Anne-Gaëlle Balpe
l’école des loisirs
11, rue de Sèvres, Paris 6e
Le mystère
Vandam P ishar
De la même autrice à l’école des loisirs
Collection Neuf Léo cœur d’Indien
© 2020, l’école des loisirs, Paris, pour l’édition Neuf poche
© 2017, l’école des loisirs, Paris, pour la première édition Loi n° 49.956 du 16 juillet 1949 sur les publications
destinées à la jeunesse : février 2017 Dépôt légal : septembre 2020 Imprimé en France par XXXX
à XXXX ISBN 978-2-211-31078-9
À mon fils Arthur,
qui a trouvé le nom Vandam Pishar,
à l’origine de cette histoire.
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Bienvenue, Vandam !
Le matin où il est arrivé dans ma classe, le vil- lage était couvert de neige. C’est rare, pourtant, chez nous, à Gratteloup-sur-Lignon, et c’est pourquoi tout le monde à l’école était surex- cité, à commencer par moi. En plus, nous étions lundi, jour du « Quoi de neuf ? ». Cela faisait par- tie des nouveautés de la remplaçante, madame Aldébaran, qui était notre maîtresse depuis deux semaines, depuis que monsieur Dessart avait disparu. C’était une histoire étrange, d’ailleurs.
Car notre maître s’était comme… envolé ! Il était rentré chez lui un mardi soir après l’école, sans rien dire de spécial, et personne ne l’avait
plus jamais revu. Le lendemain matin, on nous avait répartis dans d’autres classes, et puis, le jeudi, madame Aldébaran était venue le rem- placer. Cela avait fait naître des tas de rumeurs.
Certains disaient que monsieur Dessart était un espion américain et qu’il avait dû partir en urgence dans un autre pays, d’autres racontaient qu’il était tombé follement amoureux et avait pris un avion avec sa fiancée pour vivre sur une île exotique… Pendant au moins une semaine, on n’avait parlé que de ça.
Donc, nous étions lundi, j’étais inscrit au
« Quoi de neuf ? », et j’étais très impatient de présenter le tome trois de ma bande dessinée préférée.
Je m’apprêtais à sortir la BD de mon car- table quand la directrice est entrée dans la classe, accompagnée d’un garçon que nous ne connais- sions pas. Il avait la peau très foncée mais ne ressemblait pas du tout à Amadou, dont les parents sont nés au Mali. Les cheveux du nou- veau étaient lisses et brillants, et son nez, plutôt pointu. Ses yeux étaient si noirs qu’on ne voyait
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presque pas ses pupilles. Madame Aldébaran l’a pris par la main et a dit :
– Les enfants, voici Vandam Pishar. Il vient d’Inde et a emménagé à Gratteloup il y a quelques jours. Je vous demande de lui souhaiter la bien- venue dans notre classe.
– Bienvenue, Vandam ! on a crié, tous en chœur.
Bon, Vandam Pishar venait d’Inde, donc cette histoire de peau foncée et son drôle de nom s’expliquaient. Mais j’ai quand même trouvé qu’il était étrange, comme garçon. Il n’était pas juste « différent », il était, disons… inquiétant.
Il avait une façon de marcher très spéciale, les jambes un peu raides, les mains ouvertes et les doigts écartés. À la manière d’un robot.
Il faut dire que j’aime bien chercher la petite bête, ne pas avaler trop vite tout ce qu’on me raconte. Je crois que ça me vient du jour où papa et maman m’ont annoncé que j’allais être grand frère. Quelques mois plus tard, c’est arrivé, comme prévu, et ça n’avait rien d’exceptionnel,
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finalement, dans une vie. (Horace avait même eu une petite sœur quand nous étions en moyenne section de maternelle.)
Sauf que maman attendait des jumeaux, elle, et que je me suis retrouvé, à six ans, deux fois grand frère le même jour. Même si on m’avait prévenu, j’ai mis du temps à croire mes parents, quand ils m’ont dit que ces deux bébés étaient bien à eux et qu’ils étaient nés l’un après l’autre ! J’ai fini par accepter parce qu’on m’a montré des livres avec des dessins, des vidéos sur Internet, mais ça m’a rendu méfiant.
Alors depuis, c’est comme s’il m’était poussé des détecteurs de bizarrerie dans la tête. Et quand j’ai vu Vandam Pishar pour la première fois, tous mes signaux ont clignoté en rouge.
Ce lundi, donc, il est arrivé dans la classe et a rejoint la place indiquée par la maîtresse, dans le groupe d’Horace. Une fois assis, il a gardé la tête immobile et son regard fixé droit devant lui, au loin, comme s’il ne voulait surtout voir personne. Soit ce garçon était très très (très)
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timide, soit il avait quelque chose à cacher et ne souhaitait pas attirer l’attention (dans ce cas, c’était raté).
Toujours est-il que j’ai fini par l’oublier lorsque la maîtresse a lancé le « Quoi de neuf ? ».
Grâce à moi, toute la classe a pu découvrir le tome trois de Monstrologie. Ensuite, Horace a parlé du dernier film qu’il avait vu avec son père, comme chaque fois qu’il s’inscrit au « Quoi de neuf ? », et Alice a raconté l’expérience qu’elle avait faite avec des glaçons sur le chemin de l’école. Et puis Cépamoi (qu’on appelle tous comme ça mais qui s’appelle Florian, en vrai) a embrayé sur la météo du jour. Là, madame Aldébaran a déclaré : « Quelle excellente occa- sion d’aller observer la neige et faire un peu de sciences ! » Le temps de nous habiller, nous nous sommes retrouvés dans la cour.
Elle est comme ça, la remplaçante, elle nous laisse libres de choisir les activités. On dirait presque que les maîtres, c’est nous. D’ailleurs, au début, quand j’ai raconté à mes parents ce qu’on
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faisait en classe depuis la disparition de mon- sieur Dessart, ils n’étaient pas très rassurés. Ceux d’Alice ont même demandé à voir la directrice.
Mais madame Aldébaran a vite organisé une réunion, tout le monde a pu lui poser des ques- tions, et, depuis, les parents se sont calmés (sauf les parents d’Alice qui continuent à mettre des mots dans son cahier de correspondance pour réclamer qu’on fasse de « vraies dictées »).
Dehors, on s’est tous lancés dans la fabrication de boules de neige. Enfin, tous sauf Vandam, qui est resté immobile les bras le long du corps à nous regarder nous amuser.
– D’accord pour les boules de neige ou les bonshommes, mais on ne fait pas de bataille ! a prévenu la maîtresse.
– C’est pas drôle, a murmuré Horace. Attends, cache-moi, je vais essayer un truc.
Horace Thoman, il aime bien faire des bêtises et se fiche pas mal d’être puni par la maîtresse. Il paraît que son père était pareil, petit, et qu’il lui répète toujours : « De toute façon, l’école, c’est
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pas la vie », lorsqu’il a un mot dans son cahier.
Du coup, quand je vais jouer chez Horace, Alice n’a jamais le droit de venir. Je crois que pour ses parents, monsieur et madame Wan, cette maison est un endroit dangereux, contaminé par une sorte de virus que leur fille risquerait d’attraper en y posant un doigt de pied. Un virus terrible qui rendrait Alice mal élevée, lui ferait dire des gros mots et cracher dans la rue, lui donnerait envie de se gaver de frites ou de hamburgers, et qui gâcherait tous leurs efforts.
– J’y crois pas ! Il a pas bougé d’un milli- mètre ! a chuchoté Horace, caché derrière moi.
– De quoi tu parles ?
– Mais du nouveau, là, Vandam Pishar ! Je lui ai balancé une boule sur le pantalon, et il a même pas réagi !
– Hé ! Arrête, Horace ! Toi, t’as peut-être envie d’être puni, mais pas moi !
– Viens, on va lui parler. Il est trop trop bizarre.
– Là-dessus, je suis d’accord avec toi.
On s’est approchés de Vandam.
– Pourquoi tu fais pas de boules comme tout le monde ? T’aimes pas la neige ? a lancé Horace.
– Tu… parles… français ? j’ai articulé, en approchant mon visage du sien.
– Bien sûr que je parle français. Et sans doute mieux que vous, a répondu Vandam, le regard toujours droit devant lui.
– OK, OK… et, donc, t’as un problème avec la neige ? T’en avais jamais vu, c’est ça ? a continué Horace.
– J’ai appris à faire du ski à trois ans. Je vais aux sports d’hiver chaque année en Suisse.
– Carrément !
– Mais alors, pourquoi… a commencé Horace.
– Parce que mes gants ne sont pas imper- méables et que je ne veux pas abîmer mes mains ! Cette explication vous convient-elle ? !
– Bon, ça va, on te laisse tranquille, t’as pas l’air d’avoir très envie de te faire des amis, appa- remment, j’ai soupiré.
– Je n’ai pas le TEMPS de me faire des amis.
C’est différent.
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