Images en Dermatologie • Vol. X - n° 2 • mars-avril 2017 60
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1. Cristallin 2. Chambre antérieure
4. Pupille 5. Iris 6. Corps ciliaire 3. Cornée
7. Sclérotique
Coupe détaillée de la région maculaire
Vaisseaux rétiniens Fovéola
Cellules ganglionnaires du nerf optique Interneurones Photorécepteurs Épithélium pigmentaire Membrane de Bruch Vaisseaux choroïdiens Sclère
9. Rétine
12. Papille optique 11. Nerf optique 10. Macula 8. Choroïde
Figure 1. Coupe sagittale du globe oculaire.
Effets indésirables oculaires des inhibiteurs de MEK
Ocular adverse events of MEK inhibitors
B. Dupas
(Service d’ophtalmologie, hôpital Lariboisière, Paris)
La voie MAPK (Mitogen-Activated Protein Kinase)/MEK (Mitogen-activated Extracellular signal- regulated Kinase) est une voie de signalisation majeure puisqu’elle régule des processus cellulaires fondamentaux tels que la croissance, la prolifération, la différenciation, la migration et l’apoptose (1).
Des molécules (cobimétinib, tramétinib, binimétinib, pimasertib, sélumétinib, etc.) inhibant cette voie sont disponibles ou en cours de développement en oncologie depuis quelques années.
Les inhibiteurs de MEK ont montré une activité clinique dans divers cancers métastatiques (mélanome, ovaire, côlon, pancréas, poumon) [2]. Le cobimétinib et le tramétinib ont obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans le traitement du mélanome avancé muté BRAFV600, en asso- ciation avec un inhibiteur de BRAF.
Les résultats disponibles actuellement montrent que ces molé- cules présentent une bonne tolérance générale. Les événements indésirables rapportés sont principalement gastro-intestinaux (diarrhée, nausées, vomissements), hépatiques (augmentation des ASAT et des ALAT), élévation des CPK, dermatologiques (photosensibilité, rash cutané folliculaire) et généraux (fièvre).
Des effets indésirables oculaires peuvent également survenir,
et leur incidence varie d’un essai à l’autre. On les observe chez plus de 50 % des patients traités. Ces différences sont en partie expliquées par la mise en place, après les premiers cas observés, d’examens ophtalmologiques systématiques dans les essais cliniques évaluant ces molécules. Il s’agit majori- tairement d’atteintes rétiniennes bénignes, qui se manifestent sous la forme de décollements séreux rétiniens (DSR) [3-6].
Beaucoup plus rarement, un tableau d’occlusion de la veine centrale de la rétine (OVCR) peut survenir, ce qui nécessite une suspension transitoire ou définitive du médicament. À ce jour, il existe déjà plusieurs séries de cas et revues de la littérature relatant les effets indésirables liés aux inhibiteurs de MEK (7- 10). L’objet de cet article est de fournir une brève synthèse pouvant aider le praticien dermatologue à gérer au quotidien les manifestations ophtalmologiques des inhibiteurs de MEK.
Effets indésirables oculaires
Décollement séreux rétinien
C’est l’effet indésirable le plus fréquemment rencontré et égale- ment le plus bénin. Le DSR se définit par la présence anormale de liquide entre la couche des photorécepteurs et l’épithélium pigmentaire rétinien (EPR). Ces DSR atteignent majoritairement la région maculaire, c’est-à-dire la région centrale de la rétine, responsable de la vision fine et de la vision des couleurs (figure 1).
Mots-clés : Effets indésirables • Œil • Inhibiteurs de MEK.
Keywords: Adverse events • Eyes • MEK inhibitors.
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a.
b.
Figure 2. Évolution en OCT Spectral Domain des décollements séreux rétiniens rencontrés au cours du traitement par anti-MEK.
a. OCT montrant des décollements séreux rétiniens (flèches).
b. Aspect rétinien normal après résolution spontanée des DSR sans arrêt du traitement.
Tableau. Conduite à tenir en cas d’effet(s) indésirable(s) ophtalmo logique(s) des inhibiteurs de MEK.
Pathologie Prise en charge
DSR En cas de DSR sans retentissement visuel Pas d’arrêt de l’inhibiteur de MEK En cas d’acuité visuelle < 7/10 (ou de retentissement
sur la qualité de vie [exemple, patient monophtalme]) ·Suspension de l’inhibiteur de MEK pendant quelques jours
·Reprise à la disparition des symptômes OVCR Prise en charge spécialisée impérative (pour décision éventuelle d’injections intravitréennes et/ou laser)
Arrêt transitoire ou définitif de l’inhibiteur de MEK PIO ·Introduction de collyres hypotonisants
·Surveillance rapprochée par l’ophtalmologue
·Poursuite du traitement, sauf en cas d’apparition d’une neuropathie glaucomateuse DSR : décollement séreux rétinien ; OVCR : occlusion de la veine centrale de la rétine ; PIO : pression intra-oculaire.
Dans la première série rapportée (32 patients), les DSR ont été observés chez plus de la moitié des patients traités par un inhibiteur de MEK seul ou associé à d’autres thérapies (59 %).
Les DSR étaient en majorité asymptomatiques, et seuls 40 % des patients atteints ont décrit de légers troubles visuels. L’at- teinte rétinienne était dose-dépendante. Les symptômes visuels ont disparu chez tous les patients, et l’état de la rétine s’est nettement amélioré ou est revenu à la situation initiale après 2 à 6 semaines avec ou sans interruption du traitement (4). Des données similaires ont été rapportées par E.H. Van Dijk et al.
sur une série de 35 patients (5), ainsi que dans une série de 94 patients de 6 essais cliniques (6). La publication prospective la plus récente concerne 62 patients suivis sur 2 ans (11), et recevant soit du binimétinib seul (n = 13), soit un anti-BRAF seul (n = 10), soit une bithérapie (n = 39). Des DSR ont été observés chez 92 % des patients sous monothérapie par binimétinib, et dans 100 % des cas de bithérapie. L’anti- BRAF n’a pas induit d’atteinte rétinienne, mais des uvéites antérieures résolutives sous corticothérapie locale ont été observées dans 20 % des cas. La cinétique de survenue des symptômes visuels a éga- lement été étudiée : elle fluctue avec l’heure d’administration de l’anti-MEK. Le DSR maximal est observé dans les 4 heures qui suivent la prise du médicament. Ce phénomène semble s’atténuer parallèlement à la durée du traitement.
L’incidence élevée de DSR décrite chez les patients traités par un inhibiteur de MEK suggère que l’inhibition de MEK modifie la perméabilité de l’EPR et perturbe donc son rôle de barrière qui empêche l’accumulation de liquide sous-rétinien (9).
Le diagnostic de DSR est posé à la tomographie en cohé- rence optique (OCT) [figure 2], qui détecte 100 % des lésions et constitue donc l’examen de référence. Cet examen est non invasif et ne dure que quelques minutes. Il ne peut cependant s’effectuer que chez un ophtalmologue spécialisé équipé d’un appareil ou dans un centre d’imagerie ophtalmologique.
L’examen du fond d’œil standard, réalisé par l’ophtalmologue au biomicroscope, n’a, en effet, qu’une sensibilité de 72 %. Chez
les patients symptomatiques, la vision est généralement floue sans baisse sévère de l’acuité visuelle. Les patients peuvent présenter une légère photosensibilité sans rougeur, ni douleur oculaires. Les DSR sont bilatéraux et le plus souvent multi- ples. Ils sont à distinguer du décollement de la rétine (DR) par déchirure, qui nécessite une chirurgie en urgence. Leur prise en charge est détaillée dans le tableau.
La tolérance à long terme des anti-MEK ne nous offre qu’un recul de 2 ans (11). L’analyse rétinienne en OCT montre un amincissement modéré de l’ensemble de la rétine, sans désor- ganisation architecturale, ni retentissement sur la fonction visuelle. Des études complémentaires seraient cependant nécessaires afin de s’assurer de l’innocuité à plus long terme.
Le terme MEKAR, par analogie avec la CAR (Cancer Associated Retinopathy) et la MAR (Melanoma Associated Retinopathy), a été proposé pour désigner cette atteinte (11). Il faut noter que les CAR et les MAR sont sévères et entraînent des altérations franches de la fonction visuelle, ce qui n’est pas le cas de l’atteinte rétinienne sous anti-MEK.
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Occlusion de la veine centrale de la rétine (OVCR) De rares cas d’OVCR ont été rapportés dans les essais cliniques évaluant les inhibiteurs de MEK (9).
Dans la population générale, l’OVCR survient généralement chez les sujets présentant des facteurs de risque vascu
laire (hypertension artérielle, diabète, dyslipidémie, etc.).
En l’absence de facteurs de risque, des anomalies de l’hémo
stase seront recherchées. Il faut noter que les patients sous antiMEK, du fait de leur mélanome, ont une thrombophilie acquise qui, à elle seule, indépendamment des antiMEK, peut être à l’origine d’une occlusion veineuse rétinienne. L’impu
tabilité à l’antiMEK de la survenue de l’OVCR n’est donc pas très claire, mais le principe de précaution incite à arrêter le médicament.
L’OVCR s’accompagne d’une baisse de l’acuité visuelle dont l’intensité varie selon la forme clinique. Sur les rétino graphies, une augmentation du calibre veineux, des tortuosités veineuses et des hémorragies rétiniennes peuvent être observées.
La sévérité de l’occlusion peut être évaluée par l’angiogra
phie à la fluorescéine. Une prise en charge spécialisée par un ophtalmologue est impérative (tableau, p. 61).
Élévation de la pression intra-oculaire
U. UrnerBloch et al. ont rapporté 1 cas d’augmentation modérée de la pression intraoculaire (PIO) sur les 32 patients suivis (4). Il existe donc une précaution d’utilisation chez les patients atteints d’un glaucome chronique (à distinguer du glaucome aigu, qui ne représente pas un facteur de risque particulier). La surveillance du champ visuel, afin de dépister une aggravation éventuelle de la neuropathie glaucomateuse en cas d’élévation de la PIO, sera nécessaire. Cependant, le glaucome chronique ne contreindique pas de manière formelle l’administration d’antiMEK. Suivi ophtalmologique d’un patient recevant des inhibiteurs de MEK.
Conduite à tenir
Le patient doit être prévenu de la possibilité de survenue de symp
tômes visuels, et doit réaliser une autosurveillance régulière de sa vision œil par œil. Un examen ophtalmo logique initial de réfé
rence est souhaitable, mais non obligatoire (en particulier chez les patients de moins de 60 ans sans antécédents ophtalmologiques), avant l’instauration d’un traitement par un inhibiteur de MEK. Il est indiqué d’effectuer un bilan préthérapeutique uniquement chez le patient glaucomateux traité. Il est préférable d’effectuer un examen ophtalmologique initial chez les patients ayant des antécédents de maladie rétinienne, même si les effets indésirables des antiMEK n’aggravent aucune pathologie rétinienne préexis
tante, notamment la dégénéresence maculaire liée à l’âge. En cas
d’apparition d’une symptomatologie visuelle (baisse de l’acuité visuelle, flou visuel, amputation du champ visuel, perception de flashs) ou d’aggravation durable de troubles visuels existants, le patient doit être adressé rapidement en ophtalmologie (12). L’arrêt éventuel de l’antiMEK ne sera alors décidé qu’après étude du compterendu ophtalmo logique, en sachant que la majorité des symptômes visuels sont liés à des DSR rapidement régressifs, sans séquelles et ne nécessitent pas d’arrêter le traitement. Un suivi tous les 3 à 4 mois n’est préconisé que chez les patients ayant des antécédents ophtalmologiques d’hypertonie oculaire avec ou sans glaucome, et/ ou d’occlusion veineuse rétinienne. Il faut noter qu’aucun contrôle n’est recommandé après l’arrêt d’un inhibiteur de MEK. Des effets indésirables ophtalmo logiques des inhibiteurs de BRAF associés peuvent également survenir, et sont essentiellement des uvéites dont les symptômes sont les yeux rouges et douloureux. Elles sont généralement résolutives sous corticothérapie locale. Les patients doivent être interrogés régu
lièrement par les professionnels de santé durant toute la durée du traitement sur la survenue d’éventuels symptômes visuels (12).
Conclusion
Aujourd’hui, il n’y a pas de contreindication ophtalmologique absolue à la prise d’un inhibiteur de MEK, mais il existe des mises en garde particulières. Les cas de DSR sont très fré
quents, asymptomatiques dans 50 % des cas, et ne nécessitent quasiment jamais l’arrêt du traitement. Les cas d’hypertonie oculaire sont rares et généralement facilement jugulés par des collyres, sans nécessiter d’arrêter l’antiMEK. En cas d’occlu
sion veineuse rétinienne, le traitement par inhibiteur de MEK doit être arrêté au moins temporairement. Cette décision fera l’objet d’une concertation pluridisciplinaire, comme pour tout
traitement anticancéreux. II
B. Dupas déclare avoir des liens d’intérêts avec Roche.
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Mise au point
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12. Institut national du cancer. Médicaments ciblant BRAF en monothérapie : vémurafénib, dabrafénib. Médicaments ciblant BRAF ou MEK en association : vémurafénib + cobimétinib, dabrafénib + tramétinib/anticancéreux par voie orale : informer, prévenir et gérer leurs effets indésirables. Mars 2016.
www.e-cancer.fr
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