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Le FDD sagittal FDD et

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Bibliographie

Description d’un itinéraire

La liste de publications jointe à ce CD-ROM reflète une certaine variété des thèmes abordés au cours de ma carrière, peut-être trouvera-t-on qu’il s’agit même d’hétérogénéité, voire de désordre. Il me faut donc m’expliquer sur cette diversité, en retraçant ce qui fut mon itinéraire intellectuel, avec ses déterminations externes et ses motivations internes, avant de dégager quelques points à propos desquels il me semble que certains résultats ont été acquis.

I – Un itinéraire

1 - L’attrait d’une géographie aux facettes multiples

Malgré le temps écoulé, et l’inévitable imprécision des souvenirs, je peux affirmer que j’ai été de prime abord attiré par la diversité de la géographie, la variété des thèmes abordés, la multiplicité des apprentissages nécessaires à sa pratique et les contacts indispensables entre sciences de la nature et sciences de l’homme. Chemin faisant, j’ai assez vite compris cependant qu’il fallait organiser cette diversité, instaurer des hiérarchies, opérer des choix. Participant à un de ces échanges sur la nature de leur discipline que les géographes affectionnent, j’ai essayé en 1989 de formuler une vision de la structure de la géographie telle qu’elle m’apparaît, dans un texte que je m’excuse de citer un peu longuement, car il résume les principes qui expliquent un itinéraire a priori un peu déconcertant :

« Toute discipline a le droit de se définir à partir d’un certain nombre d’objets d’étude, de questions de base, de points de vue privilégiés qui en constituent le « noyau dur ». Dans cette perspective, on avancera ici que la géographie place au premier plan l’organisation de l’espace, son fonctionnement, qu’elle cherche à expliquer sa diversité, ou plutôt sa diversification, aux différentes échelles ; qu’elle pose comme prioritaire la question de la localisation (pourquoi est-ce là et pas ailleurs ?), qu’elle part de l’espace pour interroger le réel, et singulièrement la société, en rapport avec son support matériel, hérité à la fois de l’action des générations passées et des forces de la nature.

Pour étudier cet espace, objet de tant de convergences et d’interactions, les géographes ont rencontré, voire constitué, d’autres disciplines, vers lesquelles ils ont beaucoup exporté et auxquelles ils ont beaucoup emprunté... Il s’est formé, aux marges du « noyau dur » de la géographie des savoirs largement autonomes, comme la géomorphologie ou la climatologie, mais aussi, car le monde « physique » n’est pas seul en cause, des sociologies plus ou moins spatialisées, de

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Vers ces savoirs ou ces pratiques « de bordure », la géographie a d’abord exporté des individus : on peut devenir excellent géomorphologue, sociologue urbain ou économètre modélisateur à partir d’une formation de géographe. En d’autres termes, bien des géographes travaillent en dehors du noyau dur de leur discipline... L’essentiel n’est-il pas qu’ils fassent du travail intéressant pour eux comme pour la communauté scientifique ? Cette circulation vers les marges peut même comporter de féconds allers et retours... Ce qui vient d’être dit des individus est aussi valable pour les méthodes, les concepts, les interrogations ».

Mon cheminement personnel est assez marqué par un des ces « allers et retours » dont il vient d’être question, et par un désir constant de ne pas perdre contact avec le « noyau dur » tel que je l’ai défini. Tout en gardant des rapports avec l’ensemble du travail géographique, j’ai considéré qu’il était désirable d’acquérir une spécialisation dans un domaine bien délimité. La forte structure logique de la climatologie telle qu’elle m’était apparue dans les enseignements de A. Cholley et P. Birot m’a amené à orienter mes premières recherches vers les climats de l’Inde selon les suggestions du second, et à déposer un sujet de thèse sous sa direction. Un travail régulier m’a permis de m’initier aux mécanismes de la formation des climats, et à reconnaître l’importance d’un certain nombre de concepts qui m’ont toujours guidé par la suite. D’autre part, il m’a semblé être arrivé à une certaine compréhension de ce qu’on pourrait appeler un premier niveau d’explication, les rapports entre types de circulation, temps et répartition des climats, avec sans doute un apport original sur les relations aux différents ordres de grandeur. Des articles de 1961 et 1979 m’ont paru résumer l’essentiel de ce que je pouvais apporter en la matière. Mais il existe un second niveau d’explication, prenant en compte les causes des fluctuations d’ordre de grandeur élevé, tant du point de vue spatial que du point de vue temporel. Sur cet aspect, j’ai acquis une certaine connaissance des grands principes tels qu’ils apparaissent dans la littérature météorologique, et j’en ai fait usage. Mais il m’a semblé évident que je ne pouvais espérer réaliser un apport original en la matière qu’en m’intégrant à des équipes internationales dotées de moyens puissants pour recueillir et traiter les données et en consacrant toute mon activité scientifique à cette question. C’est là un choix que je n’ai pas voulu faire car je ne souhaitais pas m’éloigner définitivement de la diversité de la géographie et de son « noyau dur ». J’ai donc abandonné mon sujet de thèse, pour répondre à des sollicitations fortes et diverses. 2 - Théories et pratiques

La première de ces sollicitations fut celle de l’Inde, où mes recherches en climatologie m’avaient amené à faire plusieurs séjours. Pays fascinant, et où l’on pouvait penser que se produisaient des évolutions décisives à l’échelle mondiale, en raison de sa masse, et de la confrontation de deux modèles socio-politiques, celui de l’Inde et celui de la Chine, concernant directement près de la moitié de l’humanité. Comme l’Union Indienne intéressait peu à l’époque les géographes français, il y avait là un champ d’étude attirant, et j’ai cédé ; de ce fait, j’ai été obligé de nouer des contacts féconds avec des spécialistes d’autres disciplines relevant des sciences humaines, de mener des enquêtes de terrain hors des bureaux des offices météorologiques, et de consacrer du temps à la rédaction d’articles et d’ouvrages.

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En second lieu, mon travail climatologique avait attiré mon attention sur les interactions et leur formalisation en termes de systèmes ; j’ai éprouvé le désir d’appliquer ces notions à d’autres problèmes géographiques, aussi bien dans le domaine des phénomènes naturels que des faits humains, et d’abord à leurs rapports de réciprocité.

Cette évolution s’est produite dans les années 60, c’est à dire à un moment où intervenait dans la géographie française ce qu’il est commode d’appeler la « révolution quantitative » : un mouvement caractérisé par l’introduction de techniques nouvelles, mais aussi de changements de méthodes, peut-être de paradigme. Une démarche modélisatrice, fondée sur la recherche sinon de lois, du moins de « régularités », s’est substituée à des démarches plus inductives, qualifiées de « biographiques » par un géographe anglais, dans la mesure où elles s’attachent aux spécificités, à l’unique, et montrent de la méfiance vis-à-vis des modèles et des règles. Je me suis intégré assez rapidement à des groupes de géographes intéressés par des innovations portant à la fois sur des techniques nouvelles et des réflexions théoriques. J’ai donc participé à ces dernières, tout en utilisant l’analyse des données pour le traitement de problèmes précis et concrets.

La réponse à ces sollicitations explique que le liste de mes publications présente deux types de productions :

D’une part, quelques articles essentiellement théoriques, constituent des mises au point, en général illustrées d’études de cas, dont beaucoup proviennent de travaux personnels. J’y fais un certain nombre de propositions au sujet de notions présentant au moins un certain degré de nouveauté, telles que celles de « mémoire » ou « d’espace reçu ». J’ai aussi essayé de voir quel pouvait être pour la géographie la portée de « concepts nomades » (selon l’expression de I. Stengers), qui circulent dans la communauté scientifique, comme celui de chaos, tout en m’efforçant de ne pas céder aux effets de mode ;

D’autre part, beaucoup de textes traitent de questions concrètes, afin d’instaurer un dialogue entre les réflexions méthodologiques et l’étude de problèmes limités et de mettre en œuvre modèles et techniques. Le choix de ces thèmes a été guidé par la recherche d’une certaine variété, maintenue autant que possible dans des limites raisonnables. Il a été inspiré par trois types de considérations :

- Le désir de valoriser des acquis, ou, si l’on préfère, la fidélité aux premières

amours : d’où la part faite au climat et à ses relations avec les actions humaines, ainsi qu’à la géographie de l’Inde ;

- Le désir de m’intégrer à des équipes de recherche, notamment à l’Université Paris

7. J’ai donc longuement travaillé avec des collègues intéressés par l’espace rural français, puis, plus généralement, par la géographie des équipements et les trames administratives. Ce thème des équipements fait d’ailleurs partie de mes préoccupations actuelles, puisque je poursuis, toujours en collaboration, des travaux sur l’implantation des établissements scolaires et universitaires ;

- Les besoins de l’enseignement. J’ai été chargé dès la fin des années 60 d’enseigner

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L’évolution ainsi rapidement décrite aboutit à un ensemble d’un peu plus de 80 publications, multiforme et inégal. Il comporte beaucoup de publications collectives, puisque j’ai beaucoup travaillé en équipe, mais je crois avoir pris ma part dans toutes celles où ma signature apparaît. Je dois cependant beaucoup à la richesse intellectuelle des rencontres et collaborations, notamment dans le cadre de l’Université Paris 7, du Centre d’Etudes de l’Inde et de l’Asie du Sud, du groupe de Recherches Pour l’Avancement des Recherches sur l’Interaction Spatiale (P.A.R.I.S.) et du Groupe Dupont.

II - Acquisitions

1 - Construire une géographie

La suite des articles théoriques que j’ai pu écrire a répondu à un besoin intérieur d’ordre et de cohérence. Il ne s’est pas agi pour moi de dire ce qu’est LA géographie, ce qui aurait été bien prétentieux, mais de définir les cadres généraux qui coordonnent à mes yeux des éléments divers, d’établir des hiérarchies et des principes généraux qui peuvent constituer un savoir organisé, UNE géographie possible en quelque sorte… Qu’il y ait d’autres organisations possibles ne m’échappe pas, et il m’arrive d’en débattre longuement avec mes collègues ; mais je ne pouvais ni participer à des recherches ni enseigner sans avoir pour guide une conception d’ensemble ; celle-ci me paraît reposer sur une construction cohérente, mais je n’ai pas eu l’occasion d’en faire un exposé global, du moins hors de mes enseignements. Je n’en ai donné que des exposés partiels, souvent au gré des circonstances et des demandes. Je me bornerai donc ici à passer rapidement en revue les quelques points sur lesquels j’ai le plus insisté, et qui me paraissent les plus importants.

Une attention particulière a été portée à la notion de système. Certes des géographes ont depuis longtemps compris l’importance des interactions, mais il m’a semblé que dans l’ensemble ils en faisaient un usage partiel, et que beaucoup restaient très influencés par les logiques linéaires. J’ai donc insisté assez tôt sur l’importance des logiques interactives, d’abord en climatologie puis dans l’ensemble de la géographie, et j’ai essayé de montrer l’intérêt pour notre discipline des réflexions générales de la systémique. J’ai particulièrement mis l’accent sur les possibilités offertes par les différents types de formalisation des systèmes, selon la nature des données disponibles et des problèmes traités. J’ai fait usage de la notion dans la plupart des travaux entrepris sur des questions diverses, mais je lui ai donné une place particulière dans des écrits sur l’atmosphère, les espaces ruraux, l’utilisation de l’eau.

Dans un même esprit, j’ai consacré plusieurs articles aux modèles et à la modélisation, tout en la pratiquant à propos de cas concrets. J’ai eu l’occasion de mettre l’accent sur l’utilité d’une pratique consciente de la modélisation, qui permet d’utiliser les riches enseignements des réflexions générales sur la grammaire des modèles. Mais d’un point de vue un peu différent, j’ai essayé de définir les spécificités des modèles les plus utiles en géographie. Celle-ci a besoin d’introduire constamment une dimension spatiale, ce qui ne va pas sans poser quelques problèmes délicats, dont elle peut trouver la solution en faisant une large place à l’interaction spatiale, et en introduisant dans les équations des modèles les plus formalisés des fonctions de la distance. D’autre part, les géographes ont toujours pour tâche de donner une description raisonnée et explicative de la variété du monde, ce qui explique qu’ils puissent porter une attention particulière aux spécificités. Mais cette attention ne doit pas, bien au contraire, les éloigner de la modélisation et de la formulation de règles.

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de la modélisation. Celle-ci permet un dialogue du particulier et du général, puisque, comme je l’ai écrit récemment « l’un ne se comprend pas sans l’autre, et il faut

essayer de comprendre l’un et l’autre. Mais il est sans doute vain d’espérer, comme on a eu tendance à le faire en géographie, que l’accumulation d’études particulières permettra d’arriver à des généralisations. Il est souvent beaucoup plus fécond de partir du général, du modèle, fût-ce au prix de simplifications drastiques, et de l’utiliser pour situer et comprendre le particulier ».

Les modèles formalisés en termes les plus abstraits et les plus rigoureux, en termes mathématiques, donc, font l’objet d’une attention particulière en géographie depuis quelques années, et c’est une excellente chose. Mais des contraintes pratiques feraient courir le risque d’une restriction regrettable du champ de la modélisation si l’on devait se limiter à la pratique de ces « modèles durs ». J’ai donc été amené à envisager systématiquement la diversité des formes de la modélisation, et à discuter la légitimité de certaines d’entre elles, notamment dans un exposé introductif à un congrès international. J’ai d’ailleurs beaucoup pratiqué cette modélisation multiforme avec les étudiants du DEA « Analyse Théorique et Epistémologique en Géographie ».

L’association de la géographie à l’histoire dans l’enseignement secondaire français dit assez l’importance accordée à la dimension temporelle, aux héritages, dans la compréhension des structures spatiales actuelles. Mais il m’a semblé que des géographes ont tendance à faire une utilisation assez paresseuse ou maladroite de ce qu’ils appellent « l’explication historique ». J’ai donc proposé un certain nombre de réflexions générales sur l’articulation du diachronique et du synchronique en géographie. L’étude de la succession des systèmes, des circonstances de la systémogénèse et de la destruction des systèmes, m’a amené à présenter des réflexions sur le rôle des changements brusques et des bifurcations et plus généralement sur le déterminisme et l’aléatoire, une question à propos de laquelle un grand nombre de géographes ont des positions pour le moins curieuses et paradoxales.

Toujours dans le même cadre, j’ai été amené à proposer d’envisager l’espace comme une « mémoire » puisqu’il s’y inscrit la part active du passé, que ce soit le passé du temps de la nature, ou celui du temps des hommes. A cette occasion, j’ai essayé de resituer une dichotomie classique entre « géographie physique » et « géographie humaine » et de proposer à la fois un déplacement de lignes de clivages et une vision plus intégrée des déterminants spatiaux. Poser, comme je l’ai fait, que la présence d’un caractère dans un lieu dépend simultanément des autres caractères de ce lieu, de son passé mémorisé et de ce qui se passe dans un ensemble de lieux en relation avec le lieu considéré peut paraître banal. Mais cette formulation générale, ainsi que le concept d’espace-mémoire doit être un peu plus nouveau qu’on ne pourrait l’imaginer, si j’en juge par les réticences rencontrées chez un certain nombre de géographes et de l’intérêt manifesté par d’autres.

On a beaucoup insisté récemment sur le fait que l’espace, objet majeur de la géographie, est un produit social. Mais il m’a semblé que cette idée, difficilement contestable, a conduit certains à des visions beaucoup trop unilatérales, revenant à des logiques linéaires que j’ai critiquées. J’ai proposé un schéma des interactions entre sociétés et espaces, que je reproduis en annexe. Il cherche à indiquer les cheminements qui conduisent de la société à l’espace, et, en retour, de l’espace à la

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général des « règles spatiales » mentionnées par le schéma et des modèles qui permettent de les formaliser dans un article de 1984, que je considère d’ailleurs comme dépassé, sans en renier les principes directeurs.

L’ensemble de ces considérations théoriques, souvent assez abstraites, ont été inspirées par un désir de formaliser les résultats d’études de problèmes concrets ; réciproquement, elles m’ont servi de guide pour ces études.

2 - Thèmes indiens

J’ai été amené à plusieurs reprises à rédiger des synthèses sur la géographie de l’Union Indienne, ce qui m’a conduit à suivre son évolution pendant les décennies écoulées depuis l’indépendance. Je me contenterai ici de retenir un certain nombre de thèmes qui ont fait l’objet de recherches et de réflexions dans des voies habituellement modérément explorées, du moins par les géographes.

Assez paradoxalement, il me semble qu’il restait beaucoup à dire sur la définition même de l’Inde comme entité spatiale. J’ai toujours dit aux étudiants qu’il fallait que le géographe garde sa faculté d’étonnement ; or elle apparaît dans la littérature comme singulièrement émoussée devant l’existence d’un très grand Etat, le deuxième du monde par sa population, très loin devant le troisième. J’ai donc été amené à renverser la perspective habituellement adoptée dans les discours sur l’Inde, qui consiste à insister sur sa diversité, puisque celle-ci est moins étonnante, pour un espace grand comme l’Europe, que son existence même en tant qu’état. L’exploration de cette voie m’a mené à des comparaisons avec la Chine, à des interrogations sur l’origine des fortes densités démographiques de l’Asie Orientale, et à la recherche de ce qu’on peut appeler les bifurcations fondamentales qui ont déclenché le fonctionnement de boucles de rétroaction positive, comme celle qui lie la structure de l’Etat, les agricultures intensives et les fortes densités.

L’Inde, on le sait, est caractérisée par un système social particulier, appuyé sur un fond culturel ancien, le système des castes. Les rapports entre ce système et l’organisation de l’espace, et plus généralement le degré de spécificité que l’Inde doit (ou devrait) à son particularisme socioculturel en matière de développement économique, fait l’objet de débats fort intéressants. J’ai participé à une réflexion collective portant, entre autres, sur ce thème dans le cadre des nombreuses réunions d’un séminaire pluriannuel tenu dans le cadre du Centre d’Etudes de l’Inde et de l’Asie du Sud. Il associait des sanskritistes, des historiens, des sociologues et anthropologues. Les uns et les autres ont porté un certain intérêt aux points de vue que j’exprimais en tant que géographe ; ils m’ont d’ailleurs demandé de participer au Comité de Rédaction de la série Purushartha éditée par ce centre, et à plusieurs de ses équipes. C’est en partie pour aborder ce problème de la spécificité indienne que j’ai mené une longue enquête de terrain sur les entrepreneurs industriels de la ville de Poona (Pune).

Mon intérêt pour la climatologie m’a tout naturellement incité à intervenir dans un débat qui porte sur les « responsabilités » de la nature dans les famines, disettes, et crises économiques d’origine agricole qui pèsent lourdement sur l’histoire économique récente de l’Inde. J’ai accumulé sur ce point une documentation statistique assez importante (données sur la météorologie et les productions agricoles depuis l’indépendance, en allant jusqu’à l’échelle des quelques 300 districts du pays), et j’ai dépouillé à Londres les rapports des commissions des famines instituées à la fin du siècle dernier. Je n’ai exploité

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que partiellement cette documentation. Je crois cependant avoir montré le rôle indéniable des fluctuations climatiques pour une agriculture qui paraît adaptée à des pluviosités légèrement supérieures aux moyennes - n’oublions pas que ce rôle avait été nié par certains, fortement surestimé par d’autres. J’ai aussi schématisé l’ensemble des processus qui, à partir d’accidents climatique bien avérés, aggravent la situation jusqu’à faire apparaître des famines au sens précis du terme. Les méthodes statistiques assez simples (régression et résidus) utilisées pour l’Inde m’ont aussi servi pour envisager le problème du rôle des facteurs climatiques dans l’évolution de la production agricole dans l’ensemble du monde. Mon but était d’essayer de mesurer et situer à leur juste place des effets qui étaient niés par les uns, fortement surestimées par d’autres, à partir de positions marquées de considérations idéologiques, et je crois avoir au moins posé des jalons significatifs.

J’ai aussi eu l’occasion de montrer qu’il existe en Inde des « désajustements » marqués entre les densités de population et les productivités agricoles, dans le cadre d’une relation d’ensemble. L’étude et la cartographie des résidus d’une régression linéaire montre le rôle des bifurcations anciennes dans l’histoire du peuplement et de la mise en valeur, et aussi des structures sociales du monde agricole. Un bref article m’a permis de donner ainsi un exemple de cette « interrogation de la société à partir de l’espace » où F. Braudel voyait l’une des tâches propres de la géographie.

Enfin, l’étude de l’organisation spatiale de l’Inde se prête bien à la mise en œuvre d’un système d’interférences entre les répartitions de phénomènes de nature variée, obéissant chacun à des logiques propres et dont il s’agit de saisir les combinaisons synthétiques. Ce système a été présenté sous forme schématique, et je l’utilise actuellement dans l’écriture du volume « Monde Indien » de la Géographie Universelle RECLUS en cours de rédaction.

3 - Forces et temps de la nature et sociétés

La notion de milieu naturel est synthétique, et celle de milieu étend encore cet aspect synthétique en incorporant les mémoires du passé des hommes. Il est donc normal de présenter les travaux publiés dans ce domaine selon leur caractère synthétique croissant. A un premier niveau, le plus partiel, j’ai utilisé les ressources de l’analyse des données pour la description des climats, suivant des techniques devenues classiques, mais qui présentaient un certain degré de nouveauté, au moins pour les géographes français, au moment où j’ai commencé à les utiliser. J’ai eu par exemple l’occasion de confronter l’efficacité des analyses factorielles et des classifications automatiques avec des méthodes graphiques-cartographiques plus classiques, dans le cadre des travaux d’une équipe de climatologie tropicale (Université de Dijon). On sait d’autre part que les phénomènes climatiques sont fluctuants, et que l’étude de ces fluctuations doit être intégrée à la description climatique. Mais, de ce point de vue, l’introduction de la dimension spatiale présente quelques difficultés ; j’ai proposé une technique cartographique intégrant les fréquences annuelles dans une image des climats de la France, en définissant des « noyaux climatiques » et des zones de transition. Il s’agit là en somme d’une façon simple d’introduire le flou dans les régionalisations.

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complexité, et dont la mise en œuvre demande des moyens de calcul très puissants. Elle était naguère encore moins courante chez les géographes, si bien que j’ai innové dans une certaine mesure, en proposant en quelque sorte un niveau de lecture des processus atmosphérique intermédiaire entre les ensembles d’équations différentielles et les logiques linéaires qui marquaient encore il y a quelques années les écrits de certains géographes. J’espère avoir montré à ce propos l’intérêt des schémas graphiques de systèmes.

Les utilisations de l’eau par les sociétés humaines sont le type même du phénomène à composantes multiples, climatiques, hydrologiques, démographiques et économiques. Leur étude se prête donc particulièrement bien à la mise en œuvre de perspectives systémiques, que j’ai tentée dans deux ouvrages. Le second cherche à répondre à un défi assez stimulant : essayer de faire passer les notions qui viennent d’être mentionnées, et aussi celles d’ordre et de désordre dans un livre destiné à un large public jeune.

C’est encore une perspective synthétique que j’ai essayé d’utiliser dans les chapitres que j’ai rédigés sur « les forces et temps de la nature » pour le volume introductif de la

Géographie Universelle RECLUS. J’ai tenté de mettre en évidence les énergies qui

gouvernent le système-terre, ce qui offre une voie vers une vision globale de ce système. 4. - Espaces ruraux et équipements

La constitution dans le cadre de l’Université Paris 7 d’une équipe de recherche sur l’Espace rural français, fut le résultat du groupement d’enseignants désireux de confronter leurs expériences antérieures et d’unir leurs forces pour appliquer à un objet sur lequel ils avaient déjà travaillé les techniques et les méthodes nouvelles caractéristiques de ce qu’on appelait alors la « révolution quantitative en géographie ». C’est principalement par intérêt pour ces innovations que j’ai participé à cette équipe, qui devait d’ailleurs plus tard mettre l’accent sur ses préoccupations méthodologiques en devenant le Groupe de Recherches sur les Modèles et les Systèmes en géographie (GREMOS).

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Les études réalisées dans ce cadre offrent à mes yeux un exemple des procédures complémentaires du travail géographique et de la mise en œuvre de quelques conceptions essentielles :

L’analyse des données aboutit d’abord à ce que l’on pourrait appeler des « descriptions affinées », qui permettent de dégager des mécanismes généraux et des spécificités, par la mise en œuvre constante de la technique des résidus. Il est alors possible de passer de la description à la recherche d’explications, utilisant une grande variété de méthodes, depuis les analyses statistiques complémentaires jusqu’aux travaux de terrain et aux études de cas faites selon des choix raisonnés en fonction des résultats des études statistiques exploratoires.

Le caractère multivarié des techniques utilisées facilite la mise en valeur des inter-relations et des systèmes, et l’identification des composantes explicatives multiples sur lesquelles doit reposer toute explication sérieuse. L’ouvrage collectif de synthèse sur l’Espace rural français publié en 1978 identifie ainsi entre autres « les composantes rurales du fait régional » et insiste sur les systèmes de production et de peuplement. A la date de sa publication, il représentait une nouveauté, puisque c’était l’un des premiers livres écrits par des géographes français qui faisait un usage généralisé de l’analyse des données et d’un certain type de logique. Certaines des combinaisons de composantes ont fait l’objet d’études complémentaires, comme celles portant sur le rôle respectif des structures de propriété, des caractères naturels et de la position par rapport au marché dans l’utilisation agricole du sol. La nécessité d’éliminer un biais introduit par les variations inter-régionales de la taille des communes a attiré l’attention sur l’importance de la trame communale, qui sert de base à la collecte de bien des données. D’abord prise en considération pour éliminer un « bruit », ou, si l’on préfère, une « composante banale », cette trame a ensuite été étudiée pour elle-même. Elle est en effet le fruit d’un enracinement historique profond, et les efforts pour la modifier afin de l’adapter aux nécessités du monde contemporain se sont heurtés à des grandes difficultés.

Le GREMOS s’est constamment intéressé à la modélisation, et plusieurs modèles ont

été formulés dans l’étude de l’espace rural. Mais il nous a aussi paru intéressant de tester l’apport du très classique modèle de Christaller à l’explication du réseau des commerces fixes en France. Nous avons utilisé pour effectuer cette vérification des hypothèses du modèle les techniques d’analyse de semis de points (technique des quadrats et du plus proche voisin), ce qui n’avait guère été fait en France auparavant. Ces techniques offrent un exemple de statistique proprement spatiale, puisqu’elle part des positions relatives, alors que l’analyse des données n’est spatiale que dans la mesure où elle traite d’individus localisés et cartographiables.

Du travail sur les équipements commerciaux effectué dans ces circonstances, je suis passé à des recherches sur le réseau de formation des jeunes, notamment sur les implantations des établissements du second cycle secondaire et du premier cycle de l’enseignement supérieur, menées dans un autre cadre. L’examen des réseaux de lycées a débouché sur des analyses de la variation des taux de succès au baccalauréat. L’étude des résultats obtenus par les quelques 2 000 lycées de France a permis de les mettre en rapport avec des données géographiques (position des établissements dans le réseau urbain et appartenance régionale) et des caractères propres des

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crois avoir largement contribué au développement de ces enseignements. J’ai été amené à traiter un assez large échantillon de problèmes géographiques pour l’initiations des étudiants, puisque, comme je l’ai dit plus haut, j’ai pris pour principe de n’utiliser que des études de cas originales. J’ai donc traité des données relatives à des domaines et des aires géographiques variés, comme la géographie électorale de la France, de l’Inde et des Etats-Unis, les économies nationales à l’échelle mondiale, les structures économiques de plusieurs pays. La plupart de ces travaux n’ont pas été publiés, du moins pour le moment.

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