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Tradition: Quoi en faire dans Nous enfants de la tradition de Gaston Paul Effa ?

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Academic year: 2021

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Tradition: Quoi en faire dans Nous enfants de la tradition de Gaston Paul Effa ?

La confrontation de l’Africain avec la tradition est un thème récurrent dans la littérature africaine. Dans Le pauvre Christ de Bomba, Mongo Béti la dénonce. Zacharie y fornique avec Catherine à l’insu de Clémentine, son épouse légitime, en couches, au nom d’une prétendue tradition africaine1. Dans Perpétue et l’habitude du malheur, Perpétue est bradée par sa mère au bénéfice d’un policier corrompu. „L’école du Blanc” assurerait l’indocilité des jeunes filles vis-à-vis de leurs propriétaires males2.

Plus de 30 ans après la publication des romans ci-dessus, Gaston Paul Effa revient sur le thème de la tradition avec Nous enfants de la tradition3. Gaston Paul Effa rouvre le débat sur la tradition en montrant jusqu’où celle-ci peut contrôler la psychologie de l’Africain immigré au point de faire de lui un aliéné en contexte postmoderne. La présente note critique décrypte et discute la contribution de Gaston Paul Effa dans le débat sur la tradition comme source des déboires de l’Africain immigré en Europe.

I/ L’intrigue

Osele est un jeune ingénieur qui vit en France. Il épouse Helene, une Française avec qui il a deux enfants. Né au Cameroun, Osele y a subi tour à tour l’initiation traditionnelle et conventuelle chez les pères catholiques. La cohabitation avec Helene n’est pas paisible. Osele vire mensuellement son revenu en Afrique via Western Union pour de menues obligations telles payer les scolarités, soigner les rhumatismes, les paludismes, les diarrhées, panser les plaies, habiller les morts (P. 23). Il y est tenu conformément à son initiation traditionnelle qui visait à faire de lui la nourriture du village (P. 50). Réduite à assumer seule les lourdes obligations familiales, Helene se trouve obligée d’expulser Osele de la maison. Il gagne le foyer Sonacotra à partir d’où il est embarqué dans une lente, mais fastidieuse remise en question de son statut de nourriture du village. Il finit par s’évader de la tradition et par tourner le dos au monde qui l’avait vu naitre et qui chargeait sa barque à un point tel que vivre devenait impossible (P. 114-15). En effet, Osele se rend compte, une fois les yeux ouverts, que la tradition lui avait dicté et qu’il avançait les yeux bandés… elle lui avait donc tout pris (P. 102-103).

II/ A la recherche de la vision du monde de Gaston Paul Effa

L’espace à partir duquel les événements sont relatés est la France. Le couple Osele/Helene y a le devoir mensuel de payer l’électricité, le loyer, faire les courses jusqu’à la fin du mois (P. 9). C’est également une France respectueuse des droits et devoirs du citoyen. Ici, circulent l’information et les biens. Osele en profite pour régulièrement communiquer avec ses parents au Cameroun et leur faire des mandats. Loyale à l’égard de ses droits bafoués, Helene précise: moi aussi, j’aimerai un jour avoir comme mes copines une belle villa, un jardin et même une piscine (P. 11). C’est dire combien est radicale la césure entre la France et le Cameroun natal d’Osele où la femme doit courber l’échine face à son époux. Mais cette France se ferme au Noir. A la Sonacotra, Osele remarque que les amitiés sont superficielles, les Africains n’ont pas le temps à perdre. Ils travaillent et pensent au Western Union, je suis ingénieur, eux, ouvriers de marchants à la sauvette, marabouts ou joueurs de djembe… (P. 20).

Les types de métiers qu’exercent les locataires de la Sonacotra exposent l’ingéniosité de la France à interdire aux immigrés l’accès aux professions plus valorisantes. La France ici exposée transpose la postmodernité dans laquelle ploie le monde actuel. Conclusion d’autant plus crédible que le sociologue Marshall Berman caractérise cette postmodernité par industrialization, urbanisation, nation state, bureaucratic structures, population growth, new system of communication, new forms of power and class structures, and a world capitalist market…4.

1 Mongo Béti, Le pauvre Christ de Bomba, Présence africaine, Paris, 1976, p. 217.

2 Mongo Béti, Perpétue et l’habitude du malheur, Buchet Chastel, Paris, 1974, pp. 44- 60.

3 Gaston Paul Effa, Nous enfants de la tradition, Anne Carrière, Paris, 2008.

4 Marshall Berman, All that is solid melt into Air, Verso, London, 1983 in Theories of Modernity and Postmodernity, Sage publications, London, 1990, P. 137.

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2 L’analepse comme mode de gestion du temps et de restitution des faits par le narrateur apparait comme élément fort itératif le long du récit. Par analepse, il faut entendre toute évocation après coup d’un événement antérieur au point de l’histoire où l’on se trouve5. Osele y traduit par exemple l’influence néfaste de l’initiation traditionnelle sur lui en France: ma vie était réglée et contrôlée à distance en tous les détails, et par là je m’oubliais, je me dépossédais de mon amour- propre pour m’approcher d’une identité nulle et neutre, celle de soutien de la famille. Ainé tout court (P. 55). Osele indique par ailleurs la perspective vers laquelle les africains devraient se tourner : J’avais laissé derrière moi, sur un rivage où je ne reviendrai plus, cet âne, cet homme qui ne pouvait pas grandir, cet adolescent misérable que chez les Fangs, puis chez les pères, j’avais été (P. 145).

Après qu’il ait tourné le dos au chantage de la tradition (P. 144), Osele mesure à quel point celle-ci n’avait visé rien d’autre que sa dépersonnalisation. Osele propose ainsi une posture radicale se soumettant ainsi à un des principes de l’œuvre d’art qui lui donne vie : to help readers to understand society comme l’aurait dit V. S. Naipaul dans une interview6. Partant de ce que Georg Lukacs appelle la typification7, il n’est pas excessif de considérer Osele comme représentatif de l’Africain en général.

De ce point de vue, Effa suggère à l’Africain de renoncer à sa tradition en ce qu’elle serrait pernicieuse pour son bonheur. Effa reste donc certain que la meilleure démarche pour s’épanouir en postmodernité consisterait à procéder comme son porte-voix: Accéderai-je enfin à cette tardive maturité qui est peut-être, pour un continent, l’un des mythes les plus irréalisables ? (P. 162)

III/ Tradition : une matière première à transformer en permanence

Suggérer aux Africains de tourner le dos à la tradition au nom de la postmodernité ouvre deux perspectives critiques complémentaires et toutes défavorables à l’épanouissement de celui-ci. Dans cette posture, l’Africain est d’abord condamné à reproduire le même schéma de la sujétion africaine dont Denis dans Le pauvre Christ de Bomba, Ariel dans Une Tempête, John Indien dans Moi, Tituba sorcière… ont respectivement été choisi par Mongo Béti, Aimé Césaire et Maryse Condé pour jouer le scénario. Car Gaston Paul Effa semble oublier que la postmodernité porte les germes de l’affinement du refus de reconnaitre le Noir comme sujet, lui préférant davantage le statut d’objet, mieux de marchandise. Le récent tristement célèbre discours du Président Nicolas Sarkozy à l’Université Cheikh Anta Diop au Sénégal le prouve encore à suffisance. D’autre part, l’Africain est convié à s’interdire tout rapprochement entre le besoin d’écrire son identité et sa tradition. Ainsi, soit il s’offre une forme de tradition statique voire réifiée, soit il choisit de refuser de se rendre compte de comment ses prédécesseurs ; mieux les nationalistes, ont opérationnalisé à leur manière cet héritage ancestral pour faire face au colonisateur hier et à ses thuriféraires aujourd’hui.

Il semble donc judicieux que l’Africain adapte plutôt sa tradition aux nouveaux espaces de conquête que se créé le groupe dominant pour l’enfermer dans la subalternité. Car ainsi la quête de l’identité africaine dont quelques précurseurs ont été Hatuey8, Toussaint Louverture ou Jean Jacques Dessalines ne se trouvera jamais stoppée. C’est de ce travail de domestication, d’actualisation de la tradition que l’Afrique imprimera au monde une image plus gaie d’elle-même. La tradition devrait servir comme matière première à transformer en permanence pour s’orienter aujourd’hui et demain.

Cette transformation en produit qui ait prise sur le réel garantit à l’Africain une légitimité crédible sur sa tradition. Fanon n’a pas tort de rappeler que chaque génération doit découvrir sa mission, la remplir ou la trahir9? En tout état de cause, Nous enfants de la tradition a le mérite de documenter,

5 Gérard Genette, Figures III, Seuil, Paris, 1972, P. 82.

6 Ann Skea, écrit notamment: V. S. Naipaul said in a recent interview that he believed that “the serious function of writing” (and he was talking about novels) is to help readers to understand society in http:

//www.eclectica.org/v6n1/skea-gordimer-html.

7 Par typification, Georg Lukacs entend le processus intellectuel par lequel un signe littéraire ou artistique permet de traduire une généralité et ainsi de diffuser une idéologie entière. Voir à ce propos Georg Lukacs, The Meaning of Contemporary Realism, London, Merlin Press, 1963, P. 122-123.

8 Chef Indien d’Hispaniola, il fut condamné à être brulé vif pour avoir refusé de se convertir à la foi catholique.

Voir à ce sujet Eric Williams, De Christoph Colomb à Fidel Castro : L’Histoire des Caraïbes 1492-1969, Présence Africaine, Paris, 1970, P.35-65.

9 Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Gallimard, Paris, 1961, P. 251.

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3 comme plus d’une publication de Calixte Beyala10 ou de Gaston Kelman11, le drame de l’intellectuel africain qui s’est laissé convaincre par le discours calculateur, ambigu et ambivalent du colonialisme.

Bibliographie :

Berman, Marshall. All that is solid melt into Air, London: Verso, 1983 in Theories of Modernity and Postmodernity, London: Sage publications, 1990.

Béti, Mongo. Le pauvre Christ de Bomba, Paris : Présence africaine, 1976.

Béti, Mongo. Perpétue et l’habitude du malheur, Paris : Buchet Chastel, 1974.

Beyala, Calixte. Les Honneurs perdus, Paris : Albin Michel, 1996.

Césaire, Aimé. Une Tempête, Paris : Seuil, 1969.

Fanon, Frantz. Les damnés de la terre, Paris : Gallimard, 1961.

Genette, Gérard. Figures III, Paris : Seuil, 1972.

Kelman, Gaston. Je suis noir et je n’aime pas le Manioc, Paris : Max Milo, 2003.

Paul Effa, Gaston. Nous enfants de la tradition, Paris : Anne Carrière, 2008.

Williams, Eric. De Christoph Colomb à Fidel Castro : L’Histoire des Caraïbes 1492-1969, Paris : Présence Africaine, 1970.

Informations sur l’auteur :

Nom et prénom : SANGOUING LOUKSON IVES

Profession : Enseignant d’Allemand comme Langue étrangère (Lycée de Koupa-Matapit / Foumban)

Doctorant en Littérature et Civilisations africaines Université de Yaoundé 1

Principales publications :

-Travaux de recherche : 1- Ecriture romanesque postapartheid chez J.M.

Coetzee et Nadine Gordimer, 2- Représentation et Migration dans The Pickup de Nadine Gordimer, www. campuce.org

-Article: „Von Yao lernt Deutsch 3 zu Ihr und wir plus 3: die afrikanische Perspektive in Frage“, DLK-infoblatt Nr14/2013.

10 Voir par exemple Calixte Beyala, Les Honneurs perdus, Albin Michel, Paris, 1996.

11 Voir Gaston Kelman, Je suis noir et je n’aime pas le Manioc, Max Milo, Paris, 2003.

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