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Dominique Pradelle, Par-delà la révolution copernicienne

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Texte intégral

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Emmanuel Housset

Université de Caen Normandie Identité et Subjectivité

Dominique Pradelle, Par-delà la révolution copernicienne, PUF, 2012.

Dominique Pradelle, après un premier ouvrage qui a fait date dans les études husserliennes (L’archéologie du monde, Kluwer, 2000), propose avec Par-delà la révolution copernicienne une interprétation de la subjectivité transcendantale qui aura sa suite dans un second volume. Ce vaste projet, qui engage la possibilité d’une phénoménologie de la raison, développe, dans une écriture aussi précise que claire, une lecture husserlienne de Husserl, sans la moindre intention scolaire d’orthodoxie, qui permet de retrouver ce qui fait la vie même de la phénoménologie, c’est-à-dire ce par quoi elle tranche avec toutes les autres tentatives philosophiques. La thèse constante de l’ouvrage est explicite : pour Husserl la phénoménologie est le seul vrai positivisme, car le retour aux choses mêmes a pour condition une désubjectivisation radicale, qui marque une rupture définitive avec le kantisme. L’idéalisme transcendantal husserlien n’est pas un idéalisme subjectif (p. 303). Ce livre échappe en outre à certains travers de travaux sur Husserl : il ne découpe pas l’œuvre de Husserl en époques incompatibles, il ne divise pas sa philosophie en champs extérieurs les uns aux autres, il n’écrase pas Husserl sous Heidegger et il ne confronte pas Husserl avec des pensées qui n’ont pas de sol commun avec lui, mais il dégage la profonde unité de sa philosophie, l’idée directrice de la phénoménologie, telle qu’elle se donne à voir à partir de Kant.

Dominique Pradelle part de Kant en rappelant que le geste copernicien vise à

fonder les structures a priori de l’objet apparaissant sur les structures invariables du

sujet connaissant. Le sujet transcendantal est un ensemble de facultés (sensibilité,

imagination, entendement, raison) auxquelles s’ajoutent des formes a priori inhérentes

(espace et temps, schèmes purs, catégories, Idées). Or, pour Husserl, il s’agit encore de

psychologiser le sujet pur et de le comprendre à partir du monde, et c’est pourquoi le

travail de ce nouvel idéalisme transcendantal est celui d’une réécriture de la Critique

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de la raison pure en s’affranchissant de ce qu’il reste d’anthropologie chez Kant. Bien évidemment il ne s’agit pas d’une simple question historique, puisque l’enjeu est l’accès à l’être du sujet transcendantal. Cette méthode qui consiste à interroger en même temps le phénomène lui-même et l’histoire du concept, pour qu’ils s’éclairent réciproquement, ne cache pas son enracinement dans la philosophie de Heidegger, qui lui aussi a appris à tenir avec rigueur l’exigence d’intuitivité par rapport à tout procédé régressif- constructif.

Dominique Pradelle montre comment Husserl comprend le temps et l’espace

comme des formes pures de toute objectualité sensible et suit un principe

phénoménologique strict : la hylé prescrit ses propres formes immanentes. La

phénoménologie se donne ainsi pour tâche d’élucider l’origine non mondaine du sens

et de la validité de tout ce qui est mondain, mais pour cela il est impératif d’écarter le

psychologisme transcendantal qui se contente d’abstraire la couche de l’âme pure et qui

explique donc encore le monde par une partie du monde. Toute l’erreur du réalisme

transcendantal consiste précisément à attribuer à un morceau de monde une fonction

transcendantale. Contre toutes les formes du naturalisme, il faut mettre en évidence que

la conscience n’est pas une substance psychique. Ainsi ce livre souligne qu’en dépit de

son opposition à l’empirisme Kant demeure dépendant de ce dernier dans sa conception

de l’âme. Or cela ne va pas de soi, car dans sa conception du sujet transcendantal Kant

semble échapper à une telle critique, puisque le « je » n’est pas la permanence d’un

substrat. En effet, l’intention la plus constante de Husserl est d’élucider la

transcendance dans l’immanence de l’ego pur, et cela n’est possible que par une

conversion intuitive du « je pense doit pouvoir accompagner toutes mes

représentations » (p. 56). Une telle conversion dévoile la véritable signification de la

permanence de l’ego : aucun vécu ne peut totalement disparaître et ce pouvoir de

temporalisation dans la réactivation ne tient pas à une faculté du sujet, mais provient

des vécus eux-mêmes. En montrant ainsi que la centration égoïque des vécus est

fonctionnelle, Husserl parvient à concilier la doctrine kantienne de l’aperception et

l’exigence intuitionniste. Avec une maîtrise parfaite l’auteur montre comment Husserl

dégage la manière d’être de l’instance transcendantale par rapport à celle de toute chose

du monde et il peut écrire que l’ego pur immuable est un sujet sans qualité. Autrement

dit, il est au-delà de l’être, si bien sûr l’être se trouve réduit aux entités de la sphère

intramondaines. Le je transcendantal est supra-mondain et supra-temporel, et c’est

pourquoi son inviduation est idéale : il se donne intuitivement comme une idéalité (p.

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75). Reprenant une expression célèbre de Husserl, l’auteur montre que la distinction entre l’Urstand du « je » et le Gegenstand est une division fondamentale des catégories.

Dominique Pradelle, en lisant Husserl à partir de la Critique de la raison pure, peut alors souligner l’absurdité de la doctrine de la chose en soi pour une pensée qui fait de l’être effectif un moment du sens. Il s’agit ici d’affirmer toute l’étendue du principe intuitionniste en dégageant une logique transcendantale indépendante de toute présupposition sur l’essence du sujet connaissant et qui s’impose donc également à un intellect divin (p. 87). Encore une fois, pour la phénoménologie, c’est la chose qui fixe la norme de sa perception et non pas le sujet et ses facultés. Cela permet précisément à Husserl de décrire phénoménologiquement, et non de penser métaphysiquement, la distinction entre vérité de fait et vérité de raison. Dès lors il ne peut pas y avoir de création des vérités éternelles, et les lois eidétiques s’imposent même à Dieu. Il faut reconnaître que tout l’ouvrage fait preuve de beaucoup de finesse dans l’équilibre entre la lecture husserlienne de Kant et une lecture plus contemporaine de Kant qui plonge au cœur de la question du sujet. Ces deux lectures en outre se rejoignent pour mettre en évidence ce qui constitue l’effet tranchant de la philosophie de Husserl : ce n’est pas le type de subjectivité qui détermine la structure de l’objet. Tel est le renversement du renversement copernicien : accéder à une logique transcendantale qui soit totalement indépendante d’une anthropologie comme d’une théologie rationnelle. Même si ce projet qui se formule à partir de Kant n’est peut-être pas le seul de Husserl.

Le chapitre III s’attache à la critique de la doctrine kantienne des facultés et

donc à la thèse kantienne d’une structuration universelle et invariante des facultés

humaines. Comme le montre Dominique Pradelle, Husserl n’hésite pas à dénoncer une

facticité du sujet transcendantal kantien : le repli kantien de l’apriorité sur l’innéité est

un anthropologisme. En effet, défendre une innéité des catégories, c’est soutenir

qu’elles reposent sur une organisation factuelle du sujet (p. 117). Telle est la critique

majeure de la doctrine kantienne : les constructions rationnelles se fondent sur la

structure anthropologique du sujet fini (p. 131). Le chapitre IV poursuit cette

interrogation, mais par un élargissement qui est une confrontation avec la lecture que

Cohen et Heidegger font de la Critique de la raison pure. Au-delà de leurs divergences,

ces deux lectures ont tout de même un point commun à qui est de vouloir soustraire la

pensée kantienne aux reproches d’innéisme et d’anthropologisme. En effet, Cohen

comme Heidegger cherchent à réduire la facticité du sujet transcendantal dans la pensée

de Kant en écartant dans leur lecture la doctrine psychologique des facultés. Autrement

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dit, dans la Critique de la raison pure l’anthropologisme demeurerait présent dans l’esthétique, mais serait dépassé dans la logique. Par rapport à une telle lecture, le livre de Dominique Pradelle restitue à la critique husserlienne toute sa force : la « faculté » de connaissance n’est pas du tout une « façon de parler » (p. 167) et la distinction entre esthétique et logique est structurelle. Dès lors, il y a bien une facticité anthropologique chez Kant.

L’ouvrage peut alors reprendre dans le chapitre V le thème directeur de la désubjectivisation de la sensibilité et de l’entendement en montrant que la phénoménologie effectue un changement de regard sur l’abstraction elle-même.

L’abstrait et le concret désignent des propriétés structurelles des contenus noématiques (p. 179), et c’est pourquoi ici l’impossibilité ontologique est ce qui fonde l’impossibilité noétique. L’auteur explique ainsi en quoi pour Husserl la phénoménologie est ce qui accède enfin au véritable concept de l’a priori : l’a priori est intuitif et idéal, et non construit et abstrait. On mesure alors le chemin parcouru depuis Kant dans la mesure où, pour Kant, une représentation a priori a sa source dans la forme subjective d’une faculté. Husserl, lui, a pu mettre en évidence que le concept objectif de l’a priori ne présuppose pas une faculté subjective d’intuition. Telle est la radicale nouveauté de Husserl : le sensible et le catégorial ne désignent plus des pouvoirs subjectifs (p. 184).

Il peut élaborer un tout nouveau concept de fondation qui n’est pas du tout kantien. La philosophie de la conscience devient alors une philosophie des structures noétiques, et toute l’analyse de l’intuition catégoriale vient confirmer que c’est l’essence de l’objet qui détermine son mode de donnée et non la nature du sujet connaissant. En conséquence, le renversement du kantisme consiste à montrer que la sensibilité et l’entendement sont cette fois deux modes d’évidence prescrits par les différents niveaux d’objets.

Le chapitre VI tire les conséquences des analyses précédentes en expliquant

comment Husserl élucide le sens phénoménologique de la raison, qui n’est justement

pas une faculté psychique ou un invariant anthropologique, mais une structure

téléologique de l’intentionnalité. On accède à la raison à partir des essences

noématiques (p. 205), et cela permet d’élaborer une doctrine eidétique des formes de la

rationalité, et donc de la pluralité des modes d’évidence. Là encore, la

désubjectivisation du concept de raison permet de retrouver la pluralité, puisque la

raison devient une structure de la conscience d’objet qui embrasse toute la vie de la

conscience. Husserl effectue ici non seulement un élargissement considérable du

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concept de raison, puisqu’elle englobe toutes les formes d’évidence, mais en outre il montre avec la physique ou les sciences de l’esprit que le type de rationalité ne relève pas de l’initiative du sujet, mais bien du mode de donnée qui appartient à la catégorie d’objets (p. 216). La raison est un nom qui englobe tous les actes de validation, de fondation ou d’attestation et, encore une fois, c’est l’eidos de l’objet qui détermine le mode de connaissance de l’objet et son style d’accomplissement. De ce point de vue, l’apodicticité s’impose elle-même à la conscience par le type d’objet qu’elle vise, et l’infinité de l’Idée vient du mode de donation de toute transcendance mondaine. Tout cela montre qu’il est absurde d’opposer, chez Husserl, une phénoménologie tournée vers l’objet et une phénoménologie tournée vers le sujet, car cela conduit à manquer le sens renouvelé de l’a priori. La thèse centrale et en quelque sorte programmatique de l’ouvrage est alors énoncée à la page 259 : l’orientation subjective de la phénoménologie n’est pas un subjectivisme et « la raison est le produit de ses produits ».

Cet ouvrage marque donc bien un profond renouvellement de la lecture de Husserl, notamment en rappelant que le philosophe effectue également une désubjectivisation des formes a priori de la sensibilité : toutes les analyses husserliennes sur le temps, qui sont le cœur de son œuvre, mettent en évidence que le temps n’est pas une forme pure de l’acte d’intuitionner, mais bien une forme pure de ce qui est intuitionné. Finalement, Husserl parvient là également à échapper aux présupposés anthropologiques en pensant métaphysiquement la sensibilité (p. 267) et en la libérant, d’une toute autre façon que Nietzsche, de toute référence aux cinq sens.

Cela lui permet de distinguer, dans l’activité de l’entendement, entre l’acte de

mathématisation idéalisante du monde perceptif et la constitution préalable du monde

perceptif. L’idéalisme transcendantal husserlien permet ainsi une interprétation

phénoménologique de la distinction entre logique transcendantale et esthétique

transcendantale : « L’esthétique est une doctrine transcendantale de l’expérience ; la

logique, une doctrine transcendantale de la vérité » (p. 294). Kant et Husserl

développent donc deux conceptions très différentes de la synthèse dans la mesure où

pour Husserl cette synthèse ne renvoie pas à une catégorie donnée d’avance comme une

structure de l’entendement préconstitué. Le vrai positivisme consiste à défendre la thèse

que la nécessité est ontologique et qu’elle appartient à l’objet avant de se dévoiler à la

conscience. La synthèse passive dévoile notamment des unités de sens pré-dessinées

par les relations d’affinité et de contraste entre les qualités sensibles (p. 302).

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Le dernier chapitre reprend l’idée que le saut propre à la phénoménologie consiste dans le fait que son projet est étranger à la recherche d’invariants anthropologiques de la connaissance et se donne pour but d’élucider une vérité en soi qui n’a aucune référence à la subjectivité contingente. Au passage, Dominique Pradelle met à l’écart la lecture d’A. Schnell sur le caractère constructif de la connaissance et s’attache plus longuement à une réfutation en règle de la thèse de C. Romano sur la raison chez Husserl (p. 315). Reprenant alors le fil de ses analyses, l’auteur décrit les différentes étapes de l’idéalisation et donc de la mathématisation des phénomènes. Il accorde notamment une très grande importance au texte Natur und Geist, qui lui permet une lecture très fine de l’historicité selon Husserl. À partir de là Dominique Pradelle donne à comprendre que le projet de Husserl, par exemple quand il s’oppose à l’interprétation réaliste de la choséité physicienne, qui vient d’un oubli de soi des actes de la subjectivité, est en réalité de réactiver l’étrangeté de la démarche galiléenne, c’est- à-dire son caractère de tentative théorique. Ici également, l’intention explicite est de supprimer toute confusion entre innéité et a priori pour mettre en évidence l’hétéronomie de la théorie idéalisante qui a une fin instrumentale (p. 347). En conséquence la révolution copernicienne ne peut pas passer pour une simple méthode, car elle est d’abord une position ontologique fondamentale. Husserl n’a donc pas d’autre but que de radicaliser cette révolution copernicienne par la déconstruction de l’idée d’une subjectivité finie et en évitant toute rechute dans le psychologisme.

Finalement, la phénoménologie a pour intention de radicaliser la critique de

l’anthropologie contenue dans la révolution copernicienne en dépassant ce qui demeure

anthropologique dans l’instance transcendantale selon Kant (p. 360). Ainsi l’impératif

du retour aux choses mêmes est corrélatif de l’impératif de désanthropologiser le sujet

pur. Certes, la thèse selon laquelle la subjectivité pure se trouve constituée par ce qu’elle

constitue demeure en partie énigmatique tant que la question de l’historicité n’est pas

abordée, mais justement la conclusion de l’ouvrage de Dominique Pradelle évoque la

question de l’historicité dans l’espace eidétique et ainsi fait signe vers le volume 2 de

ce travail qui est désormais très attendu.

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