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L’origine d’un pouvoir

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HORS-SÉRIE POUR L’ÉCO | SEPTEMBRE 2020

Pour l’Éco : Avoir du pouvoir économique,

ça veut dire quoi ?

Marie Claire Villeval :

Avoir du pouvoir, c’est être en capacité de prendre des décisions conformes à ses préférences et à ses croyances. En termes plus écono- miques, le pouvoir permet de maximiser sa fonction d’utilité (« Qu’est-ce qui m’est utile ? »). L’économie comportementale aide à comprendre pourquoi les individus échouent souvent à optimiser ce pouvoir en révélant les biais psychologiques ou comporte- mentaux qui réduisent notre faculté à prendre les décisions les plus conformes à nos désirs.

Impossible donc d’exercer son pouvoir économique sans connaître ses propres préférences ?

Oui et non, mieux on connait ses préférences le plus on est à même d'exercer son pouvoir. Mais ce n'est pas simple, car nos préférences ne sont pas stables. Par exemple, nous avons une plus grande aversion au risque quand il s’agit potentiellement de

gagner plutôt que de perdre. Entre un gain assuré de 500 euros et une loterie avec 50 % de chances de gagner le double (et 50 % de gagner zéro), les indi- vidus choisissent le gain moindre mais certain. En revanche, la plupart d’entre nous préfèrent prendre le risque de perdre 1 000 euros (ou rien) à 50 %-50 % plutôt que la certitude de perdre seulement 500 eu- ros. Ces préférences jouent dans nos choix d’épargne et d’investissement. Également, la même personne peut être patiente à long terme et impatiente à court

POURQUOI ELLE ?

Marie Claire Villeval est directrice de recherche au CNRS, rattachée au Groupe d’analyse et de théorie économique (GATE), à Ecully. Elle est spécialiste d’économie comportementale et expérimentale, appliquée en particulier à des questions d’éthique, d’économie publique et d’économie du travail. Elle est President Elect de l’Economic Science Association et coéditrice en chef de la revue Experimental economics.

Nos choix individuels façonnent le système économique. Mais qu’est-ce qui façonne nos choix ? Des facteurs psychologiques et des attitudes qui viennent s’ajouter à notre rationalité.

Spécialiste de l’économie comportementale, Marie Claire Villeval nous fait découvrir les biais mentaux qui orientent nos petites et grandes décisions économiques.

 PROPOS RECUEILLIS PAR JULIE DESROUSSEAUX

« Nos décisions individuelles

prennent en

compte les autres »

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terme. Beaucoup ont une forte préférence pour le présent : ils renoncent à un taux d’intérêt élevé au profit d’un gain inférieur mais immédiat, alors que leur choix est rationnel quand il porte sur un futur plus lointain.

Les individus ont également des préférences collectives pour la société. Quelle est l’importance du collectif dans les choix économiques individuels ?

C’est la question des préférences sociales : com- ment les gains et les croyances des autres entrent dans ma fonction d’utilité d’individu. Quatre élé- ments jouent. La distribution des gains d’abord : nous sommes prêts à sacrifier des ressources pour aider ou punir les autres à des fins d’équi- té. Charness et Rabin

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ont montré que l’individu préfère accroître le gain du plus faible pour ac-

croître le surplus total. La réciprocité ensuite : nos choix dépendent de la façon dont nous interpré- tons les intentions d’autrui. Nous pouvons sacri- fier de l’argent pour aider ceux que nous pensons avoir été bien intentionnés envers nous (ou punir les mals intentionnés). La culpabilité ensuite. Nous ressentons de la culpabilité à l’idée de décevoir les attentes des autres ou de mériter un blâme.

Cela repose sur des croyances. Dans le fameux jeu du dictateur, les participants reçoivent 10 eu- ros qu’ils partagent comme ils le souhaitent avec l’autre. Sur 100 participants, 60 donnent à l’autre, dont 15 en créant deux parts égales. Ils mettent en balance leur gain monétaire et le coût psycholo- gique si leur choix égoïste déçoit leur partenaire de jeux. La compétition, enfin. Certaines personnes veulent être devant les autres et entre 10% et 15%

« Avant l'âge de 7 ans les enfants sont auto-cen- trés et prônes à la prise de risque, à partir de 7 ans leurs préférences deviennent plus égalitaristes et à partir de 10 ans ils recherchent de plus en plus l'efficience globale. » Marie Claire Villeval

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« Dans de nombreux cas,

« Dans de nombreux cas,

nous décidons de ne pas utiliser nous décidons de ne pas utiliser le pouvoir que nous savons avoir.

le pouvoir que nous savons avoir.

Par crainte des représailles » Par crainte des représailles »

sont prêtes à réduire leurs gains pour réduire en- core plus le gain de l’autre.

Les individus ont-ils conscience de leur pouvoir économique réel ?

Certains individus perçoivent bien le pouvoir qu’ils ont. Sur le terrain et en laboratoire, on observe que des personnes exploitent le pouvoir information- nel qu’ils possèdent. Par exemple, le client non in- formé ne peut que se fier à la recommandation du prestataire (plombier, réparateur...), du coup son pouvoir de prendre une décision éclairée est limi- té pour choisir de faire réparer ou non. À l’oppo- sé, les gens peuvent se sentir trop marginaux pour impacter un résultat collectif et donc ne pas s'in- vestir (élections, défi climatique). Avec des consé- quences terribles si tous suivent ce raisonnement.

Entre les deux extrêmes, il y a un ensemble de si- tuations où les individus doivent décider d’exercer ou non leur pouvoir. Par exemple, se porter volon- taire pour être leader. Ce choix relève du domaine des préférences. Tout le monde n’aime pas décider.

Ni exercer son pouvoir de contraindre les autres.

Face à quelqu’un qui viole une norme sociale, jeter son masque dans la rue par exemple, la plupart des gens ne vont pas oser faire une remarque au contrevenant bien qu’ils réprouvent sa conduite.

Dans de nombreuses situations, nous décidons de ne pas exercer un pouvoir que nous savons avoir.

Par crainte des représailles notamment.

Du consommateur ou des marques, qui a le pouvoir sur l’autre ?

Les vendeurs ont toujours su utiliser les biais psy- chologiques pour orienter nos décisions d’acheteurs.

Ils nous proposent des abonnements à prix très ré- duits pendant les douze premiers mois parce qu’ils savent qu’au bout d’un an, on ne résiliera ou ne re- négociera pas notre contrat, bien qu'il repasse à un tarif plein. C’est le biais de statu quo : nous avons

du mal à réviser nos choix initiaux. Les marques capitalisent aussi sur notre désir de conformité au groupe – qui se développe fortement à l’adolescence – et d’identification sociale : depuis que les seniors ont un énorme pouvoir d’achat, ils sont représen- tés dans de nombreuses pubs.

Pour faire des choix économiques,

l’information est primordiale. Suffit-il que toute l’information soit disponible

et intelligible pour que l’individu puisse faire les choix économiques qui correspondent à ses préférences ?

Même si elle est accessible, l’information n’est pas toujours saisie. On ne la « prend » que si elle ne nous dérange pas trop. Par exemple, le biais de confirma- tion d'hypothèse montre qu’on tend à préférer les informations qui confirment nos idées préalables (par exemple, on lit des journaux partisans mais on ne corrige pas le biais des informations reçues).

Et quand nos décisions génèrent des conséquences sur autrui (des « externalités »), on peut chercher à ne pas connaître ces conséquences (par exemple, s’informer sur les ravages de l’huile de palme qui compose notre pâte à tartiner préférée). En labora- toire, on a pu voir qu’un tiers des personnes choi- sissent de ne pas saisir l’opportunité qui leur est of- ferte de se renseigner sur les externalités négatives possibles de leur choix. Ce n’est pas du désintérêt, au contraire, cela gêne de savoir que nos choix peuvent engendrer un impact négatif, donc nous préférons – si le choix existe – ne pas nous renseigner. Même s’ils reçoivent l’information nécessaire pour faire un calcul rationnel, les individus peuvent réviser leurs croyances de manière incomplète ou biaisée.

Par exemple, notre cerveau s’ajuste – donc apprend – davantage après une bonne plutôt qu’une mau- vaise nouvelle. Notre mémoire est motivée : nous oublions davantage nos performances médiocres que nos bons résultats ou nos actes égoïstes plutôt que nos bonnes actions.

Les incitations financières

sont-elles la panacée pour encourager les choix vertueux ?

Les incitations, positives ou négatives, restent un ou- til essentiel pour changer les comportements indi- viduels. Les gens réagissent aux taxes, aux subven- tions (pour isoler sa maison ou réparer son vélo), aux amendes. Le gain supérieur et la compétition

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motivent l’effort. Mais attention, les incitations mo- nétaires sont difficiles à manier. Elles engendrent des effets de sélection : elles attirent certaines personnes mais en repoussent d’autres. Dans certains domaines, l’introduction d’une rémunération va même réduire l’effort. On le sait depuis longtemps pour les dons du sang : s’ils sont payés, ils cessent d’être un geste al- truiste, et des donneurs qui ne voudraient pas pas- ser pour des profiteurs s’en détournent. De même, lorsqu’une crèche, en Israël, a fait payer une petite somme aux parents retardataires pour encourager la ponctualité, les retards ont en fait augmenté ! Les parents qui se pressaient par égard envers le person- nel se sont senti autorisés à être en retard, un com- portement dorénavant compensé financièrement.

Même après le retrait de cette mesure, les retards ont perduré, le contrat moral ayant été brisé. Quand une action répond avant tout à une motivation in- trinsèque, l’introduction d’une transaction monétaire peut briser l’élan.

D’après le baromètre France Générosités, les Français ont donné 4,5 milliards d’euros en 2019. Que faut-il pour que l’individu rationnel donne ?

C’est une question passionnante, davantage étu-

diée aux États-Unis qu’en France.

L’altruisme d’abord, à la fois pur (mon utilité augmente avec le bien que mon don fait à autrui) et impur (en donnant, je montre que je suis quelqu'un de bien).

Le désir de conformité aussi : je donne parce que les autres le font, je reçois une approbation sociale ou j’évite un regard désapproba- teur si je refuse. Mais même dans la décision désintéressée de don- ner, les raisonnements classiques d’efficacité s’appliquent : un don est mieux accepté s’il est peu coû- teux ou plus efficient. Plus la dis- tance avec le bénéficiaire est ré- duite (parrainer un enfant ou une victime identifiée), plus le coût du don est réduit. Certaines personnes se sentent obligées de donner. Une expérience a montré que moins d’habitants donnent lorsque la collecte organisée dans leur immeuble a été annoncée la veille : ils sont davantage à ne pas ouvrir leur porte, soucieux de ne pas s’exposer à la pression morale de donner.

Donc, l’homo economicus existe bien

Il existe mais il n’est pas tout seul : il doit coexister et échanger avec homo reciprocans (coopératif) et homo moralis ! Il est intéressant de comprendre comment ces espèces coexistent et s’influencent mutuellement. Il y a des situations où ce sont les individus autocentrés, même minoritaires, qui influencent les pro-sociaux (ceux dont l’utilité va- lorise plus le gain de l’autre) et les conduisent à se comporter de manière aussi égoïste. Mais il y a des cas où ce sont les individus pro-sociaux qui influencent les égoïstes et les conduisent à se com- porter de manière plus sociale. Par exemple, dans des jeux de biens publics où il est possible de punir les membres de son groupe qui ne coopèrent pas, une minorité de coopérateurs peut amener une ma- jorité d’égoïstes à contribuer. Cela veut dire que les institutions (comme la punition dans cet exemple) jouent un rôle majeur dans l’organisation des rela- tions entre individus hétérogènes pour conduire la société vers le meilleur.

1. Understanding Social Préférences with Simple Tests, The Quarterly Journal of Economics, août 2002

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