REVUE MÉDICALE SUISSE
WWW.REVMED.CH 20 janvier 2015
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L’interprofessionnaLité va-t-eLLe faire chuter Le premier de cordée ?
En réponse à l’éditorial des Drs Michel Matter et Didier Châtelain du 23 septem
bre 2015, «Interprofessionnalité : oui ! Ba
teau ivre : non !», l’équipe enseignante de la Haute école de santé de Genève, ainsi que du Centre interprofessionnel de simulation (une plateforme conjointe entre la HEdS
GE et la Faculté de médecine), responsable du dispositif de formation interprofession
nelle en Bachelor et Master, apporte quel
ques éléments de réflexion sur l’orientation donnée au développement de compétences interprofessionnelles dans nos curriculums Nutrition & diététique, Physiothérapie, Sage
Femme, Soins infirmiers, Technique en ra
diologie médicale et Médecine.
Depuis 2012, des modules de forma
tion partagée (10 ECTS répartis sur trois ans) impliquent les étudiants des cinq fi
lières avec, sur une base volontaire au dé
part, des étudiants en médecine et, dans une moindre mesure, en pharmacie. De
puis l’année académique 20152016, cette formation interprofessionnelle entre la HEdSGE et la faculté de médecine de l’Université de Genève concerne tous les étudiants et est validée par des modalités d’évaluation con certées et répondant aux exigences fédérales.
Des modules de formation à des com
pétences interprofessionnelles vont, certes, entraîner un changement dans l’organisa
tion du travail des professionnels de la santé et structurer différemment la coordination des soins, mais sans toutefois entraîner une dilution des compétences décisionnelles et une perte de confiance réciproque. Au con
traire, s’entraîner en formation à une col
laboration interprofessionnelle, une com
munication partagée et éclairante ainsi que s’exercer à des situations dans lesquelles l’attribution du leadership fluctue selon l’évolution et les demandes du patient constituent à notre sens quelques fonde
ments d’une pratique professionnelle con
certée. Il ne s’agit pas de fragmenter un système de santé à prédominance discipli
naire mais plutôt de potentialiser des com
pétences professionnelles complémentaires au sein d’un personnel de santé pluriel.
Les auteurs craignent un mélange de compétences comme si les uns allaient à l’avenir empiéter sur les compétences des autres, ce qui conduirait effectivement à une fragmentation dangereuse des respon
sabilités. Pourtant, personne n’ignore que les interventions soignantes redondantes et sans concertation sont légion dans notre système de santé. Dans notre vision, les étudiants sont formés à avoir une parfaite connaissance des compétences de chacun et ils sont entraînés à agir au sein de scé
narios pédagogiques qui vont leur appren
dre à rationaliser les actes au lieu de les démultiplier. Les objectifs et situations d’apprentissage les conduisent à se centrer sur le vécu du patient au cœur de l’action, au lieu de se focaliser sur leur expertise professionnelle propre. Ils ap
prennent à paramétrer des si
tuations et trajectoires de pa
tients au sein d’une équipe qui inclut complètement le patient et son entourage.
En ce sens, les écoles s’en
gagent à suivre les recomman
dations édictées dans la charte de l’Académie suisse des sciences médicales qui pose les principes de collaboration
entre les professionnels de la santé. La coordination de toutes les prestations et les responsabilités assumées par chacun sont clairement énoncées. Le risque de chevauchement des compétences est éga
lement identifié et il appartiendra à nos autorités de poser un cadre législatif clai
rement défini.
Une organisation concertée des soins, avec différentes options d’accès selon la demande du patient, contribuerait égale
ment de manière positive à ne pas aggra
ver une situation de pénurie de médecins de premier recours. A se retrouver au centre des préoccupations de différents soignants, ne risqueton pas de multiplier les consultations ? Cette vision de l’inter
professionnalité ne doit pas constituer une pression supplémentaire pour le mé
decin qui interviendrait dans la trajectoire des patients lorsque sa compétence médi
cale généraliste ou spécialisée est requise par ce dernier. Nous rejoignons en ce sens les positions de l’Association des méde
cins francophones du Canada qui dé
fendent le concept de patient partenaire de soins et présentent ce modèle comme un atout pour la profession médicale.
Par ailleurs, les études de faisabilité menées par les rectorats des Universités de Genève, de Lausanne et de la Haute école spécialisée de Suisse occidentale sont, à ce jour, des travaux répondant à des ques
tionnements politiques de santé publique incontournables. Les limites de notre sys
tème de santé suisse face à l’explosion des besoins populationnels en prévention et prestations de santé de premières lignes sont les constats validés par toutes les ins
tances nationales et encore récemment rap
pelés par l’Observatoire suisse de la santé.
Dès lors, envisager des formations Masters disciplinaires, mais également novatrices, en intégrant fortement des com
pétences interprofessionnel les, afin de renforcer quan tita ti ve
ment et qualitativement les acteurs de santé de première ligne de demain, est plus que légitime. De plus, la configu
ration dépendant de trois rec
torats des études actuelles et l’important travail collectif re
groupant des experts des deux facultés de médecine (Unil
UniGe) et du domaine santé (HESSO) apportent toutes les garanties nécessaires sur les niveaux de compéten ces à attein dre et, in fine, sur les rôles et responsabilités élargis des futurs professionnels de pra
tiques avancées disciplinai res ou en santé.
Ceuxci seront parfaitement identifiables par les principaux bénéficiai res : les pa
tients et leur entourage, et bien entendu l’ensemble des acteurs de la santé.
En conclusion, une part d’interprofes
sionnalité dans nos pratiques soignantes ne va pas induire une perte de contrôle sur nos actes mais le premier de cordée, celui auquel le patient choisira d’accorder pour un bout de trajectoire sa confiance, ne sera peutêtre plus toujours un médecin. Par contre, mettre de l’interprofessionnalité à toutes les sauces risque bien de saouler patients et soignants. En ce qui concerne l’arrivée de nouveaux profils professionnels de santé, le conservatisme et le corpora
tisme n’ont jamais été deux ingrédients propices à l’innovation. La concertation, le débat constructif et l’ouverture de l’ensem
A propos de l’Article :
M. MAtter et d. châtelAin. interprofession
nAlité : oui ! BAteAu ivre : non ! Rev Med Suisse 2016;12:152-3.
Il s'agit de potentialiser des
compétences professionnelles
complémen- taires au sein d'un personnel de santé pluriel
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Courrier
ble des acteurs du système de santé d’au
jourd’hui sont les éléments indispensables pour relever les enjeux de santé de notre population. Répondre aux besoins variés des patients qui peuvent s’adresser de ma
nière éclairée à un large panel de profes
sionnels compétents devrait produire des résultats mesurables avec le temps. Nous sommes tous d’accord qu’il convient d’aug
menter la qualité et la sécurité des soins tout en limitant leur coût et aussi bien la HEdSGE que la Faculté de médecine ont pris le parti de former en prégradué des jeunes professionnels de la santé conscients de leurs compétences comme de leurs limi
tes et soucieux de potentialiser l’efficacité et l’efficience des réponses en santé don
nées à la population.
petrA Mèche
coordinatrice de l’enseignement, haute école de santé de Genève, avenue de champel 47, 1206 Genève petra.meche@hesge.ch
drs didier châtelAin et Michel MAtter Cette profession de foi réaffirme de nombreux postulats que notre texte réfu
tait déjà.
Par contre, de nombreuses questions y restent sans réponses claires, dont notam
ment l’établissement formel des respon
sabilités respectives de chaque acteur de
Réponse
la santé, quel que soit le futur « premier de cordée ».
Dr Didier Châtelain
vice-président de l’association des médecins du canton de Genève, rue du conseil-Général 11, 1205 Genève Dr Michel Matter
président de l’association des médecins du canton de Genève, rue micheli-du-crest 12, 1205 Genève matter@ophtarive.ch
élisABeth vAn Gessel
directrice du centre interprofessionnel de simulation, avenue de la roseraie 76B, 1205 Genève
elisabeth.gessel@unige.ch olivier tejerinA
chef de projet des rectorats université de Genève, Lausanne et hes-so des études de faisabilités masters santé, avenue de champel 47, 1206 Genève olivier.tejerina@hesge.ch
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