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MARC RACONTE LEUR PREMIERE RENCONTRE.

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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L’attente.

Ils auraient pu se rencontrer sur une plage, sur un chemin de randonnée, dans une réception. Ils se croisèrent, c’était en juin, dans une rue du vieux Montpellier. Leurs regards s’accrochèrent comme on se bouscule en passant et que l’on se retourne pour s’excuser. Ils restèrent un moment à se regarder, étonnés, puis à se sourire, puis à s’approcher l’un de l’autre. Elle a soudain pensé « je voudrais qu’il m’embrasse, là tout de suite ». Il s’est dit « je ne vais pas l’embrasser tout de même ! ». Ils étaient pressés, chacun avec des obligations professionnelles. Ils se sont pourtant assis à la terrasse du café le plus proche et ont parlé, de tout, de la ville, de cinéma, de littérature, du quotidien, de la mode, du plaisir des plats et des bons vins … Leurs paroles se mêlaient comme des bras qui se nouent. Ils s’interrompaient sans cesse, pressés qu’ils étaient de se dévoiler et de dire à l’autre. Marc a évoqué la solitude et de la beauté physique des belles âmes. Elle a dit qu’elle aimait la nuit de la ville, les plages en hiver, la brocante … les chevaux parce qu’ils sont grands et craintifs et les chiens parce qu’ils sont fidèles. Elle lui a parlé d’un merle qui venait la voir sur son balcon. Ils avaient tous les deux un peu plus de cinquante ans. Là, ils en paraissaient trente.

Quand il dit son prénom, Marc, il lui a demandé le sien. Elle a répondu, un doigt sur ses lèvres, « chut, on dira que c’est Violette ». Elle ne voulait rien savoir de son identité ni où il habitait, ni s’il était marié ou en couple (il fit non de la tête). Elle ne voulait rien dire d’elle, non qu’elle ait des choses à cacher, mais parce qu’elle vivait cette rencontre comme un moment suspendu, irréel

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qui ne pouvait s’embarrasser d’adresses, de patronymes et de numéros de téléphone. Il a accepté.

Il a dit « alors on ne se reverra pas ? ». Elle est restée un long moment silencieuse, bercée dans le rêve d’une rencontre qu’elle envisageait déjà mais à l’idée de laquelle elle ne s’était pas encore autorisée à céder. Elle lui a dit

« donnez-moi un numéro de portable je vous appellerai, peut-être. Je ne vous donne pas le mien ». « D’accord a t’il dit mais, si vous appelez, laissez-moi choisir le lieu de notre prochaine rencontre». Ils se sont quittés un peu plus d’une heure après s’être croisés. Elle était charmée presque séduite. Il savait qu’il était déjà amoureux d’elle.

Depuis il a attendu qu’elle appelle. Cette attente est belle.

MARC RACONTE LEUR PREMIERE RENCONTRE.

Mi-octobre. Nous étaient convenus de nous retrouver, vers 17 heures, sur la route toute droite qui, entre mer et salines, va de Sète à Agde.

La plage longue et étroite se glisse entre la route et la mer. De là on devinait au loin, comme dans les brumes d'un mirage, une colline et les faubourgs d’une ville. Tout près, de gros piquets de bois noircis par le sel et le soleil semblaient des restes d’épaves. Plus loin, quelques pêcheurs patientaient en scrutant l’horizon marin aux pieds de leurs canes piquées dans le sable. Tout au fond, un couple de promeneurs s’éloignait. En cette fin d’après-midi d’octobre, le soleil blanc perçait difficilement un ciel laiteux. L’air était salé, le vent léger, les couleurs déjà vieilles. Le silence s’installait. La mer plus grise que bleue, plus verte que noire avec çà et là des reflets bruns, se creusait et se gonflait comme pour avaler la plage de son énorme lèvre bavant d’écume.

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Nous nous sommes baignés nus dans l’eau un peu froide. Les vagues souvent fortes nous roulaient. Nos regards se cherchaient ... nos mains se sont trouvées ... nos bras se sont attirés … nous nous sommes enlacés … nos bouches se sont jointes. La mer nous poussait sans cesse vers le rivage pour mieux nous reprendre avec le reflux.

Les jambes de Violette se sont enroulées autour de ma taille. Se laissant porter par les flots, les bras ouverts, elle s’offrait ainsi à mes caresses. Je la regardais et j’ai pensé que dans sa nudité, elle donnait son corps à ces vagues froides comme à mille autres amants ou à quelques créatures monstrueuses, qui, surgies du fond de la mer, fouilleraient son intimité et la perceraient en un viol collectif secrètement désiré. Au-delà du paroxysme du plaisir et de la douleur, il y avait dans son abandon la fascination du sacrifice de la chair et l’euphorisant oubli de soi.

J’avais imaginé d’aller, après le bain, dans un vieux mas décoré des restes de fresques romaines et perdu dans la garrigue. Nous y aurions dîné de quelques figues, d’une fougasse et bu du vin de Faugères. Elle avait la blondeur des femmes du Nord et la peau cuite de celles du Sud. Son regard était tendre, sa bouche gourmande, ses cuisses longues, ses fesses rondes et ses seins petits.

Son sourire était beau, son désir superbe et sa jouissance communicative.

Après le bain elle est restée un moment à écouter les vagues en chantonnant d'une voix grave. Puis, pour se réchauffer, elle a couru le long de la mer, toujours nue et à grandes enjambées.

Je ne la quittais pas des yeux. J’étais fasciné. Je découvrais qu'elle avait en elle, naturellement, la pudeur des mots, la franchise du regard et l'audace des gestes. J’avais su éveiller son trouble et faire naître ses sentiments ... elle avait aimé ma peau douce, avait-elle dit, et la prudence de mes caresses.

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Notre rencontre sur cette plage avait un air de fête pastorale.

Déjà les ombres s'allongeaient. Nous nous sommes rhabillés en silence et avons lentement remonté, côte à côte, la plage jusqu’à la route. Parfois nos mains se touchaient, alors nous nous sourions. Nous avons dîné de figues, d'une fougasse et bu du vin de Faugères. Notre nuit fut riche d'émotions partagées.

Depuis j’ai attendu son appel.

MARC RACONTE LEUR SECONDE RENCONTRE.

C’était fin novembre, quelque part sur le Causse Méjean. La lande silencieuse et dorée s’allongeait entre les genévriers pointus, les bosquets de pins maigres et tordus et quelques grosses pierres blanches. Sous le soleil glacé et rasant d’une fin d’après-midi, Violette a dit que, de loin, on dirait du velours.

La journée avait été riche de gorges profondes, d’à-pics vertigineux, de plateaux désertiques, de maisons de village fermées et resserrées autour de ruelles froides, et d’un déjeuner rustique dans un café où une fratrie de chasseurs, la plupart silencieux, sacrifiaient quelques agapes grasses et vineuses au gibier qui courait encore et au froid qui depuis le matin avait rougi leurs visages et gonflé leurs doigts. Je me souviens d’une grande cheminée et d’un sol couvert de grosses dalles lustrées et inégales. Les murs étaient décorés de photos de scènes villageoises du début du siècle et d’une réclame d'apéritif à côté d'une grosse horloge.

Nous étions arrivés la veille, tard, dans un des rares gîtes ruraux ouverts à cette époque de l’année ... une vieille et grosse demeure bourgeoise construite en pierres plates et grises à flanc de montagne dans une châtaigneraie. L’établissement était tenu par une petite femme maigre

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d’environ 50 ans, une ancienne institutrice nous avait-elle dit, aussi autoritaire que nerveuse, plus commerçante que gentille, entourée de sept à huit enfants et adolescents qui, pour la plupart, semblaient lui avoir été confiés.

Les communs avaient été aménagés en chambres. Nous y logeâmes. Un feu de bois dans la cheminée réchauffait la pièce que nous occupions. Nous nous étions rapidement couchés, nus, sous une épaisse couverture de laine brute qui piquait au travers du drap. Elle aimait dormir nue. Cette nuit-là nos corps se sont mélangés, nos bras comme nos jambes, nos bouches comme nos langues, nos doigts et nos sexes. Je n’avais jamais connu une telle intensité dans des étreintes amoureuses. Nous avons fouillé nos intimités, nous nous sommes tout autorisés, sans la moindre gêne, dans la plus totale extase, pour offrir à l’autre, au-delà des jouissances et de l’apaisement des sens, un gage de la confiance heureuse et de l’abandon complice qui nous submergeait. Etait-ce de l’amour me suis-je demandé ? Un rare bonheur sûrement.

C’était un bonheur plus plein que grand, plus confiant que simple. Nous éprouvions l’un pour l’autre une attirance profonde fondée sur le respect de la liberté de l’autre. Ne pas posséder pour ne pas être possédé, ne pas s’aliéner pour ne pas aliéner, disait-elle. Nous savions, l’un et l’autre, que toute relation est fragile ; nous nous en approchions prudemment : observer pour comprendre et demander plus rarement, ne rien renier de soi, être ni pour ni contre mais avec, dire sans nécessairement obtenir une réponse et surtout, donner, donner, donner encore pour partager. C'étaient nos règles et nous les vivions d’autant mieux que notre entente sexuelle était totale. Elle me trouvait serein, précis et économe dans mes gestes et mes expressions. Elle aimait mes silences. Elle avait cette pudeur naturelle des mots justes et des comportements sobres qui sont le propre des gens dont la fragilité, sans

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masque ni rôle ni artifice, est une force. C’était une belle âme. Ah la beauté des belles âmes !

Il se dégageait de nos moments une atmosphère si tranquille et si heureuse, faite de libres prévenances et d’attentions qu’il nous semblait que ce serait forcer le bonheur que de dire en plus que nous nous aimions. Prudence, aimer ne se conjugue qu’au présent.

Là-haut sur le plateau glacé, la brume avec le soir avait envahi la lande silencieuse. Nous sommes partis le lendemain matin sous la neige.

Depuis j’ai attendu qu’elle m’appelle. L’attente est une épreuve qui cicatrise lentement.

Violette raconte leur troisième rencontre.

J’ai appelé Marc début février. Je n’en pouvais plus de différer sans cesse mon appel. Il a proposé d’aller pour le week-end à Barcelone. Nous sommes convenus de nous retrouver à Montpellier sur la Place de la Comédie au pied des escaliers de l’opéra. J’étais enthousiaste, fébrile même, à l’idée de passer deux jours avec lui.

En arrivant à notre rendez-vous, je l’ai vu, assis à mi-hauteur sur une des marches de l’escalier. Il lisait un livre ou une revue, je ne sais pas. Je me suis approchée puis arrêtée pour l’observer, cachée derrière la vitre de la sttation du tramway. J’adorais le regarder. Quand nous étions ensemble, la force tranquille qu’il affichait, me fascinait et me rassurait. Avec lui, je me sentais jeune et j’avais faim de nous. Je m’abandonnais dans une harmonie du corps, du cœur et de l’esprit qui, dans l’instant, chassait le doute qui sans cesse me rongeait. Oh, ce n’est pas de lui dont je doutais. C’était de moi, non pas de l’aimer mais de continuer à l’aimer.

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Marc avait jailli dans ma vie, huit mois plus tôt. Je gardais un souvenir merveilleux de notre rencontre sur la plage près de Sète, mais les deux jours passés ensemble sur le Causse Méjean, ont bousculé mon équilibre personnel.

Les épreuves ne m’avaient certes pas épargnée, un premier mari mort dans un accident d’automobile après la naissance de mon second enfant. J’avais surmonté m’oubliant dans une vie professionnelle intense et l’amour de mes enfants. Je me suis remariée quelques années plus tard avec Jean. Nous avons eu un autre enfant. Jean m’entourait beaucoup et me protégeait dans une vie bourgeoise et confortable dans laquelle je me suis enfermée, oubliée même. Et voilà qu’à cinquante-trois ans, Marc a réveillé en moi la femme que je n’avais jamais osé être, une femme aussi amoureuse que sexuellement affamée et exigeante.

Avec lui j’ai découvert, il était temps, ce que c’était d’aimer totalement dans le cœur, l’esprit et le corps. Comme toute femme, je savais sans doute aimer, mais je n’avais aucune conscience de le savoir ou alors je refusais inconsciemment de me l’avouer, trop heureuse que j’étais dans les principes moraux, de bienséance et de raison qui présidaient à ma vie, à mon bonheur et à celui des miens. J’ai déchiré le voile de la pudeur qui couvrait d’interdits les désirs secrets de ma libido. J’ai osé imaginer les scènes les plus osées, puis dire les mots du sexe et de mes envies, puis faire les gestes et me rouler avec délice dans les postures sexuelles les plus érotiques, voire pornographiques. Le plus souvent c’était moi qui prenais l’initiative et entraînais Marc dans mes délires.

Je me suis roulée dans ce stupre, j’y étais heureuse. J’ai sacrifié à toutes les exigences de mon sexe et du sien. C’était délicieux de s’abandonner à la jouissance avec l’être aimé. Je crois qu’avant Marc, je n’avais eu avec l’être aimé que du plaisir sexuel mais pas de réelle jouissance ni d’orgasmes.

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Je pensais à tout cela tout en observant Marc, j’adorais le regarder, je sais je l’ai déjà dit, mais j’aime le répéter. Je ne le dirai jamais assez. Au bout d’une demie heure, il s’est levé et son regard a parcouru lentement la place, sans impatience ni inquiétude. Il est comme ça, prenant les évènements comme ils viennent, ne cherchant qu’à les vivre au présent sans les contraindre ni les fuir avec une économie de gestes et de mots qui contraste singulièrement avec la générosité naturelle qui l’habite. C’est sa force aux antipodes de ma façon d’être en voulant toujours tout prévoir et organiser autour de moi. Je l’ai regardé et une onde de plaisir m’a traversée. Là dernière la vitre, j’ai mouillé ma culotte.

Cela m’arrivait souvent depuis notre première rencontre. Me remémorer chacun de nos moments, me laisser aller à nous imaginer dans les scènes les plus impudiques ou encore me le représenter dans son quotidien, calme, pondéré, souriant, disponible, à l’écoute, que sais-je encore, savoir qu’il m’aimait, tout cela me transportait dans une bulle chaude et tendre où je m’isolais. Ces absences étaient devenues un besoin quotidien, une drogue qui dans l’instant me libérait de mes pulsions et me retenait prisonnière de mon désir de lui. Il est souvent arrivé que mon mari me dise : « hou, hou, reste avec nous … » ou qu’au cours d’une audience, je me penche vers un assesseur pour lui demander ce qui avait été dit. Ils ont du s’en inquiéter, ce n’était pas dans ma façon d’être.

Ma raison cependant, ce censeur éduqué, n’avait pas l’habitude des débordements de mon esprit. Elle me rappelait à ma situation familiale, mon mari, mes enfants, mon métier de magistrat, autant de responsabilités incompatibles avec les exigences de mon addiction à Marc ? Sans cesse je repoussais l’envie de l’appeler et de convenir, sous un quelconque prétexte,

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d’autres rencontres. Sans cesse je prenais sur moi d’y renoncer. C’était une souffrance que je calmais dans la rêverie érotique de nos prochaines rencontres.

Marc a descendu les marches de l’escalier. Il a parlé avec un couple, ils se sont serrés la main avant de partir. Il a regardé à droite et à gauche et est resté là à attendre, immobile. Voilà presque une heure qu’il attendait. A le voir ainsi, j’ai pensé que ce que nous avions jusque-là vécu, était une sorte de perfection, quelque chose qui, si nous devions continuer à nous voir, se dégraderait forcément, ne serait-ce qu’avec les compromis que je devrais trouver pour mener de front ma relation avec lui et ma vie familiale et sociale. A supposer que je trouve ces compromis. Quitter mon mari, mes enfants, était exclus, ternir notre relation de mensonges insupportable. Et ce fut sans doute, dans un moment de lucidité, cette seconde hypothèse qui l’emporta dans ma décision de ne pas venir le retrouver. Je le regardais fascinée par ce que j’allais détruire et en même temps soulagée de n’avoir pas souillée la mémoire de ce que nous avions vécu.

Marc est finalement parti. Il s’est éloigné par la grande avenue qui mène à la gare. Je l’ai suivi autant que possible. Par moment, je le perdais parmi les passants, puis je le retrouvais s’éloignant chaque fois un peu plus jusqu’à ce qu’il se soit complètement fondu dans la foule. J’ai encore cherché, en vain, à l’apercevoir. C’était fini. J’ai sorti mon portable, sélectionné son numéro, hésité une seconde à appuyer sur la touche « appel », puis enfoncé celle « option » puis sur celle « destruction » et appuyé sur « OK ». Mes lèvres tremblaient, mes yeux se brouillaient, je venais de détruire, volontairement, le seul lien que nous avions. Je savais que jamais je ne le retrouverais.

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Une main s’est alors posée sur mon épaule « allons, Jacqueline, il faut rentrer maintenant » m’a dit Jean. Je restai sans réaction. Je l’ai suivi. « Il faut », voilà ce qu’allait être désormais ma vie.

Epilogue

Marc a attendu qu’elle appelle. En vain. Il est souvent retourné sur la place de la Comédie au pied de l’escalier de l’opéra, là où il l’avait attendue, là où elle n’était pas venue, là où il l’avait perdue. Longtemps il a continué à attendre son appel. Longtemps elle lui a manqué. Il ne voulait faire aucune hypothèse pour expliquer son silence. Ses raisons étaient certainement bonnes. Il pensait que ce qu’ils avaient vécu méritait ni tristesse ni regrets et encore moins de chagrin. Il trouvait que l’attente de son appel était, paradoxalement, une façon de la rendre présente. Y penser c’était déjà la remercier de ce qu’elle lui avait fait vivre. Au fil des semaines et des mois, cette attente s’est lentement enfermée, avec l’émotion des souvenirs, dans une cicatrice longtemps sensible mais pas douloureuse. Avec le temps, elle est devenue stigmate.

Dix ans plus tard, Marc a pris sa retraite de professeur de philologie classique à l’université Paul Valérie de Montpellier. Il habite toujours le village de Valflaunes au pied du Pic Saint Loup. Il occupe ses jours à écrire, des nouvelles, des textes de souvenir, d’émotion ou de réflexion. Il ne publie rien. Il ne vient que rarement à Montpellier.

Jacqueline n’a oublié ni Violette, ni Marc, ni leurs moments partagés. Elle n’a jamais rien dit de ce qu’elle a vécu à qui que ce soit. Elle garde pour elle seule le plaisir d’extraire du tiroir secret de son cœur les perles de cristal que sont devenus ses souvenirs. Avec le temps leur pureté s’est affinée. Avec le

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temps elle a appris à enfermer la douleur de sa décision dans le bonheur immense d’avoir pu vivre de tels instants.

Jean, son deuxième mari, est décédé, d’un cancer du foie, dix-huit mois après qu’elle eut détruit à jamais le seul lien qui la reliait à Marc. Ils n’ont jamais parlé de cette époque ni de ces évènements troubles. Poser à sa femme les moindres questions sur un tel sujet lui eut semblé un total manque de respect. Il l’aimait trop pour entreprendre une telle démarche. Cela ne lui était d’ailleurs jamais venu à l’esprit. Jacqueline chérissait son mari. Elle avait toujours eu pour cet homme une admiration sans borne que son amour pour Marc n’avait en rien changée.

Présidente du Tribunal de Grande instance de Nîmes depuis plus de 5ans, elle a alors accepté une proposition de promotion à la Cour d’Appel de Paris, chambre des affaires familiales. Elle avait cinquante-cinq ans.

Un jour, plus de dix ans après ces évènements, Marc, 68 ans, avait été invité à venir à Paris, signer un contrat avec un éditeur qui s’était intéressé à ses écrits et souhaitait les publier. Il resta sur place deux jours en profitant pour revisiter la capitale où il n’était pas venu depuis très longtemps. Passant dans l’Ile Saint Louis devant les escaliers du Palais de Justice, il croisa une dame qui en sortait. Leurs regards s’accrochèrent comme on se bouscule en passant et que l’on se retourne pour s’excuser. Ils s’arrêtèrent. Ils restèrent un moment à se regarder, incrédules. Elle a dit « Marc ? ». Il a dit « Violette ? ». Ils se sont souris puis se sont approchés l’un de l’autre. Il a tendu la main vers son visage, elle y a posé sa joue. Elle a pensé « je ne vais pas pleurer là maintenant ». Il a vu ses yeux s’emplir de larmes ? Il s’est dit « si elle pleure je vais pleurer ». Il a pris sa main et se sont dirigés en silence vers la terrasse du café le plus proche.

Ils ne sont rien dit mais, se tenant toujours par une main, se sont regardés et

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regardés et regardés encore comme s’il fallait se regarder pour rattraper tout ce temps écoulé où ils s’étaient attendus sans jamais rien regretter.

Philippe Dubreuil - 2015

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