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In cauda venenum. A propos des dispositions abrogatoires du projet de refonte constitutionnelle

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In cauda venenum.

A propos des dispositions abrogatoires du projet de refonte constitutionnelle

Luc Heuschling

Professeur de droit constitutionnel Université du Luxembourg Texte publié sur le site internet http://www.forum.lu/constitution/

14 juin 2013

Il est un dicton populaire selon lequel, avant de signer un contrat, il faut toujours tout lire, y inclus le « Kleingedruckte » (ce qui est écrit en petites lettres), et, surtout, ne pas s’arrêter avant la fin. Car, c’est à la fin que risquent de se retrouver des dispositions qui, sous des dehors techniques, peuvent venir contredire les plus belles et généreuses affirmations du début. Comme disaient les Romains en matière épistolaire ou à propos d’un discours : In cauda venenum. C’est dans la queue (du scorpion) que gît le venin.

En matière de Constitution, il en va, un peu, de même. Pour se faire une idée exacte de l’apport de « la » nouvelle Constitution (je mets « la » entre guillemets car ce singulier est, en vérité, problématique), il convient – aussi paradoxal que cela puisse paraître – de commencer par lire la fin. Il faut lire les dispositions abrogatoires et transitoires, en l’espèce, au sein du texte de refonte de la Constitution, le chapitre 12 relatif aux « dispositions finales ». Ces articles participent, de manière cruciale, à la définition de l’utilité (ou inutilité) juridique de toutes les dispositions antérieures.

Le droit est une technique de régulation sociale sophistiquée qui n’est pas sans pièges, ni artifices. Le droit peut, d’un côté, dire une chose et, de l’autre, son contraire. Il peut mettre en avant, au début d’un texte, tel « beau » principe, pour ensuite, dans d’autres dispositions, affaiblir, voire annuler l’impact de l’affirmation précédente.

Cette critique s’applique, en partie, au projet de la Constitution actuellement en débat au sein de la Commission des institutions et de la révision constitutionnelle (CIRC). Alors que le commun mortel (le citoyen lambda, non juriste, non spécialiste en droit constitutionnel) croit que le Luxembourg aura bientôt (en 2014 ? 2015 ?) une nouvelle Constitution, celle de 2014 ou 2015, et que l’ancienne Constitution, celle de 1868, sera abolie, détruite, cette idée est, en partie, inexacte. En vérité, il y aura, en partie, deux Constitutions : celle de 2014 / 2015 et celle de 1868 qui, en vertu de la Constitution de 2014/2015, va rester partiellement en vigueur. Car le nouveau texte, tel qu’il est conçu pour l’instant, met en place un système complexe de dualité constitutionnelle ou de dédoublement. Pour certaines affaires, le régime applicable est celui établi par la nouvelle Constitution, mais dans d’autres domaines,

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s’appliquera toujours – et ce pour une durée indéterminée ! – le régime juridique établi par l’ancienne Constitution. Pour le dire sur un ton un brin provocateur : La Constitution de 1868 est morte ! Vive la Constitution de 1868 !

Ce phénomène ne tient pas au fait que le nouveau texte (de 2014/2015) aurait repris le contenu de l’ancien (de 1868). Ce dernier facteur joue en effet à de nombreuses reprises – tout n’est pas nouveau dans le nouveau texte de 2014/2015 –, mais ce qui est visé ici, dans cette analyse critique, a trait encore à un autre phénomène.

Avant même de lire les articles 1, 2, 3, 4 et suivants, le citoyen est donc invité à se pencher sur les articles 130 et suivants. Les articles 130 à 132 du projet actuel1 de la CIRC énoncent :

« Art. 130. Sous réserve des dispositions de l’article 130, la Constitution du 17 octobre 1868, telle qu’elle a été modifiée par la suite, est abrogée.

Art. 131. Les lois et règlements en vigueur au moment de l’entrée en vigueur de la présente Constitution continuent à s’appliquer dans la limite de leur conformité avec la Constitution du 17 octobre 1868 telle qu’elle a été modifiée par la suite.

Art. 132. La présente Constitution entre en vigueur le … .

Que disent exactement, sous leur apparence très technique, ces trois articles ?

Avant de creuser le sens de ces articles, il est utile et nécessaire de donner quelques précisions préalables. Le système juridique est composé, comme chacun sait, d’une masse énorme de normes juridiques. Cette masse est subdivisée par les spécialistes de la science du droit constitutionnel en deux masses plus petites, en deux sous-ensembles : 1° le sous-ensemble des normes à valeur constitutionnelle (« la Constitution ») ; 2° le sous-ensemble des autres normes qui sont inférieures à la Constitution. Ce second sous-ensemble est appelé aussi, selon la terminologie scientifique la plus récente, « droit ordinaire » (d’après le mot allemand

« einfaches Recht ») ou, plus communément, « droit infra-constitutionnel ». Les deux adjectifs « ordinaire » et « infra-constitutionnel » sont, dans ce débat, synonymes. Par droit ordinaire ou infra-constitutionnel, il faut entendre notamment les lois, les règlements grand- ducaux ou ministériels, la jurisprudence, les arrêtés communaux, les contrats des particuliers, etc. Si l’on raisonne en termes quantitatifs, on peut dire, sans avoir compté le nombre des normes respectives, que l’ensemble des normes ordinaires ou infra-constitutionnelles est de loin plus important (plus lourd) que l’ensemble des normes constitutionnelles. Mais, en termes qualitatifs / hiérarchiques, le droit constitutionnel est plus important que le droit ordinaire, car ce dernier est subordonné au premier (il est, précisément, « infra- constitutionnel »).

Une autre précision : ce droit ordinaire / infra-constitutionnel est tantôt élaboré avant la Constitution en vigueur, tantôt après. Exemple : alors que la Constitution luxembourgeoise actuelle date (schématiquement) de 1868, le Code civil est, dans nombre de ses dispositions, plus ancien car le Code civil luxembourgeois actuel remonte jusqu’au Code civil napoléonien de 1804. Mais, il se peut aussi que le droit ordinaire soit élaboré après l’entrée en vigueur de la Constitution (le Code civil actuel renferme à la fois des articles datant de 1804 et des articles très récents, de 2010, 1990, 1912, etc.). Les constitutionnalistes distinguent ainsi, au sein du droit ordinaire, selon une distinction également d’inspiration allemande, entre le droit ordinaire « pré-constitutionnel » (qui est entré en vigueur avant l’entrée en vigueur de la

1 A la date du 14 juin 2013.

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Constitution actuelle) et le droit ordinaire « post-constitutionnel » (qui est entré en vigueur après l’entrée en vigueur de la Constitution actuelle). L’intérêt de cette distinction est que la question de la primauté de la Constitution par rapport au droit ordinaire ne se pose pas exactement dans les mêmes termes selon que le droit ordinaire est pré- ou post- constitutionnel. Cela est assez facile à cerner : lorsque le parlement élabore une loi, après l’entrée en vigueur de la Constitution, il connaît le contenu de celle-ci. Il peut et il est censé respecter ce contenu. En principe, si tout se passe bien, le risque d’une inconstitutionnalité est moindre que si nous étions dans la situation inverse, celle où la Constitution est postérieure au droit ordinaire (exemple : la loi date de 1804 et la Constitution de 1868). Le législateur, en 1804, lorsqu’il faisait la loi, pouvait difficilement penser à respecter la Constitution de 1868 car, par définition, celle-ci n’existait pas encore… En quelque sorte, on peut avoir l’impression que le respect de la Constitution de 1868 est imposée « rétroactivement » à cette loi antérieure (mais, en réalité, il s’agit d’une illusion optique).

Pour clarifier ces définitions, je les synthétise dans le schéma suivant :

La Constitution

Le droit ordinaire ou infra-constitutionnel : Le droit ordinaire datant d’avant la

Constitution en vigueur : Le droit ordinaire pré-constitutionnel

Le droit ordinaire datant d’après la Constitution en vigueur : Le droit ordinaire post-constitutionnel

Abordons à présent le contenu des articles 130 à 132.

L’article 130, dans sa phrase principale, énonce la « mort juridique » de la Constitution de 1868. Ce texte n’est plus une norme juridique valide, à partir de l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution dont la date (pour l’instant en attente) sera fixée dans l’article 132.

Mais, à l’égard de cette première règle – l’abrogation de la Constitution de 1868 –, l’article 130 annonce d’ores et déjà une dérogation, une exception dont le contenu est défini dans l’article 131.

Selon l’article 131, « les lois et règlements en vigueur au moment de l’entrée en vigueur de la présente Constitution » (c’est-à-dire, en gros2, le droit ordinaire pré-constitutionnel)

« continuent à s’appliquer dans la limite de leur conformité avec la Constitution du 17 octobre 1868 telle qu’elle a été modifiée par la suite ». Autrement dit, selon cet article qui est le résultat d’une proposition du Conseil d’Etat (il apparaît pour la première fois dans l’avis du Conseil d’Etat du 6 juin 20123), la validité du droit ordinaire pré-constitutionnel sera évaluée à l’aune non pas de la nouvelle Constitution (des droits, libertés et principes définis dans le texte de 2014/2015), mais à l’aune du texte de 1868. En revanche, le droit ordinaire post- constitutionnel sera, lui, selon les conceptions d’usage, soumis à la nouvelle Constitution (ce

2 Ce point sera clarifié par la suite (voir point 5°).

3 Cet article a été proposé initialement par le Conseil d’Etat dans son avis du 6 juin 2012, doc. parl. n°6030-6, p.

214 s.

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point n’est pas énoncé de façon explicite dans l’article 131, mais il ressort en creux du système d’ensemble).

Exemple : admettons que l’article 43 du texte de la refonte (« L’Etat veille à l’égale jouissance de tous les droits des personnes atteintes d’un handicap ») accorde aux personnes handicapées un nouveau droit de l’homme (je n’entre pas ici dans le débat de savoir lequel).

Quel est l’impact de ce nouveau droit fondamental par rapport au droit ordinaire, en cas de contrôle juridictionnel de la constitutionnalité d’une loi ? Par rapport au droit ordinaire pré- constitutionnel, la force d’invalidation de l’article 43 est nulle. Les juges chargés du contrôle de constitutionnalité devront évaluer toutes les lois anciennes non pas à la lumière de cet article 43, mais à la lumière de la vieille Constitution de 1868 qui, elle, ne comporte aucun énoncé portant spécifiquement sur les personnes handicapées. Devant les juges, l’article 43 (article nouveau et prometteur) ne sert à rien lorsqu’il s’agit d’une loi pré-constitutionnelle.

En revanche, si le contrôle porte sur une loi post-constitutionnelle, l’article 43 sera utile et pourra servir de fondement à une invalidation de la loi pour cause d’inconstitutionnalité ou à une interprétation conforme à la Constitution (« verfassungskonforme Auslegung ») de la loi.

Apparaît ainsi l’effet subversif, corrosif, de l’article 131. Ce système, s’il était retenu, serait critiquable à six égards.

1° Un système hypocrite

La Chambre des députés, auteur de ce texte, pourrait se voir opposer, non sans raisons, le reproche d’une certaine hypocrisie.

L’article 131, en l’état, est de nature à vider d’intérêt en grande partie tous les discours insistant sur les innovations de la nouvelle Constitution en matière de droits de l’homme. Déjà la nouvelle Constitution garantit peu de nouveaux droits de l’homme. Or les rares qui s’y trouvent ne se voient reconnaître qu’une force juridique minimale. L’impact de tout nouveau droit et liberté se réduit à l’égard des lois nouvelles. Il n’y a pas d’effet à l’égard des normes du droit ordinaire pré-constitutionnel. Même si celui-ci est contraire à la nouvelle Constitution, il n’en reste pas moins en vigueur. La refonte de la Constitution risque, pour une grande partie, de se réduire à un effet d’annonce, à une simple promesse politique, dénué de force juridique. La Constitution, en tant que norme juridique, n’est pas prise au sérieux.

Bien qu’abrogée en principe par l’article 129, la Constitution de 1868 n’en resterait pas moins en vigueur en vertu de l’article 130. Elle serait à la fois « morte » et « vivante ». Nous serions, en vérité, soumis à deux Constitutions, celle de 1868 et la nouvelle (de 2014, 2015…), et ce dualisme pourrait se perpétuer dans le temps sans aucune limite. L’article 131 ne fixe, en effet, aucune date-limite à la perpétuation de la Constitution de 1868.

2° Un système inégal, qui dévalue la Constitution, mais non le droit international A travers l’article 131, le rôle de la Constitution luxembourgeoise est, une fois de plus, dévalué. Décidément, au Luxembourg, en matière de droits et libertés, le droit international est bien plus efficace et utile que la Constitution. Car le droit international, lui, n’est pas soumis à un tel système.

3° Un système peu orthodoxe en droit constitutionnel

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Le procédé est également pour le moins inhabituel, même en droit constitutionnel. Jamais, auparavant, le pouvoir de révision, au Luxembourg, n’a proclamé un nouveau droit de l’homme, tout en en limitant l’impact par rapport au droit ordinaire antérieur. Les Constitutions luxembourgeoise de 1848 (art. 121), de 1856 (art. 117) et de 1868 (art. 117) ont bien abrogé les lois, décrets, règlements, etc. contraires à la nouvelle Constitution, quitte à prévoir des exceptions ponctuelles. Mais, le principe a été, bel et bien, l’abrogation du droit ordinaire pré-constitutionnel qui serait contraire à la nouvelle Constitution. Ce procédé est tout aussi inhabituel dans les démocraties étrangères : on ne trouve rien d’équivalent, ni en France, ni en Allemagne, ni en Belgique (pays qui, souvent, sert de modèle au Luxembourg, en matière constitutionnelle).

4° Un système complexe à appliquer

Pour que cette « solution » soit facilement applicable, il faut que la masse du droit ordinaire pré-constitutionnel puisse être nettement distinguée de la masse du droit ordinaire post- constitutionnel. A première vue, cela semble possible et facile puisqu’il y a un critère chronologique infaillible : avant/après l’entrée en vigueur de la Constitution actuelle.

Or, en vérité, les choses sont plus complexes : lorsque le législateur interviendra après l’entrée en vigueur de la Constitution, le plus souvent il interviendra non pas en établissant un tout nouveau régime législatif dans un domaine vierge, mais il insérera dans un texte antérieur (à l’instar du Code civil) de nouveaux articles. Autrement dit, au sein du Code civil, les articles datant d’avant la Constitution seront mélangés avec des articles élaborés après la Constitution.

Le droit ordinaire pré-constitutionnel sera imbriqué avec le droit ordinaire post- constitutionnel, imbrication qui peut aller très loin. Exemple : le législateur change, après l’entrée en vigueur de la Constitution, un mot (et seulement un mot) dans tel article du Code civil. Question : la ou les normes définie(s) dans cet article du Code civil est-elle/sont-elles post-constitutionnelle(s) ou pré-constitutionnelle(s) ? A moins que ce ne soit en partie l’un, et en partie l’autre. Mais comment/où fixer la frontière ? L’unique mot nouveau serait-il soumis à la nouvelle Constitution, en revanche tous les autres mots de ce même article seraient-ils soumis à la vieille Constitution ?

5° Une réponse esquissée incomplète

Le texte de l’article 131 n’utilise pas les termes de « droit ordinaire », « droit ordinaire pré- constitutionnel », etc. Il parle des « lois et règlements en vigueur au moment de l’entrée en vigueur de la présente Constitution ». Il vise donc bien le droit ordinaire pré-constitutionnel, mais vise-t-il tout le droit ordinaire pré-constitutionnel ou seulement une partie ? En effet, les

« lois » et « règlements » sont des exemples de normes ordinaires, mais tout le droit ordinaire pré-constitutionnel ne se résume pas en ces seules sources que sont les lois et règlements. Il y a d’autres sources de droit ordinaire, à l’instar des contrats (normes générales bilatérales), de la jurisprudence (si l’on estime que celle-ci est une source de normes générales) et, enfin – une source juridique indéniable, mais jusqu’ici peu connue car occultée – le Fürstenrecht.

Question : ces autres sources du droit ordinaire pré-constitutionnel seront-elles soumises au même régime, complexe, des lois et règlements pré-constitutionnels (solution 1) ou, au contraire, au régime des normes post-constitutionnelles (solution 2) ? La réponse est loin d’être claire selon le texte. En faveur de la réponse n°1 plaiderait l’argument de l’analogie. En faveur de la réponse n°2, plaiderait le fait que la solution esquissée par l’article 131 est une exception, qui déroge à la logique habituelle, classique (l’abrogation implicite en cas de

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contrariété). Or, selon le vieil adage exceptio est strictissimae interpretationis, les exceptions sont d’interprétation stricte.

6° Une solution excessive à un problème réel

Il existe des solutions alternatives, plus nuancées, qui sont plus conformes à l’idéal de l’Etat de droit pour résoudre les réels problèmes qui sont à l’origine de l’article 131. Le problème est celui de la mise en adéquation de l’ancien droit ordinaire hérité du passé avec la nouvelle Constitution, opération qui demande des efforts plus ou moins importants aux acteurs du système juridique en fonction de l’écart entre ces deux ensembles de normes juridiques. Dans le système esquissé par le CIRC, c’est le pouvoir politique seul qui est chargé/qui se charge de ce travail : c’est à lui d’identifier ces contradictions et de les modifier par la voie d’une réforme législative et règlementaire. Tant qu’il n’est pas intervenu, le droit ordinaire pré- constitutionnel reste soumis à la vieille Constitution.

Pour faire ce travail d’adaptation, le pouvoir politique s’octroie en outre un temps illimité.

L’article 131 établit cette dualité de constitutions, sans aucune date limite dans le temps. Si le législateur n’agit pas (si dans 2 ans, 6 ans, 10 ans, voire 20 ou 50 ans, etc., il n’a rien fait), les citoyens ne pourront le contester en justice. Ils ne pourront faire valoir en justice les nouveaux droits que leur accorde, sur le papier, la nouvelle Constitution. Il n’y a ni délai raisonnable, ni possibilité de contraindre le parlement à légiférer (en droit luxembourgeois, à l’inverse d’autres pays, il n’existe pas un recours juridictionnel contre l’inertie / les omissions de la Chambre des députés).

Pourtant des solutions alternatives plus libérales sont possibles et ont déjà été utilisées à l’étranger :

a) Le pouvoir politique se fait aider, dans cette tâche par des experts internes (ministères, Conseil d’Etat, etc.) ou externes (universitaires, représentants de la société civile, etc.), pour passer en revue le droit ordinaire existant. En l’espèce, ce travail n’est pas si important, car la « refonte » n’opère pas une révolution bouleversant tous les fondements des diverses branches du droit. Il y a quelques innovations, mais celles-ci sont peu nombreuses.

b) Le pouvoir politique se fait aider par les juges dans l’élimination des contradictons : par le biais du contrôle de la conformité du droit ordinaire pré-constitutionnel à la nouvelle Constitution, les juges peuvent éliminer du système juridique les normes contraires à celles-ci (refus d’application et/ou abrogation ex nunc/ex tunc). La problématique se déplace alors vers la modulation des effets du contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois, règlements et autres normes. Ce système a été utilisé dans tous les pays sortant d’une dictature où le problème de l’écart entre la Constitution et le droit ordinaire hérité du passé (passé dictatorial !) était bien plus important (cf. les cas de l’Allemagne, de l’Espagne, du Portugal, de la Grèce, des pays d’Europe centrale et orientale, etc.). Il suffit, au niveau de la Constitution, d’une part, d’affirmer que la Constitution entre en vigueur, qu’elle est supérieure à toutes les lois (postérieures et antérieures) et que la justice peut contrôler cette supériorité par diverses techniques contentieuses.

c) Il est vrai que, parfois, il ne suffit pas d’écarter du système les normes pré- constitutionnelles contraires à la Constitution ; il faut encore combler le vide ainsi créé. Si le pouvoir politique veut se réserver ce rôle essentiel et ne pas le confier aux juges, il peut identifier certaines parties du droit ordinaire pré-constitutionnel et les

« immuniser », pendant un certain temps (le temps nécessaire pour leur réforme

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législative), à l’encontre des nouvelles exigences de la Constitution. En pratique, il convient de distinguer deux hypothèses, selon que la norme constitutionnelle nouvelle porte sur un droit de l’homme ou qu’elle porte sur la création d’un nouvel organe public.

En matière de droits de l’homme : en Allemagne, la Loi fondamentale de 1949 a fait le choix, nonobstant le nouveau principe de l’égalité entre hommes et femmes (art. 3 Grundgesetz), de maintenir en vigueur, pour une durée limitée, le droit ordinaire pré- constitutionnel, en particulier le Bürgerliches Gesetzbuch, qui n’était pas conforme au principe consacré dans l’article 3. Ainsi, l’article 117 alinéa 1er de la Grundgesetz énonce : « Das dem Artikel 3 Abs. 2 entgegenstehende Recht bleibt bis zu seiner Anpassung an diese Bestimmung des Grundgesetzes in Kraft, jedoch nicht länger als bis zum 31. März 1953. » On notera que l’article 117 n’a immunisé le code civil allemand que pour une durée limitée, en l’espèce 4 ans. Après écoulement du délai (durant lequel le parlement fédéral a omis d’assumer ses obligations), ce sont les juges qui, par voie d’invalidations, ont opéré l’adaptation4. Le délai était donc impératif, avec sanction juridictionnelle à l’appui.

En matière d’institutions : lorsque la nouvelle Constitution crée (en vérité : impose la création) de nouveaux organes à l’instar du Conseil national de la justice, de la Cour suprême, etc., il y a lieu de prévoir soit l’entrée en vigueur concomitante de la loi portant organisation de ces institutions, soit une disposition particulière dans la Constitution qui organise la transition dans le temps entre l’actuelle institution/procédure (maintenue en place) et la future institution/procédure (à créer par voie législative). Là aussi, il est possible et souhaitable d’insérer un délai pour éviter, dans la mesure du possible, des lenteurs dans la mise en œuvre de la Constitution. Mais ce délai ne pourra qu’être indicatif, et non impératif5. Si la loi portant création de la Cour suprême n’a pas été votée dans les temps, il faudra bien que les juridictions en place restent en place, sans quoi le pays serait sans juges…

Conclusion

L’article 131, en l’état, est hautement critiquable. Il serait souhaitable de le supprimer et de prévoir, en lieu et place, que la nouvelle Constitution entre en vigueur à telle date et que, sauf disposition spéciale, toutes les normes du droit ordinaire antérieur contraire à la nouvelle Constitution sont abrogées. Sur ce point, il est possible de s’inspirer du modèle de la Constitution espagnole qui, dans sa disposition abrogatoire (alinéa 3), énonce : « (3) De même, sont abrogées toutes dispositions contraires à ce qui est établi par la présente Constitution ».

Si, en matière de droits de l’homme, le constituant estime nécessaire d’immuniser certaines parties précises du droit ordinaire pré-constitutionnel, il faudrait identifier les textes visés et prévoir un délai impératif et raisonnable durant lequel tel texte doit être modifié. Passé ce délai (par ex. 3 ans), les exigences de la nouvelle Constitution seraient imposées par les juges, par la voie du contrôle de constitutionnalité.

4 Voir not. la décision du Bundesverfassungsgericht du 18 décembre 1953, BVerfGE, 3, 225, Gleichberechtigung

5 Voir, par ex., l’article transitoire n°IX de la Constitution italienne de 1946 : « Dans les trois ans qui suivent l’entrée en vigueur de la Constitution, la République adapte ses lois aux exigences des autonomies locales et à la compétence législative attribuée aux régions. »

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