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Histoire d'un oiseau bleu, Jipaï

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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A vrai dire, je n'ai rien contre les oiseaux bleus empaillés, mais je les regarde différemment depuis ce matin.

Généralement, pour Noël, les enfants demandent un bateau à rames, un magnifique bateau en aluminium avec un filet doré marquant la ligne de flottaison. Ou bien autre chose, tant d'autres choses.

Inutile de me rappeler l'heure de son arrivée, ni la couleur de sa robe, je ne connais seulement que son prénom, Véronique, qui fixait le plateau de fruits frais et exotiques trônant sur la table basse et l'oiseau bleu au milieu des étoiles étincelantes, des guirlandes et des paillettes. Mais la vieille femme aux yeux perçants la fixait d'un air sévère et finit par lui dire, les sourcils froncés, qu'il ne fallait pas qu'elle y touche, que c'était pour plus tard, pour après le repas. Son visage revêche était suffisamment dissuasif pour qu'elle se le tînt pour dit. Elle se mit à balancer dans le vide, ses jambes qui ne touchaient pas le sol. Et puis les adultes s'éloignèrent, elle resta en tête à tête avec la coupe pleine de fruits et de merveilles et l'oiseau bleu qui la fixait de ses petits yeux noirs. Il avait une telle ressemblance avec un oiseau vivant, qu'elle se prit à penser qu'il l'était réellement. Timidement, elle avança un doigt vers les plumes et, se penchant en avant, elle parvint à le toucher, étonnée de la douceur du plumage autant que de la passivité de l'oiseau bleu. Puis, se souvenant du regard dur de l’aïeule, elle se recula vivement. Tournant la tête de droite et de gauche, s'assurant quelle était bien seule. Des pièces voisines, lui parvenaient des rumeurs, une femme, prise de frénésie, parlait à perdre haleine. Alors, elle avança son doigt à nouveau vers l'oiseau bleu, persuadée que celui-ci se mettrait à bouger. Elle s'enhardit jusqu'à le prendre entre ses doigts, surprise de tant de douceur et de légèreté qui l'apaisait, tant nos nerfs sont des fouets entre les mains du temps.

Elle se perdit dans ses songes et lorsqu'elle releva la tête, ce n'était point la vieille femme qui la regardait, mais un homme, un homme de sa famille. Il lui souriait tout en la jaugeant, promenant sur elle, de la tête aux pieds, un regard tranchant comme une lame de rasoir. Vivement, elle reposa l'oiseau qu'il reprit à son tour et qu'il s'amusa à rapprocher brutalement de l'enfant puis à l'en éloigner pour revenir de plus belle et lui piqueter la joue du bout du bec noir.

Tétanisée, elle ne bougea plus alors qu'il l'enlaçait de son bras puissant. Elle voulut se dégager, il la retint, la serrant davantage. Elle ferma les yeux, pour s'enfuir vers le néant, le noir du ciel, finit-elle par comprendre en claquant des dents. Elle ne savait plus, ne voulait rien savoir, là, dans sa nuit, quelque chose se passait. La lune était rouge et angoissée.

La nuit sans fin, nuit de douleur et pourtant nuit de Noël. Ce soir d'hiver, souffle le vent noir.

C'est le retour de l’aïeule au regard dur qui mit fin à sa torture. De son regard perçant, elle avait saisi la scène, mais elle se tut.

Véronique sentit les bras qui l'enserraient se relâcher, et telle une anguille, elle se faufila hors de sa prison et elle s’élança, livide, vers l'escalier de l'entrée, en essuyant les larmes qui lui montaient aux yeux.

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