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| La Lettre du Sénologue • N° 80 - avril-mai-juin 2018DOSSIER
Cancer du sein, tissus adipeux, régime et alimentation
Surcharge pondérale
et cancérogenèse mammaire : focus sur le dialogue
intercellulaire in situ
Overweight and breast carcinogenesis:
focus on the in situ intercell dialogue
A. Rossary
1,
2, L. Delort
1,
2, M. Goepp
1,
2, F. Caldefie-Chézet
1,
2, M.P. Vasson
1,
2,
31 Université Clermont-Auvergne, UFR de pharmacie, Clermont-Ferrand.
2 Institut national de la recherche agronomique, UMR 1019, Centre de recherche en nutrition humaine d’Au- vergne, Clermont-Ferrand.
3 Unité de nutrition, centre Jean- Perrin, hôpital Gabriel-Montpied, CHU de Clermont-Ferrand
L a surcharge pondérale (surpoids et obésité) de la population française adulte a augmenté depuis les années 1990 et cette progression est encore plus notable pour l’obésité seule. Actuelle- ment, près de la moitié des adultes sont en excès pondéral, parmi lesquels 32 % en surpoids et 17 % obèses. Des différences socioéconomiques et régionales existent : la prévalence de l’obésité est inversement proportionnelle au niveau d’instruc- tion et au niveau des revenus du foyer, et s’avère plus élevée dans les régions du Nord et de l’Est de la France.
La surcharge pondérale, caractérisée par l’indice de masse corporelle (IMC), augmente de façon convain- cante le risque de cancer du sein chez la femme après la ménopause. À l’inverse, en situation de pré- ménopause, c’est un facteur de protection vis-à-vis du cancer du sein, selon un niveau de preuve qualifié de probable en raison du manque de justification mécanistique plausible.
Après la ménopause, l’augmentation du risque de cancer du sein est estimée à 10 % pour une aug- mentation de 5 kg/m
2de l’IMC (1). La méta- analyse dose-réponse des données relatives au tour de taille, reflet de l’obésité abdominale, indique aussi une augmentation significative du risque de 6 % pour 10 cm d’augmentation du tour de taille (1).
En revanche, l’analyse des données relatives au rapport tour de taille/tour de hanche, ajustées ou non à l’IMC, n’indique pas d’association significative avec le risque de cancer du sein en cas de méno- pause (1).
Lien entre surpoids/obésité et augmentation du risque de cancer du sein
Plusieurs mécanismes peuvent expliquer ces as so- ciations. Chez la femme ménopausée présentant un IMC élevé, il est très souvent observé une augmen- tation du taux de plusieurs hormones, facteurs de croissance et cytokines : insuline, Insulin-like Growth Factor-1 (IGF-1), leptine, hormones sexuelles, etc.
(figure 1). Ces facteurs sont impliqués dans des
fonctions jouant un rôle important dans la cancéro- genèse, telles que la prolifération, la différenciation et le métabolisme cellulaire, notamment oxydatif.
L’excès de tissu adipeux intra-abdominal favorise le développement de l’insulinorésistance tissulaire, qui conduit à une augmentation de la sécrétion insuli- nique pancréatique. L’hyperinsulinémie chronique en résultant induit la production d’IGF-1 qui favo- rise la prolifération cellulaire. De plus, la croissance tumorale peut indirectement être favorisée par la réduction des protéines de transport de l’IGF-1, ce qui majore sa biodisponibilité.
Les hormones sexuelles stéroïdiques incluant estro- gènes, androgènes et progestérone peuvent également contribuer à ce risque de cancer, du fait que le tissu adipeux, via l’activité aromatase, est le site de synthèse des estrogènes chez la femme ménopausée. Or, les cellules de la glande mammaire, riches en récepteurs aux estrogènes, sont particulièrement sensibles aux effets stimulateurs de ces hormones sur la proliféra- tion cellulaire.
© Correspondances en Onco- Théranostic 2017;6(4):171-6.
Surcharge pondérale
Adipokines
Hormones sexuelles
Insulinorésistance
Inflammation Stress oxydant
Dysmétabolisme
Hypoxie ERO Leptine Résistine Adiponectine
SHBG Androgènes libres
IGF-1
IGF-1 libre IGFBP-1 IGFBP-2
Prolifération cellulaire Apoptose
Dysimmunité Vigilance antitumorale Sensibilité à l’insuline/ insuline
Estrogènes libres Activité aromatase
Dommages cellulaires Isoprostanes
Dégâts ADN
IL-6 TNFα Chimiokines (MCP-1, RANTES, etc.)
CRP
Majoration du risque cancérogène
IGF : Insulin-like Growth Factor ; IGFBP : Insulin-like Growth Factor Binding Protein ; SHBG : Sex Hormone-Binding Globulin ; ERO : espèces réactives de l’oxygène ; IL-6 : interleukine 6 ; TNF : Tumor Necrosis Factor ; CRP : protéine C réactive.
Figure 1. Facteurs pouvant contribuer au risque majoré de cancérogenèse mammaire associé à la surcharge pon- dérale chez la femme ménopausée.
d’identifier les biofacteurs clés impliqués.
Summary
Overweight is a recognized risk factor for breast cancer in postmenopausal women, associated with poor prognosis and increased risk of metastasis and mortality. Many meta- bolic and hormonal systemic alterations can explain this epidemiological association between overweight / obesity and increased risk of breast cancer. Locally, the breast pres- ents the peculiarity of a direct contact between the adipose tissue and the healthy and/or neoplastic mammary epithelial cells. As a result, the adipocytes, through their dialogue with the surrounding cells, are likely to participate in the carcinogen- esis process, especially in case of overweight. Therefore, it is essential to better understand from the in vitro models the intercellular dialogue and to identify the key biofactors involved.
Keywords
Obesity Adipocyte Cytokine Immunity Angiogenesis
L’obésité induit également un état inflammatoire
chronique de bas grade en raison de la produc- tion par le tissu adipeux, incluant notamment des macrophages, de facteurs pro-inflamma- toires tels que le Tumor Necrosis Factor α (TNFα), l’inter leukine 6 (IL-6) et la leptine, susceptibles de promouvoir la prolifération cellulaire. Cette inflam- mation favorise le stress oxydatif, en particulier la peroxydation lipidique, accrue chez le sujet obèse, dont les produits peuvent induire des altérations de l’ADN nucléaire et contribuer ainsi au processus néoplasique.
D’autres mécanismes peuvent être évoqués, comme les facteurs de reproduction associés à une expo- sition prolongée aux estrogènes endogènes tels la puberté précoce, la ménopause tardive et un âge avancé lors de la première grossesse. L’apport d’hormones exogènes, comme la contraception
orale ou le traitement hormonal substitutif de la ménopause, peut également contribuer à un risque accru de cancer du sein. De plus, la consommation d’alcool et le manque d’activité physi que sont des facteurs de risque modifiables de cancer du sein (2).
Le tissu adipeux, un déterminant clé
de la cancérogenèse mammaire
Le tissu adipeux constitue, de par sa masse, sa répar-
tition, son hétérogénéité cellulaire et sa capacité
sécrétoire, un déterminant clé de la cancéro genèse
mammaire. Il correspond quantitativement à 15 à
20 % du poids corporel chez un individu normo-
pondéré et peut atteindre 60 à 70 % en cas d’obésité
sévère. Il présente une importante hétérogénéité
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| La Lettre du Sénologue • N° 80 - avril-mai-juin 2018Tissu adipeux blanc Fibroblaste Cellule endothéliale
Macrophage Cellule souche adipeuse (ASC) Préadipocyte
Lymphocytes
Influence des cellules cancéreuses sur les cellules adipeuses
Influence
des cellules adipeuses sur la tumeur Cellules saines
Cellules cancéreuses Tumeur
Lymphocytes Adipocyte
Recrutement des ASC par les cellules tumorales
Délipidation adipocytaire
Infiltrat immunitaire protumoral, LTreg, MDSC
Infiltrat immunitaire antitumoral, LTc
Résistance aux traitements
anticancéreux
Prolifération, migration invasion tumorale
Vascularisation tumorale
Sécrétion de TNFα et d’IL-6 insulinorésistance,
dysmétabolisme
ASC : cellule souche adipeuse ; LTreg : lymphocyte T régulateur ; LTc : lymphocyte T cytotoxique ; MDSC : cellule suppressive dérivée des myéloïdes.
Figure 2. Dialogue intercellulaire in situ entre les adipocytes et les cellules de la fraction stromavasculaire dans le microenviron nement tumoral mammaire.
DOSSIER
Cancer du sein, tissus adipeux, régime
et alimentation Surcharge pondérale et cancérogenèse mammaire : focus sur le dialogue intercellulaire in situ
cellulaire, avec 2 composantes majeures : les adipo cytes matures (AM) d’une part, et la fraction stroma- vasculaire (FSV) d’autre part, composée de préadipocytes, de fi broblastes, de cellules immu- nitaires, endothéliales et nerveuses et de cellules progénitrices / souches
(fi gure 2).L’infi ltrat adipocytaire de la glande mammaire est normalement constitué à 90 % d’adipocytes bruns et blancs. Au cours de la gestation, il se développe un nouveau type d’adipocyte, possédant des carac- téristiques morphologiques du tissu adipeux blanc (une seule vacuole lipidique), du tissu adipeux brun (apparition d’un réseau de mitochondries et d’organelles cyto plasmiques) et du tissu épithélial (cellules rectangulaires en monocouche avec un pôle apical en brosse) [3]. Ce tissu, spécifi que de la glande mammaire au cours de la gestation et de la lactation est appelé tissu adipeux rose. C’est le seul tissu adipeux de l’organisme à avoir des propriétés
exocrines conduisant à la formation de l’exsudat lipidique du lait. Cette fonction du tissu adipeux est aujourd’hui activement étudiée tant elle interfère dans la régulation du métabolisme énergétique et de l’adiposité globale aussi bien chez la mère que chez l’enfant , à court et à long terme. De plus, cette transformation du tissu adipeux de blanc en rose est réversible à la fi n de la période de lactation.
Récemment, cette plasticité a été mise en relation avec le rôle des adipocytes dans la carcinogenèse mammaire (4).
À ce jour, plus de 400 molécules appelées “adipo-
kines” sont produites par les AM. Ces adipokines
regroupent des cytokines (IL-6, TNFα, IL-8, etc.), des
facteurs de croissance ( Transforming Growth Factor β
[TGFβ], etc.) mais également des protéines impli-
quées dans l’homéo stasie vasculaire (Plasminogen
Activator Inhibitor-1 [PAI-1], etc.), la régulation de la
pression sanguine (angio tensinogène, etc.), le méta-
que certaines adipokines, telles que la leptine et l’IL-6, augmentent en situation de surcharge pondé- rale, d’autres, comme l’adiponectine, diminuent chez les personnes en surpoids. Les adipocytes et leur
“sécrétome” ont un rôle pathogénique prépondérant en situation de surcharge pondérale. En effet, le sein est un organe très spécifique où les cellules épithé- liales sont immergées dans un microenvironnement adipeux. Outre des effets endocrines systémiques, l’adipocyte influence par ses secrétions in situ ou paracrines les capacités métaboliques et fonction- nelles des cellules environnantes (figure 2).
De ce fait, les adipocytes et leur sécrétome sont susceptibles d’impacter la croissance, l’invasion locale, la dissémination métastatique et la résis- tance cellulaire aux traitements conventionnels.
À l’heure actuelle, les mécanismes qui sous-tendent, à l’échelle cellulaire et moléculaire, le lien entre l’obésité et le cancer mammaire ne sont pas claire- ment établis. L’hypothèse est que, dans un contexte d’obésité, les adipocytes, en raison de leur état dysfonctionnel, contribuent par le dialogue avec les cellules environnantes au dévelop pement d’un microenvironnement favorable à la cancéro genèse.
Interactions entre adipocytes et cellules mammaires saines ou néoplasiques
Afin de mieux comprendre ces interactions influencées par la surcharge pondérale, nous avons développé un modèle original de culture tri- dimensionnelle mettant en présence 3 types cellu- laires (fibroblastes, cellules mammaires néoplasiques et AM) provenant de femmes de poids normal ou obèses (5). Ce modèle nous a permis de mettre en évidence des interactions réciproques entre cellules adipeuses et cancéreuses se traduisant, d’une part, par une différenciation accrue des adipocytes et, d’autre part, par une augmentation de l’expression de gènes impliqués dans la prolifération (Cyclind1, Mapk) et l’angiogenèse (Mmp9, Vegf) au niveau des cellules tumorales (5).
De façon complémentaire, nous avons montré en coculture que les AM différenciés in vitro, à partir de cellules souches adipocytaires (ASC) provenant de femmes de poids normal ou obèses (AM20 et AM30, respectivement), majorent la prolifération des cellules mammaires néoplasiques (MCF-7) ainsi
d’inhiber la prolifération des cellules myoépithé- liales mammaires (Hs578-Bst), connues pour leurs propriétés suppressives de tumeurs (données non publiées). Ainsi, les adipocytes semblent créer un microenvironnement favorable au développement tumoral en agissant sur les cellules myoépithéliales contribuant à la réorganisation, voire la complète disparition de ces cellules, comme observé lors de la cancérogenèse mammaire.
Interactions entre adipocytes et cellules souches tumorales résiduelles
Parmi les hypothèses émises pour expliquer le risque de récidive de la pathologie cancéreuse, la persis- tance des cellules souches cancéreuses (CSC) est très souvent évoquée. En effet, les CSC semblent résis- tantes aux thérapies anticancéreuses, et leur survie après traitement favoriserait le risque de rechute.
Deux modèles, bien qu’encore controversés, sont proposés afin d’expliquer la présence de ces CSC.
Le premier suggère qu’elles dérivent par mutation génétique de cellules souches, leur capacité de pro- lifération importante contribuant à l’augmentation statistique du risque d’acquisition de mutations.
Le deuxième implique une “dédif féren ciation” de cellules spécialisées ayant acquis des modifi cations génétiques leur conférant le phénotype et les fonc- tions de cellules souches.
Les CSC expriment des propriétés communes aux cellules souches (autorenouvellement et différen- ciation) et des caractéristiques propres, telles une prolifération anarchique et une différenciation anor- male contribuant à renforcer la tumorigénicité. Ces CSC, bien qu’en nombre réduit (de 0,1 à 2 % des cellules tumorales, selon les techniques), pourraient donc être à l’origine des récidives (6).
Dans l’hypothèse d’un lien entre adipocytes et CSC
résiduelles, nos travaux actuels cherchent à définir
l’influence des adipocytes (AM 20/30) sur la prolifé-
ration et la fonctionnalité des CSC. Nous avons ainsi
mis en évidence un effet stimulant de la leptine et
de l’IL-6 sur la prolifération des CSC. Ces données
préliminaires, non publiées, laissent envisager que
le tissu adipeux, de par ses interactions avec les
CSC résiduelles, peut contribuer au risque d’échap-
pement thérapeutique et de récidive, notamment
en situation de surcharge pondérale.
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Cancer du sein, tissus adipeux, régime
et alimentation Surcharge pondérale et cancérogenèse mammaire : focus sur le dialogue intercellulaire in situ
Interactions entre adipocytes et cellules endothéliales
Outre leurs effets sur les cellules mammaires tumo- rales, les adipocytes peuvent modifier la fonction- nalité des cellules endothéliales et moduler ainsi le risque de récidives et de métastases via l’angio- genèse. En effet, les cellules endothéliales parti- cipent à la néovascularisation du tissu tumoral et sont donc nécessaires à son développement.
En confrontant l’influence de milieux conditionnés issus de coculture entre AM20 ou AM30 et des cellules mammaires tumorales (MCF-7) à celle de milieux conditionnés par les AM20 ou AM30 seuls, nous avons montré que :
➤
les 2 types de milieux conditionnés issus de femmes en surpoids ou obèses (AM30) stimulent la prolifération, la migration et la formation de tubes endothéliaux (cellules HUVEC) ;
➤
les milieux conditionnés issus de la coculture des 2 types cellulaires (AM30 + MCF-7) ont un impact plus prononcé (7). Ces résultats suggèrent l’existence d’un dialogue intercellulaire permettant d’influencer le processus angiogénique, notamment en situation de surpoids ou d’obésité. La question qui en résulte est l’identification “du” ou, plus probablement, “des”
biofacteurs impliqués, présents dans le milieu condi- tionné et provenant de l’activité sécrétoire des adipo- cytes et/ou des cellules néoplasiques. Il est probable, mais difficile à démontrer, que plusieurs biofacteurs agissant de façon synergique ou non puissent parti- ciper aux effets observés.
Certaines adipokines pourraient être impliquées, notamment celles dont le taux sérique est modulé dans le cancer du sein associé au surpoids, telles que la leptine. Nous avons montré in vitro que, à une concen- tration (100 ng/ml) reflétant le taux plasmatique de la personne obèse, la leptine stimule à la fois les processus d’angiogenèse et d’invasion tumorale (8). Cependant, l’analyse des milieux conditionnés issus de coculture (AM30 + MCF7) a montré que, parmi les biofacteurs ciblés (leptine, adipo nectine, TNFα, IL-6, IL-1β, etc.), seule la concentration d’IL-6 est significativement aug- mentée (7). L’IL-6, dont la concentration plasmatique est plus élevée chez les femmes porteuses d’une tumeur mammaire, semble donc être un facteur clé du dialogue entre les adipocytes et les cellules néoplasiques.
Ainsi, chez les patientes en surpoids ou obèses, les sécrétomes adipocytaires et tumoraux, en partici- pant à la progression du processus angiogénique, semblent in fine contribuer à la formation de néovaisseaux favorisant la progression tumorale et, à terme, l’apparition de métastases.
Interactions entre adipocytes et cellules immunitaires
La majeure partie de l’infiltrat immunitaire du tissu adipeux en situation physiologique est constituée de lymphocytes T régulateurs et de macrophages de type M2. Grâce à leur sécrétion anti-inflammatoire (IL-10 et TGFβ), ils favorisent la sensibilité à l’insuline et la lipolyse. Cet équilibre semble fortement per- turbé en cas d’obésité, dans laquelle le tissu adipeux, par ses sécrétions, réoriente la réponse immunitaire vers un profil inflammatoire (M1, Th1) [9]. Dans cette situation, un dialogue intercellulaire s’installe entre les cellules immunitaires et les adipocytes : le tissu adipeux dysmétabolique induit une augmentation de la production de leptine et de résistine, notamment, et une diminution de la sécrétion de l’adiponectine.
Ces modifications conduisent à un recrutement des cellules pro- inflammatoires aux dépens des cellules anti- inflammatoires. L’envahissement du tissu adipeux par les macrophages M1 et les lymphocytes T helper 1 (Th1) conduit localement à une augmen- tation des taux d’IL-6 et de TNFα. Ces cytokines vont à leur tour renforcer l’insulinorésistance et le dys- métabolisme adipocytaire amplifiant le phénomène.
En situation de cancer, l’infiltrat immunitaire de la tumeur se caractérise par une modification de l’équilibre des cellules dites pro- ou antitumorales.
La majeure partie des cellules immunitaires de la fraction stromale est constituée de macrophages de type M1 pro-inflammatoires, favorisant l’insulino- résistance, ou de type M2, plutôt anti-inflamma- toires et conservant la sensibilité à l’insuline. Le reste de l’infiltrat immunitaire tumoral est constitué de lymphocytes T cytotoxiques (LTc) et T régulateurs (Treg) et de Natural Killer (NK). Les sécrétions adipo- cytaires favorisent, dans la tumeur, les populations de lymphocytes Treg et un fort infiltrat macropha- gique de type M2 conduisant à un environnement pro- inflammatoire favorable à la croissance tumo- rale et défavorable aux cellules cytotoxiques de la réponse antitumorale (10).
Adipokines, cytokines
et chimiokines : les messagers du dialogue intercellulaire
Au cours de la cancérogenèse mammaire, le
tissu adipeux, en raison de sa capacité sécrétoire,
module l’environnement tissulaire et interagit
avec les cellules immunitaires avoisinantes par
l’inter médiaire d’un grand nombre des biofacteurs,
pro-infl ammatoire TNFα, dont la production est majorée en situation d’obésité, favorise l’angio- genèse, la prolifération et l’invasion cellulaires, et également la sécrétion d’IL-6. En parallèle, l’inter- féron γ (IFNγ), cytokine favorisant l’immunité anti tumorale, induit un recrutement et une polari- sation des monocytes vers un phénotype de macro- phage M1. Cette cytokine pro-apoptotique induit une sécrétion d’IP10 (IFNγ-Induced Protein 10, ou CXCL10) et de MIG (Monokine Induced by IFNγ, ou CXCL9) en agissant sur les cellules environnantes.
À l’opposé, l’IL-10 est une cytokine anti-infl amma- toire et immuno suppressive qui inhibe l’expression et la synthèse des cytokines par les lymphocytes T et les macrophages. La leptine adipo cytaire stimule dans les cellules proximales la production d’espèces réactives de l’oxygène et, ainsi, majore le stress oxydant du tissu mammaire (13). Les composés pro- duits par ce stress oxydant (peroxyde, isoprostanes, aldéhydes, etc.) contribuent à l’entretien d’un micro- environnement procarcinogène dans ce tissu (14).
En situation d’obésité, les AM sécrètent également des molécules chimio-attractantes, comme MCP-1 (Monocyte Chemo attractant Protein 1), qui favorise le recrutement des monocytes au niveau tissulaire.
Une corrélation positive a d’ailleurs été établie entre le nombre de macrophages infi ltrés dans le tissu adipeux et l’IMC. MCP-1 participe à l’angiogenèse, favorise l’échappement immunitaire et la dégrada-
des cellules dendritiques. Enfi n, RANTES (Regulated on Activation Normal T cell Expressed and Secreted) est une chimiokine favorisant le développement tumoral, sécrétée en grande quantité par les cellules tumorales. Elle attire les leucocytes et monocytes, qui sont ensuite différenciés en cellules favorisant la promotion tumorale (comme les Th 2 , Treg ou les macrophages M2). Cette multitude de messagers du dialogue intercellulaire, antagonistes ou synergiques selon l’environnement, complexifi e grandement la compréhension des mécanismes initiateurs et pro- moteurs de la cancérogenèse.
Conclusion
De multiples altérations métaboliques et hormo- nales, aussi bien systémiques que microenviron- nementales, contribuent au risque accru de cancer du sein chez la femme ménopausée en situation de surcharge pondérale. La compréhension du rôle des adipocytes in situ dans les échanges intercellulaires est encore limitée du fait des diffi cultés d’investiga- tion in vivo et des limites des modèles cellulaires in vitro, aussi élaborés soient-ils. L’identifi cation des acteurs impliqués dans ce dialogue intercellulaire s’avère essentielle et prometteuse pour défi nir de nouveaux biomarqueurs pronostiques et/ou prédic-
tifs et cibles thérapeutiques potentielles.
■ Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.1. WCRF/AICR. Systematic Literature Review - Conti- nuous Update Project Report:
The Associations between Food, Nutrition and Physical Activity and the Risk of Breast Cancer.
2017. Washington, DC : Imperial College London, 2017: 120 p.
2. Latino-Martel P, Cottet V, Druesne-Pecollo N et al.
Alcoholic beverages, obesity, physical activity and other nutritional factors, and cancer risk: A review of the evidence.
Crit Rev Oncol Hematol 2016;99:308-23.
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4. Rausch LK, Netzer NC, Hoegel J, Pramsohler S.The Linkage between breast cancer, hypoxia, and adipose Tissue. Front Oncol 2017;7:211.
Toute l’équipe Edimark
vous souhaite un excellent été d’évasion et de belles lectures !
Claudie Damour-Terrasson, directrice des publications
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Cancer du sein, tissus adipeux, régime
et alimentation Surcharge pondérale et cancérogenèse mammaire : focus sur le dialogue intercellulaire in situ
5. Delort L, Lequeux C, Dubois V et al. Reciprocal interactions between breast tumor and its adipose microenvironment based on a 3D adipose equivalent model. PloS One 2013;8:e66284.
6. Bao B, Ahmad A, Azmi AS, Ali S, Sarkar FH. Overview of cancer stem cells (CSCs) and mechanisms of their regulation: implications for cancer therapy. Curr Protoc Pharmacol 2013;Chapter 14: Unit 14.25.
7. Bougaret L, Delort L, Billard H et al. Supernatants of Adipocytes From Obese Versus Normal Weight Women and Breast Cancer Cells: In Vitro Impact on Angiogenesis. J Cell Physiol 2017;232:1808-16.
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