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De l’arbre sec à l’arbre fleuri
jeudi 4 avril 2013, par Marc Heilig
La cathédrale Saint-Etienne de Metz est comme l’aboutissement de l’architecture gothique avant qu’elle ne s’égare dans le flamboyant. Tout ici magnifie l’élan vertical, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur [1].
Cathédrale St-Étienne de Metz. La croisée du transept et le chœur.
Photo Marc Heilig
L’édifice ne garde que l’essentiel – supports, voûtes et contreforts [2] – et se libère autant que possible des murs au profit de vastes verrières [3]. On a donc volontairement renoncé à la parure de sculptures dont s’ornent d’autres cathédrales pour privilégier la structure, la clarté et l’élévation [4]. Ce chef- d’œuvre, savant point d’équilibre, est dû, entre autres, au maître bâtisseur Pierre Perrat (+1400).
Cathédrale St-Étienne de Metz. La grande verrière de la façade et la rosace.
Photo Marc Heilig Le Portail de la Vierge
Cette sobriété dans l’ornement ne fait qu’une exception, le Portail de la Vierge, ancienne entrée de N.-D.
La Ronde. Saint-Etienne est en effet la réunion de deux églises : la cathédrale elle-même, qui se déploie selon un axe est-ouest, et N.-D. La Ronde, qui lui est perpendiculaire [5]. En 1260, on décida de les associer en une seule église de grande envergure. L’entrée méridionale de N.-D. la Ronde devint celle de la cathédrale, qui n’avait pas de porche en façade, et fut pourvue d’un riche ensemble de sculptures dans la seconde moitié du XIIIe s [6].
Cathédrale St-Étienne de Metz. Le Portail de la Vierge.
Photo Marc Heilig
Le programme sculpté est un condensé de l’enseignement du christianisme. De part et d’autre du portail, à mesure que l’on pénètre vers l’intérieur, on trouve les quatre évangélistes (Jean et Luc à droite, Mathieu et Marc à gauche), les figures de la Synagogue et de l’Eglise, et d’imposantes statues de saints et de saintes. La voûte est occupée d’un côté par le jugement du Christ, la montée au Calvaire et la Crucifixion ; de l’autre par la Résurrection, l’Ascension et le Christ en majesté. Le portail lui-même est consacré à Marie : Vierge au Sourire avec l’Enfant Jésus sur le trumeau, Dormition et Couronnement sur le tympan [7].
Cathédrale St-Étienne de Metz. St Mathieu et St Marc.
Photo Marc Heilig
Les maîtres bâtisseurs
Mais nous voulons surtout nous attacher au registre inférieur. Sous l’égide de la foi chrétienne y est représenté un programme qui s’adresse à l’apprenti bâtisseur : dans des écoinçons, une suite de figures symbolise les étapes de l’initiation qui doit lui ouvrir les portes de sa confrérie. Ces artisans se
déplaçaient de ville en ville, selon les offres qu’on leur faisait : Pierre Perrat travailla ainsi à la cathédrale de Metz, mais aussi à celles de Toul et de Verdun. Ils disposaient sur chaque chantier de loge, où ils pouvaient préparer leur travail et se réunir. De sorte que tout confrère nouvellement arrivé était assuré de trouver une communauté accueillante. Soudés par un idéal de solidarité, les bâtisseurs préservaient les secrets de leur métier et respectaient un code moral et des exigences de qualité.
De tout temps, l’art de bâtir a fait figure d’œuvre sacrée. Les bâtisseurs des cathédrales, reprenant cette conception à leur compte, avaient élaboré une synthèse des sagesses de l’Antiquité, complétant
l’ésotérisme de l’hermétisme par la pensée évangélique et ses racines de l’Ancien Testament. Ils prenaient pour référence d’illustres prédécesseurs, notamment Hiram Abi, l’architecte du temple de Salomon dont parle la Bible [8].
Cathédrale St-Étienne de Metz. Les voûtes de la nef.
Photo Marc Heilig
L’apprentissage formait des artisans très compétents [9]. Auprès de différents maîtres, le postulant suivait une initiation dont les phases nous sont présentées ici. Certaines de ces images sont connues par ailleurs, mais la cathédrale Saint-Etienne est la seule où le cycle apparaisse au complet [10]. Sans doute est-il révélateur que ce soit sur un monument qui accorde tant d’importance à l’architecture.
Ce parcours spirituel, conçu par les maîtres bâtisseurs, constituait une condition incontournable pour entrer dans leur fraternité. On refusait vraisemblablement tout apprenti qui ne s’y conformait pas. Dans le contexte économique de l’époque, cela devait avoir pour lui de fâcheuses conséquences : au Moyen Age, en effet, la religion régissait aussi bien la vie privée que l’activité professionnelle.
Les trente-trois degrés de la Sagesse
Avant tout sont représentés les obstacles à la Sagesse. Sur la base même de sa statue, ils sont comme foulés aux pieds par la Vierge au Sourire : parjure, mauvaise volonté, avarice, idolâtrie, égoïsme, lâcheté et vanité.
Cathédrale St-Étienne de Metz. L’Arbre sec.
Photo Marc Heilig
Les degrés de la Sagesse se lisent ensuite de droite à gauche sur les parois du porche. Le cycle commence sous les Evangélistes Jean et Luc, avec l’Arbre Sec qui marque la prise de conscience par l’apprenti de la voie qu’il a choisie.
A droite, les Petits Mystères concernent l’acquisition de vertus personnelles. Ainsi, l’étape du Dragon lui montre les forces spirituelles qui lui seront nécessaires. Le Dauphin le pousse à l’espérance et l’assure que le salut est toujours possible. De l’Eléphant et du Serpent, l’initié acquiert l’intelligence réceptive, grâce à laquelle il accueille avec tolérance la pensée d’autrui, et l’intelligence active qui lui permet d’agir.
A l’issue de cette première partie, il s’engageait par serment à rester fidèle à la communauté et à conserver les secrets qu’elle lui confiait. Il promettait aussi de toujours approfondir son initiation.
Cathédrale St-Étienne de Metz. Le Dragon.
Photo Marc Heilig
Cathédrale St-Étienne de Metz. Le Dauphin.
Photo Marc Heilig
Cathédrale St-Étienne de Metz. L’Éléphant.
Photo Marc Heilig
Les Grands Mystères, à gauche, le considéraient dans ses rapports avec ses Frères. La figure symbolique de la Tempérance, par exemple, l’incitait à refuser les apparences et accepter les deux pôles de sa
personnalité ; le Phénix lui rappelait qu’il devait se libérer de toute souillure pour devenir membre ; l’Homme à l’amphore lui apprenait à transmettre ses connaissances de façon à être entendu par chacun.
Par la phase de l’Ange, enfin, l’apprenti rendait véritablement opérants les acquis de son initiation.
Cathédrale St-Étienne de Metz. Le Phénix.
Photo Marc Heilig
Cathédrale St-Étienne de Metz. L’Homme à l’amphore.
Photo Marc Heilig
Cathédrale St-Étienne de Metz. L’Ange.
Photo Marc Heilig
Le cycle se terminait par l’Arbre Fleuri, sous Matthieu et Marc. Le nouveau maître bâtisseur offrait à sa communauté l’être nouveau qu’il était devenu tout en restant lui-même. Car, comme le dit Christian Jacq [11] : Il n’y a pas d’un côté l’arbre sec et de l’autre l’arbre fleuri. Il n’existe qu’un seul et même arbre.
Entre les deux, c’est le regard de l’initié qui change. Et seule la fraternité pouvait donner un sens à cette transmutation.
Cathédrale St-Étienne de Metz. L’Arbre fleuri.
Photo Marc Heilig
Notes
[1] Après Amiens, les voûtes de Metz sont les plus hautes de France dans une cathédrale achevée.
[2] Ce sont en effet les principaux éléments de l’architecture gothique, qui se résume ainsi à un jeu subtil de poussées et de contre-poussées.
[3] Elles ont donné à la cathédrale son surnom de Lanterne de Dieu. Aucune construction gothique
n’est plus ajourée que la cathédrale Saint-Etienne : ses verrières sont les plus vastes d’Europe.
[4] Le principal reproche qu’on puisse faire à la restauration de Paul Tornow, à la fin du XIXe s., est précisément d’avoir ajouté des éléments sculptés superflus.
[5] Chapelle personnelle de l’évêque, N.-D. La Ronde avait été rebâtie peu avant que l’on entreprenne d’édifier une nouvelle cathédrale, dont elle empêchait l’extension à l’ouest.
[6] Au XVIIIe s., l’architecte François Blondel fut chargé d’aménager les abords de la cathédrale en place royale. En masquant le bas du monument par des arcades de style classique, il condamna le Portail de la Vierge. On les démonta en 1868, ce qui permit de retrouver le portail, que l’architecte allemand Paul Tornow reconstruisit entièrement à la fin du XIXe s.
[7] Les sculptures du Moyen Age, lorsqu’on les dégagea de leur gangue classique, apparurent fort abîmées. Elles furent restaurées avec le plus grand soin par le sculpteur Auguste Dujardin, qui travailla avec Tornow. Bien que fortement décriée après le retour de la ville à la France, leur intervention est aujourd’hui considérée avec plus d’objectivité. Ils s’inscrivaient d’ailleurs dans la ligne des bâtisseurs de cathédrales : aucune n’est l’œuvre d’un seul architecte ni ne fut construite d’une seule volée. Bien au contraire, on voit partout la main de plusieurs maîtres d’œuvre et les marques de différentes époques.
[8] Cf I Rois 7, 13 et II Chroniques, 2.
[9] On le retrouve de nos jours chez les Compagnons du Tour de France, à qui l’on fait appel pour restaurer les monuments prestigieux.
[10] Ce parcours initiatique a été décrit en détail par Christian Jacq, Le Voyage initiatique ou les trente-trois degrés de la sagesse, 1986. L’auteur y suit, l’une après l’autre, chacune des figures du Portail de la Vierge.
[11] Ch. Jacq, op. cit., p. 181.