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Diplomate et ‘politique’, Arnaud Du Ferrier

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Diplomate et ‘politique’, Arnaud Du Ferrier

Alain Tallon

To cite this version:

Alain Tallon. Diplomate et ‘politique’, Arnaud Du Ferrier. De Michel de L’Hospital à l’édit de Nantes : politique et religion face aux Églises, Jun 1998, Clermont-Ferrand, France. p. 305-333. �hal-02092185�

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Diplomate et “politique” : Arnaud Du

Ferrier

Arnaud Du Ferrier est une figure du courant politique qui n’a peut-être pas reçu toute l’attention qu’il méritait. Une biographie partielle et bien vieillie d’Edouard Frémy est la seule étude disponible à ce jour sur ce personnage qui tint pourtant un rôle important sur la scène française et européenne de la seconde moitié du XVIe siècle1. Il ne s’agit pas ici de combler

entièrement cette lacune par une étude exhaustive de la vie d’Arnaud Du Ferrier, mais de mieux cerner sa conception des rapports entre religion et politique, Eglises et Etat. Si Du Ferrier n’est pas toujours original au sein du courant politique, il a du moins une expérience diplomatique qui en fait l’héritier de ces ambassadeurs du temps de François Ier et de Henri II, acteurs essentiels du grand réseau d’alliances trans- ou plutôt aconfessionnelles contre Charles-Quint. Il permet ainsi d’élargir chronologiquement et géographiquement l’étude des “politiques”.

Né vers 1505, ce Toulousain étudie le droit à Padoue, en même temps que Michel de L’Hospital. Tout le petit monde des étudiants français à Padoue se retrouve volontiers autour de l’ambassadeur français à Venise, Lazare de Baïf. Du Ferrier restera marqué par son séjour padouan. Encore en 1563, il retourne dans cette ville, comme il l’explique au sénat vénitien “pour revoir certains de mes vieux précepteurs encore vivants et renouveller la bonne mémoire des défunts en visitant leurs monuments et sépulture”2. Au delà des souvenirs de jeunesse, on

peut se poser la question de l’influence intellectuelle du milieu padouan sur Du Ferrier, mais aussi sur bon nombre de “politiques” qui fréquentèrent l’université. L’héritage de Pomponazzi fut en effet conservé longtemps à Padoue, malgré les condamnations ecclésiastiques, et avec l’appui de la République, l’université resta pendant tout le XVIe siècle un havre de tolérance unique en Italie, où luthériens allemands, huguenots français et jusqu’aux Juifs pouvaient tranquillement venir étudier sans être astreints à une quelconque profession de foi catholique. Seules en Italie après la chute de la république florentine, Padoue et Venise conservaient ainsi la tradition d’un humanisme laïc - ou humanisme civique, pour reprendre l’expression célèbre et contestée de Hans Baron3 -, qui n’est pas sans parenté avec l’esprit politique.

Malheureusement, dans le cas de Du Ferrier comme pour tant d’autres, cette influence ne peut

1 Edouard FREMY, Un ambassadeur libéral sous Charles IX et Henri III, ambassades à Venise d’Arnaud Du

Ferrier d’après sa correspondance inédite (1563-1567, 1570-1582), Paris, 1880. Malcolm C. Smith annonce une

étude consacrée à Du Ferrier dans son article “Early French Advocates of Religious Freedom”, The

Sixteenth-Century Journal, 25,1994, p. 42-43.

2 BN, Fr. 10.735, fol. 9 v°-10, “per rivedere alcuni miei vecchi preceptori anchora vivi, et renovare la buona

memoria dei defunti con visitare i monumenti et sepoultoure (sic) loro”.

3 Hans BARON, The crisis of the Early Italian Renaissance. Civic Humanism and republican Liberty in an Age of

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qu’être supposée, faute d’études approfondies sur les étudiants français à Padoue. L’hypothèse n’en reste pas moins plus que vraisemblable.

De retour en France, Du Ferrier fait une carrière rapide qui le mène à la charge enviée de président au Parlement de Paris. Sans doute, ses grandes qualités de juriste lui valent-elles ces honneurs, mais aussi de hautes protections dont celle du cardinal de Tournon. Il ne semble pas que la féroce persécution religieuse alors menée par l’institution à laquelle il appartenait ait beaucoup gêné Du Ferrier, mais il n’est pas le seul des futurs “politiques” dans ce cas. Cependant dès 1559 il se signale comme un partisan de la tolérance et doit même se cacher lors de l’affaire de la mercuriale. Il fait partie par la suite du cercle constitué autour de Catherine de Médicis et de Michel de l’Hospital, son ancien camarade de Padoue, qui élabore la nouvelle politique religieuse à partir des Etats généraux d’Orléans. Il s’acquitte alors de sa première mission diplomatique, fort délicate : aller justifier auprès du pape Pie IV la suppression des annates. De retour en France, il conseille à la régente d’établir officiellement la liberté de culte. Il ne croit pas en une concorde dont il voit bien l’aspect de compromis purement théorique que les deux parties ne peuvent que rejeter. Si ambassadeur à Trente il œuvre pour des concessions comme le mariage des prêtres ou la communion sous les deux espèces, c’est pour obéir aux instructions de Catherine de Médicis, mais dès 1565, il signale au gouvernement royal l’échec des tentatives de concorde autour de cette formule dans les territoires hasbourgeois4. Pour Du

Ferrier, la paix passe par une vraie tolérance plus que par une souhaitable, mais improbable concorde. L’édit de janvier répond à ses vœux et c’est donc un ferme partisan de la politique de tolérance que Catherine de Médicis choisit pour aller représenter le roi très chrétien au concile de Trente. Bien que subordonné à Louis de Saint-Gelais, sieur de Lanssac, Du Ferrier apparaît très vite au concile comme le véritable représentant de la reine mère. J’ai traité ailleurs de son action à Trente et ne m’y attarderai donc pas5. Il faut toutefois noter l’opposition résolue de

l’ambassadeur français au projet de réforme des princes. Elle provoque l’esclandre du 22 septembre 1563, quand Du Ferrier prend la parole devant l’assemblée, fustige la timidité des réformes conciliaires concernant les ecclésiastiques, dénonce au contraire l’énormité des atteintes aux privilèges des princes, et défend finalement les principes gallicans les plus extrêmes, à la grande indignation des pères6.

Peu de jours après, il quitte Trente pour Venise. Ce ne devait être qu’un court séjour pour observer la fin des débats conciliaires, mais Catherine de Médicis profite de la présence de Du Ferrier sur place pour le nommer ambassadeur auprès de la Sérénissime. Il reste vingt ans à ce poste prestigieux, le plus envié dans ce qui n’est pas encore la “carrière”, à l’exception d’un court intermède de 1567 à 1570 pendant lequel il est remplacé par Paul de Foix. Cette longévité

4 BN, Fr. 10.735, fol. 63, lettre au roi, Venise, 27 janvier 1564 a. s., “Sire, les troubles suscités en Istrie à cause

de la religion dont j’ay escript par mes dernières despesches augmentent tousjours nonobstant que la communion soubz les deux espèces et le mariage des presbtres leur ayent esté accordés”.

5 Alain TALLON, La France et le concile de Trente (1518-1563), Rome, 1997.

6 Voir le texte du discours dans Concilium Tridentinum, Fribourg-en-Brisgau, 1965, t. IX, p. 841-844, et

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est tout à fait exceptionnelle dans le monde diplomatique de l’époque. En 1576, Du Ferrier peut écrire avec un certain orgueil à la reine mère : “Il y a peu de François aujourd’huy qui plus longuement ayent versé en Italie que moy”7. Certes, la France n’a plus en Italie les intérêts

d’avant 1559. Mais beaucoup croient encore à son retour dans la Péninsule et les moindres troubles anti-espagnols suscitent l’espoir du parti français. C’est le cas en 1565 à Gênes et Du Ferrier peut écrire à Charles IX que la ville “se mettroit voluntiers entre voz bras s’il vous plaisoit la prandre en votre protection”. Les Napolitains réfugiés à Venise disent la même chose pour Naples. Mais l’ambassadeur reste à juste titre sceptique8. Il le sait et le regrette : les temps

de l’expansion française en Italie appartiennent au passé, même si à l’occasion il rêve de détourner à l’extérieur la fureur guerrière qui déchire le royaume. Sa tâche diplomatique quotidienne n’est cependant plus de préparer la conquête de Milan, Gênes ou Naples, mais plus modestement de maintenir un réseau d’alliés parmi les puissances italiennes encore indépendantes, et au premier chef à Venise. Il s’acquitte habilement de sa mission et pendant sa longue ambassade la Sérénissime entretient d’excellentes relations avec la France, quelle que soit la politique menée à l’intérieur du royaume. Du Ferrier se lie d’amitié avec de nombreux nobles Vénitiens, quoi qu’il ait pu dire à Montaigne sur son isolement provoqué par les sévères lois de la République9, et dans “ceste ville qui est comme ung théatre du monde”10, pour

reprendre son expression, son souvenir reste vif plusieurs décennies après sa mort11.

L’expérience, l’habileté et le goût pour Venise n’expliquent pas seuls le maintien de Du Ferrier pendant si longtemps au même poste. Normalement, il aurait dû revenir en France pour profiter des faveurs que valaient ses bons et loyaux services. Mais il semble bien que le pouvoir royal n’ait guère souhaité rappeler Du Ferrier et lui confier de plus grandes responsabilités. Lui-même s’en plaint à Catherine de Médicis en 1574, et en attribue curieusement la faute à Michel de l’Hospital. À son retour de Rome en 1561, il aurait dû être appelé au conseil privé du roi “sans l’empeschement de feu Monsieur de Lhospital chancelier, qui sous couleur de quelque conséquence me recula”12. On peut douter de la véracité du fait : en 1561, de l’avis de tous les

diplomates en poste à la cour de France, Du Ferrier est clairement dans le cercle des amis du chancelier et on ne voit pas pourquoi ce dernier aurait barré l’accès au conseil privé à son ancien condisciple, sinon peut-être pour éviter qu’il lui fasse de l’ombre. Du Ferrier cherche sans doute à rappeler à la reine mère que sa carrière n’a pas eu le déroulement désiré, et n’hésite pas sans beaucoup d’élégance à prendre ses distances avec la mémoire du chancelier disgrâcié.

7 BN, Cinq Cents Colbert 367, p. 129 lettre du 4 février 1576. 8 BN, Fr. 10.735, fol. 71-71 v°, lettre au roi, Venise, 27 mars 1565.

9 Lors du dîner offert à Montaigne pendant son séjour vénitien, “entre autres discours dudit ambassadeur, celui-là

lui sembla étrange : qu’il n’avait commerce avec nul homme de la ville, et que c’était une humeur de gens si soupçonneuse que, si un de leurs gentilshommes avait parlé deux fois à lui, ils le tiendraient pour suspect”, Michel de MONTAIGNE, Journal de voyage, Paris, 1983, p. 162.

10 BN, Fr. 10.735, lettre à Catherine de Médicis, Venise, 15 septembre 1566, fol. 169 v°.

11 En 1602, l’ambassadeur français à Venise hésite à faire chasser de la ville un neveu de Du Ferrier qui y mène

une triste vie par respect pour la mémoire de son oncle, Philippe CANAYE DE FRESNE, Lettres et ambassades de

Messire Philippe Canaye, seigneur de Fresne, conseiller du roy en son conseil d’Estat, Paris, Estienne Richer, avec

privilège, 1635, t. 1, livre premier, p. 193-194.

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Car la principale raison de ce piétinement semble bien l’adhésion ferme de Du Ferrier à la politique de L’Hospital plutôt qu’une imaginaire opposition entre les deux hommes. Pour le reste de sa vie politique, l’ambassadeur à Venise est étiqueté comme homme du compromis, voire comme sympathisant de la Réforme. Ce choix clair, que Du Ferrier ne démentira jamais, suffit pour l’empêcher d’accéder aux plus hautes responsabilités, où les différents souverains ne peuvent ou ne veulent pas installer des personnalités trop liées au souvenir de L’Hospital. En 1576, on a une nouvelle preuve que, malgré sa tentative maladroite de se démarquer de la personne du chancelier défunt, Du Ferrier reste emblématique de sa politique : des rumeurs veulent en effet que les Malcontents exigent pour lui le poste de garde des sceaux, afin d’évincer le chancelier René de Birague13. Elles ne peuvent évidemment qu’irriter le roi, malgré

sa confiance en son ambassadeur à Venise. Vieilli, aigri, Du Ferrier réclame son rappel qui n’intervient qu’en 1583, dans une atmosphère empoisonnée par des soupçons de malversations. Le vieux serviteur de la monarchie passe alors au service du roi de Navarre, qui lui offre ce poste de chancelier dont il rêvait auprès du roi de France, ce qui provoque un petit scandale. D’après le cardinal de Côme, Grégoire XIII “apprend que Monsieur Du Ferrier, qui a été tant de fois ministre de la Couronne de France en Italie dans des ambassades très honorables et spécialement au concile de Trente et à Venise, se trouve maintenant au sevice du roi de Navarre, c’est-à-dire chef et principal conseiller de toute l’huguenoterie, ce que le pape trouve peu honorable pour Leurs Majestés. Donc Sa Sainteté leur fait remarquer qu’il serait bien que Leurs Majestés pourvoient à cela, en trouvant un moyen et en agissant pour l’enlever de ce service, comme Sa Béatitude les exhorte et les prie instamment de faire”14. Henri III comme sa

mère répondent au nonce Girolamo Ragazzoni en l’assurant à la fois de leur mécontentement et de leur impuissance15. Du Ferrier ne conseille pas longtemps celui qui est devenu l’héritier

présomptif du trône de France, puisqu’il meurt en octobre 1585.

Ce bref aperçu de la carrière de Du Ferrier permet de le situer dans le monde politique français de la seconde moitié du XVIe siècle. Sans jamais atteindre les plus hautes responsabilités, il a l’oreille des souverains et une influence non négligable, dont il use toujours en faveur de la tolérance religieuse. La clarté et la perséverance de cet engagement traduisent-elles une adhésion secrète au protestantisme ? C’est ce que semble penser dès 1559 un rapport secret sur les parlementaires suspects, qui le classe parmi les sympathisants de la Réforme16.

C’est ce qu’affirme immédiatement Rome, confirmée dans ses préventions par l’attitude de Du

13 P. HURTUBISE et R. TOUPIN éds., Correspondance du nonce en France Antonio Maria Salviati (1572-1578),

Rome, 1975, t. II, p. 402, lettre du nonce Salviati au cardinal Galli, Paris, 21 février 1576.

14 P. BLET éd., Girolamo Ragazzoni évêque de Bergame, nonce en France. Correspondance de sa Nonciature

1583-1586, Rome-Paris,, 1962, p. 304, lettre du cardinal de Côme au nonce Ragazzoni, Rome, 27 août 1584, “la S.tà

Sua intende che Mons. Ferrerio, il quale è stato tante volte ministro de la Corona di Francia in Italia in ambascerie honoratissime et spetialmente al concilio di Trento et in Venetia, si trova hora al servicio del re di Navarra, che vuol dir capo et principal consigliere di tutta l’ugonottaria, cosa che crede in poco honore de le MM.tà loro. Però la S.tà Sua gli mette in consideratione che sarà pur bene che loro MM.tà provedino a ciò con trovar modo et far opera di levarlo da quel servicio, come S. B.ne gl’essorta et instantemente prega di fare”.

15 Ibid., p. 327 et 331, lettre de Ragazzoni au cardinal de Côme, Poissy, 18 novembre 1584.

16 L. L. TABER, “Religious Dissent within the Parlement of Paris in the Mid-Sixteenth Century. A Reassesment”,

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Ferrier au concile. Son long séjour à Venise ne semble pas modifier cette sympathie pour le calvinisme. Montaigne, reçu le 6 novembre 1580 par l’ambassadeur, qui l’avait pourtant emmené à la messe, note à son sujet : “Ses opinions penchent fort évidemment, en matières de nos affaires, vers les innovations calviniennes”17. On pourrait multiplier les témoignages qui

assurent que Du Ferrier était secrètement protestant. Et pourtant, jamais l’ambassadeur du roi de France n’adhérera ouvertement à la Réforme, même à la fin de sa vie auprès du roi de Navarre. Il sut jusqu’au bout maintenir le mystère sur son appartenance religieuse, et cette ambiguïté lui valut d’être revendiqué par les deux camps. Les protestants virent en lui le nicodémite classique, mais plus curieusement, cinquante ans après la mort de Du Ferrier, les jésuites défendirent la mémoire de “ce grand homme d’État” contre l’ex-pasteur Jérémie Ferrier, devenu plumitif gallican de Richelieu, qui osait se dire parent de l’ancien ambassadeur18.

Catholique, protestant ? La question n’est pas anachronique à partir des années 1560 et se pose pour les contemporains de Du Ferrier. Le nonce à Venise Giovanni Antonio Facchinetti, futur et éphémère pape Innoncent IX, est chargé par Pie V d’enquêter sur l’ambassadeur français. Sa première impression est favorable : “Dans sa conversation, à chaque fois que nous nous trouvions ensemble, il a montré vouloir être réputé catholique”19. Mais cette première

impression ne suffit pas et l’enquête se poursuit. Quelques mois plus tard, les indications changent quelque peu : “Sur l’ambassadeur de France, il est ici plutôt tenu pour luthérien que pour catholique, et on a appris de quelqu’un de sa maison qu’il va rarement à la messe ; pour moi, à cette fin, je l’ai fait surveiller par un de mes serviteurs du lever du soleil jusqu’à l’heure du repas depuis trois dimanches, et il me rapporte de ne l’avoir jamais vu sortir de chez lui (...) A l’occasion, en discutant avec moi, il (Du Ferrier) se montre catholique, ennemi des luthériens ; chez lui, il ne mange pas de mets interdits et il loue infiniment les saintes réformes de Sa Béatitude, surtout de ne pas vouloir accepter les résignations in favorem ; il a dit vouloir entendre ma messe un dimanche”20. Perplexe, Facchinetti se laisse cependant séduire. Au retour

de Du Ferrier à Venise quatre ans plus tard, devant la mauvaise humeur de Rome à voir revenir en Italie ce personnage suspect, il admet son peu d’assiduité à la messe, mais qualifie de diffamation l’accusation d’hérésie. Il souhaite pouvoir continuer à le fréquenter, car ils ont l’habitude de se voir tous les quinze jours et à l’occasion de manger l’un chez l’autre21. Ces

relations cordiales se poursuivent en effet sans encombre. Au retour du nonce à Rome en 1573, Du Ferrier le recommande à la reine mère pour la “singulière affection qu’il a tousjours portée

17 M. de MONTAIGNE, ouvr. cit. (voir n. 9), p. 162.

18 M. DELOCHE, Autour de la plume de Richelieu, Paris, 1920, p. 324.

19 A. STELLA éd., Nunziature di Venezia, t. 8 (marzo 1566-marzo 1569), Rome, 1963, p. 70, lettre à Michele

Bonelli, Venise, 29 juin 1566 : “Nel parlar, sempre che ci troviamo insieme, egli mostra di voler essere riputato catholico”.

20 Ibid., p. 76, Facchinetti à Bonelli, Venise, 20 juillet 1566, “Dell’ambasciatore di Francia, egli qui è più tosto in

opinione di luterano che di cattolico et da un suo di casa si è inteso che egli va di rado a messa ; io, a questo fine, l’ho fatto osservare a un mio servitore dal levar del sole sino all’hora del pranzo già tre domeniche et mi riferisce non l’haver veduto mai uscir di casa (...) Egli all’incontro nel raggionar meco si mostra catholico nemici di luterani, in casa non magia cibi prohibiti, et lauda infinitamente le sante riforme di S. Bne et massime di non volere ammettere le risegne in favorem ; ha detto che una domenica vuole udir la mia messa”.

21 A. STELLA éd., Nunziature di Venezia, t. 9, Rome, 1972, p. 338, Rusticucci à Facchinetti, Rome 30 août 1570,

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au service du roy”, notamment pour l’élection du roi de Pologne, et suggère de le récompenser22. Sans être dupes l’un de l’autre23, le nonce et l’ambassadeur ont su s’apprécier.

Catholique ? Protestant ? Ou bien encore ni l’un, ni l’autre, un de ces chrétiens entre Rome et Genève chers à Thierry Wanegffelen ? Le manque d’assiduité de Du Ferrier à la messe, son comportement bien peu dévot quand il y va, qui choque les pères tridentins - la rumeur veut même qu’il lise Lucien pendant les offices24 - : tout ceci ne témoigne guère d’une grande

ferveur eucharistique. Sur l’autre grand point de rupture entre frères ennemis, la justification, Du Ferrier avoue sans ambage qu’il partage “cette religion que l’on dit nouvelle, combien que quant à moi je l’estime antienne et apostolique en ce qu’elle enseigne la gratuite et entière justification par la seule mort et passion de Jésus-Christ”25. Qu’est-ce donc qui a pu retenir

l’ambassadeur de Charles IX et Henri III, le chancelier d’Henri de Navarre, sur le chemin de la conversion avouée à la religion réformée, dont il semble épouser les positions à la fois sur l’eucharistie et la justification ?

La première réponse est peut-être simplement que Du Ferrier n’a jamais estimé un tel geste indispensable. Il faut cesser de voir tout le XVIe siècle religieux à travers le seul prisme des fous de Dieu, Luther, Calvin, Loyola. Beaucoup de chrétiens du XVIe siècle sont restés étrangers au “siècle qui veut croire”. La célèbre formule de Lucien Febvre fait oublier aux historiens qu’il existait aussi des tièdes, à qui on veut trop souvent prêter un idéal religieux élevé, quitte à baptiser leur modération foncière d’évangélisme ou d’érasmisme, termes commodes parce qu’au contenu si flou qu’ils s’appliquent indifféremment aux personnalités les plus diverses. Du Ferrier est bien un chrétien modéré, mais il est aussi modérément chrétien. Les plaisirs de ce monde et ses intrigues l’ont plus passionné que la question du salut ou de la présence réelle. Son biographe Edouard Frémy veut à tout prix imposer l’image pieuse d’un austère serviteur de l’Etat, d’un “Caton français”. Il n’en est rien. Railleur, gouailleur, Du Ferrier conserve au temps des guerres de religion l’esprit de la cour de François Ier. Ce bon vivant peut écrire au printemps 1564 à François de Noailles, évêque de Dax et tout aussi médiocre catholique : “Monsr l’évesque de Famagouste26 et moy beuvons souvant à vous, et

quelques foys Monsr le Patriarche d’Aquilée27 est de la partie, et si Dieu vouloit que vous

eussiez ung voyage par deça (...), l’on vous fairoit dire que les escoliers devenus ambassadeurs ne boivent pas mal”28. Ils savent aussi faire leur profit, si l’on croit les rumeurs de pots-de vin

22 BN, Cinq Cents Colbert 366, p. 216, lettre à la reine mère, Venise, 12 juin 1573.

23 Quand en 1571 Du Ferrier dit à Facchinetti que le pape peut empêcher l’envoi de l’évêque de Dax comme

ambassadeur auprès du sultan en intervenant directement auprès du roi, le nonce écrit à Girolamo Rusticucci : “et se ben S. Stà sa che fondamento si possa fare sopra le parole d’esso mons. Ferrerio, nondimeno, acciò ch’ella sappia il tutto, non ho voluto mancar d’avisarne”, Aldo STELLA éd., Nunziature di Venezia, t. 10, Rome, 1977, p. 104, lettre du 26 septembre 1571.

24 A. TALLON, ouvr. cit. (voir n. 5), p. 619. 25 BN, Fr. 4.766, fol. 28 v°.

26 Girolamo Ragazzoni. 27 Giovanni Grimani. 28 BN, Fr. 6.914, fol. 31 v°.

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qui accompagnent toute la carrière de Du Ferrier, rumeurs qui ne semblent pas toutes infondées29.

Il ne s’agit pas de jouer les censeurs un peu simplistes et de penser que parce que Du Ferrier sait trouver des accomodements sinon avec le ciel, du moins avec la morale, il aurait été un affreux mécréant. Comme tant d’autres au XVIe siècle, il est adepte d’une religion sage, qui sait faire sa place au doute. Il fait penser à un Montaigne qui ne l’avait pourtant guère apprécié lors de leur rencontre vénitienne : “Ses façons et ses discours ont je ne sais quoi de scolastique, peu de vivacité et de pointe”30. Il y a là sans doute une question de génération et Du Ferrier n’est pas

un catholique tridentin comme le futur maire de Bordeaux, mais bien plus l’héritier d’un gallicanisme traditionnel. Il partage cependant le scepticisme de Montaigne, même s’il n’en tire pas les mêmes conséquences. Parce que la vérité est relative, chacun doit pouvoir suivre sa conscience en matière de foi. Cet individualisme lui fait rejeter dans son mémoire de 1562 “le proverbe commung : ung Roy, une foy, une loy”31. Il admet la nécessité d’une discipline

eccclésiastique, mais cette nécessité même oblige à accorder la liberté de culte aux réformés, “car il est certain que si de telles gens ne sont contenus en la discipline de leur religion, de gens de bien l’on en fera des brigandz, athéistes, libertins, perturbateurs de la paix publicque”32. Le

principe machiavélien qui voit dans la religion, vraie ou fausse, essentiellement un ciment social est ici adapté à la défense de la tolérance. L’ordre public ne peut souffrir la dissidence religieuse ? Soit, légalisons-la ! L’essentiel est que chacun obéisse au roi. Du Ferrier est un sceptique qui croit en l’État.

Cet État, il pense en avoir trouvé le modèle à Venise. Du Ferrier est un excellent représentant du fameux “mythe politique” de Venise, dont on sait le retentissement en France, notamment autour du livre de Gasparo Contarini De magistratibus et republica Venetorum, tant de fois édité dans le royaume au cours du XVIe siècle. Présentant ses lettres de créance au sénat le 5 avril 1564, Du Ferrier s’exclame : “Personne n’est assez barbare ou assez grossier, ou plutôt stupide, pour que lisant sur Venise ou en entendant parler, il n’ait la volonté et le grand désir de la voir (....) Quiconque lit les livres de la République de Platon, Aristote, ou Cicéron, ou Plutarque, et les autres livres grecs et latins aspire au plus haut point à voir cet ordre si grand des sénateurs dans lequel se retrouve la vraie et pure pratique et exercice de toutes les bonnes lois et préceptes philosophiques”33. Simple éloge de convenance, habituel en ce genre

d’occasion ? Il semble que Du Ferrier ait cru à son mythe d’une utopie réalisée. Il est persuadé ainsi de la stabilité foncière de la Sérénissime et minimise toujours les conflits internes à

29 Sur la tentative - réussie ? - de corruption de Du Ferrier par la curie au moment du concile, voir A. TALLON,

ouvr. cit. (voir n. 5), p. 31.

30 M. de MONTAIGNE, ouvr. cit. (voir n. 9), p. 162. 31 BN, Fr. 4.766, fol. 26 v°.

32 Ibid., fol. 26.

33 BN, Fr. 10.735, fol. 10-10 v°.” Niuno è tanto barbaro o rozzo, overo stupido che leggendo o sentendo parlare

de Vinegia non habbia voglia et desiderio grande di vederla (...). Chiunque legge i libri de la Repub. de Platone, Aristotele, o di Cicerone, o di Plutarcho, et altri libri greci et latini appetisce sommamente de vedere cotesto amplissimo ordine di senatori nel quale si ritrova la vera et germane prattica et exercitio di tutte le buone leggi et precepti philosophici”.

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l’aristocratie vénitienne. Il voit bien l’opposition croissante entre “ceux qui favorisent aux prestres et aux Espagnols”34 et le naissant parti des Giovanni. Il est même directement impliqué

dans ce conflit quand il pousse Venise à quitter la Sainte Ligue et faire sa paix avec le Turc grâce à la médiation française. Du Ferrier peut alors constater que la belle unanimité vénitienne n’est qu’une façade, mais il s’empresse d’ajouter : “Toutesfois la ruine des autres Républiques leur est si souvent proposée devant les yeux, en outre leur expérience et sagesse si grande à conserver leur Etat, qu’ils mettront bientost fin à telles divisions”35. Cette foi optimiste dans la

sagesse politique vénitienne est à comparer avec les rapports nettement moins favorables du successeur de Du Ferrier, qui n’est guère ébloui par le mythe de Venise. André Hurault de Maisse peut ainsi décrire à Henri III le 28 août 1584 les dissensions au sein du patriciat vénitien et ajouter : “Ces choses, Sire, de peu d’importance possible à Votre Majesté, sont de plus grande considération à ces gens icy que quelque autre remuement qui leur puisse advenir de dehors, car estans composez comme toutes Républiques d’humeurs diverses et particulières, la hayne et l’envie y ont plus de puissance que l’intérest du public, lequel ils abandonnent facilement pour se laisser emporter à leurs passions”36. Jamais une telle critique ne serait née

sous la plume d’Arnaud Du Ferrier. Celui-ci ne cache pas au contraire son admiration pour la Sérénissime, et notamment pour les rapports qui y règnent entre Eglise et Etat.

En bon parlementaire gallican, Du Ferrier ne peut manquer de relever le strict contrôle que la République exerce sur l’Eglise vénitienne, tenue à l’écart de la politique37. Lors de son séjour

à Trente, il aurait qualifié la Sérénissime de bienheureuse, parce qu’elle excluait les prêtres du gouvernement temporel38. Du Ferrier visait ici le cardinal de Lorraine, mais plus généralement

son anticléricalisme virulent se satisfait de voir les clercs remis à leur place. Toujours à Trente, il se montre scandalisé par la corruption foncière des ecclésiastiques et le trafic des bénéfices. Ces prêtres qui prétendent régenter les laïcs sont avant tout des hypocrites sans réelle vocation. En 1574, il déconseille à de Thou, de passage à Venise, d’embrasser la carrière ecclésiastique : “Ces grandes richesses qu’on nommoit bénéfices, dont la plupart abusoient et dont ils ne se servoient qu’à satisfaire leur cupidité, seroient un poison aussi mortel à mon âme qu’à mon honneur, paroles qui me pénétrèrent si vivement que depuis j’apportay toutes les précautions possibles pour choisir un genre de vie”39. Poison pour les âmes, la course aux bénéfices l’est

aussi pour les Etats. Quand Venise, en plein conflit avec le pape sur la juridiction du patriarche

34 BN, Cinq Cents Colbert 366, p. 116, lettre à Charles IX, Venise, 5 avril 1573. 35 Ibid., p. 481, lettre à Charles IX, Venise, 23 janvier 1574.

36 BN, Cinq Cents Colbert 368, 2ème partie, p. 22. À une autre occasion, Hurault de Maisse laisse transparaître

son dédain pour les républiques en général et Venise en particulier : le patriarche d’Aquilée, après avoir provoqué un conflit entre Rome et la Sérénissime, revient à Venise honoré de tous, “à quoy on peut cognoistre l’humeur des républiques qui, pour peu de changement, se laissent aller à diverses passions ; car celuy que je leur ay ouy nommer en plain Collège rebelle et le détester comme ennemy du public, je le voy aujourd’huy désiré de tous et en termes de recevoir plus d’honneur et de réputation qu’il n’y en eut jamais”, BN, Fr. 16.081, fol. 181, lettre au roi, Venise, 29 janvier 1585.

37 Sur ce “gallicanisme vénitien”, voir l’article suggestif de Paolo PRODI, “The structure and organization of the

church in Renaissance Venice : suggestions for research” dans Renaissance Venice, éd. par John Hale, Londres, 1973, p. 409-430.

38 M. CALINI, Lettere conciliari, Brescia, 1963, p. 365. 39 Cité par E. FREMY, ouvr. cit. (voir n. 1), p. 275.

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d’Aquilée, semble céder à Rome sur un autre point, Du Ferrier se livre à une de ses rares critiques de la politique de la Sérénissime. Pour lui, les Vénitiens ont agi “persuadé[s] du grand nombre de gentilshommes ecclésiastiques leurs parens, qui va tousjours augmentant, et occupant les esveschez, abbayes et autres bénéfices de leur Estat, qu’ils obtiennent facilement de Sa Saincteté pour agrandir son autorité et diminuer celle de leur propre patrie. Et combien que plusieurs d’entr’eux abominent cette exécrable et insatiable avarice des biens de l’Eglise, ordonnez pour le service de Dieu et nourriture des pauvres, toutesfois le nombre en est moindre, comme a toujours esté des gens de vertu et bonne religion ; et de cela est advenu qu’ils ont appointé assez mal à leur avantage le différent du Patriarche d’Aquilée, comme m’a esté dit et sera possible cause de l’entière ruine de leur Estat”40. La république se reprend et finit par tenir

tête à Rome. Mais le clergé local s’est montré une fois de plus le cheval de Troie de la papauté et de son insatiable ambition.

Le clergé et son appétit de domination temporelle sont pour Du Ferrier non seulement une menace pour l’Etat, mais même les vraies et uniques causes de tous les troubles, quelle que soit d’ailleurs la religion. La paix entre Venise et le Turc, qui prévoit la restitution mutuelle des territoires conquis, est-elle remise en cause par des “prestres de la religion du grand Seigneur” qui refusent de rendre des terres où ont été ensevelis des musulmans ? Du Ferrier qui décrit l’incident au roi ajoute : “tellement que, comme ces Seigneurs (Venise) disent, en toutes Religions les ministres d’icelles veulent contre leur profession mettre le nez aux affaires d’Estat, sauf en leur République dont ils ont esté de tout temps exclus”41. L’ambassadeur est

coutumier de ce détour audacieux par l’Islam pour mieux stigmatiser le fanatisme clérical. En 1579, il annonce en ces termes l’assassinat du grand vizir Sokolli, forfait accompli d’après lui par un derviche : “l’occasion principale de ce meurtre procédoit d’un zèle indiscret de religion, duquel estoit possédé iceluy meurtrier, estant du nombre de ceux que l’on appelle par delà Santoni, faisans en hasbits, jeusnes et oraisons, profession plus estroite de leur fausse religion de Mahomet que les autres Turcs, comme font en la nostre seule et vraye religion les moines ou religieux” - on notera au passage la comparaison entre derviches et moines, typique de l’ironie anticléricale de Du Ferrier. Le meurtrier soupçonnait en effet le grand vizir d’être resté chrétien en secret et “ce pauvre misérable délibera d’abandonner sa vie en faisant mourir celuy qu’il estimoit contrevenir à sa religion, comme est souvent advenu en semblables affaires, contre toutesfois l’ordonnance expresse des loix divines et humaines... Sire, c’est un fait fort admirable et qui doit servir d’exemple aux plus grands, et prie nostre Seigneur de délivrer votre royaume de tels fols superstitieux et enragez”42. Dix ans après le geste du pseudo-derviche, le couteau de

Jacques Clément donnait raison à Du Ferrier dans sa mise en parallèle des deux fanatismes. Si Venise échappe aux troubles religieux qui agitent le monde, c’est aussi sans nul doute parce qu’elle se laisse guider en ces matières par une sagesse toute politique. La tolérance n’est

40 BN, Cinq Cents Colbert 368, p. 451-2, lettre au roi, 25 mai 1582. 41 BN, Cinq Cents Colbert 366, p. 465, lettre au roi, 11 janvier 1574. 42 BN, Cinq Cents Colbert 367, p. 758-759, lettre au roi, 28 novembre 1579.

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pas une nouveauté pour elle, et avec leurs sujets orthodoxes, les Vénitiens ont “depuis long temps experimenté en leurs terres que les subjectz maintenus en liberté de conscience selon leur religion ne perdent l’obeissance et fidélité deue à leurs princes”, remarque encourageante pour le jeune Charles IX quand l’ambassadeur la lui fait en 156443. Cette liberté de conscience n’est

cependant pas pour Du Ferrier un principe intangible, mais bien plus une règle pragmatique. Si interdire une religion risque de provoquer des troubles, mieux vaut la tolérer. Mais l’idéal reste de ne pas avoir à se poser le problème et Du Ferrier approuve tout à fait la répression menée contre la dissidence religieuse sur le territoire de la république. Il y voit la réponse adéquate à “la meschante et diabolique secte d’anabaptistes”, pour laquelle il n’a pas de mots assez durs44.

Il admire l’habileté de la répression, qui évite de faire trop de publicité autour des victimes : “Ces Seigneurs ont esté en peine quelques jours pour quelque assemblée d’anabaptistes, une cène de luthériens ou huguenots descouverte à Padoue, à quoy ilz ont si dextrement remédié et si saigement qu’il ne s’en parle plus”45. Le flou des termes, qui rassemblent pêle mêle

anabaptistes, luthériens et huguenots, semble indiquer que Du Ferrier approuve à Venise ce qu’il déconseille en France, à savoir la répression non seulement des révolutionnaires anabaptistes, mais aussi des plus sages disciples de Luther ou de Calvin.

Cette contradiction n’est qu’apparente : Du Ferrier sait faire la part des différentes situations. Surtout, il n’est en rien choqué par une Inquisition d’Etat en matière religieuse, et admire là encore la sagesse vénitienne. Pour se préserver des troubles religieux, la Sérénissime n’hésite pas à réactiver la vieille inquisition médiévale, mais sous un rigoureux contrôle d’Etat qui fait de l’Inquisition vénitienne un tribunal dépendant à la fois de l’Eglise romaine et de la République. Trois magistrats députés au Saint-Office, les Tre Savii sopra Eresia, ont été créés en 1547 et supervisent l’activité inquisitoriale sur tout le territoire de la République46. Au grand

scandale de la papauté, des docteurs laïcs siègent dans les tribunaux, les causes jugées en Terre Ferme sont évoquées à Venise et non à Rome.

Une Inquisition de cette sorte ne peut que plaire à Du Ferrier, qui oppose volontiers sa prudente efficacité à la terreur que fait régner l’Inquisition romaine, notamment sous le pontificat de Pie V. L’ambassadeur caractérise bien la politique de ce dernier : “Le bon homme de pape n’a en teste que son inquisition, refformer les habillemens des presbtres et (...) rompre la tresve que cesdits Seigneurs ont avec ledit grand Seigneur”47. Il s’inquiète de voir Venise

céder un temps elle aussi à la panique anti-hérétique, en grande partie causée par les troubles de Flandres, dont la rumeur rend les Français responsables. “Ces faulx bruicts sont cause que les Françoys sont mal veux par deça et si n’en deslogent bien tost, s’en pourroint repentir comme

43 BN, Fr. 10.735, fol. 26 v°, lettre au roi, 12 juillet 1564.

44 Ibid., fol. 254 v°, lettre à la reine mère, Venise, 11 avril 1567. Il rapporte ailleurs diverses rumeurs sur la

politique espagnole en Flandre et se scandalise de voir qu’on parle même de “la permission des sectes des libertins et anabaptistes qui ne furent jamais tollerées en l’église catholique chrétienne”, Ibid., fol. 176 v°, lettre [au roi], Venise, 15 octobre 1566.

45 Ibid., fol. 263, lettre à la reine mère, [juillet 1567].

46 Voir sur le sujet Andrea DEL COL, “L’inquisizione romana e il potere politico nella repubblica di Venezia”,

Critica storica, 28, 1991, p.189-250.

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j’en ay adverty aulcuns. Car l’inquisition ne fust jamays en ceste ville ny par toute l’Italie si rigoureuse. Le pape ne pardonne à personne et recherche curieusement les choses dictes et faites il y a vingt et cinq ou trente ans”48. Les Français ne sont pas seuls visés, mais bien plus

les derniers restes des courants spirituali des années 1530 et 1540. Cette chasse choque Du Ferrier, non pas en soi, mais parce qu’elle atteint des hommes de savoir. Dans une même lettre, il fait savoir au roi l’arrestation de suspects dans des termes fort différents : les affaires de Flandres font que ces Seigneurs “ont donné plus grande liberté aux juges de l’Inquisition que ne souloient, tellement qu’en peu de jours ont esté mitz en prison plusieurs en ceste ville et de Padoue accusés d’hérésie, gens toutesfoys de bas estat et petite condition”. L’ambassadeur ne s’émeut guère pour ces plébéiens, mais est beaucoup plus choqué par l’arrestation d’un Guido Fanetti que le pape veut voir extrader à Rome, comme l’ont été en Toscane Pietro Carnesecchi et Donato Rullo, “tous troyes fort aagés et (...) de grand scavoir”. Heureusement, les Vénitiens “encores qu’ils n’ayent faicts difficultés de mectre en prison ledit Fanetti à la seule réquisition du pape sans aultre charge ny information” se refusent à le laisser quitter leur territoire et acceptent seulement qu’il soit jugé par un juge du pape pourvu que le jugement et l’exécution de la sentence se fassent dans leur Etat. Toujours prêt à voir des conflits bien temporels derrière le zèle religieux, Du Ferrier rapporte la commune opinion sur ces arrestations, qui est que le pape veut atteindre le cardinal Morone, son rival au conclave49.

Cet épisode permet de mieux cerner l’élitisme foncier qui chez Du Ferrier est à l’origine de sa prise de position en faveur de la liberté de conscience. S’il accepte volontiers que l’on impose un ordre religieux aux “gens de bas estat et petite condition”, il se cabre quand il voit ses pairs, un Carnesecchi ancien secrétaire de Clément VII, un Rullo familier du feu cardinal Pole, un Fanetti (ou da Fano) agent d’Henry VIII puis d’Elisabeth en Italie et ami de Du Ferrier50, livrés à l’arbitraire clérical. La liberté de conscience n’est pas pour Du Ferrier un

droit, mais un privilège lié à la condition et au savoir. Sa sympathie pour la Réforme vient sans nul doute du fait que, comme il l’explique à Catherine de Médicis en 1562, “depuis trente ans que j’ay esté aux universitez (... ), ceux que j’ay veus et cogneus les plus doctes et suffisans” y appartenaient51. Solidarité de lettrés, réaction de caste, comme on avait pu aussi la constater au

sein d’une partie du parlement de Paris lors de l’affaire Du Bourg : ces motifs expliquent bien comment l’idée de tolérance a pu cheminer, certes minoritairement, au sein de l’appareil administratif et judiciaire français, celui là même qui avait appliqué sans faillir la legislation répressive de François Ier et Henri II quand elle ne s’attaquait qu’aux autres.

48 Ibid., fol. 170-170 v°, lettre à Charles IX, Venise, 15 septembre 1566.

49 Ibid., fol. 158 v°, lettre au roi, Venise, 19 juillet 1566. Quand Fanetti est finalement livré aux autorités

romaines, Du Ferrier affirme à nouveau qu’il n’est pas tant arrêté “à occasion de religion que pour servir de tesmoing contre le cardinal Morone et certains aultres de Rome”, Ibid., fol. 162 v°, lettre au roi, 19 août 1566.

50 Voir sur ce personnage Aldo STELLA, “Guido da Fano eretico del secolo XVI al servizio dei re d’Inghilterra”,

Rivista di storia della Chiesa in Italia, 13, 1959, p. 196-238. L’auteur cependant se trompe sur l’identité de

l’ambassadeur français à Venise au moment de l’arrestation de Guido da Fano, Ibid., p. 232, note 117.

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Mais ce qui choque le plus Du Ferrier dans l’Inquisition romaine, c’est qu’il y voit une arme de la papauté non contre l’hérésie, mais contre les Etats et leurs juridictions. Devant elle, même l’immunité diplomatique ne joue plus, comme le prouve l’arrestation à Venise pour hérésie en 1582 du chevalier Aurelio Vergerio, parent du célèbre transfuge et agent du roi de France. Il est menacé d’expulsion à Rome, au grand scandale de Du Ferrier, qui écrit au roi : “Quand ledict Vergerius seroit le plus grand luthérien du monde, néantmoins s’en estant Vostre Majesté et vos prédécesseurs Roys servis si longuement pour la défense et conservation de l’Eglise catholique, comme ont faits les autres Roys et Princes, mesmes les Papes qui se sont quelques fois servis des Infidèles pour la conservation de leurs Estats, ledict Vergerius meritoit d’estre mis du tout hors de cette peine”52. Etre au service du roi de France devrait suffire pour ne pas être inquiété

pour ses opinions. Du Ferrier est désespéré de voir sa chère République de Venise donner l’impression de céder. Les Vénitiens hésitent en effet à mécontenter le pape. Heureusement, la République n’a pas abandonné ses bons principes et l’affaire s’achemine vers un dénouement favorable, dont Du Ferrier fait remarquer le caractère extraordinaire étant donné la révérence pour l’Inquisition en Italie : “Car encores que l’innocence dudict Vergerius et la calomnie de ses adversaires fust très notoire et que les habitans de la ville de Capodistria dont il est natif eussent tesmoigné de sa bonne vie et religion, néantmoins les formes de faire en telle matière par deça sont si exorbitantes, que si Vostre Majesté n’en eust escrit, et cesdicts Seigneurs mis la main il estoit en danger évident d’y mourir prisonnier, combien que par les décrets et constitutions anciennes de l’Eglise catholique soit permis aux princes temporels d’empescher l’exécution des jugemens ecclesiastiques notoirement iniques”53. Et quand Vergerio est enfin

libéré, Du Ferrier peut constater triomphalement : “Tout le monde a esté fort estonné par deçà, n’ayant encores veu que les princes temporels se soient entremis de tels affaires, combien que par les loix et décrets anciens, ils en soyent les vrays et naturels juges”54. Venise comme le roi

de France ont su faire reculer l’arbitraire romain.

Car l’admiration de Du Ferrier pour la Sérénissime a aussi pour cause son hostilité foncière à l’absolutisme pontifical et il lui plaît de retrouver en Italie un îlot qui partage les vieux principes gallicans. Sa correspondance est pleine des démêlées vénitiennes avec la papauté. Il note les mauvais rapports des Vénitiens et de Pie V “d’aultant qu’il leur veult ouster toute cognoissance de matières spirituelles” et menace de les excommunier s’ils ne veulent pas secourir Malte et se joindre à la ligue55. Le pape rappelle son nonce, l’archevêque d’Otrante, contre le désir de la

République de voir se prolonger sa mission. Mais la réponse de Pie V est “que icelluy arcevesque estoit trop doulx pour Venize et qu’il falloit y en envoyer ung aultre plus rigoureulx”56. Les relations s’améliorent avec la participation de Venise à la Sainte Ligue, pour

52 BN, Cinq Cents Colbert 368, p. 438, lettre du 27 avril 1582. 53 Ibid., p. 464, lettre au roi, 8 juin 1582.

54 Ibid., p. 471, letttre au roi, 22 juin 1582. Trois ans plus tard, le nouvel ambassadeur Hurault de Maisse informe

Henri III que Vergerio a été emprisonné à Gorizia par l’archiduc Charles. Il tente d’intervenir mais l’archiduc a déjà livré Vergerio à Rome, BN, Fr. 16.081, fol. 214 v° et 246, lettres au roi, 12 mars et 9 avril 1585.

55 BN, Fr. 10.735, fol. 136, lettre au roi, Venise, 27 mars 1566. 56 Ibid., fol. 148 v°, lettre au roi, Venise, 11 mai 1566.

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se détériorer gravement après la paix séparée de 1573. Du Ferrier admire alors la fermeté des Vénitiens, qui craignent bien plus une attaque espagnole que les censures pontificales. Ils continuent sans aucune gêne à vendre des terres ecclésiastiques et à percevoir les décimes accordées par Rome pour financer la guerre contre les infidèles, alors même que Grégoire XIII a révoqué ses grâces. Comme toujours, Du Ferrier en profite pour tirer une leçon gallicane et ajoute que les Vénitiens connaissent “assez que par toutes loix chrestiennes et anciennes les biens des ecclésiastiques doivent servir à la nécessité des princes aussy bien que les autres, comme aussy, si ne sont bien pris et employez, la permission du pape ne peut justifier ceux qui en abusent”57.

La république de Venise comme le roi de France ont donc des droits inaliénables en matière ecclésiastique, qui leur permettent de tenir tête à Rome. Ils tirent ces droits de leur passé. L’un comme l’autre ont puissamment aidé le Saint-Siège quand celui-ci vacillait sous les coups de ses ennemis. Quand le pape retire son nonce de Venise parce que la république a banni un inquisiteur malhonnête, Du Ferrier note : “plusieurs s’émerveillent, et ceux principalement qui ont leu dans les livres l’obligation que le Siège de Rome a à cette Seigneurie. Car sans son aide et de vostre Couronne premierement ledict Siège auroit esté longtemps transporté ailleurs”58. Le

soutien apporté à la papauté est d’autant plus désintéressé, à Venise comme en France, que les deux Eglises ont dans leur histoire une tradition d’indépendance à l’égard du Siège romain. A l’occasion d’un autre conflit, la venue d’un visiteur apostolique pour réformer les couvents dans le territoire vénitien, Venise ne manque pas de rappeler qu’elle dépendait autrefois de Constantinople et non de Rome, et Du Ferrier apprécie ce rappel si conforme à son ecclésiologie historiciste59. Les Eglises nationales peuvent être parfaitement chrétiennes sans

pour autant correspondre en tous points aux conceptions romaines et ceci est un argument de plus en faveur de la tolérance, comme Du Ferrier le disait dès 1562 à Catherine de Médicis : “La foy de l’Eglise gallicane [est] en plusieurs endroicts contraire à la foy de l’Eglise romaine, comme aux procurations, annates, dispenses, translations de royaumes et autres puissances prétendues par le pape”60. On ne peut donc sans mettre en péril le gallicanisme contraindre les

protestants à faire ce que l’on refuse depuis trois siècle en France et ailleurs, c’est-à-dire reconnaître aveuglément la primauté romaine. Bien au contraire, le salut de l’Eglise comme des Etats passe par une autonomie toujours plus grande face à Rome. Dans l’hiver 1580-1581, Du Ferrier apprend avec satisfaction la concomitance des oppositions à l’absolutisme pontifical : le parlement de Paris s’est opposé à la diffusion de la bulle In Coena Domini ; en Espagne, on a empêché l’exécution d’une sentence ecclésiastique sur les biens du nonce décédé ; Venise

57 BN, Cinq Cents Colbert 366, p. 127-128, lettre au roi, 17 avril 1573.

58 BN, Cinq Cents Colbert 368, première partie, p. 223, lettre au roi, 17 mars 1581.

59 Ibid., p. 214-215, lettre au roi, 3 mars 1581, “Cesdits seigneurs n’ont peu encores accorder leur différent avec

le pape sur la reformation qu’il prétend faire en leurs terres, dont j’ay escrit par mes dernieres et luy ont fait entendre par le légat résident auprès d’eux que cette Seigneurie avoit longtemps demeuré sous l’obéissance du Patriarche de Constantinople sans en rien connoistre de l’Eglise de Rome et quand ledit cardinal [d’Este, de passage à Venise] a pris congé d’eux luy ont fait amplement entendre les inconvéniens qui en pourroient advenir en changeant les anciennes formes de faire en leur Estat”.

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refuse la venue d’un visiteur apostolique. Cette offensive conjuguée des Etats contre les prétentions romaines permet à Du Ferrier d’oublier un temps la très vive tension franco-espagnole pour célébrer la solidarité des princes temporels et la victoire annoncée des principes gallicans dans toute la chrétienté : “Le revenu et autorité des courtisans de Rome va beaucoup diminuant, tellement que si les franchises et libertez anciennes de vostre Eglise gallicane sont communiquées aux autres pays de la Chrestienté, les choses pourront bientost revenir à leur premier estat et [être] gouvernées selon les anciens conciles de l’Eglise catholique et décrets de l’Eglise romaine”61 ; “si l’on commence de tenir ce bon chemin, les franchises et libertez de

vostre Eglise seront communes par toute la Chrestienté et cela estant, sire, l’on doit espérer l’entière pacification de vostre royaume”62. Les empiétements romains sur les juridictions

temporelles sont en effet une des causes majeures des troubles. A l’inverse, il est évident pour Du Ferrier que les princes non seulement peuvent, mais doivent intervenir dans les affaires ecclésiastiques. Un des moyens qu’il préconise le plus volontiers, depuis l’échec du concile général, est la tenue de conciles nationaux convoqués par le magistrat. À plusieurs reprises, il conseille au roi de France d’en assembler un63, et il approuve Venise quand la république, en

plein conflit avec Rome, n’hésite pas à brandir la menace d’une telle réunion64.

Il serait fastidieux de noter dans la correspondance de Du Ferrier toutes les manifestations de son gallicanisme virulent. Toute occasion lui est bonne pour dénoncer les ambitions illégitimes de Rome et le danger représenté par les décrets tridentins, qu’il s’agisse des difficultés faites par Grégoire XIII à la nomination de Paul de Foix, suspect d’hérésie, comme ambassadeur à Rome65, des querelles sur la nomination de Simon Vigor à l’archevêché de Narbonne vacant en

curie66, des prétentions des nonces à réformer l’Eglise gallicane67, etc. Et c’est bien évidemment

61 BN, Cinq Cents Colbert 368, première partie, p. 164, lettre au roi, 11 novembre 1580. 62 Ibid. p. 194, lettre au roi, 18 janvier 1581.

63 Il rappelle ainsi à Henri III le 5 août 1580 l’exemple de ses ancêtres qui ont assemblé des conciles nationaux

“et comme Sire ferez, Dieu aidant, après avoir pacifié vostre royaume, veu que sans cela il est du tout impossible de remettre vostre couronne en sa première splendeur”, Ibid., p. 125.

64 Ibid. p. 259-260, lettre au roi, 15 juin 1581,“Aucuns y adjoustent que s’il (le pape) usoit d’armes spirituelles,

comme d’interdict ou excommuniement, qu’ils useroient aussy de semblables armes faisans assembler un concile en leur Estat pour réformer l’estat ecclésiastique selon les anciens conciles et décrets de l’Eglise catholique, à l’exemple de plusieurs Empereurs, Roys et autres Princes souverains.”

65 Pour Du Ferrier, l’opposition du pape montre “le désir que ceux de Rome ont que vos sujets soient contraincts

d’y aller pour se justifier du crime d’hérésie”, contre les libertés de l’Eglise gallicane “entre lesquelles la principale a tousjours esté que vos sujets de quelque qualité ou condition qu’ils soient ne peuvent en aucune cause estre tirez à Rome”. Du Ferrier en avait déjà fait la remontrance à Pie IV et au concile de Trente. Les papes accusent ceux qui défendent ce droit d’hérésie, “mais si la chose est considérée comme il appartient, l’on trouvera que trois et quatre cens ans avant que Luther nasquist, vos predecesseurs roys se sont opposez à telles entreprises qui procèdent plustost d’ambition que de zèle de religion”. Comme il l’a déjà remontré au concile, “c’est beaucoup d’accorder au pape qu’il puisse créer juges déléguez en vostre royaume” et cela serait normalement au seul roi de connaître ces causes. Le pape avait refusé l’ambassadeur vénitien Niccolò Da Ponte, lui aussi ancien ambassadeur au concile de Trente, parce que Pie V l’avait déjà fait, le soupçonnant d’hérésie. Mais la protestation vénitienne a été telle que pape l’a finalement accepté, BN, Cinq Cents Colbert 366, p. 452-454, lettre au roi, 14 décembre 1573.

66 Du Ferrier soutient alors devant le nonce le droit de nomination royale : “c’est chose très certaine et veritable

que la présentation que vous (le roi) avez esdits bénéfices est plus ancienne et plus raisonnable que la provision qu’en fait aujourd’huy le pape par toute l’Italie, et eust faict longtemps à vostre royaume s’il n’en eust esté empesché par vos prédécesseurs, et faut espérer que la crainte de perdre l’annate et autres émolumens que la cour de Rome reçoit des bénéfices de vostre royaume, encore que ce soit contre les anciens decrets de l’Eglise catholique et romaine, aura semblable effect envers ce pape qu’elle a eu envers ses prédécesseurs”, Ibid., p. 22, lettre au roi, 24 janvier 1573.

67 BN, Cinq Cents Colbert 368, première partie, p. 256, lettre au roi, 15 mai 1581, “Et dit l’on par deça que le

nonce, qui va résider auprès de vous se promet de faire quelques belles réformes par tout vostre Royaume ; Dieu luy en face la grace et de commencer par ces entreprises de son maistre sur les franchises et libertez de vostre Eglise contre les saincts et anciens décrets de l’Eglise catholique”.

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quand le pape fait mine de favoriser l’éternel rival espagnol que Du Ferrier se fait le plus menaçant68.

Cette permanente agressivité anti-romaine signifie-t-elle un penchant pour la solution anglicane ? C’est en tout cas l’accusation formulée contre l’ambassadeur français dès après son discours du 22 septembre 1563 à Trente : il aurait voulu faire du roi de France un roi d’Angleterre, unique chef de son Eglise69. Du Ferrier s’en défend longuement et à plusieurs

reprises, preuve sans doute que l’accusation a porté. Dans un mémoire vraisemblablement adressé à Morone et publié ici en annexe, il reprend la thèse gallicane traditionnelle : l’Eglise peut excommunier un tyran qui la persécute - allusion claire à l’Angleterre, nation pour laquelle Du Ferrier n’a aucune sympathie70 -, mais ne peut agir contre un roi qui exerce des droits

anciens et légitimes, dont la validité a été reconnue par l’Eglise primitive, les Pères et la succession des conciles71. On voit ici poindre ce que les diatribes anti-romaines de Du Ferrier

masquent un peu trop : le souci d’équilibre des pouvoirs au sein de l’Eglise, souci typiquement gallican. De façon vigoureuse, l’ambassadeur défend les droits de son roi, mais il n’est aucunement séduit par un quelconque érastianisme, qui lui paraît relever de la tyrannie. Si Ferrier craint surtout l’absolutisme romain, il ne veut pas lui substituer un contrôle absolu du roi sur son Eglise. L’équilibre entre papauté et monarchie, menacé pour l’instant surtout par les décrets tridentins en faveur de la première, doit être préservé, y compris au besoin au détriment du pouvoir royal s’il devenait trop envahissant.

Cet dernier aspect, que l’on a toujours négligé dans l’étude du gallicanisme, explique un épisode curieux de l’ambassade de Du Ferrier. Dans ses longues discussions à Venise avec le nonce Facchinetti, l’ambassadeur défend la bonne volonté des gouvernants français et leur réel désir d’une réforme de l’Eglise, défense qu’il relate volontiers dans sa correspondance avec le roi72. Mais il s’abstient de rapporter des propos plus surprenants que Facchinetti transmet à

68 Ainsi, quand le pape chasse de Rome le cardinal d’Este, protecteur de France, Du Ferrier commente : “L’on

sçait assez que cela n’a été fait que pour favorir les uns (parti espagnol) et défavorir les autres, à quoy toutesfois sera bien aisé de pourvoir estant la France paisible, sans se départir aucunement de l’unité et obéissance que tous bons Chrestiens doivent à l’Eglise catholique, et en faisant ce que vos prédécesseurs roys ont souvent faict et ordonné contre les papes qui ont tasché d’entreprendre sur les franchises et libertez de vostre couronne et Eglise gallicane”,

Ibid., p. 116, lettre au roi, 22 juillet 1580.

69 A. TALLON, ouvr. cit. (voir n. 5), p. 403.

70 Après le massacre de la Saint-Barthélémy, qu’il a fortement réprouvé, Du Ferrier conseille cependant à

Charles IX : “On doit s’appliquer à tenir en bride l’Anglois, lequel est une mauvaise beste ; et est fort à craindre qu’il ne soit irrité de ces désastres et que l’Allemand et luy ne soient pour vous donner de la fascherie”, cité par E. FREMY,

ouvr. cit. (voir n. 1), p. 179. Quand La Rochelle résiste à l’armée royale, l’ambassadeur se montre favorable à la

négociation, d’autant plus que les huguenots risquent d’appeler à l’aide l’Angleterre, dont la récente alliance avec les princes protestants est “plus pour vous faire la guerre qu’au roy d’Espagne”, BN, Cinq Cent Colbert 366, p. 89, lettre au roi, 20 mars 1573.

71 Encore en 1582, lors de l’affaire Vergerio, Du Ferrier s’étonne du scandale que provoque à Rome

l’intervention des princes en matières ecclésiastiques “combien que par les loix et décrets anciens, ils en soyent les vrays et naturels juges. Ce que vous, Sire, et vos prédécesseurs Roys, avez très sainctement observé en vostre Royaume par le moyen des franchises et libertez de l’Eglise gallicane, que le concile de Trente a voulu si souvent enjamber, et persuader que l’autorité que Dieu et le droit commun vous a donné en telles et semblables matières procédoit des privilèges des Papes, qu’ils peuvent révoquer quand bon leur semble, et fut en cela fondée en partie ma protestation audict concile, duquel ceux de Rome poursuivent si fort la publication pour amoindrir votre ancien et légitime pouvoir et agrandir celuy qu’ils se sont attribuez depuis quelque temps”, BN, Cinq Cents Colbert 368, première partie, p. 471-472, lettre au roi, 22 juin 1582.

72 Il rapporte ainsi une discussion avec le nonce, qui “m’a parlé bien avant de la bonne et louable intention que

Sa Sté a de faire une bonne réformation en l’Eglise et m’a dict que ladite réformation seraoit aujourd’huy du tout faicte si la France vouloit recepvoir les quatre principaulx poincts contenu en icelle qui sont, comme il dict, la résidence des évesques, abbez et aultres beneficiers, cesser toutes pensions, résignations in favorem et dispenses sur

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Rome : en février 1567, Du Ferrier vient le voir et précise bien qu’il parle en son nom propre et non par commission du roi. Il lui dit que le pape peut réduire les huguenots français pacifiquement “en faisant observer les concordats et en donnant la provision des monastères et des églises à des personnes catholiques, de bonnes mœurs et lettres, car le roi est obligé par ces dits concordats de nommer des personnes de cette qualité. Notre Seigneur ne doit surtout pas se fier aux procès ni à aucune information qui lui serait envoyée de France, car les monastères se donnent aux huguenots, qui prouvent ce qu’ils veulent par de faux témoignages sur leur suffisance et religion ; mais Sa Sainteté devrait obliger tous ceux qui veulent des monastères ou des églises à venir à Rome et là les examiner avec diligence”. Stupéfait, Facchinetti répond qu’une telle rigueur du pape risque de déplaire aux catholiques français eux-mêmes. Du Ferrier répond que tel est le souhait des parlements73. Quelques jours plus tard, l’ambassadeur français

prévient Rome, qui laisse une commission de trois théologiens parisiens examiner les candidats aux évêchés et abbayes, que les hommes vénaux sont nombreux à la Sorbonne et qu’ils ne feront guère de difficultés devant les fausses preuves.

On reste très étonné devant une telle trahison des principes les plus sacrés du gallicanisme, au point de se demander si Du Ferrier ne joue pas les agents provocateurs. Mais il réitère son propos trois ans plus tard : le pape ne doit plus accepter de dérogations aux clauses du concordat et ne doit plus accorder d’évêchés ou d’abbayes sinon à des candidats qui seraient venus se faire examiner à Rome. Il doit demander au roi de consulter le parlement et la Sorbonne sur les indispensables réformes. Il doit enfin convoquer tous les prélats français à Rome pour faire cesser les abus, notamment dans le prélevement des décimes et la provision des bénéfices74. En faisant jouer la papauté contre l’arbitraire royal, Du Ferrier ne trahit pas son

propre camp, mais au contraire reste fidèle au vieux gallicanisme parlementaire, qui avait tant rechigné à enregistrer le concordat. De la double tutelle pontificale et royale, l’Eglise gallicane doit tirer une autonomie qui est la seule garantie d’une réforme sérieuse. Tout “politique” qu’il est, Du Ferrier reste sensible à la vieille alliance du parlement et de l’université, ce “parti conservateur” si bien décrit par James K. Farge, qui n’est pas présent dans les seuls rangs des catholiques extrémistes. Le représentant de Charles IX n’est pas le seul à penser que la monarchie a sa part de responsabilité dans la crise religieuse et Paul de Foix, personnalité à bien des égard très semblable à celle de Du Ferrier, et qui l’avait remplacé pendant trois ans à

la pluralité des bénéfices ; ce que je ne luy ay peu accorder non plus que quand il m’a aussi dict que votre royaulme s’exempteroit plustost de l’obéissance du pape que recevoir la susdite reformation”. Il n’est pas nouveau que Rome cherche à rejeter l’absence de réforme sur la France, contre le témoignage de l’histoire et des actes des conciles généraux qui ont vu les rois de France demander cette réforme depuis trois cents ans, et notamment l’observation de ces quatre points “comme leur a esté assez remonstré au concille de Trente”, BN, Fr. 10.735, fol. 156 v°, lettre au roi, Venise, 6 juillet 1566.

73 “Con servare i concordati et provedere dei monasteri et delle chiese a persone catholice di buoni costumi et

lettere, perché il Re per i detti concordati è obligato a nominare persone di questa qualità et sopra tutto che N. S. non dovria stare a processo né a informatione alcuna che gli venisse mandata di Francia perché i monasterii si danno a Ugonotti, che pruovano per testimonii falsi della loro sufficientia et religione ciò che vogliono, ma che S. Stà doveria constringere tutti quelli che vogliono monasterii o chiese a venir a Roma et ivi essamnarli diligentemente”, A. STELLA éd., Nunziature di Venezia, t. 8, Rome, 1963, p. 172, lettre de Facchinetti à Bonelli, Venise, 8 février 1567.

74 A. STELLA éd., Nunziature di Venezia, t. 9, Rome, 1972, p. 344-345, lettre de Facchinetti à Rusticucci, Venise,

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