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Le Salève ou "l'île promise" des Genevois

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Academic year: 2022

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Le Salève ou "l'île promise" des Genevois

RAFFESTIN, Claude

RAFFESTIN, Claude. Le Salève ou "l'île promise" des Genevois. In: Le grand livre du Salève . Genève : Tribune Ed, 1988. p. 10-21

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:4429

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UNE QUESTION ETERNELLE...

p. 8 Vue de Genève depuis l'arri- vée du téléphérique.

Vue de la rade depuis l'Observatoire.

LE SALEVE OU « L'ILE PROMISE » DES GENEVOIS

Cl. Raffestin Depuis presque trois millénaires, la pensée occidentale n'a pas cessé de poser une question fondamentale à propos de la Terre : ses éléments, ses reliefs, ses configurations ont-ils influencé la nature mo- rale et sociale des individus et ont-ils eu une influence dans la forma- tion du caractère et de la nature de la culture humaine ? Cette ques- tion, sans doute posée la première fois par les Grecs, a généré beaucoup de réponses et de théories qui ont nourri toute une littéra- ture déterministe dans laquelle les uns et les autres ont cherché à différencier l'homme du Nord de celui du Sud, l'homme des plaines de celui des montagnes et l'homme de la terre ferme de celui de la mer.

Tentatives vaines, mais non pas inintéressantes, ces réponses ont fini par lasser les savants qui laissèrent prendre le relais aux poètes et aux romanciers qui ont découvert au travers de leur subjectivité une chose essentielle, à savoir que l'influence des paysages ressortissait moins à

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la physique qu'à la métaphysique. Ainsi L. Durrell, dans Landscape

and Character, exprime sa conviction que les caractères sont des fonc tions du paysage.

L'empreinte du territoire

Souvent profondément marqués par leur paysage, les hommes sont « sculptés » par des images et des rythmes à l'unisson desquels se déroule leur existence. Abrités, identifiés et rassurés par l'atmosphère d'un paysage familier, les hommes deviennent inquiets, voire angoissés, lorsque les relations profondes avec leur univers quotidien sont perturbées.

La territorialité humaine, c'est-à-dire les relations que les hommes entretiennent avec l'environnement physique et l'environnement hu- main, est faite de la pratique de certains repères dont la permanence rend l'action plus aisée. Mais elle est faite aussi de repaires où l'on vient se réfugier et que l'on investit d'un imaginaire poétique.

Le Salève est, pour les Genevois, un repère « è » et un repaire « ai ».

La charge affective est telle que ce n'est plus une montagne comme une autre mais une sorte de « mont sacré » que, de l'enfance à la vieillesse, le Genevois escalade, parcourt, explore et surtout apprend à aimer.

D'ailleurs, ne nous serait-il pas d'autant plus cher que nous en sommes séparés par le fil ténu d'une frontière qui, chaque fois, nous rappelle l'entêtement des hommes, le poids des enjeux même infimes, bref la vanité du pouvoir et les fantasmes de l'histoire ?

Ferdinand Hodler (1853-1918), "Le lac Léman avec cygnes» 1915, huile sur toile, 60 x 123,5 cm.

Moïse Louis Hess (1778-1851), peinture sur émail, 13 x 10,5 cm.

II.

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LE SALEVE ET LA NOSTALGIE GENEVOISE

Vue de la plaine et du Fort de l'Ecluse.

L'île

Elément du fer à cheval montagneux qui enserre Genève, le « Sa-lève forme une île au milieu de l'extrémité méridionale de la plaine suisse...

(A. Favre). Impression renforcée par les brouillards d'au-tomne ou d'hiver lorsque le bassin genevois disparaît dans un bouil-lonnement laiteux alors qu'au-dessus de 800 m le ciel est serein et la température élevée. Phénomène fréquent auquel F. Coppée a fait écho dans des vers :

C'est un de mes plus vifs souvenirs.- A Genève, Par un brouillard épais, me trouvant, en hiver, Avec un bon ami, pour revoir le ciel clair, . ' J'ai gravi lentement les pentes du Salève.

Combien de Genevois ne sont-ils pas allés ainsi à la poursuite du soleil !

Mais le Salève est aussi une île d'où l'on peut embrasser d'un seul regard tout le paysage, comme H.B. de Saussure aimait à le faire depuis le village de Monnetier : « Le Genevois qui voit de là sa patrie comme un point au milieu de cet espace, est saisi d'une douce émo- tion ; ce point, quelque petit qu'il paraisse, emplit tout son cœur : ses vœux les plus ardents sont pour ceux qui l'habitent. Il distingue la petite enceinte de son port, ses promenades, ses remparts : il reconnaît les territoires des trois Etats qui l'environnent, et il se réjouit de cette heureuse position qui est le plus sûr garant de son indépendance».

Un observatoire...

Le Petit Salève est un remarquable observatoire pour découvrir l'espace géographique de Genève et de Saussure ne s'y trompe pas lorsqu'il ajoute : « En remontant le Grand Salève, la vue du côté du lac ne devient pas à mon gré plus belle que de Monnetier; les objets s'éloignent et se rapetissent trop, la plaine se change en une carte de géographie... C'est alors la découverte de l'espace géométrique».

Observatoire à double échelle, le Petit et le Grand Salève fondent deux regards différents, deux visions complémentaires. L'un est le regard sensible qui s'attache aux lieux du vécu quotidien, aux lieux familiers où l'on imagine ceux que l'on aime en train de vivre. Lieux d'autant plus émouvants qu'on en est séparé momentanément. C'est un regard tout embué de nostalgie qui laisse, en un instant, imaginer ce que serait l'exil qui condamnerait à voir sa patrie sans pouvoir s'y rendre. Occasion unique de découvrir tout ce qui relie à un lieu et tout ce qu'on lui doit.

L'autre est le regard du savant, du cartographe qui pense déjà à la représentation du paysage. C'est le regard du naturaliste qui interprète les différences de coloration du paysage, qui formule des hypothèses, qui déduit ou induit et cherche à expliquer. Regard plus aigu, plus attentif aussi, mais néanmoins plus pauvre car plus spécialisé et dont toute nostalgie est éliminée.

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Nostalgie...

Amiel, pour qui le paysage était un état d'âme, a posé sur le Salève un regard sensible et un peu triste : « Encore un jour qui baisse. Sauf le Mont Blanc, toutes les montagnes sont déjà décolorées. Le frais du soir succède aux ardeurs de l'après-midi. Le sentiment de l'implacable fuite des heures, de l'emportement irrésistible des jours me saisit de nouveau et m'oppresse ». Pourtant chaque matin lui rend la sérénité et à Mornex il écrit, le 21 avril 1865 : «Je n'ai pas encore senti l'air aussi pur, aussi vivifiant, aussi éthéré, depuis cinq jours bientôt que je suis ici». Et toujours de Mornex, le 11 avril 1868, il note: «Il y a dans le paysage une sorte de douceur nuancée et de grâce attiédie, et déjà j'éprouve un certain bien-être, je goûte la joie de la contemplation...

Ici plus de résistance, de négation, de blâme ; tout est affirmatif ; on se sent en harmonie avec la nature, avec le milieu que l'on résume. On s'assure à l'immensité des choses. C'est bien ce que j'aime».

Le Salève est bien pour Amiel cette «île promise» à côté de Ge- nève. Emporté dans le tourbillon de la nostalgie, Amiel découvre des moments de paix intense. Mais il n'est pas le seul, comme en témoi- gnent ces vers de G. Favon :

Que j'aime mon Salève et sa cime rocheuse!

Chaque pierre à mon cœur retrace un souvenir.

et ceux de Petit-Senn :

Sur ses rocs décharnés se dirigent sans cesse les souvenirs de la vieillesse et les pas de l'adolescent.

La nostalgie est une caractéristique bien genevoise que René-Louis Piachaud s'est plu à relever tout en la raillant, par pudeur sans doute :

« Sachez que Genevois sans souffrance morale est comme gigot sans ail et salade sans chapon (France eut dit: comme boudin sans mou- tarde): C'est Genevois insipide».

Le Salève est une partie intégrante du paysage genevois et tout autant que la campagne, le lac, le Rhône et l'Arve, il a modelé le caractère genevois qui offre simultanément la souffrance et la joie et qui est à l'image de ces jours d'hiver qui superposent brouillard et soleil.

« Quelques rarissimes exceptions mises à part, le paysage, en tant qu'objet représenté pour lui-même et non comme « milieu » ou

«fond» pour mettre en scène une composition de personnages hu- mains et/ou divins, est presque inexistant dans l'art occidental jus- qu'au XVIe siècle. » (E. Carli)

Pourtant l'une de ces exceptions, qui rompt la continuité du pay- sage symbolique du Moyen Age, est fournie par le chef-d'œuvre de Conrad Witz, La Pêche miraculeuse. Conrad Witz, admis en 1434 dans la « Zunft zum Himmel » à Bâle, est un peintre qui, par son œuvre, réalise la transition entre le gothique tardif et la Renaissance.

Invité à se rendre à Genève par le cardinal François de Mies, évêque de Genève, pour exécuter le retable du maître-autel de la cathédrale

... ET LE SALEVE DEVINT UN PAYSAGE !

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LE SALEVE : UN LABORATOIRE EN PLEIN VENT

Saint-Pierre, il peindra, entre autres, la fameuse Pêche miraculeuse qui dénote, chose nouvelle, une prise en compte de la nature réelle. La représentation d'un paysage réel indique assez clairement que pour l'homme du XVe siècle, le sentiment de la nature est en train d'émer- ger et que la connaissance perceptive du monde extérieur le préoccupe de plus en plus.

La Pêche miraculeuse est une merveille d'équilibre dans la compo- sition qui donne autant d'importance au Christ drapé de rouge qu'aux éléments du paysage genevois avec le lac au premier plan, le Salève et le Môle au second plan, et les Alpes à l'arrière-plan : « Cette œuvre constitue l'exemple le plus significatif de fidélité à un paysage réel de toute la peinture du XVe siècle » (E. Carli). Selon Kenneth Clark, cette représentation est demeurée exceptionnelle pendant un demi-siècle.

Quasiment un paysage éponyme dans la peinture du XVe, la Pêche miraculeuse a inventé le. Salève. Paysage fondateur dans lequel le natu- ralisme s'allie à une modernité picturale étonnante, le tableau fait du Salève, lieu géographique parmi d'autres, une œuvre produite par la culture humaine. De simple lieu modelé par la nature, le Salève, grâce au pinceau de Conrad Witz, est devenu un jalon dans l'histoire du paysage. La contemplation de cette œuvre a-t-elle contribué à forger l'intérêt des Genevois pour cette montagne quelque peu sacralisée à partir du XVIIIe siècle ? Fondamentale, l'étude qui chercherait à retra- cer l'histoire de la contemplation du Salève médiatisée par la pêche miraculeuse! Mais c'est une autre histoire...

La fabuleuse instrumentation de la science actuelle nous fait par- fois oublier que les sciences naturelles ont d'abord été construites sur la base d'observations directes, attentives et inlassablement répétées de la nature. L'art d'observer la nature que l'on avait sous les yeux et à portée de la main a été pendant longtemps le « premier instrument » des naturalistes. Cet art, auquel Jean Sénebier a consacré un traité à la fin du XVIIIe siècle, a permis d'élaborer les premières théories explica- tives. La territorialité des naturalistes est faite de relations directes et immédiates avec les choses de la terre, qu'elles soient inorganiques ou organiques: c'est en somme le triomphe de l'«extrospection» sur l'introspection.

Des scientifiques montagnards...

De Saussure, dont le nom est indissolublement lié aux Alpes et particulièrement au Mont-Blanc, accumula sur le Salève des observa- tions géologiques. Fasciné par l'espace tellurique et par son caractère déchiqueté et chaotique, il a cherché des lois générales qui pouvaient rendre compte des singularités de la nature. C'est ainsi qu'il a pres- senti l'importance des fossiles pour la datation des couches géologi- ques : « Constater s'il y a des coquillages fossiles qui se trouvent dans les montagnes les plus anciennes, et non dans celles d'une formation plus récente, et classer ainsi, s'il est possible, les âges relatifs et les époques de l'apparition des différentes espèces» (cité par A. Favre).

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... aux «varappeurs» de la science

Très proche de Genève, le Salève a été, depuis le XVIIIe siècle, le laboratoire de plein vent où les naturalistes sont venus exercer leur observation sagace. Les informations recueillies ont largement contri- bué à faire progresser la géologie, la paléontologie, l'entomologie, la botanique et bien d'autres sciences encore. Si leurs œuvres ont aujour- d'hui une signification plus importante pour l'histoire des sciences que pour la science elle-même, elles n'en constituent pas moins des jalons essentiels dans la compréhension des phénomènes naturels. Que l'ori- gine du vallon de Monnetier ne puisse être attribuée, comme le pensait Saussure, à un courant descendant des Alpes par la vallée de l'Arve importe peu si cela a permis à De Luc, en 1799, de mettre en évidence, dans un mémoire, des processus d'érosion dont la puissance explica-

Conrad Witz (1400/1410 - vers 1446 ?), «La pêche miraculeuse»

1444, huile sur toile, Tempera, 13 2 x 154 cm.

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LE SALEVE, AUJOURD'HUI: UN TERRAIN DE JEUX ET D'ENJEUX

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tive était beaucoup plus grande. Ainsi, d'observation en observation, d'hypothèse en hypothèse, les « varappeurs » de la science ont ouvert des voies nouvelles aux sciences de la terre. C'est pourquoi il n'est nullement exagéré de prétendre que « Nulle montagne n'a été peut- être plus précocement explorée, décrite et célébrée que le Salève. Géo- logues et naturalistes, botanistes et préhistoriens en ont fait le lieu de leurs recherches et le banc d'essai de leurs théories... (P. Guichonnet).

L'école genevoise de géologie d'A. Favre à Paréjas, Jayet et Lom- bard, en passant par J. Favre et Joukowsky, entre autres, a trouvé dans le Salève son terrain d'élection. J'ai eu la chance d'être un élève de Paréjas et de Jayet, et je peux témoigner avec émotion de la science extraordinaire de ces deux professeurs qui cachaient, sous un aspect pour le moins bourru, une très grande sensibilité.

Mais le Salève est aussi un espace tout grouillant de vie qui a suscité une intense activité de la part des botanistes et des entomolo- gistes, et là encore « on trouverait difficilement, dans le monde entier, une montagne quelconque que les botanistes aient plus étudiée et sur laquelle ils aient plus écrit que celle du Salève» (J. Briquet). Ville classique de la botanique, Genève a patiemment répertorié la flore salévienne et, déjà au XIXe siècle, Fauconnet, dans ses Herborisations à Salève, a résumé toutes les recherches de l'époque. Mais outre les savants, que de botanistes du dimanche ont herborisé pour leur plai- sir, ramassant des espèces alpines ou méridionales, plus rares, pour les conserver dans des herbiers qui furent autant de « livres de souvenirs » des inoubliables journées passées à courir la montagne !

Les insectes du Salève procèdent des Alpes, du Jura et du plateau et ne sont pas spécifiques à cette montagne. Pourtant, ils ont été étudiés par le patient Huber, qui a consacré sa vie à l'entomologie, et par le célèbre Bonnet, qui a laissé une œuvre considérable derrière lui. La faune des vertébrés a, également au XIXe siècle, suscité des travaux de V. Fatio, de E. Pittard et de Necker, Mollet et Lunel, sur les oiseaux en particulier.

Le «géant» auquel les mythes populaires attribuent la «construc- tion du Salève » peut être fier de son œuvre, car il a fourni à tous les curieux de la nature, à deux pas de chez eux, tous les éléments néces- saires à la satisfaction de leur contemplation.

Même l'archéologie préhistorique a trouvé de quoi se satisfaire avec les abris sous roche de Veyrier. En effet, des Magdaléniens sont venus s'installer à la base du Grand Salève il y a environ 10.000 ans.

Ces groupes de chasseurs recherchaient la perdrix des neiges, le renne, le cheval sauvage, le lièvre arctique, etc. Ils appartenaient à la race de Cro-Magnon. Là aussi, le Salève a fourni son poids d'informations à la préhistoire et a donné l'occasion de faire de l'archéologie préhistori- que aux Genevois (cf. chap. 2, A. Gallay).

Bien qu'exploré par les Genevois depuis le XVIIIe siècle, le Salève n'est pas devenu un lieu de promenades et d'excursions pour la majo- rité des Genevois avant la seconde moitié du XIXe siècle. Jusqu'alors, la campagne commençait immédiatement après les fortifications et

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l'on pouvait se délasser dans les alentours immédiats de la ville. Avec le démantèlement des remparts après 1850, la physionomie de la ville et de ses environs va changer.

Le Salève genevois ?

La naissance de la «grande industrie» après 1860 et l'augmenta- tion de la population ouvrière vont modifier les rapports avec l'envi- ronnement; par ailleurs, la naissance de la grande Zone, après le rattachement de la Savoie à la France, va faciliter une osmose entre l'ancien territoire sarde et Genève. La frontière, bien que toujours présente, sera, et cela jusqu'en 1914, d'une perméabilité extraordi- naire : Genevois et Savoyards noueront des contacts et des relations de toutes sortes comme jamais auparavant. L'immigration genevoise de la fin du XIXe siècle sera massivement savoyarde, donc à forte com- posante régionale. Pendant tout un demi-siècle, on a certainement

«oublié», à Genève, que le Salève était en France. Les événements consécutifs aux deux guerres mondiales ont effacé ce sentiment de familiarité et ont redonné à la frontière son caractère d'obstacle. Et si le Salève n'est décidément pas à Genève, les Genevois n'en ont pas moins continué à le gravir et à le parcourir, comme l'ont fait très tôt ceux qu'on appelait, au XIXe siècle, les varappeux avant d'être les varappeurs de l'époque actuelle.

Le Salève est un espace de loisir pour les Genevois en fin de se- maine, selon que les conditions climatiques sont bonnes ou mauvaises.

Les jours fériés ensoleillés voient déferler un grand nombre de prome- neurs, de pique-niqueurs et de sportifs. On s'en doute, la perception des Genevois et des Savoyards n'est pas la même. - Là où les premiers perçoivent le mouvement « naturel » de citadins vers des zones de détente, les seconds perçoivent une horde qui per-turbe et dérange... Il en résulte parfois des conflits qui alimentent un vieux contentieux psychologique illustrant le célèbre rapport ville- campagne qui s'enracine dans l'échange inégal. Certes, les choses ont changé, car malgré les apparences toute la région est urbanisée, du moins dans les formes de vie sinon totalement dans la morphologie.

Au classique rapport ville-campagne s'en est substitué un autre, non moins chargé de signification, à savoir celui défini par la densité : zone à forte densité — zone à faible densité. Les enjeux ne sont plus écono- miques et sociaux mais culturels. Les vieilles tensions changent de forme mais demeurent... Les zones à faible densité éprouvent le senti- ment d'être des espaces de décharge.

Les flux du week-end...

Au Salève, la « décharge » des promeneurs se fait sentir dans la commune de Monnetier-Mornex, et ensuite dans celles de Collonges- sous-Salève, de Beaumont, d'Archamps et de la Muraz. Au fur et à mesure que l'on va vers Cruseilles, la concentration tend sensiblement à diminuer. On ne dispose malheureusement pas de données statisti- ques pour apprécier l'ampleur du phénomène. Néanmoins, une en- quête conduite il y a une quinzaine d'années à partir des voitures

François Huber (1750-1831), ento- mologiste de renom qui a effectué de remarquables observations sur le monde des abeilles. Son œuvre prin- cipale, à ce sujet, fait encore autorité en la matière.

Charles Bonnet (1720-1793), ento- mologiste et physiologiste. Il étudia tout particulièrement le comporte- ment des invertébrés en physiologie végétale. Il s'intéressa entre autres à la reproduction des plantes et à l'ac-tion de la lumière par photosynthèse.

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Vue de la tour de télécommunication : I. versant nord-ouest.

stationnées sur le Salève un dimanche de mai a donné les résultats suivants :

Les escaliers de la grotte d'Orjobet.

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Professions Nombres absolus % professions scientifiques et libérales 89 18,7%

directeurs et administrateurs 15 3,2%

personnel administratif 126 26,5 %

personnel commercial et vendeur 20 4,2%

personnel des services 19 4,0%

agriculture 12 2,5 %

ouvrières et manœuvres 158 33,3°/°

sans profession indiquée 36 7,6%

Ce type d'enquête, très peu représentatif, est évidemment à manier avec beaucoup de précautions, mais il donne une image impression- niste qui ne manque pas d'intérêt, car il révèle grosso modo le spectre - socio-économique de la population résidente genevoise qui fréquente le Salève. Si l'on pousse plus loin en prenant en compte la structure

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Les voûtes du Petit S a l è v e s o n taussi un lieu très fréquenté par les promeneurs.

2.. Versant sud-est.

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L'un des nombreux écriteaux qui jalonnent le Salève, malheureuse- ment peu respectés par les visiteurs du dimanche.

par âge d'une part et la nationalité d'autre part, on découvre que le;

migrants du week-end sont surtout des jeunes de 30 à 40 ans accom pagnes de leur famille. La promenade au Salève est essentiellement di type familial. Quant à la nationalité, 3 8 % étaient des étrangers, 3 3 % des Genevois et 2.9 % des Confédérés. Sans vouloir faire une interpré- tation par trop précise, on peut noter pourtant que les étrangers et le;

Genevois sont légèrement surreprésentés contrairement aux Confé- dérés. Y aurait-il un comportement différent vis-à-vis du Salève selon la composante ethnique, et pourquoi les Confédérés y seraient-ils moins attachés ? La question demeurera sans réponse si l'on veut évi- ter de fabuler. Cependant, on peut faire l'hypothèse que pour le Confédéré qui n'est pas né à Genève et qui est venu s'y installer à l'âge adulte, le Salève n'est pas une montagne vécue depuis l'enfance. N'est- il pas étonnant, par exemple, que Gonzague de Reynold, ce Confédéré emblématique, lorsqu'il décrit Genève dans Cités et Pays suisses, ignore complètement le Salève ? Arrêtons-là nos hypothèses.

Jocelyne Burgener, l'auteur de l'enquête, a fait une observation tout à fait intéressante. Elle a constaté qu'au fur et à mesure « que l'on s'élève le long des flancs du Salève, on « s'élève » également dans la catégorie socio-professionnelle». S'il fallait expliquer cette reproduc- tion spatiale de la stratification sociale, il y aurait à tenir compte d'un nombre élevé d'éléments tels que sites, répartition des auberges et restaurants, âge des migrants, nombre d'enfants, etc. La plupart des migrants du week-end proviennent de la ville de Genève ou des com- munes suburbaines, surtout celles de la rive gauche. Les habitants du Lignon et de Meyrin sont relativement moins orientés vers le Salève que ceux des Palettes et de la Gradelle. C'est un effet de proximité assez évident qui n'appelle pas de commentaire.

... et les flux de capitaux

Mais le Salève n'a pas seulement une valeur d'usage, il a aussi une valeur d'échange qui s'actualise au travers de l'appropriation de ter-

Les chalets du Pas-de-1'Echelle dans les années 30. Le début d'une ap- propriation genevoise du sol savoyard.

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rains de maisons et de chalets. C'est tout le phénomène de l'emprise foncière par la migration des capitaux. Là aussi, il y a un phénomène de déversement par-dessus la frontière qui certes permet à des urbains de satisfaire leurs besoins d'espace personnel, mais qui provoque en même temps une augmentation des prix du terrain. Augmentation créatrice de tensions et de réactions, car les disponibilités financières des Savoyards sont en moyenne inférieures à celles des Genevois.

L'emprise foncière n'est pas la même partout. Trois communes sont fortement touchées : Bossey, Collonges-sous-Salève, Archamps ont plus de 25 % de leur surface contrôlée par des propriétaires genevois.

Les communes de l'extrémité nord-est, comme Etrembières et Monne- tier, sont «genevoises» pour 15 à 25% de leur surface. Les autres communes connaissent une pression moins forte, entre 5 et 15%, et même moins de 5 % pour Cruseilles. La densité des maisons et chalets est également plus forte pour les communes du nord-est et celles du flanc occidental du Salève que pour les autres régions. Cette accumu- lation, outre qu'elle pose des problèmes d'aménagement aux commu- nes françaises, est un facteur non négligeable de modification du pay- sage. Dans quelle mesure l'écosystème du Salève est-il menacé dans son équilibre ? L'étude n'ayant pas été faite, il est difficile d'avancer une interprétation, mais une chose est certaine, c'est que cette emprise genevoise se combine avec la forte urbanisation conditionnée par les frontaliers qui se focalisent fortement dans ces zones pour être plus proches de leur lieu de travail.

Les rythmes urbains

A cet égard, l'habitat quotidien pose évidemment plus de problè- mes que l'habitat de week-end. Mais là encore, le phénomène de pen- dularité des frontaliers est conditionné par Genève, dont l'attraction en matière de travail est considérable : en un quart de siècle, le nombre des frontaliers a décuplé ! Dans les communes du Salève, il n'est pas rare que plus de 25 % de la population résidente soit constituée par des frontaliers, souvent il y en a de 15 à 25%. Depuis 15 ans; les frontaliers ont cherché à se localiser le plus près de la frontière et le pied du Salève s'est couvert de petites maisons habitées par des pendu- laires. Le paysage en a été sensiblement transformé et le caractère

« naturel » du flanc occidental du Salève a beaucoup perdu de son charme.

Comme l'a écrit J. Burgener fort justement: «Dans cette perspec- tive, le Salève porte l'inscription de différents rythmes urbains: le rythme quasi permanent de l'emprise foncière, le rythme quotidien du flux et du reflux pendulaire, le rythme éphémère et transitoire des fuites de fin de semaine ».

En un siècle, la territorialité du Salève a connu des modifications considérables, mais le « mont sacré » des Genevois demeure toujours vivant dans l'imaginaire régional et ne cesse d'alimenter la mémoire collective en souvenirs heureux et parfois, hélas, malheureux qui bali-

sent l'existence de la collectivité. p. 22 Cabane de l'Ermite sous les voûtes du Petit Salève.

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