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CONTRE-TRANSFERT ET RÉSONANCE : LE THÉRAPEUTE EN PRÉSENCE DU PATIENT

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Texte intégral

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CONTRE-TRANSFERT ET RÉSONANCE : LE THÉRAPEUTE EN PRÉSENCE DU PATIENT

Serge Hefez

De Boeck Université | Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux

2010/2 - n° 45 pages 157 à 169

ISSN 1372-8202 ISBN 9782704161033

Article disponible en ligne à l'adresse:

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http://www.cairn.info/revue-cahiers-critiques-de-therapie-familiale-2010-2-page-157.htm

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Pour citer cet article :

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Hefez Serge , « Contre-transfert et résonance : le thérapeute en présence du patient » ,

Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, 2010/2 n° 45, p. 157-169. DOI : 10.3917/ctf.045.0157

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Serge Hefez1

Résumé

En 1910, Freud évoque l’existence du contre-transfert qui s’installe chez le thérapeute “de par l’influence du patient sur la sensibilité inconsciente du méde- cin”. “Ubertragung” qualifie la transmission, la transmissibilité comme le transfert au sens psychanalytique, mais également la transmission de pensée, la télépathie, l’induction, les phénomènes de contagion et d’imitation à l’œuvre dans les foules...

De fait, plus la cure va être décrite en terme de relation plus la personne du thé- rapeute va être l’objet d’une attention croissante, surtout si l’on considère l’exten- sion de l’analyse à de nouveaux champs d’investissement comme les cures d’enfants ou de psychotiques, dans lesquelles les mouvements internes de l’ana- lyste sont plus fréquemment sollicités. Aujourd’hui, de plus en plus de thérapeutes se reconnaissent comme le lieu d’une activité psychique particulière. C’est cette activité que j’étudierai, au travers de la psychanalyse, de l’hypnose et des théra- pies familiales qui constituent le socle de mon activité.

Abstract: Counter-transference and resonance: the therapist and the patient

In 1910, Freud evoked the existence of counter-transference which the therapist develops through the patients’ influence on the therapists’ unconscious.

« Ubertragung» means transmission, to be able to transmit as in the psychoana- lytical transference, but also as in thought transmission, telepathy, induction and in the phenomenon of contagion and imitation that occurs in crowds. In reality, more the cure is to be described in terms of the relationship, more the therapist as a person will be the object of increasing attention – especially if you consider the extension of analysis to new fields such as therapy with psychotics or children. In these, the internal movements of the analyst are often solicited.

Today, more and more therapists recognize being part of a particular men- tal activity. It is this activity that I will study through psychoanalysis, hypnosis and family therapy that are the basis of my work.

1 Psychiatre, psychanalyste et thérapeute familial, Paris.

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Mots-clés

Contre-transfert – Résonance – Attention flottante – Transe hypnotique.

Key words

Counter-transference – Resonance – Floating attention – Hypnotic trance.

Une famille que je ne connais pas entre dans mon bureau ; je m’installe et j’observe. La grande sœur s’est assise la première, elle me regarde intensé- ment. Elle est très jolie, elle a l’air préoccupée à contrôler cette situation nou- velle qu’elle craint sans doute de ne pas savoir maîtriser. Je lui souris, et je sais que dans mon sourire est inscrit le message suivant : "ne t’inquiète pas, je ne cherche pas à prendre ta place dans cette famille, juste te permettre de te reposer un peu pendant une heure"… je ne sais pas encore pourquoi j’ai envie de lui transmettre cela.

Au même moment, les deux jeunes frères se bousculent, chacun veut occuper le siège à côté de la sœur, ou peut-être éviter celui en contact direct avec le père.

La mère semble furieuse, à bout de nerfs, elle ne me regarde pas, prend le siège le plus éloigné du groupe familial, se défait bruyamment de son man- teau, fait claquer ses bracelets. Tout son corps transpire l’hostilité, la détresse, le désespoir.

Le père a déjà l’air pris en faute ; en s’asseyant, il bafouille « excusez- nous docteur… embouteillages… impossible de se… (il bégaie)…. ga ga garer. »

Je ne sais pas encore pourquoi ce bégaiement me transperce le cœur et fait naître comme des palpitations… Les deux garçons échangent un regard complice et se frappent la paume l’une contre l’autre comme une victoire ou un pari qui vient d’être remporté.

Vingt secondes viennent de s’écouler… La séance n’a pas encore commencé et nous avons déjà abordé non seulement les thèmes principaux de la session mais aussi tous les thèmes importants de la vie de cette famille.

Je ne sais absolument pas ce qui les amène en thérapie mais je sais que je commencerai cette séance par ce geste entre les deux frères, qu’il est le fil conducteur qui permettra de tisser un système thérapeutique.

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Transfert et contre-transfert

Bien des psychothérapeutes, thérapeutes familiaux tout comme ana- lystes, reconnaissent être le lieu d’une activité psychique particulière : celle d’éprouver, de ressentir des sensations, de visualiser des images, de pronon- cer des paroles qui ne sont pas les leurs, mais celles d’un autre comme s’ils mettaient à disposition leur appareil psychique pour accueillir, héberger des éprouvés voire des pensées irreprésentables transmises par les patients. Il s’agit à proprement parler de surgissement, d’irruption de quelque chose qui vient d’ailleurs (de soi ? de l’autre ?), et qui s’impose, d’abord comme sensa- tion brute, puis comme représentation et comme pensée. Ces processus sont au cœur même du transfert et de la résonance.

Si nous sommes tous habités avec plus ou moins d’ignorance et d’intensité par des « facteurs étrangers au moi », des « cryptes » et autres

« signifiants énigmatiques », je souhaiterais porter ici ma réflexion sur

« l’être thérapeute », soit ce qui permet dans notre pratique, et ce, quelles que soient nos techniques et nos bagages théoriques, d’héberger pour un temps les fantômes de nos patients afin de les déloger de leur caverne. Pour tous les thé- rapeutes « traditionnels », ceux pour qui la présence des esprits, des ancêtres, des démons et des sorts fait partie des bagages culturels, l’influence d’un esprit sur un autre esprit relève de la plus élémentaire évidence.

Mais Freud, on le sait, voulait faire de la psychanalyse une discipline scientifique, lui faire perdre toute connexion possible avec des sciences occultes ou ésotériques. C’est cette crainte qui lui fait abandonner l’hypnose, bien davantage que le sentiment de son inefficacité. Il veut reconstruire une histoire vraie du sujet, éviter toutes les scories afin de permettre au patient de redéployer sa véritable biographie livrée aux méfaits de l’amnésie infantile.

La découverte du transfert l’a dans un premier temps épouvanté, non pas tant par la violence des affects dévoilés et mis en scène par ses patientes, que par le fait qu’il doit, à sa lumière, reconsidérer la théorie du trauma. Du fait du transfert, ses patientes réinventent leur histoire et il doit se rendre à l’évidence que le travail d’interprétation ne restitue pas une histoire, mais plu- tôt la construit dans la relation à l’analyste. “Ubertragung” qualifie la trans- mission, la transmissibilité comme le transfert au sens psychanalytique, mais également la télépathie, l’induction, les phénomènes de contagion et d’imita- tion à l’œuvre dans les foules… Une question récurrente traverse en effet l’œuvre de Freud, celle de la transmission de pensée, de l’occultisme, si l’on se réfère notamment aux notions de contagion, d’infection psychique.

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Quelques années plus tard, force va lui être de constater que la puis- sance des affects mobilisés ne concerne pas que le patient. En 1910, Freud évoque ainsi l’existence du contre-transfert qui s’installe chez le thérapeute

“de par l’influence du patient sur la sensibilité inconsciente du médecin”. Il souligne dans une lettre à Ludwig Binswanger (1992) en 1913 que le pro- blème du contre-transfert est “l’un des plus difficiles de la technique psycha- nalytique”. Pour Freud, aucun analyste “ne va plus loin que ses propres complexes et résistances internes ne le lui permettent”, ce qui implique la nécessité pour l’analyste de se soumettre à une analyse personnelle

Se méfier du contre-transfert, voilà qui résume une position sur laquelle Freud ne reviendra plus, et il n’envisagera jamais qu’il puisse être utilisé de manière dynamique dans le déroulement de la cure. C’est notre mal nécessaire, notre croix, écrivait-il. On s’y résignait, ou on tentait de regarder ailleurs. Freud conseillait de ne pas interpréter le transfert avant qu’il ne fut devenu un obstacle pour le bon déroulement de la cure. De même, on a espéré par l’analyse personnelle de l’analyste, limiter les « dégâts » advenus par l’effet du contre-transfert.

Il fallait que les mouvements du contre-transfert fussent réduits au minimum. Il était presque déplorable que l’analyste existât. Sans sa présence, surtout sans des interventions dont il est toujours impossible de garantir la pureté contre-transférentielle, nous aurions peut-être eu une bonne chance de voir dans l’espace analytique “comme dans le miroir des contes orientaux, surgir l’histoire du patient dans son irrécusable pureté” (Viderman, 1982).

Sandor Ferenczi, tout en se séparant de Freud au sujet de la théorie du trauma, va peu à peu préconiser la mise en jeu du contre-transfert de l’ana- lyste, développant l’idée d’une analyse mutuelle, processus au cours duquel l’analyste livre au patient des éléments constitutifs de son contre-transfert au fur et à mesure qu’ils surgissent de manière à libérer patient et thérapeute d’un lien par trop oppressant.

On sait que cette position influencera grandement de nombreux cou- rants ultérieurs, notamment en ce qui concerne les démarches psychanalyti- ques anglaises de Winnicott et de Masud Kahn, et américaine, chez les représentants de la “self psychology”, comme Harold Searles (1981) et sa conception de la symbiose thérapeutique. En 1939, Michael Balint cherchera à repérer les traces du transfert de l’analyste chez l’analysant.

De fait, plus la cure va être décrite en terme de « relation », plus cette notion de contre-transfert va être l’objet d’une attention croissante, surtout si

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l’on considère l’extension de l’analyse à de nouveaux champs d’investisse- ment comme les cures d’enfants ou de psychotiques, dans lesquelles les réac- tions inconscientes de l’analyste sont plus fréquemment sollicitées.

Plusieurs orientations se dessinent alors sur le plan technique : - Réduire le plus possible les manifestations contre-transférentielles du thérapeute par son analyse personnelle de manière à structurer la situation analytique comme une surface projective du seul fait du transfert du patient

- Utiliser, tout en les contrôlant, les manifestations contre-transféren- tielles dans le travail analytique. Apparaît alors l’importance de l’attention flottante que nous évoquerons plus loin.

- Se guider pour l’interprétation sur ses propres réactions transféren- tielles alors assimilées aux émotions ressenties. La résonance d’inconscient à inconscient constitue alors la seule communication authentiquement psycha- nalytique

Au-delà de ces orientations, ne voit-on pas se profiler ces deux mou- vements très hétérogènes qui intéressent les psychanalystes ? Un retour à Freud et au processus qui sont pressentis dans l’Esquisse autour d’un incons- cient décrit comme une réalité neurobiologique dont il s’agit de repérer les substrats anatomiques. Et un autre courant pour lequel la notion d’inconscient relève essentiellement de la structuration de cette situation particulière que constitue la cure analytique. Il s’agit donc d’une construction, qu’on ne peut en aucun cas isoler en tant que telle.

Ce sont toutes ces discussions qui agitent actuellement les mouve- ments psychanalytiques sur la place de l’objet dans la construction de la vie psychique.

Thérapies familiales

L’accent mis sur la résonance accompagne dans le champ des théra- pies familiales un retour à ce que Gregory Bateson (Bateson & Ruesch, 1951) proposait dès 1951 dans “Communication et société” sur la nécessité d’inclure l’observateur dans le système étudié, et du même coup de reconnaître la nature réflexive du travail psychothérapique.

Cette nécessité avait été mise de côté avec la cybernétique de premier ordre et la séparation hiérarchique entre système-famille et observateur-thé- rapeute. Elle accompagne la cybernétique de deuxième ordre dans laquelle

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l’observateur se doit d’être inclus dans le système observé. Émergent alors les notions de système thérapeutique, et de processus d’influence mutuelle entre le système familial et le thérapeute.

La notion d’un thérapeute observateur qui par ses inputs modifie les règles pathogènes et contraignantes de la famille (Selvini-Palazzoli et al., 1978) fait place chez Maurizio Andolfi (Andolfi et al., 1985) ou chez Mony Elkaïm (1989), à un thérapeute qui touche émotionnellement un membre de la famille pour qu’il devienne un levier du changement. “L’hypothèse systé- mique devient le cadre au sein duquel le thérapeute exprime sa créativité, son esprit d’invention, son âge, son sexe et ses conflits en relation avec ses idio- syncrasies” : Andolfi suggère que le thérapeute s’utilise lui-même comme principal instrument de traitement et recoure à son appareil émotionnel plutôt que de se confiner à un équipement qui reste en dehors de soi. Elkaïm (1989) fait appel aux notions de résonance et d’autoréférence, rappelant que l’expé- rience émotionnelle du thérapeute influence ses observations et ses interven- tions, que l’important est de s’utiliser et que la façon dont cela est nommé, le dogme de référence ne sont pas cruciaux.

Le vécu du thérapeute, bien qu’il soit singulier, est amplifié et main- tenu dans un contexte, de sorte que ce qu’il vit est lié à lui, mais non entière- ment superposable à lui. Il devient alors moins réducteur de s’interroger sur la fonction et le sens de ce vécu par rapport à l’ensemble du système théra- peutique que de limiter ses hypothèses à une économie purement personnelle ou familiale.

L’aspect auto-référentiel du thérapeute, “membre d’un système qu’il participe à constituer dans le processus même de le décrire” est maintenant largement abordé.

De cet aspect auto-référentiel propre au champ de nombreux modes psychothérapeutiques, certains se demandent si la référence systémique est toujours indispensable : n’est-ce pas d’avantage “le problème qui crée le sys- tème que le système qui crée le problème?”

C’est de ce constat que sont issus les différents courants se réclamant du constructivisme. Anderson & Goolishian (1988) se situent dans cette opti- que lorsqu’ils préfèrent parler de narration plutôt que de système : l’important devient la constitution d’un contexte thérapeutique favorisant la co-construc- tion de nouvelles significations. Les “dissolving therapies” s’opposent aux

“solving therapies” centrées sur le symptôme : les conversations thérapeuti- ques vont dissoudre le problème. Dans cette perspective, ce sont les réalités

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narratives socialement construites qui attribuent une signification à notre expérience. Par sa simple “participation”, par des questionnements issus d’une position de “perplexité”, le changement peut advenir.

La résonance est l’activité du thérapeute par laquelle il porte attention à son expérience émotionnelle et s’y réfère afin de comprendre la nature et le devenir du système thérapeutique. Comme le souligne Foulkes (2004) :

“L’idée derrière le concept de résonance est qu’un individu exposé à un autre individu et à ses communications sous forme de comportement et de mots sem- ble instinctivement et inconsciemment y répondre de la même façon”2.

Didier Anzieu (1985) développe l’hypothèse que ces résonances sont essentiellement de nature fantasmatique. Pour Jacques Miermont (1993), il apparaîtrait plus prudent de considérer que les résonances interpersonnelles s’établissent sur des strates très variées d’échanges: instinctives, ritualisées, représentationnelles, l’activité fantasmatique signant plutôt des scénarii de représentation plus élaborés faisant d’ailleurs éventuellement échec à des résonances plus élémentaires et plus profondes. Dans certains cas, les organi- sations représentationnelles sont littéralement désintégrées du fait de la puis- sance de certaines résonances inconscientes.

Dans cette perspective, la résonance est à la fois outil technique et outil diagnostique. La relation thérapeutique devient un processus circulaire d’influence réciproque entre le contre-transfert du thérapeute et le transfert du patient modulés l’un par l’autre.

Il s’agit de laisser émerger sensations, émotions, et fantasmes, de s’immerger dans l’empathie que cela amène et de permettre cette identifica- tion “à l’essai” avec le patient, et à partir des hypothèses acquises dans ce tra- vail réflexif de formuler ou de se formuler une interprétation, une clarification, une explication.

Chacun sait à quel point la distinction intrapsychique/interpersonnel n’a aucun sens pour le bébé, et qu’il faut avoir recours à une théorie de l’ins- cription des échanges dans le corps au début de la vie. Il existe ainsi une rela- tion très précoce entre état mental, état de l’interaction et état physique.

Ainsi, dans ce travail sur les résonances émotionnelles, ce que ressent le thérapeute (colère, ennui, impuissance...) n’est pas une limite mais un ins-

2 FOULKES S. H., “La groupe-analyse : Psychothérapie et analyse de groupe”, Ed.:

Payot-poche, 2004.

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trument. Son expérience subjective devient un outil diagnostique et descriptif d’un thème commun à l’ensemble des membres du système thérapeutique.

Il est donc primordial de travailler au coeur de l’autoréférence plutôt que de chercher à l’éviter tout en prenant garde à ne pas se contenter de con- forter ses propres constructions du monde avec celles de la famille conduisant à une plus grande homéostasie et à une paralysie du système thérapeutique.

Comment comprendre la nature de la résonance? Lorsque le théra- peute s’identifie de façon concordante au patient, il identifie des composantes de sa personnalité avec les éléments correspondant chez le patient. Ce proces- sus qui agit en retour du processus d’identification projective généralement utilisé par le patient est à la base de la notion d’empathie ou de résonance. En expérimentant ces positions et en “contenant” les réactions induites en lui par le transfert du patient, le thérapeute retire des informations sur les objets inter- nes de ce dernier ainsi que sur son expérience inconsciente.

L’attention flottante

Mon cursus professionnel m’a amené à traverser différents champs théoriques et à forger des outils bien hétérogènes : la médecine et la psychia- trie, la psychanalyse, les thérapies familiales et plus récemment l’hypnose m’ont conduit à m’intéresser aussi bien au cerveau et à ses neurones, qu’aux mystères de l’inconscient, de l’auto-organisation ou du corps influencé par les relations. L’apprentissage du yoga, il y a bien des années, m’a été grande- ment bénéfique.

Il ne s’agit aucunement ici de détailler, encore moins de comparer ces différentes approches. Je souhaite au contraire réfléchir à ceci : en quoi asso- cier librement sur un divan, tenter de m’exprimer et de penser en langage poisson, petit exercice proposé par Carmine Saccu lors d’une supervision à la thérapie familiale ou expérimenter l’art de la transe, plutôt que de me con- duire irrémédiablement à la folie et à la désorganisation, ont fortifié un senti- ment de cohérence interne ? Qu’est-ce qui se joue en moi, comme je pense chez bien des thérapeutes, pour permettre ce sentiment d’unité ? Ma réflexion portera pour cela sur ce que nous appelons « attention flottante » qui est pour moi une sœur jumelle de la transe hypnotique, et qui se trouve requise dans toutes les situations de thérapie, individuelle ou familiale.

Michel de M’Uzan (1994) insiste sur la paradoxalité de la neutralité et de l’attention flottante qui sont requises chez l’analyste. L’attention flottante suppose l’intention de se déprendre de l’intentionnalité, de suspendre les

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investissements, de relâcher les liens, voire de les dissoudre, de suspendre également l’automatisme plaisir/déplaisir. Il s’agit bien pour lui d’un état oni- rique proche de l’état d’hypnose permettant une modification de certains mécanismes de liaison et pouvant conduire à des dépersonnalisations transi- toires.

Le thérapeute met à disposition son espace psychique pour que vienne s’y dérouler certaines opérations psychiques qui concernent le patient. Le flottement ne porte pas seulement sur les mots, sur les opérations de juge- ment, mais aussi sur les frontières du moi. L’attention flottante et la neutralité ne s’appliquent pas seulement aux modes de pensée mais au fonctionnement psychique tout entier. Elles permettent la création d’un contenant et maintien- nent activement un milieu tampon qui présente beaucoup d’analogies avec le pare-excitation.

Dans cette perspective, l’accueil et la réceptivité sont des qualités essentielles à l’être-thérapeute dont la dimension féminine et maternelle devient évidente et confère un éclairage particulier à la notion de capacité de rêverie de la mère (sachant qu’il peut aussi s’agir de la capacité de rêverie du père !)

On aurait donc tort de considérer la neutralité comme une restriction alors qu’il s’agit de maintenir la possibilité maximale de redéploiement de toutes les potentialités et virtualités d’ordinaire paralysées. Comme le souli- gne Patrick Miller, c’est une attitude intérieure toujours en éveil : ne uter, ni l’un ni l’autre, ni oui ni non, ni moi ni l’autre, ni masculin, ni féminin, mais aussi l’un et l’autre, vie et mort, activité et passivité en même temps confon- dus et séparés, entrelacés dans un conflit élaboratif.

Le principal est la suspension du jugement qui permet pour un temps non-réactivité et non-agir, mais au prix d’une mise sous tension très intense de l’appareil psychique qui favorise des mouvements pluri-directionnels simultanés et le désamorçage de la co-excitation.

Winnicott insiste sur l’analogie entre un élément féminin non conta- miné qu’il apparente à l’être, base de la découverte de soi et du sentiment d’exister, à partir de laquelle se constitue la capacité de développer un inté- rieur, d’être un contenant, d’introjecter le monde extérieur (mouvement fémi- nin d’avalement, d’invagination, de pénétration). À l’opposé, le mouvement psychique de projection, d’évacuation, de refus, sera lié au masculin phalli- que. Ce double mouvement informe la matière psychique, transforme sa trame, sa texture, sa densité (Miller, 2001).

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Ainsi, l’écoute flottante permet un double mouvement. Celui que Freud identifiait comme un processus de séparation de l’enfant d’avec sa mère : le pouvoir de l’analyste est analogue à la puissance sexuelle virile qui pénètre et féconde ; la psyché de l’analysant est comme un organisme féminin vivant. L’acte analytique imprime un mouvement, mais la complexité du déroulement du processus lui échappe ; l’aboutissement n’est pas le bébé mais la séparation de l’enfant d’avec sa mère.

Et celui que Winnicott décrivait comme une modalité d’être en relation qui serait au fondement de la vie psychique et qui ne passerait pas par l’acti- vité pulsionnelle : un élément féminin pur qui s’appuie sur un sentiment d’être, et rien d’autre. First being. La première angoisse, avant celle de cas- tration, est une angoisse de mutilation qui amputerait cette forme d’être au monde. Il s’agit dans toute forme de thérapie de mobiliser ces énergies psy- chiques puissantes.

L’introspection, qui suppose un soi délimité, est une caractéristique spécifiquement occidentale, enracinée dans une culture dérivée de la pensée grecque dans laquelle la définition de soi et de l’identité reposent sur un pro- cessus d’observation et de sélection des évènements survenus dans l’exis- tence de chacun. L’introspection recherche un « soi » véritable dans une démarche socratique d’injonction « connais-toi toi-même ». Cette introspec- tion n’existe tout simplement pas dans la culture indienne.

La quête du « soi » oriental est d’un autre ordre (Kakar, 1996), elle consiste à rechercher un « être soi », une façon d’être au centre du temps et de l’espace (et non une représentation de soi, aussi juste soit-elle) qui n’est pas affectée par le temps et l’espace, sans cette dimension historique que mettent en relief la psychanalyse ou la littérature romantique occidentale. La « prise de conscience » est bien différente de la dissolution de la conscience. Tout se joue autour de cette dissolution transitoire.

Tendre vers la symbiose avec le maître (pour les hindous) est en accord avec le fait que la solution aux problèmes est relationnelle et que la dyade, et non la monade, est l’unité fondamentale de leur résolution. On aurait trop vite fait d’interpréter ce mouvement comme une infantilisation ou comme la recherche d’un parent idéal. Cela ne reflèterait que le modèle de l’individu en quête d’autonomie, vers un élargissement de ses choix face aux forces inter- nes et externes qui s’exercent sur lui. Pour l’hindou, les limites sont des obs- tacles, le corps une prison, l’autonomie une malédiction. La connaissance irréversible des événements de sa vie mentale n’est pas la seule voie vers la

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maturité et on peut se détacher de sa biographie en suivant une voie « mysti- que ».

La liberté pour l’indien est d’expérimenter différents états intérieurs, différentes « demeures de l’âme », et non d’acquérir une autonomie ; la liberté pour l’occidental est en effet associée à une augmentation du potentiel d’action et à l’élargissement de l’éventail des choix reposant sur une cons- cience rationnelle en état de veille. Chaque culture sous-estime la force et le pouvoir d’attraction de l’idéal de liberté existant chez l’autre.

Les exercices tantriques par exemple, les sâdhana, aident la personne à « se concentrer », à « prêter attention », à « être accordé » en vue d’une véritable transformation psychique vers une « réceptivité focalisée ». Cet état psychologique, disons pour faire simple « état de conscience », diffère du mode de pensée normal, intellectuellement actif, appliqué à la résolution de problèmes, auquel nous sommes largement habitués. De même que les artis- tes ne se livrent pas à la poursuite des faits ou de la raison, de même la récep- tivité est concentrée sans être dirigée. Il ne s’agit pas d’une attente passive, encore moins d’une évasion (Kakar, 1996). C’est une concentration active qui ne vise ni l’ordonnancement de la réalité selon des voies classificatoires connues, ni la quête d’un « ressentir » pour comprendre ses propres percep- tions mais qui s’appuie sur une contemplation éveillée et non discursive.

Bref, c’est cette fameuse « attention flottante » non sélective et non directive, suspendue et librement mouvante.

L’immobilisation de la semence, de la pensée et du souffle, le désir de non mouvement des textes tantriques n’est pas du côté de la peur de l’excita- tion ou d’une fascination vers la mort. Il s’agit beaucoup plus simplement de suspendre l’activité mentale (masculine), pour la transformer en réceptivité.

Le moi devient disposé à absorber et à recevoir.

De la même manière, l’hypnose libère un pouvoir inné, celui d’organi- ser le monde (Roustang, 1994). Il ne s’agit pas tant de revenir à une forme de relation pré-langagière mais à une potentialité qui s’affirme dès la naissance et va déterminer le rapport au monde tout au long de l’existence. L’attention flottante comme l’hypnose permettent de renouer avec cette forme de récep- tivité, une forme « d’être au monde » dans laquelle passivité et activité s’entremêlent pour créer une disposition, disposition qui autorise l’imagina- tion à transformer nos comportements et nos agissements. Elle réalise une unité de l’esprit et du corps et sollicite notre capacité à décider de notre place en relation avec les autres et notre environnement.

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Cette réceptivité permet ces moments d’empathie qui débouchent sur une sorte d’alignement avec le psychisme et le matériel produit par le patient et le surgissement d’intuitions non anticipées, surprenantes par leur force de conviction.

Qu’est-ce qui soigne ?

Ainsi s’interroge Daniel Stern (2003) dans son ouvrageLe Moment présent en psychothérapie. Est-ce l’explication, la reconstruction, la compré- hension, la visualisation de schémas cognitifs, c’est-à-dire de mécanismes qui se produisent à l’intérieur du sujet ou de chaque membre de la famille ? Ou est-ce la nature même de l’expérience intersubjective, de cette forme rela- tionnelle très particulière qui se constitue dans la rencontre avec le thérapeute, dans cette production de petits évènements momentanés constituant les mon- des de l’expérience. Dans ce sens, la thérapie est avant tout une pratique qui se déploie dans l’ici et maintenant.

Grâce à l’outil vidéo, à la co-thérapie, la thérapie familiale nous a per- mis d’observer le déroulement d’interactions. De courts moments ne durant parfois que quelques secondes apparaissent comme des composantes fonda- mentales de l’expérience. Tout l’univers de la famille, de ses mythes et de son histoire sont apparus comme condensés dans certaines séquences que nous pouvions revisionner à l’infini.

Comprendre quelque chose, l’expliquer ou le raconter, ne suffit pas à provoquer le changement ; il faut qu’il se déroule une vraie expérience, un événement vécu subjectivement. Il faut vivre un événement qui implique des sensations et des actions se produisant en temps réel, dans un monde réel, avec de vrais gens dans le moment présent. Il faut ces petits évènements qui constituent les mondes de l’expérience, ces moments qui entrent dans la

"conscience primaire" et sont partagés entre deux personnes.

C’est cette conscience primaire qui permet le processus de co-cons- truction à la manière dont le nourrisson construit son monde. C’est au niveau de cette conscience primaire que s’établissent les bases de l’intersubjectivité, système de motivation majeure essentiel à la survie humaine, au même titre que l’attachement ou la sexualité.

Elle permet le déploiement de la conscience intersubjective, cette forme de réflexivité qui naît quand nous devenons conscients du contenu de notre esprit qui se réfléchit dans un autre esprit.

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