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UN DROIT FONDAMENTAL

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Academic year: 2022

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Renée Koering-Joulin

UN DROIT FONDAMENTAL

' I a présomption d'innocence désigne l'état, à la fois provi-

L

soire et ambigu de celui qui, qu'on le veuille ou non, n'est , I plus tout à fait un innocent mais n'est pas encore un coupable. En deçà de la présomption d'innocence il y a l'innocence, c'est-à-dire l'innocence tout court. Qu'elle soit le reflet de la vérité ou qu'elle profite indûment à qui a eu la chance de ne pas être pris, elle n'a le plus souvent pas besoin du droit pour exister, et c'est rassurant. Elle est, un point c'est tout, sauf à prétendre qu'à peine né l'homme n'est déjà plus innocent...

Au-delà de la présomption d'innocence, on trouve la culpabi- lité qui, elle, et c'est encore plus rassurant, a toujours besoin d'être dite par le juge pour prendre vie. Cependant, la parole du juge n'étant elle-même pas infaillible, la culpabilité va à son tour connaître les mêmes affres que l'innocence. Le plus généralement, elle sera

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en adéquation avec la vérité mais, parfois, elle fera injustement écran à une innocence véritable qu'il appartiendra alors à un autre juge de révéler pour la restituer à son auteur.

Et puis, entre ces deux états extrêmes, s'inscrit l'état intermé- diaire, beaucoup plus fragile que ceux qui l'entourent, de présumé innocent, dont il faut bien reconnaître qu'il fait peur presque autant qu'il fait envie.

Il fait envie d'abord, car il est incontestablement un luxe de pays civilisés. La présomption d'innocence est le symbole même du

« procès équitable », elle est un principe cardinal des procédures pénales démocratiques, elle est, pour reprendre la si belle expression de la Chambre des lords, un fil d'or tissé dans la toile du droit pénal.

Comme telle, elle mérite bien sûr d'être proclamée droit fondamental et rigoureusement protégée contre les attaques injustes dont elle pourrait faire l'objet.

Mais dans le même temps le statut de présumé innocent inquiète, tant paraît grand parfois le pas qui le sépare de celui d'innocent. C'est que les faits sont là, dans leur toute-puissance, et qu'ils imposent aux autorités publiques de s'emparer d'eux sous peine de voir revenir le temps redoutable de la justice privée... Arrivent alors le cortège de mesures stigmatisantes voire contraignantes organisées par les Etats même les plus démocratiques et le constat fatal auquel elles condui- sent : la présomption d'innocence n'est qu'une fiction.

Même si d'un pays à l'autre l'affirmation de la présomption d'innocence n'occupe pas la même place dans la hiérarchie des normes, elle est, pour utiliser un vocabulaire désormais commode, un droit de l'homme. Reste à savoir à qui profite ce droit, et à qui il peut être opposé.

L'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 est parfaitement clair sur ce point : « Tout homme » est « présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable ». Quelque deux cents ans plus tard, comme en écho, la loi française du 4 janvier 1993 énonce à l'article 9-1, alinéa 1, du code civil : « Chacun a droit au respect de la présomption d'innocence. » Autrement dit, quiconque est protégé des éventuels débordements du procès pénal même si ce procès pénal ne le vise pas personnellement.

Or, à cette conception raisonnablement protectrice de la présomption d'innocence en répondent deux autres, dont l'une a

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pour inconvénient de voir trop grand, mais l'autre de voir peut-être trop étroit.

La première, inspirée d'exemples étrangers et défendue par des constitutionnalistes français, fait du droit à la présomption d'innocence un droit offert à quiconque se voit reprocher un comportement fautif. En ce sens le Tribunal constitutionnel espagnol a énoncé en 1982, puis en 1985, que la garantie s'appliquait chaque fois qu'il y avait sanction, et que si son cadre naturel était le procès pénal, elle pouvait être étendue à d'autres types de procès (civil, administratif) et même aux procédures engendrées par des licencie- ments en droit du travail. La chose a aussi été plaidée devant le Comité de l'ONU à propos d'une disposition de l'ancienne loi française sur les faillites qui présumait la responsabilité des dirigeants. L'argument n'a pas prospéré et sans doute faut-il s'en féliciter : la présomption d'innocence, en quittant le champ de la matière pénale, risque de se galvauder et donc de perdre son âme.

Contre qui est-on protégé par la présomption d'innocence ?

A cette vision large s'oppose la vision majoritaire contempo- raine, beaucoup plus restrictive, qui est celle de la Déclaration univer- selle de 1948, de la Convention européenne des droits de l'homme de 1950 et du Pacte international sur les droits civils et politiques de 1966.

Ne bénéficie de la présomption d'innocence que le seul * accusé en matière pénale », à savoir celui qui s'est vu notifier officiellement de la part de l'autorité compétente le'reproche d'avoir commis une infraction pénale, étant précisé cependant que la jurisprudence euro- péenne a donné une acception très large à la notion de matière pénale.

Encore plus restrictive d'ailleurs apparaît l'approche du législa- teur français de 1993 lorsque, dans l'alinéa 2 de l'article 9-1 du code civil, il réserve sa protection civile aux seules personnes nommément mises en cause dans une procédure pénale, stricto sensu cette fois.

D'où l'allure étrange de cet article 9-1 : par son alinéa 1, que l'on doit à une plume législative généreuse (celle du législateur du

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4 janvier 1993), il mérite bien sa place au sein d'un code civil ; en revanche, par son alinéa 2, que l'on doit à une plume législative bien plus économe (celle du législateur du 24 août 1993), il aurait été beaucoup mieux à sa place au sein du code de procédure pénale.

Mais déjà, avec cette allusion à l'article 9-1 du code civil, se profile la question de savoir contre qui on est protégé par la présomption d'innocence.

En ce domaine, aucune hésitation. Parce qu'on est confronté à un droit fondamental, le présumé innocent va pouvoir l'opposer à tout le monde. A tous les pouvoirs étatiques d'abord, et notamment à son interlocuteur naturel, le juge, lorsqu'il manifeste à son égard un « préjugé »...

A toutes les personnes ou institutions, privées ou non, ensuite, et notamment à un interlocuteur désormais incontournable dont les images ou les mots sont parfois meurtriers : la presse.

Les propos du magistrat sont étroitement surveillés par tous les systèmes juridiques et, quel que soit son statut, quelles que soient ses fonctions, il ne saurait s'adresser à l'« accusé » en matière pénale en laissant entendre qu'il le croit déjà coupable. En France par exemple, le code de procédure pénale (art. 328, al. 2) interdit au président de la cour d'assises de manifester son opinion sur la culpabilité de l'accusé (au sens français du terme, ici). Et la chambre criminelle de faire une application scrupuleuse de ce texte. Ainsi a-t-elle décidé récemment que s'écrier : « C'est horrible ça » à propos des crimes relatés est certes une manifestation d'opinion mais non une manifesta- tion d'opinion sur la culpabilité de l'individu concerné ; en consé- quence, censurée si elle émanait d'un assesseur ou d'un juré qui ne doivent pas manifester leur opinion en général, elle échappe à toute critique si elle a pour auteur le président de la cour.

En revanche, qu'un président d'assises s'écrie : « Quel que soit le mobile, l'accusé a commis deux crimes odieux et abominables », et alors cette opinion sur la culpabilité de l'accusé, directement attentatoire à la présomption d'innocence, mérite d'être censurée.

Mais plus redoutables encore en raison de la diffusion qu'ils connaissent sont les mots du journaliste, des mots dont sont victimes certains présumés innocents, condamnés avant même que d'être jugés, dans de véritables prétoires parallèles. Comment lutter

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contre eux? La réponse n'est pas aisée, car on se trouve là au cœur de l'affrontement de deux droits également fondamentaux traduisant des aspirations quasi antinomiques : d'un côté, la présomption d'innocence qui postule le droit à la discrétion de son titulaire (et qui en France, non sans paradoxe d'ailleurs, rejoint le fameux secret de l'instruction) ; de l'autre, la liberté d'expression et d'information du journaliste qui satisfait le droit de savoir du public. Il faut donc résister à la tentation souvent éprouvée, à chaud, de hiérarchiser les droits et notamment de sacrifier la liberté d'expression sur l'autel de la présomption d'innocence. L'art législatif et judiciaire en la matière doit être, exercice difficile, de concilier et non de classer. Car, comme l'a rappelé encore récemment la Cour de Strasbourg en grande chambre : la presse doit être * à même de jouer son rôle indispensable de "chien de garde" dans une société démocratique ». Mais inversement, pour reprendre la formule d'un magistrat français, la justice ne doit pas se voir « délocalisée dans les médias ».

En ce sens le droit français ne manque pas, et tant s'en faut, de textes dissuasifs. Sur un plan purement répressif, on peut citer les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la diffamation, ou encore l'article 434-16 nouveau du code pénal qui, évoquant un peu le contempt of court pénal du droit anglais, punit la publication avant toute décision juridictionnelle définitive de commentaires tendant à exercer des pressions en vue d'influencer les déclarations des témoins ou la décision des juridictions d'instruction ou de jugement.

Sur un plan plus spécifiquement réparateur, la loi du 4 janvier 1993 a bien amélioré la situation des victimes en leur offrant des possibilités d'agir tant différées qu'immédiates. Eu égard aux premières, la loi du 4 janvier 1993 a entre autres choses complété et la loi de 1881 (par exemple, article 13, alinéa dernier : droit d'insertion forcée pour toute personne publique mise en cause dès les trois mois suivant le non-lieu ou la relaxe...) et le code de procédure pénale en confiant au juge d'instruction (article 177-1) et à la chambre d'accusation (article 212-1) le soin d'informer le public d'une décision de non-lieu.

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Relativement aux secondes, la loi de 1993 a surtout ajouté un article 9-1 au code civil qui autorise le juge civil, y compris en référé, à faire cesser l'atteinte portée à la présomption d'innocence du mis en cause en faisant publier un communiqué ad hoc dans l'organe de presse qui lui a porté préjudice, aux frais de ce dernier.

Un double mensonge

On le voit, les moyens de lutter contre les injustices portées à la présomption d'innocence existent. Et même s'ils sont peut-être moins utilisés qu'on ne l'imaginerait, ils manifestent à l'envi le souci du législateur de protéger au mieux ce droit fondamental.

Bien différente est la situation maintenant décrite dans laquelle c'est le législateur lui-même qui va porter des coups à la présomption d'innocence.

Si l'on veut bien admettre avec le doyen Cornu que la fiction est « un mensonge de la loi », force est d'observer que la présomption d'innocence en est une belle illustration. Elle réalise même un double mensonge.

C'est d'abord une vraie fiction, au sens technique du terme, qui veut que la loi travestisse les faits afin de leur faire produire certaines conséquences juridiques. Ainsi les faits infractionnels seraient-ils avérés et avoués, dans des pays comme le nôtre qui ignorent le « plaidoyer coupable », l'accusé demeure jusqu'à l'instant final de sa condamnation un présumé innocent.

Mais la présomption d'innocence est également une fiction, au sens moins technique du terme, en ce qu'elle est un mensonge... de la loi sur la loi, cette loi vidant délibérément de sa substance la garantie qu'elle proclame pourtant droit fondamental. Et ce mensonge-là, le plus grave du point de vue de la liberté individuelle rendu presque inévitable par le déroulement du processus pénal, obéit paradoxa- lement au souci de faire éclater la vérité. Or il va se manifester essentiellement à deux titres : dans la démonstration probatoire de la culpabilité éventuelle de l'accusé et dans les tendances unanimes des Etats à prendre à l'encontre de celui-ci des décisions qui sont comme autant d'affirmations anticipées de culpabilité.

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Si l'on a présent à l'esprit que le procès pénal lato sensu, dès ses premiers instants, est tout entier gouverné par le droit de la preuve, on comprend l'enjeu de la présomption d'innocence. Elle gouverne d'abord la charge de la preuve : tous les Etats proclament haut et fort que cette charge pèse sur l'accusation, et pourtant ils sont nombreux à connaître des présomptions de culpabilité, qui, même réfragables, trichent avec la règle du jeu probatoire. C'est ainsi que les droits anglais et français présument coupable de proxéné- tisme celui qui ne parvient pas à justifier des ressources correspon- dant à son train de vie dès lors qu'il vit avec un ou une prostituée.

De même de nombreuses législations, le plus souvent techniques, contiennent des incriminations dont l'élément psychologique, qui l'est d'ailleurs fort peu, se déduit automatiquement de la simple matérialisation des faits. Ce sont encore des causes d'exonération de la responsabilité, comme la légitime défense, qui, parfois (c'est le cas en France), doivent être prouvées par celui qui les allègue alors que logiquement, au nom de la présomption d'innocence, l'accusation devrait prouver que leurs conditions ne sont pas réunies.

Mais la présomption d'innocence gouverne également la manière de prouver, qu'il s'agisse de l'administration des preuves ou de l'appréciation de leur force probante.

Du soupçon à l'indice, de l'indice à la charge...

La liberté des preuves que connaît la grande majorité des Etats est une excellente chose à condition bien sûr que la réunion de celles-ci se fasse dans la loyauté et la régularité. Pour autant, cependant, la violation de ces exigences n'est pas toujours sanctionnée de la nullité, comme on pourrait s'y attendre. Les différentes législations dosent savamment cette sanction, quitte à sacrifier la présomption d'innocence à l'efficacité de la recherche de la vérité.

Quant à la pesée respective des différents éléments de preuve, elle aussi intéresse la présomption d'innocence. Ainsi l'intime conviction à la française est-elle un mode d'appréciation des preuves qui en vaut un autre, mais à condition que le juge explique le résultat

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de sa démarche intérieure. Que penser ainsi d'arrêts de condamna- tion non motivés prononcés par des cours d'assises au nom de

« l'impression » produite sur la raison des juges par les preuves rapportées devant eux ? Comment s'étonner, devant l'opacité de ce cheminement intérieur, que certains arrêts de condamnation sem- blent mettre à mal un adage pourtant capital en la matière : in dubio pro reo?

Mais la loi va plus loin encore dans son travail de sape de la présomption d'innocence lorsqu'elle autorise, pas nécessairement d'ailleurs pour des raisons probatoires, que la liberté d'aller et de venir du présumé innocent soit réduite voire supprimée avant jugement.

Du soupçon à l'indice, de l'indice à la charge, de la charge à la preuve d'une éventuelle culpabilité, la nasse répressive va se refermer sur l'intéressé et ce, malgré des appellations euphémis- tiques de plus en plus sophistiquées ; ainsi en droit français la garde à vue s'appelle-t-elle parfois pudiquement « retenue », l'inculpation, trop connotée, a-t-elle laissé la place à la mise en examen voulue plus neutre, ainsi le témoin assisté, n'est-il plus vraiment un témoin pur et simple mais n'est-il pas encore un mis en examen...

Pourtant la prudence des mots dissimule mal la brutalité des actes. Que reste-t-il de la présomption d'innocence sinon son ombre lorsqu'après avoir été gardé à vue l'« accusé » en matière pénale se voit placé en détention avant jugement ? Serait-elle exception- nelle, provisoire, motivée (en droit français par exemple) de manière de plus en plus exigeante, serait-elle soumise à des délais butoirs et à des recours, donnerait-elle lieu à indemnisation en cas de non-lieu ou d'acquittement, la détention préventive apparaît comme la négation la plus totale de la présomption d'innocence.

On aura beau dire, on aura beau faire, dans l'esprit de tous, et pas seulement du public, il est évident qu'un inculpé laissé en liberté (voire placé sous contrôle judiciaire) est assurément plus innocent qu'un inculpé détenu, lui-même d'autant moins innocent que sa détention résistera à des demandes répétées de mise en liberté. Car le temps passé en détention conduit inexorablement à consolider une sorte de préjugement de culpabilité.

Les rédacteurs de la Déclaration de 1789 l'avaient d'ailleurs bien compris qui ont assorti la proclamation du droit à la

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présomption d'innocence (article 9) de la précision suivante : « S'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. »

Certes, de plus en plus, et souvent sous la menace d'une condamnation par la Cour européenne des droits de l'homme, les législateurs entendent l'avertissement et resserrent les écrous comme l'a encore fait en 1996 le législateur français. Mais pour autant les législateurs ne parviennent pas à sortir de la contradiction inhérente à la présomption d'innocence : c'est le procès pénal qui l'a fait naître, mais c'est le procès pénal par sa mise en œuvre qui la blesse et même la tue.

Il reste alors à inventer un procès, qui relève assurément de la pensée magique, dans lequel la présomption d'innocence deviendrait sans objet, l'« accusé » passant en un trait de temps du statut d'innocent à celui de coupable !

Renée Koering-Joulin

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