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Et e rnel le.
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PURCHASED FROM THE INCOME OF THE FUND GIVEN TO THE PUBLIC LIBRARY OF THE CITY OF BOSTON BY JOI AH HENRY BENTON
J843-I9I7
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LA JEUNESSE INALTERABILE
ET
LA VIE ETERNELLE.
LA JEUNESSE INALTER ABLE
ET LA VIE ETERNELLE
CONTE POPULAIRE TRADUIT LIT- TERALEMENT DU ROUMAIN, OUVRAGE
O R N £ DE 67 EAUX-FORTES.
Traduction de William
Ritter.Illustrations de M. A.
J.Baner.
Decorations de G. IV. Dijsselhof.
Preface de Arsene Alexandre.
AMSTERDAM,
Scheltema & Holkema’
sBoekhandel.
MDCCCXCVII.
y
Gr8^ 7-
A> o"3Ne
m’occupant point de politique, je ne sais pas si IesEtats-Unis d’Europe existeront jamais, ni s’il faut Ies desirer. Mais Ies Etats-Unis des Arts vont
s’amorant
et s’etablissant de plus en plus.II en est des preuves manifestes:Iesgrandesexpositions internationales qui se multiplienten touspays; Ies echanges incessants d’idees, Ies relations, Ies visites, Iesamitie'sentre
Ies artistes de toutes Ies races; enfin quantitede moindres
faits,
comme
un petit livre tel que celui-ci, manifestation moins ambitieuse, maisnon
moins significative.Des
sympathies artistiques de residences et d’origines fort diverses s’y rencontrent et s’y affirment, sans s’£tre,pour ainsi dire,
donne
rendez-vous.Un
ecrivain,M.
Ritter, journaliste collaborant â de grands journaux Viennois, traduit un beau conteroumain.Un
graveur et peintre hollandais,M.
Bauer, se complaîta. l'illustrer d’eaux-fortes d’une evocation toute orientale.
Puis, survient un
ami commun
de ce graveur (i) et d’un tcrivain franais. IIdemande
â celui-ci, dont il connaît(i) II serait injuste de ne pas citer egalement des le debut le nom de M. Dijsselhof, l’ornemaniste delicat, savant, aux aptitudes multiples, rompu â toutes Ies techniques, qui a ornd Ies pages de ce livre de frises d’un goiit si leger et si fin.
l’ardeur pour Ies choses d'art, de dire en quelques
mots
son opinion sur l’illustrateur, car il croit par avance,—
et il avait bien raison!
—
que son ami franais goQtel’oeuvre de son
ami
hollandais.Voila
comment
un livrecompose
d’elementsaussidivers peut garder sa physionomie, j’oserai presque dire son har- monie. Voila egalement pourquoi, avant de parler deM.
Bauer, j’ai du dire unmot
de cette preface elle-m£me, qui amon
avis, n’etait pas du tout necessaire au livre, et sans ce bout d’explication ne s’expliquerait pas.L’art de
M.
Bauer en effet n'a pas besoin decom-
mentaires: il parle, avec une vivacite et une couleur sur- prenantes, a /’imagination. Cet art, ou entrent pour une part e'gale le caprice et le savoir, fait surgir des foules, apparaître des edifices, des chemins, desfor^ts, tout cela se remplir d'air, de lumiere, d'ombre et litteralement se volatiliser la feuille de papier pour ne plus laisser place qu'au spectacle.II regne dans Ies eaux-fortes de cet artiste un delicieux abandon, et pourtant rien n'y est dâ au hasard. II n’y a rien de plus raffine, de plus savant et de plus voulu, mais il n’y a rien de moins dogmatique; tout
y
semble ne en se jouant.TellessontIesgrâces desartistesquitoutenaimantpassion-
nement
la nature ne sesont point faitses esclavesaveugles.Un
artiste banalouimbu
deprejugesacademiquess’astreint a copier ce qu'il voit; un artiste afîfranchi ou superieur suit le plus belexemple
que la nature donne: il s’exerce a creer.La
nature est une arrangeuse admirable de ses propres elements; le veritable artiste faitcomme
elle.Chez M.
Bauer, il y eut des predestinations, puis lebonheur de
comprendre
tout de suite sa vraie voie et de6
la suivre sans hesiter. II n’a pas ete egare
comme
tant de peintres chez nous (jeveux
dire en France), par lemirage des recompenses, des decorations, des hierarchies.
Si quelques distinctions lui sontvenuesoudoiventlui venir encore, ce fut
quand
elles ne pouvaient plus lui nuire.Avânt, la liberte, et la chance de pouvoir aller tout droit vers l’entrevu.
Je dois a Ph. Zilcken, l’ami
commun
dontilestquestion plus haut, des indications pre'cieuses qui m’ont faitcom-
prendre tout de suite ceque
j’admirais dans Ies gravures et Ies quelques peintures que j’avais vues deM.
Bauer, et pourquoi je l'admirais.La
Hollande, par unphenomene
trescurieux etpresque paradoxal, a toujours ete une extraordinaire salled’attente de l’Orient,—
avec faculte de ne jamais faire le voyage.On
peut lire des choses orientales a l’extrâme dans Iesemeraudes des moulins de
Zaandam,
dans le costumedesfilles de Marken, dans le quartier juif
d’Amsterdam,
dansIes f£tes du soleil couchant sur l’Y. Puis voyez
comme Rembrandt
et beaucoup de ses eleves ont devine et raconte l’Orient, entre tous Ies artistes de l’Europe.Comme
ce pays qui n’est gris, terne et tristeque
pourIes voyageurs vulgaires, s’illumine pour Ies inities, ou Ies sensitifs, et
comme,
au choix, on peuty
imposer silencea ses nerfs, cu Ies aiguiser jusqu’au
paroxysme
!M.
Bauer des sa prime jeunesse a subi la hantise des Miile el une nuits. C’est le livre ou il a appris a lire, a sentir et a dessiner; un jour son oeuvre capitale sera la realisation, par Iesjeux de lapointe,desjeuxd'imagination que nous eploient a n’en plus finir cesArabian
nights.A
vingt ans, il quittait la salle d’attente, et il filaitsur Constantinople. IIy
prenait-des milliers de croquis, puis au retour, sans regarder ces notes, il reconstituait de7
souvenir tout ce qu’il avait vu. C’est la feconde
methode
de lamemoire
d’apres nature, que beaucoup de peintres celebres necomprendront
jamais, et pour laquelle il faut,il est vrai, des dons precieux, ou bien une rare energie.
A
l’aide de cette methode, un artistecomme
Bauercache, pour le public, son savoir considerable, et ne repandque
son esprit.Ainsi devant vos
yeux
charmespassent desvisions inces-samment
renouvelees, sans que vous songiezque
vousavezafifaire a un peintre, qui au milieu de son apparent laisser aller ne vous dit que ce qu’il veut vous dire.
Ce
sont defraîcheset delicatesaquarelles, veritablesreflets d’Orient; ce sont des lithographies et des eaux-fortespour interpreter ces grands „visionnaires volontaires”eux
aussi, qui s’appelaient Flaubert et Villiers de l’Isle-Adam; des transcriptions decesautres re'vesvoulusque sontIesgrandes cathedrales franaises,Rouen, Amiens,
Strasbourg.Des
spectacles a l’infini, jamais d’anecdotes, c’est a dire de
l’art toujours, telle est, dans son ensemble, l’oeuvre de
M.
Bauer.Mais il faut s’arrdter malgre le deir qu’on aurait d’en dire plus long et plus precis; il faut que sa brievetefasse
pardonner a cette preface sa superfluite.
Deja piaffe le cheval
du
prince FetFrumos
;dejaalter- nant avec Ies dentelles leghres deM.
Dijsselhof,M.
Bauer apprâte ses cortbges et construit ses palais.Le
spectateur s’impatiente et voudrait entreprendre cevoyage
vers la„jeunesse inalterable” r£vee par tant d’humains, mais reservee seulement
aux
oeuvresd’artsavanteset passionne'es.ARSfîNE ALEXANDRE.
8
LA JEUNESSE INALTERABLE
ET LA
VIE ETERNELLE
CONTE POPULAIRE TRADUIT LITTERALEMENT DU ROUMAIN.
Pourtant une fois ilfut, cequijamaisn’arriva plus;etsice n’etaitpasvraion ne leraconterait pas.
En
ce temps-lâ, Ies peupliers produisaient des poires, Ies saules fleurissaient en violettes; alorsIesoursse battaientIes flancs de leur queue; Iesloupset Iesagneaux
s’embrassaient fraternellement; et puis,Iespuces,on Iesferrait,a un pied,de9
t
nonante-neuf occas de fer, et cela ne Ies emp£chait pas de sauterau firmament pour nous enrapporter deslegendes
!
II
y
avait une fois unEmpereur
et une Imperatrice, tousdeux
jeunesetbeaux.Voulantavoirdesenfants, ilssatisfîrent plusieursfoisaux
conditionsrequises:visiteschez Iessorciers etIesphilosophes,interrogatoiresaux
etoiles,divinationpour apprendres’ilsenauraientounon
. . .Et
toujoursrien!
Enfin l’Empereur ou'ft
que
dansun villagetout procheily
avait un
mlin
vieillard; illemanda
aussitât,maisle vieillard reponditaux
envoyes:— Que
viennentamoi
ceuxqui ont besoindemoi
!
L’Empereur
etl’Imperatriceseleverentdonc, s’entourerent de quelques grands boyards, de quelques guerriers et servi- teurs, et s’en furent vers lemlin
vieillard,—
l’Empereuret l’Imperatrice,—
chezlui.io
Comme
celui-ci de loin Ies voyait venir, il sortit a leur rencontreet leurdit:—
Soyez Ies bienvenus et toujours enbonne
sânte!Maistoi, Empereur, ou cours-tu?
Que
cherches-tu?Ton
deirte causeragrandetristesse.— Ce
n’est pasce que je suisvenutedemander
; maissitu asame
donnerdesremedesqui nousfassent avoirdesenfants, s’exclama l’Empereuren courroux.—
J’en ai, repondit le vieillard, seulement ecoute:Vous
n’en aurez qu’unseul, d’enfant;
ilseradetoutebeauteettres aimant, mais vousn’enjouirezpas.
L’Empereur
et l’Imperatrice accepterent Ies remedes et rentrerent plus gaisau palais. Quelquesjours apres,l’Impera- trice sesentitgrosse; la cour,tousIesserviteurs, se rejouirent1 1
de l’evenement. Maisvoiciqu’un peuavantde naître l’enfant se mit â pleurer dans le ventre de samere, apleurersibien quenul sorcier,
—
ilsetaienttous la,—
neparvintalecalmer;
l’Empereur lui promit tous Ies biens de laterre; pas plusde cettesorte,il n’y eut
moyen
del’apaiser.—
Tais-toi, cheri detonpere, disaitl'Empereur,je tedon- nerai cetEmpire,outeloutelautre. . .Et
l’enfant hurlait deplusbelle!
— O mon
fils, tais-toi! Je tedonnerai pourfemme
la filled’un Empereur, outelle autrequetuvoudras.
Et comme
l’enfant pas encore ne se lamentait toujours, l’Empereur eplore accumulait semblablespromessesIesunes apresIesautres!Enfin, nesachantplus qu’inventer,etl’enfant pleurant encore,il ajouta:—
Tais-toi,mon
enfant bien-aime, tais-toi, tais-toi! Jetea
Tk*Y\\v ^ iOI[®jji\\l 1§
U
3 1 /\OsSv'LÂ
donnerailajeunesseinalterableetla viectemelie!
Alors, l’enfant se tut,etapparutala lumierede ce
monde.
Et
Ies serviteurs sonnerent de latrompe
et, une semaine entiere,ily
eutgrandeliesse danstoutPEmpire.L’enfants’eveillaitet croissait.
Et
jamaisiln’en avaitetedesi beau, il l’etait
comme
sonnom;
Fet Frumos, et plus ilrayonnait de grâce, plus ildevenait intelligent.
A
traversIes ecoles il passa; on le mit entre Ies mainsdes philosophes. IIapprenait en un moistout cequeIesautresenfantsen un an.
L’Empereur
etait heureux, heureux tant, qu’ilavaitde la joieaen mourir etaenressusciterchaquejour!Toutl'Empire deja jubilait en la fierted’unfuturEmpereur
instruit etsagecomme
Salomon.Du temps
passa.Je ne saiscequ’ily
eut. . .L’enfant devint>4
tout triste, et il demeurait oisif,
mou,
ronge d’on ne savait quelssoucis. . .Un
jouradvintou ileutquinzeansaccomplis;l’Empereurse trouvaitjustementa tableavec tousIesboyards
et serviteurs de l’Empire, faisant
un
kief;
orvoicique Fet
Frumos
se levaet dit:
—
Pere, lemoment
estvenu deme
donnercequetum’as promisama
naissance.Ce
qu’entendant, son peres’attrista etluirepondit:—
Mais,mon
fils,comment
pourrai-jetedonnercettechose inou'ie... Sije tePai promiseautrefois, c’etaitpourtecalmer.—
Si toi,mon
pere, tu nepeux me
donner cela, je suis oblige d’errer a traverslemonde,
afinderealiser cettepromesse sanslaquelleje neseraispas
ne. 'Alors tous Ies boyards et
PEmpereur
semirentagenoux
15
pourle prierde ne pasquitterl’Empire.
—
Attendu,direntIesboyards,que ton peresefaitvieux...Nous
t’eleverons sur letrbne; nous t’amenerons pourfemme
laplus belleImperatrice qui soitsouslesoleil
!
Maisilfutimpossiblede ledetourner desa decision.
II resta inebranlable
comme
pierreen cequ’ilavaitdit; ce que, constate, son pere luiabandonna
lapermission, et,pourla route, luifitpreparervivres,vetementset monture,tout ce qu’ilfallait.
Alors Fet
Frumos
alia dans Iesecuriesimperialesoupiaf- faient Ies plusbeaux
etalonsdel’Empire,pour en choisirun;
mais desqu’illeur posaitla
main
surlacroupeet Iespoussait, tous tombaient.Enfin, au
moment
de sortir, il jette encore Iesyeux
dansl’ecurie,et, dans uncoin,aperoit unchevalmorveux,lcpreux
16
et malingre; ils’enapproche.
Et
voilâ qu’aumoment
ou illui portaitlamainsur laqueue,lechevalretournalatâte et dit:
—
Qu’ordonnes-tu, Maître? Je remercie Dieude cequ’un braveamislamain
surmoi!
Et, rafîfermissantsesjarrets,ilsetintdroitcommeuncierge.
Alors Fet
Frumos
lui expliqua son dessein et le cheval repondit:
—
Pour realiser ton deir, tu vasdemander
âton pere:le pal, lalance, l’arc,le carquois,Ies flecheset Iesvâtements dontil se servait jeune
homme. Quant
amoi
tume
soignerasdeta propremain pendantsixsemaines:etl’orgetumele
donneras bouilli dansdu lait.L’Empereur, informe de ces exigences, appelal’intendant de la
Cour
etluiordonnad’ouvrirIes„ tron lesgrandescais-17
ses
aux
habits,afin quesonfilsphtchoisir cequ’illuiplairait.Fet
Frumos
fouillatroisjoursettroisnuitsjenfindecompteil trouva, au fond du plus vieux des bahuts, Ieshabitset Ies
armes desonpere, alorsqu’iletaitjeune, maislesunsdechires, Ies autres rouille'es. II Ies nettoya, gratta lui-m£me de ses ongleslarouille, et,au bout desixsemaines,ilparvintarendre
Iesarmesluisantes
comme
miroirs.Pendantcetemps, ilsoignait aussi lecheval
comme
l’animal le lui avaitrecommande.
C’en etaitdu travail; mais, enfin,lejeune
homme
envintabout.D&s
quelechevalsutFetFrumos
equipe, sesarmesetses vâtementsen
bon
etat, ilse secoua,et tout, soudain, lepre etmorve
tomberent, le cheval redevint exactementcomme
samere
l’avait mis aumonde:
gras,trapu et pourvu dequatreailes.8
Le
voyantainsi, FetFrumos
luidit:— Dans
troisjoursnouspartons!—
Vive toi, Maître!Des
aujourd’hui, si tu l’ordonnes, je suispr£tâpartir!
Le
troisieme jour,aumatin, cefut un deuilpourlaCour
et tout l’Empire.On
n’entendait que soupirer et pleurer. Fet Frumos, vâtucomme
un brave,le palalamain,monte
surlecheval elu, prit conge de l’Empereur et de l’Imperatrice,de tous Ies boyards grands et petits, desguerriersetdetousIes serviteursde laCour.
Et
encore, chacun,Ieslarmesaux
yeux,lesuppliaitd’abandonnerce voyage, craignantqu’ilnecourut âlapertedesat£te.
Maislui, eperonnant etserrantsoncheval, franchitd'unseul
bond
la porte de l’enceinte. II partitcomme
levent,deloin19
suivi par des chariots de vivresetd’argentetpar
deux
cents soldatsque l’Empereuravaitcharge de l’accompagner.Les
bornes de l’Empire paternei franchies, FetFrumos
arriva dans le desert.
La
ilpartageatoutes ses richessesentre lessoldats, leurfitsesadieuxet lescongedia. IIne gardapourlui quelesvivresdontilputcharger son uniquecheval.
Alors, droit devant lui, il courutsusau levant. IIalia,alia, alia troisjourset trois nuitsetaboutitaunevaste plainetoute couverted’ossementshumains.
Harrasse, ilsereposa.
Le
chevallui dit:
—
Saclie qu’ici noussommes
surledomaine
d’une stryge- pivert, si mauvaise, si mechante, que personne n’enfranchit les limites sans £tre tue. Jadis elle a etefemme,
semblableatoutesIesautres
femmes
et c’estla malediction desesparents, dont elle violait Ies ordres, qui l’a changee en pivert.En
cemoment
elle se repaît en familie, mais demain, danslaforât que tu vois la-bas, nousla rencontrerons;elleaccourra, vou- lant nous tuer. Elle est
enorme
effroyablement; mais ne tepeurepoint. AieIesflechesaton arc,ettonarcbande;tiens ton pal et ta lance atescdtes; soissurtesgardes,pre
at’en servir, aumoment
propice.Ilsse reposferent,maistantdtl’untantdtl’autreveillait.
Le
lendemain, a l’aube,ilssepreparerentâ traverserlafortt.Fet
Frumos
sellaet bridason cheval; ilserra lasangle plus quedecoutume
et partit.Alorsonentendit,soudain,unmartelageeffrayant, lescoups de bec delapivertlanceedetroncsen troncsd’arbre.
21
Aussit6tlecheval previntFet
Frumos
:— Y
es-tu?La
voila!Plus lemartelageapprochait,pluslafor£tgeignait descoups de bec dans l’ecorce; Ies arbres tombaientque d’un coup de son bec elle avait scies; ils tombaient l’un sur l’autresi vite ellesautait.
On
l’aperut...Au m£me
instant lechevals’elanacomme
un coup de vent a sarencontre, et bondit par dessusellestu- pide. P'et
Frumos
decocha une fleche qui luienlevaun pied d’un coup. II lui en allait darder uneseconde, maisla pivert s’ecria:—
Arr£te! P'et Frumos,jenete ferai rien!
Mais Fet Frumos, ne voulait rien croire et l’auraittueesi
ellen’avait
donne
unecrit deson sang.—
Vive ton cheval, FetFrumos
!ajouta-t-elle,comme un
22
Nazdravan
,
comme
un magicien qu’il est, car sans lui je t'engloutissais,tandisque maintenanttu m’asvaincue!Sache quejusqu’acejourpasun morteln’avaitoseempietersurmes
frontieres ... Si de
temps
entemps
quelques fous s’etaient hasardes â le tenter, ilsn’etaientpasm£me
arrivesjusqu’ala plaineoutu asvu Iesossements.Puis ils s’en furentchezlastryge becquee quileuraccorda l’hospitalite, largement,
comme
Ies honnâtes gens en ontcoutume
avecIes voyageurs.Pendant qu’ils se reconfortaient â table et prenaient leur kief, lapivert gemissaitdesdouleursdesa blessure. Alors Fet
Frumos
sortit de sa musette le pied du monstre qu’il avait ramasse et, charitablement, il le lui rajusta.De
joielapivert tint table ouverte, apprâta de grands festins, pendant trois jours,troisjoursde grandeliesse. Elle priam£me
FetFrumos
24
d’elirepour
femme
l’unedesestroisfilles,toutesbellescomme
desfees.Mais Fet
Frumos
refusa, disant:—
Jecherchelajeunesseinaltcrableetla vie cternelle!—
Bravecomme
tul’eset avecun telcheval, tutrouveras.Trois joursapres,forcesreprises,ilspoursuivirentleurroute.
Surlegrand
chemin
dumonde
FetFrumos
alia,alia, alia...II franchitune longuedistanceetuneautrepluslongueencore.
Et ildepassaIesconfins du
domaine
delastryge, et ilarrivaa une magnifique plaine dedeux
couleurs: d’un câte toute d’herbe fleurie, maisdel'autretouted’herbebrulee.II s’enquit a son cheval,de cette lierbe brulee,et lecheval repondit
:
—
Ici, noussommes
sur Iesterresd’une scorpionne,soeur de la pivert. Elles etaient si mechantesqu’ellesne pouvaient25
vivreensemble:c’est pourquoi lamaledictionde leursparents Iesa frappees;c’est pourquoiellessontdevenuesdesmonstres farouches;
comme
tu t’en es convaincu.Leur
inimitie est terrible.Mutuellementellessejalousentleursdomaines.Quand
lascorpionneestfurieuse, ellevomit du feuetdelapoix.Cette herbe brtilee prouve une rencontre des
deux
soeurs:la scor- pionne aura voulu chasser la pivert de sondomaine
en lui briliant sous Iespieds l’herbe qu’ellefoulait. Elleest bienplusmechante
que lapivert, lascorpionne!—
et elleatroistâtes !—
Reposons-nous un peu,Maître, etdemain
de grandmatin, preparons-nousâtouteeventualite.Le
lendemain, des l’aube, ils se preparaientcomme
aumoment
d’arriverchez lastrygeet ilspartaient . . .Mais ils entendirent un
rauquement
hurleur, une rafale rageusecomme
jamaisils n’en avaientouis.26
—
Es-tuprepare, Maître, lavoicicettedamnee
grififardede scorpionne!
Elle avait une mâchoire auciel, l’autresur terre;ellevomis- sait des flammes;elleaccourait
comme
levent. Mais,comme
une fleche, le cheval avait de nouveau sautepar dessuset se laissa
tomber
derriere elle.Fet
Frumos
lui avaitdecroche unetâte,et allait lade'capi- terdela seconde, puisdelatroisieme, maislascorpionne toute en larmes dejaluiclamait merci,jurantde ne rienlui faire, et,pour l’en assurer, lui souscrivantunechartedeson sang, par quoi elle se departissaitde toute maliceâson egard. Puiselle fdta, de sonmieux, Fet Frumos,lascorpionne,
mieux
encore quelapivert.Fet
Frumos
lui rendit sa t£teet la lui ressouda. Alorselleinsista voulant lui donner en heritage ses terres, mais Fet
27
Frumos
refusa, repondant:—
Jecherchelajeunesseinalterableetla viecternelle.Trois jours apres,ilss’en furent, Fet
Frumos
etsoncheval, plus loin.Sur legrand
chemin
dumonde,
ilsallaient,allaient, allaient...Ils franchirent une longue distance et uneautre pluslongue encore.
Et
ils abandonnaient derriereeux
Iesfrontieresdela scorpionne... Ils allaient, allaient, allaient,ilsfranchirent une longue distance etuneautreplus longueencore, et ilsabouti- rent a unchamp
petri de fleurs, rien que des fleurs, a undomaine
ou il n’y avait quele printemps.Chaque
fleur etait particulierement belle et fiere; sonar6me doux
etenivrant.On
percevait une brise legere, â peinesensible, unebrisede parfums.Au
loinon voyait uneforât.Ilss’arreterentpoursereposer; lechevalparia:
28
—
Jusqu’ici, tant bienque
mal, nous avonspasse, Maître,mais il nous reste a subir encore une epreuve: nous allons courir un grand danger, seulement, siDieu nousprâte main-
forte, nous serons braves.
—
C’estdevantnouslepalaisdelajeunesseinalterableetdelavieeternelle;ce palaisestentoure d’unfourre epaisethaut,haut....repairedetoutesIesb£tesIes plus ferocesdelacreation. Nuit et jour,sansrepos, sanstrfeve, elles veillent, innombrables. Pas
moyen
de lutter avecelles.Quant
a traverser cette foret,impossible!Nous
tâcheronsdelafranchiren volantpardessus.
Deux
joursde reposecoules,ilss’appr£terent.Puislecheval,retenantsonsouffle, dit
:
—
Maître, serre la sangle tantque
tupourras;unefoisenselle, adhere fortement
aux
etriers, cramponne-toi ama
cri-29
nibre, colle tes jarrets â
mes
flancs; arrange-toidesorte ane pas perdrel’equilibrequand
jem’envolerai.Fet
Frumos monta
ets’assurade lui-m£meparun essai: en un clind’oeilchevalet cavalier furentpre
delafor£t.—
Maître, dit le cheval, c’est maintenant l’heure ou l’ondonne
amanger aux
bâtes fe'roces reunies dans la cour dupalais. L’occasion est belle, tâchonsde passer.
—
Passons, re'pondit Fet Frumos,etque Dieu ait pitiede nous.Ilss’elevbrentjusqu'auciel... Ilsapercevaient loin,souseux, quelquechosedesi briliant,desietincelant,qu'on pouvait re- garderle soleil, maiscelaquietaitun palais,
non
!Ils franchirent laforâtsansencombre.Juste au
moment
ouils allaient selaisserchoirau bas du grandescalier palatial, ils effleurferentdu piedla cimed’unarbre,etaussitbttoutelafordt
30
de vibrer: pas un arbre qui nefuten
mouvement;
Iesfauves hurlbrent si fort que la chevelure de FetFrumos
sedressa massuesur sat£te.En
hâte ils tombferent; si ladoamna
,
châtelaine et prin- cesse du palais, nese futheureusementtrouveela, donnantâ
manger
a ses poussins(comme
elle appelait Ies bâtes de la foret), ilseussentetecertainement devores.Elle Ies sauva surtout de joie de Ies voir,carde sa vieelle n’avait vu
âme humaine
chez elle. Elleemp£cha
Ies fauves d’approcher,Ies calmaet Iesrenvoya danslafor£t.La
princesseetaitunefee de hautetaille, mince, charmanteetbelle
comme
il n’enfut.En
la voyant, FetFrumos, demeura
interdit, mais ellele regardaitavec misericordeetluidemanda:
3i
—
Soisle bienvenu,Fet Frumos, quecherches-tuici? II dit:
— Je
cherchelajeunesseinalterableetla vieeternelle.Ellerepondit :
—
Sic'est cela,vousy
Ctes!Alors Fet
Frumos
descendit de cheval et entra dans le palais.II
y
trouva encoredeux
femmes, toutesdeux
jeunes, qui etaient Ies sceurs del’aînee;il
commena
par remercier lafee qui l’avait sauve dusupreme
danger. Alors toutes trois joyeuses lui servirentun
riche repasdans delavaisselle d’or.Le
cheval on le laissa paître oubon
lui semblait; puisIes
trois feespresentbrenta Fet
Frumos
tousIesfauves, afin qu’il putdesormaissepromener
danslafor£ten toutesecurite.Les fees prierent Fet
Frumos
d’habiter dorenavant avec32
‘£u>
V
i/f/uiuiIMvwM-
—
Car, disaient-elles, noussommes
lasses devivreseules.Lui n’attenditpasqu’ellesledemandassentencoreunefois et accepta avec la reconnaissance d’un qui, justement, ne souhaitaitquecela.
Peu
a peuilss’habituerentIes unsauxautres,illeurraconta son histoire, tout ce qu’il avaitendure pourparvenir jusqu'âelles.
Apres
pas mal de temps, ils’unit mânieavec lafee la plus jeune.Ce
fut a l’occasion de ses nocesque
Iesfees luipermirent de parcourir a loisir tous leursdomaines, en toussens, n’im- porteou ilvoudrait,sauf
en unevalleequ’ellesluiindiqubrent, et ellesajouterent:
—
11t’y arriverait malheur; cet endroit senomme
leot/deslainentations.
34
II vecut lk, ne s’enapercevant pas,un
temps
incompte,un
temps immemorial,un
tempsoublie . . .caril restaittoujours aussi jeuneque
le jour de son arrivee; du matin au soir ilerrait dans Ies bois et Iespalaisdores toujours
nouveaux
; ilcoulait desjours paisiblesdans uneintimiteharmonieuse avec sa
femme
et Ies soeurs desafemme
;comme
un bienheureuxil se repaissaitde labeaute desfleurs et deshorizons, jouissait de la douceur et de la purete de l’air; ilallait souventala chasse.
Un
jour qu’il poursuivait un libvre,il luidardaune flfeche, puis une seconde, sansl’atteindre. . .Contrarieil lepoursuit encore et lui lance une troisifeme ffechequil’atteignitenfin;
mais, a cette poursuite le malheureux Fet
Frumos
n’avait pas pris garde et il etait entre dans levaldes lamentations.II ramasse son li&vre et rentre: mais, choseetrange, ilse
35
sent tout a coup saisirdu dorinfim,de l’infini deirderevoir son pere et sa mbre. IIn’osapointen parler
aux
fees, maisa son trouble et a sa tristesse ellesconnurentcequise paissait en lui;atterreesellesmurmuraient
:
— Tu
es entre, malheureux, dans la vallee des lamenta- tions!Et
leursyeux
remplisdelarmessedisaient leureffroi.—
J’y suisentre,mes
cheres, sansy
prendregarde, etmain- tenant jeme consume
du dor demes
parents!Mais vousnon
plus, je n’endure pasde vousquitter;jesuisavecvous depuis bien des jours, et je n’ai eprouve aucun chagrin
;j’irai donc revoir
mes
parents pour un peu detemps,puisjereviendrai pourtoujours. ..
— Non,
bien-aime, non,ne nous quittepas...depuisplu- sieurs siecles tes parents ne sont plus de cemonde,
etnous36
craignonsquetoi,si tupartais,tune reviennesplus.Resteavec nous,notrepressentimentnous dit
que
tu periras!Mais rien ne put dissiper son dor; ni Ies prieresdestrois
femmes, ni celles deson cheval. Rien neput chassersondor,
ledor dont ilde'perissait.
Alors son chevalluidit
:
—
Maître, ecoute Mais sache bien quetoiseul serascausede tout cequipourrat’arriver.Jevais teproposerune chose
;
seulementsitul’acceptes, jepourrai teramener.
—
J’accepte, remerciaFet Frumos, propose.— Des que
nous arriverons au palais de ton pfere, si tu voulaisy
rester, fîlt-ce une heure, je t’y laisserais etseulje reviendrais.—
Ainsisoit-il, reponditFet Frumos.Ilssepreparentau voyage, embrassent Iesfees ets’en vont,
Ies laissant dolentes, soupir au cceur, larmes
aux yeux
.. .Ils arrivferent au
domaine
de lascorpionne . . . Maisla, ilstrouverent des villes, Ies forâts
muees
enchamps
cultives . . .Aux
passants ils demandaient des nouvelles de la scor- pionne et de son antre. Ceux-ci repondaient etonnes qu’ils n’en savaient rien, maisqu’ilscroyaientsesouvenirqueleurs ai'eux avaientvaguement
entendu parler de ces legendes pueriles deleurs arriere-anc£tres!
— Comment!
est-cebien possible? leurdisaitFet Frumos,il
y
aquelquesjours a peineque
j’aipasseici.Et
il leurracon-taitcequenagufere ilavait vu.
Mais Ieshabitantssemoquaient delui
comme
d’unhomme
qui divagueouquirâveIes
yeux
ouverts...Lui fâche s’en allait. Maussade, ils’enallait sanss’aperce- voir
que
sesclieveuxetsabarbegrisonnaient...38
Arriveau
domaine
delapivert,m£me
changement.II fit Ies
m£mes
questionsquesurIesterresdelascorpionne,il
reut
Iesmâmes
reponses.II ne pouvait
comprendre comment
ces lieux, ensipeu de jours,avaientpu setransformersicompletement.II s'en allait, fclie. Maussade, il allait. Sesjambes faiblis- saient.
Sa
barbeallongee blanchissaitjusqu’laceinture.Lentement, peniblement, enfin il arriva a l’empire deson pere.
La, d’autres
hommes,
d’autres villes: Ies vieilles choses etaientsichangees!levoyageur neconnaissait plus rien.IIarriva enfindevantlepalaisouiletaitne...
Une
ruine.La,il mit pieda terre.
Alorsson chevallui baisala main
:
39
— Que
ta volonte s’accomplisse.Adieu
Maître!Bonne
sânte.
Moi
jeretourne a l’endroitd’ou nousvenons. Situveux
jamaisy
revenir,jamais,hâte-toid'immediatement remonter enselle. Hâte-toi,et partons, partons...Mais Fet
Frumos
etaitsi e'puise, si use,siâge,sitriste,qu'il repondit:
—
Retourneseul,enbonne
sânte. J’espere aussiterejoindre prochainement.Le
cheval etaitdejâloin,dispru
a l’horizon.Chancelant,Fet
Frumos
erraitdansIespalaisdemi-ecroules, a grand peine se frayantunchemin
dansIesherbes sauvages.II se mit a soupirer et âpleurer
comme
unenfant. 11cher- chait â se ressouvenircomment
tout celaetait, ilcherchaitâ se rappeler la splendeur d’autrefoisaux
joursimmemoriaux
de son enfance. Etait-ce donc bien vrai, il avaitdoncetelâ40
jadis?
Deux
outroisfoisil fitletour, visitanttoutesIescham-
bres,investiguant chaquecoin,recherchanttoutcequipouvait
lui rappelerunvestigedu passe:l’ecurieou ilavaitdecouvert son cheval; Ies caves, Iesofficesquiavaientetecombleespar Iesdecombres...
Sa
barbe etaitneigeuseetlongue jusqu’auxgenoux. Fure- tant partout, poury
voirilsoulevait maintenantsespaupieres desesdoigts.II pouvait â peine se traîner... II s’affaissa
pre
d’un vieux bahutvermoulu... IIput encorel’ouvrir...Rien dedans...IIput encore pousser le couvercle â secretde lacachette; unevoix faible, apeineun souffle, glissaentreIeshuis:
—
Soislebienvenu, carsi tuavaistardeencore,moi mtme
je neseraisplus, tu ne m'eussesplustrouvee!
4'
Le
souffle le frdla. . . C’etait samort
luiquis’etaitdes- sechee et ratatineeet pulveriseedanslacachettea l’attendre, etqui s’envolaiten fumee.Fet
Frumos tomba
raide.Instantanementson cadavrese
decomposa
. . .II n'yevit plusque dela cendre. ..
Un
peu d’air l’eparpilla.Et moi, je suis
monte
en sellepourvenirvousleraconter.WlLLIAM RlTTER,
traducteur.42
TIR AGE.
II ne sera tire de ce livre que 250 Exemplairesnumerotes. dont No.
x—
10 sur parchemin.IMPRIME
PAR
M OU TON & O.
LA HAYE.
Les caracteres de la couverturegravesen bois et les feuilles de garde lithographiees
PAR
G.
W. DIJSSELHOF.
£SH