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L'alimentation en tant que droit de l'enfant: une fausse évidence

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Academic year: 2022

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L'alimentation en tant que droit de l'enfant: une fausse évidence

MORARD, Samuel

Abstract

Cette étude vise à dessiner les contours d'un droit de l'enfant qui n'a que trop rarement été étudié : le droit à l'alimentation. Elle contribue ainsi à combler les profondes lacunes qui caractérisent la conceptualisation et la prise en compte de ce droit dans le champ des études interdisciplinaires en droits de l'enfant. La situation actuelle de la malnutrition des enfants à l'échelle mondiale y est décrite, avec un accent principalement mis sur la sous-nutrition. Les chiffres de la faim sont analysés, ainsi que les conséquences médicales, développementales et sociales d'une alimentation inadéquate. En outre, un vaste panel de dimensions causales liées à cette problématique complexe est abordé. La question du droit à l'alimentation est ensuite approfondie, en contextualisant ce droit dans le système général des droits de l'Homme, puis en analysant les spécificités concernant les enfants. Un important travail de conceptualisation est effectué sur base de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, qui n'aborde la question alimentaire qu'en filigrane. Devant le constat des [...]

MORARD, Samuel. L'alimentation en tant que droit de l'enfant: une fausse évidence. Master : Univ. Genève, 2019

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:150165

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Sous la direction du Professeur Daniel Stoecklin

L’ALIMENTATION EN TANT QUE DROIT DE L’ENFANT Une fausse évidence

Présenté au

Centre interfacultaire en droits de l’enfant (CIDE) de l’Université de Genève en vue de l’obtention de la

Maîtrise universitaire interdisciplinaire en droits de l’enfant

par

Samuel MORARD d’Ayent, Valais

Mémoire No

Jury :

Prof. Daniel Stoecklin Mme Emilie Merminod

SION Mars 2019

CIDE 2019/MIDE 17-19/02

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UNIVERS|TÉ DE GENÈVE

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Je déclore que je suis bien I'outeur-e de ce texte et otteste que toute offirmotion qu,il contient et qui n'est pos le fruit de mo réflexion personnelle est ottribuée ò so source et que tout possoge recopié d'une outre source est en outre plocé entre guillemets.

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Ce formuloire doit êJre dÛment rempli por tout étudiont ou toute étudionte rédigeont un trqvoil de mémoire. ll doit être dqté et signé monuellement sur lo version soutenue et lq version finole.

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Abstract

Cette étude vise à dessiner les contours d’un droit de l’enfant qui n’a que trop rarement été étudié : le droit à l’alimentation. Elle contribue ainsi à combler les profondes lacunes qui caractérisent la conceptualisation et la prise en compte de ce droit dans le champ des études interdisciplinaires en droits de l’enfant.

La situation actuelle de la malnutrition des enfants à l’échelle mondiale y est décrite, avec un accent principalement mis sur la sous-nutrition. Les chiffres de la faim sont analysés, ainsi que les conséquences médicales, développementales et sociales d’une alimentation inadéquate. En outre, un vaste panel de dimensions causales liées à cette problématique complexe est abordé.

La question du droit à l’alimentation est ensuite approfondie, en contextualisant ce droit dans le système général des droits de l’Homme, puis en analysant les spécificités concernant les enfants. Un important travail de conceptualisation est effectué sur base de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, qui n’aborde la question alimentaire qu’en filigrane.

Devant le constat des violations massives et persistantes du droit de l’enfant à l’alimentation, cette contribution démontre qu’une attention beaucoup plus significative devrait être accordée à sa mise en œuvre. In fine est proposé un modèle d’analyse sur trois axes, suggérant que les enfants ont à la fois des droits « à », « dans » et « par » l’alimentation.

Mots-clés : droits de l’enfant, droit à l’alimentation, faim, nutrition, malnutrition.

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.

Aux enfants morts de faim, Les enfants affamés.

Inscription fixée à la couronne d’un convoi mortuaire, Varsovie, 1940.

A Oumou, à Bintou, à Thierno et aux centaines de millions d’enfants dont le droit à l’alimentation a été bafoué

Esquisse au crayon – Morard ©

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R EMERCIEMENTS

Nos remerciements les plus sincères s’adressent à toutes les personnes ayant contribué à cette recherche par leur temps, leurs compétences et leur soutien, en particulier :

A notre directeur le Prof. Daniel STOECKLIN qui nous a accompagné et supervisé tout au long de la réalisation de ce mémoire,

Au Dr. h. c. Nigel CANTWELL, expert en droits humains de l’enfant,

A Mme Simone GIE, spécialiste en nutrition au Programme alimentaire mondial, Au Dr. Christophe GOLAY, expert du droit à l’alimentation,

Au Prof. George KENT,de la faculté des sciences politiques de l’Université d’Hawaï, Et au Prof. Jean ZIEGLER, a. Rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation.

Pour leurs relectures et corrections, pour nous avoir démontré que la langue française et le raisonnement logique ne sont pas des sciences inexactes, toute notre gratitude revient à Mme Joëlle MORARD et à Mme Elodie SEPPEY.

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T ABLE DES MATIÈRES

Table des abréviations ... 7

Problématique ... 8

Question de recherche ... 9

Méthodologie ... 9

Partie I : La faim ... 10

I.a) Perspective historique ... 10

I.b) Etat actuel de la faim ... 12

Chiffres concernant les enfants ... 15

I.c) Conséquences pour les enfants ... 18

Maladies et décès ... 20

Retard de croissance ... 23

Conséquences sociales ... 25

I.d) Dimensions causales ... 27

Négligences envers les enfants ... 29

Violence structurelle ... 31

Discriminations envers les femmes ... 32

Lait en poudre ... 33

Manques de capabilités ... 36

Pauvreté ... 39

Libéralisation des marchés ... 42

Industrie agroalimentaire ... 44

Biocarburants ... 45

Guerres et conflits ... 46

Causes climatiques ... 49

Partie II : Vers une définition du droit à l’alimentation des enfants ... 52

II.a) L’alimentation : un besoin devenu droit ... 52

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L’égalité des droits ... 54

Reconnaissance du droit à l’alimentation en droit international ... 56

Droits de l’Homme et sécurité alimentaire ... 60

II.b) Contenus normatifs du droit à l’alimentation ... 61

Obligations des Etats ... 63

Obligation de respecter ... 63

Obligation de protéger ... 63

Obligation de donner effet ... 64

Obligations internationales ... 65

II.c) Dans les droits de l’enfant ... 66

Dilemme de la différence ... 66

Pourquoi les enfants ? ... 68

Une question philosophique ... 70

Responsabilités envers les enfants ... 72

Les prémices : Déclaration de Genève de 1924 ... 74

Déclaration des droits de l’enfant de 1959 ... 75

Convention relative aux droits de l’enfant de 1989 ... 76

Droits nutritionnels ... 77

Droit à la santé ... 80

Donner effet au droit de l’enfant à l’alimentation ... 83

Responsabilités des parents ... 83

Responsabilité de l’Etat ... 84

Intérêt supérieur de l’enfant ... 86

Non-discrimination ... 87

Liens avec d’autres droits ... 88

Incorporation de la nutrition dans la CDE ... 89

Analyse des travaux préparatoires ... 89

Pourquoi cette marginalisation du droit à l’alimentation dans la CDE ? ... 97

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II.d) Approche critique de la CDE et des droits de l’enfant ... 100

Place des droits économiques, sociaux et culturels ... 102

Nature apolitique ... 107

Nature universelle ... 109

Obligations internationales ... 110

Entre Utopia et Jus cogens ... 111

Modèle d’analyse en trois axes ... 113

Droit de l’enfant « à » l’alimentation ... 113

Droits « dans » l’alimentation ... 116

Droits « par » l’alimentation ... 118

Pour ne pas conclure… ... 119

Références ... 124

Textes juridiques ... 143

Annexes ... 145

I. Taux et nombres d’enfants de moins de cinq ans atteints de malnutrition ... 145

II. Prévalence de la maigreur chez les 5-19 ans... 146

III. Processus menant à la dénutrition ou à l’obésité ... 146

IV. Emaciation (modérée ou grave) chez les enfants de moins de cinq ans ... 147

Taux d’émaciation ... 147

Nombres (en millions) ... 147

Cartographie de l’émaciation ... 148

V. Cadre conceptuel des causes de la malnutrition ... 149

VI. Liens entre la sécurité alimentaire et la nutrition avec les causes sous-jacentes de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition ... 150

VII. Cercles concentriques de responsabilités ... 151

VIII. Obligations des Etats en vertu du droit de l’enfant à la nutrition (malnutrition protéino-énergétique) ... 152

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T ABLE DES ABRÉVIATIONS

CADBE Charte africaine sur les droits et le bien-être de l’enfant

CDE Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant de 1989 CDESC Comité des droits économiques, sociaux et culturels

CDH Comité des droits de l’homme

CNUCED Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement CRC Comité des droits de l’enfant

CSA Comité de la sécurité alimentaire mondiale DESC Droits économiques, sociaux et culturels ECOSOC Conseil économique et social

FAO Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture FIAN Food First Information and Action Network

FIDA Fonds international de développement agricole FMI Fonds monétaire international

FSIN Food Security Information Network

HCR Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés

HLPE Groupe d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition

IEP Institute for Economics and Peace OG Observation générale

OMS Organisation mondiale de la santé ONG Organisation non gouvernementale ONU Organisation des Nations Unies PAM Programme alimentaire mondial

PIDCP Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966

PIDESC Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966

PMA Pays les moins avancés SDN Société des Nations UN United Nations

UNESCO Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture

UNICEF Fonds des Nations Unies pour l’enfance

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P ROBLÉMATIQUE

Après une période de recul, la faim dans le monde gagne à nouveau du terrain (FAO et al., 2018). Parmi les enfants de moins de cinq ans, la sous-nutrition entraine un retard de croissance chez 151 millions d’enfants (soit plus de 22 % des enfants dans cette tranche d’âge) ; l’émaciation menace la vie de plus de 50 millions d’enfants ; trois millions d’enfants meurent chaque année de malnutrition ou de maladies qui y sont associées, soit près de la moitié de tous les décès. Ces constats statistiques permettent- ils de saisir une réalité atroce ou demeurent-ils des abstractions qui défient notre imagination ? « Puisqu’un homme mort n’a de poids que si on l’a vu mort, cent millions de cadavres semés à travers l’histoire ne sont qu’une fumée dans l’imagination », écrivait Albert Camus (1947 : 42). Il en est autrement si l’on cherche à distinguer, par delà chaque chiffre, un enfant « unique, irremplaçable, jamais vu sur terre auparavant, et que l’on ne verra jamais plus sur terre ensuite. Entité absolue et ultime d’humanité » (de Hartog, cité par Kaiser, 1979 : 292).

Dans un monde où abondent les richesses, par millions les enfants souffrent et meurent de la faim. Cela n’est pas imputable à une insuffisante production de nourriture mais à une inéquitable répartition de ces ressources et à un manque d’accessibilité. Les enfants constituent en cela une catégorie particulièrement vulnérable. Le droit à l’alimentation est pourtant affirmé à plusieurs reprises dans le droit international. Une approche fondée sur les droits humains considère le manque d’accès à la nourriture en quantité et en qualité suffisantes comme une violation de droit. En cela, le droit à l’alimentation est certainement le droit de l’Homme « le plus constamment et le plus massivement violé de notre planète » (Ziegler, 2011 : 23). Le Comité des droits de l’enfant affirme que la malnutrition fait partie des obstacles majeurs à la concrétisation des droits de l’enfant (CRC, 2005, § 10). Lorsque l’on pense auxdits droits, le droit de se nourrir est l’un des premiers qui nous vient à l’esprit. Pourtant, ce sujet essentiel n’apparaît étrangement que très peu dans la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (CDE, 1989), et aucun article autonome n’y consacre spécifiquement le droit de l’enfant à l’alimentation. Ce droit serait-il donc une fausse évidence ?

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Q UESTION DE RECHERCHE

Il est établi que la nourriture est le besoin le plus essentiel pour la santé, la croissance et le développement des enfants (Apodaca, 2010). A de rares exceptions près, les travaux de recherche traitant du droit à l’alimentation ne s’inscrivent pas dans le champ des études interdisciplinaires en droits de l’enfant. Dans de nombreuses études portant sur la malnutrition, les enfants et les spécificités s’y rapportant apparaissent uniquement en filigrane ; dans les recherches consacrées aux conditions de vie des enfants, la thématique de l’alimentation est souvent évoquée parmi d’autres sujets, superficiellement. Au vu des implications importantes qu’ont les violations de ce droit – tant au niveau de leur fréquence que de la gravité des conséquences pour les enfants concernés – ce thème mériterait d’être approfondi d’un point de vue « droits de l’enfant » ; dispersées aux quatre vents, les données pertinentes pour comprendre la problématique dans sa globalité devraient être rassemblées dans une étude spécialement consacrée aux enfants. Ainsi, par ce mémoire, nous souhaitons faire un état des lieux de la sous-nutrition des enfants, en mettant l’accent sur les conséquences engendrées. Nous analyserons un certain nombre de causes à l’origine de ce problème complexe en nous basant sur la littérature. Enfin, nous nous emploierons à situer historiquement et juridiquement le droit à l’alimentation dans la législation internationale en vue de saisir les spécificités qui se rapportent aux enfants, en sachant que la CDE évoque l’alimentation sans entrer dans les détails. En somme, nous mènerons une réflexion en liant les données juridiques et statistiques avec des concepts et savoirs sociologiques pertinents, en vue de dessiner les contours du droit de l’enfant à l’alimentation. Ainsi, cette contribution a pour objectif d’éclairer la question suivante : quelles sont les spécificités des enfants concernant leur droit à l’alimentation ?

M ÉTHODOLOGIE

Pour mener à bien cette recherche, nous nous sommes penché sur les textes législatifs internationaux – conventions et déclarations – pertinents. Nous avons procédé à l’analyse d’éléments de doctrine, mais aussi de données statistiques et qualitatives émanant d’agences et d’organes onusiens tels que l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’Organisation mondiale de la santé (OMS),

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le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), le Comité des droits de l’enfant (CRC), le Conseil économique et social (ECOSOC) ou encore les documents produits par les Rapporteurs spéciaux sur le droit à l’alimentation1.

Dans une optique interdisciplinaire (Moody et Darbellay, 2018), nous avons développé notre réflexion en prenant appui sur des ouvrages de la littérature spécialisée afin d’acquérir une vue d’ensemble sur un sujet complexe qui touche des domaines aussi variés que le droit, la santé, la nutrition, l’agriculture, la politique, l’économie, la sociologie, l’histoire, la philosophie, l’éthique et les childhood studies. Enfin, nous avons sollicité des spécialistes de différents domaines, cités dans notre page de remerciements, et avons ainsi bénéficié de leur expertise.

P ARTIE I : L A FAIM

I.a) Perspective historique

La famine augmentait dans le pays d'Egypte. Et de tous les pays on arrivait en Egypte, pour acheter du blé auprès de Joseph ; car la famine était forte dans tous les pays. (Genèse, 41: 56-57)

Comme le montre Harari (2017), la famine a été, des millénaires durant, le pire ennemi de l’humanité. Une petite erreur ou un peu de malchance, des pluies trop rares ou trop conséquentes suffisaient à plonger une famille dans la faim, à condamner à mort un village ou une région toute entière. Dans l’Egypte ancienne ou dans l’Inde médiévale, il n’était pas rare que meurent 5 à 10 % de la population en période de sécheresse : en effet, les provisions devenaient rares, les moyens de transports étaient onéreux et lents pour importer des denrées alimentaires et les Etats ne disposaient pas de solutions adéquates pour faire face à ces situations. Les livres d’histoire sont emplis de terrifiantes descriptions « de populations faméliques rendues folles par la faim » (Harari, 2017 : 12). Au XVIIème s. par exemple, « tandis que le Roi-Soleil, Louis XIV, batifolait à Versailles avec ses maîtresses » (Harari, 2017 : 14), de mauvaises récoltes durant deux années consécutives avaient épuisé les réserves de nourritures : environ

1 Le Rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation est un expert indépendant, nommé par le Conseil des droits de l’homme. Jean Ziegler (2000-2008), Olivier de Schutter (2008-2014) et Hilal Elver (dès 2014) se sont succédés à cette fonction.

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2.8 millions de Français, soit 15 % de la population mourut de faim entre 1692 et 1694 (Goubert, 1968 ; Blanning, 2008). Les années suivantes, des famines frappèrent notamment l’Estonie, la Finlande et l’Ecosse qui perdirent entre le cinquième et le tiers de leur population (Neumann et Lindgrén, 1979 ; Appleby, 1980). La Suisse ne fut pas épargnée2 (Kurmann, 2011), la dernière famine importante ayant eu lieu en 1816- 1817 : l’éruption d’un volcan sur une île indonésienne bouleversa le climat mondial, au point qu’il tomba de la neige en été en Suisse, ce qui détruisit les récoltes. Les habitants les moins aisés ne purent plus se procurer de nourriture et ce, pour diverses raisons. La crise conjoncturelle du textile, la diminution des revenus et la montée du chômage résultèrent sur un ralentissement économique qui s’ajouta aux embargos et aux problèmes politiques avec les pays voisins (Krämer, 2015). Suite à cette situation, le prix de la livre de pain passa dans certaines régions d’environ 20 centimes à 90 centimes (Henrioud, 1917). Les chroniqueurs de l’époque racontèrent qu’« iI [était]

effrayant de voir avec quelle avidité des squelettes d'hommes dévorent les mets les plus repoussants […] qu'ils disput[ai]ent aux animaux » (Heer, cité par Henrioud, 1917 : 117), que la misère et la détresse obligèrent les plus pauvres à manger de l’herbe des champs (Krämer, 2015) et que « des parents [se privaient] du nécessaire afin de répondre à moitié aux demandes de leurs enfants » (Vallotton-Aubert, 1875, p. inconnue). Par milliers l’on mourut d’inanition, alors que les plus riches stockaient les rares denrées alimentaires à des fins spéculatives (Krämer, 2015). En somme, dans l’histoire des sociétés, les exemples tragiques de famines ne manquent pas. Plus récemment, l’on peut penser à la famine chinoise dans le contexte du Grand Bond en avant (1959-1961) qui fit trente à quarante millions de victimes (Coale, 1981 ; Ó Gráda, 2008)3.

Jusqu’au milieu du siècle passé, la faim a été considérée avec fatalisme, comme un fléau dont on ne saurait se défaire (Ziegler, 2011), souvent même comme une punition divine (Kurmann, 2011). La pensée de l’économiste britannique Thomas Malthus, exposée dans son Essai sur le principe de population (1798), a eu un impact durable sur la manière d’aborder cette problématique. Ses théories s’articulent autour

2 Selon les sources écrites, il y a eu en Suisse des famines en 1438, 1530, 1571-1574, 1635-1636, 1690-1694, 1770-1771 et 1816-1817. Cette liste est incomplète, car beaucoup de famines n'ont pas dépassé le cadre régional, et parce qu’aucune étude systématique n’a encore été réalisée. L’analyse des squelettes retrouvés en Suisse montrent cependant que beaucoup ont souffert de famines et de malnutrition (Kurmann, 2011).

3 Cette famine a été causée par une politique de modernisation forcée qui s’est avérée catastrophique.

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de l’idée de sélection naturelle : au vu des ressources limitées disponibles et de l’accroissement démographique, la réduction de la population par la faim est le seul moyen d’éviter la catastrophe économique ; dans ces conditions, la reconnaissance d’un droit à l’alimentation se révèlerait donc contre-nature4. Comme le commente Ziegler (2011): « sauf grave cas de dérangement psychique, personne ne peut supporter le spectacle de la destruction d’un être humain par la faim. En naturalisant le massacre, en le renvoyant à la nécessité, Malthus a déchargé les Occidentaux de leur responsabilité morale » (108). Un réveil de la conscience européenne a fait suite à l’expérience collective de la faim durant la Seconde Guerre mondiale, exacerbée par la politique d’Hungerplan mise en place par l’Allemagne nazie : « les peuples qui avaient enduré la famine n’acceptaient plus la doxa de la fatalité » (Ziegler, 2011 : 143)5. Dans ce changement de perception de la problématique de la faim, il faut soulever l’influence des travaux du médecin brésilien Josué de Castro, l’un des fondateurs de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en 1946. Ses recherches prouvèrent empiriquement que la faim ne pouvait être réduite à la « loi de la nécessité » malthusianiste, mais qu’elle résultait de politiques menées par des hommes et pouvait donc être combattue, notamment en reconnaissant dans la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 le droit de tout être humain à disposer de nourriture.

I.b) Etat actuel de la faim

Non, vous ne le savez pas parce que ce sont là des détails dont on ne parle pas. Le sommeil des hommes est plus sacré que la vie pour les pestiférés. On ne doit pas empêcher les braves gens de dormir. Il y faudrait du mauvais goût, et le goût consiste à ne pas insister, tout le monde sait ça. (Camus, 1947 : 226)

Selon Harari (2017), le problème de la faim n’a certes pas été totalement résolu, « mais les forces incompréhensibles et indomptables de la nature sont devenues des défis

4Malthus écrivait en 1789 : « Un homme qui est né dans un monde déjà possédé, s’il ne peut obtenir de ses parents la subsistance qu’il peut justement leur demander, et si la société n’a pas besoin de son travail, n’a aucun droit de réclamer la plus petite portion de nourriture, et, en fait, il est de trop. Au grand banquet de la nature, il n’y a pas de couvert vacant pour lui.

Elle lui commande de s’en aller […]. Livrons donc cet homme coupable à la peine prononcée par la nature […] » (cité par Schaller, 1950 : 19-20).

5 Par exemple, « [e]n 1950, la chercheuse Bosse dénombre 60 millions d’Européens sous- alimentés, à l’image des populations des villes allemandes dont la ration alimentaire journalière en 1948 ne dépasse pas les deux tiers des besoins vitaux » (Moody, 2016 : 150).

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qu’il est possible de relever » (1). L’humanité peut maintenant se vanter d’avoir trouvé les solutions technologiques permettant de produire assez d’aliments pour nourrir tout le monde et de maîtriser les famines : « pour la première fois de l’histoire, on meurt plus aujourd’hui de manger trop que de manger trop peu » (Harari, 2017 : 12). La production actuelle de céréales suffit à nourrir entre 12 à 14 milliards d’individus, mais il y a seulement environ 40 % de cette production qui est utilisée pour l’alimentation humaine ; plus de 30 % sert à nourrir le bétail, le reste est brulé pour obtenir des agrocarburants ou transformé en produits industriels (Haerlin et Beck, 2013). Même en cas de catastrophes naturelles ou de guerres, les assurances privées, les services publics et les ONGs et agences internationales peuvent se mobiliser et parvenir à éviter les famines. Ainsi, « il n’y a plus dans le monde des famines naturelles, uniquement des famines politiques. Si la population syrienne, soudanaise ou somalienne meurt de faim, c’est qu’un politicien le veut bien » (Harari, 2017 : 14). Cela fait dire à Troubé (2007) que les famines actuelles sont « géopolitiques » (28) ; elles sont provoquées par des chefs d’Etats « affameurs », terme sous lequel Bui (2009) comprend également les entreprises multinationales du Nord. Apadoca (2010) avance que la faim des enfants est causée, ou pour le moins non prévenue, à la fois par des politiques des gouvernements (qui, par exemple, privilégient les dépenses militaires au détriment des investissements dans les services sociaux), par des politiques internationales et par certains comportements d’acteurs non-gouvernementaux.

Aujourd’hui, des centaines de millions de personnes souffrent quotidiennement de la faim : rares sont ceux qui meurent faute d’avoir ingéré de la nourriture durant plusieurs semaines, mais la malnutrition abrège grandement leur espérance de vie (Harari, 2017). Alors que la famine est un phénomène hautement visible et localisé dans le temps et l’espace, « la malnutrition peut être insidieuse […], le plus souvent permanente et diffuse au sein d’une société sous-développée » (Troubé, 2007 : 28).

Suite à plusieurs décennies de recul, les statistiques6 montrent que la faim dans le monde est depuis trois ans en augmentation, que ce soit au niveau de la prévalence ou du nombre absolu de personnes affectées (FAO et al., 2018) : « la situation s’aggrave en Amérique du Sud et dans la plupart des régions d’Afrique, et le recul de

6 La FAO est la principale agence produisant des données sur l’alimentation dans le monde.

Comme le commente Ziegler (2011) : « Un flot ininterrompu de statistiques, de graphiques, de rapports s’écoule du palais romain : Nul, ne relevant de l’immense armée des affamés, ne souffre ou ne meurt sans déposer sa trace sur un graphique de la FAO » (235).

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la sous-alimentation, qui caractérisait l’Asie jusqu’à une période récente, semble considérablement ralentir » (FAO et al., 2018 : XV). En 2017, 825 millions de personnes étaient sous-alimentées – soit 10.9 % de la population mondiale (FAO et al., 2018 : 2).

Cela reste toutefois inférieur aux 900 millions de l’an 2000 (FAO et al., 2017 : 2). Notons qu’en 1996 les Etats s’étaient solennellement engagés à réduire à 421 millions le nombre de sous-alimentés à l’horizon 2015, engagement plus modestement réitéré (591 millions) – mais tout aussi ineffectif – dans la Déclaration du Millénaire des Nations Unies (Kracht, 2005)7. Les estimations de la FAO sont controversées, puisqu’elles se basent sur les besoins caloriques d’une personne peu active, effectuant par exemple un travail de bureau (1840 calories). Des experts estiment qu’il serait plus judicieux de se baser sur les besoins d’une personne ayant un mode de vie normal (2020 calories), ce qui élèverait le nombre des personnes sous-alimentées à 1'330 millions en 2012 (Small Planet Institute, 2013). De plus, dans ses constats sur l’amélioration de l’alimentation au niveau mondial, la FAO « oublie d’ajouter à quel point ces progrès sont inégaux et limités sur un plan régional » (Feyder, 2015 : 19). En effet, la Chine et le Vietnam sont à eux seuls responsables de 90 % de la réduction du nombre des affamés dans le monde depuis 19928, alors que leur nombre a augmenté de 59 millions dans les 45 pays les moins développés (Small Planet Institute, 2013). Pour de Schutter (2014), ces statistiques de la FAO sont basées sur des calculs erronés, puisqu’ils ne tiennent pas compte des besoins nutritionnels plus importants des populations rurales, de la faim saisonnière qui peut se produire entre deux récoltes9, ni des discriminations dont sont victimes les femmes et les filles en matière d’accès à l’alimentation en période de crise. Un double constat s’impose : « d’une part, des centaines de millions de

7 Pour Feyder (2015), des questions éthiques sont soulevées lorsque l’on adopte un tel plan de développement qui condamne d’emblée « la moitié de ceux qui souffrent de faim et de pauvreté à rester en 2015 encore dans cet état de dénuement » (17). Notons que lors du Sommet mondial de l’alimentation de 1974, les politiques s’étaient fixé l’objectif que « dans dix ans, aucun homme, aucune femme, aucun enfant n’irait plus se coucher le ventre creux » (Troubé, 2007 : 5).

8 A noter que ces pays n’ont pas pour réputation de mettre l’accent sur la réalisation des droits humains en tant que libertés individuelles, ce qui montre que la lutte contre la malnutrition peut se faire en dehors d’une approche ancrée dans le droit à l’alimentation, lorsque d’autres facteurs économiques et idéologiques entrent en compte.

9 Comme l’expliquent Baudouin et al. (2010) : « L’une des causes structurelles les plus connues de la faim chez les populations paysannes est le phénomène de la soudure. Ce terme moyenâgeux désigne la période qui précède la récolte, et où les réserves alimentaires viennent souvent à manquer. Les paysans sont alors obligés de racheter aux grossistes, à un prix nettement plus élevé, une partie des produits qu’ils leur ont vendus quelques mois plus tôt.

La solution à ce problème […] consiste à créer […] des dispositifs de stockage qui permettent aux paysans de conserver les céréales dont ils ont besoin pour l’ensemble de l’année » (§ 20).

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personnes sous-alimentées sont exclues et, d’autre part, leur droit à l’alimentation est violé » (Golay et Özden, 2005 : 3). L’on touche ici à l’une des plus scandaleuses calamités de notre temps : « la faim pour des centaines de millions de personnes privées de nourriture alors que […] les scientifiques et les politiques ne savent toujours pas comment traiter les pathologies de l’abondance alimentaire » (Fumey, 2012 : 9).

Enfin, la problématique de la malnutrition ne concerne pas uniquement la quantité de nourriture, mais aussi sa qualité : selon l’OMS et la FAO (2006), plus de deux milliards de personnes souffrent de déficiences en micronutriments, soit un manque de vitamines et de minéraux, ce qui impacte considérablement le développement des individus et des sociétés.

Chiffres concernant les enfants

L’incidence de la faim des enfants est considérée comme l’un des meilleurs indicateurs permettant de savoir comment les sociétés traitent les personnes vulnérables (Jenkins, Scanlane et Peterson, 2007). En 2017, près de 151 millions d’enfants de moins de cinq ans (soit plus de 22 % des enfants dans cette tranche d’âge) présentaient un retard de croissance (FAO et al., 2018 : XIV) et 50.5 millions, (7.5 %), souffraient d’émaciation (faible rapport taille-poids) et couraient ainsi un risque de mortalité accru (FAO et al., 2018 : XVI)10. Nous avons vu précédemment que 10.9 % de la population mondiale (enfants et adultes compris) est sous-alimentée (FAO et al., 2018 : 2), ce qui montre que les jeunes enfants sont disproportionnément affectés par la malnutrition. Cette plus grande exposition à la sous-nutrition justifie de leur accorder une attention particulière.

A l’échelle mondiale, les données chiffrées disponibles pour la malnutrition des enfants se focalisent sur ceux âgés de zéro à cinq ans. Ainsi, les données ventilées font défaut pour les enfants et adolescents de plus de cinq ans ; par conséquent, « des pans entiers de la population sont laissés de côté faute de collecte systématique de données sur la nutrition » (Development Initiatives, 2017 : 22). L’âge-limite fixé à cinq ans est intriguant : les enfants ne sont-ils pas considérés comme des enfants jusqu’à leurs dix-huit ans (art. 1er CDE) ? Il est à relever que le CRC (2003) indique que la nécessité de recueillir des

10 Voir en annexe I les graphiques présentant les principaux chiffres de la malnutrition chez les enfants de moins de cinq ans.

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[…] données exhaustives et fiables sur les enfants, ventilées de manière à faire apparaître les discriminations et/ou disparités existantes concernant l’exercice de leurs droits, est un élément indispensable de la mise en œuvre de la Convention [CDE].

Le Comité rappelle aux Etats parties que les données recueillies doivent porter sur toute la période de l’enfance, jusqu’à l’âge de 18 ans […]. (§ 48)11

Pour faire la lumière sur cette question, nous avons contacté Simone Gie, nutritionniste et senior writer au Programme alimentaire mondial (PAM), qui explique12 que la plupart des pays collectent généralement des données sur les moins de cinq ans en tant qu'indicateurs de la population générale, mais beaucoup ne recueillent pas de données désagrégées par âge. Elle affirme que c’est une limitation majeure, en particulier lorsque l’on cherche à mieux comprendre la nutrition chez les adolescents.

Cet âge de cinq ans est utilisé comme norme de référence par l’ensemble des agences onusiennes depuis des décennies. Malgré l’impossibilité de définir précisément les raisons de cette limite, Gie émet plusieurs hypothèses13. D’abord, la plupart des enquêtes au niveau national se font auprès des ménages, et comme les enfants de moins de cinq ans sont pour la plupart encore à la maison, ils sont donc plus faciles à atteindre ; les enfants de plus de cinq ans devraient être mesurés dans les écoles, ce qui constitue une base de sondage différente. Ensuite, plus la désagrégation par âge est importante, plus la taille de l'échantillon doit être grande et donc plus les implications en termes de coûts sont conséquentes. Puisque les pays

‟en développementˮ ne disposent souvent pas de sommes d’argent élevées à consacrer à des évaluations à si grande échelle, il est nécessaire de définir des priorités. Enfin, les enfants de moins de cinq ans (et plus encore ceux de moins de deux ans14) sont les plus vulnérables en termes de mortalité et de morbidité. Ainsi, lorsque les ressources sont limitées, il est nécessaire de leur donner la priorité afin de fournir la

11 Plus précisément, dans ses directives sur l’établissement des rapports périodiques, le CRC (2015) demande aux Etats de fournir des informations et des données statistiques, « en les ventilant par âge ou groupe d’âge, sexe, lieu (zone rurale ou zone urbaine), appartenance à une minorité ou à un groupe autochtone, appartenance ethnique, religion, handicap ou toute autre catégorie jugée pertinente » (§ 1) sur les taux de mortalité infantile et de mortalité des moins de cinq ans, sur la proportion d’enfants présentant une insuffisance pondérale à la naissance, et sur la proportion d’enfants présentant une insuffisance pondérale, une émaciation ou un retard de croissance modérés ou graves (§ 18 a, b, c). De toute évidence, ces aspects des directives ne sont que rarement suivis.

12 Communication personnelle, 03.01.2019.

13 Communication personnelle, 08.01.2019.

14 Les agences onusiennes font fréquemment référence à l’attention particulière devant être accordée aux soins et à la nutrition durant « les 1’000 jours qui s'écoulent entre la conception et le deuxième anniversaire de l'enfant » (FAO et al., 2018 : 36).

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meilleure estimation de la vulnérabilité des enfants dans un pays. Kent15 va dans ce sens en soutenant que cette limite a probablement été motivée principalement par un accent mis sur la mortalité infantile : en examinant les taux de mortalité moyens pour chaque année de vie, l’on remarque que ceux des premières années diminuent progressivement avec l’âge des enfants. Cela explique pourquoi les agences onusiennes portent un regard particulier sur les nourrissons, puis sur les jeunes enfants, et accordent moins d'attention aux adolescents.

Nous pourrions nous interroger sur les impacts de cet âge-limite. Dans un monde où les chiffres revêtent une importance cruciale, un phénomène non-chiffré ne risque-t-il pas de devenir invisible ? Est-ce que cette exclusion des statistiques peut avoir des répercussions réelles sur les enfants de plus de cinq ans et entraîner des formes de discrimination ?

Comme le soulignent le FAO et al. (2018), il est reconnu que – même si le risque de mortalité dû à l’émaciation est le plus élevé au cours des premières années de vie – l’insuffisance du poids rapporté à la taille continue d'être un problème nutritionnel même pour les enfants plus âgés. Il est associé « à un risque plus élevé de maladies infectieuses, à une maturation retardée et à une réduction de la force musculaire, de la capacité de travail et de la densité osseuse qui les invalideront au cours de leur existence » (26). Des estimations sont ainsi effectuées par l’Observatoire de la santé mondiale de l’OMS pour les personnes en âge de scolarité, ayant entre cinq et dix- neuf ans16, en se basant sur l’indice de masse corporelle (IMC). Sont considérées comme atteintes de maigreur les personnes dont l’IMC est inférieur de deux écarts- types à la médiane de la population de référence de l'OMS. Ainsi, environ 10 % des enfants et des adolescents dans cette tranche d’âge sont trop maigres, ce qui a un lien direct avec leur nutrition (FAO et al., 2018 : 26). Tout comme pour les enfants en âge préscolaire, les taux varient fortement en fonction des pays17. En outre, la prévalence mondiale de la maigreur des enfants et des adolescents « n’a pas changé

15 Communication personnelle, 19.01.2019.

16 Voir graphique détaillé en annexe II. Selon la définition employée par l’OMS, l’adolescence s’étend de dix à dix-neuf ans (Eide et Eide, 2006), raison pour laquelle ces estimations ne concernent pas uniquement les enfants au sens juridique (soit de moins de dix-huit ans).

17 « La maigreur des enfants d'âge scolaire est extrêmement élevée en Inde, où plus du quart des enfants sont trop minces. La prévalence est également élevée (> 15 pour cent) en Afghanistan, au Bangladesh, au Bhoutan, au Népal, au Pakistan et au Sri Lanka » (FAO et al., 2018 : 26).

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significativement au cours de la dernière décennie puisqu’elle a baissé de moins d'un point de pourcentage depuis 2005 » (FAO et al., 2018 : 26). Même si ces données sont largement lacunaires, elles ont le mérite d’illustrer le fait que la problématique de la malnutrition des enfants ne s’arrête pas à l’âge de cinq ans. Dans le discours public et dans certaines publications scientifiques, la mention ‟de moins cinq ansˮ tend souvent à disparaître ou à s’estomper lorsque l’on fait référence à des estimations statistiques de la FAO, du PAM, de l’UNICEF ou de l’OMS sur un nombre X d’enfants malnutris, ce qui contribue à dénier la véritable ampleur de la problématique. Dans les parties qui suivent, nous évoquerons plus en détail les chiffres des différentes formes de malnutritions infantiles en nous basant sur les données couvrant les enfants de moins de cinq ans, mais il importera d’être conscients qu’un nombre bien plus important d’enfants sont touchés.

I.c) Conséquences pour les enfants

Le nombre d’enfants mourant de faim, […] mal soignés, pas soignés du tout, agonisant souvent dans une misère atroce, est immense. Presque autant que l’indifférence du public qui apaise sa conscience par quelques actions isolées par l’intermédiaire d’institutions respectables. (Hahn, 1987 : 297)

La nourriture est consommée par les êtres humains principalement pour des raisons énergétiques et nutritionnelles. Les apports journaliers nécessaires à la vie se calculent en calories et varient selon les âges : 700 pour un nourrisson, 1’000 pour un bébé jusqu’à deux ans, 1’600 à cinq ans. Chez l’adulte, les besoins se situent entre 2’000 et 2'700 calories, en fonction de sa morphologie, de ses activités physiques et du climat dans lequel il vit (Ziegler, 2011 : 24). L’OMS (2018) entend par « malnutrition » les carences, les excès ou les déséquilibres dans l’apport énergétique ou nutritionnel d’une personne. Ce terme comprend plusieurs types d’affections : la dénutrition, la malnutrition en matière de micronutriments, ainsi que le surpoids, l’obésité et les maladies non transmissibles liées à l’alimentation. En effet, la faim et la « malbouffe » sont deux problématiques qui, bien qu’apparemment très distantes, sont intimement liées (Dufumier, 2012). Ces dernières années, le Programme alimentaire mondial (PAM) a d’ailleurs élargi ses domaines d’action – traditionnellement limités à la faim et à l’aide d’urgence – afin d’englober toutes les formes de malnutrition, telles que les carences en minéraux et en vitamines, l'obésité et la surcharge pondérale, la sous- alimentation. Cette démarche « découle du constat selon lequel ces problèmes ont

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les mêmes causes profondes : la pauvreté, l'inégalité et les régimes alimentaires inadéquats » (PAM, 2019)18. Dans le cadre de ce travail, nous n’aborderons pas la question de l’obésité infantile – même s’il s’agit d’une problématique croissante19 qu’il serait opportun d’analyser sous l’angle du droit à l’alimentation.

Comme l’évoque le Comité des droits de l’enfant (CRC) dans son Observation Générale n° 7 (2005), « la petite enfance correspond à la phase de croissance et de transformation [la] plus rapide de l’existence humaine, pour ce qui est de la maturation du corps et du système nerveux, du développement de la mobilité, des facultés de communiquer et des capacités intellectuelles » (§ 6a) et c’est pourquoi les premières années « sont fondamentales pour [la] santé physique et mentale [des enfants], leur sécurité affective, leur identité culturelle et personnelle et leurs capacités de développement » (§ 6e). Ainsi, toujours selon le CRC (2005), « la malnutrition et la maladie ont un impact à long terme sur la santé et le développement physique des enfants. Elles affectent leur état mental, en inhibant l’apprentissage et la participation sociale et en réduisant leurs perspectives de se réaliser pleinement » (§ 27). Pour les enfants, les conséquences d’un manque de nourriture sont multidimensionnelles et affectent leur développement physique, psychologique et social, ce qui en fait une population particulièrement vulnérable. Les enfants dépendent pour leur alimentation de leur famille ou de la personne chargée de subvenir à leurs besoins : l’exercice de leur droit à l’alimentation est donc conditionné par la capacité de ces personnes à leur assurer une nourriture adéquate (FAO, 2010), notamment en disposant de moyens financiers suffisants. Ainsi, le sort des enfants est intimement lié à celui de leur entourage et de la société dans laquelle ils vivent. Le CRC (2005) relève sur ce point que « la croissance et le développement des jeunes enfants sont fortement influencés par les conceptions culturelles quant à leurs besoins, à la façon dont il convient de les traiter et à leur rôle actif au sein de la famille et de la communauté » (§ 6g).

Le rôle crucial de l’éducation20 est à relever, puisque de nombreux éléments probants montrent que « l'absence d'une éducation de base contribue aussi à la sous- alimentation, non seulement parce que les connaissances et la communication sont

18 Voir en annexe III un schéma illustrant les liens entre les diverses formes de malnutrition des enfants.

19 Le surpoids et l’obésité affectent 42 millions d’enfants de moins de cinq ans dans le monde (UNICEF, 2017).

20 Dans le monde, 263 millions d’enfants en âge de fréquenter l’école ne sont pas scolarisés (ONU, 2017 : 24).

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importantes, mais aussi parce que la capacité à obtenir un emploi et un revenu adéquat dépend souvent du niveau d'éducation » (Sen, 2013, cité par la FAO, 2013).

Selon l’OMS (2018) :

La pauvreté amplifie le risque de malnutrition et les dangers de la malnutrition. Les personnes qui ont peu de ressources sont plus susceptibles d’être touchées par différentes formes de malnutrition. En outre, la malnutrition augmente les dépenses en soins de santé, réduit la productivité et ralentit la croissance économique, ce qui peut alimenter un cercle vicieux de pauvreté et de mauvaise santé.

Maladies et décès

Les individus souffrant de dénutrition, et les enfants en particulier, ont beaucoup plus tendance que les personnes convenablement alimentées à tomber malades, ce qui peut entraîner la mort (OMS, 2018). L’agonie par la faim est lente, détruisant patiemment le corps mais aussi le psychisme : l’angoisse de manquer de nourriture, le désespoir et le sentiment d’abandon qui en découlent accompagnent la déchéance physique (Ziegler, 2011). L'émaciation, soit un faible rapport poids-taille21, menace la vie de plus de 50 millions d’enfants de moins de cinq ans, soit 7.5 %22 de la population mondiale dans cette tranche d’âge, avec une prévalence régionale allant de 1.3 % en Amérique latine à 9.7 % en Asie (FAO et al., 2018 : XVI)23. Environ la moitié des enfants touchés vivent en Asie du Sud et un quart en Afrique subsaharienne (FAO et al., 2018 : 23). Précisons que « l’émaciation est souvent considérée comme un problème qui apparaît dans les situations d'urgence, mais la majorité des enfants qui en souffrent vivent en dehors du contexte de crise humanitaire » (FAO et al., 2018 : 23).

Selon l’OMS (2018), l’émaciation est due au fait qu’une personne n’a pas ingéré assez d’aliments et/ou qu’elle a été atteinte d’une maladie infectieuse lui ayant fait perdre du poids ; bien que cette affection puisse être traitée, les jeunes enfants souffrant d’émaciation modérée ou sévère se trouvent face à un risque important de décès24.

21 Il s’agit du pourcentage d'enfants âgés de 0 à 59 mois dont le rapport poids-taille est inférieur d’au moins deux écarts-types au poids médian pour leur taille selon les normes OMS de croissance de l’enfant de 2006 (FAO et al., 2018 : 156).

22 Pour davantage de détails sur les statistiques de l’émaciation chez les enfants de moins de cinq ans, voir les graphiques en annexe IV.

23 Les pays dont la prévalence d’émaciation est supérieure à 15 % sont Djibouti, l'Erythrée, l'Inde, le Niger, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, le Soudan, le Soudan du Sud, le Sri Lanka, et le Yémen (FAO et al., 2018 : 23).

24 Les enfants souffrant d’émaciation courent un risque accru de mortalité. Une recherche (Black et al., 2013) a révélé que 875’000 décès d’enfants de moins de cinq ans (soit 12.6 % de tous les décès dans cette catégorie d’âge) étaient liés à l’émaciation, dont 516’000 (7.4 % de la totalité des décès) à l’émaciation grave.

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Si leur entourage n’a pas pu subvenir à leurs besoins alimentaires, il y a peu de probabilités pour qu’ils puissent avoir soudainement accès à des soins ou à une réalimentation appropriée. L’UNICEF (2018) estime que plus de quatre millions d'enfants de moins de cinq ans ont été admis dans des centres de traitement de l’émaciation grave en 201625. On estime cependant « que 17 millions d'enfants ont souffert d’émaciation grave à un moment donné en 2016 et que trop peu d’entre eux (un enfant sur quatre) ont été admis dans ces centres de traitement qui sont vitaux pour leur existence » (FAO et al., 2018 : 27).

De surcroît, contrairement à un adulte qui peut souffrir d’un manque d’alimentation durant une certaine période puis s’en remettre sans séquelle s’il a de nouveau accès à une alimentation et/ou à des soins adéquats, les conséquences pour un enfant malnutri sont irréversibles (Ziegler, 2011). Rendant apathique, la sous-alimentation sévère affaiblit progressivement les capacités motrices et intellectuelles des enfants :

Leur corps épuise d’abord ses réserves en sucres, puis en graisse. Les enfants deviennent léthargiques. Ils perdent rapidement du poids. Leur système immunitaire s’effondre. Les diarrhées accélèrent l’agonie. Des parasites buccaux et des infections des voies respiratoires causent d’effroyables souffrances. Commence alors la destruction de la masse musculaire. Les enfants ne peuvent plus se tenir debout. […]

Enfin vient la mort. (Ziegler, 2011 : 25)

Ce processus est, dans bien des cas, « interactif et plurifactoriel » (Bonnet, 1996 : 5). Comme explicité par Tomkins et Watson (1989), une ration diététique inadéquate entraîne une perte de poids, un ralentissement de la croissance, une baisse de l’immunité et des lésions muqueuses, ce qui engendre des maladies variables en incidence, en gravité et en durée. Ces maladies impliquent souvent une perte de l’appétit, une perte de nutriments, une malabsorption et des troubles du métabolisme ; l’« enfant malade ne mange le plus souvent pas comme il le devrait – et le cycle recommence » (UNICEF, 1998 : 26). Ceci peut l’enfermer dans un cercle vicieux potentiellement fatal. De plus, les déficiences en micronutriments entraînent d’importants dégâts physiques, en particulier pour les femmes enceintes et les jeunes enfants, car la croissance du fœtus est affectée, et l’enfant est atteint dans son développement et dans sa résistance aux infections (OMS et FAO, 2006). Parmi les maladies les plus répandues dues aux carences en micronutriments, l’UNICEF et la Banque mondiale (2004) comptent le kwashiorkor, l’anémie, le rachitisme et la cécité.

25 Il s’agit d’une importante hausse depuis 2014, année où un peu plus de trois millions d’enfants avaient été admis.

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Le manque de fer, avec un milliard et demi de personnes touchées, est la carence la plus courante. Les carences en iode sont également très répandues : 20 millions d’enfants naissent chaque année avec une déficience mentale parce que leur mère manquait d’iode (Troubé, 2007). Un autre exemple est celui des carences en vitamine A qui affectent 100 millions d’enfants, exposés de ce fait à la cécité et à une mort précoce (Fumey, 2018). Comme le soutient Fumey (2018) : « La ‟faim cachéeˮ ou carence en micronutriments est désormais vue comme une violation du droit de l’enfant à un niveau de vie suffisant. C’est l’environnement et non la génétique qui explique les différences de développement des enfants entre les régions du monde » (125-126).

La mortalité infantile constitue un indicateur du bien-être des enfants et du développement social et économique d’un pays ; elle est révélatrice de l’attention et des ressources allouées par l’Etat pour garantir le droit de l’enfant à la santé (Eide et Eide, 2006). Elle « rend compte de l’accès des enfants à des interventions sanitaires de base telles que la vaccination, les soins médicaux ou une nutrition adéquate » (UNICEF, 2015 : 26). À l’échelle mondiale, le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans a diminué de plus de moitié depuis 1990. Des disparités flagrantes restent cependant observables entre les régions : un enfant provenant d’un pays à revenu élevé encourt environ 15 fois moins de risques de décéder avant son cinquième anniversaire qu’un enfant né en Afrique subsaharienne. De plus, les enfants qui vivent en milieu rural sont 1.5 fois plus à risque que ceux vivant en milieu urbain (UNICEF, 2015 : 26). Parmi les personnes souffrant de malnutrition, 50 % sont des petits paysans26, 20 % des ruraux sans terre, 10 % des éleveurs nomades ou des petits pêcheurs et 20 % vivent dans des bidonvilles (Banque mondiale, 2008 : 112). Les familles provenant de classes sociales rurales sont souvent exclues et marginalisées par les classes sociales dirigeantes, étant séparées par un « fossé culturel fait d’indifférence, d’incompréhension et de mépris » (Feyder, 2014 : 9).

Pour approximativement 70 % des décès d’enfants de moins de cinq ans dans les pays à faible revenu, la cause directe est une maladie ou une combinaison de maladies –

26 Selon les estimations de la Banque mondiale (2008), 85 % des paysans des pays ‟en développementˮ cultivent une surface inférieure à deux hectares. De plus, sur les 1.3 milliards de paysans dans le monde, environ 1 milliard n’ont accès ni à des tracteurs ni à des animaux de travail, c’est-à-dire qu’ils n’ont que des outils manuels tels qu’une houe, une bêche, une faucille, une machette, etc. (Mazoyer et Roudart, 2005) ce qui a un grand impact sur le rendement.

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souvent liées à la malnutrition – qui seraient aisément prévenues dans des pays à haut revenu : infections respiratoires aigües, diarrhées, rougeole, malaria (Eide et Eide, 2006). Malnutrition et mortalité sont très corrélées : « la malnutrition expose les enfants à un risque accru de décès lié à des infections courantes, augmente la fréquence et la gravité de ces infections, et ralentit la guérison. En outre, le lien entre sous-nutrition et infection peut créer un cycle potentiellement mortel d’aggravation de la maladie et de dégradation de l’état nutritionnel » (UNICEF, 2015 : 26). Comme le souligne Soma (2010) : « il arrive rarement que l’on meure directement d’inanition. Mais la faim est, par les carences et les infections dont elle est responsable, l’agent pathogène le plus impitoyable et la principale cause de mortalité [chez les enfants] » (3). Ainsi, près de la moitié des décès d’enfants sont liés à la sous-alimentation (Black et al., 2013), soit plus de trois millions d’enfants de moins de cinq ans chaque année (UNICEF, 2015).

Un bref calcul et un peu d’imagination macabre suffiraient pour visualiser l’immense charnier qui chaque jour se remplit des victimes de faim.

Retard de croissance

La problématique du retard de croissance, soit un faible rapport taille-âge, est d’une ampleur gigantesque. Malgré le recul observé ces dernières décennies27, le retard de croissance concerne en 2017 encore plus de 22 % de la population de moins de cinq ans, soit près de 151 millions d’enfants (FAO et al., 2018 : XIV)28. Dans certaines régions, cette proportion atteint même un tiers des enfants (FAO et al., 2017 : 1). En 2017, plus de neuf enfants sur dix présentant un retard de croissance dans le monde vivaient en Asie (55 %) et en Afrique (39 %) ; alors que l'Afrique a enregistré une tendance à la hausse du nombre de ces enfants, l'Asie a connu la plus forte baisse (FAO et al., 2018 : 17).

Le retard de croissance résulte d’une sous-nutrition chronique ou récurrente (OMS, 2018), à laquelle sont associés de nombreux facteurs : conditions socioéconomiques

27En effet, « le taux mondial de retard de croissance est passé de 33 % en 2000 à 23 % en 2016 » (ONU, 2017 : 4). Cette baisse est due principalement aux progrès accomplis en Asie (FAO et al., 2018 : 11). Au rythme actuel, « le nombre d’enfants présentant un retard de croissance atteindrait 130 millions d’ici 2025, soit un chiffre supérieur de 30 millions à la cible mondiale fixée par l’Assemblée mondiale de la Santé, et ce, malgré une réduction de 40 pour cent par rapport aux niveaux de 2012 » (FAO et al., 2017 : 16).

28On parle de retard de croissance lorsque la taille (stature en centimètres) rapportée à l’âge (en mois) est inférieure d’au moins deux écarts-types à la valeur médiane des normes OMS de croissance de l’enfant établies en 2006 (FAO et al., 2018 : 156).

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défavorisées, environnements insalubres, manque d’hygiène et d’infrastructures d’assainissement, manque d’accès à de l’eau propre et à des services de santé de qualité, maladies fréquentes, alimentation non adaptée, environnement alimentaire, mode de vie et culture, état de santé et de nutrition de la mère avant et pendant la grossesse et l’allaitement29, allaitement inadéquat, niveau d’instruction de la mère30, manque de ressources allouées aux politiques et aux programmes visant à lutter contre la malnutrition (FAO et al., 2017 ; OMS, 2018). Un lien important entre stimulation affectueuse et malnutrition a été révélé par plusieurs études qui démontrent que les enfants malnutris recevant des stimulations cognitives et verbales ont des taux de croissance supérieurs à ceux qui n’en bénéficient pas (Landers, 1991 ; UNICEF, 1998).

Ce constat renvoie donc au rôle crucial que jouent les personnes s’occupant de l’enfant (UNICEF, 1998).

Le retard de croissance empêche les enfants de réaliser « leur plein potentiel physique et cognitif » (OMS, 2018). Précisons que le cerveau humain connaît une rapide construction durant la petite enfance, période intense de génération de neurones, de synaptogenèse31, de croissance axonale et dendritique, etc. Toute interférence dans ce processus, due à un traumatisme, au stress, à de la dénutrition ou à un manque de nutriments peut avoir des effets à long terme sur la structure du cerveau et sur le développement socio-affectif de l’enfant (Shonkoff, 2003 ; Chilton, Chyatte et Breaux, 2007). Ainsi, si pendant cette période l’enfant manque de nourriture

« adéquate, suffisante et régulière, il restera un mutilé à vie » (Ziegler, 2011 : 25). Ces enfants présentent « un risque plus élevé d’être atteints de déficiences cognitives, de connaître des difficultés durant leur vie scolaire et professionnelle, et de décéder des suites d’infections » (FAO et al., 2017 : 3).

D’autre part, l’excès pondéral chez les enfants32 et l’obésité chez les adultes prennent de l’ampleur, également dans les pays à faible revenu. Ainsi coexistent diverses formes de malnutrition : à titre d’exemple, plus de 20 % des enfants de moins de cinq ans

29 Notons que près d’un tiers des femmes en âge de procréer dans le monde souffre d’anémie, ce qui menace directement la nutrition et la santé de nombreux enfants (FAO et al., 2017 : 1).

30 « Les enfants dont la mère n’est pas allée à l’école risquent en moyenne 2.5 fois plus de mourir avant leur cinquième anniversaire que les enfants dont la mère a suivi un enseignement secondaire ou supérieur » (UNICEF, 2015 : 26).

31 Soit la formation des synapses.

32 À l’échelle mondiale, environ 41 millions d’enfants de moins de cinq ans sont considérés comme étant en excès pondéral en 2016, soit environ 6 %, contre 5 % en 2005 (FAO et al., 2017 : 19).

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souffrent d’un retard de croissance dans des pays tels que l’Egypte, l’Iraq et le Vanuatu, alors que plus de 20 % des adultes y sont obèses (FAO et al., 2017 : 26). Ce constat fait écho aux inégalités sociales et économiques qui se manifestent non seulement entre les régions du monde, mais également à l’intérieur des sociétés.

Conséquences sociales

Hunger is therefore not only a violation of children’s rights per se, but it is also at the core of numerous human rights abuses suffered by them. (Feliciati, 2005 : 414)

Une nutrition inadéquate a également des conséquences sociales, en réduisant les possibilités de participer à la vie sociale et économique (Jenkins, Scanlane et Peterson, 2007). Par exemple, une carence en iode – un type de malnutrition qui affecte un tiers des enfants scolarisés des pays ‟en développementˮ – induit une perte de 10 à 15 points de QI (Horton, 1999). Un enfant qui a faim a moins d’énergie pour jouer, explorer et apprendre (Apodaca, 2010), ce qui altère son acquisition de compétences liées à la communication, au raisonnement et à la résolution de problèmes (DeRose et al., 1998). La faim peut forcer les enfants à quitter le système scolaire, « soit par ce qu’ils doivent travailler pour se nourrir, soit parce qu’elle les prive de la capacité physique et mentale nécessaire pour suivre les cours » (FAO, 2010 : 21).

La nutrition est ainsi étroitement liée aux résultats scolaires (Jukes, Drake et Bundy, 2007) ; la sous-nutrition augmente également les niveaux d’agressivité, d’hyperactivité, d’anxiété ou d’extrême passivité des écoliers (Behrman et al., 2004).

Les enfants affectés par la malnutrition ont moins de chances de réussir dans leurs études (PAM, 2006), ce qui a un impact sur leur vie professionnelle. Une pauvre nutrition diminue les opportunités d’éducation et de formation tout en affectant la productivité physique, ce qui réduit considérablement le potentiel de gains futurs de l’enfant (Behrman et al., 2004). Grantham-McGregor et ses collaborateurs (2007) ont d’ailleurs montré que la malnutrition infantile réduit la productivité, car les enfants souffrant d’un retard de croissance gagnent en moyenne 20 % de moins à l’âge adulte. La faim chronique comporte donc une dimension de classe, puisqu’elle maintient les pauvres dans la pauvreté (Apodaca, 2010). De par une faible productivité due à une mauvaise condition physique, une faible éducation causée par des fonctions cognitives amoindries et des coûts importants liés aux soins en raison d’une mauvaise santé, une nutrition inappropriée impacte négativement la croissance économique et le taux de pauvreté des pays (Nathan, 2008). La

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