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Associations paysannes et réforme agraire : le cas de PDG, Négros Occidental, Philippines

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Academic year: 2021

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Associations paysannes et réforme agraire : le cas de PDG, Négros Occidental, Philippines

Auteur : Wattiez, Mélanie Promoteur(s) : Poncelet, Marc

Faculté : Faculté des Sciences Sociales

Diplôme : Master en sciences de la population et du développement, à finalité spécialisée Coopération Nord-Sud

Année académique : 2015-2016

URI/URL : http://hdl.handle.net/2268.2/1766

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Master en Sciences de la Population &

du Développement

Associations paysannes et réforme agraire

Le cas de PDG, Négros Occidental, Philippines

Présenté par : Mélanie WATTIEZ

Membres du Jury : M.PONCELET (Promoteur)

M. LEBAILLY (Lecteur) M. SERVAIS (Lecteur)

Année Académique 2015-2016

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II

« La propriété, c’est la liberté »

Pierre-Joseph Proudhon

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III

Remerciements

Je tiens à commencer cette recherche par adresser mes sincères remerciements à toutes les personnes qui y ont contribuées de près ou de loin.

Merci à mon promoteur, Monsieur Poncelet, pour ses conseils judicieux et la liberté qu’il m’a accordée dans mon travail.

Merci à mes lecteurs, Monsieur Servais et Monsieur Lebailly, d’avoir accepté de me lire.

Merci au PACODEL, sans qui je n’aurais sans doute pas pu effectuer mon terrain aux Philippines.

Merci à Arlène, Ben, Elmee, et les autres membres de PDG de m’avoir accueillie au sein de l’ONG et de m’avoir permis de mener à bien mon terrain. J’aimerais tout particulièrement remercier Jocelyne et Arlène de m’avoir accueille dans leurs familles respectives. Merci également à tous les agriculteurs qui ont partagé leur histoire avec moi.

Merci à Nicolas et Thomas, de m’avoir patiemment relut. Merci à Anaïs, Anne-Sophie, Elora et Tatiana, pour leur précieuse compagnie et conseils durant la rédaction de ce travail.

Merci à Bernard, pour tout.

Finalement, merci à mes parents pour le soutien sans faille qu’ils m’apportent dans tout ce que j’entreprends.

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IV

Liste d’acronymes

BAKAS - Buhi nga Aksyon para sa Kauswagan kg Pag-Amlig sg Mangunguma kag Mamumugon

BIT – Bureau international du travail CA – Compulsory Acquisition

CARP – Comprehensive Agrarian Reform Program CLDC – Cartegena Land Development Corportion CLT – Certificate of Land Transfer

CLOA – Certificate of Land Ownership Award CPP – Communist Pilipino Parti

DAR – Department of Agrarian Reform

DENR – Department of Environment and Natural Resources DGCD – Direction Générale Coopération au développement FAO – Food and Agriculture Organization

FMI – Fond Monétaire International LBP – Land Bank of the Philippine

MAFA – Mahalang small farmers associations

MAMMSA - Magagmay nga Mangunguma kag Mangingisda sang Sabang NDF – National Democratic Front

NPA – New People’s Army

OMC – Organisation Mondiale du Commerce

PATAG - Palangabuhi an Amligan Teknolohiyang Agrikultura Gamiton PD – President Decree

PDG – Padhiga Kausawa-gan Development Group PNB – Philippine National Bank

VLT – Voluntary Land Transfer VOS – Voluntary Offer-to-Sell WFP – World Food Programme

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V

Sommaire

Remerciements ... III Liste d’acronymes ... IV

Introduction ... 1

Première partie : Mise en contexte, méthodologie et problématique ... 3

Chapitre 1 : Contexte général ... 3

1.1 Les Philippines ... 3

Généralités ... 3

Économie et politique ... 4

Historique de la colonisation ... 5

Les révoltes paysannes et l’espoir de l’indépendance ... 5

Chapitre 2 : La propriété foncière aux Philippines ... 7

2.1 Avant la colonisation espagnole ... 7

2.2 Pendant la colonisation espagnole ... 7

2.3 Essais avortés de réforme agraire ... 9

2.4 Réformes agraires majeures... 11

L’ « Agricultural Land Reform Code » de Maapagal (1961-1965) ... 11

Le « Presidential Decree 27 » ou PD 27 de Marcos (1964-1986) ... 11

Le « Comprehensive Agrarian Reform Programm » ou CARP d’Aquino (1986-1992) ... 14

2.5 La question foncière aujourd’hui ... 17

Chapitre 3 : Émergence de la société civile aux Philippines ... 19

Chapitre 4 : Méthodologie ... 21

4.1. Etapes de la recherche ... 21

Rencontres préliminaires ... 21

Recherche bibliographique ... 22

Le terrain et la récolte de données ... 22

4.2 Cheminement de la question de recherche ... 22

4.3 Limites de la recherche ... 23

Deuxième partie : Cadre théorique, Hypothèses ... 25

Chapitre 1 : Cadre théorique ... 25

(7)

VI

1.1 Aspect foncier ... 25

Réforme agraire : définition ... 25

Quel type de régime foncier aux Philippines ... 26

1.2 Aspect mobilisation ... 28

Les 15 conditions pour passer à l’action collective : grille d’analyse ... 28

Actions collectives ? Mouvements sociaux ? ... 30

La relation de domination ... 31

1.3 Approche théorique de l’ONG ... 34

L’approche du tiers secteur ... 34

Conditions de survie et difficultés rencontrées par les organisations locales ... 36

Chapitre 2 : Hypothèses ... 38

Troisième partie : Analyse ... 39

Chapitre 1 : Le terrain ... 39

1.1 PDG, l’organisme d’accueil ... 39

1.1.2. Présentation générale ... 39

1.1.3 PDG en tant qu’organisme fédérateur ... 41

1.2 Les associations ... 43

1.2.1. Présentation générale ... 43

MAFA association ... 43

BAKAS association ... 44

MAMMSA association ... 45

PATAG association ... 46

1.2.2 Tableau récapitulatif ... 47

1.2.3. Autoperception des paysans : mise en lumière ... 48

Groupe de paysans, association ou communauté ? ... 48

Du statut de travailleurs agricoles à celui de paysans sans terre ... 49

Chapitre 2 : mise en lumière de la notion de mobilisation ... 51

Les 15 conditions pour passer à l’action collective ... 51

Les mobiles ... 58

Le contexte ... 60

Conclusion sur la notion de mobilisation ... 61

Chapitre 3 : Mise en lumière des stratégies adoptées par PDG et par les associations ... 62

3.1 PDG ... 63

Justification du discours ... 63

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VII

Stratégie participative ... 63

Le plaidoyer ... 65

Réseautage ... 66

3.2 Les organisations paysannes ... 66

Mobilisation ... 66

Pétition ... 67

Piquets ... 67

Occupation des terres... 67

Conclusion sur les stratégies ... 68

Chapitre 4 : Mise en lumière de l’efficacité des stratégies adoptées ... 69

État des lieux ... 69

Facteurs d’influences des résultats ... 70

Conclusion sur les résultats ... 71

Conclusion ... 72

Bibliographie ... 77

Annexes ... 82

Annexe A : Carte des Philippines, Negros Occidental ... 83

Annexe B : guide d’entretien ... 84

Annexe B (bis) : typologie des personnes interrogées... 85

Annexe C : Interview du DAR ... 86

Annexe D : Structure de PDG ... 88

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1

Introduction

En 2015, la Food and Agriculutre Organization of the United Nations (FAO) estime à 795 millions le nombre de personnes souffrant de la faim. 98% d’entre elles vivent dans les pays en voie de développement. Les trois quarts de ces personnes vivent dans des zones rurales, principalement en Asie et en Afrique (WFP, 2016).

La FAO calcule également qu’environ la moitié des personnes souffrant de la faim sont des paysans issus de petites communautés agricoles, très vulnérables aux aléas climatiques. Vingt, autre, pour cent sont des agriculteurs sans terre et enfin, dix pour cent sont des paysans qui dépendent de la pêche ou de ressources forestières (WFP, 2016).

C’est avec ces chiffres alarmants en tête que nous nous sommes rendue aux Philippines, où l’agriculture compte encore pour douze pour cent du PIB total. La terre est un problème pour beaucoup de paysans : une réforme agraire existe, mais n’est pas réellement efficace.

Nous avons effectué notre terrain sur l’île du Négros Occidental, région qui nous tient particulièrement à cœur considérant les attaches qui nous lient à cette île. C'est également une île où soixante-huit pour cent des terres sont agraires et où quarante-deux pour cent d’entre elles sont utilisées pour la culture de la canne à sucre.

Nous avons été accueillie par une ONG philippine, appelée « Padhiga Kausawa-gan Development Group » (PDG). L’ONG est située dans ville de Kabankalan. Grâce à elle, nous avons eu la chance de vivre en immersion dans quatre communautés de paysans où nous avons pu nous rendre compte de la vie rurale. C’est ici qu’apparaît la première limite de notre recherche : elle ne se concentre que sur ces quatre communautés, il est donc difficile d’en tirer des généralités. De plus, nous portions une double casquette : celle de stagiaire dans l’ONG et celle d’étudiante mémorante.

Avant notre départ nous nous sommes renseignées sur le terrain, d’abord au travers de lectures, ensuite nous avons rencontré des partenaires belges, et finalement nous avons formulé la question suivante : quel est le rôle des associations paysannes dans le processus de la réforme agraire ? Qu’est- ce qui pousse les paysans à se mobiliser ?

Au fur et mesure de notre terrain, nous nous sommes rendu compte que PDG était une organisation fédératrice. Notre question est alors devenue : quel est le rôle de PDG dans l’organisation des associations paysannes et plus largement dans le processus de la réforme agraire.

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2 Pour tenter de répondre à notre question, nous allons diviser cette recherche en trois parties. La première sera consacrée à la mise en contexte de notre terrain. Nous allons aborder la réforme agraire sous un angle historique, mettre en lumière ce qui a déjà été réalisé en la matière. Ensuite, nous aborderons notre méthodologie.

La deuxième partie sera consacrée à la théorie. Nous allons passer en revue différents aspects qui nous aideront à formuler des hypothèses et à les vérifier par la suite. Nous divisons cette partie en trois aspects : l’aspect foncier, l’aspect mobilisation et une approche théorique de l’ONG. Au terme de ces recherches, nous posons l’hypothèse suivante : une sollicitation extérieure (incarnée par PDG) favorise l’action collective et l’organisation des communautés rurales dans le but de donner la chance aux paysans marginalisés d’occuper une place dans l’échiquier politique. Or de cette hypothèse nous dégageons une sous-hypothèse : les stratégies mises en place par PDG (et par les associations locales) s’adaptent au contexte et les résultats qui découlent de ces stratégies varient également en fonction du contexte.

Dans la troisième et dernière partie de notre recherche, nous tenterons de répondre à ces hypothèses. Pour ce faire, nous allons commencer par la présentation de notre terrain et de notre échantillon. Ensuite, nous allons mettre en exergue la notion de mobilisation, nous essayerons de comprendre le pourquoi de cette mobilisation, quels sont les mobiles qui les animent. Après cela, nous mettrons en lumière les stratégies adoptées par PDG ainsi que par les associations : que font-elles pour exister dans le processus de la réforme agraire ? Enfin, nous tenterons d’évaluer l’impact de ces stratégies : sont-elles réellement efficaces ?

Nous proposerons ensuite une conclusion générale dans laquelle nous reprendrons les principaux résultats de cette recherche, que nous tenterons de nuancer.

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3

Première partie : Mise en contexte, méthodologie et problématique

Nous choisissons d’entamer notre recherche par une présentation générale du pays qui nous permettra de mieux situer l’Histoire de ce pays, la colonisation ayant un rôle très important dans la problématique foncière. Ensuite, nous essayerons d’aborder la réforme d’un point de vue historique.

Nous nous appliquerons à passer en revue ce qui a été accompli dans le domaine.

Chapitre 1 : Contexte général

1.1 Les Philippines

Généralités

Composés de plus 7000 îles dont 880 sont peuplées pour un total de 100 millions d’habitants, les Philippines sont, en Asie du Sud-Est, le deuxième pays le plus important en terme de population et le cinquième plus important du point de vue économique. Cet archipel couvre une surface de 300 000 km². Si l’on ajoute à cela le domaine maritime, l’archipel s’étend alors sur environ 1,8 million km².

Le pays est divisé en trois régions : au nord nous retrouvons l’île de Luzon (106 700 km²), il s’agit de l’île principale qui abrite Manille, la capitale. Au sud se situe Mindanao (96 000 km²) et enfin au centre, nous retrouvons un ensemble d’îles appelées les Visayas. Les îles qui composent cet ensemble sont Samar (13 200 km²), le Negros, qui est le lieu de notre terrain (12 700 km²), Leyte (7200 km²) et Cébu (4400 km²).

L’archipel compte deux langues nationales : le tagalog et l’anglais (hérité de la domination américaine). Bien que le tagalog soit la langue nationale la plus utilisée, il existe une grande variété de dialectes. Parmi ceux-ci, nous citerons le cebuano, l’ilokano et l’hiligaynon autrement appelé ilongo.

Ce dernier est le dialecte largement parlé sur l’île de Negros.

La longue période de colonisation espagnole (environ trois siècles), fait des Philippines l’un des seuls pays d’Asie où la population est majoritairement catholique. En effet, 80% de la population est aujourd’hui catholique contre environ 4,5 % de musulmans (surtout implantés dans la région de Mindanao) et 5,4 % de protestants. On retrouve aussi beaucoup d’Églises indépendantes.

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4 Économie et politique

Les Philippines comptent beaucoup de richesses naturelles : en plus des ressources maritimes et agricoles, il y a aussi les ressources minières (or, chromite, cuivre). Malheureusement, ces richesses ne sont pas exploitées par les Philippins eux-mêmes, mais souvent par des investisseurs étrangers.

Si l’on considère la part des principaux secteurs d’activités dans le PIB, l’industrie représente 31,5 % et le secteur des services, en constante évolution, compte aujourd’hui pour plus de 55% du PIB total. On constate que l’agriculture n’est plus le secteur numéro un en terme de valeur ajoutée au PIB, néanmoins, il reste très important. Si l’on considère le secteur de l’agriculture en termes d’emploi il représentait en 2005 environ 37% (Habito, 2005).

Sur l’île de Négros, l’économie est marquée par la culture d’exportation de canne à sucre. Sur cette île, 68% des terres sont utilisées exclusivement pour l’agriculture. Parmi ces terres 42% sont réservées à la culture de canne à sucre, ce qui porte à deux millions le nombre de personnes qui dépendent directement du cours du sucre (Quinoa, sd).

L’une des faiblesses du secteur agricole, autre que l’accès à la terre et les problèmes que cela engendre, est que ce secteur dépend fortement des aléas climatiques.

Le secteur de l’agriculture peut jouer un rôle crucial dans l’économie d’un pays tel que les Philippines. Ce secteur produisant la nourriture et les matières premières nécessaires au reste de l’économie est donc à la base de l’économie (Habito et Briones, 2005).

Ces trente dernières années, différentes politiques ont été mises en place par les gouvernements afin de stimuler la croissance économique. La place toujours plus importante occupée par le secteur des services reflète les aspects positifs de ces politiques. Le secteur de la télécommunication connaît un véritable essor depuis sa libéralisation. Malgré un climat économique qui semble favorable, la pauvreté reste présente et continue d’augmenter. Il existe encore une disparité de la répartition des revenus en fonction des régions du pays et en fonction des zones rurales et urbaines.

Le pays a connu une longue période dictatoriale entre 1965 et 1986 pendant la présidence de Marcos. Ce dictateur est surtout connu pour avoir instauré la loi martiale en 1972, réformé le système politique pour en faire un régime parlementaire et enfin imposé une nouvelle Constitution au pays. En 1985, face à la contestation publique et sous la pression internationale (les États-Unis), des élections ont eu lieu et Corazon Aquino devient Présidente amorçant ainsi un retour vers la démocratie.

Paradoxalement, c’est sous le règne de Marcos que l’on voit apparaître pour la première fois une politique agraire qui se veut réellement réformatrice, mais nous y reviendrons lors de la présentation des différentes réformes agraires entreprises.

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5 Aujourd’hui les Philippines sont une République présidentielle multipartiste. Le 9 mai dernier, les Philippins votaient pour leur nouveau président : Rodrigo Duterte. Homme politique controversé, celui-ci a tenu un discours populiste durant toute sa campagne s’attirant ainsi les voix des plus pauvres.

L’homme qui est surnommé « le Trump » d’Asie est entré en fonction le 30 juin dernier (Harold, 2016).

La ligne politique qu’il adoptera durant les six années de son investiture reste encore incertaine, Duterte ayant tenu des propos contradictoires tout au long de sa campagne, notamment au niveau de la politique étrangère.

Historique de la colonisation

C’est en 1521 que Magellan pose le pied sur l’île de Mactan dans ce qu’on appelle aujourd’hui, les Visayas. En 1565, soit 44 ans plus tard, Manuel Lopez de Legazpi arrive à Cebu, toujours dans les actuels Visayas, entraînant avec lui la création de la colonie espagnole. Cet archipel représente pour l’Europe un point d’entrée pour l’évangélisation de la Chine et du Japon. Même si ce projet a échoué, l’évangélisation des Philippines a fait bon train, l’influence de l’Eglise est alors très forte.

En 1898 suite au Traité de Paris, l’Espagne cède sa colonie aux États-Unis, moyennant une indemnisation de 20 millions de dollars. Les Philippines resteront sous la domination américaine jusqu’au 4 juillet 1946 où les États-Unis lui offrent l’indépendance.

Les révoltes paysannes et l’espoir de l’indépendance

Toute la période de colonisation a été ponctuée de soulèvements de la part du peuple philippin.

Sur les 350 ans de règne espagnol, on dénombre une centaine de soulèvements avec un impact varié.

Les causes de ces révoltes sont multiples : l’accaparement des terres par une partie privilégiée de la population comprenant les hommes d’Église et l’élite philippine, l’origine indigène de ces terres, la dégradation des conditions de vie et de travail des paysans devenus pour la plupart locataires ou travailleurs agricoles, ainsi que, dans une moindre mesure, l’intolérance religieuse, sont autant de facteurs ayant contribués au départ des révolutions (Willoquet, 1961). Chaque soulèvement était réprimé, souvent de manière très violente.

Paradoxalement, le sentiment nationaliste a été réveillé par l’administration espagnole en 1868 lorsque le gouvernement républicain de Madrid adopta une politique plus libérale. Des fonctionnaires espagnols furent envoyés à Manille apportant avec eux un discours chargé de valeurs telles que l’indépendance des peuples, les droits de l’Homme, la liberté, etc. Ce discours fournit une solide base idéologique aux discours des nationalistes philippins, base qui manquait aux soulèvements passés.

Lorsque l’Espagne redevient une monarchie, en 1871, le discours change aussitôt aux Philippines. Mais le peuple philippin s’organise et prend les armes. En guise de réponse, les Espagnols

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6 font exécuter 41 meneurs et parmi eux trois prêtres. Les expatriés philippins en Espagne s’allient alors aux pros républicains et créent la Sociedad Hispano-Filippina. Ils réclament l’établissement d’un gouvernement local ainsi que des réformes sociales pour les Philippines. Parmi les grandes figures de l’époque, on citera José Rizal. Aujourd’hui érigé au rang de héros national, il est né à Manille, mais a été à l’Université en Espagne. Il dénonce les injustices dont sont victimes les Philippins au travers de romans et de poèmes. Plusieurs fois contraint de s’exiler, il fonde la Ligia filipina en 1888 à Hong Kong et propose à Despujols, capitaine général, ses services pour trouver une solution afin d’apaiser les tensions dans son pays. Despujols fait mine d’accepter, mais dès que Rizal pose le pied à Manille, il est arrêté et transféré dans une prison à Mindanao. Après avoir changé plusieurs fois de lieu de détention, Rizal est emprisonné à Manille : La ville est sujette à de plus en plus de tensions. Les révolutionnaires gagnent en puissance et Despujols espère ainsi faire peur aux révolutionnaires. Finalement, Rizal aura droit à un procès en 1896 et sera fusillé le 30 décembre de la même année. Cette exécution déchaîne le peuple philippin, qui obtiendra finalement un semblant d’indépendance en 1897 après une révolte armée (Willoquet, 1961).

Mais en 1898, un navire de guerre américain explose dans la baie de La Havane, les Espagnols sont accusés d’être responsables de l’explosion. Commence une guerre qui oppose les États-Unis et l’Espagne. Les Philippins sont alors mobilisés par l’armée espagnole. Un accord verbal est alors conclu : le peuple philippin aura son indépendance totale en guise de remerciement. Finalement, le 25 septembre 1898, l’Espagne et les États-Unis signent le traité de Paris (Willoquet, 1961). Celui-ci met fin à la domination espagnole dans le Pacifique, mais anéantit aussi les espoirs d’indépendance pour le peuple philippin : l’Espagne vient de céder sa colonie aux États-Unis, moyennant la somme de 20 millions de dollars (Giri, 1997, cité par Roegiers, 2001).

Le gouvernement américain semble prêt à entamer une réforme du pays. Nous nous contenterons d’aborder l’aspect agraire de cette réforme. À cet effet, en 1903, il rachète au clergé une grande partie de ses terres dans le but de les revendre aux paysans philippins. Néanmoins, ceux-ci n’ayant pas les moyens de les acheter, c’est encore une fois l’élite philippine qui s’approprie ces terres. La bourgeoisie foncière gagne encore une fois en puissance (Roegiers, 2001).

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Chapitre 2 : La propriété foncière aux Philippines

2.1 Avant la colonisation espagnole

Avant la colonisation, les Philippins vivent d’une agriculture de subsistance, l’archipel n’est pas densément peuplé et l’agriculture est itinérante. L’accès à la terre n’est alors pas un problème. Les cultivateurs se déplacent d’un terrain à l’autre en fonction des cycles de culture (Alcina, 2005 : 98-99, Urich, 2003 : 159, cité par Miura, 2016). Le système foncier est basé sur le principe d’usufruit : le produit des récoltes revient à celui qui avait cultivé la terre. La notion de propriété privée n’existe pas, néanmoins il existe une hiérarchie sociale qui régule l’usage de la terre.

Le bon fonctionnement du système foncier est assuré par l’organisation en communautés appelées barangay. Au sein de ces communautés, nous pouvons retrouver différentes classes sociales :

« il est composé de chefs (datu), d’hommes libres, de serfs et d’esclaves » (Hayami et al. 2000, cité par J. Roegiers, 2001 : 7). Le rôle du datu est d’assurer la protection de sa communauté et d’affecter les terres aux familles faisant partie de la communauté. La relation entre le datu et sa communauté est basée sur le principe de réciprocité : en échange de la terre attribuée, le paysan offrait son soutien politique au datu ainsi qu’un tribut. Si le paysan se voyait dans l’incapacité de régler son tribut, il s’endettait et se voyait alors reprendre sa terre par le datu. Il devenait son esclave, le temps de s’acquitter de sa dette (W.

Scott, 1994, cité par Miura, 2016).

On constate donc qu’avant l’arrivée des Espagnols, la hiérarchie du système social est indissociable du régime foncier (Miura, 2016).

2.2 Pendant la colonisation espagnole

En 1565, les colons espagnols s’établissent aux Philippines important avec eux un nouveau régime étatique, mais aussi un nouveau régime foncier. Le gouvernement philippin est dirigé par un gouverneur qui possède les pleins pouvoirs, il est secondé par un conseiller nommé par le Roi d’Espagne.

Des Alcadles mayores sont au pouvoir dans les provinces, et les cantons sont dirigés par des Philippins appelés gobernadorcillos, responsables devant le gouverneur. Les villages ou barangay sont administrés par des cabezas de barangay, Philippin élu par le village (Willoquet, 1961). Toutes ces personnes sont issues de l’élite philippine appelée cacique (Mclennan, 1969). Cette élite privilégiée assure aux colonisateurs le soutien d’une partie de la population locale et en échange de ce soutien l’élite se voit attribuer des titres de propriété foncière leur conférant ainsi le statut de propriétaire (Sinha, 1987).

L’arrivée des Espagnols marque aussi l’arrivée du concept de propriété privée. Avec ce concept, ils vont prendre possession d’un nombre considérable de terres. Pour cela, ils octroient des titres de

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8 propriété aux personnes qui veulent prendre part à la production agricole. Les terres qui ne sont pas ainsi distribuées sont déclarées comme appartenant à la couronne. Le Roi d’Espagne, Philippe II, accorde de larges concessions à l’Église, on appelle ces domaines des encomiendas. Grâce à ces concessions, l’Eglise possédait, jusqu’en 1898, environ 200 000 ha de terre. Cela représente environ 60 000 familles de colons (Willoquet, 1961). À cette époque, nous retrouvons quatre profils de propriétaires terriens : les fonctionnaires espagnols, les militaires, le clergé et l’élite philippine (cacique). Il existe encore des paysans indigènes qui exploitent des terres sans titres légaux sur le modèle du fee simple1 ou « fief simple » avec la possibilité d’aliéner sa propriété.

Avec la création de cette élite et l’introduction de la notion de propriété privée, on perçoit aussi un changement de la notion de pouvoir. Alors qu’avant la colonisation, le pouvoir est incarné par la force de travail qu’un chef posséde et/ou gère (donc par le nombre de personnes qu’il a sous ses ordres).

Pendant la colonisation il est désormais incarné par les terres qu’ils possèdent. Ainsi plus une personne possède des terres, plus elle a du pouvoir (Mclennan, 1969).

Les XVIIIe et XIXe siècles voient le développement du commerce. La demande en sucre, en tabac, etc. augmente et de plus en plus de terres sont mobilisées pour ces cultures d’exportations. La terre devient un bien rare, et ce faisant en posséder les titres de propriété exclusifs devient très attrayant (Roegiers, 2001).

À la même époque, les Chinois et les métissés philippino-chinois appelés mestizos se sont enrichis grâce au développement du commerce interne. Les mestizos, nouveaux acteurs dans le jeu du pouvoir, acquièrent un grand nombre de terre grâce à un pacte appelé pacto de retroventa. Au travers de ce pacte, ils prêtent de l’argent aux petits propriétaires indigènes. Pour obtenir ces prêts, les petits propriétaires indigènes mettent leur terre en gage pendant toute la durée du prêt. Se faisant, pendant toute la durée du prêt ils sont considérés comme métayers et cultivent pour le compte du prêteur. Lorsque la période du prêt arrive à son terme, si le paysan indigène n’a pas les moyens de rembourser, la terre mise en gage devient propriété du mestizos (Mclennan, 1969).

C’est aussi durant le XIXe siècle que le modèle d’exploitation en haciendas voit le jour. On observe ce modèle dans le centre de Luzon et principalement sur des terres qui sont la propriété de l’Église. Les ordres religieux présents à l’époque (augustinien, franciscain et dominicain), ont perçu dans leur terre un capital commercial et pour l’exploiter, ont commencé à louer des parcelles de leurs domaines à des inquilinos, en échange d’une rente fixe. Il s’agit d’un modèle de métayage (Riedinger, 1995, cité par Roegiers, 2001).

En plus des haciendas contrôlées par l’Église, il existe aussi des haciendas privées. Ce sont des domaines qui appartenaient initialement à la Couronne, mais qui sont vendus ou légués aux élites

1 « Domaine où quelqu’un est maître, que l’on considère comme sa possession », définition du Larousse

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9 philippines, cette élite que nous avons déjà mentionnée devient une nouvelle classe sociale à part entière : une bourgeoisie de grands propriétaires terriens. Un grand nombre de paysans illettrés, qui n’avaient pas cédé leurs terres au mestizos, se sont vu confisquer leurs terres par cette élite. Un nouveau cadre légal est alors mis en place, incarné par des lois sur l’enregistrement des terres, néanmoins, les paysans indigènes sont rarement au courant. De plus, le processus d’enregistrement est onéreux et peu d’entre eux savent l’assumer. Ces lois, initialement prévues pour protéger les petits paysans favorisent en réalité l’élite philippine.

Le secteur de l’agriculture est alors le premier secteur dans l’économie du pays. Cependant, l’Espagne, soucieuse de se procurer des matières premières, a investi tous ses moyens dans l’agriculture d’exportation au détriment de l’agriculture vivrière. Les terres les plus fertiles sont attribuées à cette culture d’exportation, tandis que les terres les moins fertiles sont utilisées pour l’agriculture vivrière.

Celle-ci est donc beaucoup plus vulnérable (Sinha, 1987).

2.3 Essais avortés de réforme agraire

Depuis son semblant d’indépendance en 1896, le gouvernement philippin est conscient de la problématique que représente l’accès à la terre et essaye, en apparence en tout cas, de mettre en place des réformes agraires en faveur de son peuple. Aucune d’elles n’a été réellement efficace. Nous allons retracer ici un rapide historique de ces réformes et des avancées qu’elles ont permis d’obtenir.

En 1896, il y a une première tentative de réforme. Le gouvernement révolutionnaire en place à l’époque confisque une bonne partie des terres appartenant à l’Église dans le but de les redistribuer aux petits paysans (DAR, 2013). Néanmoins, cette première tentative est avortée par le traité de Paris en 1898 comme nous venons de l’évoquer.

Cependant, conscient que l’accès à la terre crée de vives tensions, le gouvernement américain tente d’imposer un cadre légal plus strict que celui mis en place par les Espagnols. C’est ainsi que dès 1902 on voit apparaître toute une série de lois qui ont pour but de réguler tout ce qui a trait à la propriété foncière.

Il nous semble plus judicieux de nous arrêter uniquement sur celle qui concerne l’accès à la terre et la redistribution de celle-ci.

En 1903, le gouvernement établit le « Friar Lands Act », il s’agit de la mesure évoquée plus haut qui consiste au rachat des terres appartenant à l’Église dans le but de les revendre aux petits paysans. Nous savons que cela n’a pas été efficace.

En 1933, nous voyons apparaître la première loi qui est chargée de réguler les relations entre propriétaire et métayer. Cette loi établit les termes du partage comme suit : 50% de la récolte

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10 appartient au métayer et les 50% appartiennent au propriétaire (DAR, 2013). Cette loi protège aussi le métayer des comportements arbitraires que peut avoir le propriétaire envers lui et garantit aussi la stabilité du taux d’intérêt à maximum 10%. Malheureusement, cette loi ne sera jamais votée au conseil municipal, celui-ci étant principalement composé de propriétaires terriens (Roegiers, 2001).

Finalement, malgré les efforts apparents consentis par le gouvernement américain, de vives tensions subsistent toujours. Cela donne lieu à une des révolutions les plus célèbres marquant l’Histoire des Philippines : la révolution des Huks. « Huks » est l’abréviation utilisée pour parler des Hukbo ng Bayan Laban sa Hapon ou Armée populaire antijaponaise. Ce groupuscule apparaît entre 1941 et 1942 au moment de l’occupation japonaise (Willoquet, 1961). Ce groupe, qui est né sous l’impulsion communiste, dénonce la relation inégale patron-client qui existe entre les propriétaires terriens et les métayers. Pour plusieurs raisons, dont le « Friar Lands Act », la bourgeoisie foncière n’a fait que se renforcer pendant le régime américain et les relations, autrefois, plus familiales qui pouvaient exister entre un métayer et son patron, se sont transformées en relation purement patronale et commerciale.

Lors de l’occupation japonaise (1942-1944), les Huks prennent les armes pour lutter contre les Japonais. Il s’agit d’une lutte sanglante et les populations, jusqu’au fond des terres, sont opprimées, humiliées et torturées. La haine ressentie par les Huks envers les grands propriétaires fonciers est accentuée par la collaboration de cette bourgeoisie avec l’occupant (Giri 1997, cité par Roegiers 2001).

Les campagnes sont à feu et à sang, les Huks sont partout. Le président Roxas (1946-1948) essaye de leur tenir tête en lançant une campagne de répression très violente durant laquelle il n’hésite pas à raser des villages entiers. Néanmoins, ses troupes sont souvent tenues en échec par les forces Huks.

C’est son successeur Quirino (1948-1953), conscient de l’insolvabilité de la situation, qui décide d’entamer une trêve. Il propose une réforme agraire et signe avec Taruc (représentant des Huks), un accord de paix. Il lui propose également un poste de député. La trêve est de courte durée, puisque Taruc disparaît en laissant une note expliquant que le gouvernement est hypocrite. La révolution reprend alors et gagne en intensité.

Au même moment, les Américains, effrayés par le spectre communiste, rédigent le rapport Hardie (1952) et conseillent au gouvernement philippin d’entamer une réforme agraire radicale avec comme objectif la suppression totale des locations au profit de fermes plus petites et familiales qui seraient cultivées par les propriétaires. Encore une fois cette proposition sera rejetée par le Congrès philippin, qui est toujours composé en majorité par des propriétaires fonciers. La raison officielle de ce refus est l’inspiration communiste dont fait preuve cette proposition de loi (Reidinger 1995, cité par Reogiers 2001).

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11 Le président suivant, Magsaysay (1953-1957) entame quant à lui une réforme agraire redistributive. Il propose une loi en deux volets : l’ « Agricultural Tenancy Act » en 1954 dont l’objectif est d’améliorer la condition des locataires et le « Land Reform Act » en 1955 qui vise à l’expropriation et la redistribution des vastes propriétés (DAR 2013). Malheureusement, le Congrès chargé d’approuver ce projet est toujours constitué en majorité par des propriétaires fonciers, ces deux projets sont réécrits par cette élite et finalement, sont vidés de leur contenu de sorte qu’ils ne sont plus réellement efficaces (Hayami et al. 2000, cité par Reogiers 2001).

2.4 Réformes agraires majeures

L’ « Agricultural Land Reform Code » de Maapagal (1961-1965)

Le premier réel espoir de voir la création d’une réforme agraire à la portée significative est incarné par le président Macapagal (1961-1965), lui-même issu d’une famille d’agriculteur. Il lance en 1963 l’ « Agricultural Land Reform Code », qui est considéré comme la plus compréhensive des réformes mises en place dans le pays pour l’époque (DAR 2013). Avec cette réforme, il veut supprimer le statut de métayer, encourager la gestion de la terre sur base d’un modèle familiale et ainsi donner l’occasion aux paysans les plus pauvres, dépourvus de terres, de récupérer celles-ci. Freinée encore une fois par le Congrès, la réforme n’arrivera pas réellement à s’imposer. Néanmoins le président suivant, Marcos, s’en inspirera.

Le « Presidential Decree 27 » ou PD 27 de Marcos (1964-1986)

C’est en 1964 que le président Ferdinand Marcos arrive à la tête des Philippines. Comme les autres présidents avant lui, il avait promis lors de sa campagne de prendre des mesures pour régler les problèmes liés à l’accès à la terre. Pendant les premières années de son mandat, il ne fera qu’appliquer des réformes entamées par ses prédécesseurs.

Depuis 1969 les tensions dans le monde rural s’exacerbent et les Huks laissent la place à un nouveau groupuscule : les New People’s Army, groupe également animé par l’idéologie communiste.

Profitant d’une situation extrêmement tendue, le président Marcos décrète la loi martiale le 23 septembre 1972 grâce à laquelle il s’octroie les pleins pouvoirs, la possibilité de faire durer son mandat autant de temps qu’il le voudra, mais surtout, il change le mode de fonctionnement de son gouvernement. Pour cela il dissout l’ancienne Constitution et opte pour la création d’un système parlementaire (Barang, 1973). Ce faisant il se débarrasse de la pression du Congrès.

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12

« Pour calmer le mécontentement paysan et faire de la paysannerie un pilier de son régime, le président décide d’instaurer une nouvelle politique agraire en trois volets : une réforme agraire, la construction d’infrastructures en milieu rural et un programme de prêts » (Walden, 2012).

Pour l’aider dans sa tâche, Marcos décide de créer en 1971 un organe institutionnel chargé de veiller au bon fonctionnement de la réforme agraire : le DAR ou Departement of Agrarian Reform (Faugere 2007).

Le 21 octobre 1972, il ratifie deux décrets présidentiels (Presidential Decree ou PD). Dans un premier temps, le PD 2 qui déclare les Philippines « zone de réforme agraire afin de stimuler le développement de l’agriculture et de mettre fin à l’agitation dans les campagnes » (Giri 1997, cité par Roegiers 2001). Ensuite le PD 27 qui établit les objectifs de la réforme agraire qu’il veut mettre en place :

- « Operation Leashold » : le but est de transformer les locations de types métayages en location à loyer fixe afin d’améliorer la production (DAR 2013).

- « Operation Land Transfer » : il s’agit du transfert obligatoire des terres aux paysans qui cultivent du riz ou du maïs. Le but est de donner la possibilité aux petits paysans de devenir propriétaire des terres sur lesquelles ils travaillent et d’obtenir ainsi de petites fermes familiales.

La taille de ces fermes ne peut pas dépasser 3 hectares pour les terres irriguées et 5 hectares pour les terres non irriguées (Medina, 1976).

José Médina nous fait un état clair de la situation, nous allons donc largement nous inspirer de son article « La réforme agraire depuis 1972 : expérience des Philippines ».

Ce deuxième volet ne fait évidemment pas l’unanimité au sein de la bourgeoisie foncière. Les réactions des propriétaires terriens sont globalement négatives et dans les semaines qui suivent l’entrée en vigueur de cette loi, les notifications d’expulsion se sont multipliées. Les propriétaires terriens prétextent vouloir cultiver leurs terres eux-mêmes. Cela ravive les tensions entre les propriétaires terriens et les paysans.

Suite à ces demandes d’expulsion, qui ne peuvent être accordées que suite à un procès, beaucoup de fermiers se sont retrouvés en justice. Situation inéquitable et désavantageuse pour le fermier, et ce pour plusieurs raisons : d’abord, le fermier n’a pas les moyens de payer un avocat et même s’il lui en est commis un d’office, il doit assurer le coût de ses transports. Ensuite, le fermier n’a pas le temps de se rendre au tribunal puisqu’il travaille. Enfin, cette situation est une source de stress énorme.

De plus, il est reconnu que les propriétaires terriens ont des rapports étroits avec les fonctionnaires de justice, ce qui laisse à penser que les procès ne sont pas – ou peu – équitables.

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13 La situation devenant ingérable pour la justice, le Président Marcos promulgue, le 25 novembre 1972, un Mémorandum interdisant toute expulsion ou éviction de fermiers. Pour pallier à la situation, le Président signe un nouveau décret, le décret n°316 dont le contenu est le suivant :

Article 1 : Aucun fermier d’une terre cultivée essentiellement en riz ou en maïs ne sera expulsé ou évincé de ses terres tant que n’auront pas été établis les droits respectifs du fermier et du propriétaire conformément aux règlements d’application du Décret n°27.

Article 2 : À moins que le Ministère de la réforme agraire n’ait certifié qu’il s’agit d’une affaire pouvant donner lieu à un procès ou à une enquête devant un tribunal, un juge ou tout autre officier de justice compétent, aucun juge appartenant au Tribunal des relations agraires, à un Tribunal de premières instances, ou à tout autre tribunal, non plus qu’aucun agent du Trésor ne pourra connaître un procès d’expulsion, non plus que tout autre procès visant à tracasser ou à évincer un métayer ou un fermier cultivant une terre essentiellement consacrée au riz ou au maïs. Si un tel procès est ouvert, le cas devra être préalablement porté devant le ministre de la Réforme agraire ou ses représentants habilités dans la localité, afin de juger, à titre préliminaire, de relations entre les deux parties en cause. Si le ministre de la Réforme agraire estime que le cas relève du Tribunal, d’un juge ou de tout autre officier de justice, il en attestera à cet effet et ce tribunal, ce juge ou cet officier de justice pourra alors se saisir de l’affaire. (Medina, 1976 : 14).

C’est grâce à ce décret que le ministère de la réforme agraire (« Departement of Agrarian Reform » ou DAR) s’est vu octroyer des compétences que l’on peut qualifier de judiciaires.

En pratique, la mission du DAR est d’exproprier les propriétaires des terres lorsque ceux-ci possèdent plus des 7 hectares autorisés. Il ne s’agit cependant pas d’une expropriation au sens strict puisque les propriétaires reçoivent une compensation financière (dont 10% sont versées en liquide tandis que les 90% restant sont en obligations d’État). Le prix est fixé à 2,5 fois la valeur de la production annuelle. Ensuite, ces terres sont « redistribuées », c’est-à-dire revendues aux bénéficiaires qui reçoivent en échange un Certifate of Land Transfer ou CLT. Les bénéficiaires remboursent le gouvernement grâce à un payement étalé sur 15 ans avec un taux d’intérêt fixé à 6%. Une fois le prêt remboursé, ils reçoivent un nouveau titre de propriété définitif appelé « Emancipation Patent » (Reogiers 2001).

Néanmoins lorsque la période de dictature de Ferdinand Marcos prend fin en 1986, le bilan de cette réforme n’est pas satisfaisant en ce qui concerne de la redistribution des terres : « La terre appartient soit au propriétaire foncier, soit à celui qui la cultive. Opérer un changement radical nécessite plus d’engagement et d’énergie que le gouvernement Marcos n’a été jusqu’ici capable d’en manifester. » (Étude sans titre attribuée à Dale Hill, responsable des prêts à l’agriculture pour les Philippines, Washington DC, Banque mondiale, s.d., p. 159, citée par Walden Bello).

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14 En plus d’un système juridique compliqué où les fonctionnaires sont souvent complices des grands propriétaires terriens, d’autres facteurs pourraient expliquer ce bilan mitigé. D’abord, selon Riedinger (cité par Roedgiers 2001), les propriétaires terriens peuvent ralentir le processus en augmentant le prix des compensations auxquelles ils peuvent prétendre. Ensuite le fait que cette redistribution soit orientée vers les locataires pousse les propriétaires à les expulser et à installer à leur place des employés salariés. Enfin, cette loi s’orientant vers les terres où l’on cultive du riz et du maïs pousserait les propriétaires à changer la nature de leur production et à se tourner vers la canne à sucre ou encore la noix de coco. Enfin, selon Ben Ramos, pour échapper à la redistribution systématique et assurer la survie des grands domaines, certains propriétaires ont divisé leur propriété avec des membres de leurs familles proches ou encore avec des amis.

Le président Marcos a donc jeté les bases d’une réforme agraire qui aurait pu être efficiente.

Malheureusement son application n’a pas été suffisamment effective et la bourgeoisie foncière est encore beaucoup trop présente au sein des rouages des institutions chargées de faire appliquer la réforme agraire (la justice dans un premier temps, le DAR dans un second temps). On constate à la fin de son mandat que 36% des terres cultivables sont aux mains de 2% de la population et que 10% de la population possède les titres de propriétés de 90% des terres (Faugere, 2007).

Le « Comprehensive Agrarian Reform Programm » ou CARP d’Aquino (1986-1992)

Enfin la politique agraire qui participe le plus à façonner la réforme mise en place aujourd’hui est la politique pratiquée par la présidente Corazon Aquino (1986-1992) il s’agit du Comprehensive Agrarian Reform Programm ou CARP. Lorsque la présidente Aquino arrive au pouvoir, la problématique de la réforme agraire n’est pas dans ses priorités. Afin de la sensibiliser à cette problématique, 20 000 paysans se sont réunis lors d’une marche le 22 février 1987. L’armée présente en masse a finalement ouvert le feu et tué 13 manifestants. Le monde rural est alors en ébullition, Aquino n’a d’autre choix que de se pencher sur la question et de proposer une réforme s’attaquant au problème majeur : la répartition des terres (Borras, 2005).

Selon les propres termes du DAR, le but de cette réforme est « to promote social justice and Industrialization, providing the mechanism for its implementation and for other purposes » (DAR, 2013 : 18).

Alors que dans sa réforme, Marcos proposait une redistribution des terres où sont cultivés le maïs et le riz, le CARP va plus loin et propose la redistribution de toutes les terres privées et publiques cultivables. De plus, pour encourager la redistribution des terres, cette loi stipule que les propriétaires ne peuvent garder qu’une seule ferme agricole et que celle-ci ne doit pas dépasser les cinq hectares. Ils ont toutefois la possibilité de conserver trois hectares supplémentaires par enfant de plus de 15 ans.

Néanmoins, encore une fois, les propriétaires mettent en place différentes stratégies pour éviter la

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15 redistribution de leur domaine. Beaucoup choisissent de diviser leur domaine entre les différents membres de leur famille, vendent des parcelles à des amis ou à des hommes de paille, reconvertissent leurs terres à des usages industriels ou commerciaux ou encore engagent des procédures longues et onéreuses desquelles ils ressortent bien souvent vainqueurs (Bello, 2012).

Il existe, toujours aujourd’hui, deux instances étatiques chargées de la redistribution des terres.

Lorsque nous parlons de terres privées, c’est le DAR qui est compétent, tandis que si nous parlons de terres publiques, c’est le « Department of Environment and Natural Ressources » ou DENR qui est en charge. Il reste encore des terres qui ne sont pas soumises au CARP, il s’agit des terres dites ancestrales, celles dont la pente est de 18%, les réserves naturelles, forestières et marines et enfin les domaines d’intérêt public et/ou national.

La procédure de mise en œuvre du CARP par le DAR suit plusieurs étapes :

1. Le DAR (ou le DENR en fonction de la nature de la terre) va acquérir la terre soit auprès du gouvernement soit auprès de propriétaires privés. Il y a deux modes d’acquisition le

« Voluntary-Offer-to-Sell » ou VOS, qui est une offre volontaire de la part du propriétaire qui accepte de se conformer à la réforme. Et le « Compulsory Acquisition » ou CA, lorsque le propriétaire manifeste de la résistance à la redistribution de sa terre. Il existe enfin un troisième mode d’acquisition le « Voluntary Land Transfer » ou VLT qui permet un transfert direct entre le propriétaire et le paysan, ceux-ci s’arrangent entre eux sans intervention du DAR. (Reogiers, 2001).

2. La valeur des terres ainsi acquises est ensuite évaluée par le DAR et les propriétaires reçoivent alors une compensation financière par l’intermédiaire de la « Land Bank of the Philippines » (LBP). Ils reçoivent entre 25% et 35% de la valeur en espèce et le reste est, comme l’avait déjà proposé Marcos, versé en obligation d’État.

3. Ensuite le DAR choisit les bénéficiaires, ceux qui recevront les titres de propriété. Ils doivent répondre à plusieurs critères : être sans terre, issu du même barangay et enfin appartenir, par ordre de priorité aux catégories suivantes (Reogiers, 2001) :

- Locataire (à bail) et métayers ; - Travailleurs salariés permanents ; - Autres travailleurs salariés ;

- Cultivateurs actuels et occupants des terres publiques ;

- Coopératives des bénéficiaires des catégories citées ci-dessus ; - Autre personne travaillant directement sur la terre.

En plus de toutes ces conditions, la personne qui veut acquérir une terre doit prouver qu’il a les compétences pour l’exploiter.

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16 4. Les terres sont enfin distribuées selon les modalités suivantes : chaque individu ne peut posséder plus de trois hectares et doit payer sa terre à la LBP grâce à un crédit étalé sur 30 ans et avec un taux d’intérêt estimé à 6% par an.

5. Le titre de propriété est donné aux paysans, celui-ci s’appelle le « Certificate of Land Ownership Award » ou CLOA. Les bénéficiaires ont la possibilité de posséder la terre soit à titre individuel soit en collectif.

Sur papier le CARP semble enfin être une loi en faveur de la redistribution, Borras décrit même le CARP comme étant « la réforme la plus progressiste de toutes celles jamais mises en œuvre » (Borras, 2005 : 99), la réalité est toute autre. Après la dictature de Marcos, la présidente Aquino fait revenir le Congrès. Or celui-ci est toujours majoritairement composé de propriétaires terriens et après une vive opposition du Congrès le CARP a été édulcoré. C’est notamment suite à cette opposition que l’on autorise les propriétaires terriens à conserver cinq hectares à titre personnel et trois hectares par enfant de 15 ans. La présidente Aquino elle-même est issue de la bourgeoisie foncière et possède, avec sa famille, l’Hacienda Luisita qu’elle refuse de redistribuer (Bello, 2012).

À propos de la politique mise en place par la présidente Aquino, une étude coparrainée par le ministère de la réforme agraire et par l’agence allemande de l’aide extérieure GTZ (Deutsche Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit ou Société allemande de la coopération technique) révèle que :

« Du point de vue financier, la leçon à retenir est d’une aveuglante clarté : la réforme agraire n’a pas été une priorité pour tous les pouvoirs qui composent l’État. Si le pouvoir exécutif a pu éveiller l’intérêt public pour des interventions en faveur du développement comme le CARP, le congrès dominé par les grands propriétaires, a été capable de stopper et le programme en ne votant pas les crédits nécessaires à ses besoins logistiques »

(Ricardo Arlanza, Prudenciano Gordoncillo, Hans Meliczek ; Juan Palafox et Lina Penalba, « Study on Post-LAD Scenarios », Manille Ministère de la réforme agraire et coopération technique allemande (GTZ), avril 2006, p.11, cité par Bello, 2012 :75).

Le CARP au départ voté pour une période de dix ans (entre 1987 et 1997), n’a cessé d’être prolongé jusqu’en 2014. C’est donc un programme qui est passé par le mandat de cinq présidents. La réforme agraire, bien qu’étant un problème de fond, n’a pas toujours été la priorité du chef de l’État.

Ainsi Walden Bello (2012) explique que l’arme préférée des opposants à la réforme agraire est la réduction de son financement. Ainsi alors qu’en 1982, sous le régime de Marcos, les dépenses pour l’agriculture représentaient 7,5% du total des dépenses publiques, elles retombent à 3,3% en 1988 pendant le mandat d’Aquino. En plus d’une restriction drastique du budget alloué à la réforme, dès les années 2000 pendant le mandat Gloria Arroyo (2001-2010), l’intimidation et les assassinats de têtes

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17 pensantes des organisations paysannes deviennent monnaie courante, certains propriétaires fonciers n’hésitent pas à envoyer des milices privées sur leur terre, pour intimider les paysans même si celles-ci font l’objet d’un CLOA2. Ainsi nombreux paysans pourtant en possession d’un CLOA ont dû quitter leur terre puisque leur vie y était en danger. Et bien souvent dans ces cas-là, la justice ne tranche pas en leur faveur. Dépourvus de soutien juridique, bon nombre d’entre eux se retournent alors vers les organisations paysannes.

2.5 La question foncière aujourd’hui

En 2015, le DAR déclarait avoir atteint 76% de son objectif de redistribution. Néanmoins, malgré ces chiffres encourageant en 2012 Gordoncillo professeur d’économie à l’Université Los Banos (Philippines) déclare « The expected conclusion is to argue that CARP did not have any significant effect on the economic well being of the beneficiaries » (Goroncillo, 2012: 84).

D’autres figures de la société civile s’alignent sur ce constat. Ben Ramos, co fondateur de l’ONG PDG (Padhiga Kausawa-gan Development Group), lieu où nous avons effectué notre terrain, écrit

« After more than a decade of the Comprehensive Agrarian Reform Program (CARP), [ ... ] agrarian reform still haunts millions of peasants and farm workers. To the organized peasant movement, it remains a gross failure ». Toujours selon Ben Ramos, l’échec du CARP peut être attribué à deux

2 Il s’agit d’un titre de propriété donné aux paysans, celui-ci s’appelle le « Certificate of Land Ownership Award » ou CLOA.

Les bénéficiaires ont la possibilité de posséder la terre soit à titre individuel soit en collectif Source: DAR – Department of Agrarian Reform, 2015. URL

https://docs.google.com/presentation/d/16UfPJGzBLJkB9IPFUtvSgB6FFA5TmikfbStQ8_w5PX4/pub?start=false&loop=false&delayms=30 00#slide=id.g4ba1d2257_2_75 [page consultée le 15 mars 2016]

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18 éléments : le premier est l’omniprésence de la bourgeoisie foncière au sein des diverses institutions du gouvernement, le second, qui découle du premier, est le manque de volonté de la part de ce même gouvernement de mettre en place une réelle réforme agraire.

De plus, toutes les démarches à accomplir pour obtenir un titre de propriété sont longues, onéreuses et compliquées. Les paysans n’ont en généralement ni les connaissances ni les ressources financières pour entamer ce type de démarches. L’adoption en octobre 1999 d’un arrêté portant le nom de MAGKASAKA Programm (« Joint Economic Entreprises in Agrarian Reform Areas ») permet aux coopératives formées par les bénéficiaires du CARP de revendre à de grandes compagnies les terres qu’ils ont acquises. Encore une fois, le manque d’information des paysans par rapport à cet arrêté permet aux grandes compagnies agricoles d’obtenir des terres.

Ce type de loi, ajoutée aux stratégies précitées mises en œuvre par les propriétaires terriens pour détourner leur terre, conforte les ONG actives dans le domaine dans l’idée que les chiffres officiels qui émanent du DAR sont surestimés (Roegiers, 2001).

En 2014, le CARP n’a pas été prolongé. Dès lors, l’organe institutionnel en charge de la réforme agraire à savoir le DAR voit son financement diminué de manière drastique. Au niveau de la bureaucratie, on parle de rationalisation, mais en réalité il s’agit de l’abandon progressif du DAR au profit d’un autre organe, le DENR (Bello, 2013). En pratique, il est aujourd’hui impossible d’introduire un dossier auprès du DAR dans le but de demander un titre de propriété. Seuls les dossiers introduits avant le 30 juin 2014 sont encore traités.

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Chapitre 3 : Émergence de la société civile

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aux Philippines

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Les premières organisations sociales aux Philippines remontent aux années 1950-1960, mais c’est pendant la période martiale (1972-1986) que ces organisations se multiplient. Dans les années 1970 aux Philippines, on ne parle pas encore de « société civile », mais plutôt d’ « opposition ». Cette opposition est incarnée par la gauche traditionnelle c’est-à-dire le Parti communiste des Philippines ou CPP, leur bras armé : les « New People’s Army » ou NPA et leur front uni, le « National Democratic Front » ou NDF. Cette coalition s’investit dans le développement communautaire, le plaidoyer pour la paix, le respect des droits de l’homme, la lutte contre la corruption ainsi que dans un mouvement anti- dictature.

La dictature de Marcos ne laisse pas de place à d’autres partis politiques, la coalition CPP-NPA- NDF profite alors du vide laissé par les autres partis pour occuper cet espace politique. On associe souvent leur lutte à une lutte armée plutôt que politique, néanmoins dans la lutte contre la dictature, ce pilier est considéré comme central. Les membres de cette coalition sont d’ailleurs appelés les

« nationaux-démocrates » ou « natedems ». En plus de cette coalition, il existe d’autres formes d’oppositions : les « sociaux-démocrates » représentés par les jésuites du collège de Ateneo (Manille), les « socialistes démocratiques » et le « Mouvement pour l’avancement de la pensée et de l’action socialiste » composés de socialistes indépendants, d’anciens « natdems » et d’anciens membres du CPP (Parti communiste).

Après la chute du régime de Marcos en 1986, on voit des ONG plus indépendantes émerger.

Ces organisations nouvelles interviennent activement dans le processus de démocratisation et de développement du pays. C’est le début de ce qu’on appelle aujourd’hui la société civile. Dès 1992, le CPP connaît des tensions en interne qui le mèneront à la scission en deux factions : « les réafirmistes » et les « réjectionnistes ». C’est cette séparation qui a « encouragé des groupes nationaux démocratiques déçus par cette évolution à pénétrer les nouveaux espaces politiques alors explorés par des groupes de gauche ayant émergés durant la chute de la dictature de Marcos. Les militants nationaux démocratiques rejoignirent ces autres formations de gauche ou en créèrent de nouvelles » (Rocamora, 1994, cité par Encarnacion Tadem 2012).

Ceux qui quittent la coalition CPP-NPA-NDF considèrent que l’action des ONG ne devrait pas être armée, mais qu’elle doit plutôt se concentrer sur le popular empowerment, l’organisation à la base.

Leur stratégie repose sur le plaidoyer politique et économique. Ces organisations sont conscientes que

3 Par société civile, nous entendons « le tiers secteurs, les nouvelles solidarités, nécessaires pour répondre aux inégalités sociales et à la faiblesse d’intervention des pouvoirs publics » (Pirotte, 2015)

4 Cette partie est largement inspirée de l’article d’Encarnacion Tadem S. Teresa, 2012, « Philippines : transformation des

« mouvements sociaux » en « société civile » », alternative sud, vol.19, pp. 49-54

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20 le changement et la démocratisation ne viendront pas de l’État. Elles considèrent que l’organisation à la base est un pouvoir parallèle, celui de la société civile, qui vise à la transformation du pouvoir de l’État (FOPA 1997, cité par Encarnacion Tadem 2012).

Les principales préoccupations de ces associations et ONG sont : la promotion des pourparlers de paix entre le gouvernement et les insurrections communistes, l’amélioration des conditions de vie et de travail, l’environnement, le genre et les droits humains. Ils mènent campagne aussi contre l’intrusion de nouvelles politiques économiques par les institutions telles que le FMI ou l’OMC.

Globalement, l’impact de ces organisations est positif. Mais le plus grand défi auquel elles doivent faire face est la lutte contre la domination politique des élites philippines. Certains représentants de la société civile ont d’ailleurs rejoint le gouvernement pour essayer de neutraliser les élites, malheureusement ils ont souvent été maintenus loin des réelles sphères de pouvoirs.

Finalement, ces ONG activistes buttent contre les réalités du jeu politique largement dominé par l’élite philippine.

Dans le cadre de notre recherche, il est toutefois important de souligner que les paysans qui revendiquent l’accès à la terre et aux moyens de production ne le font pas en tant que membre de la société civile. Pour voir leurs revendications aboutir, ils doivent exercer des pressions sur les institutions gouvernementales (Chatterjee, 2009). Ces pressions, ils vont être en mesure de les exercer grâce à des ONG, comme celle où nous avons effectué notre terrain. Ceci est permis par le fonctionnement de ce que Chatterjee (2009) appelle la société politique. Il s’agit « d’un lieu de négociation et de contestations ouvert par des agences gouvernementales visant certains groupes de population » (Chartterjee, 2009, p.90).

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Chapitre 4 : Méthodologie

4.1. Etapes de la recherche

Rencontres préliminaires

Une fois notre lieu de terrain déterminé – l’ONG PDG aux Philippines – nous nous sommes renseignée sur les éventuels partenaires belges. Nous en avons découvert trois. D’abord, l’ONG Quinoa dont le siège est à Bruxelles. Il existe un programme d’échange entre les deux associations : tous les étés, Quinoa envoie un groupe de jeunes volontaires découvrir les réalités auxquelles sont confrontés les paysans philippins. Nous nous sommes donc rendues à Bruxelles le 19 octobre 2015 pour rencontrer la coordinatrice de projets internationaux. Ce premier entretien nous a permis de comprendre exactement quelles sont les missions de PDG et la manière dont ceux-ci travaillent. Nous avons aussi appris que l’ONG fonctionnait avec des moyens très modestes et qu’elle a finalement très peu de soutien international.

Ensuite, le deuxième partenaire que nous avons rencontré est le groupe « Erato Signers ». Il s’agit d’une chorale active à Ans. Il s’agit d’un partenaire ponctuel. En effet, ils se sont rendus sur le terrain en 2012, après avoir récolté environ 15 000€ dans le but de soutenir un ou plusieurs projets menés par PDG. C’est ainsi que nous avons rencontré les membres de ce groupe le 13 décembre 2015. Lors de cette rencontre, nous en avons appris un peu plus sur les conditions de vie sur place, et sur les projets de l’ONG. Nous avons appris qu’avec une partie de l’argent récolté un livre sur le combat de PDG était en cours de rédaction, c’est une chercheuse australienne – Sarah Wright – qui est chargée du projet.

Enfin, le troisième partenaire que nous avons rencontré est l’ONG Autre-Terre. Nous nous sommes rendues au siège de l’ONG le 29 janvier 2016 et grâce à cette rencontre, nous avons appris qu’en plus des multiples missions qui animent PDG, l’ONG comporte aussi un volet économique. En effet, entre 1994 et 2004 « Autre-Terre » cofinance en collaboration avec la DGCD (Direction Générale Coopération au Développement), une coopérative appelée « Kalibutan ». Nous sommes informée qu’après le retrait des bailleurs, la coopérative n’a pas tenu. Aussi nous apprenons qu’entre novembre 2014 et novembre 2015, « Autre-Terre » en collaboration avec la Loterie Nationale finance un nouveau projet dans les anciens locaux de Kalibutan. Il s’agit d’un projet de transformation de canne à sucre en muscovado5. Le financement s’élève à environ 9000€.

5Le muscovado est une sorte de sucre brun, le processus de fabrication est long et difficile. En termes de revente, il le muscovado est plus avantageux que le sucre.

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22 Recherche bibliographique

En plus des rencontres préliminaires, nous avons aussi lu différents types de sources qui traitent de notre sujet. Nous nous sommes intéressée aussi bien à la littérature scientifique qu’à la littérature grise. Nous avons donc consulté ces sources avant de nous rendre sur le terrain dans le but d’avoir une connaissance théorique du terrain suffisante. D’autres lectures sont venues s’ajouter à notre recherche au fur et à mesure de la rédaction de ce travail.

Le terrain et la récolte de données

Nous nous sommes rendue aux Philippines, dans la ville de Kabankalan du 5 février au 25 avril 2016. Il s’agissait d’une observation participante, nous avons vécu en immersion dans les communautés de notre échantillon. Le temps de l’immersion a été variable, de deux semaines à trois jours en fonction de la communauté. Nous avons procédé à des entretiens semi directifs, en établissant un guide d’entretien6 avec des thèmes à aborder avec les personnes interrogées7. Au départ nous voulions nous entretenir avec les personnes individuellement – avec toutefois la présence d’un traducteur –, mais la plupart du temps, nous avons opéré à des entretiens collectifs. Nous avons choisi quatre communautés et dans chacune nous avons interrogé trois personnes. Nous n’avons pas eu l’occasion d’enregistrer les entretiens, nous avons donc pris note soit à l’aide de notre ordinateur, soit dans un cahier. Nous avons ensuite retranscrit nos entretiens sur ordinateur.

Nous avons également eu énormément de conversations informelles avec les membres de PDG ainsi que les membres des communautés de par l’immersion totale. Nous avons également essayé de rencontrer le Département de la réforme agraire8, sans succès.

Enfin, nous avons également procédé à des entretiens semi directifs avec des membres du personnel de PDG.

4.2 Cheminement de la question de recherche

Après avoir pris connaissance du terrain en nous basant sur la littérature et sur les différents entretiens avec les ONG Quinoa et Autre Terre ainsi qu’avec le groupe « Erato Signers », nous nous sommes posé les questions suivantes : quel est le rôle des associations de paysans dans le processus de

6Veuillez vous référer à l’annexe B

7Veuillez vous référer à l’annexe B(bis) pour une typologie des personnes interrogées

8 Voir le point 4.4 Limites de la recherche

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