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Frontières « reçues », frontières « prescrites » et frontières « construites » : contact des langues et contact dans les langues. Questionnement préjudiciel

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Academic year: 2021

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Preprint submitted on 20 Jan 2021

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Frontières “ reçues ”, frontières “ prescrites ” et

frontières “ construites ” : contact des langues et contact

dans les langues. Questionnement préjudiciel

Nicolaï Robert

To cite this version:

Nicolaï Robert. Frontières “ reçues ”, frontières “ prescrites ” et frontières “ construites ” : contact des langues et contact dans les langues. Questionnement préjudiciel. 2021. �halshs-03116544�

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Table Ronde : Dynamiques langagières, émergence des groupes et

transformation des espaces : les frontières en question.

Université de Nice 17-18 décembre 2004

Frontières « reçues », frontières « prescrites » et frontières « construites » : contact des langues et contact dans les langues. Questionnement préjudiciel.

R. Nicolaï

Université de Nice et Institut universitaire de France

Document provisoire…

Résumé.

A deux niveaux je me focaliserai sur la question des « frontières » : tout d’abord en abordant les effets de ces « frontières » et leurs modalités d’émergence en tant que phénomènes empiriquement discriminés, identifiables et potentiellement « négociables » à travers des considérations soit substantives soit procédurales ; ensuite en m’intéressant aux procès de la sélection des pertinences corrélatives de leur émergence et à la construction des savoirs dépendants, qu’il s’agisse des acteurs ordinaires dans les échanges langagiers ou des descripteurs « savants » des phénomènes considérés.

Je tenterai de conduire cette réflexion par un « retournement conceptuel » : en plaçant la notion de « contact » au centre du débat pour la considérer non pas comme « logiquement seconde » – effet de bord ou résultante de rapports entre des entités conjoncturellement rapprochées – mais comme « notion première », matrice de constructions matérielles et conceptuelles initialement dépendantes de ce déjà -là.

Ce sera ainsi par une tentative de réflexion sur les types de pertinences utiles pour la perception, la compréhension et la description des dynamiques linguistiques et langagières ou, perçues sous un autre angle, sur les pertinences utiles pour l’étude de la transformation et de l’évolution des langues que je tenterai de poser quelques jalons. Cette réflexion devrait retenir l’articulation des pertinences « sociétales », sémiotiques et structurales tout autant que « cognitives », mais dans un sens qui, sans refuser l’évidence d’une dimension « naturaliste », voudra donner la place qui leur revient aux pertinences construites (« cognitives » donc, mais en un autre sens) d’un ordre « anthropologique » référé à l’histoire. Soulignant, là aussi, un lieu où la notion de pertinence et de « frontière » est tout autant en question.

Remarques liminaires :

L’ouverture d’un questionnement sur la notion de ‘frontière’ n’est bien évidemment pas quelque chose qui renvoie spécifiquement aux sciences du langage : les frontières sont partout. Toutefois ce sera dans ce cadre que j’aborderai la question, tout simplement parce que c’est celui dans lequel je travaille. J’aborderai donc cette question en prenant mes références parmi les problèmes posés par la saisie des dynamiques linguistiques et langagières auxquelles je me suis intéressé parce qu’il est nécessaire de partir de quelque fait empirique pour développer et soutenir une argumentation, des propositions théoriques ou tout autre développement introduit pour ‘rendre compte’, ‘expliquer’ et … ‘comprendre’. J’évoquerai ainsi quelques problèmes que j’ai rencontrés dans mes travaux « descriptivistes » mais avec l’idée d’arrière-plan que l’ensemble du débat qui sera ici abordé renvoie in fine à une réflexion épistémologique générale sur la construction des connaissances dans le domaine des sciences humaines et sociales et autorise un repositionnement pour l’analyse de ces dynamiques linguistiques et langagières.

(3)

On se doute que les frontières, qu’elles soient plus ou moins « objectivables », reçues, prescrites, construites, contestées, justifiées, ne se manifestent pas dans le vide : à la fois, elles déterminent l’ordre des choses et sont déterminées par l’ordre des choses. Elles supposent nécessairement des supports à travers lesquels elles s’actualisent et elles suggèrent des différences présupposées ou posées : distinctions entre langues, entre dialectes, entre variétés, registres, etc. ; stigmatisations, identifications et autres attitudes concernant les usages et façons de parler, etc. ; dynamiques de regroupements et de rejets communautaires, etc. Elles sont ainsi perceptibles aussi bien en tant que faits concrétisés qu’en tant que processus discriminants et se définissent par rapport à un espace d’application potentiellement différenciable à l’infini qui est par définition un espace de contact.

Ainsi, par exemple, l’on peut appréhender l’espace dans lequel s’articule la communication et se développent les dynamiques linguistiques et langagières comme un espace de contact, mais l’espace dans lequel ces dynamiques sont décrites est aussi un espace de contact. L’on a donc bien affaire à un double espace de contact : celui de l’actualisation

des phénomènes (qui est concerné par les empiries à décrire) et celui de leur objectivation (qui

est concerné par le procès de leur description). Le jeu de la frontière est pertinent sur les deux plans et entre les deux il y a un évident ( ?) chassé-croisé.

Concrètement, des dynamiques ou des ‘objets’1 qui se manifestent dans l’espace de

contact des phénomènes peuvent être ou non appréhendés dans l’espace de contact des descriptions en tant qu’entités et cernés dans une clôture qui articule leur matérialité, donnant

ainsi une place cruciale au jeu de la frontière. On sait en effet qu’une saisie des dynamiques et des objets, sans regard sur l’élaboration des frontières que leur mise en montre introduit pose toujours un problème par le forçage structural et l’essentialisation qu’induit l’instrumentalisation non-critiquée de leur fonction discriminante. Les ‘objets’ ainsi décontextualisés sont substantifiés a priori – et éventuellement distordus. De fait, ils sont séparés de la dynamique de leur émergence et du support historicisé, interprété et transformable qui introduit leur potentielle factualité.

Leur description – toujours assurée sur le mode décontextualisé ainsi que le soulignent sans appel les approches structuralistes et fonctionnalistes – apporte alors un évident complément à nos connaissances ; mais cette description-là, en raison du défaussement induit par la ‘non-réflexion’ sur les dynamiques des frontières2 occulte aussi la compréhension d’une partie de leur nature et du rapport des descripteurs / interpréteurs / utilisateurs à ces objets. Elle tend peut-être encore à masquer d’autres faits qui, conséquemment, ne peuvent pas venir à la connaissance (l’existence ?), comme je tenterai de le mo ntrer à propos des faits songhay.

Disons le autrement : l’étude des ‘objets’, donnés plus ou moins a priori comme essentialisés, substantiellement appréhendés puis saisis « en eux- mêmes et pour eux- mêmes », relève d’une évidente nécessité qui se définit dans un espace propre (l’espace structural de leur description) ; mais ce type d’évidence cesse d’aller de soi dès lors qu’on entreprend de distinguer un autre espace qui retient et intègre comme l’une de ses dimensions essentielles la caractérisation construite de la description et de l’interprétation des ‘objets’ qu’il permet de mettre en montre, tel cet espace de contact des descriptions que je cherche ici à appréhender. Et ces remarques sont pertinentes pour la compréhension du détail des dynamiques linguistiques et langagières dans leurs développements et dans leurs transformations continues tout autant que pour l’élaboration théorique qui permet d’en rendre compte et de construire les connaissances d’arrière-plan auxquelles nous nous référons, que nous agissions comme acteurs ou comme descripteurs. J’aborderai cette problématique sous trois plans en partant du

1

Et dont, d’être posée a priori, l’homogénéité et la réalité empirique peut être problématique.

2

A la fois celles qui concernent le rapport des objets potentiels entre eux et celles qui concernent le rapport entre les objets potentiels et ceux qui les décrivent / interprètent / utilisent.

(4)

plus manifeste celui des ‘faits’ pour aller vers les plus latents : soit donc celui des ‘opérations’ et enfin celui des ‘catégories’.

Le monde des ‘faits’.

Deux exemples pris dans les langues de l’Afrique de l’ouest serviront d’exemple. Ils concernent des phénomènes de convergence aréale, d’élaboration de langues et d’émergence de « langues mixtes » et aideront peut-être à mieux cerner mon propos et à ouvrir le débat. A

priori ils auront à voir avec des faits3 empiriquement manifestés4 et présentés comme des évidences soit par la grâce d’un savoir commun d’arrière-plan, soit par celle d’un système d’inférences dérivé de connaissances et d’hypothèses théoriques réputées acquises. Dans un contexte de langue à tradition orale marqué par des réflexes normatifs différemment grammatisés5 que ceux que nous connaissons ils auront pour fonction de fournir quelques illustrations explicites du contact et de proposer une première problématisation de la ‘frontière’. Cette problématisation montrera l’importance cruciale des « décisions » concernant l’existence de cette frontière et son placement, à la fois dans le tissu sociétal et linguistique où les dynamiques considérées prennent corps et dans le discours scientifique qui élabore les connaissances de ce domaine.

Faits.

L’aire de convergence mandé-songhay : On s’intéresse beaucoup aujourd’hui aux aires dites

de convergence linguistique parce qu’on a reconnu qu’elles ne s’expliquent pas « correctement » par la seule rationalité structurale : l’on suppose ainsi que l’isomorphisme qui les caractérise est le résultat d’une évolution due au contact entre des langues dans un contexte sociogéographique particulier. L’exe mple classique est celui des Balkans mais il en existe bien d’autres cas6.

D’un point de vue linguistique leur étude ouvre plusieurs questionnements : que montre une aire qui soit pertinent pour la compréhension de la dynamique structurale des langues et pour les théories de leur évolution et de leur transformation ? Que montre-t-elle concernant un lien entre la variation linguistique sous toutes ses formes (sociales, géographiques, stylistiques, etc.) et le changement linguistique7 ? Quels objets et quelles opérations (cognitives ?) sont concernées par cette dynamique ?

Par ailleurs, d’un point de vue plus contingent et anthropologique d’autres questions se posent : quelle signification attribuer à une aire et comment expliquer sa présence ? Qu’implique-t-elle (qu’a-t-elle impliqué) au plan des rapports sociaux ? Que traduit-elle qui puisse être mis en rapport avec l’histoire, voire, la préhistoire ?

3

Notons qu’au niveau des faits l’on peut distinguer selon le critère de la frontière externe / interne en fonction des particularités empiriques de leur saisie. La frontière est externe lorsque la discrimination entre les objets analysés (que l’analyse soit ordinaire ou savante) se situe à un niveau où l’on est amené à distinguer dès le départ deux objets différenciés entrant en contact tandis que la frontière est interne lorsque l’unité (l’identité) de l’objet étant donnée a priori, le travail d’analyse y repère une différenciation interne le discriminant potentiellement en d’autres objets coexistants dans la clôture initiale (cf. variétés sociolinguistiques, feuilletages, répertoires, codes, niveaux ; mais c’est aussi bien le cas des plurilinguismes si le cadre unitaire retenu et fourni par la communauté plurilingue reste définitoire et s’il n’est pas donné comme « éclaté » a priori et remis en question, etc.).

4 Même s’il s’avère qu’ils sont ‘construits’ dans la conjoncture et pour l’occasion.

5 Je renvoie ici aussi bien aux réflexes analytiques, philosophiques et normatifs qu’illustre notre tradition

grammaticale qiu’aux considérations récentes sur l’activité épilinguistique des locuteurs dans les sociétés traditionnelles de l’Afrique de l’ouest (cf. C. Canut : 2004).

6

Cf. Heine & Nurse, à paraître ; également A. Montaut (2001) pour le sous-continent indien, voir aussi Aikhenvald & R.M.W. Dixon (2002), etc.

7

Cf. A. Montaut (2001) qui pose le problème dans un texte très riche et très suggestif concernant l’Asie du sud-est.

(5)

L’espace géographique défini dans la Boucle du fleuve Niger de part et d’autre de la frontière qui sépare le Mali et le Niger met en contact les langues de deux familles linguistiques généalogiquement non-apparentées (langues mandé du nord-ouest et langues songhay). Parallèlement, l’on peut constater l’existence d’un important isomorphisme défini aux plans phonologique, morphologique, syntaxique et sémantique entre deux sous-ensembles de langues de ces familles. Fondée sur les systèmes explicatifs « normalement » retenus pour rendre compte de ce type de phénomène, l’hypothèse « logiquement » attendue à partir de ce constat empirique conclut ici à l’existence d’une aire de convergence linguistique : l’isomorphisme manifesté entre le songhay et le mandé résulterait donc d’un lent rapprochement des structures de ces langues dans un contexte de plurilinguisme et de contact intense ; et cela sur le modèle empiriquement attesté qu’illustrent les langues balkaniques. Dans cette perspective, l’isomorphisme reconnu entre langues mandé et songhay conforterait tout simplement ce modèle en proposant tout simplement une nouvelle illustration de son application. Mais cette explication se fonde sur un présupposé : les langues sont – bien évidemment – données comme typologiquement différentes au départ (c’est d’ailleurs pour assurer cette exigence avec davantage de confiance que, méthodologiquement, l’on retient souvent la condition de non-appartenance à un même famille généalogique comme garantie supplémentaire avant de parler de ‘convergence linguistique’ lorsque l’on constate un parallélisme typologique dans une zone de contact linguistique ). S’il s’avérait que le présupposé ne puisse pas être conservé, alors l’hypothèse aurait plus de chances d’être fallacieuse8.

La réalité de l’apparentement du songhay : Dans la doxa traditionnelle de la classification des

langues africaines, le présupposé que les langues songhay et mandé sont typologiquement différentes à l’origine est effectivement « légitimé » par une autre hypothèse indépendante : que les langues songhay appartiennent à la famille linguistique dite nilo-saharienne tandis que les langues mandé appartiennent à la famille linguistique dite niger-congo ; soit donc deux familles qui n’ont aucun lien généalogique entre-elles (sauf bien sûr, pour les tenants des hypothèses de la monogenèse de l’ensemble des langues du monde…). Or, l’on a pu montrer que cette hypothèse était erronée9. Rien ne permet de la justifier sauf la notoriété du linguiste qui le premier l’avait émise sur une base empirique absolument contestable10 ; rien ne n’autorisait à la retenir, sauf le fait que, en l’absence de toute autre hypothèse alternative, elle contribuait à faire « disparaître » des tableaux classificatoires des langues dites « non-classées » qui n’entraient pas dans les schémas disponibles, et à donner ainsi le sentiment (sans nécessairement l’avoir voulu) que l’on était enfin parvenu à une complétude descriptive11. Finalement, rien ne permettait de la conserver sauf la facilité qu’elle introduisait au plan conceptuel (et indépendamment de toute vérification empirique sérieuse) en proposant une synthèse plus aisée de l’état de la question ; mais la simplicité des représentations et l’élégance conceptuelle des grandes synthèses ne sont pas des caractéristiques intrinsèquement significatives dans les transformations pratiques des réalités socio-empir iques prises dans leur contingence. L’étude empirique détaillée12 aura permis de montrer que le songhay ne saurait être rattaché à une famille dite nilo-saharienne (dont par ailleurs l’existence n’est pas assurée) et que, en revanche, il devait s’être constitué dans le contact entre des langues de type mandé et une variété véhiculaire (lingua franca) de langue

8 Cf. Nicolaï, 2003d, 2003 e, 2003 f. 9 Cf. Nicolaï, 2003a. 10

Greenberg, Languages of Africa, 1963.

11

N’y aurait-il pas là une sorte de « complexe de la ‘tache blanche’ » ?

12

(6)

sémitique ou berbère qui devait avoir existé dans l’espace de contact sahelo-saharien et dont les traces13 constituent le fond lexical du songhay d’aujourd’hui.

Incidentes.

Mais cela ne va pas sans conséquences car le rejet de l’hypothèse de l’apparentement du songhay au nilo-saharien conduit à interpréter l’isomorphisme mandé-songhay autrement que comme un phénomène de convergence aréale et le phénomène empirique des similitudes formelles entre songhay et mandé confortera d’autres cohérences théoriques et ouvrira d’autres horizons. Nous avons là un bon exemple de l’incidence du jeu des frontières sur la construction d’un système de connaissance et sur la mise à l’épreuve d’une théorisation.

En effet, si l’on retient l’idée que le songhay a pu être constitué par le contact entre un véhiculaire chamito-sémitique et une variété de langue mandé, l’isomorphisme « s’explique » simplement, en cohérence avec les critères bien connus pour le développement de pidgins stabilisés14. D’autre part, et ce n’est pas le moins intéressant, le songhay nous fournit un très bon exemple d’une évolution non- linéaire dans laquelle plusieurs sources linguistiques

interfèrent et pour laquelle la notion de ‘généalogie’ n’a pas de sens dans son acception

traditionnelle15. La réalité du contact, l’évidence de la frontière, le relativisme de son interprétation, son incidence dans la construction des faits et des cadres d’analyse et parallèlement, la réalité des conséquences des interprétations choisies dans la détermination ultérieure des procès de connaissances sont ici soulignées.

Le monde des ‘opérations’.

L’inspection des ‘faits’ est une nécessité, mais les objets construits dans l’espace de

contact peuvent (et doivent ?) être appréhendés à travers les opérations supposées les

actualiser. On entendra par ‘opération’ des processus donnés pour actifs qui se génèrent des procès d’abduction que font les acteurs ordinaires (mais aussi les descripteurs) en rapport avec le repérage et la mise en œuvre (le repérage et la description pour les descripteurs) de (procédures de) transformation(s) concernant le urs attitudes, le urs comportements et leurs choix de formes retenues dans le matériau linguistico- langagier disponible16. Procès qui ouvrent sur une « une compréhension pratique du monde » dans l’univers de communication considéré, ou qui autorisent une meilleure adaptation communicationnelle à l’un ou l’autre des sens possibles de ce terme.

Je distinguerai a priori parmi ces opérations de repérage selon les pertinences auxquelles elles souscrivent et selon qu’elles (se) justifient (par) un arrière-plan cognitif,

systémique ou historique. Ce qui suit tend à préciser ce dont il s’agit.

13

Traces qui n’avaient pas été identifiées car de n’avoir jamais été supposées, elles n’avaient jamais été recherchées.

14

On explique ainsi la parenté lexicale concernant le vocabulaire fondamental alliée à l’impossibilité (la difficulté ?) d’établir correctement des correspondances phonétiques strictes. Corrélativement le statut de véhiculaire qui est encore aujourd’hui celui du songhay, la diversité anthropologique des populations qui l’emploient, la cohérence de cette réalité avec ce que l’on sait du monde médiéval africain sont des indices historiques en accord avec cette hypothèse.

15 Cela suggère bien évidemment une re -élaboration théorique des modèles concernant la dynamique et

l’évolution des langues qui prendrait en compte la question des apparentements non-linéaires autrement que comme phénomène marginal et une réflexion plus ample sur les incidence du jeu des frontières, dans l’espace de l’actualisation des phénomènes comme dans celui de leur objectivation.

16

Formes qui a priori ne sont pas nécessairement porteuses de sens. Il ne suffit pas en effet d’identifier un phénomène pour qu’il soit fonctionnalisé au plan de la signification, il faut encore le retenir dans une perspective sémiotique, dans un procès arbitraire de symbolisation et situer sa (re)production par rapport aux potentielles occurrences antérieures ; ce qui introduit au niveau du sens la dimension de l’histoire et demande la rétention significative de la contextualisation du phénomène.

(7)

Opérations.

Repérage cognitif : les opérations de ce type sont renvoyées à une « rationalité

logico-cognitive ». Un bon exemple de ces opérations est fournit par la dynamique de ce que Ross17 à nommé la métatypie ; il la présente (1997 : 241 ; 2001 : 139 et sv.) comme suit : « Metatypy

is … the process whereby the language of a group of bi- or multilingual speakers is restructured on the model of a language they use to communicate with people outside their group. In its fullest manifestation, the process includes : a) the reorganization of the language’s semantic patterns and ‘ways of saying things’; b) the restructuring of its syntax, i.e. the patterns in which morphemes are concatened to form (i) sentences and clauses (ii) phrases, and (iii) words. » (Ross 2001: 45-6). Il s’agit là d’un procès de ‘copie’ entraîné par le

contact, mais plus élaboré car il entraîne une réorganisation des modèles sémantiques et des ‘façons de dire les choses’ et à terme, une restructuration syntaxique. La généralisation manifestée est censée traduire des habitus structuraux et induire une homogénéité réalisant une simplification dans la communication. Il s’agit donc d’une opération dont ni les opérateurs, ni la fonctionnalité ne sont concernés par autre chose qu’une « mécanique ‘logico-cognitive’ ». Les cadres de sa prévisibilité sont ceux qui sont valides pour appréhender l’organisation des systèmes et/ou d’éventuels « universaux » de la « mise en fonctionnement » des langues. Corrélativement, la réalité plurilingue des communautés et les macro-fonctionnalités sociolinguistiques bien répertoriées telles la véhicularité de certaines langues sont les facteurs pertinents pour son actualisation, ce qui souligne son intérêt pour rendre compte de certains types de contact de langues, et tout particulièrement la saisie des phénomènes linguistiques de convergence aréale.

Repérage systémique : ces opérations sont renvoyées à une « rationalité logico-structurale »,

telles les procès de réorganisation à l’intérieur de la clôture d’une langue appréhendée dans l’une ou l’autre des visées structuralistes. On conçoit qu’il n’y a pas lieu ici d’illustrer davantage ce thème qui est très bien connu ; il suffira de renvoyer à la réflexion aujourd’hui classique sur l’économie des systèmes ! (cf. Martinet, Haudricourt ; mais aussi toutes les théorisations qui se donnent pour but de résoudre les mêmes types de problèmes).

Repérage historique : ces opérations sont renvoyées à une « rationalité

symbolico-emblématique ». Les procès de feuilletage en fournissent de bons exemples. Je parle de « feuilletage »18 à propos de cette dynamique qui permet de construire / reconnaître / utiliser la multiplicité des usages et des variétés disponibles dans le répertoire non- fini des locuteurs, et d’appréhender leur superposition sans pour autant leur attribuer une homogénéité structurelle. Il concerne des objets construits – sémiotiquement disponibles – qui réfèrent nécessairement à des formes, des schémas et des processus existants à des niveaux variables de pertinence linguistiq ue ou autre, et qui répondent aussi à des fonctionnalités variables. L’élaboration de ces objets se fait, de façon variable, dans l’échange à travers la profération d’énoncés, avec des formes, des traits, des fragments ou des comportements retenus par l’usage ; entités dont il va de soi qu’en elles- mêmes, elles n’ont aucune vocation particulière à remplir un rôle sémiotique particulier.

17 Cf. « The class of language changes which is diagnostic of contact induced change includes (a) the

reorganization of language’s semantic patterns and ‘ways of saying things’, and (b) the restructuring of its syntax […]. This reorganization and restructuring is truly diagnostic of contact-induced change only if we can show that new patterns bring the language closer to a putative inter-community language. I have coined the term ‘metatypy’ for this reorganization and restructuring (Ross, 1996), as this kind of language change leads to a metamorphosis in structural type ».

18

(8)

Je lie cette notion à la dynamique qui se manifeste dans les procès de création de normes et de traditions discursives19 avec l’élaboration des façons de parler et la transformation des usages langagiers. L’actualisation du feuilletage passe ainsi par le marquage et la reconnaissance de caractères prosodiques, phonétiques, lexicaux, morphologiques, syntaxiques, discursifs, conversationnels sélectionnés dans le répertoire disponible – et toujours non-fini – qui fonctionnent comme contextual cues dans le discours. Leur emploi et leur réemploi fait alors l’objet d’une attention particulière de la part des ‘locuteurs légitimes’ du type de discours considéré car, avec bien d’autres marqueurs symboliques et comportementaux, ils contribuent à définir l’organisation et/ou l’identité des groupes dans leurs émergences, dans leurs dissolutions et dans leurs perpétuelles transformations.

Plus précisément, je distinguerai entre deux aspects corrélatifs de la notion : le

feuilletage-résultat et le feuilletage-opérateur.

Le feuilletage-résultat, renvoie concrètement à la stratification du répertoire des locuteurs : il concerne d’une part les formes/unités spécifiques normativement valorisées et stratégiquement utilisées que ces derniers « choisissent » dans leur communication et d’autre part les manifestations processuelles – mais tout aussi reconnaissables dans les usages – que sont les emplois de séquences discursives ou conversationnelles particulières. Autrement dit, il concerne aussi bien les entités d’une structure linguistique dans leur nécessité fonctionnelle (par exemple : la modification / rétention / disparition de constructions morpho-syntaxiques) que les signes positifs fonctionnalisés (par exemple : le choix d’entités lexicales, de traits phonétiques ou prosodiques) dans un système à vocation emblématique dont la construction où le rejet est un enjeu possible.

Quant au feuilletage-opérateur il sera identifié comme le générateur de cette opération de ‘paradigmatisation’ ; c’est lui qui, à travers la création, la rétention ou le rejet de telle(s) ou telle(s) forme(s) linguistiques(s) préalablement actualisée(s), permet de transformer, simplifier, complexifier les entités contenues dans le répertoire toujours non-fini où se construit le ‘feuilletage-résultat’.

Pour résumer, je dirai que le feuilletage, interne au répertoire, fonctionne comme ressource dans la re-élaboration et le détachement éventuel de variétés linguistiques et d’usages langagiers et qu’il est consubstantiel de toute formation discursive (en tant que ressource il contribue à stabiliser un cadre discursif). On peut ainsi appréhender la superposition, l’entrelacs et la multiplicité des usages et des variétés du répertoire (toujours non-fini !) dans leur matérialité et dans leur émergence sans leur attribuer a priori une homogénéité structurelle.

Incidentes.

Quelle est la place d’un questionnement sur les frontières pour ces opérations ? Comment se situent-elles dans l’espace de contact ? Comment se caractérisent-elles par rapport aux propriétés supposées de ce qu’il faut bien concevoir comme un ‘langage en

action’ généré et manifesté dans le tissu social ? La problématique des frontières est bien

présente dans les trois types d’opération, mais la place de la clôture est différente. Ainsi le

procès de métatypie introduit une simplification « cognitive » : deux codes fonctionnellement

distingués sont conjointement disponibles aux utilisateurs et leur distinction est donnée (la

frontière et le contact vont de soi). La dynamique agit tout simplement – et sans aucune

intentionnalité – en privilégiant des structures linguistiques qui introduisent une simplification formelle par la réduction de l’écart entre certaines formes des codes disponibles et la transformation du système des langues en résulte, sans mise en signification particulière. A

19

Cf. Nicolaï (2003 e), pour un début de réflexion sur la pertinence de l’approche foucaldienne du discours (Foucault : 1969) en rapport avec l’élaboration des normes langagières.

(9)

priori, il n’y a rien d’autre là que ce que les recherches classiques sur l’économie des langues

permettent d’établir lorsqu’on s’intéresse aux phénomènes du contact, sauf peut-être – conséquence possible du développement des questionnement s actuels sur la cognition – une (potentielle) focalisation / récupération de type ‘mentaliste’ à la place d’une simple focalisation ‘structuraliste’ vers l’organisation des formes.

En ce qui concerne le procès de réorganisation structurale, considéré en lui- même, il est probablement celui qui est le moins concerné par la problématique du contact et des frontières ; tout simplement parce que, sauf dans des cas donnés comme marginaux, la clôture à l’intérieur de laquelle il est censé fonctionner est celle d’un univers défini comme homogène. On sait que c’est la ‘logique’ propre de ce procès qui a permis le développement des distinctions structuralistes bien connues entre linguistique interne et linguistique externe, qui a aussi introduit l’hypothèse de la primauté des changements internes et prédéterminés par la structure et autres principes dont les études structurales de linguistique diachroniq ue ont traité. Ici la frontière et le contact deviennent les points aveugles du processus : ils existent, mais comme limite externe20 et « condition excluante » de leur prise en compte.

Enfin, le procès de feuilletage est d’une autre nature puisqu’ il réintroduit le contact et l’élaboration des frontières au centre de la dynamique linguistico- langagière en complexifiant les potentialités de codage et le jeu continu de la distinction des codes dans un processus historicisé. Il donne toute sa place une mise en signification des formes, ouvrant parallèlement sur la possibilité de leur instrumentalisation sémiotique21.

Le monde des ‘catégories’.

On aura remarqué que les faits que j’ai choisi de montrer sont construits et interprétés en relation avec les présupposés théoriques retenus par ceux qui « ont à faire » avec ces faits ; les

opérations quant à elles, correspondent à des dynamiques qu’il faut bien admettre pour rendre

compte de la transformation des langues et des codes dans l’univers communicationnel. Les pertinences ainsi retenues sont ‘linguistiques’ et/ou ‘langagières’ mais il reste encore à comprendre comment, pratiquement, cela se passe et comment cela se transforme ; et il n’est pas sûr que ces seules pertinences soient suffisantes pour appréhender ce qui est ici en jeu. En effet, si le langage est primordial dans les échanges et les constructions cognitives et s’il est un outil privilégié de la communication humaine, il (s’)articule aussi (à) d’autres fonctionnalités dans la « mise en signification » du monde social. Il convient donc, tout en

20 Cf. Nicolaï, 2001a.

21 Finalement, si l’on s’attache à cette question de la ‘sémiotisation des formes’ et des constructions symboliques

(entendons par là le processus qui fait ‘signifier’ les formes en les renvoyant à quelque chose d’autre, antérieurement actualisé, à quoi elles se trouvent être liées ; ce quelque chose pouvant tout aussi bien être son occurrence contextualisée antérieurement produite) l’on identifiera encore, à travers ces trois types d’opérations l’existence de deux fonctions générales qui participent au dynamisme linguistico-langagier et qui sont concurremment manifestées à tous les moments de la communication. L’acteur – c'est-à-dire ici, l’Homo

loquens, au sens où je l’ai défini par ailleurs (Nicolaï, 2003 c, e) – les actualise continûment à travers une

opération complexe de ‘double repérage’ qui prend effet à l’intérieur de l’espace de contact (également ‘complexe’) dans lequel il est immergé. Espace caractérisé par sa contextualisation, sa contingence, sa dynamique interne de reproduction et d’historicisation, ses potentialités structurelles et ses contraintes cognitives. On reconnaît ainsi : une fonction discriminante que l’on pourrait appeler de ‘convention stable’ ; il s’agit bien sûr de celle que reconnaît la linguistique traditionnelle (structurale ou non) et les théories « classiques » de la communication. Elle est évidente dans les opérations de repérage systémique, et trouve probablement aussi sa place dans les opérations de repérage cognitif mais elle est peu concernée par les dynamiques de contextualisation. On reconnaît encore une fonction discriminante de ‘convention flottante’ : c’est celle qui se construit et se modifie constamment dans l’échange, dans l’interaction et qu’appréhendent certaines approches de nature socio-pragmatique ou sociolinguistique. Elle est évidente dans les opérations de repérage fondées sur la prise en compte d’une historicité, et ne saurait être absente des autres opérations car, in

fine, toutes les opérations sont déterminées par l’historicité ; cette dernière opération est ainsi fortement

(10)

retenant son importance évidente, de relativiser l’exclusivité de sa prise en compte – même, et peut-être surtout si l’on est ‘linguiste’ – en sachant le lier à d’autres pertinences avec lesquelles il compose nécessairement, et qui contribuent également à cette mise en

signification du monde et à sa compréhension pratique.

Catégories.

La référence à des considérations dérivées d’une théorisation de l’action trouve ra sans doute ici sa pertinence, à un niveau qui, toutefois, reste encore à définir. Disons que l’on supposera que ce qui est construit au niveau des codages langagiers ne peut pas ne pas être fortement dépendant des procès de catégorisation et de typification contingents en rapport avec la connaissance partagée de sens commun qui à la fois s’élabore continûment et sert de cadre d’analyse pour comprendre ce qui se produit. Cela se marque au niveau linguistique mais cela définit aussi un autre niveau de la frontière.

Pour mieux expliciter, un détour par Schütz, Garfinkel ou Sacks22 sera certainement utile. Il s’agit de remarquer que si l’examen des pratiques langagières et du fonctionnement des langues est important pour l’étude des dynamiques sociologiques et anthropologiques, la prise en compte d’une réflexion phénoménologique conduite dans les cadres sociologiques et anthropologiques est nécessaire pour mieux comprendre les processus de constitution des codes ainsi que les dynamiques de l’évolution des langues. Ce qui est encore une autre façon de poser le questionnement sur les frontières et les catégorisations, au plan de la description.

Exploration : Tout d’abord, dans sa réflexion sur le sens commun et la typification, Schütz

(1987) introduit un rapport constant à l’historicité, il pose que « toute interprétation est fondée

sur une réserve d’expériences antérieures » et qu’« elles fonctionnent comme un cadre de référence sous la forme d’une « connaissance disponible ». Il remarque encore que « l’homme se trouve, à chaque moment de sa vie quotidienne dans une situation biographiquement déterminée [c'est-à-dire] qu’elle a une histoire ; c’est la sédimentation de toutes les expériences humaines antérieures, organisée dans les acquis habituels de sa réserve de connaissance disponibles ». Enfin il note que « tous les objets culturels – les outils, les symboles, les systèmes linguistiques, les œuvres d’art, les institutions sociales, etc. – renvoient, par leur origine et leur signification même, aux activités des sujets humains. Pour cette raison, nous sommes toujours conscients de l’historicité de la culture que nous rencontrons dans les traditions et dans les coutumes »23. Et cela fait « sens ». Ainsi « … la

22 Sans m’improviser « ethnométhodologue » il importe de souligner quelques directions qui ‘font sens ’ pour le

domaine qui est le mien – quitte, le cas échéant, à (accepter de) risquer le contresens. A la limite : le ‘contresens’ ne sera qu’un nouveau sens pour un nouveau contexte ! Il y a ainsi une réflexion à faire sur le réenracinement des notions à partir de leur expression métaphorique dans un nouveau cadre d’analyse. Ce qui n’autorise pas pour autant à dire n’importe quoi.

23

Remarquons ici que Schütz se questionne aussi sur le langage et souligne ce qui suit, à propose de l’origine sociale de la connaissance : « Le moyen typifié par excellence par lequel la connaissance issue de la société est

transmise est le vocabulaire ainsi que la syntaxe de la langue vernaculaire. Celui-ci est avant tout une langue de choses et d’événements appelés par leur nom. Chaque nom inclus une typification et une généralisation se référant au système de pertinences dominant dans le groupe linguistique qui trouve la chose nommée suffisamment signifiante pour lui fournir un terme à part. Le vernaculaire préscientifique peut-être interprété comme un trésor de types et de caractères prêts à l’emploi et préconstitués, tous issus de la société, portant en eux un horizon ouvert de contenus non encore explorés ». On peut aussi renvoyer à son commentaire dans

« L’étranger ; Essai de psychologie sociale » où il souligne que « Le langage comme schème interprétatif et

expressif, ne consiste pas seulement en signes linguistiques répertoriés dans un dictionnaire de règles syntaxiques couchées dans quelque grammaire idéale » ; il poursuit en précisant qu’au-delà de ces caractères

élémentaires il existe un « schèma d’expression » dont « seuls les membres du groupe jouissent dans son

authenticité ». Il termine enfin en assurant que « pour être à l’aise dans une langue comme schème d’expression, on doit avoir écrit des lettres d’amour dans cette langue ; on doit savoir prier et même jurer dans celle-ci ; on doit également savoir dire les choses avec toutes les nuances adaptées au destinataire et à la situation ».

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signification n’est pas une qualité inhérente à certaines expériences qui émergent dans notre courant de conscience, mais le résultat d’une expérience passée que l’on envisage réflexivement à partir d’un Maintenant. Aussi longtemps que je vis dans mes actes, orientés vers leurs objets, ils n’ont aucune signification24. Ils l’acquièrent si je les saisis comme expériences bien circonscrites du passé, et donc rétrospectivement. Seules les expériences que l’on peut se remémorer hors de leur actualité et dont on peut interroger la constitution sont donc subjectivement significatives25 ». Et tout cela s’élabore dans l’intersub jectivité. Il précisera encore : « Considérons maintenant le fait que l’occurrence extérieure – la parole de

l’autre – est commune à nos présents vivants, qui sont donc simultanés. Ma participation simultanée au déroulement de la communication de l’autre instaure par conséquent une nouvelle dimension du temps. Nous partageons lui et moi, aussi longtemps que dure le processus, un présent qui nous est commun et qui nous permet de dire : « Nous faisons ensemble l’expérience de cette occurrence. » Par la relation « Nous » ainsi instaurée, nous vivons tous deux – lui s’adressant à moi et moi l’écoutant – dans notre présent mutuel, orientés vers la pensée à accomplir dans et par le processus de la communication. Nous

vieillissons ensemble »26.

Croisements : De cet excursus je tirerai le rapprochement suivant : les procès

linguistico-langagiers de constitution des normes, tout particulièrement saisissables dans l’actualisation du feuilletage et dans l’institution des codes, me semble nt dépendre des mêmes contraintes générales que celles que Schütz retient en abordant la question de la typification et l’étude des processus de socialisation de la connaissance : la construction du feuilletage et sa mise en signification relève bien d’un procès de cette nature. Reste encore à savoir ce qu’on en fait, et à quoi ça sert.

Ceci établi, si l’on envisage d’approfondir ces aspects et la dynamique de leur construction, c’est probablement à une saisie ethnométhodologique qu’il faut s’intéresser à travers son travail sur l’approche procédurale dans sa préhension de la « normalité perçue des

événements » et dans la reconnaissance de ce double mouvement où « l’action » et le

« contexte » sont des éléments qui s’élaborent et se déterminent mutuellement. Ou encore – et sans même référer à l’analyse de conversation – renvoyer à la réflexion sur les ‘dispositifs de

catégorisation’ et l’élaboration des catégories d’appartenance que les membres utilisent pour

se classer ; membres qui agissent ainsi, très ‘concrètement’, dans la sélection, la matérialisation des formes et l’actualisation des représentations éventuellement induites. Et cela conduit à admettre – du point de vue du ‘linguiste’ – l’existence de prédéterminations de

part en part contextualisées ayant effet sur la forme des langues (avec effet de retour !) ainsi

qu’une dimension « téléologique » dans les pratiques linguistiques et langagières des acteurs, laquelle, bien entendu, n’a rien à voir avec une téléologie de la description.

Incidentes.

Revenu au questionnement sur les frontières, les évolutions linguistiques, les dynamiques langagières et le contact des langues, on pensera qu’il est probable que dans ce domaine aussi les effets de catégorisation prédéterminent le procès de construction des connaissances dans le même temps que la substantivité de ces connaissances, retenues à tout moment, prédétermine la catégorisation elle- même. Et celle-ci concerne à la fois les acteurs et

24

C’est pourquoi ni les opérations de métatypie, ni celle s de réorganisation structurale ne sont porteuses de « sens », à la différence des opérations de feuilletage.

25

Cf. Sur les réalités multiples.

26

Dans cet esprit, l’on pourra trouver in Nicolaï (1986) un questionnement proche autour de ce que j’appelais la très intuitivement à l’époque, la ‘catégorisation pratique’, et que je tentais d’appliquer aux élaborations partiellement subjectives que sont les ‘constructions morphosémantiques’… en ‘langue’.

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les descripteurs car au plan des constructions intellectuelles comme à celui de la description – savante ou ordinaire – il y a toujours une prédétermination théorique et une catégorisation préalable. C’est l’une des leçons que l’on peut tirer des exemples que j’ai fournis à propos de la classification du songhay et des isomorphismes structuraux constatés dans l’espace songhay- mandé. Et l’on fait ici le lien du monde des faits au monde des catégories.

Perspective.

Je me suis intéressé ici au rapport qui conjoint les trois « représentations intellectuelles » que sont les notions de ‘frontière’, de ‘catégorisation’ et de ‘contact’ mises en rapport avec la dynamique d’élaboration et de transformation des formes linguistiques et langagières. Je me suis intéressé également aux modalités de leur saisie et aux implications potentiellement naturalistes et/ou constructivistes des formes résultantes de leur description. En fin de compte, et c’était peut-être attendu mais pas inintéressant à souligner : on pensera que c’est hors des champs proprement linguistiques et langa giers que – dans une mesure très importante – la dynamique de la transformation des codes et des ‘langues’ se met en place ; ce qui pose encore la question des frontières et du contact au niveau séculier de l’usage des langues et au niveau régulier de leur description.

Quelques questions encore ! Il est vrai qu’elles auraient eu tout aussi bien leur place au début de ce texte… Mais l’on n’y aurait pas davantage répondu ! Ainsi :

- Partant d’une identification des dynamiques linguistico-langagières : quelles sont les pertinences nécessaire pour en rendre compte ?

- Y a-t-il là un objet construit (à construire ?) au croisement de plusieurs pertinences ? - S’il existe, doit- il être déconstruit et réduit au travers des pertinences préexistantes, ou bien importe-t-il de concevoir un espace de connaissance nouveau au sein duquel une analyse nouvelle – qui n’exclut pas les acquis théoriques et méthodologiques acquis – pourra s’élaborer selon ses propres options et ‘réglages’ théoriques ?

- Comment s’organise l’apparent cercle ‘vicieux’ liant connaissance et catégorisation ? S’agit- il d’un cercle ? Que faire avec les cercles ?

Et il ne s’agit pas ici d’un « débat général » entre holisme et réductionnisme mais plus simplement, d’une recherche pratique visant à la construction d’un nouvel espace de

description référé à des phénomènes (ceux du contact donnés comme dynamisme de

construction des formes) dont la saisie selon cet angle introduit à une généralité nouvelle et suggère des régularités empiriques intéressantes. Dans leur domaine, les pertinences retenues définissent des jeux de « contraintes » qui renvoient à des jeux de frontières dont l’étude est utile pour la compréhension de l’évolution des formes, des codes et des ‘langues’.

Alors que prendre en compte ? Parmi les domaines de connaissance concernant l’homme et de la société il n’en est guère qui soient exclus : anthropologie, sociologie, linguistique, etc.

La question des frontières est, ici aussi, posée de façon cruciale et il est important de la probléma tiser.

(13)

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