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Albert Cohen et Julien Green, ces romanciers "français" venus d'ailleurs

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Academic year: 2022

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Version auteur Conférence publiée dans Romans et récits français, entre nationalisme et cosmopolitisme, dir. Anne CADIN, Perrine COUDURIER, Jessica DESCLAUX, Marie GABORIAUD et Delphine NICOLAS-PIERRE, Paris, Classiques Garnier, 2017, p. 393-416.

Albert Cohen et Julien Green,

ces romanciers « français » venus d’ailleurs

Jusqu’en 1940, j’avais écrit tous mes livres en français pour la bonne raison que, né à Paris, élevé à Paris et écrivain à Paris, je me considérais comme un écrivain français, bien que par ma naissance je fusse américain1.

Albert Cohen et Julien Green sont l’un et l’autre situés par Henri Godard sur les marges d’un courant qui constituerait lui-même une « parenthèse » dans l’histoire du roman français du xxe siècle : la contestation de l’illusion mimétique dirigée contre les modèles du siècle précédent reflue dans les années 1930 en même temps que le primat donné aux recherches formelles, au profit d’une floraison de romans travaillés par des interrogations existentielles ; les auteurs de ces œuvres persistent à créer des personnages pris en des histoires auxquelles le lecteur doit croire intensément2.De fait, Green et Cohen sont des romanciers de l’inquiétude existentielle ; ce sont aussi de puissants conteurs. Jeunes écrivains encore dans les années 1930, ils ont traversé l’époque du Nouveau roman sans que fût aucunement ébranlée chez eux la pulsion narrative.

Ils ont aussi en partage d’intéresser les études francophones, eu égard à leurs nationalités respectivement suisse et américaine, mais de façon relativement marginale là encore, en raison de l’ancrage parisien d’une part importante de leur existence et surtout de leur carrière littéraire. De fait, le sentiment aigu de venir d’ailleurs leur confère une position particulière : elle échappe largement aux problématiques postcoloniales autour desquelles s’est répandu le recours à la notion de francophonie et ne se définit pas non plus selon les critères culturels qui tracent les contours de littératures nationales dans les pays d’expression française. Ils n’en ont pas moins eu conscience d’introduire un ferment d’altérité dans une langue et une littérature romanesque perçues par eux comme douées des caractéristiques reconnaissables d’un esprit français.

Sans doute est-ce pour introduire quelque clarté dans la représentation complexe qu’ils se font de leur propre identité, cherchée entre terres ancestrales, terre natale, terres d’accueil, qu’il portent avec insistance leur réflexion sur un présumé esprit des peuples. Sous cet éclairage se dessinera l’image qu’ils se font d’un roman dit français et leur analyse de leur propre apport à son histoire.

1 Julien Green, « Mon premier livre en anglais », dans Œuvres complètes, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1972-1998, t. III, p. 1431 (nous soulignons). Touts les références aux œuvres de Green seront données dans cette édition, que nous désignerons simplement par l’abréviation OC.

2 Voir Henri Godard, Le Roman modes d’emploi, Gallimard, coll. Folio, 2006, p. 114-143. Henri Godard regroupe dans la catégorie du « roman existentiel » des œuvres aussi diverses que celles de Malraux, Céline, Guilloux, Giono, Bernanos, Bataille, Sartre, Camus ; il situe Cohen et Green sur les marges de ce courant sans doute parce qu’est moins sensible chez eux le refus de la psychologie – ce qui ne l’empêche pas de reconnaître que le goût de l’analyse est soulevé, dans leurs romans, par une réflexion plus métaphysique que psychologique sur la condition humaine.

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D’ici ou d’ailleurs ?

D’Orient en Occident

Albert Coen est âgé de cinq ans, en 1900, quand ses parents arrivent à Marseille ; des difficultés économiques les ont chassés de Corfou, dans le sillage d’un mouvement d’émigration déclenché en 1891 par un pogrom. Le jeune Albert doit à un grand-père issu d’une région turque d’être citoyen ottoman. À son arrivée en France, il s’exprime dans un dialecte vénitien qu’il avouera parler toujours à sa chatte3. À Marseille, il est scolarisé chez des religieuses catholiques, puis au lycée Thiers où il noue une longue amitié avec Marcel Pagnol. C’est à Genève, où l’attirent des études de droit puis de lettres, qu’il demande sa naturalisation, ajoutant à cette occasion un h central à son patronyme : le voilà suisse. Il prête le serment d’avocat, épouse la fille d’un pasteur protestant et entre au Bureau international du travail comme fonctionnaire à la Division diplomatique.

On ne s’étonne donc pas de voir les dictionnaires intégrer son œuvre à la littérature romande4. Mais la France peut aussi le revendiquer à plus d’un titre, outre son enfance marseillaise : il vécut plusieurs années à Paris et à Neuilly entre 1925 et 1940 et publia l’essentiel de son œuvre chez Gallimard5. Ces deux appartenances se conjuguent aisément : un article de l’Encyclopædia universalis fait remarquer que, de Rousseau à Cendrars, la France « s’est adjug[é] » nombre d’écrivains suisses – et que réciproquement les Romands considèrent comme leurs les auteurs français, dont la culture leur est « consubstantielle »6. Les écrivains romands se distingueraient toutefois par leur indépendance à l’égard des institutions universitaires ou médiatiques et leur imperméabilité « aux injonctions et aux courants qui enferment trop volontiers les œuvres dans des procédures créatrices, psychologiques ou linguistiques »7. Albert Cohen, de fait, se plaisait à affirmer : « Je ne suis pas un écrivain » pour se distinguer des professionnels de l’écriture – ce qui ne l’empêcha pas de repousser un poste d’ambassadeur de l’état d’Israël au nom de l’œuvre romanesque à accomplir8. Reste à voir si cette posture ne relevait pas d’un mythe romantique d’originalité plus que d’un trait spécifiquement helvète ! Quoi qu’il en soit, son inclusion dans le cercle des auteurs suisses ne résorbe pas la conscience de son exotisme : le même article le désigne comme « un Juif grec » de Genève, dont l’intégration témoigne de l’ouverture du pays aux « hommes d’ailleurs »9.

Une composante importante de son identité réside évidemment dans son statut d’écrivain juif, publiquement accentué par son engagement sioniste depuis qu’il a pris la direction de La Revue juive, fondée à la demande de Chaïm Weizmann et publiée par

3 L’écrivain projette sur le personnage de Solal cette complication identitaire : le héros a passé la première partie de son baccalauréat au collège français d’Athènes avant de fuir son île grecque natale avec la femme du consul français, d’achever sa scolarité à Aix-en-Provence, de s’engager dans la Légion étrangère pendant la Première Guerre mondiale puis de gagner Genève. « De quelle nationalité était-il, à propos ? Ah oui, citoyen hellénique. Drôle », constate-t-il (Albert Cohen, Solal, dans Œuvres, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1993, p. 146). Il entamera sa carrière en tant que secrétaire d’un sénateur français qui obtiendra sa naturalisation.

4 Le Nouveau Dictionnaire des auteurs (Robert Laffont, 1994) le désigne comme un « écrivain suisse d’expression française », l’Encyclopédie de la littérature (Le Livre de poche, 1998) comme un « écrivain suisse de langue française ».

5 Son premier recueil de poèmes, Paroles juives, fut publié à la fois aux éditions Crès, à Paris, et Kundig, à Genève. Il fait paraître à la NRF en 1922 un court texte, Projections ou après-minuit à Genève. Jacques Rivière lui offre alors un contrat pour un roman, qu’il honorera en écrivant Solal.

6 Bernard Debarbieux, Frédéric Esposito, Bertil Galland, Paul Guichonnet, Adrien Pasquali, Dusan Sidjanski, Universalis, « SUISSE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 26 décembre 2012. URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/suisse/

7 Ibid.

8 Voir la biographie de Gérard Valbert, Albert Cohen, le seigneur, Grasset, 1990, p. 13-15 et p. 383.

9 Bernard Debarbieux, Frédéric Esposito, Bertil Galland, Paul Guichonnet, Adrien Pasquali, Dusan Sidjanski, art. cit.

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les Éditions de la NRF ; en 1940, exilé à Londres, il est chargé par l’Agence juive d’une mission de liaison auprès de divers gouvernements en exil ; il y rencontre le général de Gaulle et rédige quelques textes pour La France libre, sous le pseudonyme de Jean Mahan. Un même combat unifie alors chez l’écrivain, qui milite pour la création d’un État hébreu tout en portant la voix de la France, son double enracinement dans le ghetto juif d’une île méditerranéenne et dans un quartier de Marseille. Mais comme on s’en doute, l’articulation identitaire fut pour lui plus compliquée.

Jeune garçon, il vouait un amour passionné à la France, à laquelle il avait dédié un petit autel en son placard : « Les reliques étaient des portraits de Racine, de La Fontaine, de Corneille, de Jeanne d’Arc, de Du Guesclin, de Napoléon, de Pasteur, de Jules Verne naturellement, et même d’un certain Louis Boussenard »10, racontera-t-il. Il lit Les Pieds Nickelés, Nick Carter, René Bazin. Mais il découvre aussi l’antisémitisme, lors d’une scène brutale qu’il situe le jour même de ses dix ans. Évelyne Lewy-Bertaut a décrit à l’arrière-plan du malaise ressenti par Cohen celui de toute une génération de jeunes Juifs coupés de leur histoire, en un pays où l’enseignement privilégiait l’antiquité gréco-latine au détriment de l’Ancien Testament valorisé dans les pays protestants, confrontés à l’image du peuple déicide et aux réactions antisémites réactivées par l’afflux de réfugiés chassés d’Europe de l’Est par les pogromes, et qui n’avaient reçu de leurs pères déracinés qu’une transmission faible du judaïsme. Ces jeunes gens des années 1920, acculturés en Occident, ont redécouvert et revendiqué leur judéité par des affirmations politiques et littéraires, tout en affrontant, intimement divisés, « la honte et la tentation du refoulement »11. De cette découverte, le premier numéro de La Revue juive témoigne : « Miracle. Moins profondément juifs que nos pères, plus amoureux qu’eux des trésors de l’Occident adorable, nous nous voulons plus juifs qu’eux »12.

Ce retour aux origines s’est produit pour Cohen à treize ans, lors d’un voyage en son île natale à l’occasion de sa Bar Mitsva : il fut ébloui par les paysages de la Méditerranée orientale, par le charme coloré du ghetto et par la personnalité de son grand-père, président de la communauté juive. Étudiant pauvre, il fréquente ensuite à Genève des camarades sionistes ou révolutionnaires, ce qui donne des teintes politiques et sociales à son engagement juif. La lecture d’une nouvelle d’Israël Zangwill éditée par Péguy dans les Cahiers de la Quinzaine, ’Had Gadya, a marqué sa génération13. Un jeune homme y constate son partage intérieur : « Oh ! la cruelle tragédie que cette culture occidentale greffée sur un tronc oriental, faussant les cordes de la vie, séparant le cœur du cerveau ! »14 Il admire son père d’avoir réussi à se fondre dans la modernité occidentale, à l’extérieur, tout en laissant s’épanouir dans l’intimité domestique son identité juive. Solal, le héros cohénien, empruntera dans le roman homonyme une telle voie – et y découvrira une impasse, sa dualité devenant éclatement schizophrène. Son auteur, quant à lui, choisit d’assumer cette dualité sur la scène publique. Le paradoxe de son engagement sioniste est qu’il n’ira jamais dans cet état juif qu’il a appelé de ces vœux, déclinant en raison de sa mauvaise santé l’invitation adressée en 1969 par le gouvernement israélien. Si, dans son œuvre, il célèbre l’espoir que représente pour le peuple juif l’installation en Palestine, il n’y laisse que brièvement séjourner les oncles de son héros Solal, qui après une expérience aventureuse avec un groupe de colons

10 A. Cohen, Le Livre de ma mère, dans Œuvres, éd. cit., p. 715.

11 Évelyne Lewy-Berrtaut, « Figures de l’écrivain », dans Albert dans son siècle, dir. Alain Schaffner et Philippe Zard, Le Manuscrit, 2005, p. 80.

12 A. Cohen, « Déclaration », La Revue juive, n° 1, 15 janvier 1925, p. 6-7.

13 « Lu par les camarades de Péguy, dont beaucoup étaient Juifs et par ses abonnés juifs qui étaient nombreux, répandu par eux dans ces milieux juifs qui, au milieu de la bataille dreyfusiste avaient repris confiance, fierté de soi, Chad Gadiya joua le rôle d’un cristal jeté dans un liquide sursaturé, et, sur certains esprits sensibles, agit à la manière d’un retour » (André Spire, dans La Renaissance religieuse, recueil collectif, 1928, cité par Norman Thau, « Cohen et Zangwill : Juifs sans judaïsme et judaïsme sans Juifs ? », dans Albert Cohen dans son siècle, dir. A. Schaffner et Ph.

Zard, éd. cit., p. 42).

14 Israël Zangwill, « ‘Had Gadya », cité par Norman Thau, art. cit., p. 43.

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russes préfèrent bien vite retourner « saler les pays »15, transformant en dynamique féconde ce qui menaçait d’être écartèlement identitaire.

Fils d’une patrie qui n’existe plus

Julian Hartridge Green pour sa part est né à Paris en 1900 de parents aux ascendances britanniques et irlandaises, et plus directement issus du Sud des États-Unis.

Lycéen à Jeanson-de-Sailly, il s’engage parmi les ambulanciers américains dès l’âge de dix-sept ans, puis est détaché dans l’artillerie française en 1918 (ce qui autorisera son élection à l’Académie française en 1971, au fauteuil de Mauriac, nonobstant son refus de renoncer à sa nationalité américaine16). Il part ensuite faire trois ans d’études à l’Université de Charlottesville, où il écrit sa première nouvelle en anglais (« The Apprentice Psychiatrist »17), puis publie en 1924 son premier ouvrage en français, le Pamphlet contre les catholiques de France. Il retourne en 1939 aux États-Unis où, mobilisé, il devient à la radio la « Voix de l’Amérique ».

Cette identité duelle est valorisante dans la France de l’entre-deux-guerres. Mais un rapport compliqué à ses deux pays d’appartenance a fait constamment de Green un

« homme qui venait d’ailleurs »18. Étudiant, il arrive comme un étranger en sa propre terre américaine, l’esprit plein de préjugés européens : « … il est dommage, racontera-t- il, que les voyageurs, attirés par les cités, ne voient qu’elles et ne découvrent pas cette vie de province de chez nous qui, à beaucoup d’égards, est aussi dormante que la vôtre, avec cette différence que les pierres y sont moins vieilles »19. On aura noté, dans cet extrait d’interview, que le jeu des pronoms le pose désormais en Américain.

Ailleurs, il situe assez clairement la note dominante de son identité hétérogène : « Il y a sur moi un malentendu incessant. J’ai souvent passé aux yeux des Américains pour un Français ; je passe aux yeux des Français, mais avec plus de raisons, pour un Américain »20. Pourtant, quand en 1929 une journaliste lui demande s’il se sent « une mentalité latine »21, la réponse est affirmative :

… aujourd’hui, lorsque je travaille, lorsque j’ouvre un livre, vraiment, il ne me vient pas à l’idée de me demander si je suis français ou non. Lors de mon voyage en Amérique, en visitant différentes villes ou contrées, je me sentais, bien entendu, étranger. Par contre, en arrivant au pays de mes parents, j’y ai retrouvé ce quelque chose qu’on nomme

« esprit de famille ».22

On retiendra surtout de ces propos la concentration du sentiment d’appartenance américaine sur les États du Sud. Plus tard, l’écrivain évoque le souvenir de la première nuit passée à Charlottesville et la compréhension immédiate qu’il y eut des passions agitées par la guerre de Sécession. Á cette minute, qui lui fit reconnaître ses racines en ce coin de terre, il attribue un rôle fondateur pour toute son œuvre et conclut : « Il y aurait beaucoup à dire sur le fait qu’on naît dans un pays alors qu’on vient d’ailleurs par une hérédité forte et directe. Peut-être cela va-t-il à l’encontre de l’unité intérieure de l’être, et alors cette unité se refera-t-elle sur un autre plan ? »23

15 A. Cohen, Solal, dans Œuvres, éd. cit., p. 342.

16 Il a aussi été membre de l’Académie des États-Unis et de celles de Belgique, de Bavière, de Mayence, de Mannheim.

17 Elle a été publiée en 1922 dans la Virginia quarterly review

18 Voir Jacques Petit, Julien Green. « L’homme qui venait d’ailleurs », Desclée de Brouwer, 1969.

19 « Une heure avec M. Julien Green. Une découverte de l’Amérique », entretien avec Robert de Saint-Jean, L’Avenir, 3 novembre 1926 (OC, t. I, p. 1020).

20 « Julien Green », entretien avec Léon Treich, L’Avenir du 23 avril 1926 (OC, t. I, p. 1020).

21 « Chez Julien Green, ou sous le signe de Job », entretien avec Irène Briarès, La Vie, 1er juin 1929 (OC, t. I, p.

1029).

22 Ibid., p. 1029-1030.

23 J. Green, « Mon premier jour à l’Université », dans Le Langage et son double (OC, t. VI, p. 1461).

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La scission évoquée dans son Autobiographie, moins douloureuse que celle connue par Cohen, introduit tout de même un trouble : « À la maison, j’étais dans la patrie de mes parents. Au lycée, j’étais en France, une France en petit, traversée de courants d’idées qui me paraissaient étranges. »24 Parmi ces idées, il énumère l’antisémitisme – dont sa mère a vite conjuré l’effet en lui –, la xénophobie et un patriotisme suppléant à la perte du sens religieux. Lui-même se montre envahi par son acculturation d’un amour intense de la France ; il demeure que le climat de ce lycée d’avant-guerre où

« [l]’étranger s’appelait métèque »25 ne peut qu’instiller en lui le sentiment d’une différence. Son enracinement dans le Sud des États-Unis complique ce sentiment puisque, le reliant à un peuple vaincu lors de la guerre de Sécession, il lui donne l’impression d’appartenir à un pays défunt. Les récits maternels lui indiquent comme son seul drapeau celui du Sud, dont la grande croix constellée orne le salon :

De ses fils et de ses filles, elle avait fait les enfants d’une patrie qui n’existe plus, mais qui vivait dans son cœur. Elle faisait errer sur nos têtes l’ombre d’une tragédie qui endeuillait les heures les plus claires. Nous étions à jamais des vaincus mal résignés et, pour employer un mot qui lui était cher, des rebelles.26

Tout un rapport décalé au monde et aux autres serait né chez lui de cette « première et puissante impression d’isolement »27, un sentiment d’exil sans doute plus encore temporel, voire métaphysique, que spatial. De surcroît, baptisé dans l’église épiscopalienne, branche américaine de l’anglicanisme, il peine à définir son identité religieuse, protestante quoique ni luthérienne, ni calviniste. « Tu appartiens à une nation qui n’existe plus et tu es d’une religion dont personne n’a jamais entendu parler »28 : tel est le constat simple qu’un de ses camarades tire de ses explications compliquées. Une dimension nouvelle s’ajoute à l’impression d’étrangeté, qui est aussi sentiment d’exil dans le langage, ce langage qui n’a pas secondé les tentatives de clarification identitaire :

Même à cet âge, je ne pouvais parler comme les autres. Maintenant encore. Enfant, je voulais être comme les autres et je n’y réussissais pas. Bref, j’étais une gourde ! Parmi tous ces petits Français malins, j’étais seul. Il m’en est resté quelque chose. Presque tous mes personnages sont des solitaires qui ne peuvent franchir la muraille qui les sépare du prochain. “Der Menschen Worte verstand ich nie…” Ce vers de Hölderlin a trouvé en moi une résonance extraordinaire quand je l’ai lu pour la première fois… 29

Il n’est pas inintéressant que l’impression d’extranéité dans la langue trouve à s’exprimer dans une langue elle-même étrangère, et néanmoins apte à résonner puissamment dans l’espace intérieur.

Dans des contextes différents, bien des traits communs apparentent donc les expériences intérieures vécues par Albert Cohen et Julien Green. Fils d’un peuple persécuté ou d’un peuple vaincu, ils grandissent épris d’une France en laquelle s’entretient le sentiment profond de leur propre étrangeté, et de terres originelles mythifiées dont le voyage spatial ne peut abolir la distance. Inconfortable est certes cette conscience d’être voués à venir d’ailleurs, de quelque côte de la Méditerranée ou de l’Atlantique qu’ils se trouvent, mais ils ont aussi en commun de puiser dans l’héritage romantique des réflexions sur le génie des peuples de quoi convertir en richesse leur division intérieure.

24 J. Green, Partir avant le jour, dans OC, t. V, p. 709.

25 Ibid., p. 710.

26 Ibid., p. 669.

27 J. Green, Journal (3 juillet 1951), dans OC, t. IV, p. 1230.

28 Ibid.

29 Ibid.

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L’esprit des peuples

« Voyageurs en humanité »

« Le Juif et les romanciers français »30 : ce titre d’un article d’Albert Cohen marque la singularité du peuple juif à ses yeux. Il critique la représentation qu’en donne Le Royaume de Dieu des frères Tharaud, « peintres officiels de fantoches à papillotes, en caftans verdis et couverts de taches que cachent les barbes vierges saupoudrées de tabac râpé »31 : l’enquête minutieuse des romanciers n’a produit que le rassemblement encyclopédique de détails pittoresques sur les mœurs des Juifs ukrainiens, manquant

« l’âme éternelle d’Israël »32. En revanche, Cohen salue l’auteur de Silbermann : « un jeune écrivain français a tendu un clair miroir à la face d’un des fils de ces royaumes de Dieu »33. Tributaire des théories en cours et d’une esthétique classique, Lacretelle aurait approché sur un mode encore trop abstrait et extérieur, mais déjà remarquablement pénétrant, un esprit juif qu’il a perçu constitué de contradictions et dont Cohen s’attache à préciser les contours.

« Il n’y a pas d’esprit juif. Il y a trois ou quatre esprits juifs, sédiments déposés par le temps sur la pensée ou le cœur d’Israël errant » 34, affirme-t-il pour commencer.

Selon cette reconstitution, l’esprit « terrestre », jouisseur et dominateur, est l’héritage de l’antique nomadisme au désert ; la sublimation des instincts sous la Loi et dans l’espérance messianique lui a superposé un esprit « prophétique », qui a développé le sens communautaire dans le mépris de la force physique et l’indifférence aux beautés de la nature ; en exil est né l’esprit des persécutés, douloureuse et moqueuse lucidité devant les vanités sociales, tandis que coups et injures distordaient la face en douleur d’un peuple endurant « une disgracieuse Passion de deux mille ans »35. La « Déclaration » qui ouvre le premier numéro de La Revue juive, en 1925, annonce une quatrième strate :

« l’esprit en formation dont quelques œuvres du temps présent semblent annoncer l’importance »36.

Lyrique est cette « Déclaration ». Son auteur se sent pour mission de prolonger l’« œuvre spirituelle »37 de son peuple dispersé en rassemblant sa pensée, sans pour autant rejeter ceux qui aspirent à l’assimilation – mais lui-même la juge suicidaire. Si la revue se fait porte-parole de l’espoir sioniste, en une époque où les pays occidentaux semblent avoir épuisé leurs vertus d’accueil et où s’ouvre la perspective d’un retour en Palestine, Albert Cohen adresse une parole de gratitude à « l’Occident raisonnable, harmonieux et configurateur » et c’est par la langue française qu’il fait passer l’effort pour penser l’identité de son peuple : « Servis par l’instrument le plus aigu, par le langage du pays que nous avons de hautes raisons d’aimer, nous essaierons de décrire ce que nos pères nous en transmis en schèmes, en élans, en sensibilité profonde »38. Conjointement à la réflexion sur l’esprit juif se déploie donc une définition de l’esprit occidental, cartésien et esthétiquement classique, qui s’épanouit dans le français, langue de l’analyse. En ces années 1920, une telle définition de l’esprit français est un lieu

30 A. Cohen, « Le Juif et les romanciers français », art. cit., p. 340-351.

31 Ibid., p. 380.

32 Ibid., p. 340, 341.

33 Ibid.

34 Ibid., p. 343.

35 Voir ibid., p. 343-346. La référence à la Passion n’est bien sûr pas anodine : à son peuple persécuté, Cohen attribue des traits christiques. L’image reviendra dans la « Déclaration » de La Revue juive.

36 Cohen est son directeur ; le comité est composé de Georges Brandès, Albert Einstein, Sigmund Freud, Charles Gide, Chaïm Weizmann, Léon Zadoc-Kahn.

37 A. Cohen, « Déclaration », art. cit., p. 5.

38 Ibid. p. 7.

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commun ; plus originaux sont les termes dans lesquels Cohen décrit la conjugaison de son double héritage. Son engagement sioniste ne l’empêche pas d’assigner à Israël « un but plus grand », le tissage d’un lien universel dont le désir et la pratique se sont approfondis en de longues pérégrinations : « Nous n’oublierons pas dans ces pages, promet l’écrivain, notre destinée de voyageurs en Humanité »39. C’est pourquoi la revue sera « charnellement internationale »40. Israël en exil est désigné comme « une des plus sûres jointures de l’Europe », ouvrant au vaste monde des populations fixées depuis longtemps sur leur terre : « Depuis le Moyen Âge, ce sont les Juifs qui, le plus souvent, ont apporté les richesses de l’étranger. La Revue juive assumera le rôle difficile et utile de revue étrangère », affirme l’éditorialiste41. Mais réciproquement, ceux qui partiront en Palestine seront « les messagers de la civilisation européenne. Et cette Revue deviendra peut-être, en Orient, l’introductrice de quelques accents de France et d’Europe »42.

Autrement dit, le nouvel organe aura pour mission d’être la voix de l’étranger, en quelque terre que ce soit, serait-elle celle d’une patrie refondée. Une pensée du cosmopolitisme se déploie ici, qui associe indissolublement à la richesse de l’universalisme l’inconfort d’un déracinement et fait du voyage une attitude existentielle débordant les déplacements spatiaux. L’expérience de l’exil est décrite comme le creuset d’une science profonde de la condition humaine :

Nous savons la vanité des puissances passagères et que, sous le soleil, le plus sage est d’enseigner la patience de l’homme envers l’homme. On nous permettra de faire parfois ici le signal de l’humain vers l’humain, de dire nos alarmes et nos inquiétudes, de rappeler à tous les hommes leur humaine condition43.

De ce déracinement, nul retour ne devrait édulcorer l’expérience.

Les romans d’Albert Cohen offrent une figuration fantaisiste du rôle reconnu au peuple juif, source par sa diaspora d’enrichissement pour les nations et vecteur de la culture européenne, trait d’union entre Orient et Occident. Les oncles de Solal vivent à Céphalonie, réplique imaginaire de Corfou, où leurs ancêtres se sont installés après cinq siècles de vagabondages à travers diverses provinces françaises. Ils en gardent l’amour de la France, dont ils ont conservé la nationalité, et de sa langue :

Leur langage parfois archaïque faisait sourire les touristes français qui visitaient l’île.

Mais cette fidélité au cher pays et à la noble langue était touchante. Durant les soirées d’hiver, les cinq amis lisaient ensemble Villon, Rabelais, Montaigne ou Corneille, pour ne pas « perdre l’habitude des tournures élégantes » – qui faisaient monter aux yeux de Saltiel ou de Salomon des larmes d’attendrissement et de regret.44

Ceux que l’on surnomme « les Valeureux de France » entretiennent les vestiges du pays bien-aimé : à son langage archaïque, Saltiel conjugue une tenue d’Ancien Régime, redingote, culottes courtes et bas mordorés. Mais les vestiges en question sont fortement teintés d’exotisme : une toque de castor surmonte la redingote, qui elle-même contraste avec la tenue de janissaire arborée par un autre Valeureux. Ces personnages pittoresques causent l’amusement des touristes tout en représentant la France pour les autochtones.

Or ainsi, ils sont les figures troublantes des rapports de l’Autre et du Même dans une identité en constante mutation : l’identité française prend avec eux les marques d’un ailleurs exotique, mais est aussi l’objet d’une conservation qui en freine les mutations

39 Ibid., p. 10.

40 Ibid., p. 11.

41 Ibid., p. 12.

42 Ibid.

43 Ibid..

44 A. Cohen, Solal, éd. cit., p. 101.

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temporelles – les touristes contemporains ne seraient sans doute pas moins exotiques aux yeux d’un Français du XVIIe siècle que ces Orientaux dont la nostalgie se promène entre Villon et Corneille. À travers les Valeureux, donc, cette identité française se fait diasporique ; leur confrontation aux touristes suggère que loin de tout illusoire figement, elle ne peut qu’évoluer selon la loi interne du temps et s’enrichir par métissage. Les périples comiques des Juifs de Céphalonie en Occident invitent à rêver au souffle vivifiant que leur fantaisie exubérante, désignée comme orientale, pourrait insuffler dans une civilisation fatiguée, si les réflexes de rejet que leur présence suscite ne renvoyaient aux menaces les plus sombres qui circulent dans l’univers référentiel de la fiction, celui des années 1930.

Ce souffle vivifiant, Albert Cohen entend le faire passer dans la langue. Mal parler stigmatise, il en a fait l’expérience à l’école et la relate, non sans quelque fierté de la place qu’il s’est faite dans les lettres françaises :

Je me rappelle, j’étais un écolier pourvu d’un accent si oriental que mes camarades du lycée se gaussaient lorsque je faisais d’ambitieux projets de baccalauréat et prophétisaient que jamais je ne pourrais écrire et parler comme eux. Ils avaient raison d’ailleurs.

Bernadet, Miron, Louraille, soudain leurs noms prestigieux me reviennent.45

Quand son héros Solal est naturalisé, quelques pirouettes langagières annoncent l’aptitude de l’immigré dans la langue à surpasser le natif dans l’usage virtuose de son propre idiome :

Il se regarda attentivement dans une glace pour voir comment était fait un Gaulois.

« Mais il faudra que je parle français maintenant et que je dise leurs complications diaboliques : “D’autant plus que j’eusse cru qu’elle n’était rien moins qu’amoureuse de moi.” »46

Mais, bien au-delà de cette virtuosité, l’étranger épris de sa langue d’adoption y infuse des inflexions venues d’ailleurs : quand Cohen fait écrire à son héros des poèmes tombés de sa plume telles les « gouttes involontaires de son sang fastueux »47, il suggère dans l’expansion de son talent l’expression d’une profusion orientale, et si lui-même se dit heureusement incapable de parler comme ses anciens condisciples, c’est que cet accent même qu’ils raillaient a su travailler la langue classique enseignée à l’école.

La familiarisation du lointain

Julien Green s’adonne lui aussi à des essais de psychologie nationale. Dans les entretiens qu’il donne à la fin des années 1920, temps de ses premiers succès, il tente de cerner l’esprit américain, en partant de ses propres préjugés. À l’université de Virginie, il pensait rencontrer un peuple sportif, matérialiste et peu cultivé ; or il a découvert chez les Américains un « côté spirituel et volontiers mystique »48, actif même chez les incroyants. La lecture de Poe, Hawthorne, Emerson ruine l’image simpliste d’ « une race jeune quasi trop saine »49. Le puritanisme aurait diffusé un pessimisme profond jusque dans le cœur du citoyen le plus moderne : « Au fond de l’âme américaine dort une incurable tristesse, une mélancolie dont on n’a pas la moindre idée en Europe »50,

45 A. Cohen, Le Livre de ma mère, éd. cit., p. 716.

46 A. Cohen, Solal, p. 187.

47 Ibid., p. 126.

48 « Julien Green », entretien avec Léon Treich, art. cit., p. 1019.

49 « Une heure avec Julien Green romancier », entretien avec Frédéric Lefèvre, Les Nouvelles littéraires, 16 avril 1927 (OC,, t. I, p. 1022).

50 « Une heure avec M. Julien Green. Une découverte de l’Amérique », entretien avec Robert de Saint-Jean, art. cit., p. 1021.

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affirme Green. Les apparences joviales doivent d’autant moins tromper que la pudeur se conjugue à l’enthousiasme dans un tempérament avant tout « sentimental »51, soumis à d’extraordinaires fluctuations, note l’écrivain en 1940. L’Américain, pour résumer, lui apparaît comme un être profondément religieux et dont l’apparence gaie, enthousiaste et sportive cache une intériorité vibrante, profondément travaillée par la mélancolie.

La représentation de l’esprit français, quant à elle, tourne au panégyrique à la faveur de l’exil. Dans la sagesse calme et douce d’une femme sculpteur poitevine installée à Baltimore, Green retrouve la « gentillesse française » et « toute la loyauté de la province », qui porterait les qualités les plus hautes et méconnues du pays52. Mais une interrogation identitaire plus complexe s’inscrit au cœur d’une saga romanesque, cette trilogie du Sud qui sera publiée à partir de 1987 quoique l’écrivain en porte le projet depuis 1933. Elle relate l’histoire d’une famille du Sud pendant la guerre de Sécession et offre au romancier un retour vers ses propres origines dans un jeu de regards croisés entre le continent européen et le Nouveau monde, puisque la jeune héroïne, Elizabeth, migre d’Angleterre en Virginie. Un phénomène déconcertant résorbe les différences entre le Même et l’Autre : Elizabeth retrouve à l’autre bout du monde le visage perdu de son pays natal. Les parents qui l’accueillent, immigrés de plus longue date, ont reconstitué un univers plus anglais que nature mais aussi bizarrement acclimaté à la terre exotique : la maison de style Tudor bâtie par son oncle, entourée de palmiers et de bananiers, présente une étrangeté comparable à celle du style Ancien Régime du Saltiel cohénien. La fixation nostalgique élargit la distance avec l’Europe contemporaine tout en soumettant l’identité originelle à des variations exotiques. La reproduction du Même sur les terres de l’Ailleurs, qui prend chez Cohen des teintes comiques, revêt ici des tonalités oniriques et illusoires, non moins troublantes.

Le rêve de dépaysement et la nostalgie des origines qui s’allient dans le titre du premier tome de la trilogie, Les Pays lointains, se reportent alors vers d’autres lointains que ceux de la terre exotique ou natale. Le sentiment de venir d’ailleurs renvoie ultimement, chez Green, à la situation métaphysique de l’homme, voyageur sur la terre, toujours expulsé de son lieu d’origine et en mouvement vers lui, dans une trajectoire dont l’issue est au-delà du monde. Mais cette instabilité métaphysique, qui éloigne perpétuellement le familier, a pour corollaire une familiarisation du lointain : l’homme qui retrouve à l’autre bout du monde ses propres origines devenues exotiques doit bien se reconnaître habité par l’autre, quand il croyait parler de l’esprit d’un peuple avec l’apparente distance de l’observateur curieux, et il pousse plus loin encore cette expérience d’investissement par l’autre en venant habiter sa demeure linguistique

Car chez Green, comme chez Cohen, la complexité des interrogations identitaires s’accompagne d’un rapport complexe à la langue. Paradoxalement, sa langue maternelle, soit l’anglais, a été plus difficile à acquérir que le français, parlé par sa bonne et à l’école. Des moments de tendresse où sa mère lui parlait dans un idiome incompréhensible, lui faisant répéter maladroitement les paroles du Notre Père, il garde l’intuition que l’essentiel se joue sous le seuil du langage. Mais il relate aussi l’instant où s’est déchiré pour lui le voile de la langue anglaise, et qu’il situe aux alentours de 1906, à l’heure où de la lecture familiale de la Bible : « Je jouais donc en silence aux pieds de ma mère et sans doute écoutais-je cette voix qui faisait passer par-dessus ma tête le bruit tranquille de ses phrases mystérieuses. Un jour, en effet, par une sorte de révélation qui me donna un choc, je m’aperçus que je saisissais le sens de certaines paroles. »53 Il va apprendre peu à peu à parler anglais, jusqu’à penser dans les deux langues. Le français, donc, est sa langue première ; mais la langue maternelle anglaise

51 J. Green, « Amérique 1940 », Vu, 10 avril 1940 (Le Langage et son double, dans OC, t. VI, p. 1509).

52 J. Green, Journal (5 août 1940), dans OC, t. IV, p. 126.

53 J. Green, Partir avant le jour, éd. cit., p. 662.

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est, confie-t-il, celle qui surgit spontanément dans les moments dramatiques54 – comme si, peut-être, elle était restée la langue du cœur.

Jeune romancier, il simplifie l’histoire de son rapport à la langue, quand il affirme n’avoir découvert la littérature anglo-saxonne qu’à l’occasion de ses études aux États- Unis, alors que sa mère l’y avait tôt initié, et quand il présente comme une évidence son choix du français comme langue d’écriture, bien qu’il ait publié en anglais sa première nouvelle :

Quand je me suis mis à écrire moi-même, c’est en français que je l’ai fait, tout naturellement. Faut- il parler, à ce sujet, de choix, de préférence ? Je ne crois pas. Il s’agit plutôt, pour moi, de dispositions profondes, d’une véritable nature qui résulte de ma formation française. Écrirai-je jamais un livre en anglais ? Pour le moment, je n’y pense même pas. Cela ne me vient pas à l’esprit et je ne crois pas que ce me serait possible.55

En fait, il écrira en anglais lors de son exil des années 1940 aux États-Unis, et rassemblera ses réflexions essentielles sur le langage dans Le Langage et son double56, édition bilingue de textes rédigés pour la plupart lors de ce séjour, en anglais ou en français, et auto-traduits. Il est bien placé pour sentir que la diversité des langues est fondatrice d’une diversité des visions du monde : « … une langue est un commentaire humain sur la création », dit-il joliment dans une conférence de 1942, non sans évoquer l’impression pénible qu’il ressentait, enfant, à entendre sa mère parler anglais –

« J’avais l’impression qu’en m’enseignant ces paroles nouvelles, on voulait, en quelque sorte, dédoubler l’univers qui, pour moi, était un univers français »57. La fréquentation des traductions bibliques affine sa conscience de l’abstraction du français, héritier du vocabulaire latin à la « beauté plus intellectuelle » que la « barbare beauté » des mots saxons, et de l’accord supérieur de la langue anglaise à la poésie hébraïque, par les accents primitifs que conserve son lexique et par son rythme58. L’écrivain lui-même s’est risqué à traduire « La Nuit » de Péguy. Mais il est bien conscient de la difficulté de l’exercice, sensible jusque dans les meilleures réalisations : « derrière le voile du français ou de l’anglais respire une pensée étrangère ; il y a comme une protestation du contenu contre le contenant, un désaccord perpétuel, désaccord que, du reste, certains connaisseurs goûtent extrêmement, de même qu’une série de dissonances peut plaire à une oreille délicate »59.

Le fait que nous soyons constitués par notre langue rend donc difficile le voyage d’un idiome à l’autre : « Une langue est un monde clos d’où il est difficile de s’évader. »60 On comprend combien il est difficile, pour un romancier en exil, de se risquer dans celle du pays d’accueil : « Il a existé jusqu’ici comme écrivain français, pourra-t-il exister comme écrivain anglais ? »61. S’il s’y résout pourtant, en arrivant aux États-Unis à l’été 1940, c’est qu’il s’avise que le récit d’hommage à la France dont il vient de tracer dix pages ne trouvera pas d’éditeur sur le sol américain s’il ne le recommence en anglais, et il trouve au reste naturel de l’écrire dans la langue de ses destinataires. Or il constate que le ton et l’éclairage du sujet, et jusqu’à sa propre personne, s’en trouvent changés : « En anglais, j’étais devenu quelqu’un d’autre »62.

54 Voir J. Green, Le Langage et son double,éd. cit., p. 1351.

55 « Un quart d’heure avec Julien Green », entretien avec André Rousseaux, Candide, 2 juin 1927 (OC, t. I, p. 1026).

56 Le Langage et son double (The Language and its shadow) est un recueil de quatorze textes publié pour la première fois en 1985 aux Éditions de la Différence.

57 J. Green, « Mon premier livre en anglais », art. cit., p. 1431-1432.

58 J. Green, Le Langage et son double, éd. cit., p. 1381.

59 J. Green, « Mon premier livre en anglais », éd. cit., p. 1437. Dans un article de 1924 sur Dedalus, il note que la langue de Joyce, « si riche et si précise, devient inerte en passant de l’anglais au français » (OC, t. I, p. 1016).

60 J. Green, Le Langage et son double, éd. cit., p. 1339-1341.

61 Ibid., p. 1343.

62 Ibid., p. 1357. Le livre en question est Memories of happy days.

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L’exil a rompu cet enracinement linguistique selon lequel « la langue d’un être est tellement sa propriété qu’il s’identifie à elle »63.

L’expérience est d’autant plus déstabilisante qu’elle s’accompagne de la crainte de perdre sa propre langue, oubliée, altérée : les écrivains doivent savoir, assure-t-il, que tout pays d’exil « les dépouillera inconsciemment, s’ils n’y prennent garde, de ce trésor que le pays lointain leur a confié »64. Mais elle peut être féconde, les mots faisant opérer aux idées une divagation poétique vers une direction inconnue. Après avoir réécrit en anglais les dix premières pages du livre commencé en français, il peut analyser les impulsions différentes que les deux langues ont données à son écriture. Elles confirment ses idées sur l’esprit des peuples : « une extrême réticence dans l’expression de ses sentiments »65 serait une caractéristique anglo-saxonne, que refléterait la rareté de l’effusion dans la littérature anglaise – exception faite de l’exutoire offert par la poésie.

L’écriture en anglais aurait accentué chez lui cet atavisme de pudeur, dont il se reconnaît porteur ; la langue elle-même semble lui avoir imposé une extrême discrétion sur le sentiment religieux, confidences qui auraient requis de tout l’ouvrage un ton de gravité. Le français, lui, reflète le tour d’esprit d’hommes plus enclins à se livrer :

En français, il est beaucoup plus facile de passer, comme on dit, du plaisant au sévère ; la langue elle-même a l’air de sourire, elle sait pourtant être grave ; c’est ce qui fait son charme, si difficile à analyser. En anglais, on a d’une manière beaucoup plus vive et fréquente le sentiment de côtoyer la limite de l’indiscrétion, alors que le français passe et repasse cette limite comme en se jouant, sans qu’il y paraisse trop.66

Son séjour américain le rend aussi sensible à l’importance que revêt le style aux yeux des Français, au détriment de la spontanéité de l’écriture : « En mettant pour écrire ses meilleurs habits, veste brodée, fines manches de dentelle, Buffon devenait sans le vouloir le symbole vivant de l’attitude française envers la littérature. »67 Il le déplore, confiant trouver les plus belles pages de Flaubert dans sa correspondance plutôt que dans ses romans, trop travaillés à son gré, mais il reconnaît avoir été formé par des principes dans lesquels se reconnaît la marque du classicisme68. Toutefois, de son trajet entre les langues, il aurait surtout appris la souplesse stylistique, abandonnant par exemple en anglais le souci jugé typiquement français d’éviter de répéter le même mot dans une page : « les mots étant des personnes différentes, il fallait les traiter différemment dans chaque langue »69.

Les deux romanciers venus d’ailleurs se rejoignent donc dans le sentiment d’être non seulement étrangers en France, mais aussi étrangers sur terre, ce sentiment prenant une dimension plutôt éthique chez Albert Cohen, pour qui il a la vertu d’élargir la conscience identitaire à l’universalité de l’humain, et plutôt métaphysique chez Julien Green. Ils posent ainsi leur appartenance française sur le mode de l’amour et de la distance, rendant sensible qu’une identité vit en se transformant, en se transplantant et en accueillant l’autre, tellement intime à l’individu qu’il se sent traversé par l’esprit des peuples auxquels il se rattache, mais seconde par rapport à une plus fondamentale identité humaine. La langue est évidemment le lieu privilégié où se joue, pour les deux écrivains, l’habitation de la demeure française. Seul Cohen se sent vraiment la vocation de travailler le français d’un souffle exotique, en y infusant des accents venus d’Orient ; Green vit plutôt son voyage à travers les langues comme un affinement de la conscience

63 Ibid., p. 1337.

64 Ibid., p. 1343.

65 J. Green, « Mon premier livre en anglais », art. cit., p. 1438.

66 Ibid.

67 J. Green, Le Langage et son double, éd. cit., p. 1355.

68 Au premier rang de ces principes, parmi lesquels il dit avoir opéré un tri, il place celui, jamais renié, de « sauter les phrases intermédiaires, selon le conseil de Montesquieu » (ibid., p. 1357).

69 Ibid.

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des particularités de chacune. Mais dans les deux cas, la dissociation entre la langue la plus familière, celle qui s’impose spontanément à l’écriture, et la langue maternelle produit une sensibilité linguistique avivée.

La complexité de ces questionnements offre déjà un apport thématique au roman français de leur époque, puisqu’ils les projettent dans leurs romans, en particulier dans ces sagas que constituent la trilogie greenienne du Sud et la geste cohénienne des Solal.

Mais elles sont aussi porteuses d’une réflexion sur l’esthétique romanesque et sur l’originalité de leur propre contribution à son histoire.

Le roman français en question

Un « ferment juif » dans l’héritage classique

Les deux écrivains héritent de leurs aînés directs, Gide, Mauriac notamment, l’idée qu’il existe un roman « à la française » comme il est des jardins du même type, un roman de type classique qui se laisse définir par opposition au roman russe ou anglo- saxon : « Qui a entendu profondément la leçon de Dostoïevski ne peut plus s’en tenir à la formule du roman psychologique français, où l’être humain est en quelque sorte dessiné, ordonné, comme la nature l’est à Versailles », écrit ainsi Mauriac, qui se propose de respecter « la tradition du roman français », en conservant le goût de l’analyse et de ses clartés, mais de l’enrichir en autorisant chez les personnages l’illogisme et la vivante complexité qui ont frappé dans les grands modèles étrangers70.

Ce que le jeune Albert Cohen projette quant à lui, c’est d’introduire l’esprit juif dans le roman français, mais l’action qu’il décrit est comparable à celle des influences étrangères reconnues par Mauriac : il s’agit d’introduire dans un « jardin taillé […] quelques buissons plus ardents »71. Cet apport possible, il le définit à partir de quelques œuvres existantes. On a vu qu’il reprochait à Lacretelle de rester trop classique et cartésien ; mais l’échec de l’intégration sociale de Silbermann inspire à Cohen une description de l’état d’esprit dans lequel les écrivains juifs se tournent vers la France :

Pourquoi n’a-on pas voulu de Silbermann ? Ne désirait-il pas de toute son âme se donner à la France ? Ne voulait-il pas marquer du caractère français la cire brûlante de son génie ? Ne comprenait-il pas le patrimoine de cette nation adorable autant, sinon mieux, que la majorité de ses persécuteurs ? Et ne fit-il pas revivre, pour son ami, le petit Français, une tragédie de Racine, une cathédrale, une page de Chateaubriand ?

C’est le cœur plein d’intelligence, l’esprit plein d’amour que nous allons vers nos patries d’exil.72

Il cite à l’appui la Danse devant l’Arche « du juif Henri Franck, merveilleux enfant de chœur racinien », invoque André Spire, chez qui résonne, « à côté des versets, une poésie modérée et fraîche comme une chanson populaire, fille d’Île-de-France plus que de Judée »73. Le « ferment juif » infusé dans cette culture bien-aimée serait celui d’une sensualité fécondant « la raison sèche d’Occident », pour en enfiévrer la philosophie, et d’un esprit critique qui a permis les révolutions einsteinienne et freudienne74. Un esprit de lucidité et d’exploration circule de Montaigne à Proust, qui lui inspire cette question :

« N’est-ce pas un peu grâce à cet esprit juif “destructeur” que du génie français vient de jaillir une forme nouvelle de roman positif et clairvoyant, être vivant qu’un corset ne

70 François Mauriac, Le Roman, dans Œuvres romanesques et théâtrales complètes, t. II, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1979, p. 765.

71 A. Cohen, « Le Juif et les romanciers français », art. cit., p. 340. C’est à propos de l’œuvre de Lacretelle qu’il emploie ces métaphores, qu’on peut facilement élargir à l’ensemble des lettres françaises.

72 Ibid., p. 346.

73 Ibid., p. 346, 347.

74 Ibid., p. 347.

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construit pas, fécondement dissociateur et relativiste ? »75. On aura reconnu les marques inscrites selon Cohen par l’expérience du désert et de l’exil dans l’esprit juif, dont la strate prophétique n’est pas oubliée non plus : il la reconnaît dans « une littérature plus utile, qui se préoccupe plus de la peine des hommes, de la vie des martyrs, de civilisation et qui dit sa foi en une clarté qui naîtra »76 – faut-il y reconnaître la poésie de ses propres Paroles juives ?

Dans L’Ordination de Julien Benda, l’esprit juif s’incarne à ses yeux en une stylistique, évoquée par contraste avec le roman de Lacretelle : « On ne trouve pas en Silbermann les fureurs bégayantes du romantique héros de l’Ordination, et ce cynisme douloureux ou cet orgueil insensé qu’une phrase jaillissante révèle, et ce manque d’équilibre, ces conflits, ces mélanges de clairvoyance et d’aveuglement, cette impossibilité de choisir entre la pensée et le sentiment » – autant de « gestes juifs de pensée » chez un personnage qui n’est pas avoué tel77. Évelyne Lewy-Bertaut fait remarquer que cette esthétique dynamisée par le conflit du lyrisme et de l’analyse est celle de Projections et Mort de Charlot, textes cohéniens contemporains de l’article ; et, bien sûr, le portrait de Solal s’anticipe dans celui du héros de Benda, à la différence que Solal, lui, est identifié comme juif. Ainsi s’interprète l’ambition exprimée par Cohen d’être « le premier romancier juif français » : il entend être « le premier à se réclamer fièrement de son identité juive, à désirer en faire comprendre la complexité, en traduire la voix multiple et singulière par l’intermédiaire d’un personnage-miroir, passionné et capable de sublimation, ou de sublime, messianique »78.

De fait, l’esprit juif (ou ce que Cohen définit comme tel) est bien infiltré dans ses romans, jusque dans le courant torrentueux de l’écriture – ce qui n’empêche pas son œuvre de s’inscrire dans la tradition du roman d’analyse français, pour la revitaliser plutôt que pour la répudier. Solal est un descendant littéraire de Julien Sorel ; Albert Cohen ne cachait pas son admiration pour Stendhal, et pour le Stendhal analyste du cœur humain, celui du traité De l’amour, auquel les stratégies de séduction de Solal empruntent beaucoup79.

Un regard décentré sur la tradition française

C’est à l’école de Balzac que Julien Green a quant à lui forgé sa conception du roman. En 1927, il le présente comme sa lecture de prédilection, à égalité avec Dickens et derrière la Bible. Il goûte en lui le romancier de la passion et s’étonne, lors d’une soirée chez Gide, d’entendre Malraux s’écrier : « Ne parlons pas de Balzac ! ». « Et tout le monde, conclut-il, a paru d’avis qu’en effet il n’était pas possible de parler de Balzac, mais je n’ai pas compris pourquoi »80. On ne saurait mieux se situer en marge des enthousiasmes qui se polarisent, en ces années 1920, dans une opposition entre le père de La Comédie humaine et Dostoïevski – que le jeune écrivain ignore encore ostensiblement81.

Mais c’est que le Balzac de Green est bien plus qu’un peintre de caractères, et il n’est même pas un romancier réaliste, au sens où il se serait astreint à l’imitation du réel : il incarne un art qui naît de visions intérieures et qui met en œuvre les puissances

75 Ibid., p. 348.

76 Ibid., n. 2.

77 Ibid., p. 342.

78 É. Lewy-Bertaut, art. cit., p. 85. Elle note aussi que le roman cohénien est travaillé par la contradiction, puisque le romancier délègue à son héros le désir qui anime son œuvre, celui de se faire aimer comme Juif, mais voue ses aventures à l’échec ; cet échec qui prend l’allure d’un « auto-sabordage suicidaire » (ibid.. p. 89) est le signe d’une judéité inscrite comme problématique dans les strates de l’inconscient.

79 Pour une analyse détaillée de cet héritage, voir Alain Schaffner, « La théorie de l’amour dans les romans d’Albert Cohen, un héritage stendhalien ? », Cahiers Albert Cohen, n° 5, 1995, p. 83-102.

80 J. Green, Journal (10.02.1929), dans OC, t. IV, p. 29.

81 Voir « Silhouettes. M. Julien Green », entretien avec André Rousseaux, Le Figaro, 13 avril 1929 (OC, t. 1, p. 1028).

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de l’imagination. Les grands romans selon Green « sont comme une vision provoquée par la vie »82, qui traverse leurs auteurs et leur donne, avec ses revirements fous et ses brusques accélérations, le modèle premier des intrigues captivantes ; mais cette vision n’est jamais qu’une réfraction intérieure du monde extérieur, soumise à toutes les puissances du fantasme, de l’inquiétude métaphysique aussi. L’écrivain est bien proche de la théorie freudienne de la création romanesque lorsque, dans une conférence de 1950, il présente Balzac, Dickens, Flaubert comme « des enfants surhumains qui se racontaient à eux-mêmes des histoires auxquelles nous croyons encore parce qu’ils y croyaient, eux-mêmes les premiers »83. C’est justement parce que la psychanalyse projette trop de lumière sur la création qu’il s’en tient éloigné, dans la crainte que son imagination n’en soit paralysée : « Il ne faut pas que je voie trop clair… il ne faut pas que je voie clair du tout »84.

La valeur de l’œuvre balzacienne tient donc à ses yeux à l’universalité qu’elle atteint, par l’attention à ce qui remonte des profondeurs intérieures et à l’irrationnel qui s’y agite. On aura noté l’association étroite établie par Green entre Balzac et Dickens.

Or en 1970, il les range aux côtés de Dostoïevski, découvert depuis une vingtaine d’années et devenu une référence majeure de ses réflexions sur le roman : en comparaison du Vanity Fair de Thackeray, tableau social qui ne peut être pleinement goûté sans une formation anglaise, « Dickens, qui a inventé un univers de fou n’ayant aucune contrepartie dans la réalité, est beaucoup plus humain. Balzac aussi. Les Russes certainement, avec une universalité souveraine »85.

On ne se méprendra donc pas sur l’allégeance du jeune Green à « la tradition du roman français »86, ni sur les propos par lesquels il dit mal comprendre « ce qu’on veut dire par roman moderne »87. Ce qu’il pratique lui-même n’est pas une écriture vouée à mettre en scène des caractères transpercés par les lumières de l’analyse dans un récit bien ordonné, mais une écriture quasi hallucinatoire, qui jaillit d’une image initiale sans plan préétabli. Plus encore que l’influence des romans réalistes et psychologiques français se manifeste dans son œuvre celle du roman gothique anglo-saxon ; il rapporte d’ailleurs une phrase de Nathaniel Hawthorne qui entre en résonance avec sa propre définition d’une création visionnaire : « Mes visions sont beaucoup plus nettes dans le crépusculaire éclat du feu qu’à la lumière du jour ou d’une lampe… »88.

Balzac est lui-même vu sous cet éclairage, non pas fixé par l’histoire littéraire dans la posture de fondateur du réalisme, mais tel qu’il fut perçu par un jeune homme qui dévora toute son œuvre entre dix-sept et vingt-trois ans, parmi une foule de lectures de toutes époques et de tous pays, entre Suétone, Henry James ou Tchekhov. Un jeune homme aussi qui découvrit Proust à Savannah, « ville romantique s’il en fut et dans un décor plus proche de Chateaubriand »89. La connaissance familière de la littérature de

82 Ibid., p. 1441.

83 J. Green, « Genèse du roman », dans OC, t. III, p. 1463.

84 « La passion du bonheur », entretien avec Sophie Lannes, L’Express, juin 1982 (OC, t. VI, p. 1527). Dans un entretien avec François Le Grix sur Léviathan, Green dit décrire le monde « entrevu dans des hallucinations de romancier » (Revue hebdomadaire, 27 avril 1929 ; OC, t. I, p. 1031).

85 J. Green, Journal (17 décembre 1970), dans OC, t. V, p. 583. En 1982, il revient sur ses réticences passées à lire Dostoïevski, dont il aurait en fait pressenti et redouté « une influence déterminante et écrasante », puis conclut : « Il reste pour moi le plus grand romancier universel ; Je n’en vois pas de plus grand » (« La passion du bonheur », entretien avec Sophie Lannes, art. cit., p. 1527).

86 « Un quart d’heure avec Julien Green », entretien avec André Rousseaux, art.cit., p.1026.

87 « Une heure avec Julien Green romancier », entretien avec Frédéric Lefèvre, art. cit,, p.1025. Il s’en tient dans cet entretien à une définition extrêmement traditionnelle du roman, vu comme étude dynamique de caractères, sans ressentir la nécessité d’innovations sur la forme dont Tristan et Iseult serait le moule exploitable à l’infini

88 J. Green, « Un puritain homme de lettres : Nathaniel Hawthorne », Éditions des Cahiers libres, 1928 (OC, t. I, p. 1002).

89 J. Green, « Je ne suis pas de ceux qui… », Revue des universités alémaniques, septembre 1974 (OC, t. VI, p. 1485.

C’est aussi la lumière crépusculaire des émotions universelles qu’il voit luire dans le début de la Recherche : « ces pages, éclairées par la flamme d’une bougie, la bougie de l’enfance, nous ramènent à la région d’une beauté

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