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De la responsabilité du transporteur bénévole

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De la responsabilit é du transporteur bénévole

T^a Cour d'Appel de Bruxelles a rendu récemment deux arrêts contra­

dictoires (6 juillet 1927, J. T. 1927. col. 507, et 7 octobre 1027, J. T. 1027,

col. 713). ^

ils adoptent des doctrines adversaires, nettement mises en présence depuis quelques années en vue de résoudi'o la difficile question de la res])on­

f?al)ilité du transporteur bénévole.

L'arrêt du 6 juillet s'exprime comme ceci :

« Attendu que le prévenu soutient que l'action des parties civiles n'est pas recevablc, et qu'il fait valoir à cet égard qu'il s'est formé entre lui et la victime ^'an der Heyden un contrat à titre gratuit ou contrat de bienfaisance, f5uivant lequel Tienne ne serait tenu que de sa faute lourde qui, d'après lui.

n'existerait pas en l'espèce;

— Qu'il est certain d'abord qu'il n'a jamais été question aux débats d'un contrat de transport à titre onéreux;

Mais attendu qu'à tort le prévenu se prévaut d'un prétendu contrat de bienfaisance qui serait intervenu entre parties:

— Que ni Henné, acceptant son ami à bord de sa voiture, ni Vaii der Heyden, y prenant place, qu'il y ait eu olïre du premier ou sollicitation du second, n'ont voulu l'un envers l'autre s'engager juridiquement, c'est­à­dire enchaîner \e\iv liberté d'un lien de droit:

— Qu il s'est formé entre eux non un rapport de droit, mais un rapport morulain, dépourvu de protection juridique et de sanction, et d'où ne pouvait naître la force obligatoire d'un contrat;

— Que semblable rapport mondain est à ))ase d'obligeance et non d'obli­

gation (JossEKAND. Le Transport bénévole):

— Que dès lors, le conducteur de la voiture et son passager étant juri­

diquement des tiers l'un vis­à­vis de l'autre, leurs relations sont soumises non à la responsabilité contractuelle, mais à la responsabilité délictuelle;

Attendu qu'à la supposer maintenue sous le régime du Code civil, la distinction entre faute lourde et faute légère est, en tous cas, inapplicable au domaine du délit pénal d imprudence et de quasi­délit civil, où tout faute, même la plus légère, est génératrice de la responsabilité. »

L'arrêt du 7 octobre formule ses motifs de toute autre manière :

« Attendu que l'appelante, invitée par l'intimé et sa femme à les accom­

pagner à Anvers, prit place dans leur auto que conduisait l'intimé;

Attendu que l'application radicale de l'article 1382 ou de l'article 1384 du Code civil se heurte à un sentiment d'équité et d'honnêteté;

Attendu, d'autre part, qu'au moment o i intervient l'offre de transport et l'acceptation, ou la demande de transport, et l'acceptation par le transpor­

teur, il se produit \m concours de volontés portant sur un objet déterminé qu'on peut ranger sous la catégorie des contrats de bienfaisance; que ce con­

«ours de volontés produit certaines obligations dans le chef des parties, dont la portée est fixée par les circonstances spéciales de chaque espèce; ainsi le transporteur ne pourrait abandonner le transporté en cours de route, sans motif et de fa­;on préjudiciable;

— Que la gratuité du transport n'est nullement exclusive de ces obli­

gations ;

Attendu que si l'on doit écarter 1 application des règles sur le contrat de transport, ce concours de volontés sur certaines prestations fait néanmoins naître nécessairement entre ceux entre lesquels il est intervenu, des droits et des obligations réciproques ; »

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\JS\ qu(>stif)n se pose comme ceci : Un transporteur quelconque (conduc- teur d'une voiture, d'une automobile, d'un avion même) offre complaisam- ment à un tiers, une place dans son véhicule; aucune rémunération n'est stipulée ni promise : il s'agit d'un simple acte de sociabilité, de courtoisie, comme il s'en rencontre à chaque instant de la vie; un accident arrive, dont le transj)orté se trouve atteint: quelle sera la nature et l'étt^ndue de la respon- sabilité du transporteur ?

Comme on l'a lu, les deux arrêts refusent l'application au transport bénévole, des règles spéciales au contrat de transport.

Ils sont en cela conformes à une doctrine établie depuis plusieurs années (V. Toulouse. 22 juin 1914, D. P. 1917, 2.83. — Montpellier. 8 oct. 1924, D. P. 1925, 2.41. — Poitiers, 17 février 1925, D. P. 1925, 2.41).

Depuis 1911 il est incontesté que la responsabilité du transporteur est contractuelle au cas où il ne conduit pas le voyageiir sain et saiif à destina- tion (Cass. fr. 22 nov. 1911, 21 janvier et 21 avril 1913, D. P. 1913, 1.249 et note de Sarrut.) et que dès lors le voiturier doit, en cas d'accident, prouver que l'inexécution de son obligation dépend d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée.

De fortes raisons ont invité à penser que les règles spéciales au contrat de transport ne trouvent application qu'en cas de transport à titre onéreux : raisons techniques d'abord, dérivant de la combinaison des articles 1779 et 1710 du Code civil desquels il résulte que le contrat de transport tel qu'il est organisé par ces dispositions est essentiellement un contrat à titre onéreux ; raisons plus profondes ensuite, dérivant de cette considération que le contrat de transport est une opération qui donne naissance à un grand nombre d'obli- gations possibles «dont le complexus obligatoire est très riche )>, ce qui

« répugne à la notion de titre gratuit ». (Josserand D. H. 1926, 21, et Josserand D. P. 1927, 1.137.)

Mais il ne suffit pas d'écarter le contrat de transport à titre onéreux pour se retrouver certainement sur le terrain extracontractuel.

Car comme le dit l'arrét du 7 octobre, la gratuité du transport n'est nullement exclusive d'obligations. La situation créée résulte d'un concours de volontés sur un objet déterminé : qu'est-ce cela, si ce n'est un contrat?

C'est un contrat à titre gratuit, un contrat de bienfaisance comme le mandat gratuit, le dépôt gratuit, le prêt sans stipulation d'intérêt, contrats qui sont parfaitement organisés comme tels par la loi, spécialement en ce qui concerne les responsabilités.

Le Tribunal d'Avignon (22 oct. 1924, D. H. 1924, 710-711) et le Tribunal civil de la Seine (19 mai 1925, Rec. des Assurances 1925, p. 439) se sont déter minés dans ce sens comme les rédacteurs de notre arrêt du 7 octobre. Le professeur Savatier est également de cet avis (D. P. 1925, 2.44).

L'idée est séduisante : l'une des principales difficultés du problème dérive de ses éléments moraux. On se trouve en présence d'une personne qui n'a été conduite que par son souci d'être courtoise, obligeante, aimable (le trans- porteur) et une autre qui est l'obligée de la première Je transporté); et il s'agit de déterminer les modalités de la responsabilité du transporteur com- plaisant lorsqu'il se trouve attaqué par celui qui a bénéficié sans compensation du service rendu ou du plaisir procuré. Au reste, les parties en cause sont souvent unies par des sentiments d'amitié et le demandeur apparaît sous un jour qui lui est moralement peu favorable.

Dès lors il importe, dit-on, que les constructions de technique juridique auxquelles on s'arrêtt^, ne rendent pas la situation du transporteur trop onéreuse.

Pourtant, la victime a subi tin préjudice et il est normal qu elle puisse

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€11 obtenir aisément la réparation si le transporteur s'est rendu coupable de faute.

La théorie du contrat de bienfaisance satisfait bien ajjparemment à ces exigences: on se trouve en matière contractuelle : la victime n"a pas en prin- cipe à faire la preuve souvent difficile, parfois m'orne impossible de la faute du transpoiteur: mais d'autre part le transporteur serviable peut efficace- ment réclaniei' indulgc-nce: l'étendue de ses obligations sera restreinte, par apjilication de- principes généraux : l'article I 137 du Code civil et le fait de la gratuité du transport autoriseront d'interpréter en sa faveur la mesure de ses obligations: il ne sera tenu que de la réparation du dommage direct matériel et prévu.

Ce sont ces considérations d'ordre ))resque sentimental, auxquelles il faut ajouter, semblc-t-il, la théorie désuète de la prestation des fautes qui déter- minent les auteurs de l'arrêt du 7 octobre, lorsqu'ils formulent que l'applica- tion radicale de l'article 1382 où de l'article l3S-(: du Code civil se heurte à un sentiment d'équité- et d'honnêtt^té.

La doctrine contemporaine a pourtant élevé contre cette opinion de sérieuses objections.

n ne s'agit pas, dit-elle, d'un contrat, pour la raison que lorsque le trans- porteur obligeant, l'ami, offre au transjiorté. l'invité, une place dans sa voiture, qu'il y ait offre du premier ou sollicitation du second, aucune des parties n'a voulu s'engager juridiquement. ( M i c h a î n e r sa liberté d'un lien de droit: il s'est formé entre elles non un rapport de droit, mais un rapport mondain dépourvu de protc^ction juridique et de sanction d'où ne pouvait naître la force obligatoire d'un contrat (arrêt de Bruxelles, 6 juillet 1927, précité). Cette doctrine connaît de nos jours beaucoup de faveur (Ricol, note D. P. 1026. 2.121 : Josserand. Le Transport bénévole: D. H. Chron. 1026.

p. 21). «Nul n'est engagé juridiquement en dehors de sa volonté, tous les contrats impliquent par définition même l'intention de se lier, Yanimios negotii contrahendi..., et l'on chercherait vainement une préoccupation de ce genre chez l'automobiliste, qui fait monter dans sa voiture, par pure complaisance, un ami; son état d'esprit est celui du voyageur qui aide son voisin à installer ou à descendre ses bagages ou qui veille sur sa place abandonnée momentané- ment dans le compartiment d'un wagon: il rend service à titre gracieux, il ne fait pas une affaire, il reste en dehors du domaine juridique. )> (.fosserand, ibid.)

Pour sout<'nir ce point de vue, on observe qu'il ne se concevrait pas en pareille conjoncture que les parties aient l'une contre l'autre une action, soit pour se faire ti-ansporttu' gratuitement, soit pour obliger l'autre partie à se laisser traiLsporter (Ricol. ibid.). i^e transport reste à l'entière discrétion

de l'automobiliste et le voyageur ne peut lui demander des dommages et intérêts s'il se refuse à tenir sa promesse (Ricol, ibid.).

L'argument n'est cependant pas sans réplique : il ne jirouve rien, y répond Savatier, si ce n'est que la convention de bienfaisance est résiliable ad nutum par l'une et l'autre partie et, bien qu(^ résiUables ad nuturn, le man- dat et les contrats du même type n'en sont pas moins des contrats imposant des obligations contractuelles et des responsaliilités de même nature (loc. cit.).

Certes, il est presque na'if d'observer que le transporteur bénévole n'a pas d'action contre le voyageur, pour obliger celui-ci à se laisser transporter.

On peut également soutenir que je n'ai pas d'action contre mon ami pour l'obliger à me transporter gratuitement, même s'il y a antérieurement con- senti. Mais il n'est certes pas inconceval)le que le transporteur, même gratuit soit efficacement poursuivi s il abandonne le transporté en coiu's de route, sans motif et de façon préjudiciable (arrêt du 7 oct.) tout ceomme le manda- taire qui peut résilier le contrat arl nutum est cependant tenu ])ar les (urcoii- stances et doit des dommages et intérêts si la renonciation au mandat ]nv-

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jadicie an mandant: même situation dans les relations naissant du prêt ou du dépôt.

Et cett(ï responsabilité naissant de l'inexécution de prestations qu"il fal- lait normalement attendre d'un accord de volonté, il est bien audacieux de ne pas la dire contractuelle dans le cas du transport bénévole; il est bien audacieux dès lors d'affirmer de manière générale, que le transport bénévole, parce qu'il est à base d'obligeance, est dépourvu de protection juridique et de Sanction.

On voit que chacune de ces opinions porte apparemment en elle de larges parts de vérité.

Je suis d'avis cependant qu'il faut écarter celle des deux qui fait appel à la notion du rapport mondain. 11 ne faut point bâtir des théories sur des mots.

11 est un fait certain, c'est que le transport bénévole est un transport, et qui plus est c'est un transport dérivant d'un accord de volontés.

Dès lors, il me paraît incontestable qu'il faut présumer l'existence d'un contrat.

On est d'accord cependant pour écarter les règles spéciales au contrat de transport à titre onéreux.

Cela va de soi.

Mais il n'en reste pas moins que ce qui, en principe, différencie le trans- port bénévole du transport à titre onéreux, c'est le fait de la gratuité.

Dès lors, il faut examiner quels sont les efïects de la gratuité, dans l'éco- nomie contractuelle.

Or, ces effets ne sont pas de nécessiter, pour qu'il y ait responsabilité, une faute plus grave, que lorsqu'il s'agit d'un contrat à titre onéreux. Le prétendre et se fonder pour cela sur l'article 1137 du Code civil, c'est con- fondre l'étendue de l'obligation avec la gravité de la faute.

Lorsque le contrat est à titre gratuit, lorsqu'il est de bienfaisance, les obligations qui en dérivent sent moins étendues, moins rigoureuses que dans l'hypothèse inverse. Mais dès que l'existence de l'obligation est établie en même temps que la violation de celle-ci, il y a faute par définition et respon- sabilité (que la faute soit lourde ou légère).

Dès lors, il faut se demander si le fait de la gratuité dispense le transpor- teur de l'obligation de répondre de la conservation des choses et a fortiori du salut des personnes qu'il transporte, obligation qui lui incombe, non en vertu de l'article 1784 du Code civil spécial au contrat de transport à titre onéreux, mais en vertu de l'article 1147 du Code civil qui condamne à des dommages-intérêts le débiteur qui n'exécute pas son obligation (Note du Proc.

gén. Sarrut, sous Cass. franç., 21 avril 1913; D. P. 1913-1-249).

La réponse négative est certaine. Ce n'est pas parce que le transporté ne paye pas son transport qu'il doit être présumé livrer sa vie à la discrétion du transporteur. Pourquoi en serait-il ainsi en cas de transport gratuit plus qu'en cas de transport onéreux (Josserand D. P. 1927-1-139. — Brux., 6 juil- let 1927 précité; Demogue, Rev. trimestrielle. 1927, p. 424. — Contra Trib.

civ. de Thiers, 15 janv. 1925, D. H. 1925, 254. — Trib. civ. Seine, 19 mai 1925.

Rec. Assurances 1925, p. 439. — Lyon, 23 mai 1925, D. P. 1926-2-121).

Dès lors on comprend qu'il ne suffit pas de s'arrêter au système du contrat de bienfaisance pour faire admettre que le transporteur bénévole est seulement tenu de sa faute grave. On n'arrive à cette solution que grâce à une interprétation nettement erronée de l'article il37 du Code civil. Que le trans- port soit à titre onéreux ou à titre gratuit, il implique l'obligation pour le transporteur de transporter les choses sans avarie et les personnes saines et sauves. Et la responsabilité du transporteur ne dérive pas comme on le dit trop souvent, d'une présomption de faute à charge du débiteur contractuel, elle dérive de 1 inexécution de l'obligation contractuelle. Le transporteur ne

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pourra s'en décharger qu'en établissant l'intervention d'un cas fortuit ou de force majeure.

Les effets de la gratuité du transport sont de toute autre nature ; ils peuvent être la « résiliabilité » du contrat ad nufum, l'absence de l'obligation stricte d'accomplir le transport à une destination ou dans un temps déter- miné. Ils ne vont pas au delà.

Telles sont, à mon sens, "les conclusions juridiquement saines auxquelles on est conduit lorsqu'on s'arrête au système du contrat de bienfaisance, et l'on voit qu'elles diffèrent sensiblement de celles auxquelles aboutit cette partie de la doctrine et de la jurisprudence qui adopte pareil système.

Il faut maintenant vérifier l'opinion de ceux qui accueillent en notre matière la théorie du rapport mondain.

On n'a pas expliqué grand'chose en disant que la situation créée par le transport bénévole est de l'ordre des rapports mondains et il ne faut pas outre mesure se laisser séduire par la netteté apparente d'une solution que l'on ne doit qu'à l'emploi d'une formule verbale discordante avec les faits.

On entend par rapport mondain, une situation sociale, créée par un échange de consentements et qui cependant ne fait pas naître d'obligation, en manière telle que malgré le concours de deux ou plusieurs volontés les parties en cause restent juridiquement l'une vis-à-vis de l'autre, des tiers.

En Belgique, ces situations n'ont, à ma connaissance, pas encore été étudiées.

Approfondies en Allemagne (Windscheid, Pandekten 11, p. 4, note 3;

Unger, Jahrbuch fiir Dogmatik, X, p. 58, note p. 2; Endeman, Einfuhrung, I, p. 475, note 15; Ihéring, Œuvre choisies, II, trad. Meulenaer, p. 102; Kohler, Das Obligationsinteresse, Archiv fiir Biirgerliches Recht, 1897, C, XII), elles le furent très peu en France, où sans examen suffisant, tout le monde en a parlé avec quelque négligence en disant que lorsque des consentements sont échangés à raison de relations de courtoisie, de services obligeants que se rendent des gens simplement aimables, les persormes en cause n'ont pas eu l'intention de former un véritable contrat muni de sanctions légales.

Tout récemment, cependant, on s'en est préoccupé avec attention (Taffe, La respons. civ. en dehors du contrat et du délit ou du quasi-délit. Thèse, Paris, 1921; Perreau, Technique de la jurisprudence, 1923, 2^ vol.).

La définition même du rapport mondain fait apparaître la faiblesse et la fragilité de la conception. Il est certain qu'on ne peut y avoir recours qu'avec une extrême prudence. Etant donné que le rapport social considéré trouve naissance dans un consentement, elle est à ce point exceptionnelle, elle méconnaît à ce point l'une des bases les plus fondamentales des conceptions juridiques, que l'on doit craindre en l'employant le danger des solutions arbi- traires et il n'est certes pas STiffisant pour l'adopter de constater que les parties sont entrées en rapport grâce à l'obligeance de l'une d'elles et sa,m que celle-ci stipule de rémunération. Il se peut parfaitement qu'en pareilles conjonctures les parties aient de manière formelle pris un engagement qu'il est impossible sans erreur de soustraire à la protection juridique.

Le système du rapport mondain ne peut donc être accepté à la légère.

Est-ce à dire cependant que le concept du rapport mondain soit toujours contraire aux faits, et ne puisse jamais être employé? Certes non. Il existe sans aucun doute des situations sociales créées par simple courtoisie et sans animus contrahendi. Le fait cité par Josserand, du vo3'ageur qui assiste son voisin à descendre un colis du compartiment de chemin de fer, celui de l'ami, qui accepte l'invitation d'assister à une réunion, peuvent être rangés sous la catégorie des rapports mondains.

Mais peut-on en faire autant de l'espèce soumise à la Cour de Cassation de -France, par exemple le 20 mars 1927? (D. P., 1927, I, 137.) Une personne

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ayant manqué Je train qu elle se proposait de prendre, demande à un voisin obligeant de la conduire dans son side-car jusqu'à la station prochaine, afin de rattraper le train manqué et de regagner ainsi le temps perdu. Aucune rémunération n'est stipulée. Un accident se produit en cours de route. N'y a-t-il vraiment là qu'un rapport mondain, n'y a-t-il là rien qxii jxrmette d'affirmer l'existence d'un contrat de bienfaisance? Je Tie le pense pas.

La tendance se manifestx- trop nettement d'accueillir des théories nou- velles, tant leur originalité et la sonorité des mots qui les désignent sont dignes de remarque.

11 ne faut poii\t jxndre de vue que ce qui doit être présumé en cas de transport effectué à la suite d'im consentement entre transporteur et trans- porté, c'est l'existence d'un contrat. Le fait de la gratuité ne suffit pas à ren- verser cette présomption, ni davantage le fait de la courtoisie des personnes intéressées; contrairement à ce qxi'exprime Josserand (toc. rit.) le droit

n'existe pas seulement là où les individus ont l'intention de (. faire une affaire » : ni la gratuité du l'apport social, ni le degré de sociabilité des individus qui manifestent un consentement ne peuvent légitimement faire dire que les parties n'ont pas voulu se lier et supporter les responsabilités corrélatives à leurs engagements : l'architecte qui, par obligeance, dresserait gratuitement les plans d'une maison, pourrait-il prétendre qu'il n'a pas entendu s'engager à faire tenir la maison debout?

Comme le pens-ait Ihering. les sevds engagements non protégés par le droit, sont les promesses sans ii\térêt. Mais il y a toujoiu's intérêt à ce qu'une personne reste saine et sauve. Et le transporteur qui promet de transporter ou y consent, promet de transportt^r le voyageur sain et sauf, comme l'architecte qui promet de dresser des plans, promet que la maison construite d'après ces plans, ne s'écroulera pas au j)remier coup de vent.

Au reste, nous allons voir à quelle solution étrange conduit l'adoption de la thèse du rapport mondain.

La première conséquence en est l'application des principes de la respon- sabilité délictuelle, tout comme les choses se passeraient s'il s'agissait des rapports créés par le fait de l'accident, entre le conducteur du véhicule et xin tiers quelconque qu'il renverse sur son passage.

Mais il n'est pas jxmnis de s'arrêter là.

11 reste tout d'abord à déterminer quels sont ces principes, en cas d'acci- dents d'automobile, et l'on sait les brûlantes controverses allumées de nos jours autour de cette question. Est-ce l'article 1382 exigeant la preuve d'une faute, est-ce plutôt l'article 1384 et toute la riguem- que veut lui donner

la Cour de Cassation de Erance, qu il faut appliquer? (v. Cass. fr.. 21 févr. 1927, D . P . 1927-1-97 et note de Ripert, — Capitant, D. H. 1927, chr. p. 49. —Cour de Lyoji (audience solennelle). 7 juillet 1927, D. H. 1927, p. 423. — Josserand, 1). H. 1927, chr. p. 65. ~ Ueq. 12 janv. 1927, D. P. 1927-1-14Ô, note de

Savatier. — Cass. fr., 25 juillet 1927, D. H. 1927, 477. — La Notion de Garde dans la respons. du fait des choses. Besson, 1927, in-8o, 335. — Demogue, Rev. trim, 1927, p.G51. Josserand, sous Req., 29 mars 1927, D. P. 1927, 1-137. — Brux., 14 juillet 1927, Rev. Ass. et Respons., 1927, 148). Est-ce enfin la thèse magistrale défendue réccmmejit par M. le Prociu'eur Général Paid Leclercq (v. Rev. Ass. et Resp., 1927, 1641) qui doit recueillir les préférences.

Ija matière est évidemment trop importante et trop vaste pour qu'il soit permis d'en restreindre ici 1 examen à quelques considérations occasionnelles.

Les résultats d'application de ces trois théories seraient les suivants :

— Si Ton s"arrêt*.' à 1 interprétation traditionnelle de l'article 1382, le transporté aura la charge de prouver qu'une faute a été commise par le trans- porteur, dont le résultat est le dommage souffert.

•— Si l'on sint la Cour de Cassation de Erance, rautomobile dont s-'est

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servi le traiisporteui' sera considérée comme une chose de nature dangereuse nécessitant une garde et dès lors, suivant cette opinion, le transporteur présumé en faute, sera tenu à réparation sans pouvoir se libérer par la preuve qu'il n"a commis aucune faute; seule la preuve d'un cas fortuit ou de force majeure pom-ra détruire la présomption de faute trouvée dajis l'article 1384. 1°, du Code civil. Il en sera ainsi quelle que soit la nature du dommage causé.

— Si enfin l'on accueille les vues de M. Paul Leclercq une distinction s'établit : au cas où l'accident a déterminé la mort du transporté ou une atteinte à son intégrité ])hysique. ce seul fait sera considéré comme constitutif de faute et entraînera sans autre preuve l'application de l'article 1382; au cas où le dommage causé n"aura pas porté atteinte à l'intégrité physique du trans- porté, nulle raison n'existera de s'écarter de l'article 1382 et de son interpré- tation traditionnelle, car l'on ne peut en principe considérer comme illicite et constitutif de faute le seul fait de porter dommage à autrui.

Le reproche généralement adressé à l'application des principes de la responsabilité délictuelle en la matière que nous traitons, réside dans la rigueur avec laquelle le transporteur complaisant se trouve frappé. Car l'un des soucis qui ont allumé la discussion fut précisément d'éviter au transporteur bénévole une responsabilité dont le poids et l'implacabilité soit de nature à heurter les sentiments de délicatesse et d'équité, l'arrêt du 7 octobre dit même d'honnêteté.

On ne pourra pas atténuer la rigueur de la solution délictuelle par l'inter- v(^ntion d'une prétendue acceptation tacite des risques par le transporté>. ainsi que certaines décisions l'ont admis (Trib. civ. de Thiers, 15 janv. 1925, D. H.

1925, 254: Trib. civ. de la Seine. 19 mai 1925. Rec. Assur., 1925, p. 439;

Lyon. 23 mai 1925, D. P. 1926-2-121). De même qu'en matière contractuelle poxirquoi en serait-il plus ainsi en cas de transport bénévole, qu'en cas de transport à titre onéreux? « Pas plus que le client, l'obligé ne consent à .se livrer pieds et poings liés au conducteur de l'automobile dans laquelle il a pris place» (Josserand. D. P. 1927-1-139; Bmx.. 6juill. 1927 précité; Demogue, Rev. trim., 1927, p. 424).

On ne pourra non plus faire appel à la distinction traditioiui 'lie entre les fautes de diverses gravités : « à la supposer maintenue, sous le régime du Code civil (et l'on a vu qu'à nos yeux elle ne l'a pas été), la distinction entre

faute lourde et faute légère est en tous cas inapplicable au domaine du quasi- délit civil» (Bmx., 6 juillet 1927, précité).

Mais supposons que l'on adopte 1 interprétation traditionnelle de l'arti- cle 1382, qui est la moins sévère ; il n'en subsiste pas moins que le transporteur complaisant supportera les dommages, imprévus, moraux et indirects, alors que la solution contractuelle lui évite le poids de ces dommages-là.

La conséquence en est, que le transporteur stipportera une responsabilité plus lourde, sera tenu de la réparation de dommages plus nombreux et plus étendus, à mesure que s'affaiblira sa volonté d'entrer dans les liens du, droit Si en effet d'après ce que nous avons montré, l'on applique dans une espèce déterminée les principes de la responsabilité délictuelle, c'est parce qu'il est démontré qu'en cette espèce, les parties et spécialement le transporteur n'ont pas eu la volonté ni l'intention de « s'engager juridiquement, c'est-à-dire enchaî- ner leur liberté d'un lien de droit». Et Ton voit que la conséquence en est une aggravation de la reponsabilité. Pareille constatation heurte de front la plus élémentaire raison.

Difficilement soutiendra-t-on que cette aggravation est en quelque sorte compt>nsée par le fait que la responsabilité n'existera qu'en cas de faute prouvée à charge du transporteur alors que dans l'hypothè.se du contrat de bienfaisanc(\ il sera responsable par le seul fait de l'inexécution de son obliga- tion de transporter les personnes saines et .sauves.

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Tout d'abord, cette opinion est de nos jours l'objet des plus vives contro- verses et n'a plus rien de sa fermeté dogmatique d'il y a vingt ans.

Au surplus, le fardeau de la preuve n'est pas de nature a comijenser au profit du transporteur le ])(>ids de la réparation en cas de faute prouvée.

Raisonner autrement, c'est confondre deux choses très différentes : une règle de technique relative au mode de preuve, et l'étendue des droits à réparation, appartenant à l'individu lésé.

Le point d'aboutissement de toute la théorie est donc un illogism<> cho- quant.

A quoi doit-on attribuer une solution axissi peu satisfaisante? Unique- ment à l'introduction de la notion de rapport mondain, en une matière où rien ne l'impose. La notion elle-même est fragile en toutes hypothèses, son application bien malaisée, et souvent arbitraire ; il en est surtout ainsi lorsqu'il s'agit de transport. Le, transport bénévole n'est pas autre chose que le transport gratuit, et le transport gratuit ne se différencie du transport à titre onéreux que par la circonstance de la gratuité. Cette gratuité n'a point pour effet de mo- difier les bases de la respotisabilité, mais seuh'tnent l'étendue des obligations imposées au transporteur : elle ne porte nulle atteinte cependant à celle de transporter les personnes saines et sauves, comme les choses sans avaries et sans pépies.

En résumé, le système suivant lequel la question de la responsabilité du transporteiu' bénévole doit trouver sa solution dans l'application de la théorie du rapport mondain, est irrationnelle et inutile :

Inutile, car la simple application de la théorie du contrat gratuit conduit à une solution pleinement satisfaisante et parfaitement cohérente;

Irratioimelle, car on se dirige vers elle à raison du fait que le transpor- teur n'aurait pas voulu « enchaîner sa liberté dans les liens du droit » — et on aboutit à une aggravation de sa responsabilité.

Au reste, son application est difficile et dangereuse à l'excès. Elle néces- site une interprétation si détaillée et si subtile des circonstances de fait, que l'on doit craindre l'arbitraire en la livrant à l'état de théorie à la souveraine appréciation du juge.

PiKBBE DK H A R V E N ,

Avocat près la Cour d'Appel de Bruxelief, Docteur sj^écial en droit civil.

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