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L'ACHAT EN LIGNE, UN NOUVEAU RAPPORT À L'ESPACE DE LA CONSOMMATION

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Presses de Sciences Po | « Sociologies pratiques » 2010/1 n° 20 | pages 51 à 62

ISSN 1295-9278 ISBN 9782724632040 DOI 10.3917/sopr.020.0051

Article disponible en ligne à l'adresse :

--- https://www.cairn.info/revue-sociologies-pratiques-2010-1-page-51.htm ---

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L’achat en ligne, un nouveau rapport à l’espace de la consommation

Frédéric de CONINCK1

La diffusion de l’achat en ligne engendre la représentation d’un bou- leversement complet du rapport à l’espace et au temps de l’achat. On pourrait acheter n’importe quoi, n’importe où, n’importe quand. Les consommateurs pourraient ainsi s’affranchir de toute référence spatio- temporelle. Il s’agit, bien sûr, d’une caricature. À partir du moment, par exemple, où l’on achète un bien matériel, il faut se le faire livrer dans un lieu déterminé, même si la plage horaire de livraison peut rester flottante.

Pour autant il serait faux de dire que rien ne change. L’achat en ligne garde une place modeste dans le chiffre d’affaires global du commerce en France2. Mais lorsque les consommateurs utilisent ce mode d’achat, ils mettent bel et bien en œuvre un rapport à l’espace et (dans une moindre mesure) au temps inédit. Notre propos est ici de qualifier ce nouveau rapport. L’enquête qualitative que nous avons effectuée nous a révélé que ce rapport, loin d’aller vers l’indifférenciation (« n’importe où, n’importe quand ») va, au contraire, vers des formes plus élaborées, plus construites d’usage, notamment de l’espace. Les ressources acces- sibles en ligne ouvrent de nouvelles possibilités dont les consommateurs s’emparent, mais révèlent également des logiques spatiales nouvelles auxquelles ils se « heurtent » (Ascher, 2006), ce qui les conduit à mettre en œuvre plus de réflexivité dans ce type d’achat que dans les achats standard.

À rebours de l’image d’une fluidité immédiate et simple, il s’agit d’une construction hautement élaborée qui mobilise une série de res-

1. Université Paris Est, Laboratoire Ville, Mobilité, Transport.

2. LaFEVAD(Fédération de la vente à distance) affiche pour 2008 un chiffre d’affaires du e-commerce (tout compris, dont la vente entre particuliers) de 16 milliards d’euros (chiffres clés publiés sur son site), à rapprocher du chiffre d’affaires global du commerce de détail (hors automobile) en France qui était, en 2007, de 447 milliards d’euros (chiffres de l’INSEE).

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sources techniques aussi bien que sociales pour s’approprier ou « domes- tiquer » (Haddon, 2003) l’achat en ligne.

Un angle d’attaque privilégié :

la manière dont les consommateurs eux-mêmes positionnent leurs achats en ligne

par rapport aux autres achats

Les affirmations globales que nous avançons souffrent forcément des objections. Tous les consommateurs n’agissent pas de la même manière, ni avec le même budget ; tous n’ont pas le même niveau d’équipement, ni le même niveau d’investissement dans les courses. La division sexuelle des rôles traverse, par ailleurs, lourdement l’acte d’achat.

Les premiers articles qui ont fait suite à l’explosion de la bulle Internet (Rallet, 2001 et Desjeux, Garabuau-Moussaoui, Clochard, 2001, par exemple) ont souligné, d’ailleurs, que l’équipement en terminaux infor- matiques à domicile restait un clivage majeur et que l’on s’était focalisé, dans les projections de la fin des années 1990, sur le mode de vie des cadres supérieurs en manque de temps, au détriment du reste de la population. Licoppe (2001) et Nicholson et Vanheems (2009) ont sou- ligné également que, suivant que les personnes investissent les courses comme un « plaisir » ou comme une « corvée », elles auraient proba- blement une plus ou moins grande disposition à recourir à l’achat en ligne, réputé plus expéditif.

Tout cela est vrai et nous avions, dans notre enquête qualitative, stra- tifié la population pour en distinguer différentes couches sociales. Cet aspect des choses mériterait un deuxième article. Cela dit nous aurons l’occasion de mentionner, au cours du papier, que les oppositions sont sans doute moins tranchées qu’il y a dix ans. L’usage des liaisons haut débit à domicile se diffusant (en dehors des plus de 60 ans qui restent une population à part), on est passé, comme le dit Moatti (2005), de l’image d’un bouleversement complet à celle d’une « révolution com- merciale tranquille ».

En fait, nous voulons nous focaliser ici sur ce qui nous a le plus frappé dans notre enquête : la manière dont ceux qui recourent au commerce électronique le positionnent par rapport au commerce traditionnel.

Nous faisions certes l’hypothèse, au départ, que les individus seraient capables, au moins a posteriori, d’expliciter leurs choix (pourquoi recou-

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rir à la vente en ligne à ce moment-là et pour ce produit-là ?). En effet, ce genre d’entretien rétrospectif favorise les comptes rendus raisonnés, ce qui peut être un biais (Licoppe, 2005). Mais nous avons découvert, en fait, des comportements bien plus élaborés que nous ne l’imaginions, en amont de l’achat, autour de l’achat et jusqu’à la réception des colis.

C’est cet étonnement qui nous conduit à parler d’un espace-temps des achats en ligne fortement construit, fortement réflexif.

Les achats classiques supposent, eux aussi, une certaine réflexivité et la manipulation de divers artefacts techniques. Dominique Desjeux (2001) a souligné, au travers de la méthode dite des itinéraires, tout ce qui était construit autour des courses : les négociations familiales et l’établissement d’une liste, en amont, l’usage ou non d’un véhicule, le parcours des rayons, l’évaluation des sommes à dépenser, les modes de rangement et d’usage, etc.

En nous limitant à trois moments : en amont de l’achat, autour de l’achat et la réception de la livraison, nous voulons montrer ici que l’achat en ligne est au moins aussi construit que l’achat classique, qu’il repose sur de nouvelles mises en forme de l’espace et qu’il suppose, en général, plutôt plus de réflexivité.

Le dispositif d’enquête

Notre enquête a été réalisée auprès de 50 personnes âgées de 20 à 60 ans.

Nous avons retracé avec elles leurs activités de la semaine écoulée en utilisant une grille d’emploi du temps comme support et en leur demandant de positionner leurs périodes de travail ou de formation, leurs achats (de tous types), leurs sorties, leurs moments de présence à leur domicile. De plus, nous les avons interrogées sur leur usage (éventuel) d’Internet et de la vente en ligne (historique et itinéraire). Nous avons effectué ces entretiens dans trois régions (Île-de-France, Languedoc-Roussillon, Nord-Pas-de- Calais) en stratifiant l’échantillon par type d’activité (actifs, inactifs, étu- diants), CSP, horaires de travail, sexe, âge, situation familiale, présence d’enfants en bas âge et type de lieu de résidence (Centre Ville, Périphérie, Périurbain).

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En amont de l’achat :

la construction de nouvelles catégories et de nouveaux parcours spatiaux

Les interviewés signalent quatre motifs pour recourir à l’achat en ligne.

Certains cherchent quelque chose de précis et ils bénéficient de la perfor- mance des moteurs de recherche et de la taille des catalogues en ligne.

D’autres sont contents de pouvoir acheter en dehors des heures d’ouverture des magasins. Ce sont là les deux motifs les plus évidents, qui reposent sur l’élargissement de l’espace et du temps permis par Internet. On ne peut pas vraiment parler à leur propos de réflexivité plus ou moins grande.

Les deux autres motifs appellent, en revanche, des constructions nou- velles.

Les typologies opposent souvent les consommateurs suivant qu’ils aiment ou n’aiment pas faire les courses. Ces typologies, qui attribuent une attitude globale à une personne, ne sont pas toujours prédictives des comportements par rapport à l’achat en ligne (Nicholson et Vanheems, 2009). En fait, certaines personnes interrogées utilisent cette typologie non pas globalement, mais pour répartir leurs propres achats. La possi- bilité d’acheter en ligne leur permet de marquer une séparation plus nette entre les achats « corvée » et les achats « plaisir ». Elles reportent les achats qu’elles n’aiment pas faire sur Internet et continuent à flâner dans les magasins qu’elles aiment : « J’aime toucher les livres. Dans les librairies il y a de la place, on respire. On est tranquille c’est apaisant.

Ça m’apporte quelque chose dans mon quotidien. Dans les magasins d’habits, on se bouscule ». Ainsi, cette femme a un rapport plutôt ins- trumental à ses vêtements, mais classe l’achat des vêtements de son fils dans un registre plus « agréable » : « J’ai plus de plaisir à aller acheter des vêtements, des petits trucs pour mon fils. En plus, l’ambiance des magasins d’enfants est plus sympa. Il n’y a pas la musique à fond ».

Dans ce cas, deux espaces différents se superposent. Il y a l’espace électronique des achats corvée et l’espace géographique des achats plaisir.

Le dernier motif est l’élargissement de l’espace du choix économique, qui provoque de nombreux allers et retours entre les boutiques classiques et les sites en ligne. Dans ce cas, les acheteurs pèsent le pour et le contre avec des comportements qui se rapprochent de la rationalité économique classique. Ils comparent les caractéristiques des produits et leurs prix, ils soupèsent les offres, voire les modes de livraison.

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Un homme jeune et disposant de peu de moyens financiers nous décrit les démarches longues et approfondies qu’il a menées, via Internet, pour équiper le logement où il vient d’emménager avec son amie : « Nous avons beaucoup prospecté par Internet et chez les commerçants en direct.

On devait acheter une gazinière, une machine à laver, un frigo, un chauf- fage d’appoint. J’ai regardé les sites de Darty, de Conforama, d’Auchan et de Carrefour. Je voulais déjà comparer les prix, voir le niveau de qualité des produits, l’économie d’énergie, etc. J’ai remarqué que toutes les ensei- gnes proposaient le premier prix, mais qu’ensuite la gamme pouvait dif- férer pas mal. Par exemple, Darty propose des trucs vite assez cher. Nous avons prospecté également dans un magasin : Electro Dépôt qui n’a pas de site Internet. C’est là que nous avons acheté le frigo ».

Ces nouvelles manières de pérégriner en parallèle dans l’espace méta- phorique de la toile et dans l’espace géographique des commerces sont frappantes. Plusieurs personnes nous parlent de leurs enfants qui vont essayer les habits dans les boutiques et les achètent en ligne ensuite.

Une femme nous dit qu’elle s’est fait expliquer le fonctionnement d’un appareil en magasin avant de l’acheter en ligne. Elle conclut : « Ce n’est pas très honnête ! Ma fille fait sans arrêt ce genre de truc pour les habits ! ». Dans ce dernier type d’utilisation d’Internet, l’achat peut être fait en ligne ou en boutique. Comme le souligne Rallet (2005), l’usage d’Internet est aussi important en amont, pour préparer l’achat, qu’au moment de l’achat lui-même. Cet usage permet d’augmenter le nombre de critères de choix (au prix d’une importante consommation de temps).

Dans ces deux derniers cas, il est correct de parler d’une réflexivité plus grande, du simple fait que les individus construisent de nouveaux espaces qui coexistent avec les espaces des achats « classiques » et qu’ils naviguent entre ces différents espaces. Dans un cas, cette navigation les conduit à préciser ce qu’ils investissent dans chaque achat. Dans l’autre, elle est instrumentée par les informations collectées au fil des pérégri- nations et elle renforce la dimension réfléchie du choix final.

Au moment de l’achat : une réflexivité rendue nécessaire par la médiation technique

et la distance entre achat et vente

Au moment de l’achat, on se trouve dans une configuration typique de la réflexivité vue par Giddens (1994). Les acheteurs utilisent une

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médiation technique qui les conduit à formuler plus précisément ce qu’ils cherchent, tandis qu’ils doivent acquérir une confiance dans le vendeur sur la base de critères abstraits.

Comme le souligne Licoppe (2005, p. 177) on observe, chez les per- sonnes interrogées, un « renversement du discours lorsque l’on passe du commerce sur site au commerce en ligne » (Cf. aussi Richard, 2005).

Toutes soulignent que l’achat en ligne repose sur moins d’impulsion et plus de recherche finalisée.

Les acheteurs revendiquent, lorsqu’ils vont en magasin, le fait de se laisser aller (au moins en partie) à une flânerie ouverte et de déléguer une partie du choix à la présentation en rayon. « Internet ce serait trop fonc- tionnel, déclare une femme à propos des achats alimentaires. Déjà que mon mari ne me laisse pas flâner suffisamment. Je trouve une certaine efficacité dans la flânerie ». Une autre déclare : « Acheter en ligne… ce n’est pas le problème de la livraison. Je pourrais facilement trouver un créneau pour être livrée. Mais il faudrait vraiment que ça corresponde à ce que je veux, et comme je ne sais pas ce que je veux avant ! ».

De toute manière, acheter sans pouvoir toucher, soupeser ou voir en trois dimensions, peut être un exercice décourageant du fait de son abs- traction. Cela explique aussi pourquoi plusieurs font des allers et retours entre l’écran et la boutique. Quant à la manipulation lente et agréable d’un catalogue de vente par correspondance classique, soulignée par Desjeux (2001), elle est difficile à reproduire sur un ordinateur. Le cheminement de la commande en ligne s’accommode mal de la flânerie. Alors même que la convergence entre VPC et vente en ligne commence à se produire, beaucoup de personnes rencontrées nous disent qu’elles continuent à compulser le catalogue avant d’aller sur l’interface informatique.

En résumé le plaisir revendiqué de l’achat d’impulsion s’efface pra- tiquement toujours au moment de l’achat en ligne.

L’autre aspect souvent relevé par les personnes interrogées est la difficile production de la confiance au moment de la transaction.

Le surcroît de réflexivité est, à ce propos, en partie transitoire, car il est lié à l’apprentissage d’un nouveau mode de confiance qui pourrait devenir routinier au bout d’un certain temps.

Il faut apprendre à gérer une distance nouvelle entre acheteur et vendeur3. Tous nous l’ont mentionné. L’apprentissage est incrémental

3. On peut imaginer que le passage du commerce de proximité à la grande surface anonyme a nécessité des apprentissages semblables.

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et s’appuie sur des expériences antérieures analogues. Les nouveaux acheteurs en ligne commencent souvent à acheter en ligne des produits qu’ils achetaient déjà à distance (via le Minitel, le téléphone ou la Poste). Ils testent donc un nouveau canal avant de tester un nouveau vendeur. Ils essayent de ne pas multiplier les éléments inconnus d’un seul coup4. Sinon ils s’appuient sur des personnes qui l’ont déjà fait.

Les enfants peuvent être une ressource pour des personnes peu fami- lières de ce genre de manipulation : « J’ai commandé un appareil photo sur Cdiscount. Ce sont mes enfants qui m’ont indiqué le site » (femme de 50 ans).

Mais, même au-delà d’une phase d’apprentissage, faire confiance à une personne que l’on ne voit pas, pour acheter un produit que l’on ne touche pas, suppose de s’appuyer sur des critères abstraits et généraux.

C’est d’autant plus vrai que l’on n’est plus dans le cadre de la vente par correspondance où l’on achetait à un petit nombre d’enseignes en s’appuyant sur des réputations bien établies et un usage répétitif. Dès que l’achat en ligne se reproduit, les sites utilisés se diversifient.

Les acheteurs sont dès lors obligés de faire confiance à des « systèmes experts » pour reprendre l’expression de Giddens (1994). Le premier de ces systèmes est le paiement en ligne avec toutes les sécurités techniques qui l’environnent.

Tous les utilisateurs ne renoncent pas aux facilités de la proximité géographique, telle cette femme habitant Lille qui commande du cham- pagne et vérifie que le vendeur est à Reims, en se déclarant prête à

« aller faire un scandale sur place si nécessaire ». Un usager de la vente entre pairs de matériel audio utilise le téléphone pour se faire une idée :

« Quand j’ai un acheteur ou un vendeur au téléphone, je le fais au feeling. Je vois s’il maîtrise le sujet. Si c’est quelqu’un qui sait de quoi il parle, je lui fais confiance ».

De plus, se développe le recours aux réputations « automatiques » générées par l’avis des utilisateurs précédents, les forums de discussion

4. Les tout premiers acheteurs de la vente en ligne ne se recrutaient pas parmi les usagers de laVPC. Cf. Desjeux, Garabuau-Moussaoui, Clochard, 2001. Aujourd’hui les choses ont changé. On peut le voir d’un point de vue statistique via l’enquêteEPCVM

(Enquête Permanente sur les Conditions de Vie des Ménages) de l’INSEEen 2005 qui comportait un volet spécial sur l’usage desNTIC. Plus la présence d’Internet à domicile est récente plus les acheteurs en ligne (éventuels) ont des pratiques d’achat qui se rapprochent de laVPCclassique. En comparant leurs achats avec ceux des utilisateurs plus confirmés on s’aperçoit qu’ils privilégient les vêtements, la Hi-Fi et l’équipement du ménage. Cf. de Coninck et Lefebvre, 2007.

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et le risque que l’on accepte de courir compte tenu de l’économie potentielle réalisée et des revenus dont on dispose.

Dans tous les cas que nous avons eu à connaître, le risque est patiem- ment évalué et chacun se construit un répertoire des sites auxquels il fait confiance, puis des types d’indice à mobiliser pour faire confiance à un site, puis de l’ampleur des risques qu’il est prêt à courir. Les acheteurs se construisent ainsi une géographie virtuelle qui permet de donner une mesure à la proximité sociale et donc à la confiance.

Pour les courses ordinaires, la confiance ne se décide pas uniquement sur la base de la proximité physique du vendeur et du produit, mais il est clair que, dans le domaine des courses en ligne, les utilisateurs doivent manier des indices considérablement plus abstraits. Le niveau de maîtrise de ces indices abstraits donne ensuite l’étendue des sites qu’ils sont prêts à utiliser.

La construction de dispositifs sociaux et spatiaux complexes pour réceptionner les colis

Vient ensuite la phase de réception des objets expédiés. C’est sans doute sur ce chapitre que les individus et les ménages construisent les stratégies les plus élaborées et les plus imaginatives.

Dans notre enquête, le détour par un point relais ou par un bureau de Poste a rarement été plébiscité, car cela revient à aller dans une bouti- que : « Je n’ai eu recours qu’une fois au point relais. C’est bien parce qu’on n’attend pas, mais il faut quand même se déplacer alors je n’aime pas trop. C’est un pressing qui n’est pas sur mon trajet, je dois faire un détour exprès ».

Une exception : le point relais est fréquenté s’il est sur le chemin du retour au domicile : « J’ai un point relais juste à côté de la gare, il est très pratique pour les paquets La Redoute car j’y vais en rentrant du travail, sans détour ». De plus, le point relais est apprécié lorsqu’il permet de renvoyer les vêtements qui « ne vont pas ». Dans ce cas, c’est une simplification, certains allant même jusqu’à essayer directement les vêtements sur place pour pouvoir, éventuellement, les réexpédier tout de suite.

Lorsque le point relais n’est pas utilisé, les personnes rencontrées construisent des stratégies pour recevoir le colis chez elles, ce qui est perçu comme complexe pour les personnes qui travaillent à l’extérieur.

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Certaines stratégies sont bien connues, comme l’usage de boîtes nor- malisées que le facteur peut ouvrir de l’extérieur ou l’appui sur des gardiens d’immeuble habilités à réceptionner les colis. En périurbain, les voisins sont mobilisés. Il existe alors un arrangement entre la per- sonne qui a commandé le colis, le voisin et le facteur. Certains ont apposé des indications sur leur boîte aux lettres : « Au cas où ce soit un facteur remplaçant, j’ai mis un mot sur la boîte aux lettres, qui est là en permanence : en cas d’absence, merci de laisser les colis au numéro 8 de cette rue ».

Toutes les ressources des réseaux sociaux sont mobilisées. Plusieurs personnes nous ont dit faire venir un membre de leur famille retraité chez eux lorsqu’ils attendent un colis : « Quand je dois recevoir des colis, c’est ma mère qui les prend. Elle vient souvent, et d’autant plus quand j’attends un colis. Si je n’avais pas ma mère, je serais vraiment très embêtée ». D’autres se font livrer chez leurs parents et passent récupérer leur colis à l’occasion. De nombreuses familles rencontrées ont des horaires décalés, une personne est donc présente au domicile au moment du passage du facteur. D’autres s’organisent à partir du suivi en ligne des colis et décalent leur départ au travail le jour où le colis doit arriver.

Les ménages construisent donc des espaces de réception, en mobilisant des ressources techniques aussi bien que sociales, voire en les hybri- dant. Ils calculent le moment opportun et délèguent, si nécessaire, la réception à un dispositif sociotechnique. Même lorsqu’ils envisagent d’aller chercher le colis en un point donné, ils positionnent ce déplace- ment en enrichissant un trajet habituel, ou alors calculent une fenêtre de temps dans laquelle ils peuvent positionner ce petit trajet.

Conclusion : un espace réflexif de la consommation destiné à s’hybrider avec l’espace classique

Pour conclure, il est tout d’abord évident que l’achat en ligne ne se situe pas dans un temps et un espace informes (le moment de la com- mande, seul, paraît réellement indifférent). Le fournisseur auquel on commande, le processus de sélection de ce fournisseur, la construction de la confiance, le choix du produit, les dispositifs de réception, font appel à des espaces lourdement structurés qui se superposent aux espaces habituels de l’achat. Le lieu même où l’on utilise son ordinateur pour

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commander n’est pas tellement ouvert. La concentration mentale et la discrétion nécessaires à l’acte d’achat en ligne s’accommodent mal d’un lieu public. On achète chez soi ou éventuellement au travail si on peut s’isoler.

L’espace des courses en ligne est plus lourdement instrumenté et mobilise, nous l’avons longuement argumenté, une plus grande réflexi- vité que les courses en magasin. On peut s’interroger sur les conséquen- ces de l’émergence de ce nouvel espace à côté de l’espace « classique » des courses. La conséquence la plus prévisible est que, les deux espaces coexistant, il y aura contamination de l’espace ancien par l’espace nou- veau.

Si le chiffre d’affaires du commerce en ligne reste modeste, le nombre de personnes ayant acheté en ligne est, en revanche, non négligeable5. Celles-ci vont donc mobiliser les compétences réflexives qu’elles ont acquises à cette occasion pour élever leur niveau d’exigence.

En dehors du commerce alimentaire et de l’automobile qui restent, en France, très peu concernés, les autres types de commerces de détail ont déjà commencé, d’ailleurs, à pratiquer le double canal pour proposer à l’acheteur qui se déplace le même foisonnement de critères de choix que pour l’acheteur en ligne (Moatti, 2005). On peut consulter la docu- mentation technique en ligne avant de venir en magasin ; vérifier la disponibilité du produit et, éventuellement, le réserver ou l’acheter à l’avance ; accéder à des forums de discussion sur les produits vendus, etc.

Alors que les consommateurs, capables de manipuler des indices plus abstraits, vont devenir, à l’image de ce que l’on observe sur Internet (Richard, 2005) plus versatiles, en mobilisant au choix un espace de la consommation ou un autre, ou les deux en parallèle, les enseignes vont, elles aussi, dédoubler leurs canaux d’accès. Rallet (2005) parle d’ores et déjà d’une hybridation du commerce et il est probable que cette hybridation va s’accentuer.

Les consommateurs pratiquent déjà des allers et retours entre bouti- ques et interfaces informatiques. Et les boutiques vont devoir faire avec des consommateurs moins « attachés » à elles. Les nouveaux modes d’élaboration de la confiance vont rendre bien plus difficile que par le

5. Il reste de gros écarts en fonction du niveau de diplôme, mais, même parmi des personnes peu diplômées comme, par exemple, les titulaires duBEPC, duCAPou duBEP, 21 % des 30-49 ans disaient avoir acheté en ligne au moins une fois, déjà en 2005 (enquêteEPCVM).

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passé la fidélisation des consommateurs sur la simple base de la fami- liarité et de l’habitude. Ceux-ci sont désormais outillés pour prendre plus de risques en allant commander chez un distributeur inhabituel.

Donc même si le commerce sur site reste dominant en volume il va devenir (encore une fois en dehors de l’automobile et de l’alimentaire qui restent, pour l’instant, en retrait) une option parmi d’autres possibles. La réflexivité qui prévaut dans l’achat en ligne va gagner progressivement l’achat sur site. Chaque canal gardera ses atouts et ses faiblesses, mais les deux chercheront à s’hybrider pour rejoindre un consommateur qui aura, lui aussi, hybridé ses manières de faire.

Frederic.deconinck@enpc.fr

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Références bibliographiques

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