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Face aux photographies prises par Pierre Bourdieu en Algérie : comment cadrer sans déborder

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Face aux photographies prises par Pierre Bourdieu en Algérie : comment cadrer sans déborder

DUCRET, André Marie Omer

Abstract

Au même titre que les tableaux, les photographies se prêtent à de multiples interprétations.

Jamais elles ne parlent d'elles-mêmes, pas plus que ne le font des données statistiques ou un protocole d'entretien. Mais lorsqu'elles naissent dans des circonstances qu'il s'avère malaisé de retracer, qu'elles entrent quarante ans plus tard dans l'espace public et que d'autres s'en emparent pour en dire le sens, la situation mérite qu'on se demande comment cadrer sans déborder. Les photographies prises par Pierre Bourdieu en Algérie de 1958 à 1961 suscitent diverses postures interprétatives face à un ensemble d'images dont l'auteur aura beaucoup œuvré à anticiper la réception.

DUCRET, André Marie Omer. Face aux photographies prises par Pierre Bourdieu en Algérie : comment cadrer sans déborder. Revue de l'institut de sociologie, 2011, no. 1-4, p. 105-125

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:41860

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Face aux photographies prises par Pierre Bourdieu en Algérie : comment cadrer sans déborder ?

André DUCRET

Département de sociologie Université de Genève andre.ducret@unige.ch

Au même titre que les tableaux, les photographies se prêtent à de multiples interprétations comme le font remarquer tant Howard S. Becker1 que Bernard Lahire2. Qu’il s’agisse des labels que nous leur apposons ou des commentaires que nous leur imposons, jamais les photographies ne parlent d’elles-mêmes. Pas plus, du reste, que ne le font des données statistiques ou un protocole d’entretien. Mais lorsque ces photographies ont été prises dans des circonstances qu’il s’avère malaisé de retracer, lorsqu’elles entrent quarante ans plus tard dans l’espace public et que d’autres s’en emparent pour en dire le sens, la situation mérite qu’on se demande comment cadrer sans déborder.

Au printemps 2005 paraît un recueil de textes d’étudiants et enseignants qui accompagne la présentation à Genève de l’exposition des photographies prises par Pierre Bourdieu en Algérie3. Issu d’un séminaire semestriel de troisième cycle auquel mon collègue Franz Schultheis m’a fait l’amitié de m’associer, ce recueil donne à voir diverses postures interprétatives face à un ensemble d’images dont leur auteur a beaucoup œuvré à anticiper la réception. Sociologue, il ne voulait pas qu’on le prenne pour un photographe, soucieux qu’il était de restituer le contexte d’où étaient issues ces photographies : une série d’enquêtes de terrain menées en Algérie de 1958 à 1961 en combinant analyse statistique et

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démarche ethnographique. Mais quels rapports ces images entretiennent- elles avec le territoire dont elles relèvent, le travail de Pierre Bourdieu, et avec celui qu’elles décrivent, la société algérienne à l’heure de la guerre pour l’indépendance ? Faire retour sur les opérations engagées dans ce recueil en vue de répondre à cette question permettra de mieux comprendre ce que nous avons entrepris – ou omis d’entreprendre – une fois investis dans la réception de ces photographies4.

Dans un premier temps, on reviendra d’abord sur les conditions dans lesquelles ces photographies furent produites en recoupant informations éparses, témoignages disponibles et explications fournies par leur auteur. Puis on s’interrogera sur les modalités de leur diffusion au travers d’une exposition itinérante doublée d’un livre qui proposent l’une et l’autre un va-et-vient systématique entre textes et images : comment les choix effectués pour le développement de certains clichés plutôt que d’autres, leur regroupement, leur présentation, leur accrochage guident-ils l’œil du spectateur ou du lecteur ? Enfin, on se demandera quels effets ces photographies exercèrent sur un public relativement homogène d’étudiants en sociologie s’appliquant à mettre de l’ordre dans ces images en inventant, à leur tour, leur propre commentaire.

Le terrain de travail

« Je suis parti en Algérie quand j’étais dans l’armée. Après deux dures années au cours desquelles il n’était pas possible de faire quoi que ce soit comme recherche, j’ai pu me mettre à nouveau au travail. J’ai commencé à écrire un livre avec l’intention d’éclairer le drame du peuple algérien et, aussi, celui des colons français, dont la situation n’était pas moins dramatique, quoi qu’on puisse dire par ailleurs de leur racisme, etc. » déclarait Pierre Bourdieu en 19865. Après trois mois de classe, à Chartres, avec les appelés de l’armée de l’air, puis une première

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affectation à Versailles, au Service psychologique des armées, ce dernier débarque en octobre 19556 sur le sol algérien, où il effectuera sons service comme soldat de deuxième classe plutôt que comme officier, un grade auquel son agrégation en philosophie lui aurait pourtant permis d’accéder. Une fois sur place, il se retrouve affecté à une unité d’aviation basée dans la vallée du Chélif ; il y fait de la maintenance au sol ainsi qu’un peu d’administration. Dès l’été 1957, suite à l’intervention d’un lointain parent de sa mère et béarnais comme lui, le colonel Ducournau7, il rejoint Alger pour travailler au cabinet militaire du Gouvernement général, où il traite le courrier, rédige des rapports et, surtout, a accès aux archives et à la bibliothèque8. C’est là, tandis qu’il est encore sous les drapeaux, qu’il prépare sa Sociologie de l’Algérie, ouvrage qu’il publie en été 1958, après avoir été libéré de ses obligations militaires à la fin 1957.

Lorsqu’il évoque les conditions de son départ pour l’Algérie, Pierre Bourdieu ne cache pas son manque d’enthousiasme ni son opposition à la guerre9. Mais plutôt que de se morfondre en attendant la « quille », il décide de se mettre au travail afin de mieux comprendre la situation dans laquelle la vie l’a plongé : « Mon choix d’étudier la société algérienne est né d’une impulsion civique plus que politique. Je pense en effet que les Français à l’époque, qu’ils soient pour ou contre l’indépendance de l’Algérie, avaient pour point commun de très mal connaître ce pays, et ils avaient d’aussi mauvaises raisons d’être pour que d’être contre »10. La tâche de l’intellectuel n’est pas, à ses yeux, de dire ce qui doit être, mais bien d’analyser ce qui est de sorte à aider autrui à se forger une opinion.

Aussi Sociologie de l’Algérie n’est autre qu’ « un premier bilan critique de tout ce que j’avais accumulé par mes lectures et mes observations »11, et si ce premier livre fut accueilli « avec ironie et distance par ceux qui pensaient connaître la société algérienne»12 sans jamais devoir se frotter au terrain, il contient déjà des descriptions d’une précision quasi photographique du village kabyle, de ses rues, de ses maisons et de ses

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activités, ou encore du sous-prolétariat urbain qu’engendre l’exode rural né de la colonisation.

Pierre Bourdieu ne prend pas, semble-t-il, de photographies durant son service militaire. Mais, lecteur de Husserl ou de Merleau-Ponty, il sait la valeur de la description phénoménologique. Ainsi est-ce d’abord par le texte qu’il entend rendre visible la réalité sociale de l’Algérie même si les images s’imposeront ensuite pour donner un visage et une consistance aux figures ou objets qu’il évoque. Par le texte d’abord, il s’efforce de décrire en comprenant, de comprendre en expliquant et d’expliquer en décrivant la complexité et la diversité de la société algérienne. Surtout, il met en évidence la façon dont, sous l’impact de la colonisation, l’agriculture se transforme, le salariat se généralise, les inégalités se creusent, la précarité s’étend. Décrire, comprendre et expliquer forment les trois moments d’une seule et même démarche en mesure, déjà, de faire fructifier les leçons d’un Durkheim comme celles d’un Weber, d’un Marx, d’un Mauss, ou encore d’un Lévi-Strauss, parfois cités, toujours présents en filigrane.

Une fois achevé un service militaire qui aura duré plus de trente mois, Pierre Bourdieu obtient un poste d’assistant à la Faculté des Lettres de l’Université d’Alger, où il poursuit ses recherches tout en étant chargé dès la rentrée 1958 d’enseigner la sociologie à des étudiants en philosophie dont certains deviendront ses collaborateurs sur le terrain13. Croiser les témoignages d’Abdelmalek Sayad et de Claude Seibel permet ainsi d’apercevoir dans quelles circonstances plusieurs enquêtes empiriques furent alors confiées à cette équipe d’apprentis sociologues parallèlement à la mise en oeuvre du plan dit « de Constantine »14. Le premier nommé, à propos de ce que fut la présence en Algérie de l’administration française au tournant des années soixante, raconte : « On a vu arriver au niveau de l’administration centrale surtout, de jeunes administrateurs, frais émoulus sortis des grandes écoles (ENA,

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polytechnique, INSEE et autres écoles d’ingénieurs) et envoyés là en mission, requis pour des périodes de service civil, ou prélevés sur les effectifs du contingent militaire, etc. Telle était l’ambiance de ces années- là, 1959 à 1961, les années « gaullistes » (ou gaulliennes) de la guerre d’Algérie. La volonté de « rattraper le temps perdu » - on convenait implicitement qu’il a été perdu, quand cela était déjà trop tard - s’est traduite, à la manière d’un sursaut de dernière heure, par un gros effort bureaucratique et administratif (enquêtes de tous genres, recensements divers, etc.) »15. Et de préciser : « Ces jeunes diplômés, pleins de bonne volonté, animés par l’esprit de service public plus intensément que l’ordinaire des fonctionnaires même de haut rang, constituaient une présence bizarre dans l’Algérie des dernières années de la colonisation ; tous ces intellectuels, énarques, statisticiens, polytechniciens, etc.

formaient un petit groupe coincé entre leur hiérarchie, la société coloniale et la société colonisée. Nous sentions que cela ajoutait au mythe du

‘patos’, à l’imagerie qu’on avait du métropolitain, à la fois plus naïf et plus ouvert que ses homologues ‘pieds-noirs’ ou seulement plus anciens en Algérie. Cela leur faisait pardonner à nos yeux certaines de leurs maladresses. Elles étaient nombreuses. Même s’ils ne se connaissaient pas tous, ils étaient liés inévitablement les uns aux autres et surtout ils communiaient un peu dans le même esprit, ils partageaient le même ethos. Relativement solidaires entre eux, solidarité due à leur position commune dans l’Algérie violemment divisée, affectant avec une relative complaisance une position de neutralité contrainte - neutralité nécessairement affectée, car la situation n’autorisait au fond aucune position de neutralité - ils étaient les seuls Européens (ou les seuls Français) que l’éventualité de l’indépendance de l’Algérie ne rebutait pas.

Au contraire, ils la sentaient venir à partir de leur position relativement en retrait, moins engagée dans le cours des événements. En somme, presque plus personne n’était dupe de ce qui se jouait »16.

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Quant à Claude Seibel, s’il commence par déplorer «l’absence quasi- totale d’archives accessibles sur cette période »17, il n’en souligne pas moins le souci que partageaient ces jeunes statisticiens de mieux prendre en compte « les attentes des populations algériennes, qu’elles soient autochtones ou européennes »18 au travers d’enquêtes socio-économiques liées aux programmes d’équipement financés par la Caisse de développement de l’Algérie. Ces mêmes statisticiens créent alors l’Association de Recherche sur le Développement Économique et Social (ARDES), laquelle « fonctionnait comme un bureau d’études avec des crédits publics, mais avec une grande autonomie dans le choix des thèmes et des méthodes scientifiques mises en œuvre »19. Ce que leur apprennent leurs recherches au sujet de l’emploi ou du logement, c’est l’inadéquation des outils d’enquête habituellement mis en œuvre par l’INSEE (Institut national des statistiques et des études économiques) dès lors qu’on les applique à la réalité algérienne. D’où l’idée de collaborer avec un sociologue, Pierre Bourdieu, qui ajoute alors ses propres questions à une enquête sur l’emploi auprès d’un échantillon représentatif de la population algérienne. Car les questions que posent les statisticiens sur le nombre d’heures consacrées chaque jour à travailler ou sur le fait d’avoir ou non un emploi ne sont, de toute évidence, pas comprises de la même manière selon qu’il s’agit de populations qui vivent encore dans des structures traditionnelles ou qui sont, à l’inverse, d’ores et déjà soumises au règne du salariat. Aussi convient-il de s’interroger au préalable sur la représentation que se font les enquêtés de la notion même de « travail , laquelle recouvre des situations différentes de part et d’autre de la Méditerranée ou selon les régions d’Algérie où se déroule la recherche20.

Sur les techniques d’enquête

Signant seul l’introduction à l’ouvrage collectif Travail et travailleurs en Algérie21, Pierre Bourdieu plaide en 1963 pour un pluralisme

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méthodologique bien compris et s’en prend à celles et ceux qui ne considèrent « comme digne d’être connu que ce qui peut être mesuré au lieu d’essayer de mesurer ce qui mérite d’être connu ou de recourir, pour l’étudier, à des méthodes moins rigoureuses en apparence »22. Et de renchérir : « Il n’est pas, en effet, de méthode qui puisse être tenue pour plus exacte ou plus rigoureuse en soi. Les mathématiques ne sont pas en elles-mêmes préférables à la recherche des motivations cachées ou à la description concrète des comportements. Leur valeur et leur validité sont fonction de l’aspect de la réalité qu’il s’agit d’explorer. Si tant est que toute chose soit susceptible de mesure statistique, il ne s’ensuit pas que la statistique soit la mesure de toute chose ; il ne s’ensuit pas que les choses qui, dans l’état actuel des méthodes disponibles, ne peuvent être mesurées soient indignes d’être connues ou que la connaissance intuitive ou la description concrète soient frappés d’une indignité irréductible »23.

Le sociologue que guetterait le fétichisme de la statistique se voit averti : la fréquence observable de tel ou tel comportement ne nous dit encore rien sur ses raisons. Mais en retour, l’interprétation qu’on avancera desdites raisons requiert une vérification à plus large échelle si bien que

« dans la dialectique entre l’hypothèse et la vérification statistique, l’opposition classique entre l’explication et la compréhension se trouve dépassée. La méthode statistique permet de saisir des chaînes causales dans lesquelles se trouvent insérées, grâce à des hypothèses interprétatives, des motivations objectivement douées de sens. Et, inversement, les données statistiques, toutes les fois qu’elles concernent le déroulement ou les conséquences d’une attitude qui enferme en soi quelque chose de compréhensible, ne sont vraiment ‘expliquées’ que si elles sont réellement interprétées de manière à revêtir un sens dans le cas concret »24.

Si elle permet au sociologue de vérifier ses hypothèses, si elle l’oblige même à le faire, la statistique a également pour vertu de le

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protéger contre ses premières impressions ou contre ce qu’il croit avoir compris à partir de quelques cas singuliers, lesquels ne sauraient valoir pour le tout. Bien qu’il ne dise rien, alors, de ses photographies, dont pourtant quelques-unes illustrent l’ouvrage25, Pierre Bourdieu laisse entendre que seule la combinaison de diverses techniques d’enquête autorise le contrôle croisé des résultats obtenus. Observation ethnographique et calcul statistique, loin de s’opposer, se complètent comme le montrent d’ailleurs le plan même du livre, les extraits d’entretien qui parsèment le texte ainsi que les renvois d’un chapitre à l’autre. Là encore pointe l’influence de Weber et, surtout, de Maurice Halbwachs26. Tandis que la partie statistique de Travail et travailleurs en Algérie manifeste le souci de s’en tenir aux chiffres - les données recueillies auprès des familles interrogées ne font l’objet que d’un bref commentaire après chaque tableau -, l’essentiel de la démonstration se voit confié au sociologue et à son équipe d’enquêteurs. Ceux-ci, sur la base d’un questionnaire sociologique élaboré d’entente avec les statisticiens, mènent une enquête complémentaire auprès d’un sous- échantillon statistique prélevé dans la population de départ. Sans magnétophone faute de moyens, un enquêteur pose des questions tandis que l’autre prend des notes. Puis s’ensuivent une série d’entretiens en profondeur auprès d’une soixantaine d’individus sélectionnés parce que typiques des contrastes qu’a révélés l’analyse statistique, entretiens conçus sous la forme de récits de vie débouchant sur autant de

« portraits » significatifs des diverses situations rencontrées.

Jamais, à l’époque, Pierre Bourdieu n’évoque le recours à la photographie comme une technique d’enquête qu’il aurait décidé d’utiliser parmi d’autres. Si, de fait, il prend des photographies de la maison kabyle auxquelles répond sa description par le texte27, jamais il ne propose de

« discours de la méthode » photographique. Il pratique la photographie, il ne la théorise pas, du moins sur le moment. Par contre, il ne cache pas la difficulté d’enquêter dans un contexte où, en ville comme à la campagne,

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les opérations militaires se doublent d’un quadrillage administratif de la société civile par l’armée française : « Dans une atmosphère d’inquisition policière et d’action psychologique, les enquêteurs devaient toujours s’attendre à un accueil soupçonneux. Les questions les mieux faites pour susciter la défiance étaient évidemment celles qui touchaient, de près ou de loin, au domaine politique. Mais, à peine la confiance établie, tout ce qui était jusque-là obstacle, devenait adjuvant. C’est ainsi que les mêmes questions pouvaient favoriser l’instauration d’un dialogue vrai, parce que les enquêtés voyaient dans le choix de les poser l’indice d’une compréhension réelle. Il n’est pas d’exemple que la prise de notes ait suscité des réticences ; une fois la confiance accordée, les enquêtés trouvaient tout à fait normal qu’on écrivît leurs réponses et même, à l’occasion, insistaient pour qu’on le fît, voyant sans doute là une confirmation du sérieux de l’enquête et de l’intérêt qu’on prenait à leur propos »28. Il faut dire qu’à l’époque où se déroule l’enquête, nombreux sont ceux à avoir compris que la situation doit et va changer en Algérie, ce qui explique peut-être - outre le fait d’avoir à répondre, le plus souvent, à des étudiants d’origine algérienne - qu’un climat de relative confiance ait pu s’instaurer.

L’enquête collective menée durant l’été 1960 sur les centres de regroupement, avec plusieurs études de cas portant sur des situations différentes ensuite comparées les unes avec les autres, et d’où sortira en 1964 Le déracinement29, s’avère, elle aussi, des plus difficiles compte tenu de la nature du terrain : une population algérienne placée sous surveillance, quadrillée et encadrée par des officiers français, leurs subordonnés et leur supplétifs. Le devoir de ces militaires est de gagner la confiance de cette population « regroupée » en remédiant à l’ennui, à la misère et à la famine dont souffrent les femmes, les vieillards et les enfants qui, déracinés, se retrouvent en majorité dans ces camps30. Dès novembre 1955, avec la création de Sections administratives spécialisées (SAS), certains officiers se verront ainsi confier des tâches

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d’administration locale dans le cadre de la politique de pacification et de contrôle de la population « indigène » mise en œuvre par l’armée française. Leur mission suppose une bonne connaissance des habitants et du territoire de la circonscription qu’ils ont en charge, d’où la production en série de monographies ayant déjà pour objet la morphologie sociale, l’économie et la géographie des lieux ainsi que les besoins de la population, ses attentes, les équipements à réaliser ou les initiatives

« civilisatrices » à entreprendre. Ces informations remontent ensuite jusqu’au Gouvernement général, où la collection complète desdites monographies est archivée et utilisée par le Service des liaisons nord- africaines31. Plus encore, « parallèlement à la réalisation de la monographie, le chef de SAS effectuait un recensement de sa population.

Plus tard, il sera même chargé de relever la topographie de chaque maison, ainsi que l’état civil : photographier les habitants et établir leurs pièces d’identité, afin de pouvoir facilement les contrôler »32. Aussi Yves Winkin33 a-t-il raison de relever combien la tâche dut être ardue pour Pierre Bourdieu et son équipe d’enquêteurs, pris qu’ils étaient entre des militaires dont ils ne voulaient pas passer pour les complices et une population déjà interrogée et photographiée par d’autres, quelquefois avec les mêmes questions. Le témoignage d’Abdelmalek Sayad en 199634 donne une idée des obstacles qu’ils rencontrèrent, mais comme le suggère avec raison Winkin35, il faudrait encore recueillir d’autres informations auprès de personnes ayant collaboré avec Bourdieu pour en savoir plus sur les conditions exactes dans lesquelles ils travaillèrent dans ces camps36.

Quant aux raisons pour lesquelles cette enquête fut commandée à l’ARDES, on se souviendra qu’on trouve dès 1959 dans la presse de métropole des informations issues de rapports officiels sur la situation dramatique des centres de regroupement37 ainsi que divers reportages réalisés sur place par des journalistes mandatés par le Gouvernement général. Des organisations charitables distribuent vivres et vêtements

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tandis que l’armée française se voit sommée de justifier la valeur

«civilisatrice» de son action, ce qu’elle fait en insistant sur le caractère prétendument « volontaire » de certains regroupements. La création, le 1 décembre 1959, d’une Inspection générale des regroupements placée sous la direction d’un militaire, le général Georges Parlange, par un civil, le délégué général Paul Delouvrier38 - tous deux étant favorables à la mise en place d’une politique d’amélioration des conditions d’existence de la population rurale regroupée dans ces centres - suppose l’identification des problèmes en suspens afin de dégager une doctrine d’action qui puisse valoir pour tous les centres de regroupement, qui sont désormais considérés comme une étape transitoire devant mener à l’édification de structures nouvelles, les « nouveaux villages »39, avec leurs maisons en parpaings, leurs toits de tuiles, leurs points d’eau, leurs rues, leurs mairies, leurs dispensaires et leurs écoles.

« Quand la presse de l’époque s’est mise à s’apitoyer sur le sort des centres de regroupement et des populations ‘regroupées’ de la sorte, lorsqu’elle a commencé à dénoncer les conditions de vie qui régnaient dans ces centres, cela s’ajoutant aux dénonciations faites de la torture, on a confié au général déjà cité40, la responsabilité d’une mission d’enquête.

Pour que cette enquête ne soit pas seulement une enquête militaire, des militaires enquêtant sur eux-mêmes et se visitant les uns les autres, pour qu’elle ne soit pas un simple parcours de parlementaires, de journalistes, de visiteurs plus ou moins charitables et plus ou moins bien intentionnés, on a demandé à l’ARDES de se charger de ce travail d’enquête et, cette fois-ci, d’enquête au sens scientifique, autant que possible, du terme ou, tout au moins, d’un travail de réflexion sur cet objet. Bien sûr, l’ARDES a sollicité Bourdieu pour la dimension sociologique de ce travail qui était, à dire vrai, un travail de sociologie exclusivement, une dimension sociologique qui était en fait la totalité du travail»41 indique Abdelmalek Sayad.

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La recherche d’où naîtra Le Déracinement est ainsi réalisée durant la période où se met en place une politique officielle des regroupements42 et elle s’achève en même temps que se brisent les visées réformistes du général Parlange face à l’inertie et à l’opposition d’autres responsables militaires43.

Au moment où se déclenche le putsch des généraux favorables à l’Algérie française, le 22 avril 1961, Pierre Bourdieu est rentré en métropole44 où, depuis l’automne 1960, il travaille comme secrétaire général du Centre de Sociologie Européenne fondé par Raymond Aron, dont il devient parallèlement l’assistant à la Sorbonne pour un an. Mais il reviendra par la suite à plusieurs reprises sur le sol algérien, l’indépendance du pays étant proclamée le 3 juillet 1962.

Des photographies qui circulent

Les photographies que prend Pierre Bourdieu en marge de ces enquêtes dormiront, à l’exception de celles reproduites en couverture ou dans certains de ses livres, près de quarante ans dans des cartons et plusieurs ont semble-t-il été perdues. Mais dans quelles circonstances émergent-elles au grand jour ? Franz Schultheis les décrit en ces termes :

« En 1999, lors de la préparation de la publication en langue allemande du livre Algérie 60, Pierre Bourdieu me parla de ses travaux ethnologiques et sociologiques en Algérie vers la fin des années cinquante ainsi que des centaines de photographies qu’il avait prises alors. Après une série d’entretiens sur cette époque et sur le rôle clé de son expérience algérienne dans la naissance de sa théorie du monde social, il me montra finalement quelques centaines d’entre elles, les autres, environ mille selon son estimation, ayant été perdues lors de divers déménagements.

Remarquant le grand intérêt que je leur portais dans ma tentative de reconstruire cette expérience, il me donna finalement son accord pour les

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rendre publiques, sous la forme d’une exposition et d’un livre, malgré les hésitations et les réticences auxquelles il fallait s’attendre quand on connaît sa modestie et sa timidité »45. D’emblée, le sociologue se montre réservé face à un projet où, selon Schultheis, il aurait joué « le rôle d’une sorte d’informateur ethnographique commentant les photographies dans l’ordre à la fois chronologique, géographique et thématique, celles-ci servant de support de mémoire pour débuter une entreprise d’histoire orale »46. La maladie puis la mort ne lui permettront pas de participer au- delà de l’automne 2001 à cette entreprise qui, tout en cherchant à lui rester fidèle, sera menée à bien sans lui.

Deux entretiens, l’un daté de septembre 1999, qui tourne autour de la traduction allemande d’Algérie 60 et de la possibilité d’y inclure des photographies, et l’autre, de juin 2001, directement lié au projet d’exposition et de livre auquel Pierre Bourdieu a entre temps donné son accord, permettent de reconstruire ce que fut sa position, d’abord à l’époque où il prit ces photographies, puis au moment où il se vit poussé à les exposer. Ainsi, dans le premier de ces entretiens, il dit combien était vif son sentiment de responsabilité, voire de culpabilité face à la tragédie de la guerre coloniale. Il se souvient avoir été profondément bouleversé par cette situation « au point de m’être réfugié dans une forme de scientisme en guise de protection contre ces sentiments »47. Aujourd’hui encore, il ne peut regarder les photographies rapportées d’Algérie sans que cela lui fasse mal au cœur si bien, avoue-t-il, « que je n’ose pas m’y replonger »48. Deux ans plus tard, il précise : « J’étais à la fois très bouleversé, très sensible à la souffrance de tous ces gens, et en même temps il y avait aussi une distance de l’observateur, qui se manifestait dans le fait de prendre des photos »49. Photographier, donc, pour ne pas perdre pied face à une réalité dont la brutalité vous submerge. Mais aussi, pour construire une documentation à la façon des ethnographes, « pour pouvoir me souvenir, pour faire des descriptions après, ou bien des objets que je ne pouvais pas emporter et que je photographiais »50.

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Photographier, enfin, pour pallier à l’inadéquation d’autres instruments d’usage courant telle cette enquête de consommation qu’on lui demande de mener dans un centre de regroupement où sévissent la famine et la misère…

Jamais Pierre Bourdieu n’évoque le souci de témoigner publiquement de ce qu’il avait sous les yeux hors de ses livres, de leurs couvertures et des quelques images qu’ils contiennent pour certains. S’il entend dévoiler la vérité de la société algérienne, c’est en « écrivain public »51 plutôt qu’en photographe. Ces photographies, pour la plupart, il les garde pour lui sans songer à les exposer. Elles font partie de ses archives personnelles. Plus encore, il insiste sur le fait qu’à la différence d’un professionnel, il ne les développait pas lui-même mais préférait les confier à un laboratoire d’Alger. Lui, du reste, s’intéressait aux gens qu’il photographiait, il cherchait à en savoir plus sur eux, à la différence de ce que fait d’habitude un photographe de presse : « Je ne voulais pas me contenter de témoigner, à la façon d’un bon reporter, je voulais dégager la logique et les effets transhistoriques de ces grands déplacements forcés de population »52. Bref, Pierre Bourdieu fait tout pour qu’on ne le prenne pas pour un photographe, encore moins pour un artiste en quête de reconnaissance. Par contre, admet-il, « il est normal de faire lien entre le contenu de mes recherches et mes photos »53, un principe auquel obéissent tant l’exposition découpée en séquences thématiques introduites par des extraits de texte que l’ouvrage lui servant de catalogue et qui alterne, selon un même découpage, planches photographiques et morceaux choisis parmi les articles et livres publiés à l’époque par l’auteur54.

« Ce que je vous raconte en ce moment, il est probable qu’il y a trente ans, je n’aurais pas pu vous le dire ou bien je l’aurais dit mais peut- être pas comme j’ai osé le dire maintenant »55 confie Pierre Bourdieu pour expliquer son silence sur des photographies dont la seule évocation aurait

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longtemps fait courir trop de risques à la scientificité revendiquée de la démarche sociologique. Leur exposition n’est ainsi possible qu’en fin de carrière, une fois leur auteur consacré. Ce n’est qu’alors qu’il peut leur faire une place dans l’histoire de ses travaux et, plus généralement, de la sociologie. Sur le moment, on l’a vu, il n’en dit rien, et seul lui reste le regret de n’avoir pas tenu un journal de bord qui lui aurait permis de mieux comprendre aujourd’hui ce qu’il vécut hier : « Oui, c’est vrai, il faudrait que j’essaie un jour avec un magnétophone de dire ce qui me revient à l’esprit en regardant les photos… »56.

En l’absence de ce témoignage plus complet, chercher d’autres raisons que celles fournies par Pierre Bourdieu lui-même à propos de ces archives demeure un exercice semé d’embûches et suggérer, comme le fait Yves Winkin, que ce silence, voire cette occultation s’expliqueraient par le fait que le philosophe aurait entre temps opéré sa conversion à la sociologie - ou à l’ethnologie - au point de n’avoir plus besoin, qu’il s’agisse de la pratiquer ou de la commenter, d’en passer par la photographie57, demeure de l’ordre du plausible plus que de l’avéré. Pour Franz Schultheis, les recherches que mène Pierre Bourdieu dès son retour en France sur les usages sociaux de la photographie l’auraient contraint à un travail d’objectivation critique de sa propre pratique en l’empêchant dès cet instant d’avoir recours à un usage « naïf » de la photographie58. Mais si l’on peut concevoir qu’à partir d’un certain moment, Pierre Bourdieu n’ait plus éprouvé le besoin ni jugé légitime de prendre des photographies tous azimuts, comment expliquer qu’il n’ait jamais imaginé montrer celles qu’il avait rapportées d’Algérie ? Et jusqu’où faut-il prendre au sérieux ce qu’il dit de ses craintes pour l’image de la discipline ? On pourrait tout aussi bien penser que, conscient du rôle qu’a joué la photographie - en particulier, la photographie de presse - dans la manière dont fut présentée en France la « guerre d’Algérie »59, Pierre Bourdieu se soit méfié des malentendus qu’aurait pu susciter une exposition de ses

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clichés tant que le contentieux franco-algérien n’était pas réglé - ce qui n’est toujours pas le cas aujourd’hui60.

À cet égard, on se souviendra que les archives photographiques de l’armée française réunissent près de cent mille clichés sur cette guerre alors que, du côté algérien, les images font le plus souvent défaut. En règle générale, ces clichés ne montrent pas - ou peu - les combats, les exactions ou les massacres commis de part et d’autre, mais plutôt la manière dont « la France éduque, protège, soigne, construit, fabrique des routes, etc. »61. En temps de guerre, la photographie, relève plus de la propagande que de l’information ; elle est souvent mise en scène, recadrée ou retouchée. Mais, professionnels ou amateurs, civils ou militaires, les photographes ne sont pas tous à la botte de l’armée française ; certains contournent la censure et d’autres travaillent pour le camp adverse. Beaucoup, des appelés, des anonymes, se constituent des souvenirs. Prendre des photographies, dans ces conditions, ne va pas de soi. Mais à celles et ceux qui, quel que soit leur camp, seraient tenté de reprocher après coup à Pierre Bourdieu de n’avoir pas montré les horreurs de la guerre, il est aisé de rétorquer qu’il n’en prit aucune alors qu’il était sous l’uniforme et, surtout, que jusqu’à une date très récente, ses photographies n’étaient pas destinées à entrer dans l’espace public.

Comment les recevoir ?

Le moment où Franz Schultheis réussit à convaincre Pierre Bourdieu d’exposer ses photographies coïncide avec la période où celui-ci prépare ce qui sera sa dernière leçon au Collège de France, le 27 mars 2001, d’où sortira l’ Esquisse pour une auto-analyse parue dès 2002 en traduction allemande62, puis dans sa version originale63 en 2004, au moment où, à Genève, nous proposons à quatorze étudiants64 pour la plupart inscrits en sociologie, un séminaire de troisième cycle autour d’un corpus

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photographique qui sera présenté quelques mois plus tard au Centre de la photographie.

Si l’un des enseignants responsables de ce séminaire a pour principal centre d’intérêt la façon dont la théorie du monde social qu’élabore Pierre Bourdieu naît au contact du terrain algérien, l’autre propose de partir de ce travail pour réfléchir aux usages possibles de la photographie en sciences sociales et aux raisons pour lesquelles elle est délaissée aujourd’hui. Pour l’un, il s’agit d’accompagner la démarche originale et, par bien des aspects, exemplaire du jeune philosophe qui se tourne vers l’observation sociologique, autrement dit : vers l’enquête empirique et - à titre accessoire, mais passionné - le maniement d’un appareil photographique. Le souhait de l’autre est d’inscrire cette même démarche au sein d’une réflexion plus large qui lui évitera, espère-t-il, d’avoir à célébrer un maître dont il respecte l’œuvre et la personne sans pour autant s’en réclamer. D’emblée, la question de savoir à quelle distance se placer pour recevoir ces photographies se trouve ainsi posée : trop près, et le cadrage est trop serré, ou trop loin, et l’objet vous échappe.

Tout séminaire de troisième cycle consiste en une activité collective qui implique de multiples interactions entre enseignants et étudiants. Le commentaire que propose chacun d’entre eux prend forme au fil de la discussion ; il résulte d’investigations personnelles soumises en permanence au jugement d’autrui. De plus, au terme du semestre, une note d’examen vient sanctionner le travail accompli. Le fait d’avoir à élaborer une publication qui sortira de presse le jour où sera inaugurée l’exposition engendre pression, angoisse et émulation. Un délai de rédaction est fixé, des contraintes de production doivent être respectées, une répartition des tâches, définie. Des tirages photographiques sont dispersés sur la table, une bibliographie, distribuée, et tandis que les étudiants s’emparent de ces images, les comparent, les regroupent et les

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commentent, les enseignants animent le séminaire par des apports didactiques correspondant à leurs préoccupations respectives. L’un d’entre eux étant à la source même du projet d’exposer ces photographies, il se voit sommé de répondre à nombre de questions au sujet de Pierre Bourdieu, de sa personne comme de son œuvre. L’autre suit tant bien que mal.

Au bout du compte, les textes issus de ce séminaire se différencient par la position qu’ils adoptent face à ces photographies et, inséparablement, face à leur auteur. Quatre postures interprétatives se dégagent, centrées soit sur la personne soit sur l’œuvre, et dont le cadrage s’avère tantôt serré tantôt large :

POSTURE Centrée sur la personne Centrée sur l’oeuvre

Cadrage serré Cohésive Inclusive

Cadrage large Dissolutive Comparative

La première de ces postures insiste sur la continuité de la démarche adoptée par Pierre Bourdieu, de ses premières enquêtes en Algérie à La Misère du monde65 en montrant que son engagement politique ne date pas d’hier, mais qu’il remonte aux années soixante déjà. Une continuité à la fois thématique, théorique et méthodologique qui fait de sa vie - et, du même coup, de son œuvre - une trajectoire exemplaire. Une vie dont très tôt se dessinent les traits essentiels, qui mènent du village béarnais de son enfance à la chaire de sociologie du Collège de France.

La seconde, comparative, met en regard la pratique photographique de Pierre Bourdieu avec celle d’autres ethnologues, qu’il s’agisse de Germaine Tillion et de ses travaux des années trente dans les Aurès, de Claude Lévi-Strauss et de son séjour, à la même époque, au Brésil, ou

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encore du périple de Bronislaw Malinowski aux îles Trobriand. Tous ramènent des photographies de leur terrain, mais alors que, pour les uns, l’image permet de conserver la trace d’une société en voie d’extinction, pour les autres - et, singulièrement, pour Pierre Bourdieu - l’image dévoile une société déchirée par la guerre et marquée par de profonds clivages entre la ville et la campagne. Une société en voie de décolonisation qui marche vers un avenir incertain. Comparer consiste également, dans cette posture, à confronter ces images à d’autres, qu’elles relèvent de la photographie documentaire, de Lewis Hine à Walker Evans, ou encore de la sociologie dite « visuelle » et de son intérêt pour le vernaculaire.

Une troisième posture revient à lier les propos du sociologue sur sa pratique de la photographie aux recherches qu’il conduit, une fois de retour en France, sur les usages sociaux de la photographie. Ou encore, à ce qu’il écrira plus tard, sur les déterminants sociaux du jugement esthétique. Ou enfin, à associer les clichés qu’il prend de ces femmes, voilées, sur le marché de Bab-el-Oued ou de ces hommes à la pause, roulant les mécaniques en camisole, à ses écrits sur les rapports sociaux de sexe ou sur l’inscription du social dans les corps.

Inscrire l’auteur de ces photographies dans le décor que dessine la guerre pour l’indépendance, avec les risques qu’on devine, ou parler des transformations que connaît la société algérienne à l’heure de la décolonisation sans vraiment se soucier des circonstances précises dans lesquelles travailla Pierre Bourdieu, des situations qu’il rencontra, des protagonistes qui l’aidèrent ou, à l’inverse, l’entravèrent, conduit à dissoudre la petite histoire dans la grande ainsi que le fait une quatrième et dernière posture.

Quelle que soit la posture interprétative qu’on adopte, rien ne peut être dit de ces photographies sans qu’il soit fait référence à leur auteur et à la relation qu’il entretient avec l’Algérie. S’attarder sur leur aspect

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matériel, gloser sur la dimension ou sur la qualité des tirages, ou encore les aborder sous l’angle esthétique paraît aussitôt dérisoire. D’un point de vue esthétique, il n’y a rien à en dire. Par contre, ces photographies, elles ont été prises par Pierre Bourdieu et, du même coup, elles retiennent notre attention. L’effet de signature, ici, joue à plein, et s’il est inconcevable de traiter de l’œuvre sans convoquer la personne, l’inverse n’est pas vrai.

Du reste, sans le travail effectué après coup pour faire de ces photographies un ensemble cohérent, une « œuvre » qu’il soit possible d’exposer comme un tout, celles-ci auraient probablement échappé à tout commentaire. Pris en charge par une revue spécialisée, Camera Austria, laquelle gère de manière professionnelle tant les conditions d’assurance que les droits de reproduction, cet ensemble circule aujourd’hui dans différents lieux d’exposition qui en confirment le statut, sinon d’œuvre d’art – car ces photographies n’obéissent pas à une volonté artistique -, du moins de produit culturel digne d’attention. Et lorsque le producteur se nomme Pierre Bourdieu et qu’il s’agit, pour des étudiants en situation d’apprentissage, de prendre position par rapport à son travail, leurs commentaires oscillent entre proximité et distance vis-à-vis de l’œuvre, donc de la personne.

Conclusion

Une typologie des postures interprétatives construite à partir des opérations entreprises au sein d’un séminaire de troisième cycle n’épuise pas l’ensemble des manières de recevoir les photographies prises par Pierre Bourdieu en Algérie. Quant aux facteurs qui expliquent qu’on opte pour l’une ou l’autre de ces postures, ils vont de la sympathie plus ou moins affirmée à l’endroit de l’œuvre et de la personne aux compétences inégalement distribuées entre les étudiants, ou encore à leur degré

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d’investissement dans le jeu conduit par les enseignants. En réalité, il n’existe pas de « juste » interprétation de ces photographies d’abord produites par leur auteur, ensuite par les responsables de leur diffusion, enfin par le public que formèrent les participants à notre séminaire. Mais quels que soient les commentaires qu’elles suscitent, ces photographies nous auront au moins aidé à comprendre - et, par les temps qui courent, ce n’est pas rien - ce que fut pour Pierre Bourdieu cette « sorte de passion pour tout ce qui touchait ce pays, ses gens, ses paysages, et aussi la sourde et constante sensation de culpabilité et de révolte devant tant de souffrance et d’injustice »66.

NOTES

1 Cf. BECKER Howard S., « Sociologie visuelle, photographie documentaire et photojournalisme : tout (ou presque) est affaire de contexte », Propos sur l’art, trad.

franç. de Jean Kempf, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 173-196 et BECKER Howard S.,

« Catégories et comparaisons : comment trouvons-nous du sens aux photographies ? », Paroles et musique, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 39-50.

2 Cf. LAHIRE Bernard, « Décrire la réalité sociale », L’esprit sociologique, Paris, La Découverte, 2005, p. 29-39.

3 DUCRET André et SCHULTHEIS Franz (s.l.d.), Un photographe de circonstance. Pierre Bourdieu en Algérie, Genève, AES, 2005. Une brochure de cent quarante pages tirée à cinq cent exemplaires, dont deux cent trente furent vendus en librairie, sur commande ou sur place, à l’occasion de l’exposition genevoise.

4 Il ne sera pas question, ici, de la réception réservée à l’exposition des photographies de Pierre Bourdieu par les média qui en parlent ou par les publics qui la fréquentent ; à notre connaissance, ladite réception n‘a pas fait l’objet – et on peut le regretter – d’investigations systématiques. Signalons néanmoins l’article de JOOS Nora, « L’Algérie en négatif. Retour sur la position du chercheur-sauveur », Carnets de bord, 11, 2006, p.

6-13, article qui présente les résultats d’une enquête de réception tentée en mars 2006 à la Bibliothèque Nationale d’Alger.

5 HONNETH Axel, KOCYBA Hermann et SCHWIBS Bernd, « The Struggle for Symbolic Order. An Interview with Pierre Bourdieu », Theory, Culture and Society, 3, 3, 1986, p.

38 (je traduis). Cet entretien a fait l’objet d’une traduction partielle en français sous le titre « Fieldwork in philosophy » in BOURDIEU Pierre, Choses dites, Paris, Minuit, 1987, p. 13-46.

6 Les sources consultées divergent sur la date d’arrivée de Pierre Bourdieu en Algérie comme sur celle de son retour en France, plusieurs allées et venues entre ces deux pays ayant eu lieu de 1959 à 1961, durant les vacances universitaires notamment, pour des enquêtes sur le terrain, en Béarn ou en Kabylie. Il semble néanmoins qu’en raison des menaces qu’auraient proférées contre lui certains des partisans de l’Algérie française, le sociologue se soit replié sur Paris dès l’automne 1960, après cinq ans passés sur le sol algérien.

7 Le colonel Paul Ducournau (1910-1985) est alors à la tête du cabinet militaire de Robert Lacoste, ancien syndicaliste et homme de gauche, qui, nommé ministre résident en Algérie le 9 février 1956, le restera jusqu’à la fin de la Quatrième République, en mai 1958. Dès son arrivée au Gouvernement général, Robert Lacoste, favorable au maintien

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de l’Algérie dans la République française, réclame l’envoi de troupes supplémentaires pour « pacifier » le pays. Son chef de cabinet militaire est un ancien d’Indochine, qui s’est notamment illustré dans sa jeunesse lors du débarquement de Provence, en août 1944 (cf. la notice biographique de Ducournau in JAUFFRET Jean-Charles (s.l.d.), La guerre d’Algérie par les documents. Tome 2 : Les portes de la guerre 1946-1954, Château de Vincennes, Service historique de l’armée de terre, 1998, p. 965-968). Avant de rejoindre le Gouvernement général, le 1 mars 1956, ce « chef de guerre » dirige les premières opérations de ratissage menées par des unités parachutistes dans le massif de l’Aurès dès novembre 1954, mais ce « dans le respect de la légalité républicaine » souligne Jean-Charles Jauffret (cf. Ces officiers qui ont dit non à la torture. Algérie 1954- 1962, Paris, Autrement, 2005, p. 63, note 22). Avec l’instauration de l’état d’urgence, l’Aurès est placé dès le 28 avril 1955 sous le commandement d’un autre béarnais, le général Georges Parlange, qui, face à la difficulté de mater la rébellion, crée alors les premières « zones interdites » et leur corollaire, les « centres de regroupement », qui sont destinés à couper les liens entre la population et la guérilla. Plus tard, et sous administration gaulliste, ce même Parlange prendra la direction de l’Inspection générale des regroupements de population avec la volonté d’améliorer les conditions d’existence des « regroupés » dans ces centres (cf. AGERON Charles-Robert, « Une dimension de la guerre d’Algérie : les « regroupements » de population » in JAUFFRET Jean-Charles et VAISSE Maurice (s.l.d.), Militaires et guérilla dans la guerre d’Algérie, Bruxelles, Complexe, 2001, p. 327-362).

8 On trouvera des informations sur cette période dans la contribution de YACINE Tassadit,

« L’Algérie, matrice d’une œuvre » in ENCREVE Pierre et LAGRAVE Rose-Marie (s.l.d.), Travailler avec Bourdieu, Paris, Flammarion, 2003, p. 333-345 ainsi que dans son article

« Pierre Bourdieu in Algeria at war. Notes on the birth of an engaged ethnosociology », Ethnography, 5, 4, 2004, p. 487-509. Ces deux contributions sont reprises et développées dans la présentation que propose cet auteur des articles écrits par Bourdieu alors qu’il était en Algérie auxquels s’ajoute une suite d’entretiens et de textes publiés ultérieurement (cf. BOURDIEU Pierre, Esquisses algériennes, Paris : Seuil, 2008, p. 21- 53). De Tassadit Yacine, on lira également l’entretien réalisé avec le Père Henri Sanson et paru sous le titre « C’était un esprit curieux » in « L’autre Bourdieu », Awal, Cahiers d’études berbères, 27-28, 2003, p. 279-286. Une revue dans laquelle l’historien André Nouschi livre le récit de sa rencontre dans les locaux du Gouvernement général avec Pierre Bourdieu, fraîchement débarqué du « bled » (« Autour de Sociologie de l’Algérie », Awal, op.cit., p. 29-35). Quant à Abdelmalek Sayad, il indique que le service militaire effectué par Pierre Bourdieu « avait duré plus de trente mois presque par sanction du fait de certaines rebellions. A la fin, un peu par protection de la part peut-être d’un général béarnais, comme lui, qui passait pour un des généraux les moins belliqueux d’Algérie, il a bénéficié de quelques mois de « planque » au service de presse du Gouvernement général de l’époque» (in SAYAD Abdelmalek, Histoire et recherche identitaire suivi de Entretien avec Hassan Arfaoui, Saint-Denis, Bouchène, 2002, p. 59. On relèvera qu’Abdelmalek Sayad parle à deux reprises, dans son témoignage, d’un général - et non d’un colonel –, et ce sans jamais le nommer si bien qu’on peut se demander s’il s’agit bien dans son esprit du colonel Ducournau, effectivement nommé général de brigade le 1 juin 1958, et qui se verra confié dès avril 1960 le commandement militaire de la zone du Sud-Constantinois – donc, de l’Aurès -, ou plutôt du général Parlange, lui aussi béarnais, et qui avait en charge la même zone militaire auparavant (cf. note 7 supra). Les termes choisis par Sayad pour qualifier l’attitude dudit général (« l’un des moins belliqueux d’Algérie ») semblent, en effet, mieux correspondre au second qu’au premier, surnommé

« Ducournau la foudre » par ses « paras ».

9 Cf. « Pierre Bourdieu évoque ses débuts en Algérie » in DUCRET André et SCHULTHEIS Franz, op.cit., p. 3-15. Au demeurant, les pages que Bourdieu consacre dans son Esquisse pour une auto-analyse (Paris, Raisons d’agir, 2004, p. 53-57) aux conditions dans lesquelles il partit pour l’Algérie ne laissent, elles non plus, aucun doute sur ce qu’était alors son état d’esprit. Pour se faire une idée approximative de ce que vécut le jeune Bourdieu, on lira les témoignages recueillis in JAUFFRET Jean-Charles, Soldats en

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Algérie 1954-1962. Expériences contrastées des hommes du contingent, Paris, Autrement, 2000.

10 BOURDIEU Pierre, « Entre amis », Awal, loc.cit., p. 85, propos datant de 1997 et repris sous le titre « Retour sur l’expérience algérienne » in BOURDIEU Pierre, Interventions, 1961-2001. Science sociale et action politique, Marseille, Agone, 2002, p. 39.

11 Id.

12 NOUSCHI André, « Autour de Sociologie de l’Algérie », loc.cit., p. 33, lequel suggère de comparer la seconde édition de ce Que sais-je ?, en 1961, à celle de 1958 en vue de mesurer l’évolution de la pensée et, donc, du savoir accumulé sur ce pays par Pierre Bourdieu. Sur les éditions successives de ce même ouvrage ainsi que sur les sources utilisées et les lectures faites alors par Bourdieu, on lira également l’ouvrage de MARTIN- CRIADO Enrique, Les deux Algéries de Pierre Bourdieu, trad.franç. de Hélène Bretin, Broissieux, Croquant, 2008, p. 33-50 et p. 71-76.

13 Cf. l’entrevue électronique avec Alain ACCARDO, en ligne.

<http://www.home-moderne.org/societe/socio/accardo/entr0306.html>. Consulté le 18 septembre 2006.

14 Lancé par le général de Gaulle le 3 octobre 1958, le « Plan de Constantine » prévoyait la distribution de deux cent cinquante mille hectares de terres aux paysans algériens, la construction de deux cent mille logements pour un million d’habitants, la création de quatre cent mille emplois réguliers, un effort soutenu d’industrialisation en faisant appel aux investisseurs privés, la scolarisation massive des enfants algériens ainsi qu’un alignement progressif des salaires sur ceux de la France métropolitaine, le tout en cinq ans avec l’engagement financier de l’État.

15 SAYAD Adelmalek, « Entretien avec Hassan Arfaoui », op.cit., p. 64.

16 Ibid., p. 65.

17 SEIBEL Claude, « Les liens entre Pierre Bourdieu et les statisticiens, à partir de son expérience algérienne » in BOUVERESSE Jacques et ROCHE Daniel (s.l.d.), La liberté par la connaissance. Pierre Bourdieu (1930-2002), Paris, Odile Jacob, 2004, p. 106.

18 Id.

19 Ibid., p. 107. Sur ce que fut l’activité de ces bureaux d’études dans un pays devenu le laboratoire où rôder des procédures d’enquête, mais aussi des pratiques administratives ou des outils d’aménagement utilisés par la suite en métropole, on lira le témoignage de MARIÉ Michel, « Sociologue de bureaux d’études : la guerre, la colonie et les sciences sociales », Les terres et les mots. Une traversée des sciences sociales, Paris, Méridiens Klincksieck, 1989, p. 29-75.

20 Cf. sur ce point les explications que donne Pierre Bourdieu à Franz Schultheis, le 26 septembre 1999, dans un entretien paru en traduction allemande sous le titre : « Im Algerien : Lehrjahre in einem soziologischen Laboratorium », Mittelweg, 36, 3, 2006, p.72-76.

21 BOURDIEU Pierre, DARBEL Alain, RIVET Jean-Paul et SEIBEL Claude, Travail et travailleurs en Algérie, Paris, Mouton, 1963.

22 BOURDIEU Pierre, DARBEL Alain, RIVET Jean-Paul et SEIBEL Claude, op.cit., p. 9-10.

23 Id..

24 Ibid., p. 10-11. Cette position est aussi celle que défend Raymond ARON commentant Max Weber in: La sociologie allemande contemporaine, Paris, PUF, 1966, p. 124.

25 Sur huit photographies que recense la table des planches qui figure en fin d’ouvrage, quatre émanent du Ministère de l’Information d’Algérie, les autres étant de Pierre Bourdieu, toutes sobrement légendées.

26 Qu’il me soit permis sur ce point de renvoyer le lecteur à mon article intitulé

« Halbwachs, lecteur de Weber, ou comment définir les classes moyennes », Carnets de bord, 10, 2005, p. 15-23. Proche des analyses d’Halbwachs sur le lien entre dépenses de consommation et hiérarchie des besoins, Pierre Bourdieu le cite à plusieurs reprises dans Travail et travailleurs en Algérie et va jusqu’à le paraphraser en donnant pour titre à son chapitre final : « Esquisse pour un tableau des classes sociales ».

27 BOURDIEU Pierre, « La maison kabyle ou le monde renversé » in POUILLON Jean et MARANDA Pierre (s.l.d.), Échanges et communications. Mélanges offerts à Claude Lévi-

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Strauss à l’occasion de son soixantième anniversaire, Paris/La Haye, Mouton, 1970, p.

739-758. Ce texte circule semble-t-il dès 1960 sous une forme ronéotée à Paris.

28 BOURDIEU Pierre, « Étude sociologique », Travail et travailleurs en Algérie, op.cit., p.

261.

29 BOURDIEU Pierre et SAYAD Abdelmalek, Le Déracinement. La crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie, Paris, Minuit, 1964. Si ce livre propose la description détaillée de divers centres de regroupement, il ne contient, notons-le, aucune des nombreuses photographies que Pierre Bourdieu prendra pourtant sur le terrain.

30 Sur les modalités de la mise en œuvre de cette stratégie de « pacification » et sur les tensions entre pouvoir civil et autorité militaire dans la gestion des centres de regroupement, voir l’article de SUTTON Keith, « Army Administration Tensions over Algeria’s Centres de Regroupement 1954-1962 », British Journal of Middle Eastern Studies, 26, 2, 1999, p. 243-270.

31 Informations extraites de la contribution de OUMOURI Noara, « Les sections administratives spécialisées et les sciences sociales. Études et actions sociales de terrain des officiers de SAS et des personnels des Affaires algériennes » in JAUFFRET Jean- Charles et VAISSE Maurice (s.l.d.), Militaires et guérilla dans la guerre d’Algérie, op.cit., p. 383-397.

32 Ibid., p. 386.

33 WINKIN Yves, « Portrait du photographe en jeune anthropologue » in DUBOIS Jacques, DURAND Pascal et WINKIN Yves (s.l.d.), Le symbolique et le social. La réception internationale de la pensée de Pierre Bourdieu, Liège, ULG, 2005, p. 43-51.

34 Abdelmalek Sayad témoigne : « À chaque moment, on sentait que cela pouvait casser : parfois, excédés, le moral à bas, nous voulions rentrer et tout plaquer ; parfois, au contraire, on le sentait, c’était les militaires qui étaient excédés par notre présence, par l’espèce de suspicion dont ils nous entouraient, par nos propos et par ce qu’on leur rapportait de nos propos et de nos contacts avec la population, et surtout par notre refus obstiné d’accepter la protection qu’ils voulaient nous imposer généreusement (une protection qui était en fait un moyen de surveillance), et qui se montraient prêts à nous expulser des centres sur lesquels nous travaillions. C’est sûr, ce n’est pas facile de faire de la sociologie en situation de guerre… ce n’est déjà pas facile en temps de paix, a fortiori en temps de guerre. Mais il fallait savoir renverser les situations, tirer profit des difficultés qu’imposait le contexte du moment et du lieu. C’est ce qu’on a essayé de faire et, parfois, réussi à faire » (« Entretien avec Hassan Arfaoui », op.cit., p. 71) .

35 WINKIN Yves, « Portrait du photographe… », loc.cit., p. 46, note 54.

36 Outre le témoignage de Sayad, on lira celui de Salah Bouhedja qui, tandis qu’il travaille pendant les vacances à la SAS de Chéraïa, dans la presqu’île de Collo, pour gagner quelques sous, fait la connaissance de Pierre Bourdieu durant l’été 1960. Il sert alors de guide et d’interprète à des enquêteurs attendus et protégés à la fois par l’armée française qui les transporte, voire les héberge, et par l’ALN (Armée de Libération Nationale) algérienne qui surveille leurs déplacements (cf. « Il était parmi les dix ».

Autour de l’enquête sur les camps de regroupement dans Le Déracinement. Salah Bouhedja. Entretien réalisé par Tassadit Yacine », Awal, Cahiers d’études berbères, 27- 28, 2003, p. 287-293). Lors de cet entretien, Bouhedja mentionne la présence sur place de Jacques Budin, resté avec lui pour compléter le travail d’enquête, mais dont le nom ne figure pas dans la liste des neuf collaborateurs remerciés en tête du Déracinement. Ce même Jacques Budin intervient le 22 juin 2006 lors du colloque Pour une histoire critique et citoyenne. Le cas de l’histoire franco-algérienne organisé à l’ENS Lettres et sciences humaines de Lyon, du 20 au 22 juin 2006. Il raconte avoir participé deux mois durant aux enquêtes conduites par Sayad et Bourdieu dans plusieurs centres de regroupement de la presqu’île de Collo où on ne circulait qu’en convoi militaire et où, se souvient-il, on dormait dans des écoles, des centres SAS ou des postes militaires (en ligne.

<http :w3.ens.lsh.fr/colloques/france-algerie/rubrique.php3 ?id_rubrique=3>. Consulté le 22 septembre 2006). Faire de la recherche en situation de guerre n’allait pas sans risques comme le montrent encore les pages que consacre Pierre Bourdieu à cette période de sa vie dans son Esquisse pour une auto-analyse, op.cit., p. 63-78. Des pages

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