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Documents pour l histoire du français langue étrangère ou seconde

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Academic year: 2022

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42 | 2009

Approches contrastives et multilinguisme dans l’enseignement des langues en Europe (XVI

e

-XX

e

siècles)

Maria Eugenia Fernandez Fraile et Javier Suso López (dir.)

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/dhfles/150 DOI : 10.4000/dhfles.150

ISSN : 2221-4038 Éditeur

Société Internationale pour l’Histoire du Français Langue Étrangère ou Seconde Édition imprimée

Date de publication : 1 juin 2009 ISSN : 0992-7654

Référence électronique

Maria Eugenia Fernandez Fraile et Javier Suso López (dir.), Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 42 | 2009, « Approches contrastives et multilinguisme dans l’enseignement des langues en Europe (XVIe-XXe siècles) » [En ligne], mis en ligne le 16 janvier 2011, consulté le 14 juin 2021. URL : https://journals.openedition.org/dhfles/150 ; DOI : https://doi.org/10.4000/dhfles.150

Ce document a été généré automatiquement le 14 juin 2021.

© SIHFLES

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NOTE DE LA RÉDACTION

Responsable de l'édition en ligne : Javier Suso López

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SOMMAIRE

Présentation

Maria Eugenia Fernández Fraile et Javier Suso López

Apprendre les langues au XVIe siècle : Le Vocabulaire de trois langues, cestassavoir latine, italienne et francoyse

Nadia Minerva

Les Reglas Gramaticales para aprender la Lengua Española y Francesa de Antonio del Corro

Javier Suso López

Théorie et pratique du multilinguisme au XVIIe siècle : à propos de Juan Ángel de Sumarán, interprète, professeur et auteur d’ouvrages pour l’enseignement des langues vivantes

Juan Francisco García Bascuñana

Esclaircissement sur deux maîtres plurilingues du XVIIe siècle à Leyde

Sara Szoc

Juan Antonio González Cañaveras y la enseñanza de lenguas en el siglo XVIII

Maria Eugenia Fernández Fraile

La polyvalence linguistique des auteurs de manuels de FLE en Espagne au XIXe siècle

Maria Elena de la Viña Molleda

L’enseignement/apprentissage multilingue dans le contexte culturel européen de la première moitié du XIXe siècle : à propos de la Grammaire polyglotte de Simon Jost (1840)

María Inmaculada Rius Dalmau

Étude comparative des langues française et espagnole dans le livre bilingue de Paul Dupuy : Abrégé élémentaire des différences les plus remarquables entre la France et l’Espagne (1829)

Denise Fischer Hubert

Fuentes de la Grammatica Hespanhola para uso dos Portugueses de Nicolau Peixoto (1848)

Sónia Duarte

Los inicios de la enseñanza-aprendizaje del portugués en España : breves consideraciones sobre el Primero y segundo curso de portugués (Madrid 1876) de Francisco de Paula Hidalgo

Rogelio Ponce de León Romeo

Les « langues entre elles » ou les manuels d’enseignement des langues au Portugal au cours de la 2e moitié du XIXe siècle

Ana Clara Santos

Giuseppe Sessa et sa Dottrina popolare in quattro lingue (1891) ou… réussirai-je à écrire une lettre commerciale avec cet ouvrage ?

Marie-France Merger

La enseñanza de idiomas en España en la frontera de los años 30 : las ilusiones perdidas

Francisco José Morales Gil

Historia de las ideas lingüísticas. Gramáticas de la España Meridional.Antonio Martínez González (ed.) (2009)

Frankfurt am Mein : Peter Lang.

Juan Francisco García Bascuñana

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Présentation

Maria Eugenia Fernández Fraile et Javier Suso López

1 Ce numéro de Documents pour l’Histoire du Français Langue Étrangère ou Seconde – ainsi que le numéro 43 – est le résultat du Colloque célébré en novembre 2008 avec le titre : « Les

‘langues entre elles’ dans les contextes et situations d’enseignement en Europe, du XVIe siècle au début du XXe siècle : médiations, circulations, comparaisons », qui avait été organisé en commun par plusieurs associations dont l’objet est l’étude de l’histoire de la diffusion et de l’enseignement des langues :

SIHFLES (Société Internationale pour l’Histoire du Français Langue Étrangère ou Seconde).

CIRSIL (Centro Interuniversitario di Ricerca sulla Storia degli Insegnamenti Linguistici).

SEHEL (Sociedad Española para la Historia de las Enseñanzas Lingüísticas).

APHELLE (Associaçaô Portuguesa para a história do Ensino das Línguas e Literaturas Estrangeiras).

PHG (Peeter Heynsgenootschap).

2 L’objectif du Colloque était de centrer la réflexion sur la manière de penser l’enseignement des langues entre elles et non sur l’enseignement d’une langue isolée.

3 La didactique du plurilinguisme s’impose aujourd’hui comme une approche incontournable dans l’enseignement/apprentissage des langues en Europe ; elle redéfinit quelque peu les contours disciplinaires de ce champ en promouvant notamment un modèle de la pluralité où les langues se situent « en complémentarité ».

Toutes les contributions se structurent autour d’une série d’événements qui se produisent dans l’Europe du XVIe siècle au début du XXe siècle et qui marquent l’évolution des mentalités européennes au sujet de la langue : le progressif évincement du latin comme langue de communication savante, la promotion de certaines langues vernaculaires en langues « véhiculaires » (et le surgissement de rivalités entre elles), la transformation des langues en éléments constitutifs des cultures et identités nationales, l’articulation des cultures nationales avec la culture humaniste et classique, etc.

4 Les terminus a quo et ad quem ont été choisis en raison des profondes modifications qui affectent l’institution scolaire durant cette période, notamment en rapport avec la construction des États-nations et des identités nationales.

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5 Nadia Minerva (Université de Catane) reflète à travers un dictionnaire trilingue Le Vocabulaire de trois langues (latin, italien et français) l’intense activité plurilingue pendant le XVIe siècle. Dans ce volume apparaissent les deux traditions lexicographiques de ce siècle: les dictionnaires polyglottes dits populaires, destinés aux commerçants et aux voyageurs, et les dictionnaires doctes conçus pour les savants; elle nous montre comment, dans ces pages, les facteurs d’expansion des langues nationales et l’intense activité plurilingue aident à la concurrence d’une variété de communautés linguistiques où les parlers vernaculaires sont utilisés de plus en plus pour les contacts entre populations voisines, ce qui fait naître l’exigence de les apprendre. Un outil si modeste nous permet de voir à l’époque comment on apprenait les langues, les rapports entre elles et le rôle que jouait le latin dans leur apprentissage; de la même manière elle nous signale comment commence à décliner le plurilinguisme laissant la place aux différents bilinguismes et monolinguismes.

6 Javier Suso López (Université de Granada) met en relief, dans les Reglas d’Antonio del Corro, éditées en espagnol et en français à Londres en 1586, l’évolution de la mentalité linguistique à la fin du XVIe siècle en Europe. À travers cet outil, l’auteur prétend qu’on puisse apprendre le français et/ou l’espagnol à travers des « règles », et non plus seulement à travers l’ « usage » (la lecture de textes, la mémorisation de lexique et de dialogues). J. Suso met en évidence comment A. del Corro manifeste une vision plurilingue ‘naturelle’ du fait linguistique et il reconnaît la diversité de langues et la dignité des unes et des autres. La description scientifique, détaillée de la langue espagnole et de la langue française, de façon contrastive, répond à un impératif pédagogique, l’apprentissage de deux langues d’une façon facile et ordonnée, adaptée aux studieux présumés ou potentiels de son ouvrage. Il pose ainsi, de façon centrale, la question des destinataires de cet ouvrage.

7 Juan F. García Bascuñana (Université Rovira i Virgili, Tarragona) nous montre l’œuvre et la figure de Juan Ángel de Sumarán. Il s’occupe tout spécialement de son Thesaurus fundamentalis quinque linguarum (1626), qui est un manuel pour l’enseignement de langues; ce professeur de langues vivantes explique la grammaire de chacune des langues choisies à travers les autres langues. García Bascuñana veut souligner, surtout, la portée plurilinguistique de cette œuvre, proche de la Janua Linguarum Reserata de Comenius (1631), située à un moment spécialement significatif de l’histoire d’Europe, qu’il s’efforça d’adapter.

8 Sara Szoc (Université catholique de Louvain) présente, dans son article

« Esclaircissement sur deux maîtres plurilingues du XVIIe siècle à Leyde », la dispute entre Nathanael Duez et Pietro Paravicino. Bien que cette dispute ait déjà été évoquée à plusieurs reprises dans la littérature, elle n’a jamais fait l’objet d’une étude poussée.

L’Esclaircissement de quelques differents en la langue Italienne, de Nathanael Duez, auteur à succès d’ouvrages didactiques du français, de l’italien et de l’allemand, fournit une réponse à quelques remarques linguistiques formulées par Pietro Paravicino, maître plurilingue, resté dans l’ombre jusqu’à présent. Cette querelle révèle des informations intéressantes, non seulement sur la langue italienne, mais aussi sur les conceptions didactiques de ces deux maîtres de langues du XVIIe siècle. Duez insiste sur l’importance de l’apprentissage des règles de grammaire fondées sur l’usage des bons auteurs, tandis que Paravicino se penche vers la pratique.

9 Mª Eugenia Fernández Fraile (Université de Granada) analyse la figure de Juan Antonio González Cañaveras, un illustré espagnol né à Cadix. Il accorde une grande importance

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à l’étude des langues vivantes, et il avance une série de propositions innovatrices dans l’enseignement des langues au XVIIIe siècle, en donnant une importance à l’usage de la langue combiné avec un apprentissage raisonné. González Cañaveras plaide pour que l’éducation commence par l’observation du plus proche ; par conséquent, il propose d’étudier la langue maternelle et d’apprendre les langues étrangères depuis le « plus tendre âge ». Ses propositions sont très avancées pour l’époque et constituent un pari pour apprendre plusieurs langues à la fois.

10 Mª Elena de la Viña Molleda (Université de Granada) aborde la question de la diversification des auteurs de manuels de français langue étrangère en Espagne au XIXe siècle. Elle nous montre que, malgré les conditions difficiles où s’effectue l’enseignement de langues au XIXe siècle en Espagne, il est possible de discerner un groupe de professeurs qui possédait une remarquable formation linguistique, ce qui leur permettait d’enseigner en même temps plusieurs langues et de publier également des ouvrages destinés à leur apprentissage.

11 María Inmaculada Rius Dalmau (Université Rovira i Virgili, Tarragona) signale comment Simon Jost entreprend une étude comparative de six langues dans sa Grammaire polyglotte, parue à Paris en 1840, en montrant une grande formation philologique et historique où les langues apparaissent surtout comme des véhicules

« d’idées et de culture », sans oublier un enseignement pratique et utilitaire.

Inmaculada Rius se demande pourquoi les manuels polyglottes n’ont pas eu une présence notable dans l’enseignement des langues au cours de l’histoire. Elle nous donne deux hypothèses : il faut avoir une bonne connaissance de plusieurs langues de la part de l’auteur et, en plus, il faudrait des principes pédagogiques très clairs, favorisant une telle démarche.

12 Denise Fischer Hubert (Université Rovira i Virgili, Tarragona) nous montre que, malgré les difficultés qu’il y avait, au XIXe siècle, pour le développement du français en Espagne en raison des événements historiques, Dupuy met en œuvre une méthode moderne de connaissance approfondie du français et se propose le but de la faire parler à ses élèves aussi bien que les « natifs ». Il veut aussi faire connaître à ses élèves les coutumes du pays dont ils apprennent la langue, en les contrastant avec celles de l’Espagne, et il insiste surtout sur les différences, sujet tout autant intéressant pour le lecteur du XIXe siècle que pour le lecteur actuel. Il amorce une étude linguistique comparée des deux langues respectives. Il s’attarde sur les irrégularités orthographiques et phonétiques du français face à la relative simplicité de l’espagnol.

13 Sonia Duarte (Escola Secundária com 3º ciclo Dr. Joaquim Gomes Ferreira Alves Valadares, Vila Nova de Gaia, Portugal) analyse la première grammaire espagnole pour les Portugais de Nicolau Peixoto (1848). Elle nous montre comment cette œuvre est un instrument de médiation entre ces deux langues. Elle constate qu’il n’y a, à peine, d’études comparatives entre l’espagnol et le portugais, mais, par contre, une grande rivalité que Peixoto voulait mettre à terme. Peixoto prend comme référence divers auteurs et diverses œuvres parmi ses sources.

14 Rogelio Ponce de León Romeo (Université d’Oporto) analyse ce qui est très probablement le premier manuel pour l’enseignement du portugais en Espagne, en établissant les fondements méthodologiques sur lesquels il est basé. Ponce de León nous montre comme le manuel de Francisco de Paula Hidalgo accueille à la fin du premier livre l’une des premières descriptions grammaticales du portugais en castillan, en déterminant dans non peu d’occasions la convergence et la divergence des

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structures grammaticales et lexicales entre ces deux langues. Tout cela justifie l’importance du premier manuel pour le premier et le deuxième cours de portugais. Il indique que cette méthode contient des éléments qu’on pourrait considérer, pour l’époque, « d’avant-garde ».

15 Ana Clara Santos (Université d’Algarve) étudie la situation de l’enseignement des langues étrangères, et les rapports qu’il y a « entre elles », au Portugal au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, ainsi que les nouveaux manuels édifiés autour de leur applicabilité dans une société de plus en « plurilingue ». Ce fait détermine l’usage des langues à des fins très diverses : elle analyse comment ces manuels doivent introduire, à côté des contenus linguistiques, des notions appliquées aux diverses sciences et registres de langue conduisant à la découverte des textes scientifiques et à l’acquisition d’une terminologie technique.

16 Marie-France Merger (Université de Pise) nous propose l’analyse du livre de Giuseppe Sessa Dottrina popolare in quattro lingue, publié chez Hoepli (Milan, 1891). Quant au titre, elle nous rappelle que les ‘Manuali’ étaient très populaires à cette époque et qu’ils étaient conditionnés par la façon de fabriquer les tailleurs : elle remarque que les poches externes des vestes pour homme mesuraient onze sur seize centimètres, de telle sorte qu’elles pouvaient contenir un ‘Manuale Hoepli’. Après elle examine comment les phrases des quatre langues sont présentées et les rapports qu’il y a entre elles ; elle nous montre comment l’anglais et l’allemand deviennent des langues rivales du français qui n’a plus l’exclusivité dans les préférences du public italien.

17 Sous le titre de « La enseñanza de idiomas en España en la frontera de los años 30 : las ilusiones perdidas », Francisco José Morales Gil (Université de Huelva) essaie de montrer comment, avec l’avènement de la République en 1931, un effort de modernisation atteint tous les coins de l’Espagne. L’enseignement des langues modernes connaît ainsi de nombreuses réformes: la réforme de l’enseignement secondaire en 1934, le nouveau rôle des langues vivantes dans le système éducatif, la création des études de Philologie Moderne, l’émergence de la méthode directe dans l’éducation formelle... Cependant, avec la défaite dans la guerre civile, les tentatives républicaines d’adapter la pédagogie espagnole aux courants d’avant-garde européens cessent brusquement et il s’ouvre une période considérée comme des plus abominables de l’histoire de l’Espagne : les illusions perdues.

18 Nous tenons à remercier toutes les institutions et les responsables des associations et des sociétés qui ont généreusement contribué à la réalisation de ce colloque.

AUTEURS

MARIA EUGENIA FERNÁNDEZ FRAILE Université de Granada

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JAVIER SUSO LÓPEZ Université de Granada

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Apprendre les langues au XVI e siècle : Le Vocabulaire de trois langues,

cestassavoir latine, italienne et francoyse

Nadia Minerva

1 La présente étude a pour but d’ajouter une petite tesselle à la mosaïque du plurilinguisme du XVIe siècle : évoquant le sujet bien connu de la valorisation des langues et des cultures nationales au début de l’époque moderne, elle se focalisera sur les rapports entre elles dans les dictionnaires et les vocabulaires polyglottes – notamment sur la question de la hiérarchie qui y est établie – et sur la circulation de ces outils, outils qui se recoupent souvent mais qui présentent tout aussi souvent des traits originaux.

2 Le Vocabulaire de trois langues1, présenté dans ces pages, se prête à une réflexion sur les facteurs d’expansion des langues nationales et sur l’intense activité plurilingue qui en constitue le corollaire ; il peut donc aider à mieux tracer les axes portants de la polyglossie à un moment de notre histoire culturelle où les parlers vernaculaires sont utilisés de plus en plus pour les contacts entre des communautés linguistiques voisines

; ce qui fait naître l’exigence de les apprendre.

3 Tous les outils qui ont permis d’apprendre les langues au XVIe siècle ne sont pas connus. Il y en a sans doute plusieurs qui ne nous sont pas parvenus ou qui restent ensevelis dans les bibliothèques privées. Quand d’heureux hasards permettent d’en rencontrer un et qu’on l’examine, on se rend compte que même l’outil le plus modeste a beaucoup à nous livrer sur l’enseignement/apprentissage des langues et sur l’idée de plurilinguisme d’autrefois, et qu’il peut aussi nous renseigner sur les hypersensibilités (voire, les idiosyncrasies) linguistiques d’aujourd’hui.

4 En effet, ce répertoire lexicographique trilingue fournit l’occasion de se poser quelques questions non marginales :

par quels véhicules linguistiques les langues modernes se sont-elles répandues ? 1.

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quels rapports se sont instaurés entre deux vernaculaires romans, l’italien et le français, rapports entre eux et rapports de ces langues romanes avec le latin ? Question d’où en découle une autre :

quel est le rôle du latin dans ces contacts entre les langues vulgaires ?

à quel moment, sous l’impulsion de quels facteurs et par quels moyens le plurilinguisme de la Renaissance a-t-il commencé à décliner laissant la place aux différents bilinguismes et monolinguismes ? Et, enfin, dernière question qui anticipe déjà mon hypothèse :

quel rôle a joué la normation des langues modernes dans ce déclin ?

5 Le point de départ de mon parcours est justement ce dictionnaire trilingue qui s’est révélé un outil chargé de mystères et dont les anomalies par rapport aux autres outils de l’époque sont frappantes.

Les énigmes

6 Notre vocabulaire – repéré à la Réserve de la Bibliothèque Nationale de France – est inconnu ou presque : il ne figure ni dans les volumes consacrés aux éditions du XVIe siècle, éditions pourtant bien étudiées, ni dans la « bible des chercheurs », à savoir les répertoires que Philippe Renouard a consacrés aux imprimeurs parisiens. À ma connaissance, il n’est mentionné que trois fois :

7 (1) dans le Catalogue Pichon (1897-1898, 1ère partie : 205-206) où il figure sous le n° 709.

C’est cet exemplaire du baron Pichon, acheté par la BN en 1900, que j’ai consulté. Nicole Bingen dans son Maître italien (1987) en reproduit la notice.

8 (2) Nicole Bingen s’aperçoit qu’il s’agit probablement du premier dictionnaire paru en France où l’on trouve conjointement le français et l’italien2. Elle avance une hypothèse convaincante sur sa datation et sur ses possibles imprimeurs : « Très petit octavo gothique3, ce vocabulaire a dû probablement paraître avant la 1ère édition parisienne en huit langues du Vocabulista (1546), chez la veuve de Jean Saint-Denis ou chez Pierre Sergent » (Bingen 1987 : 247). Dans une autre publication, cette hypothèse se précise :

« publié probablement entre 1531 et 1545 » (Bingen / Van Passen 1991 : 3008). C’est le colophon qui a sans doute inspiré cette datation : « Cette adresse [rue Neuve Notre- Dame, à l’enseigne S. Nicolas] est celle de Jean Saint-Denis (1521-31), de sa veuve Claude (1531-1549), de Pierre Sergent avant de passer aux Bonfons » (Bingen : 1987 : 247).

9 (3) Enfin, Margarete Lindemann (1994) mentionne le Vocabulaire dans son répertoire des dictionnaires français parus avant 1600. Elle le date entre 1530 et 1550 (datation – précise-t-elle (p. 659) – suggérée par les conservateurs de la Bibliothèque nationale de France). La présence de quelques formes verbales conjuguées lui suggère de le relier à la tradition du Vocabulista (la seule nomenclature plurilingue de l’époque): l’auteur anonyme aurait transformé les dialogues et les phrases de sa source en une liste de mots. Elle relève d’ailleurs quelques correspondances dans le lexique présenté.

10 En effet, si on ne connaît ni la date de parution ni l’éditeur du Vocabulaire, on peut du moins faire des conjectures : de nombreux imprimeurs et libraires parisiens de la rue Neuve Notre-Dame se sont servis de l’enseigne Saint Nicolas : Jehan Hérouf (1501-1528), Jehan Saint-Denys (1521-1531) et sa veuve Claude, Pierre Sergent (1530-1547) Jehan Bonfons (1547-1566), sa veuve et son fils Nicolas Bonfons (1572-1623). Mais dans le colophon de Jean Hérouf on lit : « à l’image Saint Nicolas » et non « à l’enseigne ».

Quant aux Bonfons, il n’y a aucune trace de notre Vocabulaire dans leurs éditions qui ont 2.

3.

4.

5.

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été scrupuleusement recensées dans le mémoire d’Arlette Destot (1977) ; ce qui restreint considérablement la période plausible de publication du Vocabulaire. J’aurais donc tendance à accueillir l’hypothèse de Bingen / Van Passen, mais je n’exclus pas d’autres possibilités : imprimeurs dont on n’a pas conservé de trace, surtout si peu importants, non consacrés (pas de marque typographique dans le Vocabulaire, tandis que les éditions de Saint-Denys et de Pierre Sergent en comportent toujours), édition piratée, échanges de matériaux entre les divers imprimeurs, ce qui arrivait très souvent. Je me suis même demandé si on peut être sûr du lieu d’édition : si l’ouvrage avait été imprimé à l’étranger, la mention de Paris dans la page de titre aurait fourni de belles garanties de correction linguistique pour le français...

11 Les caractères gothiques – mieux la bâtarde réservée aux textes en langue vulgaire – ne fournissent pas non plus d’indices : ce sont bien des caractères qui ont tendance à disparaître, mais si le romain commence à s’imposer, bien des imprimeurs continueront à les utiliser jusque dans la seconde moitié du siècle.

12 Le Vocabulaire a le même format que le Vocabulista, comme toute la littérature populaire de l’époque : un livre de petites dimensions, de lecture facile, plus facile à lire, à manier, à colporter, et pas tellement destiné à figurer sur les rayons des bibliothèques – d’où la rareté des exemplaires.

13 On ne parviendra peut-être jamais à dévoiler les mystères qui entourent notre petit vocabulaire. Plusieurs problèmes restent ouverts et les questions sont plus nombreuses que les réponses. Pour ce qui concerne la datation du Vocabulaire, les hypothèses formulées par Nicole Bingen et Anne-Marie Van Passen, bien que basées sur une description externe relevant de l’histoire de l’édition plutôt que de l’analyse de son contenu linguistique et culturel, peuvent constituer un bon point de départ pour situer le Vocabulaire dans les années 1530-1550. Quant aux sources possibles de son compilateur, ses caractéristiques tout à fait singulières peuvent fournir quelques indices.

Les anomalies

14 Les particularités du Vocabulaire par rapport à la production plurilingue de l’époque sont frappantes. Pour mieux les saisir, il faut s’éloigner du Vocabulaire et tracer rapidement le contexte où il se situe.

15 L’activité lexicographique plurilingue qui caractérise le XVIe siècle est marquée par la dépendance réciproque des différents recueils dans l’Europe toute entière. L’étendue de cette lexicographie témoigne de l’intérêt pour les langues modernes à plusieurs niveaux. Je me limite à évoquer les principaux secteurs de cette activité :

16 Un mouvement érudit qui se manifeste dans la description et la comparaison des langues ; que l’on pense, par exemple, pour ne citer que deux ouvrages célèbres, aux Institutiones linguae syriacae, assyriacae atque thalmudicae, una cum aethiopicae atque arabicae collatione d’Angelo Canini (Paris, 1554) et au Mithridate4 (Zurich, 1555) de Conrad Gessner.

17 La lexicographie savante. On n’en retiendra que deux titres célèbres : le Dictionarium d’Ambrogio Calepino (type du dictionnaire plurilingue alphabétique à entrée latine) et le Nomenclator d’Hadrianus Junius (type de la nomenclature plurilingue à entrée latine).

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18 Des éditions polyglottes de textes littéraires. L’exemple le plus connu est celui du Jugement d’amour5 de Juan de Flores (Grisel y Mirabella, fin XVe siècle), traduit de l’espagnol, d’abord en italien, puis en français (à partir du texte italien), qui connaît au moins 12 autres éditions françaises entre 1530 et 1555, et 15 éditions bilingues italien / français entre 1546 et 15826.

19 Un phénomène de rencontres des vernaculaires qu’on peut qualifier de civilisationnel/

culturel. Dans ce domaine on recense deux types d’outils : le recueil de dialogues comportant un dictionnaire comme le Berlaimont (postérieur, en version polyglotte, à notre Vocabulaire) et les dictionnaires d’usage populaire connus sous le nom de Vocabulista.

20 C’est sur ces derniers que je porterai mon attention, car, à cette époque-là, les Vocabulista sont les seuls dictionnaires où l’on peut trouver, parmi d’autres langues, l’italien et le français. Ce sont donc les seuls outils qui permettent une comparaison avec le Vocabulaire de trois langues et c’est cette comparaison qui montre les anomalies de ce dernier.

21 La littérature critique nous dit que le premier dictionnaire plurilingue où figurent conjointement le français et l’italien est l’Introductio7, parue à Rome chez Mazzocchi en 1510. On compte des dizaines d’éditions de l’Introductio (que nous appellerons désormais Utilissimo Vocabulista, titre qui deviendra bientôt le plus répandu), un nombre croissant de langues (jusqu’à huit) et une étendue géographique surprenante8. En Italie, il est réédité – à Rome et à Venise – jusqu’en 1582 (12 éditions)9. Les éditions allemandes foisonnent. En France, avant l’édition novatrice de Le Tellier (Dictionnaire des huict langaiges, Paris 1546)10, on connaît deux éditions lyonnaises de 1533 et de 1542, en 5 langues, reliés à la filière italienne inaugurée par Francesco Garrone (voir note 9).

22 Le Vocabulista est une petite nomenclature organisée par champs sémantiques qui répond à une demande du marché, un outil pensé pour la communication internationale, indispensable, comme l’évoquent les différentes pages de titre, à ceux

« qui vont praticant dans le monde » (« per mundum versari »), à ceux qui veulent apprendre les langues « sans aller ale scole [sic], come artisans, & femmes », aux

« persone di scarsa dottrina costrette a viaggiare in diverse nazioni », à « mercanti e passaggieri » pour se passer de l’interprète, « & estraneo, & forse inimico » : ce voyageur ne sera « costretto piu d’altri con suo perielio fidarsi »…. Plus tard, d’autres destinataires viennent s’ajouter : les « studieux » et les « amateurs des lettres », dans les compilations en huit langues (en commençant par le grec), sans pour autant que n’y apparaisse aucune prétention savante : lexiques et phraséologies à la fois, ces outils répondent aux besoins de la communication courante. Jamais la norme, seulement l’exemple, et l’accent est toujours mis sur l’utile.

23 Comme le Vocabulista, le Vocabulaire est pratique par sa forme (colonnes, petit format) et par son contenu (lexique en majorité du quotidien). Cependant, les différences sont marquantes.

Le Vocabulaire est disposé sur trois colonnes : on a souvent remarqué la rareté des

dictionnaires trilingues au XVIe siècle, un nombre impair de langues posant des problèmes de mise en page. La mise en colonne est un métier spécialisé. Il faudrait trouver un imprimeur parisien ayant cette compétence, mais je n’en connais aucun, alors qu’il y en a dans l’imprimerie hollandaise ou allemande...

Il est trilingue : si les trilingues sont rarissimes, on n’en connaît aucun qui enregistre l’italien et le français.

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Il est alphabétique : le corpus que l’on connaît est constitué en grande partie de listes lexicales thématiques et de modèles conversationnels ; la nomenclature du Vocabulista est organisée par thèmes.

Le public aussi est nouveau : aucune mention n’est faite aux marchands et aux voyageurs et la disposition alphabétique ne favorise pas ce type de consultant.

24 Le Vocabulaire de trois langues est donc une liste alphabétique de mots sur trois colonnes.

Il se présente, en vertu de cette organisation macro-structurelle, comme un premier essai de contamination entre les deux traditions lexicographiques de l’époque : les dictionnaires populaires dont je viens de parler et les dictionnaires doctes, conçus pour les savants. L’ordre alphabétique est établi sur l’italien qui occupe la colonne centrale, entre le latin et le français. Nous sommes encore loin, bien sûr, des dictionnaires de la fin du siècle : l’ordre alphabétique ne concerne que la lettre initiale du mot ou du syntagme répertoriés. Rien de surprenant en cela : on enregistre encore des hésitations dans les grands classiques de la lexicographie du XVIe siècle. Voici ce que l’on trouve par exemple sous A :

Latin Italien francoys

Apostoli Apostol les apostres

Nunc Adesso Maintenant

Ambrosius Ambroso ambroise Ludouicus Aloisi Loys […]

Adam Adamo adam

Adueniat Auanga aduiengne Autunnus Autunno automne Conuenire Accordare accorder […]

Aperi Apre Ouure

Assetum Assedo Vinaigre […]

Ire Andare aller

Lacerare Astrazare Dechirer […]

Anas Anade Cane

Mihi A my A moy […]

Tangere Atocare Atoucher […]

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25 L’ordre alphabétique devient primordial pour déterminer les utilisateurs potentiels et leurs besoins linguistiques : dans les vocabulaires polyglottes de l’époque, c’est l’organisation onomasiologique qui guide l’utilisateur : il ne s’agit pas de trouver un mot, mais un groupe de mots relevant tous du même champ lexical, parfois liés à la même situation de communication. Le dictionnaire alphabétique s’adresse à un utilisateur qui veut trouver non pas un sujet mais un mot – dans notre cas un mot italien : le vocabulaire n’est pas réciproque. Dans notre proto-dictionnaire, il n’y a qu’une seule langue source (l’italien) et une seule langue cible (le français).

26 Qui peut avoir eu besoin de chercher un mot italien ? Un Italien qui veut écrire ou parler en français ? Un Français ou un étranger qui lit des textes italiens ? Un traducteur ? Difficilement le voyageur ou le marchand qui se repéraient mieux dans un recueil thématique. Et si notre vocabulaire était lui-même le résultat d’un travail de traduction ? D’ailleurs, on le sait, les premières listes lexicales bilingues nous viennent des glossaires visant à faciliter la compréhension de textes devenus difficiles pour les lecteurs de leur époque.

27 Comme le précise le sous-titre, le Vocabulaire est destiné à « ceulx qui ont desir sçavoir de l’italien ou bien du françoys », deux langues qui sont encore à portée communicative limitée sur la scène européenne, d’où la présence du latin qui devrait être la voie d’accès aux langues modernes, latin qui joue le rôle delingua franca (rôle qu’il aura encore pour longtemps, inutile de le rappeler). Le recours à une langue à large diffusion, langue de prestige, langue de la communication internationale pourrait induire à penser qu’une hiérarchie s’établit dans le Vocabulaire ; au contraire, le prestige du latin n’engendre pas de rapports asymétriques entre ces trois langues.

28 Pour ce qui concerne la nomenclature, le collationnement des deux seuls dictionnaires disponibles – l’Utilissimo Vocabulista et le Vocabulaire de trois langues – a montré leur parenté, bien que ce dernier enregistre plusieurs mots absents dans les Vocabulista et que le choix lexical opéré par le Vocabulaire lui donne un aspect assez nouveau11. Je me limite ici à des remarques concernant les rapports entre les langues en présence et ce plurilinguisme plus bigarré qu’on ne le croirait où ont égal droit de cité toutes les langues et tous les parlers.

Variété linguistique et polyglossie

29 Un des aspects intéressants du Vocabulaire de trois langues est la variété d’italien enregistrée. La question du plurilinguisme, de la codification et de la réflexion linguistique dans l’Italie des débuts du XVIe siècle est trop complexe pour qu’on puisse la liquider sommairement. En Italie, on le sait, c’est la Babel des langues régionales, voire municipales. On n’a pas eu un Villers-Cotterêts, on ne peut pas parler de politique linguistique, mais un mouvement culturel qui gagne le consensus de la République des Lettres valorise de plus en plus le toscan des Trois Couronnes (Dante, Pétrarque, Boccace) au détriment de langues de prestige, même littéraires, comme par exemple les parlers du Nord de l’Italie12. Les débuts de l’activité lexicale en Italie donnent une poussée importante à l’assimilation pétrarquiste de la langue ; mais l’Italie des Cours a du mal à s’y résigner et les tenants de la « lingua cortigiana » sont légion. Notre Vocabulaire ne semble pas tenir compte de ces affrontements :

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Vocabulaire de trois langues

latin Italien français parlers du Nord de l’Italie toscan13

anas Anade cane ànara, ànada anitra

anguis Bissa couleuure bissa biscia

bos Buo beuf buò bue

mendacium Busia menterie busìa bugia

Obliuisci Dismetigrere oublier desmentegàre dimenticare

filius Fiolo Filz fiòlo figliuolo

ebrius Imbriago ivrongne inbriàgo briaco

auis Losello oyseau osèlo uccello

farciminator Lardarolo saucisier lardarolo salsicciaio

minus Mancho moins manco meno

30 Relevons quelques tendances typiques du vénitien : des phénomènes

31 – d’aphérèse de A :

Vocabulaire de trois langues

latin italien Français Toscan

Amicitia Mistade Amitye amistà, amicizia Homicida Sassino Meurtrier Assassino

32 – d’apocope du phonème atone ou d’une syllabe en fin de mot :

Vocabulaire de trois langues

latin Italien Français Toscan

Apostoli Apostol les apostres Apostoli

Baro Baron Baron Barone

Mundine Merca Marche (foyre) Mercato

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33 – de réduction des géminées :

Vocabulaire de trois langues

latin Italien Français Toscan

Rostrum Becho Bec Becco

genu Genochio Le genoul Ginocchio

34 Nombreux sont les vénétismes lexicaux :

Vocabulaire de trois langues

latin Italien Français Toscan

Patruus Barba Oncle zio14 Biturum Bituro Beurre burro15

35 Ces modestes remarques peuvent-elles nous aider à mieux dater le Vocabulaire ? En effet la variété linguistique que je viens de relever permettrait d’anticiper de quelques années le terminus a quo établi dans Bingen / Van Passen 1991 : le vénitien a disparu assez tôt des Vocabulista ; rappelons que la profonde révision du Vocabulista voulue par Francesco Garrone en 1526 a fait date et que toutes les éditions postérieures en découlent, y compris la première édition française, celle de Lyon 1533. Elles ont donc recours à cette langue commune qu’on est en train de chercher un peu partout en Europe (il suffit de penser à Luther), quête d’où viendra bientôt la standardisation via la fixation. Une des sources de notre Vocabulaire pourrait donc être l’Introductio de Rome 1510 (qui grouille encore de vénétismes, malgré le lieu d’édition : Mazzocchi était originaire de Bergame) ou un de ses descendants le plus proche, les éditions italiennes et allemandes des années 1510-1522.

36 Il vaut la peine de souligner la grande curiosité des libraires-imprimeurs parisiens pour l’italien, curiosité encore exempte de tout purisme, bien que Pietro Bembo (lui-même vénitien) dans les Prose della volgar lingua (1525) ait déjà sonné le glas pour les langues régionales.

37 Nous en trouvons confirmation – entre autres – dans un recueil de proverbes intitulé Bonne reponse a tous propos, publié en 1547 par Arnoul l’Angelier et par le poète et historien Gilles Corrozet, le grand imprimeur de romans bilingues, qui retraduit personnellement de l’italien le roman de Juan de Flores mentionné plus haut (sous un nouveau titre : Histoire d’Aurelio et Isabelle) et qui remercie, en 1542, Raymond Sac de l’avoir aidé. Or, Raimondo Sacco est originaire de Casei Gerola, village de la province de Pavie16.

38 Ce recueil qui a connu un nombre prodigieux d’éditions présente les mêmes traits régionaux de notre Vocabulaire :

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A vn disgraziado, el pan ge tempesta in forno, A vn malheureux, le pain luy tempeste au four.

A vn tristo, ge ne vol vno e mezzo, A un mechant, en faut vn & demy.

Crederestu che non fussino altri aseni in Padoa?

Croirois tu qu’il n’y eust point d’autres asnes en Padoue?

La ne da solo à doi persone, A chi vuole e à chi non vuole,

Elle n’en donne qu’à deux persones, A qui en veut, & aqui n’en veut point.

A spese di Zuan villano, Aux despens de Iean villain.

Caura mal castigata mal castiga’l becco, Chieure mal chastiee, mal punit le bouc.

Fa ben al vilan, el te vol male, Fage mal, el te vol bene,

Fay bien au vilain, mal t’en veut. Fay luy mal, il t’en veut bien.

Fà mè deuin, che te faro richo, Fay moy deuin, ie te feray riche.

So ben menar le ocche à beuere, quando’l piove, Ie sçay bien les oysons boire quand il a pleu.

El ghe piu di che luganeghe, Il y a plus iours que sausicces.

El m’a messo questo pulese in orecchio, Il m’a mis ceste puce en l’oreille.

Un outil, son auteur et ses utilisateurs

39 La production polyglotte répond toujours à de besoins sociaux. On peut se demander donc si parmi les objectifs du Vocabulaire figurent aussi des finalités éducatives. Le but pédagogique est annoncé dans la page de titre: rappelons que les destinataires mentionnés sont ceux qui désirent apprendre l’italien et le français. Mais le but pédagogique pourrait aussi être inféré de la présentation sur colonnes, selon une pratique qui, à partir du XVIe siècle, a été appliquée aux manuels du genre Vocabulista ainsi qu’aux textes littéraires ayant ce même but quant à l’apprentissage des langues (pensons, à titre d’exemple, aux éditions polyglottes du Jugement d’amour (voir note 6).

40 On peut se demander enfin qui est le compilateur de notre Vocabulaire. L’analyse de la nomenclature nous fait pencher pour un Italien, du fait de l’absence de plusieurs équivalents français et latins : si aucun mot traducteur n’est trouvé dans la langue de

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sortie, une périphrase ou une définition sommaire en tient lieu. Voici quelques gloses explicatives ou définitoires:

41 Aierno (arbre duquel ne scay le nom tant francoys que latin) Bosena Pays ou nom de terre

mantilla Mappe a essuyer les mains molton certaine beste

Prossia cest nom de pays sensale nom daulcun mestier

42 Dans un article intitulé « Des livres pour l’Europe ? Réflexions sur quelques ouvrages polyglottes (XVIe siècle-début XVIIe siècle) », Michel Simonin (1982) avance une réflexion d’un grand intérêt pour la présente enquête : l’Europe des langues existe, tant qu’aucune langue ne s’est encore imposée ; au moment où l’une des langues d’Europe parvient à primer sur les autres comme véhicule commun, la production polyglotte se tarit.

43 Pour ma part, mon incursion dans un outil plurilingue me permet d’ajouter qu’un réductionnisme linguistique interne aux langues va de pair avec ce déclin de la polyglossie. Deux mouvements complémentaires se dessinent : la sélection des langues (langue qui aspire à devenir la langue commune / langues régionales circulant librement avant la vague de la standardisation) et la sélection linguistique (lexique, formes morpho-syntaxiques).

44 Pour conclure, peu de certitudes, beaucoup de suggestions... des portes qui s’ouvrent sur la galaxie de l’activité linguistique du XVIe siècle : voilà enfin une donnée incontestable. Ce dynamisme peut encore nous réserver des surprises.

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NOTES

1. Vocabulaire de ║ trois langues/ cestassavoir latine ita/ ║ lienne & francoyse de tant de noms quil ║ cest peu trouuer/ figuré par Alphabet ║ Tres utile à ceulx qui ont desir scauoir ║ de litalien ou bien du françoys. ║ Et premierement des noms ║ qui se commencent par A. ║ Du nom italien et non daul ║ tre aumoins frequentement. ║ On les vend a Paris en la rue neuf ║ ve nostre Dame à lenseigne S.

Nicolas.

2. Nicole Bingen n’a sans doute pas vu le Vocabulaire puisqu’elle en cite le titre de manière erronée : « Vocabulaire des trois langues », au lieu de « Vocabulaire de trois langues ».

3. L’ouvrage compte 64 feuillets signés A-H. Il enregistre 1746 lemmes. Nombreuses sont les répétitions.

4. Mithridates, de differentiis linguarum tum veterum, tum quae hodie apud diversas nationes in toto orbe terrarum in usu sunt, Conradi Gesneri Tigurini Obseruationes.

5. 1ère édition française : Paris, Jérôme Denis, 1529.

6. À signaler également, dans la seconde moitié du XVIe siècle, ses 4 éditions bilingues français / espagnol et ses 3 éditions en quatre langues (français / italien / espagnol / anglais) auprès d’éditeurs spécialisés dans les éditions plurilingues, à savoir en colonnes.

7. Introductio quaedam utilissima sive Vocabularius quattuor linguarum Latinae Italicae Gallicae et Alamanicae per mundum versari cupientibus summe utilis. Dans l’Introductio sont ajoutées deux autres langues, le latin et le français, à un vocabulaire bilingue bavarois-vénitien de 1477, l’Introito e porta d’Adam von Rottwil (Adamo de Roduilla). Cf. Giustiniani 1987.

8. Voir Rossebastiano Bart 1984.

9. La plus répandue est celle de l’humaniste Francesco Garrone : Quinque linguarum vtilissimus vocabulista Latine. Tusche. Gallice. Hispane. & Alemanice. Valde necessarius per mundum versari cupientibus. Nouiter per Franciscum Garonum maxima diligentia in lucem elaboratus... 1526.

Toutes les éditions postérieures découlent de cette dernière responsable de métamorphoses importantes tant pour ce qui a trait à l’organisation du lexique que pour la variété linguistique qui sera désormais le toscan.

10. Voir Colombo Timelli 1993. Les 8 éditions parisiennes sont toutes en 8 langues.

11. Les résultats de ce collationnement ainsi que l’analyse linguistique de cette liste lexicale dépasseraient les limites imposées à cette contribution. Ils feront l’objet d’une étude plus vaste.

12. On désigne par « koinè lombardo-veneta » (Mussafia 1864) les parlers des Vénéties et de la Lombardie. Ces langues régionales du Nord de l’Italie sont variées et, pour cette époque, il est difficile de les distinguer malgré quelques études de détail sur les nombreux textes littéraires qui nous sont parvenus (textes qui enregistrent les variétés régionales de Bergame, Brescia, Padoue...

pour se limiter au Nord) (voir Vitale 1978 : 39-153 et Paccagnella 1984 : passim).

13. Pour les mots toscans, ont été consultés les dictionnaires D’Accarisi (1543), d’Alunno (1543), de Minerbi (1553) et de la Crusca (1612).

14. « Barba. Perzio, detto alla Lombarda » (Vocabolario della Crusca 1612).

15. Biturro est enregistré dans le Vocabolario della Crusca dans une citation tirée de Palladio, originaire de Padoue.

16. Je suis redevable de cette information à Madame Magali Vène, conservateure de la Réserve de la Bibliothèque nationale de France à qui vont mes remerciements.

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RÉSUMÉS

Le Vocabulaire de trois langues constitue un exemple frappant de contamination entre les deux traditions lexicographiques du XVIe siècle : les dictionnaires polyglottes dits populaires, destinés aux commerçants et aux voyageurs, et les dictionnaires doctes conçus pour les savants. Publié à Paris, difficile à dater, le Vocabulaire est une liste alphabétique sommaire sur trois colonnes ; l’ordre alphabétique est établi sur l’italien qui occupe la colonne centrale. Comme le précise le sous-titre, il est destiné à « ceulx qui ont desir sçavoir de l’italien ou bien du françoys », deux langues qui entrent en concurrence avec le latin sur la scène européenne. Ce petit dictionnaire trilingue, inconnu jusqu’à présent, est l’occasion pour réfléchir sur les facteurs d’expansion des langues nationales et sur l’intense activité plurilingue qui en constitue le corollaire. Il soulève, d’ailleurs, des questions intra- et extra-textuelles auxquelles on a tenté ici de répondre. Quels sont les rapports de force entre ces trois langues au sein du Vocabulaire? À quel marché éditorial et à quels utilisateurs s’adresse-t-il ? ... La comparaison de sa nomenclature avec celle des autres dictionnaires publiés vraisemblablement dans la même période, ainsi qu’une incursion dans le monde bigarré des imprimeurs nous ont permis de formuler quelques hypothèses.

The Vocabulaire de trois langues is a striking example of contamination between the two lexicographical traditions of the 16th century : the popular multilingual dictionaries for merchants and travellers, and scholarly dictionaries. Published in Paris, but difficult to date, this vocabulary is an alphabetical list on three columns. Alphabetical order is based on the centre column, in Italian. As the subtitle reads, it is intended for « ceulx qui ont desir sçavoir de l’italien ou bien du françoys », two languages in competition with Latin on the European stage. This little trilingual dictionary, hitherto unknown, is an opportunity to reflect on the expansion of national languages and the intense plurilingual activity which is its corollary. It raises, moreover, intra- and extra-textual questions which we tried to answer here. What are the mutual relations among the three languages in the Vocabulaire ? What publishing market and users did they address ? ...

The comparison of its word-list with other dictionaries published probably in the same period, and a foray into the colourful world of printers allow us some interesting assumptions.

INDEX

Mots-clés : lexicographie plurilingue, XVIe siècle, latin/italien/français, langues nationales, régionalismes, édition française

Keywords : multilingual lexicography, XVIth century, latin/italian/french, national languages, regionalisms, French printers

AUTEUR

NADIA MINERVA Université de Catane

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Les Reglas Gramaticales para aprender la Lengua Española y Francesa de

Antonio del Corro

Javier Suso López

Introduction

1 Antonio del Corro (1527-1591), moine hiéronymite espagnol acquis à la Réforme protestante, est en train de mériter de nos jours une attention particulière : ses Reglas Gramaticales para aprender la Lengua Española y Francesa confiriendo la una con la otra, segun el orden de las partes de la oration Latinas (1586) ont été rééditées en 1988, avec l’appui d’une longue étude en guise d’Introduction de la part de Lidio Nieto (Corro 1988 : 5-75), où il retrace la trajectoire vitale et religieuse de son auteur, avant de s’occuper de l’analyse linguistique « interne » de l’ouvrage; J.-F. García Bascuñana s’est penché récemment (2006) sur le rapport entre langue et religion qu’entretient cette grammaire : la revendication historique de cet humaniste « hétérodoxe » espagnol longtemps oublié se complète d’une analyse de l’ouvrage lui-même. García Bascuñana révèle la présence d’« une certaine sagesse influencée par la religion » (2006 : 40), qui se manifeste à travers les exemples – dotés d’un « fort accent religieux » – qui accompagnent les règles. Nous-mêmes, nous avons consacré une étude récente à cette grammaire (2009), en soulignant comment une mentalité linguistique nouvelle, rationaliste et logique, préside à la composition de cet outil destiné à apprendre l’espagnol et le français à travers des « règles », et non plus seulement à travers l’ « usage » (la lecture de textes, la mémorisation de lexique et de dialogues). Nous voulons dans cet article nous pencher sur la question des destinataires de cet ouvrage, que nous ne pourrons résoudre qu’à travers l’analyse des rapports entre langues.

(23)

1. Destinataires des Reglas

2 Tous ceux qui se sont penchés sur les Reglas (L. Nieto 1988, J.-F. García Bascuñana 2006, E. González 2008) s’avouent surpris du caractère de cet ouvrage : tout d’abord, il est rédigé exclusivement en espagnol, et on ne trouve du texte en français que dans les exemples servant à illustrer une règle et dans les formes prises en français par les différentes parties du discours (les noms, les pronoms, les verbes: être, aimer, lire, dormir, faire, aller, être aimé). Mais, à partir de la page 79, il commence à introduire certaines explications en français, à propos de certaines formes verbales : le gérondif, le supin, le conjonctif ; première, deuxième et troisième conjugaisons ; les verbes passifs : en tout une trentaine de lignes en 30 pages. Puis, il estime que

le lecteur Espagnol sera dejia si advance que pourra entendre ce que nous escrirons en François. Et pareillement aussi que le lecteur françois a grand besoin des regles, que nous mettrons cy dessus. Iay advise que seroit le meilleur de las mettre en langue Françoise, qu’en Espaignole (1988 [1586] : 109).

3 À partir de là, il utilise le français comme langue d’explication (« langue véhiculaire », dirions-nous aujourd’hui) dans le reste de sa grammaire, mais pas de façon exclusive : il rédige en français les observations sur les verbes (109-114) ; il expose ensuite en bilingue (texte espagnol, puis texte en français) les observations sur les participes (114-116) ; il revient à l’espagnol pour les adverbes (116-119), les prépositions, interjections et conjonctions (119-123), et, finalement, il explique en français la question de la « construction & Syntaxe » (123-126).

4 Cette répartition des langues suscite ainsi la question de savoir si cet ouvrage sert vraiment au but annoncé (apprendre à la fois l’espagnol et le français)1, comme le soutient García Bascuñana, avec certaines réserves toutefois : « on ne peut oublier pour autant que nous sommes devant un manuel qui peut être utilisé dans les deux sens, comme beaucoup d’autres manuels de l’époque, par exemple celui de Baltasar de Sotomayor (1565) ou celui de Fray Diego de la Encarnación (1624) » (2006 : 38-39). Si nous admettons cette hypothèse, on doit se demander quel public pouvait être intéressé aux Reglas de del Corro. L’ouvrage pourrait servir, comme le soutient Bascuñana, « à tous les membres de la communauté protestante espagnole d’Angleterre – ou d’autres pays – qui souhaitaient apprendre le français » (2006 : 38). Il y avait bien une communauté d’émigrés espagnols en Angleterre (pour des motifs religieux) : mais, sachant l’espagnol puisque c’est leur langue maternelle, ils n’ont aucun besoin d’une grammaire pour apprendre l’espagnol, et à quoi bon apprendre le français si c’est l’Angleterre qui les a accueillis et que les guerres de religion ravagent la France? En revanche, l’éditeur Joseph Barnes voit bien que le principal groupe d’intéressés se trouve à Paris et aux Pays-Bas (à cause de la présence espagnole toute proche), et c’est ainsi qu’il introduit un double pied de page (Oxford / Paris) pour cibler les émigrés espagnols, installés en France et aux Pays-Bas désirant apprendre le français. Mais les interrogations et les paradoxes subsistent.

5 En effet, comme l’indique García Bascuñana lui-même, « la primauté de la langue espagnole dans les Reglas gramaticales est indéniable » et « l’ouvrage de del Corro est plutôt une grammaire espagnole qu’une grammaire française » (2006 : 38). Elle devrait servir surtout à l’apprentissage de l’espagnol… Dans ce cas, la question initiale demeure : quel peut être le public réellement intéressé ? On peut en effet douter de l’intérêt – en termes commerciaux ou économiques avant tout – que pouvait avoir en

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Angleterre (dans une période d’un vif affrontement entre l’Angleterre d’Elisabeth I et l’Espagne de Philippe II) l’édition d’un ouvrage en espagnol servant à apprendre l’espagnol ! Les doutes ont dû assaillir en tout cas l’éditeur J. Barnes, qui élimine des coûts : il retranche des textes complémentaires prévus initialement (des dialogues, dont le célèbre Dialogo de Latancio y de un arcediano, de Juan de Valdés, composé à l’occasion du sac de Rome de 15272, publié pour la première fois en 1529 et mis à l’index puisqu’il « attaquait violemment le Pape en tant que perturbateur de la paix publique, instigateur de la guerre et fourbe à toute évidence » (Encyclopedia católica : éd.

électronique, trad. personnelle).

6 L’analyse de l’ouvrage lui-même renchérit nos interrogations : nous voyons bien qu’il ne peut nullement attirer les émigrés espagnols en Angleterre, qui n’ont pas besoin d’apprendre ni l’espagnol (ils le connaissent déjà) ni le français. Et, s’il est adressé à des lettrés (anglais, français…) qui veulent apprendre l’espagnol, cela n’a aucun sens de rédiger le texte en espagnol depuis le début, puisqu’ils ne vont rien comprendre ! Au lieu de penser que cet ouvrage « peut être utilisé dans les deux sens », pour apprendre soit l’espagnol soit le français, on serait tentés de croire qu’il n’est utile ni à apprendre le français, ni à apprendre l’espagnol : ceux qui ne connaissent point l’espagnol sont rebutés dès le début par un texte écrit en espagnol ; ceux qui ne connaissent point le français doivent attendre une centaine de pages pour trouver du français (mis à part les exemples qui illustrent les règles).

7 Et cependant, malgré ces incohérences ou paradoxes, nous estimons que l’intérêt, linguistique et pédagogique, des Reglas de A. del Corro mérite de lui faire une place dans l’histoire de l’enseignement des langues étrangères.

8 Disons tout d’abord que A. del Corro n’a pas composé son texte à partir d’un projet éditorial qu’il avait lui-même mûri : ce sont les questions religieuses qui l’ont toujours tracassé, et c’est sur ce sujet que sa production écrite est abondante ; il n’a exercé comme maître de langue qu’en tant que gagne-pain : c’est ainsi qu’il avait rédigé depuis trente ans « ciertas reglas de lengua Espagnola y Francesa, que casi treyenta años pasados recogi, quando yo aprendia a hablar Francés, y enseñava el lenguaje Espagnol, al Rey Don Henrique de Navarra » (1988 [1586] : Dédicace). Ce sont ses proches, dont l’éditeur probablement, qui le poussent à publier ces notes : l’esprit consciencieux de del Corro nous permet d’imaginer qu’elles étaient assez systématiquement ordonnées.

C’était des notes qu’il avait recueillies par l’observation contrastive entre les deux langues, au cours de son apprentissage du français (qu’il entreprenait) et de l’apprentissage de l’espagnol de la part de son illustre disciple. Il y joignait ainsi son expérience en tant qu’apprenant du français et en tant que maître d’espagnol. C’est l’œuvre ainsi d’un « praticien »3 : del Corro ne possède aucune qualification en tant que grammairien, ni aucun intérêt à prendre part aux querelles linguistiques qui se posaient à l’époque (il avait d’autres chats à fouetter !).

9 Mais qui pouvait être intéressé à apprendre l’espagnol en Angleterre ? Le petit groupe d’exilés espagnols ne constituait point un marché qui pût rentabiliser l’inversion : si c’était une grammaire pour apprendre le français, cela irait encore, puisque les rapports entre l’Angleterre et la France étaient bien nombreux. De fait, de nombreux ouvrages pour apprendre le français sont édités en Angleterre le long du XVIe siècle, comme l’atteste D. Kibbee (1989). Dans cette logique, on peut penser que A. del Corro décide de compléter ses notes: il systématise ses observations à l’ensemble des parties du discours, ainsi qu’à la syntaxe, et il rédige ces ajouts en français, puisqu’il connaît

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