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La ville et les quartiers en train de se faire au rythme des projets urbains : une sociologie de l’expérience socio-spatiale des nouveaux quartiers

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Academic year: 2021

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La ville et les quartiers en train de se faire au rythme

des projets urbains : une sociologie de l’expérience

socio-spatiale des nouveaux quartiers

Julien Aimé

To cite this version:

Julien Aimé. La ville et les quartiers en train de se faire au rythme des projets urbains : une soci-ologie de l’expérience socio-spatiale des nouveaux quartiers. Socisoci-ologie. Université de Lorraine, 2018. Français. �NNT : 2018LORR0192�. �tel-03185037�

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Ce document est le fruit d'un long travail approuvé par le jury de

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Université de Lorraine

UFR Sciences humaines et sociales – Nancy École Doctorale Fernand Braudel (ED411)

THÈSE

en vue l’obtention du

DOCTORAT DE L’UNIVERSITÉ DE LORRAINE

Mention Sociologie

La ville et les quartiers en train de se faire au rythme des

projets urbains :

Une sociologie de l’expérience socio-spatiale des nouveaux

quartiers

Présentée et soutenue publiquement le 16 novembre 2018 par

JULIEN AIMÉ

Sous la direction de Hervé Marchal

Composition du Jury :

Laurence Costes Professeure à l’université Paris-Est Créteil Rapportrice Philippe Hamman Professeur à l’université de Strasbourg Rapporteur Jean-Marc Stébé Professeur à l’université de Lorraine Examinateur Ewa Bogalska-Martin Professeure à l’université Grenoble Alpes Examinatrice

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Re me rc i eme nts

À la mémoire de Christine Lagravière, ma mère. Parce qu’une thèse n’est jamais un travail solitaire, il me faut remercier tous ceux qui ont participé de l’achèvement de cet exercice au premier rang desquels se trouve mon directeur de thèse, Hervé Marchal qui a su m’accompagner lors de ce périple et me donner confiance en moi. Je remercie très chaleureusement mes correctrices Martine et Chantal, ainsi que Benoit Stahl pour la traduction et la correction du résumé. Je remercie ensuite mes collègues et amis sociologues ou doctorants sans qui je ne serais probablement jamais arrivé au terme de ce travail : Thibaut Besozzi, Jean-Baptise Daubeuf, Antoine Perrin, Fahimeh Seyedmazloum, Pauline Bascou et Raphael Challier. Je remercie aussi l’ensemble des participants aux séminaires de sociologie urbaine : Marisol, Cécile, Mirjana, Romain, François et particulièrement Jean-Marc Stébé pour ses remarques et conseils bienveillants. Je tiens également à remercier les membres du 2L2S et particulièrement Virginie Vathelet et Lætitia Renard qui m’ont orienté dans le dédale administratif de l’université, mais aussi Fabienne Dumont et Aude Meziani au titre de l’École Doctorale. Je salue ensuite les doctorants « du haut » et les participants aux séminaires « off ». Il convient enfin de remercier mes parents, proches et amis qui m’ont soutenu par leur amitié sans faille et couvert de leur affection. Je remercie enfin et tout particulièrement Marine qui a accepté mes sautes d’humeur, m’a supporté et m’a entouré de tendresse pendant toutes ces années de travail.

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Ré sumé

Plusieurs villes moyennes de l’est de la France se sont lancées, dans le courant des années 2000, dans la conception de nouveaux quartiers principalement dédiés à l’habitation. Dix ans plus tard, les premiers logements sont livrés aux propriétaires et aux locataires qui investissent les lieux et commencent à se les approprier. Ce travail de thèse a pour objectif de rendre compte de l’expérience socio-spatiale de ces habitants à partir d’une méthode de recherche qualitative et d’une approche sociologique compréhensive. Cette recherche porte plus précisément sur trois quartiers en train de se faire dans deux villes moyennes de l’est de la France et s’appuie sur un matériau empirique constitué d’entretiens semi-directifs et non-directifs menés auprès des habitants des quartiers, indépendamment de leur statut d’occupation, et des concepteurs (élus, techniciens, urbanistes, etc.). Afin de saisir l’expérience socio-spatiale dans toute sa complexité, d’autres méthodes d’enquête ont été mises en place : analyse structurale du dispositif de communication des nouveaux quartiers (publicités, images numériques, maquettes, etc.) ; réalisation d’une carte mentale lors des entretiens avec les habitants ; observation d’activités et de réunions de quartier ou de concertation. À la manière d’Henri Lefebvre, l’espace des nouveaux quartiers est analysé au prisme de la triplicité de l’espace, laquelle distingue l’espace conçu, l’espace perçu et l’espace vécu. Ces différents moments de l’espace sont étudiés séparément – afin de mettre en exergue la dialectique propre à chaque moment – puis assemblés à nouveau dans le but de montrer la tension qui les anime. Porter attention à l’espace conçu invite à questionner le mode de production contemporain de la ville qui s’incarne depuis les années 1980 dans la notion de projet urbain. L’espace conçu est aussi un espace vendu, un espace virtuel, modélisé en 3D dans des publicités qui présentent les lieux en construction de manière utopique et les donnent comme « prêts-à-habiter ». Pourtant, ces espaces idéaux sont aseptisés, lissés et standardisés. Les nouveaux quartiers existent également dans la pratique concrète de l’espace, dans l’espace vécu. Même si les habitants sont pris dans divers réseaux d’appartenances, mêmes s’ils pratiquent la ville à la carte, en fonction de leurs histoires, de leurs habitudes ou de leurs compétences propres de mobilité, le nouveau quartier est un espace qui fait sens, à la fois comme lieu, comme territoire et comme milieu. Seulement, la présente étude montre que le nouveau quartier ne fait pas toujours sens de la même manière, qu’il est dépendant des moments, des contextes et des situations dans lesquels il est mobilisé, qu’il est un enjeu identitaire et représentationnel. De plus, l’étude fait apparaître des logiques de distinction sociale et de normalisation de l’espace public qui donnent forme et consistance au quartier.

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Abstr ac t

In the course of the 2000 s, several medium-size cities in the East of France decided to design new neighborhoods dedicated mostly to housing. Ten years after, the first accommodations were made available to both homeowners and tenants, who began to occupy and appropriate those locations. The aim of this research, which relies on a ‘‘comprehensive’’ sociological approach in conjunction with qualitative research methods, is to give full account of the socio-spatial experience of the residents. More precisely, this PhD focuses on three neighborhoods in the making located in two medium-size cities in the East of France and is based on empirical material that includes semi-structured as well as unsemi-structured interviews of the residents – independently of their occupancy status – and of the designers (elected officials, technicians, city planners, etc.). The following research methods were also used to fully comprehend the complexity of the socio-spatial experience : a structural analysis of the communication campaigns around developing neighborhoods (advertisements, digital images, scale models, etc.) ; the creation of mental maps during resident’s interviews ; and participant observations of neighborhood community meetings. The space of the developing neighborhoods is analyzed following Henri Lefebvre’s model of the “spatial triad”, which divides space into “the conceived space” (or representations of space), “the perceived space” (or spatial practice) and “the lived space” (or representational space). Each of these moments is studied separately – to highlight the dialectic behind each moment – then together again to show the tensions at work. Focusing on the conceived space invites us to question the contemporary production method of cities which is embodied since the 1980 s by the concept of ‘‘urban project’’. The conceived space is also a marketed space, a virtual space, a 3D model space appearing in advertisements presenting the accommodations which are still under construction as a ready-to-live-in utopia. However, these ideal spaces are aseptic, bland and standardized. The developing neighborhoods also exist through their concrete practice, through the lived space. Although the local residents develop multiple identities and affiliations, even if they practice the urban world differently because of their backgrounds, their habits or their own mobility capabilities, the new neighborhood is a significant place both as a location, a territory and a milieu. Nevertheless, this research shows that new neighborhoods do not always carry the same significance but are highly dependent on the moments, contexts and situations when they are mobilized, that they truly represent an identity and representational issue. Furthermore, this dissertation also explores the social distinction process as well as the ongoing normalization of public spaces throughout the study of those districts in the making.

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S o m m a i re d e l a t h è s e

Remerciements...I Résumé...III Abstract...IV Introduction générale...1 De l’urbain au quartier...19 Épistémologie de la thèse...28 Méthodologie de la recherche...34 Plan de la thèse...44

Partie I L’espace conçu des nouveaux quartiers : l’urbanisme à l’ère des projets urbains...47

Introduction de la partie I...48

1. Définition du projet urbain...52

1.1. Du projet…...52

1) La culture du projet...53

2) Typologie de la notion de projet...56

3) Introduction socio-anthopologique à la notion de projet...60

1.2. … Au projet urbain...66

2. Les conditions d’apparition de la notion de projet urbain...78

2.1. Le projet urbain comme émergence critique face au paradigme fonctionnaliste...78

1) Du fonctionnalisme…...78

2) … À sa critique...80

2.2. Du plan au projet...83

1) Le plan et la planification...83

2) Le projet pour pallier les apories de la planification...86

2.3. Le rôle de la décentralisation dans l’avènement du projet urbain...88

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2) Décentralisation des compétences en matière d’aménagement du territoire...90

3. Problématiques autour du projet urbain...93

3.1. Le redimensionnement du rôle des acteurs de la ville...93

1) Faire la ville pour ses acteurs...93

2) Vers une redéfinition du rôle des maires ?...97

3) L’affirmation de la ville-acteur...99

3.2. La dimension politique du projet urbain ou la démocratie locale à l’épreuve...102

3.3. Penser le temps des projets urbains...110

1) Le temps de la ville...112

2) Le projet urbain comme succession de moments dans un temps long...113

3) Les projets urbains à la rencontre des temps...117

3.4. Le projet urbain comme processus politique de gentrification...122

1) Comprendre le processus de gentrification...125

2) Projets urbains et gentrification...127

Retour sur les principes du projet urbain...129

Conclusion de la partie I...134

Partie II Le quartier vendu : interroger le dispositif public de communication du projet urbain...137

Introduction de la partie II...138

1. Communiquer un projet : produire des images marketing...141

1.1. Définir le concept d’« image marketing »...147

1.2. L’image marketing comme forme actualisée du projet virtuel...152

1.3. L’image comme « objet » d’étude...156

1.4. Les acteurs de la communication du projet urbain...159

2. Les modalités de « visualisation » de l’image marketing : Étudier les cadres de la communication et la structure des images...166

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2.2. Étude des modes de visualisation des images du projet...169

1) Les modes de visualisation spatialement situés...169

2) Les modes de visualisation « nomades »...175

2.3. Structures et formes des images du projet...178

1) Forme et fonction des images numériques...180

2) Le texte des images marketing...183

3. Entre diégèse et mimétique : le message des « images marketing »...189

3.1. Image signifiante et projet signifié...189

3.2. L’image comme représentant d’un espace absent...192

3.3. Les images marketing : simulacre, illusion ou scénario ?...194

3.4. De la ville produite à la ville produit...205

3.5. Effets de contextes et de décontextualisation des images du projet...209

3.6. L’utopie « cachée » des images marketing...214

4. La part du spectateur...223

4.1. Du centrement au décentrement : l’image n’existe pas sans le sujet, le quartier n’existe pas sans l’image...225

4.2. L’observateur face au paysage de l’image marketing...232

4.3. La mise « en visite » des projets urbains à travers les images marketing...233

4.4. Le temps des images...236

Conclusion de la partie II...240

Partie III : L’espace vécu des nouveaux quartiers...247

Introduction de la partie III...248

1. Le logement au cœur de l’identité socio-spatiale des habitants...253

1.1. Le sens positif du logement...253

1) Se loger pour exister...253

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3) Acheter sur plan...266

1.2. Un vécu désenchanté...270

1) Un investissement pesant...270

2) La mise en attente de l’appropriation...274

3) Entre discours martial et mise à distance...280

2. Pratiques urbaines et représentations socio-spatiales...289

2.1. Une pratique à l’échelle de l’agglomération...289

2.2. La bonne place du quartier dans l’agglomération...297

2.3. La récurrence des représentations socio-spatiales...301

1) L’image du « quartier-village »...305

2) L’image dégradée des cités de grands ensembles...310

3) L’imaginaire négatif des cités-dortoirs...317

4) Les représentations de la ville...320

3. Le quartier comme espace collectif...326

3.1. Voisinage et espace de la sociabilité...327

1) La figure du bon voisin...327

2) Vers la neutralisation des espaces communs...334

3) Le nouveau quartier comme support de distinction...336

4) La faible pratique de l’espace public...342

5) Les espaces-temps du « nous »...346

3.2. Faire quartier par l’association...349

1) Du « nous » juridique à l’élaboration de l’acteur collectif : création et mission de l’association de quartier...350

2) L’association de quartier est un acteur collectif et un sujet politique...354

3) L’appropriation du quartier par l’action collective : Observation d’un nettoyage d’Automne...360

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4) L’association comme instrument de sociabilité...365

5) Du lien de participation élective à l’entre-soi normatif...370

4. Vivre les nouveaux quartiers...380

4.1. Le quartier des cartes mentales...380

4.2. Vivre un quartier en chantier...399

4.3. Appartenance, reconnaissance et validation de l’existence...406

4.4. Vieillir dans un nouveau quartier...418

Conclusion de la Partie III...427

Typologie des expériences socio-spatiales des nouveaux quartiers...430

1) Les natifs ou connaisseurs...432

2) Les étrangers...433

3) Les captifs...434

4) Les rescapés...435

Conclusion générale...437

Du paradigme lefebvrien à la triplicité de l’espace des nouveaux quartiers...439

Limites de notre recherche...443

L’expérience fragmentaire des nouveaux quartiers...445

Penser la ville en train de se faire comme un processus...449

En guise de conclusion...456

Bibliographie...459

Index des illustrations...485

Annexes...489

Annexe n°1 : Grille d’entretien pour les habitants...490

Annexe n° 2 : exemple de fiche d’analyse compréhensive...492

Annexe n°3 : Projet rédigé dans le cadre du contrat de recherche pour l’étude de Vivec et Balmora ...493

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Annexe n°4 : Lettre d’accréditation...496 Annexe n°5 : Exemple d’entretien informel...497 Annexe n°6 Images numériques et images marketing...498

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De l’ancienne gare de triage il ne reste qu’un portail de pierre et de fer forgé, dernier vestige des années d’industrialisation du centre-ville historique. Dans les années 1990, l’entreprise exploitante déplace son activité en banlieue, le site ferme et le terrain est rapidement acheté par la municipalité, laquelle négociait depuis plusieurs années une acquisition. Ce terrain reste en friche jusqu’au lancement des travaux du nouveau quartier à la fin des années 2000. C’est sur cette ancienne friche industrielle que le quartier de Vivec1 se

construit actuellement. Le nouveau quartier s’étend au sud de la gare ferroviaire sur près d’un kilomètre. En fait, il tourne le dos à la gare, dans la mesure où le bâtiment principal, inscrit au patrimoine historique français, donne en direction du nord. Pour rejoindre Vivec, il faut alors traverser les voies ferrées et passer par l’autre versant de la gare, par l’entrée secondaire. Cette entrée est d’ailleurs beaucoup moins monumentale que l’entrée principale, scellant dans la pierre le sens des flux entre la gare et le centre-ville qui se trouve plus au nord.

1 Tous les noms de quartiers ont été rendus anonymes, de même que les noms de villes ou de villages.

Illustration 1: Plan de masse de Vivec. À droite le quartier prévu, à gauche ce qui était construit au moment de commencer notre recherche (Source :

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Depuis la gare, on arrive directement dans la partie nord du quartier. Il faut alors traverser une passerelle piétonne pour rejoindre la Halle – un bâtiment imposant qui accueille exclusivement des entreprises – et le parvis qui mène vers un musée national issu de la décentralisation de la culture. Ce parvis est emprunté chaque jour par des centaines de passants, travailleurs, touristes ou habitants, ce qui en fait l’espace le plus fréquenté du quartier. Ces différents édifices (le parvis, la Halle et le musée) ont été les premiers à être construits et furent livrés par les promoteurs en 2010. Leur alignement crée une perspective en direction de l’est qui cache à l’observateur tout le sud du quartier. Pour apercevoir les autres bâtiments du quartier, il faut rejoindre la route qui sépare le musée du parvis, laquelle est dédiée au passage du transport collectif en site propre, un tram monté sur roue circulant dans une voie qui lui est exclusivement réservée.

Les premiers immeubles d’habitation se situent immédiatement derrière la Halle et continueront à s’étendre vers le sud. À l’heure où nous commençons notre terrain (début 2015), cinq immeubles ont été construits, la majeure partie du quartier étant encore en chantier. Il s’agit de bâtiments imposants à l’architecture moderne, composés de 7 ou 8 étages. Aux pieds des immeubles se trouvent des cellules commerciales, vides pour la plupart. De l’autre côté de la rue et face à ces bâtiments se trouve le chantier d’un centre commercial de plusieurs centaines de boutiques qui ouvrira au début de l’année 2018. Il y a une rue qui

Illustration 2: Vue panoramique sur le musée, la Halle et le parvis. Derrière la Halle, on peut voir le haut des bâtiments d’habitation (Source : Google street view).

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sépare la Halle et le musée des immeubles de logements, et celle-ci semble particulièrement hermétique. En effet, comme nous l’indiquions plus tôt, le parvis et le musée accueillent des passants, touristes ou employés, mais ces derniers ne traversent pas la rue en direction du sud.

La rue qui, à terme, devrait traverser l’ensemble du quartier (celle qui sépare les habitations du chantier du centre-commercial) est pour l’instant une impasse permettant aux habitants de rejoindre leurs parkings privés. Les corps de bâtiments forment un « U » ouvert sur la partie ouest du quartier. La façade d’une partie des bâtiments donne sur le chantier du centre-commercial et sur la voie ferrée qui sépare le quartier du grand parc public attenant. Cette dernière, haute de plusieurs mètres de haut, forme une barrière visuelle importante. Il faut résider au troisième étage pour voir par-delà. Dans les immeubles, les terrasses donnent sur l’intérieur du U, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas visibles depuis la rue et qu’elles font face à l’extérieur du quartier. D’ailleurs l’architecture des bâtiments empêche de savoir ce qui se passe à l’intérieur. L’entrée des immeubles est assez semblable d’un promoteur à un autre : de grandes portes vitrées donnant sur un hall où se trouvent alignées les boites aux lettres des habitants, puis une seconde porte vitrée qui mène vers les couloirs ou les ascenseurs.

Illustration 3: À gauche le chantier du futur centre-commercial, au centre et à gauche au second plan les immeubles d’habitation. À droite, une partie de la Halle (Source : Photographie personnelle).

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Une autre partie du quartier, plus au sud, a été livrée dans le courant de l’année 2014. Cette partie est intégralement séparée de la partie nord par le chantier en cours et par d’autres chantiers à venir. Pour la rejoindre, il faut revenir sur ses pas, passer devant la Halle et descendre le boulevard qui longe le quartier par l’ouest. Ce boulevard matérialise la frontière entre le nouveau quartier et l’ancien. Sur le côté ouest, il est bordé de bâtiments d’habitations, d’immeubles de bureaux ou de commerces. À l’est, en revanche, on trouve exclusivement des immeubles de bureaux, tournés vers le boulevard et entourés de parking, ce qui renforce la dissociation des deux quartiers. Depuis le musée il faut approximativement 15 minutes à pied pour rejoindre la partie qui se trouve au sud. Cette dernière est composée de deux îlots d’immeubles dont les entrées principales donnent sur une place publique sur laquelle ont été plantés de jeunes arbres. Contrairement à la partie nord qui se caractérise par l’opacité des bâtiments, la partie sud est plus aérée et les balcons des habitants sont visibles, aménagés, habités. En revanche, les rues sont vides d’habitants ou de passants, seules passent quelques voitures qui entrent ou sortent des garages souterrains.

Illustration 4: L’arrière de l’îlot d’habitation de la partie nord, le parking et les terrasses (Source : Photographie personnelle).

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Le quartier de Vivec est un quartier à fort enjeu, pour reprendre le vocabulaire de la communication autour du projet. Il s’agit en effet, selon les mots de la municipalité, du projet le plus ambitieux porté par la métropole depuis plus d’un siècle. À terme, il devrait accueillir quelque 4 500 habitants pour approximativement 2 000 logements, mais aussi des bureaux, un cinéma, un centre commercial, un palais des congrès ou encore un hôtel de luxe conçu par un célèbre designer. Ce choix stratégique n’est pas anodin dans la mesure où la gare à proximité accueille, depuis une dizaine d’années, le TGV en provenance de Paris. Ainsi, chaque jour, des travailleurs parisiens font l’aller-retour en direction de la capitale qu’ils rejoignent en approximativement 1h15. Le quartier cherche à les accueillir et à réduire la pression foncière dans les environs de la gare. Pour l’instant le quartier est en chantier, la majeure partie de celui-ci ne sera pas construite avant au moins cinq ans. Les engins de travaux tournent continuellement pendant la journée, les grues se donnent à voir depuis des centaines de mètres aux environs et les à-côtés du chantier sont marqués par le labeur. Les espaces publics ne sont pas tous construits, les locaux commerciaux sont encore vides ou utilisés comme « espaces de vente » pour les appartements des nouveaux bâtiments.

Illustration 5: Les quelques bâtiments de la partie sud du quartier de Vivec, donnant sur la place. En arrière plan à droite, un immeuble de bureau (Source : Google street view).

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À un kilomètre au sud-est de Vivec se trouve l’écoquartier de Balmora. Ce dernier est également en cours de construction, sur un ancien champ à flanc de coteaux. Si le quartier de Vivec vise à loger des grands navetteurs, Balmora a été conçu pour juguler la fuite des ménages de l’agglomération en direction du périurbain. En effet, selon l’institut national de la statistique et des études économiques (INSEE2), la ville perd chaque année un petit peu plus

de 1 % de sa population en raison des déménagements. Aux premières heures de terrain, seuls deux îlots sont construits, ce qui représente en tout une petite centaine de logements. Le premier îlot est composé d’un bâtiment principal, haut de 8 étages. Il est flanqué de deux autres bâtiments de trois à quatre étages. Ils relèvent tous du parc privé et concentrent donc principalement des locataires et des propriétaires. Pour rejoindre le pas de porte de la tour la plus haute, depuis l’unique route permettant d’accéder à l’écoquartier, il faut monter le long d’un bassin de rétention des eaux pluviales à proximité duquel ont été installés trois bancs et une petite promenade permettant de rejoindre la rue qui longe le quartier par l’est.

2 L’institut national de la statistique et des études économiques produit, analyse et publie les statistiques officielles françaises. Voir aussi www.insee.fr.

Illustration 6: L’entrée de l’écoquartier de Balmora. À droite le bassin de rétention d’eau, au centre les résidences privées et à droite en arrière plan les bâtiments du parc social (Source : Google street view).

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Sur le pourtour de l’îlot privé se trouvent des locaux commerciaux, vides pour la plupart. De grands panneaux indiquent qu’ils sont toujours à louer ou disponibles. Par-dessus le grand d’entre eux, qui a vraisemblablement été construit pour accueillir une enseigne de la grande distribution, se trouve un jardin communautaire. Ce dernier, à l’image des espaces publics du quartier, semble inusité. Le mobilier urbain semble malgré tout avoir été installé.

Le premier îlot est séparé du second par une rue en pente, qui mène à un escalier permettant de rejoindre le bassin de rétention d’eau. Ce second îlot est composé de quatre bâtiments de 3 à 4 étages entourant un parking privé. Le bâtiment qui donne directement sur le bassin est dédié à l’accession sociale, aussi appelée location-accession. Ces différents termes désignent un ensemble de dispositifs visant à permettre l’accession à la propriété des ménages français les plus modestes. Ces ménages ont alors accès, sous certaines conditions de ressources, à des emprunts aidés et à faibles taux qu’ils contractent auprès d’organismes préteurs ou de banques. La location-accession découle du dispositif d’accession sociale et désigne l’acquisition progressive d’un bien. Durant une période fixée par un contrat, l’acquéreur loue le bien et doit, au terme de cette période de jouissance, décider ou non de l’acheter, contre quoi il sera contraint de déménager.

Les trois autres bâtiments sont exclusivement dédiés à la location sociale. Au moment

Illustration 7: Le jardin communautaire de l’îlot privé, donnant sur des terrasses privatives (Source : Photographie personnelle).

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où nous étions sur le terrain, deux autres îlots privés étaient en construction et les chantiers avançaient progressivement, à mesure que nous venions. Aujourd’hui, ces deux îlots ont été finalisés et les appartements livrés avec plusieurs années de retard.

Le quartier jouxte, à l’est, une rue composée de pavillons, vraisemblablement construits dans les années 1980. Les habitants de ces pavillons participèrent à des réunions de concertation durant la phase de conception, afin de faire valoir leurs revendications à propos des vis-à-vis et de la préservation des vues depuis leurs logements. Au nord, la limite du quartier est matérialisée par le mur d’enceinte d’une maison de retraite réservée aux religieuses. Au sud, à un kilomètre de l’entrée du quartier, ce dernier s’arrêtera au niveau de l’une des déchetteries de l’agglomération. Dans les plaquettes du projet, les concepteurs estiment un terme à l’horizon 2030, soit un peu plus de 15 ans après les premières livraisons d’appartement. Au total, le quartier devrait compter 1 600 logements, des commerces et peut être d’autres types de services manquant dans les quartiers voisins. La projection pour ce quartier est relativement floue. En effet, et en dépit de ce qu’indique la communication autour

Illustration 8: L’îlot de logements sociaux dans le quartier de Balmora. Au premier plan, l’immeuble de propriétaires sociaux, à droite et à gauche (au second plan), deux immeubles locatifs. À gauche, la rue séparant les deux îlots construits (Source : logiest.fr).

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du projet, le quartier a semble-t-il été retouché à plusieurs reprises en raison d’un manque d’investisseurs. De plus, il faut noter que la majorité municipale nous a signifié à plusieurs reprises son opposition face à ce projet qui a été mis en œuvre par l’ancienne majorité.

L’écoquartier de Blancherive se trouve, quant à lui, dans une autre ville et dans une autre agglomération du Grand Est. À proprement parler dans la deuxième plus grande ville de l’agglomération, qui est aussi la deuxième plus grande ville du département. Cette dernière a connu une forte urbanisation à partir de la fin des années 1950 en faisant l’objet d’une procédure d’urbanisme opérationnel « ZUP », ou Zone à urbaniser en priorité. Auparavant disséminés sur le territoire de la commune, les différents quartiers déjà existants furent joints entre eux par la création massive de grands ensembles, permettant l’accueil de près de 20 000 personnes, plus de la moitié de la population de la commune. Depuis maintenant une quinzaine d’années, la ville fait l’objet d’un projet de rénovation et de réhabilitation des grands ensembles, dans le but de se défaire de l’image de quartier sensible ou de cité-dortoir dont elle est marquée. Le projet de Blancherive s’inscrit dans cette démarche de réhabilitation. L’écoquartier se déploie en quatre phases distinctes à l’extrémité est de la ville, sur différentes friches : militaire, équestre et commerciale.

Illustration 9: Plan de masse de Balmora. À gauche le quartier tel qu’il est prévu, à droite ce qui est effectivement construit au moment de commencer notre recherche (Source : saremm.com ; modifications personnelles).

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L’ensemble du quartier est traversé par un parc achevé avant la construction des immeubles. Au sein de ce parc se trouvent deux aires de jeux pour enfants ainsi qu’un terrain de pétanque. L’intérêt et la particularité de ce parc est qu’il est traversant, c’est-à-dire qu’il relie plusieurs parties du nouveau quartier entre elles (les phases 1 et 2, aussi appelées cœur de quartier). Tout le long de ce parc se trouvent des arbres récemment plantés et des bancs de

Illustration 10: Le quartier de Blancherive. À gauche, le projet tel qu’il est, à droite le quartier tel qu’il est au moment de commencer notre recherche (Source : vandœuvre.fr ; modifications personnelles).

Illustration 11: Le parc qui traverse le quartier de part en part, réalisé avant le début des travaux. À droite il y a aujourd’hui plusieurs bâtiments (Source : Google street view).

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marbres sur lesquels ont été posés des dispositifs anti skate. Il s’agit de pièces en aluminium en forme d’équerres, vissées à différents endroits sur les bancs et empêchant la pratique de la planche à roulettes, de la trottinette ou du vélo. Nous croisons dans ce parc des parents accompagnant leurs enfants, quelques promeneurs, mais aussi des habitants promenant leurs chiens.

La première phase se trouve au cœur du quartier. C’est d’ailleurs la seule partie du quartier sur laquelle des bâtiments ont été livrés. Elle a été construite sur un ancien terrain d’entraînement militaire qui accueillait, jusqu’au milieu des années 1990, les appelés du service militaire. À l’est, passe un boulevard urbain fréquenté par les navetteurs qui entrent et sortent de la ville centre. Cela représente chaque jour plusieurs milliers de véhicules qui circulent sur cet axe, à proximité immédiate avec le nouveau quartier. À l’ouest de la première partie et au milieu du quartier passe la rue des casernes qui coupe le projet en deux parties distinctes. Dans cette première partie, trois îlots appartenant à quatre promoteurs privés ont été construits ainsi qu’un îlot, le plus éloigné depuis la rue des casernes, destiné à accueillir des habitants du parc social. C’est autour de la rue de Blancherive que ces différents bâtiments ont été construits. Au carrefour avec la rue des casernes se trouvent deux cellules

Illustration 12: La rue de Blancherive, artère principale de la première phase de l’écoquartier. Les 3 îlots relèvent du parc privé. Au bout de la rue on aperçoit le bâtiment du parc social (Source : Google street view).

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commerciales qui ont trouvé preneurs relativement tôt. La livraison des premiers logements s’est faite courant 2015 et les entreprises ont pris, quelques mois plus tard, possession de leurs locaux. C’est l’auto-école qui s’est installée la première. Chaque jour, des apprentis conducteurs patientent devant le local en attendant leur leçon de conduite. En face se trouve une boutique de sport spécialisée ainsi qu’une kinésithérapeute installée depuis quelques mois seulement. Dans la rue de Blancherive, les immeubles créent un front bâti assez imposant. Les espaces de respiration sont le parc, l’immeuble en chantier et les quelques entrées vers des parkings extérieurs clôturés par des grilles. Cette concentration n’est d’ailleurs pas spécifique à Blancherive puisqu’on retrouve cela dans les quartiers de Vivec et de Balmora.

Illustration 13: Vues sur la rue de Blancherive depuis le parc. À gauche, le front bâti et les immeubles du parc privé, à droite les immeubles du parc social (Source : Photographie personnelle).

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De l’autre côté du parc en direction du boulevard urbain deux bâtiments de logements sociaux ont été bâtis. De la sorte, ils apparaissent détachés du reste du quartier. Le boulevard urbain se rappelle ici à nos bons souvenirs. S’il était discret lorsque nous étions proches de la rue des casernes, le bourdonnement crée par la circulation se fait plus ressentir dans cette partie, de sorte qu’il double le bruit du chantier en cours.

Pour rejoindre la phase 2, il faut retourner vers la rue des casernes par la route ou le parc. Le parc longe un bâtiment neuf paré de bois et dont les murs ont été peints en vert. Les coursives sont à l’extérieur, si bien que l’on peut apercevoir les habitants rentrer ou sortir de chez-eux. Plus loin dans le parc se trouve le jardin partagé, il est géré par l’association de quartier, la seule parmi les trois quartiers que nous avons étudiés. Le jardin, grillagé et fermé au tout venant, est un espace de 50m2 environ dans lequel poussent tout type de légumes et de fruits. Il a été officiellement inauguré il y a quelques mois. Un peu plus loin dans le parc, on passe à côté de logements dits intermédiaires, un terme qui désigne un ensemble de logements dans lequel les lots ne sont pas superposés mais tous regroupés. Ici il s’agit de maisons en bandes, une série de maisons mitoyennes de 2 étages, possédant tous un jardin et une place de stationnement privative. Ces 7 logements alignés sont eux aussi détachés du reste du quartier et notamment du front bâti de la rue de Blancherive.

De l’autre côté de la rue des casernes, le parc poursuit sa route pour rejoindre le quartier voisin, lequel est composé de pavillons construits dans les années 1960. Il y a 10 ans, cet espace accueillait un centre équestre qui, pour des raisons financières, a été contraint de déménager et de fusionner avec un autre centre plus loin dans la commune. Les bâtiments et le manège ont été détruits au moment de la création du parc. C’est dans cette partie également que l’on peut trouver le terrain de pétanque, déjà aménagé, ainsi que les futurs jardins familiaux. Cette partie a fait l’objet de revendications fortes de la part des riverains qui craignaient de voir s’installer des logements collectifs derrière chez-eux et refusaient tout vis-à-vis. Les lots sont actuellement en cours de commercialisation et les travaux pourraient commencer dès 2019. Notons que sur cette partie du quartier, plusieurs arbres centenaires ont été conservés dans le but de maintenir la biodiversité et de crédibiliser le label d’écoquartier.

Les phases 3 et 4 se trouvent du côté du boulevard urbain. La phase 3 devrait être construite entre l’une des casernes et le boulevard, sur une zone qui était jusqu’alors non-constructible, en raison des activités militaires. Pour sa part, la phase 4 est entièrement coupée du reste du quartier par le boulevard urbain et devrait se construire sur le site d’un ancien

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concessionnaire et garage automobile aujourd’hui en cours de dépollution. Ces deux phases ont une vocation différente des phases 1 et 2. Elles se trouvent en entrée d’agglomération, une entrée qui, d’ici quelques années devrait être complètement réaménagée. Ainsi les concepteurs travaillant à la métropole veulent faire de ces deux espaces une vitrine de l’agglomération. Ce qui y sera construit sera plus massif (jusqu’à 8 étages), au maximum de ce qu’autorise le plan local d’urbanisme (PLU), un document qui fixe les règles d’aménagement et d’occupation des sols.

Ces trois quartiers, qui forment à la fois notre terrain et notre objet de recherche, ont plusieurs points communs, ce qui permet d’en faire un même objet à étudier, et ce malgré des différences importantes d’un territoire à un autre. Tout d’abord, ces quartiers se construisent dans des villes moyennes de l’est de la France3, prises dans des processus politiques de

métropolisation et agissant dans un contexte de lutte contre l’étalement urbain et la consommation d’espaces naturels, autant de thèmes que l’on retrouve sous le concept de développement durable urbain (Hajek, Hamman et Lévy, 2015 ; Hamman, 2012). Ces métropoles comptent approximativement 250 000 habitants et apparaissent comme les principaux bassins d’emploi de la région. L’échelle statistique la plus proche de ces métropoles est celle de l’unité urbaine, un terme qui désigne la continuité du bâti sans coupure physique de plus de 200 mètres. À cette échelle statistique, on remarque par exemple que les deux métropoles connaissent une légère baisse de population malgré un solde naturel positif de l’ordre de 0,4 % par an (source Insee). De plus, ces unités urbaines connaissent un pourcentage de logements vacants plus élevé de 2 points par rapport à la moyenne nationale (qui était en France de l’ordre de 8 % selon les chiffres de 2015), une plus faible proportion de ménages propriétaires de leur résidence principale (45 % pour ces métropoles contre 57 % pour la France) et un taux de pauvreté plus élevé de 5 points par rapport à la moyenne nationale. C’est dans ce contexte que les villes moyennes de ces métropoles ont choisi de lancer des projets urbains importants qui devraient, à terme (et tous quartiers confondus) héberger un peu plus de 8 000 personnes. Ajoutons à cela la proximité du Luxembourg, de l’Allemagne ou encore de la Belgique qui fait de ces territoires des zones dynamiques, en raison notamment du travail transfrontalier qui mobilise de nombreux habitants de ces métropoles. Nous pouvons ajouter également la proximité de ces métropoles avec Paris que l’arrivée du TGV à la fin des années 2000 a placé à 1h30 en transport ferroviaire. Enfin, ces

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quartiers sont péri-centraux, dans la mesure où ils ne se trouvent pas au cœur de la centralité historique et administrative de ces métropoles, mais en sont suffisamment proches pour que cette centralité ait une importance dans l’existence quotidienne des habitants.

Ensuite, les trois quartiers ont en commun d’être nouveaux et en train de se faire, ce qui est loin d’être un simple détail, notamment d’un point de vue morphologique. Les bâtiments neufs, s’ils sont tous différents, partagent une architecture moderne qui permet à l’observateur d’identifier de manière relativement précise les limites des quartiers. Ainsi les arbres sont jeunes, les chaussées et trottoirs paraissent neufs, tout comme le mobilier urbain. Ces différents éléments caractérisés par leur nouveauté ont le mérite de créer une certaine cohérence sur la totalité des espaces du quartier. L’un des exemples les plus marquants concerne les lampadaires dont les mêmes modèles se retrouvent sur l’ensemble des espaces déjà construits et aménagés. Les quartiers sont également en train de se faire, ce qui, d’une autre manière, façonne le paysage et le rend reconnaissable à l’observateur qui chercherait à le saisir. Outre les travaux et chantiers qui rythment la vie des quartiers, ce que nous approfondirons dans le développement de cette thèse, de grands espaces sont laissés en friche et certains éléments du mobilier urbain ont été simplement posés, en attendant d’être définitivement installés. Les zones de stationnements ne sont pas toutes matérialisées ce qui conduit par exemple les habitants à garer leurs automobiles sur ces espaces en friches,

Illustration 14: Paysage typique des quartiers en chantier faisant face aux immeubles d’habitation. Ici la partie sud du quartier de Vivec (Source : Google street view).

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directement sur des trottoirs qui ne sont pas encore construits, sur le bord des chaussées ou encore à proximité des barrières de chantier. En raison de ce stationnement sauvage, les collectivités territoriales ont fait installer des rochers qui empêchent le passage des véhicules, rochers que l’on retrouve à divers endroits dans tous les nouveaux quartiers et qui participent de ce paysage. Il faut également indiquer que l’on trouve nombre de déchets de chantier, de déchets ménagers ou liés aux emménagements des habitants (cartons, morceaux de meubles, palettes, etc.) sur l’ensemble des territoires des nouveaux quartiers ainsi que le montrent les illustrations n° 13 et n° 14. Tous ces éléments marquent les espaces des nouveaux quartiers et leur donnent une couleur particulière. Ce paysage est également marqué par l’existence de panneaux publicitaires destinés à vendre les lots en cours de construction ou restant à construire. Ces panneaux s’affichent en particulier le long des voies passantes et se composent souvent de messages courts utilisant l’impératif pour inciter à investir dans des logements, et d’images numériques et stylisés des bâtiments à-venir.

Enfin, ces trois quartiers ont en commun d’être des zones d’aménagement concertées (ZAC). Ce terme désigne une procédure d’aménagement de l’espace urbain français en vigueur depuis les années 1970. Cette procédure vise avant tout à favoriser la concertation entre promoteurs privés et personnes publiques (communes, métropoles, etc.) dans le but de monter des opérations cohérentes sur le plan urbanistique, technique ou financier. Dans les ZAC, les communautés territoriales sont à la manœuvre afin de réaliser les études préalables et les réunions de concertation avec les riverains et, une fois les premiers logements livrés, les habitants. « La décision de création d’une ZAC sur un territoire donné est le résultat d’une déclaration d’utilité publique (DUP) délibérée par la commune et approuvée par le préfet. Une ZAC comprend un plan d’aménagement de zone (PAZ), avec ses règles de construction, ses normes. Il comprend notamment une division du territoire en lots identifiés selon leur vocation future (habitat, industrie), leur prix de vente, le type d’habitat. » (Fijalkow, 2010, p. 105) Si les quartiers de Vivec et de Balmora sont des ZAC municipales, l’écoquartier de Blancherive est une ZAC communautaire. Cela signifie qu’il est à l’initiative de la métropole, laquelle a acheté un terrain sur le territoire d’une municipalité. La commune joue alors un rôle secondaire, mais toujours important, dans la création et l’élaboration du projet de ZAC.

Nous avons cherché ici à dresser le portrait des nouveaux quartiers sur lesquels porte notre travail de thèse, avec toute l’honnêteté intellectuelle dont nous pouvions faire preuve.

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Nous voulions les saisir dans leur objectivité la plus dépouillée, les observer et les présenter du dehors, en dégageant tant que faire se peut des pistes de réflexions et des hypothèses concernant la morphologie de ces quartiers et du lien qui serait susceptible d’exister entre vie quotidienne et forme de l’habitat, entre la forme et le sens (Levy, 2005 ; Pellegrino, 2002). Mais qu’apprenions-nous vraiment sur ces territoires si ce n’est l’illusion d’un savoir immédiat (Bourdieu, Chamboredon et Passeron, 1973) ? Ne faisions-nous pas que projeter sur le terrain une vague connaissance des projets politiques dont nous lisions les contenus sur les sites internets ou dans des articles de journaux ? Les quartiers que nous décrivions allaient-ils de soi (Neveu, 2006) ? Finalement, il est apparu qu’aucun résultat ne pouvait émerger de ces descriptions, si riches et sensibles soient-elles. Nous ne faisions à peine qu’effleurer la réalité sociale de ces territoires, de ce qui s’y déroulait, de ce que signifiaient véritablement ces quartiers pour ceux qui y habitaient au quotidien, qui prévoyaient parfois d’y faire leur vie, qui y passaient leurs week-ends, leurs nuits ou qui y voyaient grandir leurs enfants. Tout ce qui faisait la richesse des quartiers nous échappait. Pour pénétrer à l’intérieur des bâtiments, pour sortir de l’espace public et atteindre les espaces communs, collectifs, partagés, intimes mais aussi pour comprendre la manière dont ces espaces étaient agencés et ce qu’ils signifiaient pour les habitants, il nous fallait dépasser l’objectivisme naïf (Sansot, 2009a), et soulever le « voile qui s’interpose entre les choses et nous et qui nous les masque d’autant mieux qu’on le croit plus transparent » (Durkheim, 2017, p. 16). Au-delà du quartier, c’est la figure de l’habitant qui nous intéresse en tant qu’être humain qui déploie une capacité à habiter, ce dernier terme étant entendu comme un fait anthropologique débordant à la fois l’habitation et l’être (Paquot, 2005). Il nous faudra tout d’abord éclairer les concepts de quartier et d’habiter au prisme de notre positionnement épistémologique et théorique, tirant parti d’une sociologie de la vie quotidienne inspirée entre autres des travaux d’Henri Lefebvre, et d’une sociologie de l’expérience, des individus et de l’identité (Boltanski, 1990 ; De Singly, 2015 ; Dubet, 2016 ; 2017 ; Marchal, 2012).

Avant de nous prêter à cet exercice, précisons les raisons du choix de notre terrain et de notre sujet. Nous avons commencé à nous intéresser à ces quartiers à la fin de l’année 2014 dans le cadre d’une recherche d’une année pilotée par le pôle urbanisme de la municipalité dans laquelle se situent les quartiers de Vivec et de Balmora. En l’absence de données statistiques officielles et de réunions de concertations, la municipalité souhaitait obtenir des informations concernant les attentes et les représentations des habitants de ces

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quartiers en train de se construire, et dont les premiers logements avaient été livrés moins de 2 ans auparavant. Après 6 mois passés sur le terrain, nous avons officiellement remis aux services de la ville un rapport de recherche d’une petite centaine de pages (Aimé, 2015). À la fin de l’année 2016, nous avons décidé, en accord avec notre directeur de thèse, d’ouvrir un nouveau terrain afin d’ajouter un troisième élément de comparaison. Nous avons choisi Blancherive pour sa proximité avec notre lieu de résidence et pour notre connaissance de la métropole dans laquelle le quartier était en train de se construire.

D e l ’ u r b a i n a u q u a r t i e r

Pour penser le quartier il faut, à notre sens, commencer par le dépasser et ce avant même de le définir. Il faut changer d’échelle et certes penser la ville – sans laquelle le quartier n’existerait pas – mais également penser l’urbain, dans la mesure où il s’agit d’un phénomène spatial global et planétaire, de la condition humaine contemporaine.

L’urbain n’est pas à proprement parler un espace, mais un vide faisant appel au contenu, pour parler comme le philosophe et sociologue Henri Lefebvre. Cet auteur, central pour notre travail, a été l’un des premiers à poser l’hypothèse de l’émergence de la société urbaine, laquelle devait révolutionner jusqu’à la vie quotidienne des êtres humains (Lefebvre, 1968 ; 1970). Sous sa plume, l’urbanisation désigne un processus qui « transcende tous les aspects de la société contemporaine et, notamment, le champ des représentations, celui des relations sociales et de pouvoir, celui de la culture et de l’art » (Costes, 2010, p. 180). Les sociologues urbains qui lui ont succédé n’ont pu que confirmer cette hypothèse et constater l’éclatement de la ville traditionnelle au profit de l’urbain généralisé, de sa culture ou de son esprit (Choay, 1999 ; Lussault, 2007b ; Marchal et Stébé, 2014a). Car l’urbain n’a pas seulement transformé l’espace, il a aussi « lissé les aspérités de la vie sociale, a homogénéisé les activités quotidiennes des individus, a standardisé les pratiques culturelles, a individualisé les temps familiaux et a globalisé de nombreuses références identitaires, même si l’urbain a aussi permis, dans une certaine mesure, de bricoler sa différence en termes de culture, d’identité et de vie sociale » (Marchal et Stébé, 2014a, p. 47). Pour résumer, nous serions tentés de dire que l’urbain a fait des êtres humains des individus semblables mais tous différents.

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À l’image de la ruralité qui renvoie au mode de vie de la campagne, l’urbanité s’exprime principalement dans la ville. Cette opposition est aujourd’hui plus floue puisque, à mesure que l’urbain s’étend, le rural s’urbanise (Stébé et Marchal, 2010). Toujours est-il qu’aujourd’hui, plus de la moitié de la population mondiale vit en ville, ce qui fait de cette dernière le lieu privilégié de l’urbain. En France, on peut estimer que 80 % de la population est urbaine (bien que ce chiffre fasse débat) mais aussi que 95 % de population nationale vit sous l’influence des villes (Source Insee). Aussi peut-on donner raison à Yves Grafmeyer et Jean-Yves Authier pour qui « la ville est aujourd’hui partout, sinon dans sa matérialité, du moins comme fait de société » (Grafmeyer et Authier, 2008, p. 5). Conséquemment, « la ville tient lieu de société, de monde et même de rapport au monde » (Marchal, 2009, p. 401) et le citadin devient la figure centrale de ce monde dominé par l’urbain.

Nous pouvons reprendre la définition de la ville donnée par le sociologue Y. Grafmeyer, pour qui : « La ville est à la fois territoire et population, cadre matériel et unité de vie collective, configuration d’objets physiques et nœud de relations entre sujets sociaux. » (Grafmeyer et Authier, 2008, p. 8). Étudier la ville supposerait donc de se situer entre ces deux ordres de réalité, entre le cadre bâti, la ville en dur, statique, solide et figée et la ville comme mouvement ou comme flux, la ville dynamique et vivante caractérisée par les activités sociales, la mixité, les rencontres et interactions entre individus. Pour leur part, Hervé Marchal et Jean-Marc Stébé définissent la ville comme « un point d’articulation spécifique entre un espace symbolisé, densifié, administré, différencié et limité dans son étendue, et une population agrégée, plurielle et spécialisée ; elle est la scène où se confrontent individus et matérialité, informel et formel, concret et abstrait, vécu et conçu, objectif et subjectif » (Marchal et Stébé, 2014a, p. 27-28). H. Marchal et J.-M. Stébé affirment donc tous deux que la ville est un espace matériel, un artefact mais aussi un espace social composé d’individus. Ils ajoutent un autre aspect à leur définition de la ville à savoir sa dimension sensible, poétique ou imaginaire qui innerve l’espace, qui lui donne une épaisseur symbolique. Ainsi, pour parler à nouveau comme H. Lefebvre (1974), la ville apparaît comme un espace conçu, perçu et vécu, une triplicité sur laquelle nous reviendrons. Les terrains que nous avons présentés plus tôt et sur lesquels porte notre thèse s’inscrivent donc à la fois dans la ville et dans l’urbain. Afin de désigner ces espaces, les concepteurs, les élus, les promoteurs et les vendeurs parlent de quartier, un terme qui revient régulièrement et qui se trouvait au cœur de la demande du projet de recherche formulé par la municipalité responsable des

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quartiers de Vivec et de Balmora. C’est parce que le mot quartier était donné par le terrain que nous en avons fait une unité d’observation. Aussi nous fallait-il préciser ce terme et interroger la légitimité de son utilisation.

En dépit d’une importante littérature à son sujet, le quartier « ne constitue pas un objet au contenu stable et homogène dans les sciences sociales comme dans le champ opérationnel et politique » (Authier, Bacqué et Guérin-Pace, 2007a, p. 10). Le terme reste flou notamment parce qu’il se donne comme une « construction savante appropriée par différentes disciplines en sciences sociales » (Allen et al., 2007, p. 101). Ainsi, pour saisir ce que désigne le terme quartier, il faut dépasser les clivages disciplinaires et la conception du sens commun. Afin de définir le plus précisément possible ce terme, nous nous appuierons sur l’ouvrage collectif Le

quartier écrit sous la direction de Jean-Yves Authier, Marie-Hélène Bacqué et France

Guérin-Pace (Authier, Bacqué et Guérin-Guérin-Pace, 2007b) et particulièrement sur le chapitre rédigé par le sociologue Yves Grafmeyer (2007) à propos de la vision sociologique du quartier.

Le quartier est à la fois une portion de ville, un cadre d’action, un espace de proximité spatiale et un milieu de vie (Grafmeyer, 2007). Dire que le quartier est une portion de ville suggère le lien inextricable qui lie les deux entités. La ville est donc nécessaire à l’existence du quartier. Cela suggère également que le quartier peut être désigné de l’extérieur. Pour cela, il faut qu’il possède des caractéristiques propres qui l’individualisent et rendent visible une distinction au sein de l’espace urbain. De ce point de vue, et ainsi que nous l’avons montré au début de cette introduction, les nouveaux quartiers peuvent être repérés dans l’espace urbain du fait de leur nouveauté et de leur paysage en pratique, de leur taskscape (Brayer, 2013 ; Ingold, 1993). En cela, les quartiers en train de se faire possèdent une identité particulière et morphologique, ils sont reconnaissables par celui qui chercherait à les distinguer du dehors.

En tant que portion de ville, un quartier peut être isolé du reste de l’espace urbain en raison des caractéristiques sociales de ceux qui y habitent. À ce sujet, Yves Grafmeyer (2007) traitera de l’ethnonymisation et de la toponymisation des quartiers, c’est-à-dire de la dénomination d’un espace en fonction de la population qui y réside ou bien de la fonction qu’il occupe. Aussi parle-t-on de quartiers « chinois », « indiens », « ouvriers », « bourgeois », etc. La toponymisation conduit souvent à un réductionnisme fort, même si elle peut être intéressante dans certains cas. Nous pensons par exemple au travail mené par Louis

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Wirth concernant le quartier juif de Chicago et dans lequel il montre combien la population juive apparaît animée par des tensions entre volonté de se conserver et de préserver une culture juive orthodoxe, volonté d’ouverture et influence de la culture dominante, persistance des préjugés à l’égard des juifs. Tout cela créerait au cœur de Chicago un ghetto clôturé par des murs invisibles (Wirth, 2006), et dont les frontières ont été, au fur et à mesure, intériorisées par les habitants. Pour Y. Grafmeyer (2007), ces réductions ethniques, sociales ou religieuses nourrissent l’imaginaire collectif et les représentations à propos des quartiers. Par là même, cela tend à naturaliser les frontières communément admises. C’est aussi de cette manière que les statisticiens distinguent les quartiers à partir de la distribution de la population municipale selon des critères socio-économiques. Un quartier serait alors le lieu d’habitat d’une population statistique majoritaire et homogène, une conception battue en brèche par plusieurs auteurs montrant combien le quartier « ne correspond pas, en l’espèce, à une entité réelle facilement identifiable à partir de critère simple comme l’homogénéité sociale » (Stébé et Marchal, 2010, p. 114). Pour d’autres :

« La difficulté, ou l’erreur, vient du postulat que la coexistence spatiale d’individus de catégories proches est révélatrice de l’existence d’un quartier, ce qui donne l’illusion de localiser du lien social en vertu d’un principe de contiguïté : la proximité spatiale induirait la relation inter-individuelle. » (Lévy et Lussault, 2013, p. 759)

Dans le cas des nouveaux quartiers, il apparaît immédiatement qu’ils ne peuvent être définis de cette manière en raison de l’hétérogénéité sociale de la population (une observation basée sur le type d’habitat proposé à la vente ou à la location) et de l’absence de données statistiques.

La ville est un territoire administré, une échelle politique parmi d’autres. Dans le but de gérer l’espace urbain et de l’administrer, le pouvoir politique procède à un découpage arbitraire, qui trouve sa légitimité dans certains aspects évoqués plus tôt. La distinction en quartiers de l’espace politique de la ville a vraisemblablement été le fruit d’une histoire longue et progressive, ainsi qu’en parle Yves Grafmeyer. De ce point de vue, il faut noter que les quartiers en cours de construction de Vivec, Balmora et Blancherive se situent sur des quartiers administratifs qui les débordent et dont ils dépendent. En conséquence, tous trois apparaissent comme des découpages officiels au sein d’autres découpages officiels. C’est aussi dans sa dimension politique que le quartier apparaît comme un cadre d’action, une cible

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d’intervention, ou une catégorie d’action publique (Tissot, 2007) il est une « échelle d’intervention utilisée par les politiques pour dire et faire la ville » (Bopda, 2007, p. 101). Considéré sous cet angle, il est plus qu’un simple mot, puisqu’il est un support de mobilisation et de pratiques concrètes. Finalement, en tant que cadre d’action politique, les nouveaux quartiers sont désignés comme quartiers en vertu de la pratique politique et administrative qui s’y incarne. Les zones d’aménagement concertées seraient donc des modalités politiques du « faire quartier » ou tout au moins un de ses avatars technicistes. « Faire quartier » est vraisemblablement devenu un mot d’ordre de l’action politique dans les années 1970, période marquée par la critique d’un étalement urbain jugé responsable de l’apparition des cité-dortoirs (Authier, Fijalkow et Philifert, 2007). En conséquence, il semble aujourd’hui que la relation quartier/politique a joué un rôle important dans la « relégitimation du quartier » (Vieillard-Baron, 2001). Il nous faut indiquer que c’est principalement parce que le quartier fait sens comme territoire politique que nous mobilisons cette notion dans ce travail, tout en ayant conscience de la multiplication des appartenances et des territoires dans le monde urbain contemporain.

Un autre point dans la définition proposée par Yves Grafmeyer concerne le quartier comme espace de proximité. Il entend par là dépasser la définition/assignation de l’extérieur et penser le quartier tel qu’il est vécu et exprimé par ses habitants. Le quartier peut donc être défini comme le lieu où l’on habite. Pour comprendre ce que cela signifie, il convient de préciser ce qu’habiter veut dire. Selon Thierry Paquot, qui prend appui sur la définition de Martin Heidegger, « habiter c’est être parmi les choses, donner au monde son sens et en partager la teneur avec autrui, constituant ainsi l’ensemble qui est conjointement un être-avec et un être-parmi » (Paquot, 2005, p. 139). Habiter apparaît dès lors comme un fait anthropologique et désigne le fait de désirer une demeure et de se l’approprier (Marchal, 2009), mais aussi la compétence par laquelle l’être humain confère « au lieu où il réside un sens sur lequel pouvoir s’étayer, s’adosser » (Allen, 2007, p. 141). Aussi habite-t-on son logement, son immeuble, son jardin, sa rue, son quartier, sa ville, du local au global, en faisant de tous ces espaces des possibles lieux de vie. Habiter suppose donc deux choses : un objet (le quartier, la rue, le logement, l’immeuble, l’environnement) et un sujet (l’individu). La multiplicité des objets et des sujets conduit à l’expression d’une multitude de modes d’habiter, c’est-à-dire de manières pour le sujet de se saisir de l’objet (Allen, 2007), ce qui, dans un même mouvement, dessine un grand nombre de lieux de vie aux formes toujours

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différentes et individualisées. Si la compétence à habiter se traduit en pratiques protéiformes, la psychosociologue Barbara Allen propose pourtant d’identifier des invariants, des « dimensions de l’habiter ». La première dimension est la protection, le besoin de se sentir à l’abri. La deuxième dimension renvoie au ressourcement, au sens d’un lieu permettant l’expression de l’intimité, d’un rapport privilégié à soi-même. La troisième dimension s’articule autour de la confiance accordée au lieu. Cette confiance est relative au parcours résidentiel et biographique de l’individu. La confiance permet la projection de soi, l’engagement. Enfin la quatrième et dernière dimension de l’habiter renvoie au rapport aux autres, que ces autres soient proches ou éloignés, voisins ou autres citadins (Allen, 2007). L’auteure propose ensuite de définir l’habiter comme le fait de « disposer d’un abri qui accueille l’intime et l’ouverture à autrui, demeurer dans un lieu qui permette de se sentir situé dans le temps, porteur d’un passé et ménageant une pensée du devenir » (Allen, 2007, p. 141).

En habitant le monde, les individus font des quartiers des lieux, qui leur permettent de s’ancrer et de s’enraciner, quand bien même ils prendraient des sens et des formes variables. Ces variations ont fait l’objet de plusieurs travaux montrant par exemple « que certains habitants envisagent leur quartier comme un espace circonscrit dans un périmètre clairement identifié, d’autres appréhendent leur quartier comme un réseau de lieux (équipements, monuments emblématiques, nœuds ou voies de communication, etc.) et peinent à se représenter leur quartier comme un espace précisément délimité » (Vallée, Roux et Chauvin, 2016, p. 121). Cela fera dire à Yves Grafmeyer que l’idée même de limites est inégalement pertinente et que le quartier est, pour ceux qui y habitent, une figure à géométrie variable (Grafmeyer, 2007). Le quartier apparaît donc comme un territoire parmi d’autres, pouvant faire l’objet d’une identification ou d’une appropriation mais qui n’est pas pour autant nécessaire. De la sorte, « dire que la notion de quartier est la première entrée pour comprendre la vie urbaine aujourd’hui est une illusion, mais dire qu’elle n’a aucun sens nie les réalités attachées aux découpages socio-spatiaux de la ville » (Navez-Bouchanine, 2007, p. 164).

Enfin, Yves Grafmeyer considère que le quartier est un milieu de vie « fait de personnes et de choses rassemblées et agencées selon un certain ordre » (Grafmeyer, 2007, p. 28). Cet avis est partagé par l’un des directeurs de l’ouvrage Le quartier, Jean-Yves Authier, pour qui :

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« Le quartier n’est pas seulement un décor, il constitue un milieu au sens de Durkheim, c’est-à-dire une unité productrice disposant de propriétés propres qui ont des effets sur “le cours des actions humaines” et en particulier sur les manières d’habiter et de cohabiter des individus (Authier, 2007, p. 209).

Penser le quartier comme un milieu, c’est exprimer à nouveau le lien réciproque entre l’individu et son environnement, entre sujet et objet « au croisement des caractéristiques sociales de ceux qui le peuplent et des éléments matériels et symboliques qui le qualifient, il est au principe d’un ensemble spécifique de contraintes, de possibilités, de représentations » (Grafmeyer, 2007, p. 28). Ainsi, il faut prendre en compte la morphologie des lieux, la localisation du quartier, son histoire, son image, ses ressources, tant d’éléments qui pèsent sur le quotidien des habitants, sur l’usage qu’ils peuvent faire de leur quartier, de leur logement ou de leur sociabilité. Interroger le quartier comme un milieu c’est ainsi être attentif à tout ce qui peut constituer des effets de lieux, de contexte, de milieux ou de quartiers, c’est-à-dire chercher les « propriétés sociales propres qui sont susceptibles d’exercer des effets sur les manières d’habiter et de cohabiter des individus (et des groupes sociaux) » (Authier, 2007, p. 211), sans perdre de vue que ces propriétés produisent des situations différentes en fonction de la population sur laquelle elles agissent.

Si ces quelques définitions proposent des versions différentes de ce qui est qualifié de quartier, ces versions ne s’excluent pas l’une l’autre, mais cohabitent et existent en même temps. Le quartier peut donc être à la fois territoire, lieu et milieu, son existence effective se jouant dans les allers et retours entre les découpages officiels, les processus d’identification et les représentations (Blondiaux, 1999). Aussi faut-il, pour saisir les quartiers, et particulièrement ces nouveaux quartiers, comprendre comment se trouvent agencées les différentes définitions du quartier dans l’expérience socio-spatiale des habitants mais aussi quelle valeur ils attribuent à chacune de ces définitions.

La problématique de notre travail pourrait donc se formuler ainsi : À l’heure de la métropolisation des villes moyennes et dans un contexte politique marqué par la lutte contre l’étalement urbain, certaines villes moyennes de l’est de la France se sont lancées dans la construction d’importants ensembles d’habitations mixtes (devant accueillir à terme plusieurs milliers de citadins) qualifiés de quartiers. Le processus de construction s’inscrit dans la durée

Figure

Illustration  1: Plan de masse de Vivec.  À  droite le quartier prévu, à gauche ce qui était construit   au   moment   de   commencer   notre   recherche   (Source : https://www.investinmetz.com/fr ; modifications personnelles).
Illustration  3:  À  gauche   le  chantier  du  futur   centre-commercial,   au  centre  et   à gauche au second plan les immeubles d’habitation
Illustration 4: L’arrière de l’îlot d’habitation de la partie nord, le parking et les terrasses (Source : Photographie personnelle).
Illustration 5: Les quelques bâtiments de la partie sud du quartier de Vivec, donnant sur la place
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