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Quelle protection juridique à l'intérieur des communautés religieuses ?

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Quelle protection juridique à l'intérieur des communautés religieuses

?

BELLANGER, François

BELLANGER, François. Quelle protection juridique à l'intérieur des communautés religieuses ? In: Pahud de Mortanges, René ; Tanner, Erwin. Coopération entre Etat et communautés religieuses selon le droit suisse . Zürich : Schulthess, 2005. p. 735-757

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:41256

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Quelle protection juridique à l'intérieur des communautés religieuses?

François Bellanger

Résumé

Zusammenfassung 1 Introduction

2 La distinction entre la juridiction ecclésiastique et la juridiction 735

735 737 739

ordinaire 739

2.1 Le droit à être jugé par un tribunal, établi par la loi, impartial

et indépendant 740

2.2 La juridiction ecclésiastique 741

3

4

2.2.1 Les « organes ecclésiastiques » 2.2.2 La notion d' « ecclésiastique » 2.2.2.1 Le contexte légal historique 2.2.2.2 Le droit actuel

2.2.2.2.1 Le mandat ecclésiastique 2.2.2.2.2 La vie en communauté

La portée de l'interdiction des tribunaux ecclésiastiques 3.1 Les objets religieux et séculiers

3.2 3.3

Le cas des « tribunaux ecclésiastiques ordinaires » Les effets de l'interdiction de la juridiction ecclésiastique Conclusion

Bibliographie

Résumé

741 743 743 745 746 748 749 749 751 754 755 756

La question de la protection juridique de membres d'une communauté religieuse met en évidence des aspects juridiques et humains.

Du point de vue juridique, la clef de voûte du système est la protection accordée par l'article 30, alinéa 1 Cst. féd. qui, d'une part, garantit à chacun l'accès à un tribunal établit par la loi, impartial et indépendant pour tous les litiges civils, pé- naux ou administratifs et, d'autre part, interdit les juridictions ecclésiastiques dans la mesure où elles sont qualifiées de tribunaux d'exception. Cette garantie assure au

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fidèle qui se trouve dans une situation de litige sur un objet séculier avec sa com- munauté que ce conflit pourra être réglé par les tribunaux ordinaires. Certes, de ma- nière exceptionnelle, un tribunal interne à la communauté pourra intervenir mais il le fera dans un cadre légal et constitutionnel bien défini. Ce tribunal interne devra être institué par des normes édictées par la communauté en conformité avec le droit cantonal et fonctionner comme une juridiction ordinaire en respectant toutes les ga- ranties de procédures prévues par la constitution fédérale. La marge de manoeuvre d'un tel tribunal sera donc limitée.

Les objets religieux sur lesquels les communautés conservent une pleine compé- tence sont relativement limités; il s'agit des sujets relatifs au dogme ainsi qu'à l'organisation et au fonctionnement de la communauté, y compris le statut des ecclésiastiques. Dès l'instant où des personnes sont directement concernées, par exemple par des mesures disciplinaires, la frontière entre les objets reli- gieux et séculiers est rapidement franchie. Toute mesure qui priverait un ec- clésiastique de droits relevant des juridictions ordinaires ne pourrait faire l'objet d'un contentieux interne à l'Eglise, à moins qu'elle ne dispose d'une juridiction équivalant à un tribunal ordinaire. Cette limitation vise tant les questions relatives au salaire, qu'aux conditions de travail ou aux prestations so- ciales. Dans ce cas, la seule porte ouverte pour la communauté est l'acceptation volontaire de la mesure par la personne concernée. Mais même un tel engage- ment pourrait se révéler contraire à l'article 27 CC et être prohibée.

Enfin, si par extraordinaire, la communauté avait un comportement contraire à loi par rapport à certains de ses membres, elle ne serait pas protégée par son carac- tère religieux, le droit ordinaire s'applique aussi bien à un laïc qu'à un ecclésiasti- que. Le fait d'être membre d'une communauté n'implique en aucun cas une renon- ciation à l'application des règles gouvernant la société civile.

Le droit offre des garanties importantes aux membres des communautés.

L'article 15, alinéa 4 Cst. féd. donne même à ces derniers le droit absolu de quitter en tout temps la communauté. La protection des fidèles ou des ecclésiasti- ques semble donc très efficace. Toutefois, au-delà du droit, il faut prendre en compte le facteur humain. La force de la foi peut amener des membres de grou- pements ou des ecclésiastiques à accepter des comportements illicites au regard du droit ordinaire. Ils sont également susceptibles d'accepter de fortes contraintes imposées par le groupement ou sa hiérarchie dans la crainte de devoir quitter la communauté s'ils s'y opposaient. Le droit ne peut apporter de réponse à ces réactions, sauf dans les cas extrêmes où les pressions exercées par le groupement sont susceptibles de recevoir une qualification pénale.

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Zusamrnenfassung

Der Rechtsschutz für Mitglieder einer religiosen Gemeinschaft wirft juristische und menschliche Fragen auf.

Aus rechtlicher Sicht ist die Grundlage des Systems der Rechtschutz aus Art. 30 Abs. 1 BV. Dieser garantiert einerseits jedermann den Zugang zu einem durch Gesetz geschaffenen, unabhangigen und unparteiischen Gericht für alle Zivil-, Straf- und Verwaltungsrechtsstreitigkeiten; und andererseits verbietet er geistli- che Gerichte insofern diese als Ausnahmegerichte qualifiziert werden müssen.

Aufgrund dieser Rechtsschutzgarantie hat ein Mitglied einer Religionsgemein- schaft, das mit dieser in einen Streitfall über einen weltlichen Gegenstand verwi- ckelt ist, die Gewahr, dass der Konflikt durch ein ordentliches Gericht beigelegt werden kann. Gewiss kann in Ausnahmefâllen auch ein internes Gericht der Glaubensgemeinschaft angerufen werden, sofern sich dieses an einen klar be- stimmten, gesetzlichen und verfassungsmassigen Rahmen halt. Dieses interne Gericht muss durch Normen geschaffen worden sein, welche von der Gemein- schaft in Übereinstimmung mit dem kantonalen Recht erlassen worden sind; und es hat wie ein ordentliches Gericht zu funktionieren und alle Verfahrensgarantien der Bundesverfassung zu gewahrleisten. Der Handlungsspielraum eines solchen Gerichtes ist somit begrenzt.

Die religiosen Angelegenheiten, für welche die Glaubensgemeinschaften allein zustandig ist, sind nicht sehr zahlreich. Es handelt sich dabei um Fragen bezüg- lich der Glaubenslehre, der Organisation sowie der Arbeitsweise der Gemein- schaft, einschliesslich des Status der Geistlichen. Sobald Personen direkt betrof- fen sind, zum Beispiel durch Disziplinarmassnahmen, ist die Grenze zwischen religiosen und weltlichen Angelegenheiten fliessend. Eine Massnahme, mit wel- cher einem Mitglied wesentliche Rechte der ordentlichen Gerichtsbarkeit vorent- halten würden, kann nicht Gegenstand eines internen Prozesses einer Religions- gemeinschaft sein; es sei denn, diese verfüge über eine Gerichtsbarkeit, die der ordentlichen gleichwertig ist. Diese Einschrankung betrifft sowohl Fragen bezüg- lich des Lohnes als auch bezüglich der Arbeitsbedingungen oder der Sozialleis- tungen. In solchen Fallen bleibt der Gemeinschaft nur die Moglichkeit der frei- willigen Annahme der Massnahme durch die betroffene Person. Doch auch diese konnte sich als Verstoss gegen Art. 27 ZGB herausstellen und verboten sein.

Und sollte eine Religionsgemeinschaft ausnahmsweise ein widerrechtliches Ver- halten bestimmten Mitgliedern gegenüber an den Tag legen, würde ihr ihre reli- giose Eigenart keinen Schutz verleihen, denn das ordentliche Recht ist sowohl auf einen W eltlichen als auf ein Mitglied einer Religionsgemeinschaft anzuwen- den. Die Mitgliedschaft in einer religiosen Gemeinschaft berechtigt in keinem Fall zum Verzicht auf die Anwendung des weltlichen Rechts.

Das staatliche Recht verleiht den Mitgliedern religioser Gemeinschaften wichtige Grundrechte. Art. 15 Abs. 4 BV gibt ihnen das absolute Recht, jederzeit aus der Gemeinschaft austreten zu konnen. Damit scheinen die Rechte der Glaubigen oder der Geistlichen wirksam geschützt zu sein. Doch muss neben der rechtlichen Sei- te der Faktor ,Mensch' in Betracht gezogen werden. Die Kraft des Glaubens kann Mitglieder einer Gemeinschaft oder deren Geistliche dazu führen, Verhal-

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tensweisen zu dulden, welche aus Sicht des ordentlichen Rechts nicht erlaubt sind. Es kéinnte auch sein, dass sie gewichtige Einschrankungen durch die Ge- meinschaft oder deren Hierarchie hinnehmen - aus Angst, die Gemeinschaft ver- lassen zu müssen, wenn sie sich dagegen auflehnten. Dem Recht sind in solchen Fallen die Hi.inde gebunden, ausser wenn der durch die Gruppe ausgeübte Druck strafrechtliche Relevanz bekommt.

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1 Introduction

Les relations avec une communauté religieuse sont une source de conflit potentielle pour les membres de cette communauté. Les litiges peuvent survenir dans le cadre d'une relation de travail ou simplement en raison de la qualité de membre de la communauté, par exemple pour des motifs familiaux ou successoraux. Généralement, ces problèmes pourront trou- ver une solution amiable ou seront tranchés par les tribunaux ordinaires.

Parfois, certaines communautés disposent de mécanismes internes de ré- solution des litiges ; c'est le cas notamment pour des Eglises reconnues au niveau cantonal. L'existence de ces procédures internes soulève la question de leur qualification comme une juridiction ecclésiastique, pro- hibée par le droit suisse; il convient également de s'interroger sur la por- tée de cette interdiction, afin de déterminer si elle peut laisser de la place à une juridiction spéciale, dont les décisions pourraient avoir force obli- gatoire. De la réponse à ces questions dépend l'étendue de la protection juridique dont peut bénéficier le membre d'une communauté religieuse.

Pour mieux cerner ces différents éléments, nous allons commencer par tracer la limite séparant les juridictions ordinaires des juridictions ecclé- siastiques (2.). Nous préciserons ensuite la portée de l'interdiction de la

«juridiction ecclésiastique» (3.). Enfin, nous conclurons en exposant la protection dont bénéficient les membres des communautés religieuses, reconnues ou non (4.).

2 La distinction entre la juridiction ecclésiastique et la ju- ridiction ordinaire

L'ancien article 5 8 al. 2 de la Constitution fédérale de 1848 déclarait la juridiction ecclésiastique abolie. Cette règle a été jugée désuète lors de la révision de la Constitution et n'a pas été reprise dans le texte en vigueur depuis le 1er janvier 2000 ; elle conserve néanmoins toute sa portée dès lors qu'elle est implicitement comprise dans la garantie prévue à l'article 30 al. 1 de la Constitution fédérale du 18 avril 19991, qui confère à chaque citoyen le droit à ce que sa cause soit portée devant un tribunal

RS 101 ; ci-après« Cst. féd. ».

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établi par la loi, compétent, indépendant et impartial2. La notion de tribu- nal ecclésiastique est donc traditionnellement définie par opposition à celle de tribunal établi par la loi, impartial et indépendant.

En conséquence, après avoir rappelé brièvement le contenu de la garantie prévue à l'article 30 al. 1 Cst. féd. (2.1), nous présenterons la notion de juridiction ecclésiastique (2.2).

2.1 Le droit à être jugé par un tribunal, établi par la loi, impartial et indépendant

L'article 30 al. 1 Cst. féd. garantit à chaque citoyen le droit de voir les liti- ges le concernant tranchés par un tribunal régulièrement constitué et com- posé, compétent à raison de la matière et du lieu, indépendant et impartial.

La notion de « tribunal » vise un organe juridictionnel compétent pour ju- ger un litige. Sa fonction consiste à juger, sur la base de normes de droit et à l'issue d'une procédure organisée, toute question relevant de sa compé- tence. La décision qu'il rend au terme de la procédure a un caractère obli- gatoire et ne peut être modifiée par une autorité qui ne serait pas judi- ciaire3.

Un tel tribunal doit être institué par une loi, adoptée par le législateur ordi- naire, selon la procédure prévue par la constitution fédérale ou cantonale.

L'exigence d'indépendance concrétise le principe de la séparation des pouvoirs : les membres de la juridiction doivent pouvoir se prononcer sur le litige sans recevoir d'instructions des autres organes de l'Etat.

La condition de l'impartialité du juge comprend deux composantes, sub- jective et objective. Du point de vue subjectif, les membres de la juridic- tion ne doivent pas avoir une idée préconçue du différend qui leur est soumis. L'impartialité objective signifie qu'aucune circonstance ne doit laisser présumer aux parties que les membres de la juridiction pourraient être prévenus.

Cette garantie est complétée par une interdiction expresse des tribunaux d'exception, soit des tribunaux spécialement constitués ou spécialement

Message du Conseil fédéral relatif à la révision de la constitution fédérale du 20 novembre 1996, FF 1997 I 1/185.

AuERIMALINVERNI/HOTTELIER, n° 1194; HÂFELIN/HALLER, p. 241.

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composés en vue d'un procès déterminé4Ce type de juridiction ne doit pas être confondu avec les tribunaux spéciaux, soit les tribunaux dont les compétences sont limitées à certains types de litiges ou à certaines caté- gories de personnes, comme les tribunaux des prud'hommes, les tribu- naux des baux et loyers ou encore les tribunaux pour mineurs. Les tribunaux ecclésiastiques revêtent le plus souvent les caractéristiques des juridictions d'exception et, ce faisant, sont proscrits par l'article 30 al. 1 Cst. féd.

2.2 La juridiction ecclésiastique

Un tribunal est qualifié d'ecclésiastique lorsqu'il est un organe ecclésias- tique ou est composé en tout ou partie de porteurs de fonctions ecclésias- tiques nommés en cette qualité5

Pour délimiter le champ d'application de cette définition, il est nécessaire de définir ce que recouvre la notion d' «ecclésiastique». Nous commen- cerons par préciser les éléments déterminants pour identifier un « organe ecclésiastique

»

(2.2.1 ). Nous examinerons ensuite les caractéristiques que doit revêtir la personne investie de fonctions ecclésiastiques pour être qualifiée d' « ecclésiastique » (2.2.2).

2.2.1 Les « organes ecclésiastiques »

L'existence d'un «organe ecclésiastique» dépend de celle d'une com- munauté religieuse.

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les personnes morales de droit privé qui poursuivent, à teneur de leurs statuts, des objectifs reli- gieux ou ecclésiastiques, peuvent à certaines conditions invoquer la liber- té religieuse garantie par l'article 15 Cst. féd.6Les communautés reli- gieuses peuvent également être organisées sous la forme de personnes morales de droit public si le droit cantonal le prévoit7.

ATF 117/1991la378/381, Imhofund Perren.

KôLZ; ATF 1/1875 132/134, Daniel Bu.If.

ATF 97/1971 I 116/119-120, Verein Freie Evangelisch-Theologische Hochschule Base!; ATF 97/1971 I 221/228, Neuapostolische Kirche in der Schweiz; JAAC 47 (1983), N° 191, p. 580.; DR 1979/16, p. 68/76, X et Eglise de Scientologie; ATF 118/1992 la 46/52, Verein Scientology Kirche Zürich.

HAFNER, Trennung, 225/233.

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Un organe d'une de ces personnes morales de droit privé ou public sera un « organe ecclésiastique » si deux conditions cumulatives sont rem- plies : il exerce des fonctions administratives ou juridictionnelles et la communauté a un caractère religieux au sens strict du terme.

La première condition dépend d'une analyse de chaque cas particulier pour déterminer le rôle de l'organe en cause. Généralement, cette exi- gence sera réalisée s'il s'agit d'un organe ayant une fonction d'autorité, et étant compétent pour prendre des décisions de première instance ou sur recours au sujet des membres de la communauté.

La seconde condition nécessite un examen plus approfondi de la croyance en cause. Il ne suffit pas qu'elle soit protégée par la liberté religieuse. En effet, cette liberté protège toutes les croyances qui expriment une vision fondamentale et universelle du monde, indépendamment du nombre d'adeptes8 et de la qualification de la croyance comme religion; il suffit qu'elle soit identifiable comme telle9Cette notion large de «croyance»

couvre deux domaines différents, correspondant à une liberté religieuse au sens strict et à une liberté de conviction10! La croyance est religieuse lorsqu'elle a une dimension spirituelle incluant la définition d'une rela- tion entre l'Homme et une entité supérieure qui le transcende11 Si la croyance consiste uniquement en une conception du monde («Weltans- chauung»), indépendante de toute question religieuse, elle n'a pas un ca- ractère religieux ; et est protégée comme conviction.

Au regard de l'interdiction des juridictions ecclésiastiques, le caractère religieux de la communauté ne pourrait être reconnu que si ses croyances sont religieuses en raison de leur dimension spirituelle12 En consé- quence, dans l'optique de la seconde condition, un organe d'une commu- nauté ne sera qualifié de

«

tribunal ecclésiastique » uniquement si cette communauté est de nature religieuse au sens strict du terme. Le champ d'application de la notion de «religion» dans le cadre de définition de la juridiction ecclésiastique correspond au sens étroit de la liberté religieuse.

ATF 119/1993 la 178/183, A. et M

DR 1978/11, p. 55/57, X, dans lequel la Commission n'a constaté aucun fait permet- tant de conclure à l'existence d'une religion« Wicca ».

10 HAFNER, Glaubens- und Gewissensfreiheit, distingue dans ce sens entre la liberté de croyance (« Gewissensfreiheit ») et la liberté philosophique ou de vision du monde (« Weltanschauungsfreiheit »).

11 ATF 119/1993 la 178/183, A. et M

12 FAMOS, p. 21 SS.

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2.2.2 La notion d'« ecclésiastique»

Le terme « ecclésiastique » désigne originellement un membre du clergé chrétien13. Il est généralement opposé à celui de« laïc »14, désignant une personne« qui n'appartient pas au clergé »15, ce dernier étant composé de l'ensemble« des clercs d'une religion »16, soit de l'ensemble de ceux qui ont quitté « l'état laïque pour l'état ecclésiastique, se consacrant ainsi au service d'une Eglise »17Pour mieux cerner le sens juridique de cette no- tion, nous allons la replacer dans son contexte légal historique (2.2.2.1) avant de voir la portée du droit en vigueur (2.2.2.2).

2.2.2.1 Le contexte légal historique

L'exigence de laïcité figurait à l'ancien article 75 de la Constitution fé- dérale de 1848 selon lequel était « éligible comme membre du Conseil national tout citoyen suisse laïc ayant le droit de voter». Cette disposi- tion a donné lieu à une interprétation de la notion d'ecclésiastique par opposition à celle de laïc. Au regard de l'article 75 aCst., a été considé- rée comme ecclésiastique « toute personne dont les activités sont princi- palement d'ordre spirituel »18, qu'elles soient publiques ou privées ou

qu'elles dépendent ou non d'un examen ou de conditions. Selon le Conseil fédéral, s'exprimant le 4 avril 1921 à propos de l'article 75 aCst.

féd, «l'activité religieuse déployée ne peut être considérée comme ayant un caractère ecclésiastique que si elle concerne le rapport interne entre le fidèle et la substance même de la foi. L'activité qui a simplement trait au régime extérieur de la vie religieuse, à l'organisation de la commu- nauté, telle qu'elle ressortit aux conseils de paroisse, est en revanche purement laïque »19De plus, il fallait que cette activité soit déployée dans une communauté confessionnelle organisée de manière durable, ayant une structure permettant de distinguer les prêtres des fidèles ordi-

13 Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française, Paris 1994, p. 646

14 JAAC 53 (1989), N° 9, p. 49/53.

15 Le Petit Larousse, Paris 1996.

16 Ibid.

17 Ibid.

18 Grisel et les références citées.

19 FF 1921I547/566 SV.

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naires20. Cette définition est plus large que celle qui résultait de l'ancienne loi sur l'organisation militaire de 1907 selon laquelle l'état ecclésiastique entraînant la dispense du service résultait de l'ordination dans la religion catholique et de la consécration dans la confession protestante21. Pour les autres communautés, l'exemption était possible pour les ecclésiastiques membres de« communautés religieuses définitivement organisées »22 Le Conseil national a été confronté à plusieurs reprises à des cas d'inéligibilité qui concernaient principalement des pasteurs. Plusieurs anciens pasteurs n'exerçaient plus d'activités spirituelles lors de leur élection et ont été considérés éligibles. En revanche, cinq pasteurs protes- tants en fonction lors de leur élection ont dû abandonner leur activité23

Compte tenu de ces éléments, il a été possible de qualifier au regard de l'article 75 aCst. féd. une personne d'ecclésiastique lorsque deux condi- tions cumulatives étaient réunies: l'appartenance à une communauté re- ligieuse organisée, d'une part, et l'existence d'une position particulière au sein de cette communauté, d'autre part.

La première condition résulte du but de la norme qui était d'empêcher l'intrusion d'un pouvoir organisé - en l'occurrence celui de l'Eglise ca- tholique - au sein des organes de l'Etat. Elle doit être comprise au- jourd'hui comme signifiant l'existence d'une communauté ayant une cer- taine importance et, par voie de conséquence, une organisation interne identifiable. Un groupe spirituel formé de quelques personnes ne corres- pondrait probablement pas à la définition de «communauté religieuse organisée ».

La seconde condition vise le rôle de l'ecclésiastique au sein de la com- munauté. Il est ecclésiastique, car il se distingue des autres fidèles par sa fonction spirituelle qui l'amène à intervenir dans le rapport interne entre les fidèles et la substance de la foi24. Dans cette optique, il doit exister un lien entre la communauté et l'ecclésiastique. Ce dernier occupe une fonc- tion, statutaire ou non, qui le distingue aux yeux des autres fidèles.

20 GRISEL, n° 28 ad art. 75 aCst. féd.

21 AUBERT, n° 1265.

22 JAAC 7 (1933), N° 114, p. 133.

23 Rapport de la Commission des institutions politiques du Conseil national du 21 octobre 1994, FF 1995 I 1113/1121. La liste des ecclésiastiques ayant abandonné leurs fonctions, voire ne les ayant jamais exercées, est disponible sur le site Internet de la Confédération à l'adresse: <http//:www.admin.ch/ch/f/pore/jus/prf/prf3.html>

(consulté le 25.5.2004).

24 BUFFAT, p. 178.

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2.2.2.2 Le droit actuel

Le droit fédéral en vigueur contient une définition plus précise de la no- tion d'ecclésiastique.

L'article 18 al. 1 lit. b de la Loi fédérale sur l'armée et l'administration militaire25 prévoit que les ecclésiastiques non incorporés comme aumô- niers sont exemptés du service militaire tant qu'ils exercent leurs fonc- tions ou leurs activités.

En application de l'article 18 al. 4 LAM, le Conseil fédéral a défini la notion d'ecclésiastique à l'article 75 de !'Ordonnance du 19 novembre 2003 concernant les obligations rnilitaires26 S'agissant des religions chrétiennes, cette norme utilise le double critère de l'ordination, de la consécration, d'une part, et l'exercice d'un ministère reconnu par l'Eglise en cause, d'autre part27. Pour cette exigence, selon la jurispru- dence rendue au regard de l'ancien article 6 de !'Ordonnance concernant l'exemption du service militaire28sur les normes antérieures, la nomina- tion à un ministère ne suffit pas, il faut un exercice effectif du ministère, soit une activité religieuse, d'une nature et d'une mesure particulières, en rapport direct avec la vie spirituelle de la communauté concernée, qui confère à celui qui l'exerce une situation différente de celle des autres fidèles, les laïcs. Le Conseil fédéral a également utilisé la notion de

«charge d'âme» pour qualifier ce type de ministère. Elle implique «la propagation et l'approfondissement du message divin par le contact di- rect et personnel avec les fidèles, par la célébration de diverses cérémo- nies sacrées telles que baptêmes, mariages, funérailles, offices divins, et, enfin, par la prédication et l'enseignement religieux »29N'entrent pas dans cette catégorie, les activités qui ont trait au régime extérieur de la vie religieuse, notamment les activités administratives ou celles qui pour- raient être assumées par des laïcs, même si elles sont exercées par une

' 30

personne ayant un mm1stere .

25 RS 510.10; ci-après« LAAM ».

26 RS 512.21; ci-après "OOMi »

27 VPB 57 (1993), n° 19.

28 RS 511.31 ; ci-après « OESM ».

29 JAAC 53 (1989), n° 30, p. 190/193; voir également JAAC 50 (1986), n° 83, p. 495/498.

30 JAAC 53 (1989), n° 9, p. 49154.

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L'article 75, litt. c OOMi qualifie également comme ecclésiastique ceux qui «font partie d'un ordre religieux ou d'une congrégation religieuse chrétienne avec vie commune et règles communes, dès qu'elles ont pro- noncé les premiers voeux temporels ou la promesse et travaillent pour la communauté».

Enfin, pour les communautés non chrétiennes, l'article 75, litt. d OOMi fixe deux conditions cumulatives pour la reconnaissance d'un statut d'ecclésiastique.

En premier lieu, la communauté doit être identifiable comme telle comme un groupement et une association. A ce titre, elle doit avoir un statut bien défini. A notre avis, cette exigence doit être comprise de manière simi- laire à celle posée pour l'identification d'une juridiction ecclésiastique31

Il doit s'agir d'une communauté ayant une croyance religieuse au sens strict. Une simple croyance, même protégée par l'article 15 Cst. féd. ne suffirait pas.

En second lieu, la personne sollicitant sa reconnaissance comme ecclé- siastique doit remplir une condition alternative. Elle doit soit avoir un mandat ecclésiastique, soit vivre en communauté.

2.2.2.2.1 Le mandat ecclésiastique

Le mandat ecclésiastique ne peut être admis que si la personne en cause est âgée de 25 ans au moins, a reçu une formation ecclésiastique de trois ans au moins et si la communauté compte au moins 2000 adhérents en Suisse. Au-delà de 2'000 adhérents, l'article 75 lit. d ch. 1 OOMi autorise la reconnaissance d'un ecclésiastique supplémentaire par tranche de 800 adhérents.

L'article 75 al. 4 lit. a OOMi pose quatre conditions cumulatives à lare- connaissance comme ecclésiastique : un âge minimal, un nombre mini- mal de membres, l'existence d'une fonction ecclésiastique conférée par le groupement et la preuve d'une formation suffisante. Les deux premiè- res conditions, purement quantitatives, ne soulèvent guère de difficulté.

La situation juridique est plus délicate pour les deux dernières.

En premier lieu, le rôle de l'ecclésiastique au sein de la communauté nous paraît déterminant. Il doit avoir une place distincte de celle des au-

31 Voir, supra, le point 2.2.1.

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tres fidèles dans laquelle il a «charge d'âme». Tel sera le cas si la com- munauté l'a choisi pour exercer une mission particulière, par exemple dans la conduite de la prière, ou accepte qu'il exerce une telle mission s'il n'existe pas de procédure formelle de sélection. Dans la mesure où une personne aurait une telle «charge d'âme», le fait qu'elle exerce cette charge à temps complet ou partiel, en contrepartie d'une rémunéra- tion ou à titre bénévole, ne serait pas pertinent. L'élément déterminant est la position de l'ecclésiastique par rapport à celle des autres fidèles.

Ce critère ne dépend que de l'intensité de sa mission et non de la fré- quence à laquelle il l'accomplit32

A notre avis, le choix de la personne ne suppose pas un acte formel comme une décision de nomination. Il nous semble suffisant que la com- munauté des fidèles reconnaisse le rôle particulier de l'ecclésiastique et lui confie à ce titre une mission dans l'exercice de ses activités spirituel- les. Chaque situation suppose une analyse de toutes les circonstances pour apprécier l'existence du «mandat». Ainsi, dans une communauté de fidèles où les « anciens » seraient appelés à diriger régulièrement la prière lors des cérémonies, il n'est pas certain que cette seule activité suffirait à donner aux « anciens » une fonction ecclésiastique. Il faudrait sans doute d'autres éléments mettant en évidence la place particulière de ces « anciens » au sein de la communauté. Ce critère est similaire à celui qui était utilisé pour apprécier la portée de l'article 75 aCst. féd. : L'ecclésiastique occupe une fonction, statutaire ou non, qui le distingue des autres fidèles.

En second lieu, la formation requise est une « formation d'ecclésiastique » ayant duré au moins trois ans. Les critères d'appréciation ou d'évaluation de cette formation doivent être appropriés au type de communauté visé par l'article 75 al. 4 ch. 1 OOMi : il s'agira généralement de petits groupe- ments. La plupart d'entre eux ne disposeront pas en Suisse d'une infras- tructure d'enseignement similaire à celle des religions traditionnelles. Une telle infrastructure pourrait exister éventuellement à l'étranger, mais cela n'est pas certain.

En conséquence, le critère de la formation doit être manié avec prudence.

L'autorité compétente ne saurait exiger la production d'un diplôme attes- tant d'une formation universitaire ou de nature équivalente pendant une durée de trois ans. Il devrait suffire que l'ecclésiastique démontre qu'il a

32 Dans un sens contraire, voir la Décision de la Commission de recours du personnel de l'instruction publique du 15 mars 2004 dans la cause Rani Ramadan, c. 18, p. 41.

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acquis une formation, en suivant des cours ou de manière autodidacte, pendant une durée de trois ans, ce qui lui permet de disposer d'un savoir supérieur à celui de la moyenne des fidèles. Ce savoir l'autoriserait à oc- cuper une fonction ecclésiastique au sein de la communauté. Une inter- prétation plus restrictive de cette norme aurait pour effet d'exclure de la qualification d'ecclésiastique des représentants de groupes minoritaires qui n'auraient pas la faculté de suivre un cursus institutionnalisé de for- mation mais qui acquerraient néanmoins une formation suffisante d'une autre manière33.

Dans cette perspective, l'exigence de la formation apparaît plus comme une sorte de délai minimal pendant lequel une personne doit avoir prati- qué sa croyance de manière assidue. Ce délai permet d'éviter que des membres d'un groupement, qui se serait récemment constitué, ne récla- ment une exemption comme ecclésiastique au motif de leur fonction nou- vellement acquise dans ce groupement.

2.2.2.2.2 La vie en communauté

La vie en communauté est un motif de reconnaissance comme ecclésiasti- que si trois conditions cumulatives sont réunies : la personne vie dans une communauté avec vie commune et règles communes, a prononcé des voeux ou une promesse et travaille pour le groupement ou l'association. Dans ce cas, l'article 75 al. 4 OOMi n'a pas fixé de critère quantitatif quant au nom- bre de membres de la communauté. Le législateur a probablement estimé que la triple exigence relative à la vie en communauté, le prononcé de vœux et le travail pour la communauté prévenait d'éventuels abus.

33 Dans ce sens, voir la décision de la Connnission de recours du personnel de l'instruction publique du 15 mars 2004 dans la cause Hani Ramadan, c. 18, p. 41.

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Quelle protection juridique à l'intérieur des communautés religieuses? 749

3 La portée de l'interdiction des tribunaux ecclésiastiques

L'interdiction des tribunaux ecclésiastiques n'est pas absolue. Elle ne concerne pas les affaires purement religieuses internes à la communauté (3 .1). Il arrive par ailleurs que des instances ecclésiastiques présentent les qualités d'un tribunal indépendant et impartial ; ce faisant, il est concevable de voir des litiges tranchés par des «tribunaux ecclésiasti- ques ordinaires», qui ne sont pas considérés comme des tribunaux d'exception (3.2). Nous évoquerons enfin sommairement les effets de l'interdiction de la juridiction ecclésiastique (3 .3).

3.1 Les objets religieux et séculiers

L'interdiction de la juridiction ecclésiastique est limitée aux domaines pour lesquels les juridictions ordinaires civiles, administratives et péna- les sont compétentes ; nous qualifierons ces objets de «séculiers». Elle ne concerne en revanche pas la juridiction des organes ecclésiastiques dans l'application des règles internes de la communauté religieuse34.

Selon la jurisprudence, les objets «religieux», soumis à la juridiction ecclésiastique, comprennent ainsi la définition et la répartition des char- ges de l'Eglise, l'institution de bénéfices paroissiaux35, le régime statu- taire ou disciplinaire d'un prêtre36 ainsi que les décisions relatives aux affaires ecclésiastiques et au dogme37

La distinction entre les objets religieux et séculiers relève du droit pu- blic38. A notre avis, le champ des objets religieux doit être interprété res- trictivement. Il ne peut concerner des matières liées au statut civil per- sonnel, comme l'état et la capacité juridiques des personnes, le mariage, le divorce, la filiation, l'organisation de la famille ou les successions.

Ces matières sont réglées de manière exhaustive par le droit civil et, plus particulièrement par le code civil39Il en va de même pour tout le do- maine de la responsabilité civile et des différents contrats pouvant être

34 KôLZ, N° 74.

35 ATF 4/1878 505/510, Katholische Kirchgemeinde in Luzern.

36 ATF 23/1897 l 531/536, Schweizer.

37 Voir également LAMPERT, p. 228 SS.

38 ATF 129/2002 I 91/96 & 98, X ; KLEY, p. 7/26 sv.

39 RS 210; ci-après« CC».

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conclus par une personne. A nouveau, ces questions sont réglées exhaus- tivement par le code des obligations et les législations complémentaires à celui-ci4°. Ne peuvent également être considérés comme des objets reli- gieux les infractions sanctionnées par le code pénal41 La situation est identique pour toutes les matières réglées par le droit administratif, comme la protection de la santé des travailleurs42, la limitation à l'exercice d'une activité lucrative43 ou le droit des assurances sociales44

En conséquence, la marge de manœuvre d'une communauté religieuse pour appliquer sa propre justice est relativement limitée.

La compétence de la communauté sur toutes les questions relatives à l'organisation de la communauté et au dogme est évidente mais pas abso- lue. Des règles d'organisation ne pourraient pas empêcher une personne de se marier ou d'avoir des enfants si elle le souhaite. Seule une renon- ciation librement consentie est admissible, dans la mesure ou une inter- diction ne pourrait avoir aucun effet au sein de la communauté et où nul ne peut «être contraint d'adhérer à une communauté religieuse ou d'y appartenir, d'accomplir un acte religieux ou de suivre un enseignement religieux» en vertu de l'article 15 al. 4 Cst. Une communauté religieuse doit respecter les principes constitutionnels lorsqu'elle fixe le statut de ses membres45

L'approche est similaire s'agissant du régime statutaire ou disciplinaire des prêtres. En effet, à notre avis, une communauté religieuse ne peut pas se prévaloir de son dogme ou de ses règles d'organisation pour échapper à l'application du droit du travail et aux règles relatives à la protection de la personnalité46En conséquence, un ecclésiastique peut accepter de re- noncer à tout salaire ou de se soumettre à une sanction interne. Son ac- cord doit toutefois être consenti de son plein gré et ne doit pas constituer une renonciation illicite à sa liberté au sens de l'article 27 al. 2 CC.

L'ecclésiastique peut donc en tout temps mettre fin à la compétence de la

40 RS 220.

41 RS 311.0.

42 Voir par exemple la loi fédérale sur le travail (RS 822.11) et ses ordonnances d'exécution.

43 Voir par exemple les ATF 110/1984 lb 63, Pensionnat Mont-Olivet, Soeurs Cellier et Larreina et 118/1992 lb 81, Notburga K., Maria de F., Aurelio S., John L. und Verein Begegnungs- und Bildungszentrum Montet; ainsi que JAAC 55 (1991), N° 39, p. 340.

44 Voir par exemple la loi fédérale sur l'assurance vieillesse et survivants (RS 831.10).

45 ATF 120/1994 la 194/200 SS., H.

46 Art. 27 SV CC.

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Quelle protection juridique à l'intérieur des communautés religieuses ? 751

communauté en révoquant un accord précédemment donné. Une consé- quence possible de cette démarche est une sortie ou une exclusion de l'ecclésiastique de la communauté. L'analyse juridique cède dans ce cas le pas à la dimension humaine et émotionnelle : la crainte de devoir quit- ter la communauté ou d'être exclu de celle-ci peut empêcher une per- sonne d'exercer les droits que la société civile lui garantit. La portée de ces derniers doit donc également être relativisée.

La qualification d'objet religieux se fonde sur un critère qui dépend pour l'essentiel d'un acte de foi du membre de la communauté qui accepte les règles de cette dernière. La force de cette foi marquera la limite effective entre le domaine religieux et séculier. Même si le droit séculier couvre la plupart des aspects de la vie du membre d'une communauté, il faut en- core que ce membre accepte de s'en prévaloir.

3.2 Le cas des « tribunaux ecclésiastiques ordinaires »

La réunion dans une juridiction des qualités d'instance ecclésiastique47 et de tribunal établi par la loi, impartial et indépendant48, est parfois réalisée.

Nous parlons dans un tel cas d'un «tribunal ecclésiastique ordinaire ».

L'analyse du respect des conditions de l'indépendance et de l'impartialité n'a pas de particularité inhérente à la juridiction ecclésiastique. Nous nous attarderons plus sur la condition de tribunal« établi par la loi».

La réglementation des rapports entre l'Eglise et l'Etat est du ressort des cantons49; la Confédération ne bénéficie pas d'une compétence générale

47 Voir supra 2.2.

48 Voir supra 2.1.

49 La législation fédérale contient toutefois encore une disposition prohibant l'abattage rituel des animaux, considéré comme un acte de culte par les religions juive et mu- sulmane. Elle a été introduite à l'art. 20 de la Loi sur la protection des animaux (RS 455) qui interdit l'abattage de mammifères sans étourdissement précédant la saignée.

Le Conseil fédéral a estimé en 1977 que cette restriction à la liberté religieuse était justifiée par le but de protection des animaux (Message du Conseil fédéral du 9 février 1977 concernant une loi sur la protection des animaux, FF 1977 1 1109).

Cette position a été contestée par une partie de la doctrine qui considère à juste titre cette interdiction contraire à la liberté religieuse (AumVMALINVERNr/HoTTELIER, N° 468; BELLANGER, FRANÇOIS, La liberté religieuse, Fiche juridique suisse, N° 53, Genève 2002, p. 19; FLEINER-GERSTER, THOMAS, N° 16 SS. ad art. 25bis aCst.féd., in:

Commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse, Bâle/Berne/Zurich 1989; KARLEN, PETER, Das Grundrecht der Religionsfreiheit in der Schweiz, Zürich 1988, p. 312).

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l'autorisant à intervenir dans les relations entre les Eglises et l'Etat50. En conséquence, comme le précise expressément l'article 72 al. 1 Cst. féd., les cantons peuvent fixer de manière souveraine le statut des organisa- tions religieuses dans les limites de la liberté religieuse et, particulier, les conditions de la reconnaissance d'une communauté religieuse51. Ce fai- sant, le droit cantonal peut conférer une autonomie suffisante à une com- munauté religieuse reconnue, lui permettant d'édicter ses propres règles relatives à la constitution et au fonctionnement de juridictions internes, pouvant répondre aux exigences de l'article 30 al. 1 Cst. féd.52.

Cette question est étroitement liée à celle du régime cantonal des cultes.

Les réglementations cantonales peuvent être réparties en quatre grou- pes53: les cantons originairement réformés, les cantons originairement ca- tholiques, les cantons originairement paritaires et les cantons avec une séparation de l'Eglise et de l'Etat54

. Les cantons originairement réformés55

connaissent des liens extrêmement étroits entre l'Eglise et l'Etat pour des motifs historiques. Généralement, ces cantons ont une Eglise nationale qu'ils organisent et salarient. A côté de celle-ci, ils peuvent reconnaître un statut particulier à l'Eglise catholi- que.

Les cantons originairement catholiques56

ont généralement adopté un sys- tème <l'Eglise d'Etat compatible avec l'organisation et le fonctionnement de l'Eglise catholique, soit un système de communes ecclésiastiques, do- tées de la personnalité juridique, qui sont chargées des questions tempo- relles57. Ces cantons reconnaissent en principe des droits équivalents à l'Eglise réformée.

50 En 1980, une initiative populaire fédérale visant à inscrire dans la Constitution fédé- rale le principe de la séparation complète entre l'Eglise et l'Etat (Message sur l'initiative populaire« concernant la séparation complète de l'Etat et de l'Eglise» du 6 septembre 1978, FF 1978 II 669) a été rejetée par le peuple et les cantons (FF 1980 II 206).

51 Sur cette question voir FAMOS, p. 14 ss.

52 ATF 129/2002 I 91/97,X

53 HAFELIN, N° 22 ss. ad art. 49 aCst. féd.

54 Voir également l'étude comparative menée sous la direction de LORETAN, ainsi que la présentation des systèmes cantonaux par F AMOS, p. 4 7 ss.

55 Zurich, Berne, Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Schaffhouse, Appenzell Rhodes-Extérieurs et Vaud.

56 Lucerne, Uri, Schwyz, Obwald, Nidwald, Zoug, Fribourg, Soleure, Appenzell Rho- des-Intérieurs, Tessin et Valais.

57 HAFELIN, N° 24 ad art. 49 aCst. féd.

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Quelle protection juridique à l'intérieur des communautés religieuses? 753

Les cantons originairement paritaires58 ont opté pour un mode d'organi- sation parallèle des deux Eglises assurant leur coexistence59

Deux cantons ont opté pour une séparation de l'Eglise et de l'Etat, Ge- nève en 1907 et Neuchâtel en 1941.

Dans les trois premiers groupes, la reconnaissance de certaines Eglises et l'octroi à celles-ci de la personnalité juridique60 ainsi que d'une large au- tonomie61, permet d'envisager l'existence au sein de ces communautés de juridictions internes remplissant les exigences de l'article 30 al. 1 Cst.

féd. La qualification d'une juridiction interne comme équivalant à un tri- bunal institué par loi, impartial et indépendant, dépendra d'une analyse détaillée de chaque cas d'espèce62. En revanche, dans les cantons de Ge- nève et de Neuchâtel, où prévaut le régime de séparation entre l'Eglise et l'Etat, l'existence de tels tribunaux est exclue.

Dans le cadre d'un litige concernant le non renouvellement d'un prêtre de l'Eglise évangélique réformée du canton d'Argovie, le Tribunal fédé- ral a analysé de manière détaillée les règles pertinentes de la constitution argovienne ainsi que les dispositions de l'Eglise organisant son fonction- nement pour déterminer si les litiges pécuniaires découlant des rapports de service de droit ecclésiastique pouvaient être tranchés par la procé- dure de recours interne à l'Eglise plutôt que par une procédure ordi- naire63. Se fondant sur l'autonomie étendue conférée à l'Eglise par le droit argovien et la qualification donnée antérieurement à la Commission de recours de l'Eglise de juridiction équivalente à un tribunal, établi par la loi, impartial et indépendant64, le Tribunal fédéral a admis que laques- tion de l'indemnité de départ pouvait être considéré comme un objet re- levant de la compétence de la juridiction de l'Eglise.

Selon le Tribunal fédéral, l'élément déterminant pour admettre la compé- tence de l'Eglise dans ce domaine était l'existence d'une juridiction in-

58 Glaris, St-Gall, Grisons, Argovie et Thurgovie.

59 HAFELIN, N° 25 ad art. 49 Cst.féd.

60 Voir par exemple ATF 108/1982 la 264, Wagner und evangelische Kirchgemeinde Roggwil.

61 Sur les conditions légales relatives à la reconnaissance et l'autonomie de communau- tés et leur évolution, voir JAAG, TOBIAS, Neuordnung des Verhaltnisses zwischen Kir- chen und Staat im Kanton Zürich, in: SJZ 99 (2003) p. 549.

62 Voir par exemple l' ATF 127/2001I128, K.

63 ATF 129/2003 91, X

64 ATF 127/2001I128/130-131,K.

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dépendante pouvant examiner la question soumise librement au niveau des faits et du droit, et non l'objet du litige65Le fait que ce litige pouvait être tranché par la juridiction de l'Eglise ne signifiait toutefois pas néces- sairement que son objet fût considéré comme «religieux »66 Dans l'optique du Tribunal fédéral, cette instance n'intervenait pas comme une juridiction ecclésiastique mais comme un tribunal ordinaire. Cette conclu- sion a pour conséquence que l'objet du litige peut être, dans un tel cas, considéré comme un objet ordinaire, relevant des juridictions administra- tive ou civile normalement compétentes, et non comme un objet religieux.

3.3 Les effets de l'interdiction de la juridiction ecclésiastique

L'interdiction de la juridiction ecclésiastique a pour effet, dans les do- maines qu'elle couvre, que de tels tribunaux ne peuvent ni investiguer des faits, ni prononcer un jugement, ni faire exécuter une sentence par des organes ecclésiastiques.

L'interdiction n'a de portée que sur le territoire helvétique pour les per- sonnes soumises à la juridiction des autorités civiles, administratives ou pénales67 Elle ne s'étend pas aux actes de juridiction attribués à l'autorité ecclésiastique par le droit d'un Etat étranger et exécutés dans ce pays68. Toutefois, de tels actes ne peuvent avoir des effets en Suisse que si l'Etat étranger attache des effets juridiques aux décisions ou juge- ments de l'autorité ecclésiastique. Dans un tel cas, la Suisse reconnaît non la décision ou le jugement ecclésiastique mais le jugement civil de l'Etat étranger qui déclare cette décision ou ce jugement obligatoire69 De plus, cette interdiction n'empêche toutefois pas ceux qui reconnais- sent la compétence des tribunaux ecclésiastiques de s'y soumettre et d'exécuter leurs décisions70

65 ATF 129/2003 911101,X

66 Voir, irifra, le point 2.2.2.

67 ATF 110/1984 II 5/7, H

68 ATF 106/1980 II 180/181, D. et O.

69 JAAC 44 (1980), N°45, p. 194 SV.; JAAC 44 (1980), n° 106, p. 517; SJ 1977 337/344, Galindo; sur ces questions, voir CRETTAZ, JEAN-MARIE, La juridiction suisse et le divorce d'époux espagnols, in: SJ 1982 p. 273.

7

°

FAVRE, p. 429 SV.

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Quelle protection juridique à l'intérieur des communautés religieuses? 755

Enfin, l'existence d'une procédure devant une juridiction ecclésiastique peut également être prise en considération par un juge ordinaire comme un élément de fait. Par exemple, le juge civil du divorce peut fixer la contribution due par le mari en vertu de son devoir d'assistance de façon à ce qu'elle couvre également la protection juridique de son épouse dans le cadre de cette procédure ecclésiastique71

4 Conclusion

La question de la protection juridique de membres d'une communauté religieuse met en évidence des aspects juridiques et humains.

Du point de vue juridique, la clef de voûte du système est la protection accordée par l'article 30 al. 1 Cst. féd. qui garantit à chacun l'accès à un tribunal établit par la loi, impartial et indépendant pour tous les litiges civils, pénaux ou administratifs et, qui interdit les juridictions ecclésias- tiques dans la mesure elles sont qualifiées de tribunaux d'exception.

Le fidèle qui se trouve dans une situation de litige sur un objet séculier avec sa communauté a l'assurance que ce litige pourra être réglé par les tribunaux ordinaires. De manière exceptionnelle, un tribunal interne à la communauté pourra intervenir mais dans un cadre légal et constitutionnel bien défini. Ce tribunal interne devra être institué par des normes édic- tées par la Communauté en conformité avec le droit cantonal et fonction- ner comme une juridiction ordinaire en respectant toutes les garanties de procédures prévues par la constitution fédérale. La marge de manœuvre d'un tel tribunal sera donc limitée.

Les objets religieux sur lesquels les communautés conservent une pleine compétence sont relativement limités. Certes, ils couvrent les sujets rela- tifs au dogme ainsi qu'à l'organisation et au fonctionnement de la com- munauté, y compris le statut des ecclésiastiques. Toutefois, dès l'instant où des personnes sont directement concernées, par exemple par des me- sures disciplinaires, la frontière entre les objets religieux et séculiers est rapidement franchie. Toute mesure qui priverait un ecclésiastique de droits relevant des juridictions ordinaires ne pourrait faire l'objet d'un contentieux interne à l'Eglise, à moins qu'elle ne dispose d'une juridic-

71 SJZ 75 (1979), 22, p. 130.

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tion équivalant à un tribunal ordinaire. Cette limitation vise tant les ques- tions relatives au salaire, qu'aux conditions de travail ou aux prestations sociales. Dans ce cas, la seule porte ouverte pour la communauté est l'acceptation volontaire de la mesure par la personne concernée. Mais même un tel engagement peut se révéler contraire à l'article 27 CC et être prohibée.

Enfin, si par extraordinaire, la communauté avait un comportement contraire à loi par rapport à certains de ses membres, elle ne serait pas protégée par son caractère religieux, le droit ordinaire s'applique aussi bien à un laïc qu'à un ecclésiastique72Le fait d'être membre d'une com- munauté n'implique en aucun cas une renonciation à l'application des règles gouvernant la société civile.

Le droit offre des garanties importantes aux membres des communautés.

L'article 15 al. 4 Cst. féd. donne même à ces derniers le droit absolu de quitter en tout temps la communauté. La protection des fidèles ou des ec- clésiastiques semble donc très efficace. Toutefois, au-delà du droit, il faut prendre en compte le facteur humain. La force de la foi peut amener des membres de groupements ou des ecclésiastiques à accepter des com- portements illicites au regard du droit ordinaire. Ils sont également sus- ceptibles d'accepter de fortes contraintes imposées par le groupement ou sa hiérarchie dans la crainte de devoir quitter la communauté s'ils s'y opposaient. Le droit ne peut apporter de réponse à ces réactions, sauf dans les cas extrêmes où les pressions exercées par le groupement sont susceptibles de recevoir une qualification pénale73Ce facteur humain est incontrôlable ; le droit ne peut protéger les individus contre eux-mêmes.

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72 Dans ce sens, BELLANGER, p. 27/33 SS.

73 A ce sujet, Rapport sur la question de la manipulation mentale, in: L'Etat face aux dérives sectaires, op. cit (n. 72), p. 133.

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