubliés ! « Pour moi, c'est une ques- tion de princpe ; ma fonction doit être reconnue », dit Christiane.

Autre malaise très sensible, le capo- ralisme et la hiérarchie pesante ont

grandement contribué à renforcer le

ras-le-bol général. De nombreux exem- ples, dans toutes les catégories de per- sonnel, le confirment. Ainsi, les plan- tons, responsables de la surveillance, sont obligés de pointer deux fois par jour

à 13h et à 19h. Ils sont contraints

d'exercer un contrôle inadéquat envers les autres travailleurs qu'ils connaissent pourtant fort bien. Cet autoritarisme se fait aussi sentir envers les cadres inter- médiaires, qui ne sont même pas consul- tés sur les futurs projets. Sylvie, pour sa part, dénonce le nombre grandissant de cadres administratifs qui ne connaissent rien à la production : « Et ce sont eux qui sont chargés de la répartition des

moyens ! »

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Lancée le 22 mars 1990 par une

intersyndicale regroupant la CFDT, la CGT, la CFTC et la CGC (FO ne s’est pas jointe au mouvement), cette grève s'est étalée sur treize jours. Tous les jours, de nouveaux grévistes rejoignaient le conflit. Ainsi, le 27 mars, après le

service interne de distribution de cour-

rier, les services financiers, le Syndicat national des journalistes (SNJ, principal syndicat de journalistes) et le standard s'associaient au mouvement ; puis les cadres techniques, protestant ainsi contre le «mépris» dans lequel ils étaient tenus.

Tous sur la même longueur d’onde

Cette confrontation de toutes les

catégories de personnel, réunies quoti- diennement en assemblée générale, a certainement pesé dans la volonté com- mune de réduire les disparités salariales et dans la décision, en fin de grève, d'accorder une prime supplémentaire aux « bas salaires ». En effet, comment

ne pas être sensible à l'intervention de

cette femme de service décrivant au

micro, le deuxième jour de la grève, ses conditions de travail : quinze jours de

travail d’aflilée avec un seul week-end

entier par mois, des horaires quotidiens de 6 h 30 à 10 h 30 le matin, de 17 h 15 à 21 h le soir, et tout cela pour un salaire de base inférieur au SMIC ! C'est d'ail- leurs à la suite de cette intervention que la décision fut prise en assemblée géné- rale, à l'unanimité, de mettre en place une caisse de solidarité pour venir en aide aux « bas salaires » et leur permettre ainsi de continuer la grève ; cinq minutes après, des boîtes circulaient dans l’assis- tance, dans tous les studios, à la can- tine...

ous aurions aimé connaitre la rê- partition par sexe des emplois et des salaires, mais nous sommes restées sur

notre faim : il semble que ni les syndicats ni personne d'autre ne se soit jusqu'ici intéressé à la question. Cependant, cer-

tains services sont à l'évidence très fémi- nisés, tels les services administratifs.

D'autres sont à l'inverse très masculins, tels les techniciens chargés de la mainte- nance du matériel ; tandis que d’autres, encore, ont connu une modification ra- pide ces dernières années: la filière opérateur/ chef-opérateur du son, раг exemple, à l'origine très masculine, est

en train de se féminiser.

Ecoutez la différence

En revanche, nos interlocutrices ont

été beaucoup plus volubiles sur le dérou- lement de la grève et le rôle que les femmes y ont joué. C’est dans une am- biance de fête que, durant une petite quinzaine de jours, les personnels ont pu enfin se rencontrer, se parler. Pour Anne, la manifestation chez Tasca,

ministre de tutelle, où l’on a dansé dans

la rue, et le concert donné par tous les

musiciens et choristes de Radio-France,

réunis pour la première fois, ont été des moments importants. Sophie, tout en ayant apprécié ces moments de détente,

regrette que les animations (musique,

chants...) organisées au studio 105 aient finalement canalisé le besoin de rencon-

tre et empêché de vrais débats autour de la gestion de la grève elle-même.

Pour Christiane, « les femmes ont été fantastiques »\ Prendre la parole devant

tout le monde n'est pas facile ; elles ont hésité, d'autant plus que, au début, il n’y avait pas de micro baladeur dans la salle.

Et pourtant elles l'ont fait! « Depuis deux ou trois ans, elles prennent plus la parole ; elles sont beaucoup plus prati-

ques dans l'expression des revendica-

tions; elles ne s'imaginent pas tout connaitre a priori et sont beaucoup plus

tolérantes. Elles introduisent une notion de bon sens absente des grands coups de gueule des hommes qui, souvent, ‘se masturbent beaucoup” et qui, ici, ont été obligés de se remettre en question. » « Les femmes ont aussi participé activement aux piquets de grève», note encore

Christiane.

A toutes ces remarques, rajoutons les nôtres. Nous avons assisté à l'assem- blée générale du lundi 2 avril, avant la négociation finale. Si les femmes ont pris moins souvent le micro que les hommes, elles n'ont pas cessé de manifester leurs opinions par des cris, des protestations, des huées, interpellant vigoureusement les dirigeants syndicaux, d’ailleurs prati- quement tous des hommes : « Si nous décidons de continuer, êtes-vous prêts à nous soutenir ? »

Et, pourtant, que d'efforts encore à

faire pour en finir avec le sexisme et la

misogynie présents durant toutes ces journées. Cela va de la remarque mar- monnée par un dirigeant syndical pen- dant l'intervention d’une gréviste (« Celle-là, pour la faire taire, il faudrait lui mettre un tuyau de pipe dans la gueule. ») aux propos de сод à la sortie des négociations («Le patron, moi, je Гаі mis à рой! »). Des propos qui exci- tent certains mecs, «mais les nanas, comme le dit l’une d’entre elles, elles ont la haine » devant се type d'attitude : « //

frustration ; nous n'avons pas obtenu les use de sa parole de mec, sa parole de

pouvoir. »

En tout cas, la fin du conflit a été

marquée par la volonté des grévistes de ne pas se laisser déposséder du contrôle de la grève. Après la négociation du 31 mars qui avait débouché sur mille six cents francs de prime annuelle (mille sept cents francs pour les bas salaires) et une somme de quatre cents francs (cinq cents francs pour les bas salaires) à

valoir sur l’intéressement, les grévistes ont reconduit la grève, contre l'avis im- plicite des dirigeants syndicaux, qui es- timaient ne pouvoir obtenir plus.

Ce jour-là, l'assemblée générale s'est poursuivie tard dans la soirée. Il y eut une prise de conscience brusque de la nécessité de ne pas donner de chèque en

blanc aux syndicats. Et sont enfin venues

sur le tapis les questions fondamentales de participation des non-syndiqués aux

négociations, de comité de grève. Des

propositions pratiques ont été avancées

(par une femme !) : pas de négociations la nuit, négociations retransmises en direct (les moyens existent dans une maison de radio). C’est ainsi que, pour la dernière négociation, une gréviste non syndiquée а été acceptée comme obser-

vatrice.

L'accord final, favorisant les bas salaires (deux cents francs par mois pour eux, cent quarante francs pour les au- tres) fut accepté par l'assemblée générale du 3 avril, qui vota la reprise du travail.

Et maintenant? Nous avons revu Christiane: «// у а un sentiment de

cinq cents francs que nous revendiquions.

Mais il пу pas de sentiment de défaite.

Les personnels ont conscience qu'il faut rester vigilant et que nous devons nous prendre en charge. » Des assemblées régulières se tiennent dans chaque sec-

teur ; les travailleurs restent mobilisés et rédigent des motions de défiance récla- mant des changements de structures.

Entretemps, l'INA, autre socièté de l'audiovisuel public, est à son tour entré en grève, une grève qui a duré plusieurs

semaines.

Le mécontentement est général, et rien n'est règlé а Radio-France.

Marie-Annick Vigan et Anne-Marie Granger

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En France, si vous saviez

Viols par inceste

Procès contre le silence

ous avez rendez-vous avec

«М iore Pour Rachel, c'est

trop tard. Mais beaucoup at- tendent votre décision. » Ainsi s'adressait aux jurés maître Sylvain Larose, avocat de Rachel lors du procès qu’elle inten- tait, à Auch, contre son père, coupable de viol par inceste.

Cet avocat n'a pas tort. Le procès d'Auch, qui s’est conclu par la condam-

nation à quatorze ans de

prison de J.-P. Bonnema- zou, permettra peut-être à ce type de procès de ne plus

être confinés au secret des prétoires. En effet, les pro- cès pour viols par inceste, qui se déroulent à chaque

si ion de cour d'as assises,

ont lieu le plus souvent à

huis clos. Celui-ci, à la de- mande de Rachel, s'est dé- roulé en public pour que, comme elle Га déclaré,

«justice se fasse et que Гоп sache ». Et puis pour que cela n'arrive plus aux petites filles d'aujourd'hui.

C'est vrai que ce procès

entraînera sans doute d'au-

tres femmes à porter

plainte. La presse d'ailleurs ne s'y est pas trompée, qui Га amplement couvert. Le

huis clos de la justice res- semble étrangement au huis

clos de la famille: le si- 1епсе...

Même dans les années

soixante-dix, lorsque le

mouvement des femmes

soutenait des «procès exemplaires » contre le viol, aucun n'avait porté sur les viols par inceste. Le dévoi- lement devant l'opinion pu-

blique de ce type de crimes n'est venu que bien plus tard.

Plus tard parce qu'il est extrême- ment difficile et générateur de souffrance de briser tout le carcan de l'oppression familiale. Plus tard, parce que la petite fille craint qu'on ne Іа croie pas, face à un adulte, et qu’elle hésite donc douleu- reusement à révéler le terrible secret.

Plus tard, parce que c’est un être qu’elle aime qu’elle risque d'envoyer en prison.

Plus tard, parce qu'elle porte donc еп

elle la responsabilité d’avoir « brise la famille » qu’elle cherche au contraire à protéger. Bien plus tard, car elle vit sans cesse dans la peur, la honte, la culpabi- lité.

Plusieurs étapes ont jalonné ce dé- voilement: d’abord l'émission des

« Dossiers de l'écran» de septembre

1986, où il a été déclaré ce que personne

n'osait dire publiquement : oui, les viols par inceste existent dans notre société

bien policée. Le vernis de respectabilité

de l'institution familiale commençait enfin à se craqueler sur ce point.

La deuxième étape, qui n’est pas terminée, a été et est donc toujours une étape de travail en profondeur pour faire prendre conscience aux institutions et à l'ensemble de l'opinion publique de l'ampleur et de la gravité de ces crimes,

6

pour qu'ils cessent. Le Collectif fémi-

niste contre le viol, à l’aide de la vidéo l'Inceste, la Conspiration des oreilles bouchées et des nombreuses animations

qu’il a menées, y a grandement contri- bué. On assiste d’ailleurs à un début de concrétisation de ce travail avec la prise de conscience des députés lors du vote (contre l'avis du gouvernement) de la loi du 14 juillet 1989 faisant courir, pour les

crimes contre les enfants, le

délai de prescription (dix ans) à partir de leur majo- rité, et avec la mise en place du téléphone vert pour l'en- fance maltraitée du secrèta- riat d'Etat à la Famille.

L'étape dans laquelle nous епігопѕ aujourd'hui est celle des procès. Elle а paradoxalement débuté par le procès en diffamation qu'a intenté le père de Claudine à sa fille, après

qu'elle l'ait dénoncé lors de

l'émission de TF1 « Média- tions ». Claudine, soutenue

par le Collectif féministe

contre le viol, a obtenu en

appel, à Rennes, le sursis à statuer : ce procès ne sera jugé que lorsque la plainte déposée раг Claudine contre son père aura abouti.

Symboliquement, cette plainte en diffamation vou-

lait encore contraindre les femmes au silence. Le

deuxième procès significatif est donc celui qu'a mené Rachel. La loi du 14 juillet 1989 aura sans doute

comme conséquence que

plus de femmes adultes dé- poseront plainte.

Ces procès, qui ont lieu souvent bien des années après, sont des procès fort délicats à mener pour les victimes : les preuves sont très difficiles à rassembler.

C'est vraiment parole contre parole, et la justice de notre pays n’a pas particuliè-

rement la réputation d'accorder sponta- nément du crédit aux paroles des fem-

mes. Le violeur, comme Bonnemazou, père de Rachel, ne manquera pas de trouver des témoins pour déclarer que

(7)

c'est un excellent travailleur, honnête,

bon père de famille et tutti quanti... La solidarité masculine jouera à plein. La prise de conscience de l'opinion publi- que sur la réalité des situations de viols par inceste, le rapport de forces que réussira à imposer le mouvement des femmes seront donc déterminants.

Le procès d'Auch était exemplaire, dans la mesure où il démontrait bien

comment la conspiration du silence peut se refermer autour des crimes de viols par inceste. Silence au sein même de la

famille (sauf Erika, sœur de Rachel, qui a tout raconté, et Josette, sœur de Bon-

nemazou, qui les a toutes les deux sou-

tenues) ; mais aussi silence de tout le

village qui savait; silence des services sociaux pour lesquels les cinq grossesses de Rachel (dont la première à treize ans)

sans géniteur connu n'ont pas paru

étonnantes, pas plus que les violences importantes dont elle portait les traces ; silence aussi du personnel soignant des maternités. Surtout, ne pas jeter de

discrédit sur l'institution familiale.

Rachel a pu gagner le procès car, dans son cas, les preuves étaient éviden- tes: les grossesses, les traces de vio- lence, le témoignage de sa sœur Erika qui faisait semblant de dormir sur le lit superposé, quand Bonnemazou perpé-

trait ses crimes. Et, de plus, ce dernier a fortement indisposé le tribunal durant le procès par des provocations incessan- tes et son attitude despotique vis-à-vis de

tous les membres de sa famille. Cet

individu se prenait encore pour le sei-

gneur et тайге.

Un autre procès important, dans des circonstances tout à fait différentes, s'est

déroulé, à huis clos, à Lyon, début fe-

vrier. Franz et Fabienne B. étaient accu- sės d’avoir en leur possession une bande vidéo de vingt minutes reproduisant

leurs «relations » avec leurs enfants.

Tout ceci sans violence aucune. Les avocats du couple n'ont bien sûr pas manqué de le souligner : ils demandaient la déqualification de l'accusation de viol en attentat à la pudeur aggravé, sous prétexte que les actes commis ne répon- daient pas à la définition du viol qui doit être perpétré avec « violence, contrainte ou surprise ». Heureusement, la chambre d'accusation ne les а pas suivis. Elle assimile d'ailleurs, dans son arrêt de rejet, la contrainte morale à une « péda- gogie d'autant plus perverse qu'elle sup-

prime justement la nécessité de recourir à la violence ».

Et c'est cela qu'il faut bien com- prendre dans certaines situations de viols раг inceste: l'autorité du père,

frère, grand-père, beau-père ou oncle est suffisamment importante pour qu'il ne soit pas nécessaire de recourir à des violences éventuellement « visibles » : coups, etc. Le chantage affectif et la contrainte morale permettent à l'adulte criminel d'arriver à ses fins. La cour

d'assises de Lyon Га compris, en condamnant le père à dix ans de réclu- sion et la mère à six ans. Mais il y avait la présence de la vidéo, preuve incon- tournable. Qu'en aurait-il été du verdict si cet élément avait été manquant ? Et

ces crimes auraient-ils été découverts ?

Nous devons donc expliquer sans relà- che ce que peut être le calvaire d’une ou d'un enfant pris dans un tel enferme- ment, pour qu'enfin de tels crimes abo- minables, avec ou sans violences sup- plémentaires, soient jugés comme tels et disparaissent.

D'autres procès suivront. Nous de- vons apporter aux femmes qui les mène- ront une aide et une solidarité sans faille.

Suzy Rojtman ж Collectif féministe contre le viol: c/o МЕРЕ, 4, square Saint-Irénée, 75011 Paris.

ж Permanence Viols-Femmes-Informa-

tions : 05 05 95 95 (appel gratuit pour toute la France).

ж Allo Enfance maltraitée: 05 05 41 41 (appel gratuit pour toute la France).

Je ne me tairai plus !

Intervention de Claudine Le Bastard

lors de la rencontre « Simone de Beauvoir : de la mémoire aux projets » *

es viols, l'humiliation, le dé-

« L goût, le désespoir, la haine.

Et, tout autour, cette culpabi- lité qui ronge peu à peu l'existence, cette

impuissance qui empêche de vivre, de

crier sa douleur, d'agir avec dignité.

« J'étais une enfant, j'avais honte, j'étais juste une enfant, j'avais mal, je me sentais

coupable. Pour briser un enfant, on lui fait

perdre tout repère, on l’humilie, on le dégrade, оп l'enchaine toujours avec les mêmes armes de la toute-puissance. Des années de paroles interdites, voilà ce à quoi on est réduites. Pour moi, un quart

de siècle. Cependant, retrouver la parole

est capital.

« Moi, j'ai appelé la permanence de

Viols-Femmes-Informations en octobre

1986 ; d'autres femmes en même temps

appelaient aussi; nous avions cru jus-

que-là être seules à avoir subi cette еп-

fance. Plusieurs avaient la même demande

de rencontrer d'autres femmes ayant vécu

les mêmes agressions. Nous avions bien tenté d'en parler à des médecins, à des psychiatres. Ils ne voulaient pas entendre,

ou nous répondaient d'oublier, ou des choses bien pires encore, nous renvoyant

à nos propres fantasmes, à nos propres désirs, comme si une petite fille de cinq, sept ou neuf ans désirait sexuellement son père ou son grand-père ! La сотргёћеп-

sion, l'aide que nous recherchions auprès

d'eux nous avaient encore enfouies dans notre solitude.

«Nous avions donc décidé de nous

rencontrer. Nous, nous savions que nous

n'oublierions jamais de tels traumatismes, nous savions qu'il faudrait apprendre à

vivre avec ce passé.

« Dans le groupe, nous parlions de

notre vie passée et actuelle, de nos senti-

ments, des mots jamais prononcés sur notre vécu. En entendant les autres parler, les souvenirs s'exprimaient avec beaucoup de souffrances, mais cela permettait à l'une ou l’autre de retrouver les fils de son enfance brisée. Pour survivre, nous avions enfoui ces souvenirs au fond de notre

mémoire. De jour en jour, nous décou-

vrions que parler était capital. Plusieurs

d'entre nous ne supportaient pas que des

petites filles, aujourd'hui, subissent les

mêmes agissements.

«En ce qui me concerne, j'ai voulu assez rapidement répondre aux appels des

autres, à la permanence ; je ne supportais

pas d'être inactive devant tant de détresse,

celle que j'avais vécue. Dans le groupe,

nous cherchions ensemble les moyens que

nous avions pour lutter contre ces crimes.

П nous est apparu important, voyant le

même enfermement des petites filles d'au- jourd'hui, de réaliser un film vidéo pour sensibiliser les adultes. Nous, nous di-

sions que les petites filles parlent, ou essaient de le faire, mais que personne ne

les entend. Nous, nous avions des choses à dire là-dessus. Nous savions désormais

que nous n'étions pas coupables, que les criminels étaient souvent protégés par la société, que la société bien souvent préfe-

тай sacrifier des enfants pour sauver l'honneur de la famille. Nous avons donc réalisé un film vidéo, l'Inceste, la Conspi- ration des oreilles bouchées.

« Plus tard, j'ai participé à une émis- sion de télévision. Et, là, le monde à

l'envers. Mon père, ce criminel, a essayé encore une fois de me faire taire en portant plainte pour diffamation. Des années après, c'est un crime sans preuve pour lui.

« Quoi qu'il arrive, je ne pourrai plus

ravaler mes mots. Personne ne pourra

désormais m'empêcher de dire la souf-

france de ce qu'il m'a fait vivre. Au

contraire, je crierai encore plus fort l'in- justice que je ressens, que je vis.

«« Tiens-toi bien, sois sage, c'est un secret, ça te fera du bien, tu ne diras rien. » Enfant je n'ai pas pu parler ; plus tard, j'ai pu parler, j'ai parlé, je parlerai, je ne me

tairai plus.

« Pour toutes les petites filles d’aujour- d'hui.

« Pour toutes les femmes qui n'ont pas

pu parler.

«Je ne me tairai plus. »

*Le 16 décembre 1989, à la Sorbonne ; l'intégralité des interventions de cette ren-

contre vient d'être publiée (voir p. 43).

(8)

En France, si vous saviez

Prisons de femmes

Vol au-dessus d’un nid de coucous...

Les prisons pour femmes : un monde mal connu dans lequel, derrière les murs, les méthodes ont peu évolué. La discipline, avec son cortège d'humiliations, s’acharne à détruire méthodiquement les individus, utilisant pour arriver à ses fins un arsenal répressif

fort complet, assorti de règlements tatillons qui s'appuient principalement sur une forte culpabilité et sur une infantilisation totale des femmes.

nnelyse, Isabelle, Yamina et Mi-

А“ sont passées раг la prison.

Elles tentent aujourd’hui de nous faire comprendre la réalité de cet univers sordide. Elles évoquent tout d’abord longuement les sanctions qu'elles ont subies.

Une répression

digne du Moyen Age

Annelyse а été arrêtée en décembre 1984. Elle a ensuite passé quatre ans en détention préventive. Son incarcération a été marquée par de multiples transferts d'une prison à l'autre : « J'ai d'abord été écrouée à la maison d'arrêt pour femmes

de Fleury-Mérogis. J'y suis restée jus-

qu'en mai 1985. Puis on та transférée à Dijon pendant un mois, alors que j'étais en préventive, donc censée être à proxi- mité de mon avocat et du juge d'instruc- tion. Je suis ensuite revenue à Fleury, où j'ai passé sept mois à l'isolement, puis trois ou quatre mois en détention ordi- naire... Après, je suis partie à Rouen pendant un an, puis à Lille (toujours en préventive) et à Versailles. J'ai refait un bref séjour à Fleury, pour terminer enfin à Versailles... »

Les transferts font partie de la pano- plie répressive des prisons. Si une déte- nue est signalée comme particulièrement rebelle, on peut ainsi la transférer sans arrêt et sans motif particulier, ce qui lui

interdit entre autres de nouer des liens durables avec d’autres femmes.

Le transfert amène d'autre part une

foule de problèmes matériels, comme l'explique Annelyse: «Lorsque nous sommes transférées, nous n'avons le droit d'emmener aucune affaire avec nous ; tout doit ёте dans un paquetage. Се

paquetage ne voyage pas toujours avec

nous dans le fourgon; il est parfois

envoyé par le train. On arrive ainsi dans

la nouvelle prison sans rien, absolument rien : pas de vêtements de rechange ni de

brosse à dents, pas de timbres ni de stylos. et pas d'argent pour en acheter,

car on ne peut pas disposer immédiate-

ment de notre pécule en arrivant ! » Et,

pour peu que vous soyez retransfèrée rapidement, vos affaires arrivent après votre départ, et tout est à refaire.

Encore faut-il préciser que ces transports sont payés. раг les femmes elles-mé- mes !

«Au cours de l'un de mes derniers transferts, mes affaires ont été perdues, je n'avais plus rien... et mon procès débu- tait. Je m'y suis présentée sans même pouvoir me passer un coup de peigne...

L'administration cherche ainsi cons- tamment à nous humilier...

« Mème lorsqu'on a nos affaires avec

nous, on se heurte aux différents règle-

ments internes : des objets achetés dans une prison ne seront pas admis dans une autre. Il faut alors les laisser au “v liaire et en racheter qui soient confor-

mes au nouveau règlement... en attendant un autre transfert! Jusqu'à certaines marques de radio qui sont homologuées dans une prison et pas dans l'autre ! »

Au-delà des transferts, il y a aussi la

mise à l'isolement ou au mitard. Yamina nous raconte le mitard : « C'est une petite cellule dans laquelle il ny a pas de fenêtre, fermée par une porte et une grille.

Il пу а pas toujours l'eau. А Fleury, par

exemple, certaines cellules n'en ont pas.

On nous apporte une bassine d'eau le matin qui doit servir à tout: se laver, nettoyer la cellule et les WC, servir de

chasse d'eau. Lorsqu'on a soif, on doit

passer son godet sous la grille au passage

d'une matone, qui le remplit ou non selon

son humeur. La nourriture est servie dans

une gamelle en plastique glissée sous la

grille : on n'a pas de couteau, il faut se

débrouiller comme са... On n'a aucune

affaire. Dans certains cas, la prisonnière

est dépossédée de ses vêtements et doit

revêtir la chemise de пий de Гайтіпіѕіға- tion. Elle doit aussi laisser ses chaussures

à l'entrée et rester pieds nus (ce qui est

8

agréable quand il у a des WC à la

turque). Pas de lecture, pas de radio, rien... On dort sur un matelas en mousse, sale, sans draps, qui nous est le plus souvent retiré dans la journée. Nous n'avons droit qu'à du papier à lettre et à un stylo et, depuis quelques mois seule- ment, à des cigarettes... On peut rester

ainsi quarante-cinq jours d'affilée. I n'y

a rien d'autre à faire qu'à dormir...

quand on peut ! »

Si la mise à l'isolement se fait dans des conditions matérielles moins scanda- leuses, elle est aussi terriblement éprou-

vante. Pendant longtemps, à Fleury, le

quartier d'isolement servait aussi de sec-

teur psychiatrique et, jusqu'en 1984, les

femmes déclarées homosexuelles étaient mises dans une division à part, avec les proxénètes. Aujourd'hui, cette pratique a officiellement disparu, bien que de Curieux regroupements continuent d'exister, plus pernicieux qu'avant.

Isabelle et Annelyse ont passé six

mois et demi dans une même cellule du quartier DLLR (isolement) de Fleury.

Situation un peu particulière, puisque généralement les femmes sont seules, mais pas forcément plus enviable : si elles n'ont croisé aucune autre détenue, elles ont en revanche été constamment ensemble, jour et nuit, sans aucune inter- ruption pendant six mois et demi.

Le quartier olement porte bien son пот: оп n'y voit personne, même de loin. Lorsque Гоп veut aller au par- loir ou à l’infirmerie, ces lieux doivent au

préalable être vidés de toutes leurs autres

оссиратіез...

Isabelle et Annelyse y ont vécu une histoire. de folles : « Nous effectuions la

“promenade” dans une cellule de douze mètres carrés, avec une grille à la place

du toit. Comme à Fleury les locaux sont

modernes, l'un des murs était percé de plusieurs fenêtres au travers desquelles nous pouvions regarder. Un jour, nous

voyons arriver un peintre avec son seau et

son rouleau qui, sans que personne пе

(9)

nous explique quoi que ce soit, commence

à recouvrir les vitres de peinture blanche.

Plus nous avancions, plus il avançait.

Ел, à la fin, on n'y voyait plus rien. C'est digne d'une bande dessinée !

« À certaines périodes, on utilise aussi les cellules d'isolement pour mettre les toxicos qui arrivent et qui se retrouvent en manque. Ainsi, c'est nous qui assumons leur crise pendant plusieurs jours : elles hurlent, se tordent par terre, peuvent être agressives... Durant leur désintoxication, elles sont affamées. Bien souvent, leur ration ne leur suffit pas, et nous devons partager la nôtre ! Elles ne voient pas un médecin, pas une matone, personne, le temps que dure leur crise, et c'est à nous de prendre tout en main. Au bout d'une semaine, quand elles sont calmées, qu'el- les sont ‘présentables", on les emmène ailleurs. Et ainsi de suite au fil des

mois... »

Que faut-il faire pour être envoyée au

mitard ou à l'isolement ? Parfois, rien, ou pas grand-chose. La décision est prise au prétoire, sorte de tribunal in- terne composé de la direction de la prison, des gradées et des surveillantes.

П n'y a pas de règles précises, et l'arbi- traire le plus total est de mise. Ainsi, une

femme détenue à Versailles explique-

t-elle dans une lettre que la raison оћ- cielle de sa mise au mitard a été qu'elle

«avait lancé un regard réprobateur à la

surveillante, incitant ainsi les autres femmes (sic) à la révolte ».

Un autre mode de répression est le changement très fréquent de cellule.

Annelyse Га vécu tous les deux jours

pendant dix jours, accompagné d’une fouille totale de la cellule tous les jours.

Ces fouilles durent plusieurs heures ;

toutes les affaires sont retournées, et il faut ensuite trois heures environ à la détenue pour tout ranger... Et ça re- commence le lendemain ! Le règlement prévoit la fouille régulière de toutes les cellules, à une frèquence qui varie sui- vant les détenues.

Ainsi, les outils de la répression s'acharnent-ils à humilier, piétiner, dé- truire l'individu par tous les moyens, y compris les plus mesquins, les plus détournés.

Pour isoler une femme, les surveil- lantes menacent de mitard toutes celles

qui seraient tentées d'entretenir avec elle des relations amicales ou de simples

échanges, ce qui décourage peu à peu les

femmes et isole de fait la détenue. Que ladite détenue se retrouve par ailleurs et par hasard seule dans une cellule ou avec un groupe de Laotiennes, par exemple, qui parlent exclusivement le laotien, et

l'on comprendra qu'il existe maintes

façons de sortir officiellement une déte- nue de l'isolement, tout en l'y laissant

dans les faits. C’est d’ailleurs le cas de Joëlle Aubron et de Nathalie Ménigon.

Infantilisées, humiliées, psychiatrisées…

Au-delà de cette panoplie fort com-

plète, la discipline s'appuie sur un rè- glement tatillon dont les objectifs de normalisation sont les mêmes que dans

les prisons pour hommes, mais qui joue sur des mécanismes fort différents.

Le principal d'entre eux est ипе infantilisation totale de ces femmes, qui bien souvent à l'extérieur ne remettaient pas en cause le rôle social classique qui leur était dévolu, et qui se retrouvent subitement « assistées », déchargées de toutes leurs responsabilités habituelles.

Ainsi, paradoxalement, certaines trou- vent en prison un lieu où elles peuvent

«souffler ». Michèle a été frappée par cet état de fait lors de son passage à la centrale de Rennes: « Ces femmes se retrouvent complètement prises en charge, ce qui ne leur était pas arrivé depuis l'enfance... Elles sont dans un milieu protégé”, dans lequel elles reproduisent d'ailleurs fidèlement l'image de la femme au foyer parfaite : elles tiennent leur “in- térieur” avec soin, s'appliquent à bien

faire leur lessive... Ainsi, les femmes qui sont là pour longtemps organisent-elles

leur vie. Elles sont généralement dociles, obéissent toujours et ont droit en échange à différentes petites faveurs de la part des

matones.

«A Rennes, la plupart des longues

peines sont là pour infanticide ou crime

passionnel. Elles portent en elles une culpabilité terrible, sur laquelle jouent bien sûr les surveillantes. 11 faut savoir qu'il n'y a pratiquement jamais d'évasion dans les prisons pour femmes. Différents

facteurs peuvent expliquer ce fait. L'une

des raisons est que, tout bêtement, certai- nes ne sauraient pas où aller. Elles ne peuvent retourner d'où elles viennent,

alors pourquoi sortir, pour quel avenir ?

9

(10)

Ces femmes sont complètement cassées, et l'idée de leur sortie les panique plus

qu'autre chose. »

La culpabilité joue un rôle impor- tant. Beaucoup se sentent coupables

d’avoir «abandonné » leur famille ou leurs enfants en étant emprisonnées, alors que ce sentiment est très différent

chez les hommes. De même, le fait

d’être enfermée n'est-il pas souvent valo- risant pour une femme, et rarement inté- gré comme le risque conscient d’un mode de vie ou d’un acte.

La présence massive des religieuses dans les prisons pour femmes accentue cette atmosphère de pénitence. Isabelle a passé quinze mois à la centrale de

Rennes, où elle a été frappée par cette importante présence de religieuses :

«Ces bonnes sœurs sont là depuis des dizaines d'années. Elles sont la mémoire de la prison. Elles jouent parfois le rôle des “gentilles” contre les “méchantes”

matones. Actuellement, elles sont peu à peu éjectées des prisons et mènent une lutte d'influence contre le personnel péni- tentiaire. Contradiction interne qui peut parfois être exploitée positivement par les détenues. Leur présence ne choque pas toutes les femmes : beaucoup vivent leur détention comme une pénitence, une croix à porter pour réparer le péché com- mis. Certaines ne comprennent pas ce qu'elles font là, ne peuvent se projeter dans l'avenir. Alors, les bonnnes sœurs font des adeptes ! Et, même au-delà, c'est étonnant de voir à quel point la croyance et les rites plus ou moins mystiques prennent de l'importance.

« Mais, le plus terrible, c'est la place

qu'occupent les religieuses dans les in- Jirmeries. Cela peut avoir d'énormes

conséquences. Par exemple, quand une

femme enceinte de moins de deux mois est emprisonnée et qu'elle veut se faire avorter, cela lui est extrêmement difficile.

Des mots d'ordre toujours d'actualité (révolte а Іа prison de Toulouse, en 1971).

Le travail en prison

Différents types @'« emploi » sont pro- posés aux détenues :

— le travail fourni par la prison elle-même

(cuisine, entretien, etc.) ; il ne peut être

imposé, mais les pressions sont très for- tes, l'administration économisant de cette

façon plusieurs dizaines de salaires ;

Michèle a ainsi travaillé aux cuisines de la centrale de Rennes, et touchait deux cent cinquante francs par mois ;

— par ailleurs, des entreprises privées

fournissent également des travaux ; les

détenues travaillent souvent six jours sur sept, sept heures par jour, et sont payées

à la pièce.

Nous reviendrons plus précisément

dans un prochain numéro des Cahiers du

féminisme sur le problème du travail en prison.

Elle subit d'énormes pressions morales et, surtout, n'arrive pas à avoir de ren- dez-vous avec le médecin. Quand arrive enfin son tour, c'est trop tard, et les délais légaux sont passés. »

Jetons, à ce propos, un coup d'œil sur l'organisation de la santé en prison.

А Fleury, il y а une gynécologue qui vient deux fois quatre heures par se- maine, pour cinq cents femmes ; à Ren- nes, elle vient une fois par mois, pour trois cent cinquante femmes, le médecin généraliste venant deux heures par se-

maine.

Quand une femme est malade, elle en informe la surveillante, pour que cette dernière l'inscrive dans le cahier de rendez-vous de l’infirmerie, qu'elle transmet ensuite à la religieuse respon- sable du cabinet médical. Celle-ci établit alors la liste des rendez-vous des diffé-

rents médecins. Elle peut aussi ne pas prendre en compte certaines demandes.

Ensuite, il faut attendre... Quand son

tour arrive, quelques semaines plus tard, son mal de dents ou sa grippe ont eu le temps de se guérir tout seuls ! La femme a alors droit à des réflexions pour être venue pour rien...

L'ombre du SIDA est omniprésente dans les prisons, une majorité de déte- nues étant là pour toxicomanie, et pres- que toutes étant séropositives. Si elles ont ёё rejetées au moment de Гаррагі-

tion de la maladie, elles sont maintenant

parfaitement intégrées, le grand nombre de séropositives parmi les détenues

ayant de fait banalisé la maladie. Mais aucune réunion médicale d’information

n’est tenue sur ce sujet, « lacune » bien ennuyeuse lorsqu'on sait qu'à Fleury, par exemple, il y a 70 % de femmes séropo- sitives parmi les détenues toxicomanes !

Les conditions d'hygiène dans les

prisons sont lamentables. Les femmes sont souvent entassées dans des cellules trop petites, le lavabo à eau froide et les toilettes étant dans la même pièce. Dans certaines prisons, il y a encore des pots de chambre vidès une seule fois par jour.

Chaque femme reçoit l'équivalent d’un demi-verre de poudre à récurer par se- maine, qui doit servir à tout : vaisselle,

ménage des sanitaires, lessive... Celles

qui n'ont pas les moyens de se payer des serviettes hygiéniques doivent les qué- mander, et on les leur donne une par une... Si Гоп jugeait le degré d'évolution à ce qui se passe dans les prisons, la France ferait figure de pays barbare !

L'un des outils essentiels de destruc- tion de l'individu passe par une psychia- trisation à outrance et son cortège de fioles : petits flacons de diverses cou- leurs contenant des calmants, les fioles,

véritable institution, sont systématique-

ment proposées aux femmes par le psy- chiatre à leur arrivée. Pas question d'en connaître la composition. En revanche,

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