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L’évolution du rapport au décrochage scolaire de futur-e-s enseignant-e-s français-e-s de lettres-histoire et géographie de lycée professionnel au contact de leur formation initiale

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Academic year: 2022

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(1)

Thesis

Reference

L'évolution du rapport au décrochage scolaire de futur-e-s

enseignant-e-s français-e-s de lettres-histoire et géographie de lycée professionnel au contact de leur formation initiale

DEMONET, Pascal

Abstract

En France, le décrochage scolaire touche d'abord les lycéens professionnels et par contrecoup leurs professeurs. Le rapport au décrochage scolaire des enseignants est constitutif de leur rapport au métier. À partir d'une sociologie des dispositions, et en interrogeant huit professeurs débutants de lycée professionnel à trois reprises au cours de leur formation initiale, cette recherche par théorisation ancrée observe l'évolution de leurs perceptions, jugements et actions préconisées et/ou rapportées vis-à-vis des décrocheurs, de leurs familles, du phénomène de décrochage et de la manière dont leurs études les préparent ou non à lutter contre ce processus. Les résultats montrent que le rapport au décrochage scolaire de chaque informateur évolue au contact de causes singulières et communes liées à leurs études et qu'il est un analyseur pertinent de leur professionnalité. Ils révèlent également que la formation initiale pourrait être améliorée en développant chez les étudiants un rapport au décrochage scolaire plus professionnalisé.

DEMONET, Pascal. L'évolution du rapport au décrochage scolaire de futur-e-s

enseignant-e-s français-e-s de lettres-histoire et géographie de lycée professionnel au contact de leur formation initiale. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2018, no. FPSE 721

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:112517 URN : urn:nbn:ch:unige-1125176

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:112517

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Sous la direction d’Olivier MAULINI L’évolution du rapport au décrochage scolaire

de futur-e-s enseignant-e-s français-e-s

de lettres-histoire et géographie de lycée professionnel au contact de leur formation initiale

THÈSE Présentée à la

Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation de l’Université de Genève

pour obtenir le grade de Docteur en Sciences de l’Éducation par

Pascal DEMONET de

Meximieux Thèse N°721

GENÈVE Novembre 2018

Numéro étudiant : 14-347-496

Composition du jury :

Olivier MAULINI, Université de Genève (directeur) Pierre-Yves BERNARD, Université de Nantes Mireille CIFALI, Université de Genève Georges FELOUZIS, Université de Genève Philippe MEIRIEU, Université de Lyon 2

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L’école c’est le travail donc c’est de la souffrance.

Ali, deuxième enquête, 2016

Il avait eu le temps de voir Le temps de boire à ce ruisseau Le temps de porter à sa bouche Deux feuilles gorgées de soleil Le temps d'atteindre l'autre rive Le temps de rire aux assassins Le temps de courir vers la femme Il avait eu le temps de vivre.

Boris Vian

Le temps de vivre, 1954

Ma conviction est faite et je n’en démordrai pas : dans la course effrénée que vivent nos enfants aujourd’hui, fascinés par la vie en trompe l’œil et en temps réel, la découverte du plaisir d’apprendre reste l’acte fondateur de toute éducation.

Philippe Meirieu,

Le plaisir d’apprendre, 2014

Papa, tu finis quand ta thèse ? Sandro, 5 ans, 2018

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Remerciements

Nul ne sort indemne de l’écriture d’une thèse. L’exigence d’un tel ouvrage requiert passion, patience, persévérance et abnégation. Les heures, les jours, les années voués à cette recherche solitaire sont autant de rendez-vous manqués auprès des siens. Le temps s’égrène et la vie file. Chaque être aimant subit l’exil. L’enfant grandit, son père vieillit. Alors une course effrénée contre la montre s’engage, ainsi qu’un rythme de travail toujours plus soutenu pour lutter in fine contre le décrochage. Les apprentissages, les rencontres et les découvertes réalisés via les lectures, les entretiens et l’émergence de résultats de recherche ont suscité du plaisir, de l’enthousiasme et de l’épanouissement personnel et professionnel. À l’inverse, les frustrations liées à la solitude et à l’enfermement, le manque de sommeil, le travail aliénant de transcription et l’étude approfondie du matériau ont été des sources de souffrance morale et physique. Forgé par cette épreuve (Martuccelli, 2006), je voudrais remercier tous ceux qui ont rendu celle-ci possible et/ou plus supportable.

Merci à Marie-Cécile Guernier et à Jean-Pierre Sautot qui ont été les premiers à m’encourager à entreprendre un doctorat à l’université de Genève.

Merci à Isabelle Guillemard qui m’a permis de présenter mon projet de recherche aux étudiants tout en me donnant accès aux salles de l’ESPE pour réaliser des entretiens.

Merci aux huit étudiants qui m’ont confié leurs joies, leurs déceptions, leurs doutes, leurs agacements, leurs réussites, leurs angoisses, leurs rêves, leurs renoncements et leurs convictions professionnelles. Je leur suis infiniment reconnaissant de m’avoir accordé de leur temps précieux pour vivre des échanges très enrichissants que je ne suis pas prêt d’oublier.

Merci à Vincent Massart qui m’a donné l’opportunité d’enseigner quelques heures à l’ESPE.

Merci à tous les membres du laboratoire innovation, formation, éducation (LIFE) auprès desquels j’ai pu me professionnaliser à travers des séminaires formateurs et conviviaux.

Merci à Laurent, Jérome et Cédric, mes collègues du lycée professionnel, qui m’ont libéré du temps en m’épaulant ponctuellement durant cours, réunions et/ou voyage pédagogique.

Merci à Mireille Cifali, Pierre-Yves Bernard, Georges Felouzis et Philippe Meirieu de m’avoir fait l’honneur d’accepter de siéger dans mon jury de thèse. Leurs travaux n’ont cessé d’inspirer ma recherche.

Merci à mes amis Gérald et Stéphane qui n’ont jamais totalement renoncé à m’appeler.

Merci à tous les membres de ma famille franco-portugaise sur qui j’ai pu toujours compter.

Merci à Marie qui m’a offert l’essentiel : le temps de transcrire, le temps d’induire, le temps de lire et le temps d’écrire.

Merci à Olivier Maulini, directeur de thèse exceptionnel, pour son exigence, sa bienveillance, sa disponibilité et son engagement constants qui m’ont permis de faire de certains de mes idéaux professionnels une réalité. À son contact, j’ai grandi. Je lui adresse toute ma gratitude.

Merci à ma tendre moitié que j’ai connue décrocheur et qui de par son amour et son soutien indéfectibles m’a aidé à viser le grade de docteur.

Merci enfin à Sandro, ce miracle de la vie, qui via un regard, un sourire ou une étreinte a le pouvoir de me soigner de tous mes maux.

Je dédie ce travail à tous les décrochés que j’ai pu rencontrer, mais aussi à mon fils, à ma femme et à notre enfant qui vient à naître.

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Table des matières

Introduction - Un ancien décrocheur devenu chercheur ...7

Une recherche qui fait le lien entre décrochage scolaire et formation initiale ... 12

Plan de la thèse ... 14

PARTIE I - LE RAPPORT AU DÉCROCHAGE EN LYCÉE PROFESSIONNEL : PROBLÉMATIQUE ET CADRE CONCEPTUEL... 15

Chapitre 1: Contexte de la recherche : du décrochage des élèves à celui des enseignants ... 16

1.1. Décrochage scolaire en Europe et en France ... 16

1.2. Décrochage scolaire et effet-enseignant ... 22

1.3. Décrochage scolaire et décrochage professionnel ... 25

1.4. La formation des maîtres : une variable clef pour professionnaliser ? ... 27

Chapitre 2: Le rapport au métier d’enseignant et au décrochage scolaire en lycée professionnel ... 34

2.1. Le décrochage scolaire en lycée professionnel ... 34

2.2. Le rapport au décrochage scolaire : une composante du rapport au métier ... 40

2.3. Le rapport au métier et au décrochage scolaire des enseignants de lycée professionnel ... 44

2.4. Saisir le rapport au métier et au décrochage par l’étude de l’habitus ... 47

Chapitre 3: Ce que la formation initiale change au rapport au décrochage, et à quelles conditions ... 50

3.1. Les divers facteurs sources de résistance des étudiants face à la formation initiale ... 50

3.2. L’impact des formations initiales sur la professionnalité ... 52

PARTIE II - EN QUÊTE DE L’EXPÉRIENCE: QUESTIONS ET MÉTHODE DE RECHERCHE ... 58

Chapitre 4: Questions : expérience de formation, schèmes en évolution ... 59

Chapitre 5: Méthode de recherche : une théorisation ancrée via des entretiens compréhensifs ... 61

5.1. Une méthode longitudinale et transversale de suivi de huit étudiants ... 62

5.2. Étudier l’habitus de l’enseignant via l’induction croisée des variations et des régularités ... 65

5.3. Une première enquête par le biais d’un dispositif d’allo-confrontation ... 66

5.4. Une deuxième enquête qui confronte les étudiants aux schèmes de tous les informateurs ... 68

5.5. Une troisième enquête qui confronte les étudiants à leurs propres schèmes ... 69

5.6. L’analyse de l’évolution intra-individuelle des étudiants via les trois enquêtes ... 71

5.7. L’analyse de l’évolution inter-individuelle des étudiants via les trois enquêtes ... 73

PARTIE III - HUIT ÉVOLUTIONS INDIVIDUELLES ET LEURS CAUSES ... 80

Chapitre 6: Ali : « il faut ouvrir l’école » pour tisser « une autre relation aux parents » ... 81

6.1. Ali face au décrocheur ... 82

6.2. Ali face à la famille du décrocheur ... 84

6.3. Ali face au décrochage scolaire... 87

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6.4. Ali face à sa formation ... 90

6.5. Bilan : un autre rapport aux parents pour favoriser la réussite du décrocheur ... 92

Chapitre 7: Nadia : le décrocheur « est quelqu’un qui appelle à l’aide » et « qui a besoin d’aide » ... 94

7.1. Nadia face au décrocheur... 95

7.2. Nadia face à la famille du décrocheur ... 97

7.3. Nadia face au décrochage ... 99

7.4. Nadia face à sa formation ... 102

7.5. Bilan : entre compréhension et fermeté ... 104

Chapitre 8: Noa : il y a plus de « 5% de petits cons » dont le professeur ne pourra rien faire ... 106

8.1. Noa face au décrocheur ... 107

8.2. Noa face à la famille du décrocheur ... 111

8.3. Noa face au décrochage ... 113

8.4. Noa face à sa formation ... 118

8.5. Bilan : un loup alpha impuissant pour instruire, former, et éduquer le décrocheur ... 120

Chapitre 9: Sarah : « aucun élève n’est irrattrapable », l’enseignant peut l’aider à raccrocher ... 122

9.1. Sarah face au décrocheur ... 123

9.2. Sarah face à la famille du décrocheur ... 126

9.3. Sarah face au décrochage... 128

9.4. Sarah face à sa formation ... 131

9.5. Bilan : l’autorité et la collaboration, gages de raccrochage scolaire ... 133

Chapitre 10: Éva : « toute l’équipe avec un grand É » doit s’investir pour raccrocher l’élève ... 135

10.1. Éva face au décrocheur ... 136

10.2. Éva face à la famille du décrocheur ... 139

10.3. Éva face au décrochage ... 143

10.4. Éva face à sa formation ... 146

10.5. Bilan : quand l’expérience de maman transforme le rapport au décrochage ... 148

Chapitre 11: David : un postulat d’« une nécessité absolue » : « aucun élève n’est irrattrapable » .... 150

11.1. David face au décrocheur ... 151

11.2. David face à la famille du décrocheur ... 155

11.3. David face au décrochage ... 158

11.4. David face à sa formation ... 163

11.5. Bilan : un rapport à l’autorité et à la famille transformés ... 165

Chapitre 12: Mia : « une désillusion totale » : tous les décrocheurs ne sont pas « rattrapable[s] » ... 167

12.1. Mia face au décrocheur ... 168

12.2. Mia face à la famille du décrocheur ... 172

12.3. Mia face au décrochage ... 175

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12.4. Mia face à sa formation ... 180

12.5. Bilan : plus de fermeté et de patience, davantage d’éducation et de collaboration ... 182

Chapitre 13: Kamel : l’enseignant est « dépassé » et « très seul » face « à des élèves ingérables ».... 184

13.1. Kamel face au décrocheur... 185

13.2. Kamel face à la famille du décrocheur ... 190

13.3. Kamel face au décrochage ... 193

13.4. Kamel face à sa formation ... 198

13.5. Bilan : quand le décrochage scolaire engendre le décrochage professionnel... 200

PARTIE IV - À TRAVERS LES EXPÉRIENCES: CE QUI CONDITIONNE LA FORMATION ... 202

Chapitre 14: L’évolution inter-individuelle du rapport au décrochage scolaire et ses causes ... 203

14.1. Le rapport au décrocheur : un résistant à respecter ?... 204

14.2. Le rapport à la famille du décrocheur : un travail partagé ? ... 206

14.3. Le rapport au décrochage : un problème commun ?... 209

14.4. Des schèmes convergents révélant des variables constitutives du rapport au décrochage ... 212

14.5. L'impact de la formation: variable mais jamais suffisant ... 214

14.6. L'impact insoupçonné des entretiens ... 219

14.7. L’impact spécifique de l’expérience d’enseignant contractuel ... 220

Chapitre 15: Améliorer la formation ? Propositions partagées et singulières ... 225

15.1. Former à l’ESPE les étudiants à repérer et à prendre en charge les décrocheurs ... 225

15.2. Multiplier les stages professionnalisants durant lesquels l’enseignant novice est acteur ... 227

15.3. Travailler davantage la pédagogie et/ou la pratique à l'ESPE pour apprendre le métier ... 228

15.4. Créer les conditions d’apprentissage pour former les étudiants à travailler en équipe ... 228

15.5. Mettre en place une formation initiale plus longue ... 229

15.6. Étudier davantage la construction des séquences pédagogiques à l’ESPE ... 229

15.7. Étudier davantage les sciences de l’éducation ... 230

15.8. Supprimer le parcours B du master MEEF ... 230

15.9. Susciter une remise en question personnelle chez certains formateurs ... 231

15.10. Propositions atypiques : du genre aux styles d’entrée dans le métier ... 231

Conclusion – Une disposition-clef ?: ... 233

Les apports de la recherche ... 233

Les limites et les perspectives de mon travail... 239

Références bibliographiques ... 244

Annexes ... 255

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Introduction :

Un ancien décrocheur devenu chercheur

Ce qui peut pousser un chercheur à s’attacher passionnément à un problème scientifique est toujours lié à son propre parcours biographique (Lahire, 1993, p. 285).

Je sais la douleur de l’enfant qui ne comprend pas. Je connais très bien la déprime et l’angoisse du dimanche soir, l’appréhension de l’interrogation orale surprise du lundi matin, ventre noué, gorge sèche, regard baissé, et le soulagement intense d’entendre alors un autre prénom que le mien, nommé par l’institutrice pour rendre compte d’une leçon ou d’un exercice. Je sais la souffrance de l’adolescence, la cruauté des jugements des collégiens1, la violence verbale et physique exercées à cet âge par la majorité d’entre nous au quotidien. J’ai moi aussi ressenti la honte et l’injustice face à certains professeurs, qui prenaient plaisir à me rabaisser, devant le regard moqueur ou réprobateur des autres écoliers. J’ai vécu le stress engendré par la compétition scolaire et la constante pression des évaluations. Pour lutter contre cette machine infernale qui m’écrasait et m’étouffait au fur et à mesure, il m’a fallu faire preuve d’ingéniosité pour respirer un peu d’air pur. L’absentéisme perlé fut mon exutoire, mon acte de rébellion, ma singulière révolution notoire. Pour cela, j’ai usé d’une multitude de stratégies, peu importe les moyens, il s’agissait de ma survie. Attendre patiemment le départ de mes parents pour le travail, en me cachant dans ma chambre sous les draps du lit sans un bruit, être le premier à réceptionner les courriers d’informations d’une conseillère principale d’éducation démunie, mentir effrontément à ma famille sur mon emploi du temps scolaire et préférer dès lors travailler sans relâche dans l’entreprise de ma mère.

Fruit de plusieurs générations de barman, restaurateur et hôtelier, j’ai évolué au cœur d’une culture de commerçants au service principalement de routiers et d’ouvriers. Dans l’entreprise familiale, j’ai appris très jeune à servir au bar et au restaurant les différents clients. J’ai acquis la capacité de nettoyer en une matinée 15 des 30 chambres de l’hôtel de fond en comble avant de débuter un service de midi de 100 couverts. J’ai fait l’apprentissage des lessives et du repassage en éprouvant la chaleur étouffante de la lingerie. Je me suis frotté à l’épluchage des légumes en tant que commis de cuisine novice, et à la plonge, cet amoncellement de vaisselles déposées dans un bac dont je n’arrivais même pas à toucher le fond à mes débuts. J’ai développé une multitude de compétences professionnelles et relationnelles (que je ne pourrais pas toutes citer) au sein de cet environnement de travail aliénant, telles que l’expression orale et l’argumentation via les nombreux échanges avec les clients (dans l’établissement ou au téléphone), l’arithmétique au contact des encaissements, l’organisation des diverses tâches de travail pour préparer et réaliser les banquets du week-end, la collaboration en équipe avec les autres salariés, ou l’empathie lorsque j’étais confronté aux doléances des clients mécontents.

J’y ai même rencontré l’un de mes meilleurs amis, chef de cuisine de 14 ans mon ainé, dont la bienveillance salvatrice n’a jamais cessé de m’inspirer. J’ai eu la chance d’évoluer et de me construire à ses côtés suite au déménagement imprévu et soudain de ma sœur et de moi-même au-dessus du bar-restaurant à l’âge de mes 16 ans.

1 Le masculin utilisé dans ce texte est purement grammatical. Il renvoie à des individus et à des collectifs

composés aussi bien d’hommes que de femmes.

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Concilier mon parcours d’étude avec le travail en me rendant le matin au lycée, puis en réalisant le service du midi pendant la pause méridienne, et ensuite en retournant en classe l’après-midi, et en faisant parfois la plonge le soir, ne m’a pas aidé à améliorer mes résultats scolaires. Toutefois, même si souvent j’ai terriblement envié mes camarades qui disposaient de temps libre pour se retrouver et s’amuser, cette expérience dans l’entreprise familiale m’a permis d’avoir accès à un autre monde que celui de l’école, et de prendre conscience que je pouvais apprendre hors de celle-ci et qu’un ailleurs possible existait. Par bonheur, j’ai eu la fortune d’échapper de justesse au redoublement en seconde grâce au plaidoyer d’une camarade déléguée (à laquelle je serai éternellement reconnaissant), lors du dernier conseil de classe, qui avait décelé chez moi des capacités auxquelles peu d’enseignants croyaient. J’ai également obtenu mon baccalauréat au rattrapage à la suite d’un manque d’assiduité et de travail, d’un excès de confiance, et surtout d’un accident lors de l’épreuve de philosophie qui a eu pour conséquence une note catastrophique dont le coefficient était très important. Cette situation que j’ai vécue comme une humiliation vis-à-vis de mes pairs qui étaient alors des bacheliers en vacances et de ma famille à qui j’avais assuré à maintes reprises que mon diplôme était « déjà dans ma poche » me servit de leçon et représenta un premier déclic pour mes études futures.

Suite à l’obtention laborieuse de mon baccalauréat littéraire, j’ai intégré une licence d’histoire à la faculté de Lyon 2 au campus de Bron avec pour projet de devenir enseignant pour aider les élèves les plus fragiles. Cette aspiration professionnelle m’est venue durant mon enfance, au contact de ma sœur cadette de 16 mois, qui était une élève en grande difficulté scolaire. J’ai encore ancré en moi son regard de désespoir, ses gestes de frustration, et ses cris de colère, dus à l’immense souffrance de ne pas comprendre. Les devoirs qu’elle réalisait seule s’écourtaient brusquement par dépit, ceux qu’elle faisait accompagnée d’adultes semblaient interminables car ces derniers étaient démunis, incapables d’aider l’enfant malheureux qui décrochait au contact d’une scolarité subie. La douleur exprimée par ma sœur lors de ces innombrables moments ne m’a jamais quitté. Elle a nourri en moi l’envie insatiable d’apprendre pour aider ces élèves que l’école ne cesse jamais d’opprimer.

L’entrée à l’université fut pour moi le début de mon émancipation culturelle. J’ai eu le bonheur incommensurable d’obtenir très rapidement mon permis de conduire, synonyme d’autonomie et de liberté. J’ai découvert le plaisir de parcourir la bibliothèque universitaire et d’y étudier ponctuellement : « le paradis, à n’en pas douter, n’est qu’une immense bibliothèque » (Bachelard). J’ai assisté à des cours magistraux intéressants et à d’autres totalement soporifiques. Puis j’ai vite compris que la compensation des matières, options incluses, la lecture de quelques ouvrages incontournables, et ma présence assidue aux cours de travaux dirigés me permettraient d’obtenir mon diplôme sans suivre les cours magistraux et sans fournir un investissement trop important. J’ai pu alors continuer à travailler la majorité de mes vacances et durant mes cours universitaires dans l’entreprise de mes parents afin de les soulager, d’éviter à mes petites sœurs de s’y investir, et de constituer un modeste capital économique.

Au contact des ouvriers et des routiers alcoolisés que je servais parfois nuit après nuit jusqu’à plus soif, j’ai confirmé mon envie de devenir enseignant auprès des enfants de la classe populaire dont j’étais également issu. Ces clients me contaient, sans filtre pour la majorité d’entre eux, l’histoire personnelle de leur parcours scolaire difficile, et les choix professionnels que celui-ci avait entrainés. Ils me confiaient aussi la décadence de leur vie familiale devenue peu à peu chaotique par la faute de déplacements professionnels constants aboutissant très souvent à une séparation conjugale et à une relation distante avec leur(s) enfant(s). J’ai écouté et accueilli ces nombreux témoignages comme de véritables leçons de vie. J’ai conforté grâce à ces derniers mon idée qu’il me serait indispensable d’exercer un

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métier dans lequel je pourrais favoriser la construction des êtres humains les plus fragiles plutôt que leur destruction.

Au contraire de la consommation compulsive, apprendre ne fait pas disparaitre les richesses que l’on s’approprie, mais les multiplie. Ce que j’apprends redouble mon plaisir d’apprendre ; ce que j’ai appris, je peux l’enseigner ; ce que j’enseigne pourra être partagé (Meirieu, 2014, p. 50).

L’enseignement me semblait de ce fait la profession idéale pour accompagner de jeunes femmes et hommes à se construire et à s’épanouir. Celle-ci me permettrait également de bâtir et de préserver une vie familiale privilégiée, dont mes parents n’avaient jamais pu profiter au vu de la tâche immense et sans fin que représentait l’activité de l’entreprise qui ne cessait de les occuper. Après avoir pu observer attentivement pendant des années la détresse du client alcoolique, son regard triste, son discours fataliste ou absurde, l’altération progressive de son langage et sa longue et périlleuse titubation jusqu’au lit de sa chambre dans lequel il ne pouvait s’empêcher d’uriner, j’ai pris la décision ferme et définitive de ne jamais reprendre l’affaire familiale. Confronté constamment au désespoir de « celui qui a perdu la liberté de s’abstenir de boire » (Fouquet, 1951) et marqué par le souvenir de la douleur de ma sœur qui n’avait pas éprouvé le plaisir d’apprendre qui constituait pour moi une source de bonheur, j’ai confirmé mon désir de devenir professeur pour aider avant tout les élèves décrocheurs.

L’école est un lieu d’émancipation au sens fort du terme, un lieu où l’on sort de la fatalité qui enferme. Mais il faut que l’enseignant l’éprouve concrètement dans sa vie pour que cette émancipation devienne un enjeu, un souci, un combat (Massart, 2013, p. 76).

La concrétisation de ce projet professionnel m’a permis d’échapper à la reproduction sociale sévissant dans ma famille depuis des générations, mais aussi à l’inconscience de la violence symbolique perpétrée par cette situation (Bourdieu & Passeron, 1970).

À la suite de l’obtention de ma licence, je me suis rendu à l’Institut universitaire de formation des maitres suivre quelques cours magistraux liés à la préparation du concours d’aptitude au professorat de l’enseignement secondaire d’histoire-géographie. Au vu du travail exigé pour intégrer le contenu exhaustif des programmes de ce concours, j’ai fait le choix de déménager avec ma compagne dans un petit appartement calme afin de me concentrer sur cet objectif. Très vite dépité par les amphithéâtres bondés, par l’absence d’apports pratiques prévus dans cette préparation concours, et par l’indifférence des maitres de conférences vis-à-vis des besoins et des difficultés des étudiants, j’ai immédiatement cessé ce cursus qui ne correspondait pas à mes attentes. J’ai alors réfléchi sérieusement à la manière dont je pourrais exercer le métier d’enseignant auprès d’élèves en difficulté pour conforter ma potentielle vocation et me professionnaliser.

Cette réflexion ne fut pas longue grâce à l’expérience de décrocheuse de ma sœur. Celle-ci connaissait depuis l’école élémentaire de nombreuses difficultés scolaires dont elle n’arrivait pas à se défaire. Le collège fut pour elle une étape infernale jusqu’au moment où mes parents l’inscrivirent dans une Maison familiale rurale (MFR). Cet établissement scolaire fait partie d’un mouvement national d’associations dont le slogan est « réussir autrement ». Il structure son enseignement à partir de « la pédagogie de l’alternance et des pédagogies actives (Constructivisme (Piaget), Socioconstructivisme (Vygotsky), projet (Freinet)) » (Demonet, 2012, p. 48) et place de ce fait au cœur d’une formation scolaire et professionnelle l’apprenant dont l’instruction, l’éducation et la formation sont partagées par l’équipe pédagogique et éducative de la maison familiale, par la famille investie dans la scolarité de son enfant et par les maitres de stage ou d’apprentissage. Cette expérience menant ma sœur de la 4ème au bac professionnel de commerce lui a permis de retrouver confiance en elle et de raccrocher

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scolairement et professionnellement en obtenant un diplôme puis un emploi. Ayant assisté pour ma part avec soulagement durant cette période à la transformation bénéfique de son rapport à l’école, j’ai fait le choix de postuler dans plusieurs maisons familiales rurales pour devenir « moniteur » de français et d’histoire-géographie.

Quelques mois plus tard, suite à un entretien réussi à la maison familiale rurale de « la Vernée » à Péronnas (Ain), j’ai débuté l’apprentissage du métier à l’âge de 21 ans au contact d’une classe d’apprentis de bac professionnel commerce et d’une classe d’élèves en difficulté de 3ème auxquelles j’enseignais le français et l’histoire-géographie. Cette expérience empirique m’a beaucoup plu et m’a permis de constater que j’adorais enseigner plusieurs disciplines aux collégiens et encore plus aux lycéens. Au cours des trois années suivantes, j’ai suivi une formation pédagogique enrichissante spécifique au mouvement, et j’ai appris au contact de « moniteurs » chevronnés et engagés à encadrer, éduquer, instruire, former et accompagner des apprenants dans leur projet scolaire et professionnel. J’ai aussi acquis la compétence de créer et de mener une multitude de projets pédagogiques et culturels, à l’image des autres membres de l’équipe, pour favoriser le raccrochage de nombreux élèves en difficulté. Puis surchargé constamment par mes emplois du temps hebdomadaires de plus de 25 heures de cours, et totalement frustré par l’absence de perspectives d’évolution vis-à-vis de mon poste de moniteur, j’ai pris la décision de reprendre mes études pour devenir professeur de lycée professionnel (qui est un métier dont j’ai appris l’existence que très tardivement), et viser par la suite le grade de docteur.

Afin de pouvoir débuter ce projet, j’ai profité d’un arrêt maladie d’une année scolaire lié à l’opération de mes deux genoux (ligaments croisés et ménisques). Après chaque opération, j’ai pu suivre à distance en centre de rééducation, puis par la suite à l’Institut universitaire de formation des maitres de Lyon 1 avec la présence de béquilles, le master ingénierie des formations éducatives, techniques et professionnelles (IFETP), parcours lettres-histoire- géographie. J’y ai rencontré des formateurs fantastiques qui m’ont permis d’approfondir mes connaissances scientifiques, didactiques et pédagogiques. J’y ai réinvesti tous mes savoirs empiriques acquis sur le terrain au contact des décrocheurs via des analyses réflexives liées à la construction d’un portfolio plus ou moins biographique.

Outre un récit biographique, chaque portfolio est le lieu où l’enseignant dépose des traces témoignant de son parcours, touchant à des dimensions qui dépassent le moment même de la transition [de l’entrée dans le métier], et qu’il considère significatives de ce qui fait l’enseignant qu’il est devenu (De Carlo Vanini, 2014, p. 3).

Suite à l’obtention de ma première année, j’ai redoublé d’efforts pour concilier mon activité de moniteur, ma préparation au concours d’aptitude au professorat de lycée professionnel, et la validation de la seconde année de mon master IFETP. À force de persévérance et de travail, j’ai réussi à remplir cette année-là tous les objectifs que je m’étais fixés. L’Éducation nationale m’ouvrait alors ses portes.

Durant mon année de stagiairisation, j’ai été affecté au lycée professionnel de Lamarque à Rillieux-la-Pape (Rhône) qui était classé en zone sensible. Au cours de cette expérience formatrice, j’ai rencontré de nombreux décrocheurs qui étaient pris en charge par des professeurs expérimentés qui collaboraient, et bénéficiaient de moyens humains et matériels adaptés pour accomplir leurs missions. Deux professeurs principaux géraient chaque classe dont les plus difficiles avaient un effectif très réduit. Des cours par binôme étaient dispensés pour mieux encadrer et instruire les élèves. Des conditions propices d’apprentissage étaient mises en œuvre via la présence d’infrastructures et de matériels de qualité dans tout l’établissement (ordinateurs, vidéoprojecteurs, salles chauffées et spacieuses, centre de

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documentation et d’information dynamique, gymnase…), qui en plus bénéficiait d’un cadre naturel privilégié (château, parc). Ma proviseure avait donné son aval pour que je sois titularisé définitivement dans ce lycée professionnel et que je puisse y mener une thèse portant sur le décrochage scolaire. Toutefois, les inspecteurs m’expliquèrent que ce soutien n’avait pas valeur de décision et que je devrai comme tout stagiaire subir le mouvement national de mutation des personnels du second degré. Mon premier choix se tourna vers le lycée professionnel l’Odyssée situé à Pont de Cheruy (Isère) en zone d’éducation prioritaire, car il était proche de mon domicile et ses élèves subissaient de plein fouet le décrochage scolaire.

Quelques semaines plus tard, j’eus le bonheur et le soulagement d’apprendre que ma demande était acceptée et qu’un autre poste de professeur de lettres et d’histoire-géographie était libre dans ce même établissement au vu de la réputation difficile dont il souffrait dans le département.

À mon arrivée, mes collègues me confièrent comme cadeau de bienvenue l’enseignement des lettres et de l’histoire-géographie à la classe la plus difficile du lycée. Celle-ci se targuait d’avoir traumatisé, à juste titre selon elle, l’année précédente, un professeur stagiaire de mathématiques-sciences physiques en l’injuriant et en lui lançant régulièrement divers objets afin de lui faire abandonner son poste. Suite à cette expérience difficile, cet enseignant ne fut d’ailleurs pas titularisé. J’ai pu alors observer au contact de ces adolescents comme il était complexe mais pas impossible de faire évoluer des apprenants en difficulté dans une classe où la majorité des élèves étaient en décrochage et n’adoptaient pas un comportement adapté aux situations d’apprentissage. Pendant cette année-là, j’ai aussi constaté auprès des décrocheurs et de leurs professeurs à quel point l’effet-enseignant dans cet établissement pouvait être prégnant et impacter différemment les élèves les plus en difficulté.

Suite à ces constats empiriques, j’ai contacté deux maitres de conférences de Lyon 1 qui avaient été mes formateurs par le passé pour recueillir leurs conseils quant à la démarche que je devais adopter pour entreprendre un doctorat. Ces derniers m’ont conseillé de rédiger un avant-projet de recherche et de contacter de préférence un directeur de thèse en sciences de l’éducation à l’université de Genève ou de Grenoble. Ayant depuis des années découvert et dévoré des articles et des ouvrages de Philippe Perrenoud, j’ai cherché dans quel laboratoire ce professeur honoraire travaillait en Suisse. C’est ainsi que j’ai appris l’existence du Laboratoire de recherche sur l’Innovation, la Formation et l’Éducation (LIFE) qui a été fondé par Philippe Perrenoud et Monica Gather Thurler, et qui est dirigé aujourd’hui par Olivier Maulini à l’université de Genève (UNIGE). J’ai contacté par mail le professeur associé Maulini qui m’a expliqué que son ancien directeur de thèse était à la retraite mais qu’il serait prêt pour sa part à me rencontrer. Après avoir visionné certaines de ses conférences, lu des articles dont il était l’auteur, et étudié le contenu de la présentation du laboratoire qu’il dirigeait, dont l’un des enjeux sociaux est « la démocratisation de l’accès aux savoirs » (Maulini, 2017, p. 1), j’ai immédiatement su qu’il serait l’expert idéal pour encadrer mon projet. Je me suis donc empressé d’accepter son rendez-vous et j’ai réussi à le convaincre de devenir mon directeur de thèse au cours d’un entretien stimulant et passionnant. À partir de cet instant, l’ancien décrocheur était symboliquement devenu chercheur.

Pourquoi débuter cette recherche par le récit forcément très partiel et partial de mon parcours scolaire, familial, et professionnel ? Les raisons sont à trouver dans le discours de Cifali (2012, pp. 157-158).

Tout sujet se construit à travers les fragments de son histoire : le processus analytique part de bribes, d’événements discontinus et sans lien apparent, de trous, pour construire une continuité, une cohérence et finalement une histoire de vie où le sujet se retrouve sans pour autant s’y perdre. Pour un métier, n’en irait-il pas de

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même ? On parle beaucoup d’identité professionnelle : que le récit — condition de la mémoire — contribue à sa construction, on ne l’évoque que rarement. […]

J’écrirai ailleurs pour montrer que toute réalité est reconstruction, qu’il y a non seulement compréhension mais aussi explication dans la mise en récit, et que la singularité de la situation racontée peut toucher au général où beaucoup se retrouvent. C’est à ce prix que le récit figure parmi les outils d’intelligibilité.

Parce que je souscris totalement à l’idée que « se dire e(s)t devenir » car le processus narratif réflexif permet « la construction du soi professionnel » (De Carlo Vanini, 2014), et que je ne suis finalement que le fruit de mon histoire, le sujet transformé et se transformant au gré de ses expériences, ce début d’introduction s’appuyant sur une démarche autobiographique se voulait en être modestement une démonstration.

Une recherche qui fait le lien entre décrochage scolaire et formation initiale

L’École a l’intention d’instruire, mais les élèves n’y développent pas tous le « plaisir d’apprendre » (Charlot, 2000 ; Astolfi, 2008b ; Bloch, 2011 ; Meirieu, 2014 ; Goémé &

Hugon, 2016) et le « désir de savoir » (Cifali, 1994 ; Meirieu, 1996 ; Ménès, 2012). Le problème de l’échec scolaire a émergé historiquement dès lors que les États ont voulu former et qualifier tous les jeunes. Il culmine dans ce qu’on appelle aujourd’hui le décrochage scolaire, « une sortie du système éducatif sans avoir obtenu un diplôme de fin d’études secondaires (certificat d’aptitude professionnelle ou baccalauréat) » (Bernard, 2017),

« conséquence d’un désintérêt progressif de l’élève pour l’école, fruit d’une accumulation de facteurs qui tiennent à la fois au parcours personnel du jeune et à la façon dont fonctionne le système éducatif » (Leclercq & Lambillotte, 1997).

L’école prétend à l’universel, mais l’universel ne se décrète pas. Les savoirs sont nécessaires, l’enseignement est obligatoire, mais des élèves n’apprennent pas. La première injustice, c’est que des enfants quittent l’instruction publique sans les connaissances, les compétences, la confiance, bref, les « capabilités » (Sen, 2000) qui permettent de jouir réellement de la liberté. Et la seconde, c’est que ces enfants sont plus nombreux dans les familles qui ne partagent pas a priori la culture de l’école et du corps enseignant. Il y a d’un côté des politiques et des pratiques pédagogiques, en face une réalité qui résiste à la lutte contre l’échec scolaire (Maulini, 2005, p. 31).

Déjà sous la Révolution française, les intellectuels se battaient « pour savoir si l’on pouvait éduquer les enfants qu’on appelait à l’époque débiles » (Meirieu, 2008, p. 3). Puis dès sa création, l’école publique obligatoire fit face à des enfants et des adolescents en partie rétifs à l’obligation d’apprendre à heure fixe. Ces derniers qu’elle qualifiait d’« arriérés pédagogiques » ou même de « déchets scolaires » (Carpentier, 1999, p. 158) s’affranchissaient de cette contrainte plus ou moins rapidement et volontairement.

Car, il faut se souvenir qu’il y a moins d’un siècle, et en dépit de quelques esprits hardis, la plupart des difficultés intellectuelles des enfants étaient considérées comme des déficiences mentales congénitales et incurables. Or, beaucoup d’éducateurs aujourd’hui s’attachent précisément à « rééduquer » ceux que l’on croyait jadis exclus à tout jamais de l’accès au langage et à la culture (Meirieu, 1996, p. 22).

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En 1945, les programmes mentionnaient déjà « les difficultés des élèves et la nécessité de les réconcilier avec l’école » (Lopez, 2010, p. 53). D’ailleurs, au cours du dernier siècle, les taux d’absentéisme et d’abandon scolaires ont moins augmenté dans nos démocraties que la sensibilité sociale à leur égard.

L’insécurité sociale et la sensibilité accrue aux formes de mépris traversent la société tout entière ; ils entretiennent le sentiment que le lien social se défait […] ; la rupture scolaire se prépare dès les premières années de la scolarité, les enfants en échec scolaire seront ensuite, presque inéluctablement, en échec sur le marché du travail ; ils connaîtront à leur tour la précarité » (Paugam, 2008, pp.87-97).

Au temps de la « démocratisation ségrégative » de l’institution scolaire (Merle, 2000, p. 40 ; Duru-Bellat & Kieffer, 2008, p. 33 ; Palheta, 2012, pp. 4-5) puis de « l’élitisation de l’école française » (Merle, 2015, p. 11), le décrochage scolaire est désormais perçu comme la forme la plus radicale de l’échec et de la relégation du point de vue éducatif. Cela s’explique par le fait que nos sociétés tolèrent assez bien les inégalités de qualification et celles de revenu et de prestige qui en découlent (Dubet, 2014), qu’elles croient ou s’efforcent de croire aux principes de l’égalité des chances et de la justice par le mérite (Duru-Bellat, 2009), mais qu’elles craignent de voir tourner la sélection en exclusion. La sélection légitime l’ordre social ; l’exclusion est plutôt source de désordres potentiels, de phénomènes d’anomie, de révolte ou de délinquance qui menacent les nantis autant et parfois plus que le reste de la population (Damon, 2008).

Dans cette recherche doctorale, je ne me demande ni comment résoudre d’un coup le problème de l’échec ou de l’abandon scolaire, ni s’il est bien posé politiquement, mais en quoi la formation initiale des enseignants conditionne la manière dont le décrochage est perçu, ressenti, pensé, jugé, qualifié et traité par les professeurs débutants. J’enquête dans le contexte français des lycées professionnels, la partie du système scolaire la plus exposée à l’exode des décrocheurs, un peu à l’avant-poste du rapport entre l’école et les jeunes qui, sciemment ou pas, mettent à mal les ambitions qu’elle affiche (Hutmacher, 1992 ; Blaya, 2010 ; Maigret 2011, Maulini, Meyer & Mugnier, 2014). Mon matériau émane de trois entretiens compréhensifs individuels menés auprès de huit enseignants novices au cours de différents moments de leur formation initiale en master des Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation (parcours lettres, histoire-géographie) à l’École supérieure du professorat et de l’éducation de Lyon 1.

Méthodologiquement, mettre l’accent sur les nouveaux professeurs (Rayou & van Zanten, 2004) présente l’intérêt de zoomer sur les formes émergentes de professionnalité (Maulini, 2010). Dans quelle mesure le décrochage imputé aux élèves est-il ou non corrélé à ce que certains chercheurs appellent, en miroir, le « décrochage des enseignants » (Karsenti &

Collin, 2009 ; Alava, 2016) ? Si les professeurs démunis et/ou désenchantés sont d’abord ceux à qui l’on confie les publics « les plus difficiles » et qui disposent d’« une formation initiale inefficace qui [les] préparerait mal ou partiellement à faire face à la réalité de la profession » (Karsenti, Collin & Dumouchel, 2013, pp. 563-564), quelles variables internes à cette variable formation sont d’abord en question ? Voici, en somme, mon interrogation de départ, telle que je la formule provisoirement.

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Plan de la thèse

La thèse est structurée en quatre parties. Après une introduction retraçant brièvement mon parcours et le sujet de la recherche, la première partie porte sur le contexte social et politique européen et français dans lequel je m’interroge et traite de la problématique et du cadre conceptuel de la constitution du rapport des enseignants au décrochage scolaire. Puis la deuxième partie présente mes questions de recherche stabilisées et la méthode compréhensive que j’emploie pour y répondre. Ensuite une troisième partie dévoile mon analyse intra- individuelle du rapport au décrochage des professeurs débutants. La quatrième et ultime partie propose une analyse inter-individuelle (transversale aux huit informateurs) de ce dernier et les propositions des étudiants pour améliorer la formation initiale. Elle est suivie d’une conclusion, de la bibliographie, et des annexes.

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PARTIE I -

LE RAPPORT AU DÉCROCHAGE EN LYCÉE PROFESSIONNEL :

PROBLÉMATIQUE ET CADRE

CONCEPTUEL

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Chapitre 1 :

Contexte de la recherche : du décrochage des élèves à celui des enseignants

Une politique structurelle inscrit l’action de lutte contre le décrochage scolaire dans le fonctionnement même de l’école, c'est-à-dire dans son fonctionnement interne, que ce soit en matière de programmes scolaires, d’organisation des parcours, de culture professionnelle enseignante, etc. Il s’agit dans ce cas de promouvoir une école inclusive, reposant sur une conception universaliste des finalités éducatives. [Cette convention universaliste] voit l’école comme l’institution intégratrice par excellence. Elle vise à fonder une solidarité entre les membres de la société, à compenser les inégalités sociales et à fonder une démocratie effective par la transmission de valeurs et la création des conditions de l’égalité des chances (Bernard, 2011, p. 97).

Lors du sommet de Lisbonne de 2000, la Commission européenne et les chefs d’État des pays membres ont adopté un objectif stratégique pour les dix ans à venir : « devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde » en se lançant entre autres le défi, au rang des « principaux objectifs en matière d’éducation », de réduire les sorties précoces du système éducatif (Bernard, 2011, p. 31). Cette résolution sera confirmée en 2009 par le Conseil de l’Union Européenne dans un projet intitulé « Éducation et formation 2020 » qui se fixera comme but d’atteindre en 2020, moins de 10% de sorties précoces (Blaya, 2010, p. 106 ; Tréhin-Lalanne, 2013). Voilà pour l’ambition politique. Qu’en est-il dans les faits en Europe et en France ?

1.1. Décrochage scolaire en Europe et en France

Selon les données d’Eurostat (2018), la moyenne des taux d’abandon scolaire précoce (ASP) des 27 pays de l’Union européenne, n’a pas cessé de décroitre de 2002 (17%) à 2017 (10,6%).

Celles-ci révèlent également que le décrochage scolaire continue de toucher en 2017 en Europe davantage les garçons (12,2%) que les filles (9%). D’après les critères de la Classification Internationale Type de l’Éducation (CITE), le taux d’ASP2 représente le pourcentage de jeunes de 18 à 24 ans n’ayant pas obtenu un diplôme du deuxième cycle de

2 « Il s’agit d’un indicateur de stock, sensible à la fois aux actions de prévention et de remédiation. C’est cet indicateur qui sert de base aux objectifs Europe 2020 pour Eurostat » (CNESCO, 2017, p. 10). Il est issu pour la France de l’enquête nationale Emploi menée par l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) et reprise par la DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) (MENJ, 2018b) qui le nomme taux de sortants précoces. Cet indicateur qui « comporte le biais [relativement limité]

d’exclure de la population des décrocheurs ceux qui sont en formation dans les quatre semaines précédant l’enquête, que cette formation soit qualifiante ou non » (Bernard, 2017, pp. 11-12) est aussi utilisé en Europe par Eurostat qui le désigne sous les termes de taux d’abandon scolaire précoce.

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l’enseignement secondaire lié à un cursus d’une durée minimale de deux ans, et ne poursuivant pas d’études ou de formation.

Lefresne (2014, p. 59) explique que cette tendance générale de réduction des taux de décrochage scolaire en Europe est due en partie à la politique de l’Union européenne menée depuis 2000 qui impacte fortement « le pilotage national des systèmes d’éducation et de formation » en appuyant, coordonnant ou complétant « l’action des États membres » tout en respectant leur « souveraineté politique ». D’ailleurs en 2017, 18 pays sur 27 (dont la France) sont déjà parvenus à atteindre l’objectif de 2020 visé par les institutions européennes en présentant un taux de sortie précoce inférieur à 10%. Toutefois, malgré cette baisse globale, les écarts entre les pays européens restent assez contrastés en fonction de leur politique éducative dans une certaine mesure. Les Pays-Bas, le Luxembourg, la Suède atteignent des taux inférieurs à 8%. À l’inverse, l’Espagne, la Roumanie et l’Italie connaissent des chiffres très élevés variant entre 14% et 18,3%. Enfin, la Finlande, le Danemark, la France et l’Allemagne occupent une position médiane avec des taux compris entre 8,2% et 10,1%.

Lefresne et Fournier (2016, p. 48) rapportent que les États qui mettent en place des

« interventions politiques volontaristes et coordonnées » semblent obtenir des résultats porteurs. Ils présentent l’exemple des Pays-Bas dont la politique de lutte contre les sorties précoces s’appuie selon eux sur trois axes. Le premier pilier est la loi qui rend dorénavant obligatoire au décrocheur le suivi à temps partiel d’au moins une année de scolarisation supplémentaire jusqu’à ses 18 ans et qui impose aux établissements de signaler les élèves qui décrochent afin qu’ils soient suivis individuellement. Le deuxième axe est la mise en œuvre d’« une contractualisation État-municipalité-établissement scolaire » qui dynamise localement la coopération des divers acteurs éducatifs, sociaux, judiciaires, médicaux et liés à l’emploi.

Ce partenariat rend alors possible une meilleure orientation des décrocheurs en direction d’une filière professionnelle associée à des acteurs économiques. Enfin, le dernier appui est la création d’une attribution financière délivrée aux établissements qui parviennent à atteindre une réduction de leur nombre de sorties précoces. Cette politique globale de lutte contre le décrochage mise en œuvre en 2007 (CNESCO, 2017, p. 54) et ayant débuté en 2001 (Lefresne, 2014, p. 64) par une loi imposant aux établissements scolaires de signaler les sortants sans diplôme de fin d’études secondaires, a visé également « l’amélioration de l’accueil de la petite enfance » mais aussi « l’amélioration des transitions vers l’enseignement secondaire supérieur » (Bernard, 2017, p. 40). Elle s’est montrée efficace puisqu’elle a permis aux Pays-Bas de réduire de plus de la moitié leur taux d’abandon scolaire précoce de 15,4%

en 2000 à 7,1% en 2017.

En France, « la loi de 1989 stipulait déjà qu’aucun enfant ne devait sortir du système scolaire sans diplôme » (Thibert, 2013, p. 1) et que pour cela « l’élève [devait] être placé au centre du système éducatif » (Meirieu, 1996, p. 57). L’article 3 de ce texte juridique précise que « la Nation se fixe comme objectif de conduire d’ici dix ans l’ensemble d’une classe d’âge au minimum au niveau du certificat d’aptitude professionnelle ou du brevet d’études professionnelles et 80% au niveau du baccalauréat » et que « tout élève qui, à l’issue de la scolarité obligatoire, n’a pas atteint un niveau de formation reconnu doit pouvoir poursuivre des études afin d’atteindre un tel niveau » (MENESR, 2016). Pourtant, en 2017, dans le deuxième pays a priori le plus puissant de l’Europe des vingt-sept, par ailleurs sixième puissance économique mondiale, le taux d’abandon scolaire s’élève encore à 8,9% dont 10,5% sont des garçons et 7,2% des filles (Eurostat, 2018). Ces chiffres, malgré leur importance, confirment une baisse notable du phénomène qui porte aujourd’hui un nom reconnu unanimement par la communauté éducative, scientifique et politique : celui de décrochage scolaire. Cette diminution est confirmée par un autre indicateur utilisé à l’échelle

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nationale par la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) pour mesurer le taux de décrochage scolaire désigné sous les termes de taux de sortants sans diplôme3 (CNESCO, 2017). En effet, alors qu’« une moyenne annuelle de 125 000 sortants sans diplôme » (ou avec uniquement le brevet des collèges) était comptabilisée entre 2009 et 2011 (soit 16% de la totalité des sortants), elle se réduit à 106 000 jeunes quittant le système éducatif sans avoir au moins obtenu un certificat d’aptitude professionnelle de l’enseignement secondaire (soit 14% du total des sortants) entre 2012 et 2014 (Bernard, 2017, p. 11). Cette baisse significative d’environ 17% de la moyenne du nombre annuel de décrocheurs entre 2009-2011 et 2012-2014 révèle la réussite de « la continuité dans le temps des politiques scolaires » françaises mises en œuvre « systématiquement et systémiquement » par chaque gouvernement depuis 20084 (Mons, 2017, p. 3).

Toutefois, cette forte réduction de sortants sans diplôme ne peut faire oublier que le niveau moyen en mathématiques des jeunes français de 15 ans a connu une baisse importante de 2003 à 2012 pour ensuite se stabiliser en 2015 (OCDE, 2016, pp. 4-5) et que le niveau de compréhension écrite des écoliers de cours moyen première année (CM1) ne cesse de se fragiliser de 2001 à 2016 (MENJ, 2017b). Boudesseul (CNESCO, 2017) montre aussi, (à la suite des enquêtes réalisées par l’équipe d’ESO-Caen dont il fait partie), que ce chiffre ne peut cacher les disparités territoriales existantes liées à la réduction inégale de ce phénomène dans différents cantons et académies français. Par l’étude des huit académies les plus en difficulté pour lutter contre le décrochage en 2013, ce chercheur identifie des facteurs de risque socioéconomiques récurrents qui participent à ce processus localement. Les deux plus influents sont un chômage important, et une part élevée de familles monoparentales. D’autres travaux révèlent également que l’action politique des gouvernants impacte de manière positive les indicateurs de décrochage scolaire à l’échelle nationale et académique du pays mais peine néanmoins encore à ce que l’ensemble des territoires cantonaux ou départementaux bénéficie d’une baisse générale du phénomène (Jaspar, 2015 ; Boudesseul, Caro, Grelet, Minassian, Monso, & Vivent, 2016). Bell et Bernard (2016, pp 101-109) observent quant à eux que la variation de l’offre de formation dont disposent les jeunes sur le territoire où ils habitent influe sur leur risque de décrocher. En mettant en relation les motifs de décrochage scolaire de 531 décrocheurs avec le nombre et le type d’établissement(s) (du second cycle du second degré5) présent(s) dans leur intercommunalité6 urbaine, périurbaine ou rurale du département de Loire-Atlantique, les chercheurs constatent que « les décrochages motivés par un trop grand éloignement géographique sont plus fréquents dans les territoires périurbains et ruraux aux offres faibles de formations (31,5%) et plus rares dans les territoires urbains, aux offres de formations diversifiées (16,6%) ». L’aménagement des territoires en matière d’offre locale de formation doit donc encore être pensé et amélioré en lien avec la politique de lutte contre le décrochage pour favoriser la persévérance scolaire.

3 « Le taux de sortants sans diplôme, outre celui du brevet, des jeunes de plus de 15 ans est un indicateur de flux.

Il indique le nombre de jeunes ayant décroché chaque année du système scolaire. Pour éviter les biais d’échantillonnage, il est nécessaire d’utiliser trois années consécutives d’enquêtes Emploi INSEE » (CNESCO, 2017, p. 9). C’est pourquoi il est présenté ci-dessus sous forme de moyenne annuelle de sortants sans diplôme entre 2009 et 2011, puis entre 2012 et 2014. « Cet indicateur comporte un biais, celui de ne pas prendre en considération d’éventuelles reprises de formation qualifiante. Toutefois ce biais est limité par la faiblesse du nombre de reprises de formation qualifiante par les jeunes ayant décroché au secondaire » (ibid., 2017, p. 9).

4 2008 correspond à l’année de « la mise en place du Haut-commissariat à la jeunesse et des expérimentations sociales pour la jeunesse » qui constitue les prémices d’une politique de lutte contre le décrochage scolaire (Bernard, 2017, p. 6).

5 Lycées généraux et technologiques (LEGT), Lycées professionnels (LP), Lycées agricoles, Maisons familiales et rurales (MFR).

6 Établissement public de coopération intercommunale (EPCI).

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Selon le Conseil national de l’évaluation du système scolaire (CNESCO, 2017, pp. 39-51), cette politique éducative française s’articule aujourd’hui autour de trois types de politiques définis et proposés par le Conseil de l’éducation de l’Union européenne en 2011 pour lutter contre l’abandon scolaire précoce :

 « des politiques de prévention, qui visent à traiter les problèmes de base susceptibles d’entrainer ultérieurement un abandon précoce,

 des politiques d’intervention, qui visent à combattre toute difficulté émergente rencontrée par les étudiants, en améliorant la qualité de l’enseignement et de la formation et en fournissant un soutien ciblé,

 des politiques de compensation, qui créent de nouvelles possibilités d’acquérir des qualifications pour ceux qui ont interrompu prématurément leurs études ou leur formation » (Eurydice, 2015, p. 6).

Le Ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse (MENJ, 2018a) confirme que des mesures politiques pour prévenir en amont le décrochage scolaire, pour intervenir en cours afin de le résoudre, et pour y remédier ultérieurement par des dispositifs dits de compensation sont mises en œuvre dans le système éducatif français. En étudiant ces dernières, il apparait qu’une même mesure peut parfois générer des actions qui s’inscrivent à la fois dans plusieurs types de politiques (prévention, intervention, compensation) de lutte contre le décrochage scolaire, ce qui peut rendre difficile leur classement par conséquent discutable.

La politique de prévention permet aux élèves de l’enseignement secondaire de découvrir différents métiers plus tôt via le parcours Avenir. Depuis septembre 2016, elle donne la possibilité de mieux guider les lycéens professionnels qui regretteraient leur choix de formation en leur permettant de se réorienter dès les premières semaines du début de l’année scolaire. Elle garantit également à tout élève n’ayant pas obtenu son diplôme de certificat d’aptitude professionnelle, de brevet de technicien, de baccalauréat, ou de brevet de technicien supérieur de préparer à nouveau celui-ci dans son établissement scolaire d’origine en conservant s’il le souhaite ses notes supérieures ou égales à 10 sur 20 obtenues aux examens. Elle développe aussi progressivement la formation continue des professeurs à la prévention du décrochage scolaire. Celle-ci consiste pour les enseignants à apprendre à repérer les élèves à risque, à adapter leurs pratiques pédagogiques en classe vis-à-vis de ces derniers, et à travailler en collaboration avec la communauté éducative en privilégiant la co- éducation avec les familles.

La politique d’intervention offre l’opportunité aux élèves qui risquent de décrocher de suivre un « dispositif de parcours aménagé de la formation initiale » dont les buts sont de respirer, de prendre du recul et de définir un projet futur motivant en suivant des périodes de formation à l’école et des temps d’activités extrascolaires. Elle institue également dans les établissements scolaires du second degré des groupes de prévention du décrochage scolaire (GPDS), et des « référents décrochage », dont le rôle est de repérer les jeunes en risque de sortie précoce (prévention), et de créer si nécessaire « des alliances éducatives » (prévention et/ou intervention). Celles-ci sont des partenariats entre le GPDS, la famille, et des acteurs externes (tels que les services sociaux et de santé des collectivités locales, les associations éducatives, la mission locale, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), les maisons de l’adolescent (MDA), l’Aide sociale à l’enfance (ASE) et les centres médico-psycho- pédagogiques (CMPP)), qui ont pour but d’apporter une ou plusieurs solutions élaborées ensemble au service du jeune en risque ou en processus de décrochage (Robin & de Langenhagen, 2016, pp. 17-18).

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La politique de compensation se traduit par le développement à l’échelle nationale de tous les types de structures de retour à l’école (SRE), à l’image entre autres des micro-lycées, dont le nombre est passé de 12 en 2012 à 44 en 2016, mais aussi des écoles de la deuxième chance qui permettent d’accompagner chaque jeune à exercer son droit au retour en formation. Les plateformes de suivi et d’appui aux décrocheurs (PSAD), quant à elles, ont été créées en 2011, et placées sous la tutelle des régions en 2014, pour repérer « les sortants précoces » (via les données du système interministériel d’échanges d’informations (SIEI7)), les contacter et leur proposer une solution personnalisée associée à un suivi individualisé (MENJVA, 2011). Elles s’appuient sur un partenariat regroupant les acteurs institutionnels et associatifs pour prendre en charge collectivement les sortants précoces. Le Conseil national de l’évaluation du système scolaire classe leurs actions dans la politique d’intervention (2017, p. 47), toutefois il semblerait que leurs missions principales consistant à appeler les décrocheurs, à diagnostiquer leur situation et à leur proposer « un accompagnement ou une prise en charge, qui doit déboucher le moment venu, sur une solution de type retour en formation ou insertion en emploi » correspondent davantage à la définition de politique de compensation proposée par l’Union européenne (MENJ, 2017c). Ces PSAD ont aussi pour mission de coordonner à l’échelle locale l’action des acteurs de la formation, de l’insertion et de l’emploi. Pour trouver des solutions adaptées à chaque décrocheur, elles travaillent en collaboration avec les réseaux Formation, Qualification, Emploi (FOQUALE) qui regroupent les établissements de l’enseignement secondaire, les missions de lutte contre le décrochage scolaire (MLDS), les centres d’information et d’orientation (CIO), ainsi que les structures de retour à l’école (MENESR, MTEFPDS, & ARF, 2015). À partir de 2013, les MLDS accueillent dans une classe des jeunes sans solution afin de les raccrocher à un projet scolaire et/ou professionnel.

Leur action, focalisée à l’origine sur l’accès à la qualification et/ou au diplôme des décrocheurs, « s’est élargie ces dernières années à la prévention du décrochage scolaire et à la sécurisation des parcours de formation, en particulier dans le cadre du droit au retour en formation » (ibid., 2017c). Elles travaillent dans les établissements en coopération avec les groupes de prévention du décrochage scolaire et les référents décrochage et réalisent aujourd’hui des actions de prévention, d’intervention et de remédiation pour lutter contre ce phénomène.

Bernard (2017, pp. 44-49) étudie les politiques éducatives françaises et confirme que, durant cette dernière décennie, des actions préventives se sont développées à travers la mise en œuvre de plans de lutte contre le décrochage scolaire. Néanmoins, il affirme que la majorité des actions éducatives réalisées en France correspondent encore aujourd’hui davantage à des interventions et à des remédiations au détriment d’actions préventives qui sont pourtant définies comme prioritaires par la communauté scientifique. Le chercheur explique que c’est « l’histoire des politiques de la jeunesse en France [qui] a abouti à privilégier l’offre en matière de compensation ». Il précise que les gouvernants des années

7 « Depuis 2011, un recensement des jeunes en situation de décrochage est effectué au niveau national en croisant les informations du Ministère de l’Éducation nationale, du Ministère de l’Agriculture et de l’alimentation et des Missions locales, c’est le Système interministériel d’échanges d’informations SIEI. Il est destiné à identifier les jeunes ayant interrompu une formation secondaire dans laquelle ils étaient inscrits l’année précédente sans avoir obtenu le diplôme correspondant, et permettre un accompagnement dans le cadre des plateformes de suivi et d’appui aux décrocheurs. Le SIEI permet un découpage des informations par structure scolaire et par département et la transmission des listes des jeunes potentiellement « décrochés » aux institutions locales chargées de trouver des solutions. Outre le fait que les chiffres tirés du SIEI ne sont pas toujours fiables (certains élèves identifiés comme décrocheurs ne le sont pas toujours), cet indicateur, par construction, peut inclure des jeunes diplômés qui abandonnent une nouvelle formation » (CNESCO, 2017, p. 10). « L’enquête MODS 2015 réalisée par l’équipe du CREN [dans l’académie de Créteil] auprès des jeunes repérés dans SIEI révèle par exemple que 37 % des jeunes contactés à partir de ce fichier déclarent n’avoir jamais décroché, alors qu’ils ont été repérés comme « décrocheurs » (Bernard, 2017, p. 12).

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