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(1)

L’

ABOLITION DE LA PEINE DE MORT ENTRE POLITIQUE ET JURIDICTION

Paolo Passaglia*

Table des matières

ABOUT PAOLO PASSAGLIA ... 3

A PROPOS DE PAOLO PASSAGLIA ... 4

INTRODUCTION ... 5

I. L’ABOLITION « POLITIQUE » ... 6

I.A. L’« ABOLITION-REVOLUTION » ... 6

I.A.1. L’abolition et la fin de la dictature ... 7

I.A.2. L’abolition et l’indépendance ... 11

I.B. L’« ABOLITION-REFORME » ... 13

I.B.1. L’abolition « progressive » ... 14

I.B.2. L’abolition « instantanée » ... 20

II. L’ABOLITION « JUDICIAIRE » ... 23

II.A. LES ABOLITIONS ACHEVEES ... 23

II.A.1. Les abolitions provoquées par les juridictions ... 23

II.A.2. Les abolitions décidées par les juridictions ... 30

II.B. LES ABOLITIONS INACHEVEES ... 35

II.B.1. L’acceptation du principe de la peine de mort ... 36

II.B.2. Les limites à la peine de mort ... 42

CONCLUSION ... 54

* Professeur de Droit comparé à l’Université de Pise (Italie), coordinateur scientifique de la Section de Droit comparé du Service des Études de la Cour constitutionnelle italienne.

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Abstract

The complete or partial abolition of the death penalty is undoubtedly one of the most memorable decisions that can be adopted in a judicial system and a society.

Ethical, philosophical, religious, as well as criminological, economical and sociological arguments intervene in the realm of politics and law in order to support either the abolitionist option or the opposite one, which is sometimes referred to as “retentionist”. The aim of this study is not to contribute to the debate regarding these arguments, but simply to draw a picture of the main processes that can lead to the complete or partial abolition of the death penalty.

Résumé

L’abolition (totale ou partielle) de la peine de mort est incontestablement une des décisions les plus marquantes qui puissent être adoptées dans un système juridique et une société.

Les arguments éthiques, philosophiques, religieux, mais aussi criminologiques, économiques et sociologiques interviennent dans les champs de la politique et du droit afin de soutenir, alternativement, l’option abolitionniste ou l’option inverse, que l’on nomme parfois

« rétentionniste ». Le but de cette étude n’est pas de participer au débat concernant ces arguments, mais, bien plus modestement, d’esquisser un tableau des principaux processus qui peuvent porter à l’abolition (totale ou partielle) de la peine de mort.

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ABOUT PAOLO PASSAGLIA

Professor Paolo Passaglia's academic education began at the Faculty of Law of Pisa. His links with French legal culture date back to his doctoral curriculum in cotutelle with the Università di Pisa and the University of Aix-Marseille III, cotutelle which granted him the degree of doctor of law both in Italy and France.

The main areas of research and teaching of our author are comparative law, in particular Franco-Italian comparative law, and public law, with a particular interest in constitutional justice, subjects that he teaches at the Università di Pisa as a professor. Author of numerous articles in Italian, English and French, he is the scientific coordinator of the Department of Comparative Law of the Italian Constitutional Court and a member of the Board of Directors of the Italian Association of Comparative Law.

The contribution that the Sorbonne Student Law Review is pleased to present in this first issue is a revisited excerpt from its remarkable book The Abolition of the Death Penalty. A comparative study (Mnemosyne 2012). It is a rigorous comparative legal analysis, informed by historical and political elements, of the processes by which the death penalty has been abolished or challenged around the world.

The author leads us to think on the plurality of configurations whereby the abolitionist (or quasi-abolitionist) process can present - both in terms of mechanisms used and bodies and institutions mainly involved - as well as on the link that exists between this procedural aspect and the substance of the resulting abolition.

On the same subject, Professor Passaglia was able to lead the debate among Sorbonne students at a conference entitled "The death penalty between abolition and regulation" held last February. It was notably on this occasion that the Sorbonne Student Law Review team was able to meet him in order to engage in a collaboration that proved to be a real pleasure, especially for the author of these lines since it enabled her to meet again with one of her masters while she was herself a student at the Università di Pisa.

Giuliana Marino

Deputy Director of the Scientific Events of the Sorbonne Student Law Review Doctoral Fellow, Sorbonne Law School

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A PROPOS DE PAOLO PASSAGLIA

La formation académique du Professeur Paolo Passaglia a commencé auprès de la Faculté de droit de Pise. Ses liens avec la culture juridique francophone remontent à son parcours doctoral marqué par une cotutelle avec l’Università di Pisa et l’Université d’Aix- Marseille III lui ayant permis d'obtenir le grade de docteur en droit en Italie et en France.

Les principaux domaines de recherche et d’enseignement de notre auteur sont le droit comparé, notamment le droit comparé franco-italien, et le droit public, avec un intérêt particulier pour la justice constitutionnelle, sujets qu'il enseigne à l'Università di Pisa en qualité de professeur. Auteur de nombreux articles en italien, en anglais ainsi qu'en français, il assure la coordination scientifique du département de droit comparé de la Cour constitutionnelle italienne et est membre du conseil directif de l’Association italienne de droit comparé.

La contribution que la Sorbonne Student Law Review a le plaisir de présenter dans ce premier numéro est un extrait revisité de son remarquable ouvrage L’abolition de la peine de mort. Une étude comparée (Mnemosyne 2012). Il s’agit d’une rigoureuse analyse juridique comparée, nourrie d’éléments historiques et politiques, des processus par lesquels la peine de mort a pu être abolie ou remise en cause dans le monde.

L’auteur nous amène à réfléchir sur la pluralité des configurations que le processus abolitionniste (ou quasi-abolitionniste) peut présenter – à la fois en termes de mécanismes utilisés et d’organes et institutions principalement impliqués – ainsi que sur le lien qui existe entre cet aspect procédural et la substance de l’abolition qui en résulte.

Sur ce même sujet, le Professeur Passaglia a pu animer le débat chez les étudiants de la Sorbonne lors d'une conférence « La peine de mort entre abolition et réglementation » qui a eu lieu en février dernier. C’est notamment à cette occasion que l’équipe de la Sorbonne Student Law Review a pu le rencontrer afin d'engager une collaboration s'étant révélée être un véritable plaisir, notamment pour l'autrice de ces lignes puisqu'il lui a permis de retrouver l'un de ses maîtres alors qu'elle était elle-même étudiante à l'Università di Pisa.

Giuliana Marino

Directrice-adjointe des événements scientifiques de la Sorbonne Student Law Review Doctorante contractuelle à l’École de droit de la Sorbonne

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INTRODUCTION

L’abolition (totale ou partielle) de la peine de mort est incontestablement une des décisions les plus marquantes qui puissent être adoptées dans un système juridique et une société.

Les arguments éthiques, philosophiques, religieux, mais aussi criminologiques, économiques et sociologiques interviennent dans les champs de la politique et du droit afin de soutenir, alternativement, l’option abolitionniste ou l’option inverse, que l’on nomme parfois

« rétentionniste ». Le but de cette étude n’est pas de participer au débat concernant ces arguments, mais, bien plus modestement, d’esquisser un tableau des principaux processus qui peuvent porter à l’abolition (totale ou partielle) de la peine de mort1.

À ce propos, l’aspect qui paraît mériter une attention particulière tient au fait que l’importance de l’option entre abolitionnisme et rétentionnisme est telle qu’elle ne peut évidemment pas être adoptée par n’importe quelle autorité. Mais l’identification de l’autorité appelée à choisir est loin d’être simple, car elle dépend d’un grand nombre de variables, telles que l’histoire du système, la situation politique, les exigences du moment, etc.

La diversité des autorités s’associe à la variabilité des parcours qui conduisent ou qui peuvent conduire à l’abolition. Cela soumet le comparatiste à une grande difficulté lorsqu’il cherche à élaborer des catégories et des paradigmes dans lesquels s’inscrivent les processus, ou les actes d’abolition : à première vue, en effet, chaque système présente des traits d’originalité qui semblent empêcher toute assimilation à d’autres.

Dans le but de tenter une classification de ces processus, une distinction peut être dégagée entre les organes politiques et les juridictions. La plupart des abolitions sont le produit d’une décision des premiers : la peine de mort est abolie simplement parce qu’un acte contraignant issu d’une décision politique, adopté par une autorité qui en a le pouvoir, impose que la peine de mort soit effacée de l’ordre juridique.

1 En raison de l’objectif limité de l’étude, on n’abordera pas le sujet de manière complète, mais on se contentera de prendre en considération seulement les quelques expériences qui s’avèrent plus significatives eu égard au point de vue adopté. Parmi les recherches de plus grande envergure, voy., récemment, J. Martschukat, A. Sarat (dir.), Is the Death Penalty Dying? European and American Perspectives, Cambridge University Press, 2011 ; R. Hood – C. Hoyle, The Death Penalty. A Worldwide Perspective, Oxford University Press, 5e éd., 2015. Les opinions de l’auteur de cet écrit ont été en partie déjà exposées : voy., P. Passaglia, L’abolition de la peine de mort. Une étude comparée, Mnemosyne, 2012.

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Bien que leur nombre soit beaucoup plus limité, on ne saurait négliger l’importance des cas où, à défaut d’une action politique, les juridictions ont pris soin de conduire un raisonnement juridique visant à vérifier si la peine capitale était compatible avec les principes constitutionnels. Et, parfois, le raisonnement a conduit à une déclaration d’inconstitutionnalité, frappant soit le châtiment en tant que tel soit sa réglementation juridique.

I. L’ABOLITION « POLITIQUE »

L’histoire de l’abolition de la peine de mort adoptée par les autorités politiques dans les différents pays suggère l’existence de deux grandes catégories, identifiables par rapport à ce que l’abolition de la peine de mort représente du point de vue du passé du système.

La première catégorie est celle de l’« abolition-révolution » : l’abolition de la peine de mort est un choix de rupture par rapport au passé et marque – ou contribue à marquer – une nouvelle phase de l’histoire constitutionnelle du pays.

La seconde catégorie comprend les « abolitions-réformes » : dans ces cas, on ne peut pas parler de ruptures, puisqu’il existe bien une continuité entre la période qui précède et celle qui suit l’abolition. L’élimination de la peine capitale est donc une innovation, à l’évidence, majeure, qui est le produit d’un débat interne au système ; un débat qui voit primer de nouveaux principes ou de nouvelles forces, imposant un changement de politique criminelle.

I.A. L’« abolition-révolution »

Le processus qui porte à l’abolition de la peine de mort est souvent un processus très complexe, au sein duquel la suppression de ce pouvoir de priver de la vie, légalement, certains criminels, n’est qu’une des innovations que l’on vise à introduire dans le système. On peut même arriver à lier la révolution juridique concernant la peine capitale à l’existence d’une révolution juridique générale, c’est-à-dire un changement, non dans le système, mais du système.

Or, l’instauration d’un nouveau régime paraît être, en effet, la condition essentielle pour qu’il y ait une abolition-révolution. Cela est dû au fait que les abolitions-révolutions font partie d’actes normatifs, généralement de constitutions qui manifestent un changement radical dans l’ordre juridique. Dans ce cadre, l’abolition de la peine de mort a été conçue, la plupart du temps, comme une composante du nouvel élan constitutionnel qui ouvre à la démocratie, soit après une période de dictature soit une fois l’indépendance conquise.

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I.A.1. L’abolition et la fin de la dictature

Un grand nombre d’États abolitionnistes ont éliminé la peine de mort, totalement ou pour les crimes de droit commun, après une expérience plus ou moins longue de dictature.

L’affirmation ou la réaffirmation de la démocratie s’est associée à celle des droits de l’homme, parmi lesquels une place centrale a été souvent réservée à la protection de la vie, qui s’impose même aux pouvoirs publics2.

L’expérience européenne est assez parlante : la fin des années quarante a été marquée par l’objectif de tourner la page de la désolation politique et morale des dictatures nazies et fascistes ; les années quatre-vingt-dix se sont engagées dans l’œuvre de démantèlement des régimes socialistes en Europe orientale. Dans les deux cas, le nouvel ordre a été fondé sur les principes issus de la doctrine constitutionnaliste et la crainte d’assister, dans l’avenir, aux abus et aux horreurs que l’on venait de vivre a considérablement accentué le souci d’assurer à la vie ainsi qu’aux droits et libertés des individus une protection adéquate. L’interdiction de la peine de mort s’est insérée dans un tel contexte.

À ce propos, le cas italien est très significatif, puisque l’abolition de la peine capitale pour les crimes commis en temps de guerre fut introduite par l’article 27, alinéa 4, de la Constitution de 1947 (« La peine de mort n’est pas admise, exceptée dans les cas prévus par les lois militaires de guerre »3) sans qu’aucune objection soit soulevée au sein de l’Assemblée constituante. La peine de mort était, en effet, un sujet politiquement révélateur, puisque l’abolition avait été une des manifestations les plus importantes du libéralisme qui animait le Code pénal de 1889 (le « Code Zanardelli », du nom du ministre de la Justice) et, au contraire, le rétablissement de la peine de mort avait figuré parmi les premières grandes mesures du régime fasciste, avant même que le Code pénal de 1930 ne fût adopté.

L’élimination de la peine de mort, du moins pour les crimes de droit commun, était donc la conséquence logique de la reconnaissance de la valeur de la personne, non seulement du fait que sa vie doit être conçue comme sacrée, mais aussi parce que, même pour le plus brutal des criminels, le châtiment ne peut en aucun cas se limiter à une simple rétribution, mais doit chercher à protéger la dignité de la personne et, partant, à améliorer sa situation personnelle et

2 L’affirmation de la protection de la vie est devenue un symbole d’un nouveau cours des choses même pour le droit international. La référence est, en particulier, l’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée générale des Nations Unies, aux termes duquel « [t]out individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne ».

3 La loi constitutionnelle du 2 octobre 2007, n° 1, abrogera les mots suivant la virgule, en rendant ainsi l’abolition complète.

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son intégration sociale. La place de l’interdiction de la peine capitale au sein de la Constitution indique de manière très claire l’idée qui était propre au Constituant : l’alinéa qui la précède affirme les principes selon lesquels « [l]es peines ne peuvent consister en des traitements contraires aux sentiments d’humanité et elles doivent avoir pour but la rééducation du condamné »4.

On peut retrouver des idées largement communes à celles qui ont animé le Constituant italien dans l’élaboration du Grundgesetz allemand de 1949, dont l’article 102 affirme tout simplement – et sans réserve – que « [l]a peine de mort est abolie ».

Or, il est vrai que l’abolition de la peine de mort provenait d’une proposition qui était loin de condamner le passé. En effet, au sein du Parlamentarischen Rats, la question de l’abolition fut proposée par Hans-Christoph Seebohm, un député de droite (du Deutschen Partei)5, ce qui pourrait paraître paradoxal6, mais qui s’explique par l’objectif de s’opposer aux exécutions des criminels compromis avec la dictature national-socialiste7.

On a très vite remédié à ce « vice originaire », non seulement en raison du fait que l’abolition de la peine de mort, tout en étant un sujet débattu, a été votée par une majorité très forte8, mais aussi et surtout grâce à l’état d’esprit d’un grand nombre de députés qui l’ont votée.

À cet égard, l’intervention du député Friedrich Wilhelm Wagner pendant la Cinquantième séance du Comité de direction9 n’aurait pas pu être plus efficace :

« Je pense qu’il est nécessaire que la nouvelle Loi fondamentale apporte également une décision sur [la] question. Il me semble indispensable que, dans cette nouvelle Loi fondamentale, dans laquelle il est dit que la vie doit être protégée, la peine de mort elle-même soit aussi abolie. Nous avons derrière nous une période difficile de barbarie et de la plus profonde humiliation de l’humanité. Il me semble donc indispensable d’apporter ici la preuve que le peuple allemand veut vraiment

4 Sur l’abolition de la peine de mort dans l’ordre juridique italien, voy., N. Bobbio, « Il dibattito attuale sulla pena di morte », L’Età dei diritti, Einaudi, 1977, pp. 201 et s. ; I. Mereu, La morte come pena. Saggio sulla violenza legale, Donzelli, 1982, réed. 2000, pp. 127 et s. ; P. Costa (dir.), Il diritto di uccidere : l’enigma della pena di morte, Feltrinelli, 2010 ; D. Galliani, La più politica delle pene. La pena di morte, Cittadella, 2012, pp. 37 et s.

5 Il est quand même à noter que l’abolition de la peine de mort figurait dans le programme du Parti social-démocrate dès 1906 : voy., Y. Hötzel, Debatten um die Todesstrafe in der Bundesrepublik Deutschland von 1949 bis 1990, de Gruyter, 2010, pp. 14 et s.

6 A. Hammel, « Civilized Rebels: Death-Penalty Abolition in Europe as Cause, Mark of Distinction, and Political Strategy » in J. Martschukat, A. Sarat (dir.), Is the Death Penalty Dying?: European and American Perspectives, Cambridge University Press, 2011, p. 188, parle d’une « surprise ».

7 Voy., R.J. Evans, Rituals of Retribution: Capital Punishment in Germany, 1600-1987, Oxford University Press, 1996, pp. 929 et s.

8 Sur les travaux préparatoires concernant l’article 103 (devenu le 102 dans la rédaction finale du Grundgesetz), voy., B. Düsing, Abschaffung der Todesstrafe in der Bundesrepublik Deutschland, Bollwerk-Verlag, 1952 ; Y.

Hötzel, op. cit., pp. 10 et s.

9 Sten. Prot. S., pp. 669 et s.

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renouveler sa vie et considérer un droit, le droit à la vie, d’une telle importance que l’État ne devrait pas avoir le droit de priver de la vie, puisqu’il ne l’a pas donnée. Il s’agit d’une question fondamentale […].

Tant que nous aurons la peine de mort dans le pays et tant que nous saurons tous que la loi de l’État méconnaît la vie et en prive les personnes, il est, je crois, hors de question d’affirmer que nous avons fait beaucoup de chemin dans notre culture ».

Cette même intervention a été citée par le Tribunal constitutionnel fédéral, dans son arrêt de 1964 par lequel la portée de l’abolition de la peine de mort a été ainsi définie10 :

« Il s’agit d’une décision de grande importance du point de vue de la politique nationale et de la politique du droit. Elle comprend une reconnaissance de la valeur fondamentale de la vie humaine et une conception de l’État qui s’oppose à celle d’un régime politique pour lequel la vie de l’individu ne valait que peu et qui, par conséquent, a conduit, par l’usurpation du pouvoir sur la vie et la mort des citoyens, à des abus effrénés. Cette décision doit être considérée eu égard à la situation historique particulière dans laquelle elle a été adoptée »11.

Le refus du national-socialisme et l’ouverture vers de nouveaux principes furent à l’origine des abolitions de la peine capitale, quoique limitées aux crimes de droit commun, dans d’autres pays fortement marqués par l’expérience dictatoriale, et notamment l’Autriche (1950) et la Finlande (1949).

Quelques années plus tard, à la fin d’une longue période de dictature, l’Espagne s’est ralliée aux pays abolitionnistes : la Constitution de 1978, qui a réaffirmé les valeurs démocratiques et celles du constitutionnalisme, a aboli la peine de mort pour les crimes de droit commun. L’article 15, en effet, associe l’interdiction de la peine capitale à la protection du droit à la vie en tant que droit fondamental : « Toute personne a droit à la vie et à l’intégrité physique et morale. Nul ne peut, en aucun cas, être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants. La peine de mort est abolie, sauf dispositions prévues en temps de guerre par les lois pénales militaires ».

Or les débats qui ont conduit à l’adoption de la nouvelle Constitution n’ont pas mis en exergue la condamnation de la pratique du régime précédent, de sorte que l’abolition partielle de la peine de mort a été surtout soutenue par référence à des considérations liées à son inutilité12. Cependant, le fait même d’avoir introduit la prohibition de la peine de mort dans

10 Bundesverfassungsgericht, Premier Sénat, 30 juin 1964 – 1 BvR 93/64 –, BVerfGE 18, 112.

11 Ibid., 117.

12 Voy. notamment, l’intervention du député socialiste Gregorio Peces-Barba Martínez, qui a proposé d’introduire dans la Constitution la prohibition de la peine de mort, qui ne figurait pas dans l’avant-projet : séance du 18 mai 1978 de la Commission des « Asuntos Constitucionales y Libertades Públicas » du Congrès des députés (Diario

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l’article consacrant le droit à la vie en tant que droit fondamental est la preuve du lien qui existe entre l’abolition et la conception nouvelle des rapports entre les pouvoirs publics et l’individu.

Selon cette conception, ce n’est plus à l’individu de servir les pouvoirs publics, mais c’est à ces derniers d’agir au profit de l’individu. Autrement dit, l’élimination de la peine de mort est un des éléments qui marquent la rupture entre la dictature franquiste et l’État démocratique13.

Le même esprit a guidé les pays de l’Europe orientale lorsque les régimes socialistes ont implosé. La transition – plus ou moins longue selon les pays – vers un régime de démocratie libérale a vu également partout l’abolition de la peine de mort. À quelques exceptions près, au cours des années quatre-vingt-dix tous les pays ont procédé à l’abolition d’un châtiment que l’on a qualifié de « barbare »14. Parfois une telle décision a été adoptée dès les premières grandes réformes, visant à exprimer ainsi le changement de régime par rapport au passé15.

L’abolition de la peine de mort en tant qu’élément (parmi d’autres) destiné à souligner la clôture définitive d’une expérience dictatoriale n’est pas, cependant, une prérogative européenne. En Amérique latine aussi de telles abolitions ont été décrétées, par exemple au Brésil et au Pérou, en 1979, ainsi qu’en Argentine, en 1984, pour les crimes de droit commun.

Des tournants autres que le passage de la dictature à la démocratie peuvent créer des conditions favorables à l’abolition de la peine de mort, notamment lorsque le changement, radical parfois, est inspiré par l’émergence de forces progressistes.

Les exemples sont évidemment moins nombreux que ceux auxquels on a fait allusion dans les paragraphes précédents. Un des plus significatifs est certainement celui du Venezuela, où l’abolition de la peine de mort remonte à 1863. La date n’est pas sans intérêt, mais pas seulement pour souligner la précocité du choix opéré (le Venezuela est, notamment, le premier État souverain à avoir aboli la peine capitale). En effet, en 1863, le Traité de Coche mit fin à la

de Sesiones, 1978, n° 59, p. 2477). Sur l’élaboration de l’article 15 de la Constitution espagnole, voy., J.-F. Higuera Guimerá, La prévision constitucional de la pena de muerte (comentario al artículo 15, segundo inciso, de la Constitución Española de 1978), Bosch, 1980 ; Y. Gómez Sánchez, « La pena de muerte », Revista de Derecho Político, 1992, pp. 178 et s. ; voy. aussi, pour un résumé, A.C. Andrés Domínguez, E. García de Viedma, « La pena de muerte en la legislación comparada y en el Derecho español », La Pena de Muerte y Su Abolición en España, Amnistía Internacional – Los Libros de la Catarata, 1995, pp. 15 et s.

13 G. Rodríguez Mourullo, « Artículo 15. Derecho a la vida », Comentarios a la Constitución Española de 1978.

Artículos 10 a 23 de la Constitución Española de 1978, Edersa, 1996, p. 292, parle de « [l]a constitucionalización de la abolitición de la pena de muerte » comme d’un « signo de civilización y progreso ».

14 L’expression est du Président de la Tchécoslovaquie, Vaclav Havel, qui prôna l’introduction de l’interdiction de la peine de mort juste après la Révolution de velours. Le Parlement tchécoslovaque adoptera une loi remplaçant la peine de mort avec la réclusion à perpétuité le 3 mai 1990.

15 Voy. S. Frankowski, « Post-Communist Europe » in P. Hodgkinson, A. Rutherford (dir.), Capital Punishment.

Global Issues and Prospects, Waterside Press, 1996, pp. 225 et s.

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Guerre fédérale, une guerre civile qui opposa, pendant cinq ans, les conservateurs et les partisans du fédéralisme et du libéralisme. La victoire alla à ceux-ci, qui imposèrent un nouveau cours aux institutions vénézuéliennes, inspiré de la doctrine libérale. L’abolition de la peine de mort, prévue par le Decreto de Garantías du 16 août 1863 puis consacrée par l’article 14 de la nouvelle Constitution (approuvée le 28 mars 1864)16, représenta l’une des innovations les plus remarquables découlant du changement imprimé à l’État.

I.A.2. L’abolition et l’indépendance

La fin du colonialisme a eu sans doute une influence majeure sur l’application de la peine de mort. Cette constatation est loin de permettre de conclure que l’accès à l’indépendance implique le refus de la peine capitale : au contraire, la plupart des anciennes colonies ont maintenu ce châtiment, du moins pour une certaine période. Bien que minoritaires, les pays qui ont fait un choix différent sont tout de même assez nombreux.

Il s’agit, toutefois, de préciser les effets concrets de l’accès à l’indépendance sur l’application de la peine de mort. À ce propos, on peut déceler deux grandes catégories de systèmes en se fondant sur un critère d’ordre chronologique.

(a) Dans les pays qui se sont affranchis de la domination étrangère avant les années quatre-vingt du XXe siècle, l’indépendance n’a pas porté à l’abolition de la peine de mort, mais, tout au plus, dans un certain nombre de cas, à sa désuétude.

L’absence d’exécutions après la domination coloniale est, en effet, une situation que l’on retrouve aux latitudes les plus diverses, de Malte (déclarée indépendante en 1964) au Venezuela (indépendant depuis 1830, une fois séparé de la Grande Colombie), à l’Océanie (Samoa, 1962 ; Nauru, 1968 ; Fidji, 1970) à un certain nombre d’États africains (Côte d’Ivoire et Madagascar, 1960 ; Cap-Vert, Sao Tomé-et-Principe et Angola, 1975 ; Seychelles, 1976 ; Djibouti, 1977) et, encore, à des États de l’Asie méridionale (Maldives, 1965 ; Brunei, 1984).

Allant au-delà de ce cadre chronologique, la désuétude de la peine de mort a pu être constatée en Érythrée (à partir de 1993)17 ainsi que dans quelques-uns des États issus de l’éclatement des

16 L’article 14, alinéa 1, de la Constitution des États-Unis de Venezuela de 1864 établit le principe selon lequel

« [l]a Nación garantiza a los venezolanos […] la inviolabilidad de la vida, quedando abolida la pena capital, cualquiera que sea la ley que la establezca » (« La Nation garantit aux Vénézuéliens […] l’inviolabilité de la vie, la peine capitale étant abolie, quelle que soit la loi qui l’a établie »).

17 Il est quand même à constater que la peine de mort en Érythrée reste un sujet de débat, car à défaut de communications officielles par les autorités étatiques, la désuétude ne peut pas être confirmée. On suivra, tout de même, la thèse plus favorable à l’abolition.

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fédérations soviétique (Arménie, Kirghizistan, Moldavie, dès 1991) et yougoslave (Bosnie- Herzégovine, dès 1992).

Il est à noter que la plupart des États mentionnés ci-dessus sont, actuellement, des États formellement abolitionnistes ou qui n’admettent en principe la peine de mort que pour des crimes particulièrement graves (Fidji). La désuétude a donc conduit, au fil des ans, à une ratification successive18, qui est intervenue tantôt assez vite (au Cap-Vert et en Bosnie- Herzégovine, l’attente n’a duré que six ans), tantôt après des décennies (par exemple, les Samoa n’y sont arrivées qu’après 42 ans et la Côte d’Ivoire après 40 ans).

Dans quelques cas la désuétude n’a pas (encore ?) conduit à une abolition : c’est ce qui s’est vérifié à Madagascar, en Érythrée, aux Maldives, à Nauru et au Brunei, pays qui sont donc à ranger, actuellement, parmi les abolitionnistes de fait.

(b) Les pays qui sont arrivés plus tard à l’indépendance, et notamment ceux dont la souveraineté a été reconnue à partir des années quatre-vingt du siècle dernier, ont connu une démarche différente, caractérisée par le fait que lorsque l’abolitionnisme était en mesure de s’imposer, l’abolition de la peine de mort, en fait et en droit, a été immédiate, comme en Namibie (indépendante de l’Afrique du Sud depuis 1990)19 et au Timor oriental (200220). La liste devient longue en Océanie, où tous les pays devenus indépendants après 1978 ont fait le choix d’une abolition totale et immédiate : les Îles Salomon et les Tuvalu en 1978, les Kiribati en 1979, le Vanuatu en 1980, les Îles Marshall et la Micronésie en 1986, les Palaos en 1994.

Enfin, des abolitions immédiates ont été enregistrées au moment de l’accession à l’indépendance d’anciens membres de la Yougoslavie (Croatie, Macédoine et Slovénie, en 1991)21.

Bien évidemment, les pays dont la souveraineté a été reconnue plus tardivement ont pu bénéficier de la montée du courant abolitionniste mondial et donc s’inspirer de modèles désormais bien ancrés dans la culture constitutionnelle, du moins dans certaines aires de la

18 Sur ce point, voy., infra, paragraphe 3.

19 Les trois autres pays africains de récente indépendance ont fait des choix différents : l’Érythrée figure, on l’a vu, dans la première catégorie, tandis que le Zimbabwe (indépendant depuis 1980) est un pays rétentionniste, ainsi que le Soudan du Sud (indépendant depuis 2011).

20 En réalité, au Timor oriental la peine de mort avait été abolie dès 1999 par l’administration provisoire des Nations Unies. Le Brunei, l’autre pays de l’Asie indépendant depuis moins de trente ans, a été rangé dans la première catégorie.

21 L’indépendance du Monténégro, en 2006, et du Kosovo, en 2008, n’a pas influencé le choix abolitionniste, qui avait été déjà fait par la Serbie-et-Monténégro en 2002.

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planète. Cela explique, semble-t-il, l’augmentation des abolitions plus « audacieuses » liées à la fin du colonialisme.

Du point de vue chronologique, les deux grandes exceptions sont représentées par le Panama et la Norvège. Le Panama est devenu indépendant en 1903 et a aboli immédiatement la peine de mort : il s’agit du seul État du continent américain à avoir fait un tel choix, puisque même les pays qui se sont plus récemment affranchis de la domination étrangère (Antigua-et- Barbuda et Belize, en 1981 ; Saint-Christophe-et-Niévès, en 1983) ont opté pour le maintien de la peine de mort, du moins provisoirement22. On ne saurait négliger toutefois qu’en 1903, en Amérique latine, les exemples d’États abolitionnistes étaient loin de faire défaut. De ce fait, l’exception panaméenne peut trouver une explication et justifier le rapprochement avec les pays de plus récente indépendance.

Le cas de la Norvège est plus difficile à situer, puisque l’indépendance de la Suède, en 1905, conduisit à l’abolition immédiate de la peine de mort en temps de paix. La législation norvégienne pouvait effectivement compter sur d’autres exemples, même en Europe.

Cependant, force est de constater la particularité norvégienne, due vraisemblablement à la forte empreinte des idées libérales qui a, dès le début, caractérisé le droit pénal norvégien23.

I.B. L’« abolition-réforme »

L’abolition de la peine de mort, on l’a vu, est souvent le produit d’une « révolution » au sein de l’ordre juridique. Toutefois, il n’en est pas toujours ainsi : en effet, on est souvent arrivé à l’abolition dans la continuité, c’est-à-dire à la fin d’un processus de maturation, parfois même assez long, au cours duquel l’idée abolitionniste a gagné progressivement du terrain, jusqu’à primer sur la tradition rétentionniste.

Une telle évolution, aboutissant à des « abolitions-réformes », s’est produite dans un certain nombre d’États, dans tous les continents. On mentionnera quelques exemples, qui sont à ranger, pour des raisons diverses, parmi les plus intéressants, en distinguant entre les cas où l’abolition s’est produite de manière progressive et ceux qui ont été caractérisés par des bouleversements liés à des choix nets entre rétentionnisme et abolitionnisme, d’où la nature

« instantanée » de l’abolition.

22 Belize et Antigua-et-Barbuda figurent actuellement parmi les pays abolitionnistes de fait.

23 Sur les rapports entre le droit pénal et le droit constitutionnel en Norvège, voy., E. Smith, « Constitutions et droit pénal » – « Norvège », Annuaire international de justice constitutionnelle, 2010, pp. 301 et s.

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I.B.1. L’abolition « progressive »

Au Royaume-Uni, les réformes ayant conduit à l’abolition de la peine capitale remontent au début du XIXe siècle, lorsque les crimes faisant partie de ce que l’on dénommait le « Bloody Code », c’est-à-dire les crimes passibles de la peine de mort, étaient au nombre de deux cent vingt-deux. Un nombre tellement élevé que l’un des opposants historiques à la peine de mort, Sir Samuel Romilly, pouvait s’adresser ainsi à ses collègues de la Chambre des communes :

« there [is] no country on the face of the earth in which there [have] been so many different offences according to law to be punished with death as in England »24.

Des réformes importantes se succédèrent, visant, d’une part, à conférer aux juges le pouvoir de décider, sur la base du cas d’espèce, si la peine de mort pouvait ne pas être infligée25 et, de l’autre, à limiter le nombre de crimes susceptibles de conduire à l’exécution du condamné.

Plusieurs lois furent approuvées dans ce but, la plus importante étant sans doute le Punishment of Death, etc. Act 1832 (c. 62), qui réduisit le nombre de capital offences à soixante environ.

Cinq ans après, grâce à l’Offences against the Person Act 1837 (c. 85) et à d’autres lois mineures, ces crimes n’étaient plus qu’au nombre de seize. À la suite de réductions ultérieures, avec le Criminal Law Consolidation Act 1861 (c. 100), les capital offences, hormis celles prévues par le droit militaire, n’étaient plus qu’au nombre de cinq : meurtre, espionnage, haute trahison, incendie dans un chantier naval, un navire, un magasin ou un entrepôt royal et piraterie avec violence.

Au cours du XIXe siècle, l’œuvre de réduction n’alla pas plus loin, bien que quelques occasions se fussent présentées. La plus importante fut sans doute celle offerte, en 1864, par la mise en place de la Royal Commission on Capital Punishment. La Commission n’arriva pas à recommander l’abolition de la peine de mort, mais ses recommandations n’eurent pas une portée négligeable, notamment celle qui prônait une graduation des meurtres pour faire en sorte que seuls les plus graves pussent donner lieu à une condamnation à mort, et celle qui visait à éliminer les exécutions en public26. Seule la seconde, toutefois, eut des résultats concrets, car le Capital Punishment Amendment Act 1868 (c. 24) mit fin aux exécutions publiques, ne

24 Parl. Deb. Commons, 15, Feb. 9, 1810, p. 366, cité par V. Bailey, « The Shadow of the Gallows: The Death Penalty and the British Labour Government, 1945-51 », Law and History Review, 2000, vol. 18, n. 2, pp. 305 et s.

25 Voy., Judgement of Death Act 1823 (c. 48).

26 Voy., Report of the Capital Punishment Commission, Eyre and Spottiswoode for Her Majesty’s Stationery Office, 1866.

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permettant tout au plus aux shérifs que d’admettre la présence de la presse et d’autres témoins, y compris les parents des victimes.

Les décennies successives furent caractérisées par des réformes sectorielles, parmi lesquelles figurèrent celle qui empêchait l’exécution des mineurs de moins de seize ans27 et celle qui distinguait de l’homicide l’infanticide commis par la mère de manière à éviter à celle- ci la peine de mort28. Mais l’abolitionnisme dut attendre la fin des années vingt pour connaître une nouvelle montée en puissance, associée, en large mesure, à la conquête du pouvoir par le Parti travailliste. Les partisans de l’abolition, qui avaient désormais un grand parti politique de leur côté, bénéficièrent, au mois d’octobre 1929, d’un débat public déclenché par une motion abolitionniste du député William Brown. Le débat aboutit à la mise en place d’un Select Committee on Capital Punishment, dans le rapport final duquel la majorité travailliste proposa la suspension des exécutions à titre expérimental pour cinq ans. L’opposition farouche du Parti conservateur et la réticence du Gouvernement firent en sorte qu’une telle proposition ne fut pas mise à l’ordre du jour de la Chambre des communes avant la chute du cabinet, en août 1931.

L’abolition temporaire fut proposée à nouveau au mois de novembre 1938, cette fois par un député conservateur, Vyvyan Adams. La motion fut approuvée, mais avec une majorité qui était loin d’être écrasante, dans une Chambre des communes où le nombre de parlementaires absents était assez élevé pour permettre au Premier ministre conservateur, Neville Chamberlain, de contester la représentativité du vote. Quelques mois plus tard, lors de l’examen du Criminal Justice Bill, on chercha par un amendement à introduire ce moratoire. L’éclatement de la Seconde Guerre mondiale imposa de mettre de côté la proposition de loi et, par conséquent, le même sort fut réservé à la question de la suspension des exécutions.

Mais cette mise de côté n’était que provisoire. À la fin du conflit, avec une majorité travailliste à la Chambre des communes, le Criminal Justice Bill fut présenté à nouveau, mais privé de la clause sur l’abolition temporaire de la peine de mort. Un nouvel amendement fut alors présenté visant à suspendre les exécutions pendant cinq ans. Le Gouvernement laissa les députés de la majorité libres de faire leur choix, tout en se déclarant opposé à l’amendement, pour des raisons d’opportunité. À la surprise générale, au mois d’avril 1948, l’amendement dit Silverman, du nom du proposant, fut adopté (245 voix contre 222). Mais en juin, le vote de la

27 Children Act 1908 (c. 67). L’âge sera élevé à dix-huit ans par le Children and Young Persons Act 1933 (c. 12).

28 Infanticide Act 1922 (c. 18).

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Chambre des Lords fut moins surprenant : le projet de loi fut approuvé, mais fut « épuré » de l’« amendement Silverman ».

La crainte d’un conflit entre les deux Chambres, sur un sujet délicat et politiquement sensible, et le risque d’un décalage excessif entre la chambre élue et l’opinion publique suggérèrent aux responsables du Parti travailliste de ne pas insister sur l’amendement abolitionniste.

Une fois le conflit politique quelque peu apaisé, au mois de novembre, le Home Secretary, James Chuter Ede, annonça l’institution d’une Royal Commission on Capital Punishment, qui fut mise en place de manière officielle en janvier 1949. C’était, à l’évidence, une bonne occasion pour étudier le sujet, mais aussi un excellent moyen pour gagner du temps.

Le rapport de la Commission n’arriva, en effet, qu’en 1953. Un rapport très long et détaillé, sur un grand nombre de questions. Son impact fut cependant plutôt limité, en raison, entre autres, de l’alternance qui avait porté à nouveau, en 1951, le Parti conservateur au pouvoir.

Sur l’abolition de la peine capitale, d’ailleurs, la Commission n’avait pas pris de position définitive, optant pour le rétentionnisme « à moins qu’il n’y ait une écrasante majorité dans l’opinion publique en faveur de l’abolition ».

Apparemment sans trop d’importance, le rapport eut, en réalité, l’effet de donner aux partisans de l’abolitionnisme de nouveaux arguments. Ce fut à nouveau le député Sydney Silverman, qui introduisit, en 1955, un Death Penalty (Abolition) Bill, visant à abolir la peine ou, du moins, à suspendre les exécutions. La proposition de loi fut approuvée par la Chambre des communes, mais l’opposition de la Chambre haute rendit impossible son approbation définitive. En contrepartie partielle, les Lords acceptèrent toutefois l’adoption du Homicide Act 1957 (c. 11) qui, en premier lieu, limita la notion de « meurtre », en l’excluant lorsque l’auteur « was suffering from such abnormality of mind […] as substantially impaired his mental responsibility for his acts and omissions in doing or being a party to the killing » (section 2(1)).

La même loi, en outre, distingua entre les meurtres susceptibles de donner lieu à la peine capitale et les meurtres pour lesquels la peine de mort était exclue.

La section 5(1) de la loi conserva la peine de mort pour « (a) any murder done in the course or furtherance of theft ; (b) any murder by shooting or by causing an explosion ; (c) any murder done in the course or for the purpose of resisting or avoiding or preventing a lawful

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arrest, or of effecting or assisting an escape or rescue from legal custody ; (d) any murder of a police officer acting in the execution of his duty or of a person assisting a police officer so acting ; (e) in the case of a person who was a prisoner at the time when he did or was a party to the murder, any murder of a prison officer acting in the execution of his duty or of a person assisting a prison officer so acting ». La section 6(1) ajouta les récidivistes aux individus susceptibles d’être condamnés à mort.

Pour tous les autres cas, le meurtre n’aurait plus conduit à la peine de mort (section 7 du Homicide Act).

La restriction de l’application de la peine capitale eut l’effet de réduire considérablement le nombre d’exécutions : l’adoption par la Chambre des communes du Death Penalty (Abolition) Bill de 1955 avait induit le Home Secretary à suspendre les exécutions, qui n’eurent pas lieu au cours de l’année 1956 ; l’adoption définitive du Homicide Act conduisit à une reprise des exécutions. Mais à partir de 1957, le nombre des exécutions par an ne dépassa plus les sept (le chiffre atteint en 1961), tandis qu’avant 1955 – si l’on fait abstraction des huit exécutions de 1948 – chaque année les exécutions avaient été d’au moins douze (en 1947 et en 1955), sans compter qu’au cours de certaines années, le chiffre avait grimpé de manière considérable, notamment en 1952, lorsque les exécutions furent au nombre de vingt-trois.

Les deux dernières exécutions eurent lieu en 1964. La victoire du Parti travailliste lors des élections nationales de cette année donna aux abolitionnistes un nouvel élan. Ce fut, encore une fois, le député Silverman qui présenta un private member’s bill, qui, finalement, fut adopté par les deux Chambres du Parlement.

Par le Murder (Abolition of Death Penalty) Act 1965 (c. 71), la peine prévue pour les meurtres que l’Homicide Act 1957 sanctionnait par la peine de mort, devenait la réclusion à perpétuité dans tout le Royaume-Uni sauf en Irlande du Nord. La loi visait à une suspension provisoire des condamnations pendant cinq ans et subordonnait l’abolition définitive à une affirmative resolution des deux Chambres avant le 19 juillet 1970. La Chambre des communes vota une telle resolution le 16 décembre 1969 ; le même vote de la Chambre des Lords arriva deux jours plus tard. La peine de mort était ainsi abolie pour le crime de meurtre.

À ce moment-là, en Grande-Bretagne, la peine de mort ne restait en vigueur que pour l’espionnage, la haute trahison, l’incendie dans un chantier naval, un navire, un magasin ou un entrepôt royal et la piraterie avec violence. Le droit militaire prévoyait, en outre, la peine capitale pour six crimes, notamment la faute grave au cours des actions militaires, l’aide à

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l’ennemi, l’obstruction aux opérations militaires, le fait d’avoir envoyé de faux signaux aériens, la mutinerie ou l’incitation à la mutinerie, le fait de ne pas avoir réprimé la mutinerie afin d’aider l’ennemi.

Au fil des ans, la peine de mort fut supprimée pour tous ces crimes, sans qu’il y eût, entre-temps, aucune exécution : le Criminal Damage Act 1971 (c. 48) élimina la peine capitale pour l’incendie dans un chantier naval, un navire, un magasin ou un entrepôt royal ; le Armed Forces Act 1981 (c. 55) l’élimina pour l’espionnage ; la peine de mort pour haute trahison et piraterie fut abolie, au mois de juillet 1998, par le Crime and Disorder Act 1998 (c. 37).

La section 21(5) du Human Rights Act 1998 (c. 42), du 9 novembre 1998, élimina complètement la peine de mort, en la supprimant pour les crimes prévus par le droit militaire.

Lors de la ratification, le 20 mai 1999, du Protocole n° 6 à la Convention européenne des droits de l’homme, le Royaume-Uni avait donc déjà fait le choix de l’abolitionnisme total. La ratification du Protocole n° 13 à la Convention européenne, le 10 octobre 2003, a consacré ce choix au niveau international, choix qui, sur la base de ce que l’on a pu constater, a été le produit d’une longue évolution, marquée par des progrès parfois minimes, de sorte que le Royaume- Uni est peut-être l’exemple le plus sûr d’une abolition découlant d’une (série de) réforme(s)29. L’évolution britannique a eu, bien évidemment, des effets majeurs sur les territoires liés à la Couronne, notamment l’Irlande Nord : dans celle-ci, une fois comblé le retard concernant la peine pour le crime de meurtre, grâce au Northern Ireland (Emergency Provisions) Act 1973 (c. 53), il a été procédé d’une manière parallèle à celle des autres composantes du Royaume- Uni. Dans les dépendances de la Couronne britannique, la peine de mort a été abolie plus tard, au moment où l’on a donné effet au Protocole n° 1330 ; dans l’Île de Man, toutefois, la peine a été abolie bien avant, par le Capital Punishment (Abolition) Act 1993, quelque cent vingt et un ans après la dernière exécution31. Dans les territoires d’outre-mer, la peine de mort pour les crimes de meurtre a été abolie en 1991, par un order in council venant de Londres.

Mais l’approche britannique à l’égard de l’abolition a vraisemblablement inspiré la politique abolitionniste d’autres pays historiquement très proches du Royaume-Uni.

29 Au sujet du long chemin de l’abolitionnisme britannique, voy., B.P. Block, J. Hostettler, Hanging in the balance:

a history of the abolition of capital punishment in Britain, Waterside Press, 1997.

30 Par exemple, en ce qui concerne l’Île Jersey, la peine de mort a été éliminée définitivement par le Human Rights (Amendment) (Jersey) Order 2006.

31 Voy,. P.W. Edge, The Law and Practice of Capital Punishment in the Isle of Man, 1996, disponible en ligne : http://firedrake.org/drpete/manx2.htm.

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Un exemple révélateur est sans doute tiré de l’expérience canadienne. Au Canada, en effet, certains aspects du parcours vers l’abolition sont assez similaires à ceux qui ont marqué le Royaume-Uni. D’abord, le choix d’une réduction progressive des crimes susceptibles de conduire à la peine de mort, une fois constatée l’impossibilité de procéder à une abolition immédiate qui avait pourtant été proposée dès 1914. L’évolution dans ce sens a conduit à l’exclusion de la peine pour viol, en 1954, et, sept ans plus tard, à une réforme du Code criminel visant à distinguer entre les meurtres sanctionnés par la mort, notamment l’homicide prémédité et l’homicide d’un agent de police ou d’un gardien de prison en service, et les meurtres pour lesquels d’autres peines étaient prévues.

Cette réforme eut pour effet une raréfaction considérable des exécutions, si bien que la dernière exécution de l’histoire canadienne eut lieu en décembre 1962. La désuétude que l’on entrevoyait amena à une première motion abolitionniste en 1966, qui fut néanmoins rejetée par la Chambre des communes.

À l’instar de ce qui avait été tenté à plusieurs reprises et qui venait de se produire au Royaume-Uni, la voie vers l’abolition définitive fut ouverte par un moratoire. En 1967, le projet de loi C-168, présenté par le Gouvernement libéral de Lester B. Pearson, fut approuvé : un moratoire de cinq ans fut ainsi établi, jusqu’au 29 décembre 1972, avec pour seules exceptions les homicides des agents de police ou des gardiens de prison. À la fin du quinquennat, quoiqu’avec quelques mois de retard, le moratoire fut réitéré (le 29 mai 1973). Cette fois, avant que les cinq ans de suspension des exécutions ne s’écoulent, le Gouvernement libéral de Pierre Trudeau présenta le projet de loi C-84, visant à l’abolition de la peine de mort à l’exception des cas prévus par le droit militaire. Le 14 juillet 1976 le projet fut adopté par une majorité à la Chambre des communes de 130 voix contre 124, le Gouvernement ayant laissé liberté de vote à ses députés. Onze ans après, un nouveau vote à la Chambre des communes confirma le choix abolitionniste, en rejetant, par un vote libre (148 voix contre 127) une motion visant au rétablissement de la peine capitale.

Comme au Royaume-Uni, une fois éliminée la peine de mort pour les crimes de droit commun, un certain temps s’est avéré nécessaire pour éradiquer de l’ordre juridique les derniers vestiges de ce châtiment. Au Canada, cette élimination s’est produite le 10 décembre 1998, à l’occasion de l’adoption d’une réforme de la Loi sur la défense nationale par laquelle ont été

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supprimés tous les cas de peine capitale qui demeuraient dans le droit militaire (notamment pour les crimes de trahison et de mutinerie)32.

L’expérience canadienne est donc un autre exemple très parlant d’une abolition progressive qui a été soutenue par un grand parti, le Parti libéral en particulier, sans que ce soutien implique pour autant que l’accession au pouvoir du parti conduisît à une abolition immédiate.

I.B.2. L’abolition « instantanée »

Parmi les abolitions dérivant d’un bouleversement des choix entre rétentionnisme et abolitionnisme, on peut indiquer, tout d’abord, la Suisse, où la peine de mort pour les crimes de droit commun fut abolie, pour la seconde fois, et définitivement, en 1942. Dans ce pays, le sort de la peine capitale a été fortement marqué par des référendums : le 18 mai 1879, le peuple se prononça par 52,5 % des suffrages en faveur de la proposition de réintroduire dans la Constitution la peine de mort pour les crimes de droit commun qui avait été abolie en 1874. Le sujet resta, toutefois, très débattu, et les réserves contre l’application de la peine de mort restèrent très fortes, ce qui est prouvé par le nombre restreint (neuf, au total) des exécutions entre 1879 et 1940. Au fil des ans, la cause abolitionniste devint de plus en plus forte. Ceci est attesté par le fait que, par le référendum du 3 juillet 1938, par une majorité de 53,5 % des suffrages, le Code pénal fut amendé dans le but d’éliminer la peine capitale pour les crimes de droit commun. La majorité était claire, mais loin d’être plébiscitaire, surtout en raison du fait que les rétentionnistes étaient en majorité dans un bon nombre de Cantons, voire dans la plupart de ceux-ci. C’est en effet dans un petit canton, Obwald, où la cause rétentionniste avait obtenu près des quatre cinquièmes des suffrages, qu’eut lieu la dernière exécution pour des crimes commis en temps de paix. C’était le 18 octobre 194033, deux ans après le référendum, mais plus d’un an avant que la réforme du Code pénal qui avait été votée n’entrât en vigueur (1er janvier 1942)34.

32 Au sujet du processus qui a conduit à l’abolition de la peine de mort au Canada, voy., C. Strange, « The Lottery of Death: Capital Punishment, 1867-1976 », Manitoba Law Journal, 1996, vol. 23, pp. 594 et s. ; C. Strange, « The Undercurrents of Penal Culture: Punishment of the Body in Mid-Twentieth-Century Canada », Law and History Review, 2001, vol. 19, pp. 343 et s. ; A.S. Thompson, « Uneasy Abolitionists : Canada, the Death Penalty, and the Importance of International Norms, 1962-2005 », Journal of Canadian Studies, 2008, vol. 42, pp. 172 et s. ; J. Carter, « Capital Punishment: A Struggle to Satisfy Evolving Standards of Decency – Reviewing the Debate in the United States and Canada », Southwestern Journal of International Law, 2011, vol. 17, pp. 249 et s.

33 L’année précédente une autre exécution avait eu lieu, dans le Canton de Zoug, où l’option en faveur du maintien de la peine de mort avait obtenu, lors du référendum, presque 55 % des voix.

34 Voy., F. Vassaux, « Peine de mort. L’histoire du dernier tueur tué », L’illustré, disponible en ligne : http://

www.illustre.ch/peine-mort-hans-vollenweider-comdamne-guillotine_56930_.html.

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L’abolition de la peine de mort en Suisse a donc été le résultat d’une majorité populaire étroite qui a basculé au cours des décennies, grâce à plusieurs facteurs, parmi lesquels figure certainement la raréfaction des exécutions, qui a progressivement privé les rétentionnistes de l’argument selon lequel la peine capitale est un instrument indispensable pour lutter contre la criminalité.

Le deuxième exemple, celui de la France, est sans doute plus significatif, puisqu’il montre un véritable bouleversement politique qui conduit à l’abolition de la peine de mort. Un bouleversement aussi fort que l’on serait tenté même de ranger l’abolition française parmi les

« abolitions-révolution » ; à proprement parler, toutefois, aucune révolution a eu lieu : en 1981, lorsque le choix abolitionniste fut opéré, aucun changement constitutionnel ne s’est produit, les institutions et les principes fondateurs du système étant restés les mêmes, du moins en théorie.

L’abolition française doit donc être rangée parmi les « abolitions-réformes », même si l’on doit remarquer le caractère de rupture qu’a eu cette réforme du point de vue politique.

La France a été le dernier pays de l’Europe occidentale à exécuter des condamnés35 et le dernier à entreprendre le parcours abolitionniste. Cela peut surprendre, car la peine de mort avait été mentionnée déjà dans les cahiers de doléance de l’époque révolutionnaire et, depuis 1791, de nombreuses propositions de loi avaient été déposées visant à limiter voire à abolir l’application de la peine capitale. En 1908, le Gouvernement avait même présenté un projet de loi prévoyant l’abolition de la peine de mort et son remplacement par une peine d’internement perpétuel : à la suite d’un débat très vif, le projet avait pourtant été rejeté, par 330 voix contre et 201 pour.

Après cela, aucun gouvernement ne s’était plus engagé sur le sujet, laissant aux parlementaires le soin de trancher la question ; cependant, les propositions de loi, qui n’avaient pas manqué au cours de la Troisième, de la Quatrième et de la Cinquième République, n’avaient jamais rencontré le soutien nécessaire au sein du Parlement36.

Le « retard français » s’est tout de même accumulé principalement au cours de la Cinquième République, ce qui peut s’expliquer par le fait que l’opposition entre abolitionnistes

35 La dernière exécution remonte au 10 septembre 1977.

36 Les grands débats parlementaires sur l’abolition de la peine de mort ont été reproduits dans le dossier de La Documentation française, L’abolition de la peine de mort en France, mis à jour le 3 mai 2002, disponible en ligne : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/d000141-l-abolition-de-la-peine-de-mort-en-france. Voy. aussi Sénat, Les grandes pages de l’histoire de l’abolition de la peine de mort en France, disponible en ligne : http://www.senat.fr/evenement/archives/D22/abolition1.html, ainsi que R. Micheli, L’émotion argumentée : l’abolition de la peine de mort dans le débat parlementaire français, Éditions du Cerf, 2010.

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et rétentionnistes correspondait, en large mesure, à celle entre la gauche, d’un côté, et le centre et la droite, de l’autre, la première faisant de l’abolition un sujet marquant de son programme et les seconds étant très majoritairement favorables au maintien de la peine.

La longue hégémonie des partis de droite pendant la Cinquième République a donc été un obstacle, pour ne pas dire un verrou, à l’élimination de la peine capitale. Et la preuve vient du fait que l’un des premiers fruits de l’alternance au pouvoir a été justement l’abolition de la peine de mort.

L’engagement pris pendant la campagne électorale par le candidat à la présidence de la République François Mitterrand a été respecté : quelques semaines après les élections législatives, le 26 août 1981, le Conseil des ministres a arrêté le projet de loi visant à abolir la peine de mort. Soutenu lors des débats par un garde des Sceaux très inspiré, M. Robert Badinter, le projet a été adopté en première lecture, le 18 septembre 1981, par l’Assemblée nationale, par 363 voix contre 11737 ; le 30 septembre, le Sénat a adopté, à son tour, le projet, par 160 voix favorables contre 126. Par ces votes, la peine de mort a été abolie, en France, pour tous les crimes, et il lui a été substitué « la réclusion criminelle à perpétuité ou la détention criminelle à perpétuité suivant la nature du crime concerné » (article 3 de la loi n° 81-908 du 9 octobre 1981 portant abolition de la peine de mort)38.

À l’évidence, la victoire abolitionniste a été rendue possible par le bouleversement résultant de l’accès au pouvoir de la gauche. Cette thèse ne saurait être contredite par la constatation qu’un certain nombre de députés (37) – parmi lesquels figurait le futur président de la République, Jacques Chirac – et surtout de sénateurs de centre et de droite a voté en faveur de l’abolition. Le ralliement sur ce sujet d’une partie de la minorité à la majorité paraît davantage être la preuve que le temps était venu de permettre à la France de rejoindre le reste de l’Europe occidentale, ce qui est confirmé par le rejet de toute proposition visant à rétablir la peine de mort déposée aux bureaux des Chambres au cours des années quatre-vingt39.

37 La vidéo du débat est disponible en ligne (sur le site internet de l’Assemblée nationale, au sein du dossier sur la Loi du 9 octobre 1981 portant abolition de la peine de mort, mis à jour en février 2010) : http://www.assemblee- nationale.fr/histoire/peinedemort/.

38 Sur l’abolition de la peine de mort en France, voy., J.-M. Carbasse, La peine de mort, PUF, 2002 ; S. Costa (dir.), La peine de mort : de Voltaire à Badinter, Flammarion, 2007 ; R. Badinter, L’abolition de la peine de mort, Dalloz, 2007 ; R. Badinter, L’abolition, Librairie générale française, 2011 ; R. Badinter, Contre la peine de mort : écrits 1970-2006, Librairie générale française, 2011.

39 La liste complète des propositions visant au rétablissement est disponible en ligne (sur le site internet de l’Assemblée nationale, dans le dossier sur la Loi du 9 octobre 1981 portant abolition de la peine de mort, précité) : http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/peinedemort/retablissement.asp.

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II. L’ABOLITION « JUDICIAIRE »

L’abolition de la peine de mort est généralement le fruit d’une décision politique. Cela n’empêche pas que la jurisprudence ait pu parfois jouer un rôle majeur, voire décisif, dans le processus aboutissant à l’abolition. À cette fin, la jurisprudence a été appelée, dans plusieurs pays, à se prononcer sur la constitutionnalité de la peine capitale et, à l’évidence, les solutions ont été les plus diverses.

Dans certains pays, la question a porté sur la déclaration d’inconstitutionnalité, d’où l’achèvement par voie judiciaire de l’effacement de la peine de l’ordre juridique. Dans d’autres pays, les juridictions ne sont pas arrivées à ce stade, car elles n’ont pas censuré l’existence de la peine de mort ; elles ont tout au moins limité son application, de manière parfois même considérable.

II.A. Les abolitions achevées

L’abolition par voie judiciaire est le résultat de deux typologies d’interventions de la part des juridictions. La première se produit lorsqu’un ou plusieurs arrêts créent des conditions favorables à l’abolition, qui se réalise par un acte ou par une omission du législateur : l’abolition est donc provoquée par la jurisprudence. La seconde implique que les juridictions décrètent directement l’abolition : l’abolition délibérée par la jurisprudence présuppose que l’élimination de la peine capitale n’est pas un choix, mais plutôt une nécessité, qui découle de la constatation de son incompatibilité avec des dispositions et des principes supérieurs.

La différence principale entre les deux catégories d’abolitions jurisprudentielles est que la peine de mort n’est condamnée en tant que telle que dans la seconde, tandis que dans la première, la peine de mort n’est pas considérée comme incompatible en soi avec les principes fondateurs du système, l’incompatibilité découlant plutôt de la règlementation concrète que le législateur a adoptée.

II.A.1. Les abolitions provoquées par les juridictions

C’est aux États-Unis, et notamment dans certains États membres, que l’on trouve les décisions judiciaires qui ont conduit à l’abolition de la peine de mort sans pour autant déclarer, à deux exceptions près, l’impossibilité théorique d’infliger un tel châtiment. La jurisprudence de la Cour suprême fédérale, qui n’a jamais condamné la peine de mort en tant que telle40, a

40 Voy., infra, paragraphe II.B.1.

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