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Un infanticide à Montamisé en 1811

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Un infanticide à Montamisé en 1811

Procès-verbal d’exécution de Marie Luçon le 16-9-1811 (AD86) Préambule

Le 18 juillet 1811, la Cour d’Assises de la Vienne, siégeant à Poitiers, condamnait à mort une jeune femme de 25 ans, Marie Luçon, servante domestique à Montamisé, pour infanticide. Le 16 septembre 1811, elle sera guillotinée à Poitiers…

Drame de la misère matérielle et morale, de l’ignorance, de la solitude. C’est cette triste histoire que nous allons vous raconter.

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La justice criminelle en 1811 et la Cour d’Assises

« Le code d’instruction criminelle de 1808 avait prévu la création de la cour d’assises en remplacement de la cour de justice criminelle qui succéda au tribunal criminel issu de la Révolution. Cette juridiction fut instituée dans chaque département par la loi du 20 avril 1810 sur l’organisation de l’ordre judiciaire et de la justice, et par décret du 6 juillet 1810.

Dans la Vienne, la cour d’assises siège à Poitiers, chef-lieu du département, à partir de juillet 1811 en session ordinaire une fois par trimestre. En cas de besoin ou de quand les affaires étaient nombreuses, elle siège en session extraordinaire. Composée d’un président, membre de la cour impériale puis royale (actuelle cour d’appel), de quatre juges assesseurs, d’un parquet et d’un jury de jugement, elle juge tous les crimes de droit commun. Le jury de jugement est composé de douze jurés tirés au sort à partir de la liste annuelle du jury établie par le préfet. Le parquet est formé d’un procureur général ou de son substitut et d’un greffier. » (1)

L’infanticide devant la Cour d’Assises

« L’article 300 du Code pénal de 1810 stipule que : « l’infanticide est le meurtre d’un enfant nouveau-né ». De cette définition, il ressort que trois conditions sont nécessaires pour que le crime soit constaté : la victime doit être un enfant, né vivant. Cet enfant doit être un nouveau-né et ce meurtre revêt un caractère plus aggravant que l’homicide, puisqu’il est présumé avoir été prémédité. Cette lecture assimile l’infanticide à un assassinat…

L’article 302 du Code pénal reflète cette sévérité en punissant le coupable d’infanticide de la peine de mort, au même titre que le parricide ou l’auteur d’un empoisonnement. » (2)

L’affaire Marie Luçon et son procès

Marie Luçon est née vers 1786 à Jardres, fille légitime de François Luçon, elle dit ne pas connaître le nom de sa mère. Elle fut servante domestique chez Soreau, laboureur au Petit-Nieuil, pendant un an puis « à la St Jean dernière je me suis retirée dans une chambre appartenant au sieur Dastre à Ensoulesse », elle est célibataire et ne sait ni lire ni écrire.

Le jeudi 14 février 1811, Jean Bertonnier et Pierre Lochon, tous deux cultivateurs à Ensoulesse, commune de Montamisé vont trouver le juge de paix du canton de St Georges pour lui dire

« qu’une fille nommée Marie Luçon était accouchée d’un enfant mâle et qu’on avait trouvé enterré dans la ruelle de son lit et qu’ils la soupçonnaient de l’avoir détruit ». Le juge de paix se déplace aussitôt pour interroger ladite fille. Elle lui déclare « que cet enfant était le sien et qu’il était venu mort ce qui fait qu’elle l’avait enterré ». Le juge Pierre Bourot après avoir examiné le corps constate « qu’il a un peu de sang sur la bouche sortant de son nez » cela lui semble suspect et décide de la transférer auprès du magistrat de sûreté de Poitiers accompagnée de deux gendarmes. Il charge le dénommé Julien Guyonnet du village d’Ensoulesse de porter le corps de l’enfant à la mairie de Montamisé afin que le Maire le fasse enterrer « comme il le jugera convenable ». Le 17 février, le magistrat au vu du rapport du juge de paix et après avoir interroger Marie Luçon décide de faire exhumer le cadavre et d’en confier l’examen à deux officiers de santé afin de savoir si l’enfant a cédé à une mort naturelle ou violente.

Le 18 février 1811 à lieu au cimetière de Montamisé l’exhumation du corps de l’enfant, en présence du Maire Toussaint Fradin, Pierre Briand sacristain, deux gendarmes, de Gaillard, médecin et Guignard chirurgien à Poitiers qui procèdent à l’examen « médico-légal » puis le corps est inhumé.

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Marie Luçon est détenue à la maison d’arrêt de Poitiers en vertu d’un mandat de dépôt, elle est à nouveau interrogée le 24 février, au palais de justice, par Augustin Guillet, premier juge au tribunal de première instance de Poitiers et directeur du jury d’accusation.

De cet interrogatoire on apprend qu’elle était enceinte d’environ un mois à la St Jean dernière, elle a accouché seule dans sa chambre d’un garçon sur les huit heures du matin, il y a « quinze jours hier », l’enfant est venu mort, « puis je l’ai enveloppé d’un linge et placé sous deux pierres au chevet de mon lit » le lendemain elle avertira ses voisins, en leur déclarant que « l’enfant était né mort » puis « je ne suis point restée couchée, j’ai continué à travailler comme à l’ordinaire ». Le juge lui fait remarquer « il a été constaté que cet enfant est né vivant et que sa mort n’a pas été naturelle » ce que nie absolument Marie Luçon.

Le 10 mars 1811, le magistrat de sûreté décide de convoquer les voisins de Marie Luçon : Jean Lochon, journalier, Pierre Lochon, cultivateur, Julien Guyonnet, journalier, André Jarasson, cultivateur, Louis Delavault, cultivateur, Jean Bretonnière, journalier, Giraud et leurs femmes, demeurant à Ensoulesse, ainsi que le juge de paix du canton de St Georges Pierre Bourot, pour avoir leurs déclarations sur « la connaissance qu’ils peuvent avoir de l’infanticide imputé à la fille Luçon ».

Le 15 mars 1811 a lieu l’interrogatoire des témoins par le juge Augustin Guillet, celui-ci va se montrer accablant pour la prévenue, ajouter à cela le rapport « médico-légale » des officiers de santé qui conclut que l’enfant est né viable et de mort non naturelle, tout cela va entrainer le juge Guillet dans son rapport du 26 avril 1811 à conclure à un infanticide avec préméditation. Le 15 mai, un jury d’accusation composé de huit citoyens conclut au délit d’infanticide avec préméditation et envoie Marie Luçon en Cour d’Assises.

(AD86) Le 18 juillet 1811, la Cour d’Assises de la Vienne, siège au palais de justice de Poitiers sous la présidence d’André Julien Picauld, conseiller à la cour impériale de Poitiers, pour le procès de Marie Luçon. Douze jurés sont tirés au sort (leur composition sociologique indique : neuf notables politiques départementaux, un médecin, un marchand et un propriétaire). L’audience publique peut commencer par la lecture de l’acte d’accusation, les témoins viennent déposer, le procureur général à développer les moyens qui appuient l’acte d’accusation, Me Chaumont avocat conseil de l’accusée à proposé sa défense, l’accusée ayant dit qu’elle n’avait rien à ajouter, le président déclare clos les débats, résume l’affaire, fait remarquer aux jurés les principales preuves pour ou contre, les questions qu’il a remis au chef du jury puis les jurés se retirent pour délibérer.

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La cour et les jurés ont repris séance dans la salle d’audience. Bardeau Clairet, chef du jury, répond : « oui, l’accusée est coupable d’avoir commis le meurtre de l’enfant dont elle est accouchée avec toutes les circonstances comprises dans le résumé de l’acte d’accusation ».

L’accusée ayant été ramenée dans l’auditoire, le greffier lui fait lecture de la déclaration du jury.

Le procureur général Bouchard a alors requis que l’accusée déclarée coupable de meurtre, soit condamnée à la peine de mort. La cour à prononcée contre l’accusée, l’arrêt de condamnation conformément au réquisitoire du procureur général.

Marie Luçon va se pourvoir en Cassation. Le 29 août 1811, la Cour de Cassation de Paris dans sa chambre criminelle va rejeter son pourvoi.

Le 16 septembre 1811, la guillotine est dressée sur la place du Pilori à Poitiers (aujourd’hui place de la Liberté) où ont lieu les exécutions publiques, sur l’heure de midi, Marie Luçon monte sur l’échafaud, le couperet tombe…

Place de la Liberté, ancienne place du Pilori (photo JF Liandier)

Laissons la conclusion de cette triste affaire à Victor Hugo.

Victor Hugo par Nadar vers 1884

Toute sa vie, Victor Hugo s’est fait le défenseur de l’inviolabilité de la vie humaine à travers ses écrits, ses combats politiques, ses dessins et tableaux. Il va se positionner contre la peine capitale avec de nombreuses interventions publiques.

Parmi ses nombreux textes citons son intervention le 11 juin 1851 devant la Cour d’Assises de la Seine avec ce court extrait :

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« Oui, je le déclare, ce reste des pénalités sauvages, cette vieille et inintelligente loi du talion, cette loi du sang pour le sang, je l’ai combattue toute ma vie, – toute ma vie, messieurs les jurés ! – et, tant qu’il me restera un souffle dans la poitrine, je la combattrai de tous mes efforts comme écrivain, de tous mes actes et de tous mes votes comme législateur, je le déclare (M. Victor Hugo étend le bras et montre le christ qui est au fond de la salle, au-dessus du tribunal) devant cette victime de la peine de mort qui est là, qui nous regarde et qui nous entend ! Je le jure devant ce gibet où, il y a deux mille ans, pour l’éternel enseignement des générations, la loi humaine a cloué la loi divine ! » (3).

Lettre de Victor Hugo au président d’un meeting organisé à Liège (26 février 1863) :

« […] L’abolition de la peine de mort est désormais certaine dans les pays civilisés ; l’inviolabilité humaine est le point de départ de tous les principes, ce sera l’honneur du XIXe siècle d’avoir fait de cette vérité philosophique une réalité sociale et d’avoir effacé du front auguste de la civilisation la tache de sang (…). » (3).

Le Dernier jour d'un condamné Victor Hugo (1802-1885), auteur, 1829.

Manuscrit autographe. Papier vergé et filigrané

Bibliothèque nationale de France, Manuscrits, NAF 13376, fol. 20v°

Notes :

- Magistrat de sûreté : nom donné à des fonctionnaires chargés de la poursuite des délits ; ils sont remplacés par les procureurs impériaux. (Dictionnaire le Littré)

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- La place du Pilori à Poitiers : « En 1396, un pilori y fut édifié pour attacher les criminels…

en 1793, le pilori fut remplacé par une guillotine… la Terreur organisée par le conventionnel Piorry fit tomber ici 28 têtes. En 1822, un conspirateur de marque, le général Berton y fut exécuté… en 1900, la place du Pilori devint la place de la Liberté. Pour qu’on ne s’y trompe pas, une grande statue de la Liberté fut élevée au centre et inaugurée en 1903… ».

(Dictionnaire de Poitiers, Hubert Le Roux).

- Une réplique (en réduction) de la statue de New York « La Liberté éclairant le monde » (œuvre du statuaire français Auguste Bartholdi). L'œuvre, offerte à la Ville, est dédiée « aux défenseurs de la Liberté ». Elle est inaugurée le 14 juillet 1903.

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- Exécution du Général Berton le 3-10-1822 place du Pilori (Médiathèque F.Mitterand) -

- Le 16 juillet 1811, la Cour d’Assises de la Vienne jugeait Marie Lecompte, 35 ans, de Chaunay pour infanticide, la préméditation n’ayant pas été retenue, elle sera condamnée à 20 ans de réclusion en maison de force, six heures d’exposition et aux dépens. Dans la période 1811-1906, les infanticides représentent 6% des inculpations en Cour d’Assises de la Vienne et 11% entre 1907 et 1940. (1)

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- Avenir de la Vienne du 29-8-1811 (AD86)

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Sources :

- (1) ADV Répertoire méthodique de la Cour d’Assises de la Vienne (1811-2001).

- (2) Simone Geoffroy-Poisson, « L’infanticide devant la cour d’assises de la Haute-Marne au XIXe siècle », Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques.

- (3) Victor Hugo et la peine de mort, dossier documentaire du musée « la Maison de Victor Hugo ».

- ADV cote 2 U 531, dossiers de procédure, partie nominative (1811-1901).

Montamisé le 14 mars 2021

Article de Jean-François LIANDIER

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