OPINION ï~KC:
i5H ito
!DE M. DE BROGLIE,-
DÉPUTÉ DE COLMAR,
Sur
la libre culture et fabricationdu
tabacen France
;Trononcée à V Assemblée Nationale
,dans
laSeance du Novembre
iy<^o.Messieurs,
En examinant
]agrande
question quivous occupe en
cemoment,
jene
consulterai pas seu-lement
1 interetde
la ci-devant province quim’a
<choisi
pour un
de ses représentans; je serai sur- tout
animé
par l’intérêt général de laFrance
, etJBü MEWBERRY
A
EîBRAKY
2
par la crainte de voir
imprimer
la tache honteusedu régime
prohibitif, surune
constitution libre-En
effet, est-ce bien à l’époqueou nous nous trouvons
, à cette.époque
,
dont
lesennemis de
la révolution essaient
en
vain d’obscurcir la gloire ? est-ceau moment où nous avons
brisé toutes les chaînes fiscales, sous le poids desquellesle peuple gémissoit ,
que
l’on vient vous proposer encore d’enveiôpperune branche
importante d’a- griculture et decommerce, dans
des prohibitions et des entraves ?Quoi
!vous
avez aboli la gabelle ,vous
l’avezjustement nommée
l’un des plus grands fléaux qui ait affligé la nation,pendant
qu’elle éfcoit es- clave; elle a cessé de l’être, et vous hésiteriez.
Messieurs
, je
ne
dis pas à détruire', car il l’estpresqu’entièreinent par le fait
;
mais
àne
pasrétablir
violemment
l’impôtdu
tabac, aussidur,
aussi vexatoire , aussi désastreux
que
celui de la gabelle.S’il pouvoit
vous
rester quelques doutes sur1 aversion
profonde du
peuplepour
cet affreux régime, rappelez-vous ce qui s’est passé à l'instantmémorable où
la révolution acommencé.
Toutes
les barrièresque
laFerme
générale opposoit à la circulationdu
tabac dans leroyaume
furent renversées à la fois ; les lignes tracées sur la crête des
Vosges
furent détruites, les gardes re-poussées
au même moment,
et les peuples de laLorraine , du- pays
Messin
, de laFranche-Comté,
et des provinces Beîgicjnes
,
pour premier
usagede
leur liberté, s’empressèrent d’affranchir , des liens de la fiscalité , cette production ,
devenue pour eux
, par l’effet de l’habitude ,
un
objetde
nécessité
première
,un
véritable besoin.3
Ce mouvement
,vous
le savez , Messieurs ,ne
s’est point borné à ces seules provinces ; toute la
France
a juré,dans
ces premiersmstans,
clune
généreuse effervescence et d’une liberté anticipée ,Se
i: e plus souffrir lerégime odieux du
tabac.Crovez-vous
cpe
ce sentimentne
soit plus lemême
aujourd’hui , et qu’après avoir goûte,
pen-
dant
plus d'uneannée
, lesdouceurs
de la liberté,les peuples seront
ramenés
, sansmurmure
,aux formes
prohibitives ?Comment
allier cesformes
avec le libreusage
assuré par nos décrets , à
chaque
citoyen , desproduits de sa terre et
de
son industrie ?Comment
rallier avec les droits imprescriptibles de la nature
de
la justice , de cesun
pila raison , bases éternelles sur lesquelles
nous
avonsvoulu que
fut établie la Constitution francoise ?L’un
des principaux avantagesdu
reculenientdes barrières
aux
frontièresdu royaume,
est sansdoute
de dégager
l’intérieur de l’empire de cettearmée
oppressive de gardes et aecommis.
Eli bien ,sans ia franchise
de
ia culturedu
tabac , ce bien-fait sera illusoire 5 car il faudra necessameurent conserver
un grand nombre
de cescommis
; I ac-tivité de la contrebande l’exigera inévitablement \
vous
serez ainsiamenés
à placerune
incohérence ,une
difformitéhonteuse
,dans
le superbe pian d’administration généraleque vous vous
étiez rot-me
; etcependant
, sans tous ces satellitesdu
fisc ,sans ces odieuses visites domiciliaires,
ou
1honnête
citoyen se trouve à la
merci
des malfaiteuis et malveillans , quipeuvent
àson
insu cache1du
tabac
dans
samaison ou dans
sesdépendances
,sans ces visites domiciliaires ,
ou
le citoyen est a lamerci d’employés
, intéressés a trouver en..A
3h4
coupables , et assures
d en
pouyoir supposerim- punément
, la porte est ouverte de toutes parts àla fraude , et la prohibition est illusoire.
La
prospérité de l’état tient sur-tout à larichessede
1 agriculture etaux
progrèsdu commerce
; c’estleur action
immédiate
qui, seule,
peut nous
retirerdu
gouffreque
le despotisme avoifc creusé sousnos
pas.Vous
résoudrez-vous à porter, à l’un etal
autre,un coup
mortel,en
soustrayant à l’in-jluence vivifiante
de
la liberté, cette plante
dont
la culture est facile
,
dont
l’exploitationoccupe un grand
nomrore de bras, et
dont
laconsommation
est
immense
?Quand vous
n’étendriez la prohibitionque
surlesieuihes étrangères
,
dont
lemélange
est nécessairea
la fabricationdu
tabac indigène, cette
mesure
seroit encore
du
plusgrand
danger; ceseroit mettre nécessairement lecommerce de
nos tabacs, sous
le
joug
d’unecompagnie
fiscale, qui, peut-être forcée , clans lecommencement
, àquelques
actesde
modération, extérieure,
ne
seroit pasmoins dans un choc
continuel avec les fabricans, qu’elle pai viendroit adécourager
,
pour
pouvoir dire en-suite
que
la culturedu
tabac n’a point réussien France
, et qu’il faut l’y proscrire ycettecompagnie
établirait
une concurrence
redoutabledans
les achats des feuilles indigènes, et les porterait à
un
si
haut
prix,
que
les fabriques,
ne pouvant
pluss
en
fournir, cesseroient leurs travaux.
La
chute des fabriques entraînerait celle des cultures, et il
ne vous
resteraitque
le regret d’avoirrendu
inu-tile ,
en
n’accordant pasune
liberté indéfinie ceque vous
aviezcm
faire d’avantageuxpour
la,liberté. 1
Mais
cette liberté indéfinie, s’il faut
en
croirequelques
esprits timides , aurade
grands încon- véniens !Une
culture nouvelle et attrayante en-lèvera
beaucoup
de terrein etde
bras a celledes moissons
, et le bled pourroit souffrir de la pie- férencedonnée au
tabac. Cette préférence est pure-ment
imaginaire 5on donnera
toujours les premieissoins à l’objet; des premiers besoins. D’ailleurs le tabac procure àla terre
une
fertilité qui est touteen
bénéfice , puisqu’on le plante
d
ordinairedans
l’année
où
les terres devroient se reposer.Et
si 1on
corisidère
que
laFrance
a encored immenses
terreins à défricher
;
que
les provinces les plus fer-tiles ont encore des landes ,
où
la culturedu
tabacpourroit disposer la terre à celle
du
bled ,on
de-meurera
persuadé de l’utilitéextrême
d’adopter lesystème
que
j’ose proposer ici.L’exemple
de l’Alsace peut être à cet égardd’un grand
poids.Pendant
la dernière guerred’Amé-
rique , la
Ferme
générale y fitde
grands appro-visionnemens; l’or qu’elle
y
répanditpar sesachats rencouragea
tellement la culturedu
tabacrquelle augmenta
de moitié, sansque
lesmoissons en
souffrissent 5
seulement
des terreins , jusqu alors incultes , furentpromptement
défriches.La
Lor- raine qui , de son côté , n’avoit pas la ressourcede
cette culture, défrichade même pour augmenter
ses terres à bled5 ces succès sont
connus
, ilspeu-
vent devenircommuns
à tout l’empire François.Permettez indéfiniment toute culture , proscrivez toute prohibition , le bled
ne vous manquera
ja-mais
,on ne
l’accapareramême
plus.Le mono-
pole est
né
de la tyrannie etdu
despotisme, , il décèleun gouvernement
foible, ilannonce
le déclin des empires ; il n’est plus à craindredans un
étatà
qui la libertéredonne
toute la vigueur ^de laOpinion de M, de Br
opliefur
leTabac
.A a
6
jeunesse ; et l’un des bienfaits
de
là constitution nouvelle doit êtrede
faire disparoîtrede
la langue Françoise jusqu’aumot odieux de monopole.
Une
autre objection qui paroît plus spécieuse,
est celle
qu’on
tirede
ladiminution du revenu qu
occasionnera la libertéde
la culture etde
l’im- portationdu
tabac. Jene
répondrai pointque
cerevenu
est injuste etodieux,
qu’il pèse principa-lement
sur lepauvre
; qu’il
corrompt
lecommerce en
invitant à lacontrebande
; je diraique
cerevenu ne
peut plus s’élever à lahauteur qu’on
se plaîtà
lui supposer , etque
plusieurs calculs, qu’il seroit trop
long de vous
exposer ici avec détail,
prouvent que
sur les trente millionsque
procluisoità-peu-près
annuellement
le tabac , il fauten
ra- battreau moins
moitié; car
M. Necker avoue IuL
même que
la vente exclusive estextrêmement
difficile à rétablir;
que
cerevenu diminue de
huit cents mille livres parmois
, etque
les approvision-nerons immenses
qui se sont faitspar
tout leroyaume
, depuisun an
, s’opposentinvinciblementà
ce qu’aumoins
d’ici àdeux ou
troisannées
, laconsommation au
profitde
laFerme
puisse êtrecomptée pour
moitié.Il resteroit
donc seulement douze ou
quinze millions à remplacer; jevaisprouver
qu’ilspeuvent
l’être facilement encore
au moins pour
la moitié.Le commerce
deFrance vous
a manifestéson
vœu
par l’organede
ses députés ; ilsvous
ontdémontré que
les succèsde
leurs spéculations ,ceux
de la navigation et denos
relationscommer-
ciales avec l’
Amérique,
exigentque vous
décrétiez la libre importation des tabacs. Jeme
réunis àeux
à cet égard;mais
jene
puis adopter leur projet, lorsqu’ils veulent grever
de
dix souspar
livre les feuilles
de
tabac étranger.Outre
les in- convéniensque
jevous
ai déjà fait appercevoir quien
résulteraient , ce droit exorbitant seroitun
appât trop séduisant
pour
la contrebande.En
fixant , Messieurs , à trenteou
trente-cinq liv.par quintal le droit d’importation sur les feuilles étrangères,
vous
adopteriezune
juste proportion,celle qui
ne
grèverait pas trop les fabriques natio- nales auxquelles cemélange
de feuilles étrangèresest nécessaire f et qui ,
en même temps
,ne
four- nirentnéanmois
pasun
trop fort alimentau com- merce
interlope.Par
cette seule impositionvous
retrouverez ,en
partant des
données
quivous
ont été présentées parles députésdu commerce
,au moins
huit àneuf
millions ; ce seroit
donc 5
à 6 millions qu’ilvous
resteroit à répartir sur tous les départemens. Cette
somme modique,
distribuée entreeux, ne
ferapas pour chacun une somme de
soixante-dix millelivres , et
pour
éviter cette addition , presqu’insen- gibleaux
charges publiques,vous
laisseriez subsis- terun impôt
aussiimmoral qu’onéreux
?Vous
craignezde
fairepour
le tabac ceque vous
avez fait
pour
la gabelle ;vous ne pouvez
cepen-dant
pas adopterdeux
bases différentes , et le succès delune de
ces suppressions pourraitvous
décideren
faveurde
l’autre.Le
peuple qui sup- portoit avec peine lasomme
exorbitante à laquelle s’élevoit cetimpôt
indirect ,annonce hautement
la disposition de verser sans
murmure
,dans
le trésor public , ceque vous
luidemandez pour
serédimer
des vexations inhérentes à la prohibitiondu
sel; il
en
sera demême
à plus forte raisonpour
le tabac,
Un peuple
libre est toujoursgénéreux
,et ce serait le calomnier
que
de croire qu’il hési-teroit
de
préférer à payer latotalité
même
des quinze millions qui paroissent nécessairespour indemniser
le trésor national.r
Quant
àmoi
j’ignore, je l’avoue , ce
que
lepeupie ne
.sacrifierait paspour
n’avoir plus à re- outer ces gardes, ces
commis
qu’il eut toujoursen
horreur,pour
pouvoiremployer
sonchamp
àla culture qui lui conviendroit le
mieux,
etpour donner un
libre essor' àson
industrie.Cependant, au
lieudétendre atout
leroyaume
cet avantage de la culture et
de
la fabricationdu
a ac
j?*1} a
l
ou
*jnsqu
a présent la ci-devant pro- vince Isace,
on n
a pas craintde vous propo-
ser
de
la soum^ifereelle-même au joug
prohibitifque
1on
veut appesantir sur tout l’empire.La
libre culturedu
tabac est,vous
le savez,es^ieurs ,
une
des plusgrandes
richessesde
ce pays.
La
ville de Strasbourgcompte au moins quarante
fabriques florissantes;
une
cfcmzaine auties sont disperséesaux
environs. Ces fabri-exportent
annuellement pour
environ troismi
.
10 tabacs fabriqués.
Vous
, Messieurs , qui voulez protéger lecommerce
,commencerez- vous
par enlever a sa balanceces trois millions
qu
y apporteront les négocians de Strasbourg et esdepartemens du Rhin
?commencerez-vous
parvous
décider a transmettre ànos
voisins ces pro-its
dont vous
aurez dépouillé les François d’Al-sace. Si
vous
établissezune
régie intéressée,un
pnvilege exclusif
, et tout le
régime odieux
de lapro
nbition; si vous détruisez ces fabriques héré-
îtaires
,
que donnerez-vous
à leurs propriétaires ,que
vos decrets auront ainsiprivés
de
leur patri-moine
?que donnerez-vous
à tantde malheureux
journaliers
,
employés maintenant aux
fabriques , etde
vingt mille à la plus affreuse misère ?que don-
nerez-vousaux
cultivateurs d’A'sace quiperdroientle principal avantage de la richesse de leur sol ?
Injustes envers les cultivateurs, injustes envers les journaliers, injustes envers les propriétaires ,
com- ment
excuserez-vousà vos propresyeux
cetteoffenselaite à la liberté . lorsqu’au
vous
l’épargnant ,vous
épargneriezen meme temps
a toute la rrance iun
des plus
odieux
effets de son ancien esclavage ?Je n’ai pas besoin de vous rappeler, Messieurs, ni tous les privilèges
dont
jouissoifc la ci-devant pro- vince d’Alsace, ni sa docilité ,
ou
plutôt sonem-
pressement
àen
faire le sacrifice, ni tout ceque,
par mille raisons qui lui sont particulières, elle a éouffèrt depuislong-temps
de vexations etde
surcharges.Heureuse
de voir ses libertés se fondre,pour
ainsi dire ,dans
la liberté universelle de laFrance
, l’Alsace est trop fière de faire désormais partie d’un état libre,
pour ne
pas se féliciterde
ses sacrifices
,
pour
regretter ce qu’elle a souffert.Les
Alsaciens, François par adoption , le sont sur- tout par leurs sentimens libres et fraternels ;
mais
n
auront-ilsvu
luire sur laFrance qu’une
fausse aurore de liberté?Y
verront-ils subsister ceque
le génie fiscal inventa de plus vexatoire ? et,
pour comble de malheurs
, se verront-ilssoumis
eux-memes
à l’influence, nouvelle pour*eux, du
ré-gime honteux
et dévorant de laferme
?Dans
leurs illusions généreuses , les Alsaciens se orifioientdu
sacrifice de leurs privilèges, etvous
lesen
récompenseriezen
ruinant leur agriculture,en
détruisant leurs fabriques ,
en
étouffant leur in- dustrie.Non,
Messieurs,vous ne
décréterez point,vous ne prononcerez
point leur perte ; ilsne
rece- vront pas ce prix de leurattachement
à la consti-IO
ttttion
,
de
leur soumission constante à vos décrets,
malgré
les èdibrts coupables qu’on emploie sans cessepour
surprendre et .pour égarer leur patrio- tisme.Vous
aimerezmieux
répandre sur tout l’em- pire l’inestimable bienfait d’une culture et d’une fabrication libre ;vous en
bannirez tous les sup- pôts et toutes les inventionsdu
lise , et jene
crains pas de le dire , ce sera
seulement
alorsque
la
France
pourra croire à la liberté.C’est
au nom
de cette sainte, de cette précieuse liberté
, qui n’a jamais cessé d’être l’objet des
vœux
de
tousnos
concitoyens; c’estau nom
de cette liberté,,que nous avons
tousjuréde recouvrer, demain
teniret de défendre
; c’est
au nom
de cette liberté, sans
laquelle la vie sera désormais insupportable à tout François digne de ce
nom
,que
j’oseinvoquer en
cemoment
votre justice etmême
votre pru-dence
; et si cet intérêt, lepremier de
touspour
les représentant
du peuple
, avoit besoin d’êtreappuyé
auprèsde vous
de nouvelles considéra- tions, je
vous
prierois d’observer , Messieurs,
que
déjà plusieurs fois
dans
cetteAssemblée ceux de
ses
membres
qui ont le plus souvent signalé leurs regrets sur la destructionde
l’ancienrégime
, sur
Ja
réforme
des privilèges personnels , sur les pro- grèsde
notre belle constitution;
que
ceux-là ,dis-je , sont aussi
ceux
qui aujourd’hui sont lespartisans les plus zélés
du
projet qui tend à re-plonger nos
concitoyensdans
les chaînes avilis- santes clu fisc; ils sentent , ces
hommes
pervers ,combien
ce parti,une
fois adopté, pourroit avoirde
funestesconséquences
; ils semblent goûter paravance
les fruits cruels des intrigues qu’ilsfondent
sur cette dernière tentative.
Renversez
plutôt cesodieux
projets desennemis
de
la patrie , détruisez ces coupables espérances ;que
la libertéun
nouvel
hommage
5que
3e peuple obtienne de sesréprésentans
une
nouvelle justice,que dans son
indulgence ilnommera un nouveau
bienfait.O
Je
demande donc formellement que
la culture et la fabricationdu
tabac soient libresdans
toutle
royaume
, etque
les comitésdu commerce, de
l’agriculture et des finances soient chargés de pro- poser
incessamment un
tarif proportionnel d’im- position sur les feuilles de tabac étranger qui se- ront importées dans ieroyaume, pourvu que
cedroit