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L’intégration scolaire des enfants étrangers: du français de scolarisation à la compétence scolaire (l’exemple de l’histoire/géographie)

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Academic year: 2022

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L’intégration scolaire des enfants étrangers:

du français de scolarisation à la compétence scolaire (l’exemple de l’histoire/géographie)

Robert BOUCHARD

Laboratoire ICAR 5191, Université Lyon 2, 15 Parvis René Descartes, F- 69007 Lyon;

Robert.Bouchard@univ-lyon2.fr Claude CORTIER

Laboratoire ICAR 5191 & INRP, ENS LSH, 15 Parvis René Descartes, F- 69007 Lyon;

Claude.Cortier@inrp.fr

Teaching curriculum-based French ("français de scolarisation") to migrant children is not the only solution to their integration in the French educational system. But, considered from a praxeological point of view as an academic communicative skill, this hypothesis globally aims at enabling children to cope with their tasks as pupils within the framework of the French scholastic culture as such.

Specifically dealing with history and geography in junior secondary schools, the focus of this study is teachers' and pupils' verbal and non-verbal actual behaviour. Its aim is to identify and systematise the kinds of interactional behaviour which are likely to strengthen migrant children's successful communication in French schools and subject-based activities.

Key words:

Migrant children, school integration, subject-based French, academic competence, interactions.

A la différence des didactiques de la plupart des autres disciplines scolaires la didactique des langues, secteur de la linguistique appliquée, est une didactique d’une pratique sociale plus que d’un savoir. Elle est donc, par nature, liée à des problématiques socio-politiques et aux engagements correspondants. C’est ce que nous montrerons dans un premier temps, en développant une rapide perspective historique des enjeux sociaux qu’a eu à prendre en compte successivement la didactique des langues en France.

Mais actuellement, en matière d’enseignement des langues, une double urgence didactique nouvelle se fait sentir dans la plupart des pays européens comme en France. Elle a trait d’une part à la maîtrise des (autres) langues européennes par les enfants de chaque pays et d’autre part à la maîtrise de celle(s) de chacun de ces pays par les enfants immigrants, souvent d’origine non européenne. Au sein du laboratoire ICAR, notre équipe, liée à l’INRP, travaille sur ces deux faces du traitement scolaire du plurilinguisme. Mais c’est de la seconde que nous parlerons surtout ici dans la deuxième partie de notre développement. Il nous semble que la linguistique appliquée, en substance la didactique du "français langue seconde", comme les disciplines scolaires impliquées peuvent et doivent contribuer à la résolution de ce problème social.

Bulletin suisse de linguistique appliquée © 2006 Institut de linguistique

No 83/1, 2006, 107-120 • ISSN 1023-2044 Université de Neuchâtel

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Au delà d’un simple apprentissage linguistique, il s’agit en effet de l’intégration linguistique et scolaire des enfants allophones dans le système scolaire du pays d’immigration. En tant que tel c’est un enjeu crucial tant pour l’avenir de ces enfants que pour celui de la société d’accueil. Ajoutons que cette question se pose avec encore plus d’acuité et d’urgence pour le public dont nous allons traiter ici, les adolescents, dotés d’une personnalité linguistique et culturelle plus constituée que leurs condisciples plus jeunes.

Nous envisagerons cette intégration scolaire des adolescents allophones à travers une hypothèse particulière, celle de l’enseignement d’un "français de scolarisation". Cette notion dérivée du français sur objectifs spécifiques (FOS), popularisée par M. Verdelhan-Bourgade (2002), a été développée pour rendre compte en général des besoins des enfants arrivant dans un système scolaire où ils doivent utiliser une autre langue d’enseignement que leur(s) propre(s) langue(s). Elle concerne aussi bien les pays dits francophones d’Afrique sub- Saharienne que les DOM-TOM ou la métropole avec les enfants nouvellement arrivés en France. Il importe donc de lui donner un contenu plus précis d’une part en prenant en compte des critères externes, géographiques et sociaux, mais aussi en prenant pour cible sa réalisation la plus immédiate pour ces enfants: celle des interactions didactiques et pédagogiques, auxquelles ils doivent pouvoir participer activement à partir du moment où il sont admis dans les classes normales correspondant à leur âge et/ou à leur niveau scolaire. La question devient alors plus un problème global de compétence scolaire que de maîtrise linguistique: il s’agit pour eux de se comporter linguistiquement et non-linguistiquement en étant au fait des attentes de l’institution scolaire qui les accueille dans le cadre de diverses disciplines. Ici c’est le cas de l’histoire- géographie au collège, en France, que nous prendrons pour exemple.

1. Linguistique appliquée, didactique des langues et enjeux sociaux

L’implication des linguistes dans l’enseignement des langues n’est pas une chose nouvelle. Le dernier quart du 19e siècle a connu un bouillonnement linguistique et pédagogique, dit "mouvement de la Réforme" (Puren, 1988;

Coste, 1993; Christ et Coste (éds), 1993; Reinfried, 1997) contemporain du moment où naît la science linguistique. Il va susciter l’engagement de nombreux linguistes aux côtés des pédagogues, car c’est alors que les langues modernes entrent dans les cursus scolaires et dans des politiques de diffusion. En témoignent le manifeste de W. Viëtor (1882) "l’enseignement des langues doit faire volte-face", les congrès internationaux (notamment le congrès philologique de Stockholm, 1886), les travaux de Paul Passy et de l’Association de Phonétique, la création d’associations et de revues pour le développement des langues "vivantes". Anciens et modernes s’opposent dans cette évolution: signalons les conférences de Michel Bréal aux enseignants de

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langue ou celle de Ferdinand Brunot (1909), l’engagement de F. Brunot à l’Alliance française pour l’enseignement du français aux étrangers et la création des premiers cours d’été, les querelles pour la réforme de l’orthographe...

Plus récemment la thèse de Daniel Coste (1987), dont le titre est en partie réutilisé dans l’appel à communication de ce colloque: "Institution du français langue étrangère et implications de la linguistique appliquée", étudie les relations entre linguistique et didactique de 1945 à 1975, les enjeux sociaux de la didactique des langues de l’après-guerre, la constitution progressive du champ du français langue étrangère. Il y montre que la notion de "linguistique appliquée" est largement tributaire des déplacements et implications des linguistes dans et au dehors de leur champ propre. Il y étudie longuement la polémique suscitée par le français fondamental, cette entreprise de restriction du corpus de la langue enseignée à des fins didactiques qui a été vue comme une mutilation de la langue par ses nombreux détracteurs, c’est-à-dire non seulement les puristes conservateurs mais aussi des linguistes et sociolinguistes de gauche comme Marcel Cohen. Notons que cette idée avait déjà surgi précédemment lorsque, dans les premiers temps de l’enseignement du français aux "indigènes", les enseignants et "formateurs de terrain"

s’interrogeaient notamment au sein des congrès de l’Alliance française sur l’utilité de créer "des français réduits" à des fins pédagogiques (cf. Bulletin de l’Alliance française, 44, 1893, in Cortier, 1998).

Considérant notre propos, ce rappel du français fondamental et des réactions qu’il a entraîné n’est pas anecdotique. Plus récemment, il y a eu en France une réticence semblable à parler de français langue seconde, comme de français sur objectifs spécifiques (FOS). Or le français langue seconde et langue de scolarisation partage un certain nombre d’objectifs avec ces projets de définition de cibles linguistiques plus spécifiques et plus restreintes, censées répondre de manière plus immédiate aux besoins particuliers de groupes d’apprenants particuliers.

2. Français langue seconde et langue de scolarisation

C’est récemment au colloque de Liège "Didactiques du français, langue maternelle, langue étrangère, langue seconde: vers un nouveau partage?"

(mai 2002) que l’on a pu constater la montée en puissance d’une expression didactique comme français langue seconde pour qualifier le type d’intervention appropriée concernant les élèves allophones, se différenciant du FLM comme du FLE (Defays et alii, 2003). Rappelons qu’à l’origine cette expression était réservée à une réalité sociolinguistique différente: l’enseignement du français en pays dits francophones (Cuq, 1990), pays où le français doit trouver sa place comme langue de l’école, langue officielle... à côté d’une langue autre et a priori "première". Ce concept "élargi" de français langue seconde est

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séduisant dans une perspective didactique – la didactique du français langue seconde s’inscrit dans un continuum FLE-FLS-FLM (cf. Cortier, 2003; Davin, 2005) qui évite les ruptures didactiques – et dans une perspective plurilingue:

il préserve la possibilité pour l’apprenant immigrant d’apprendre et d’utiliser le français comme langue seconde sans lui imposer, comme objectif ultime de son parcours scolaire, une perte de sa(ses) langue(s) première(s) voire un monolinguisme.

Mais l’importance de la langue en milieu scolaire, la nécessité d’intégrer les élèves le plus rapidement possible dans les classes ordinaires1 afin de leur proposer un parcours scolaire normal, correspondant à celui des enfants de leur classe d’âge, explique aussi le développement récent de l’expression

"français de scolarisation". Il permet de distinguer les besoins de ce public particulier que constituent les enfants et adolescents scolarisés en français au sein d’un des systèmes éducatifs "entièrement ou partiellement"

francophones. Pour l’école en français le "français langue seconde et langue de scolarisation" (FLSSCO) concerne donc aussi bien les pays dits francophones d’Afrique que les départements et territoires d’outre-mer ou la métropole.

La question qui se pose alors, celle de savoir si, en limitant les objectifs des premiers apprentissages, on court le risque de couper les apprenants de l’accès à la culture, est récurrente dans l’histoire du FLES. S’il s’agit effectivement pour nous de constituer un français sur objectifs spécifiques pour la scolarisation des nouveaux arrivants, leur permettant entre autres objectifs d’acquérir les compétences scolaires propres au système éducatif français, il n’est pas question pour autant de limiter leurs apprentissages aux seules compétences scolaires, ce qui aurait pour effet de conformer les apprenants aux normes parfois coercitives de l’école.

L’intitulé "français de scolarisation" se révèle d’ailleurs d’un usage délicat, il ne s’agit pas de faire un français fondamental de l’école au sens lexical de l’expression, comme il y eut un Français élémentaire 1, un Français élémentaire 2, un Vocabulaire général à orientation scientifique (VGOS, cf.

Phal, 1972 ), etc. Il s’agit en fait de continuer le mouvement qui dans les années 80 a fait passer les didacticiens de la notion de "français de spécialité"

à celle de français sur objectif spécifique, avec une évolution de la langue à l’utilisation de la langue, d’une conception linguistique à une conception pragmatique, voire même à une conception pragmatique "actionnelle" (cf.

Filliettaz, 2002).

1 Terme non péjoratif distinguant les classes ordinaires des classes spécifiques, p.ex. les classes d’accueil ou les modules spécifiques de FLS.

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Pour reprendre des termes utilisés dans ce colloque, il s’agit de particulariser des compétences scolaires que le nouvel arrivant doit développer rapidement pour devenir un membre de la communauté scolaire en question. Nous allons en chercher des manifestations dans des classes ordinaires et dans leur fonctionnement le plus courant et le plus habituel.

Les interactions scolaires sont régulées à la fois institutionnellement et didactiquement. Elles sont donc la double manifestation d’une culture scolaire et d’une culture liée à une discipline donnée, cultures plus ou moins partagées par les enfants étrangers en fonction de leur expérience scolaire préalable et de leur propre histoire personnelle.

On constate d’ailleurs que l’échec de l’intégration scolaire ne se fait pas dans la classe d’accueil (quand elle existe) mais lors du passage à la classe ordinaire. Il s’agit donc aussi de rendre les enseignants "ordinaires" sensibles aux particularités/particularismes de leur propre culture d’enseignement, culture qu’ils ont souvent trop intériorisée pour être conscients de sa spécificité et de sa... relativité.

Ainsi, un certain nombre de chercheurs en "linguistique appliquée" (bien que l’expression ne soit plus guère usitée en France) se sont mobilisés pour tenter de construire un discours didactique articulé aux recherches récentes en didactique des langues et en sociolinguistique, mais aussi pour proposer des démarches didactiques compatibles avec les exigences institutionnelles et les circuits de formation des enseignants.

Ce travail ne peut se réaliser qu’en collaboration avec les enseignants chargés des classes et des dispositifs d’accueil et de scolarisation des nouveaux arrivants2. La perspective en est socio-didactique et pragmatique:

elle tente d’articuler analyse socio-institutionnelle, analyse des contextes et analyse des interactions pédagogiques en adoptant une visée qui se veut constructiviste et non pas modélisante.

3. Français de scolarisation et compétences scolaire et disciplinaire

Dans un premier temps, on peut tenter d’illustrer la notion de Français langue de scolarisation à travers le matériel pédagogique existant, destiné au public scolaire. Or, on constate dans ces manuels FLES couramment utilisés dans les classes d’accueil une prise en charge des besoins liés à l’environnement social plus qu’à l’environnement scolaire. Dans la lignée des approches communicatives pour adultes, les "leçons" sur les actes de langage "sociaux"

2 Ce que nous permet l’INRP grâce à l’attribution d’heures supplémentaires pour les enseignants volontaires.

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de présentation et de salutation abondent, mais dans des mises en scène qui se déroulent plutôt entre pairs et toujours hors de la classe et au mieux au sein de l’école, dans les cours de récréation. En revanche ce qui se passe dans les classes, les séquences d’actes de langage et d’interventions ou plus généralement les modalités d’échange caractéristiques de l’interaction pédagogique entre adulte et enfants-adolescents n’est que marginalement abordé.

3.1 Le français de scolarisation à travers un manuel "Junior" (1997) Considérons par exemple le manuel Junior (Clé International, 1997, Vol. 1), un des plus couramment utilisés. On constate que seul le premier dossier (soit 1/6 de l’ouvrage) est consacré à la vie scolaire avec le thème de la rentrée.

Julie (morose): Salut! Je m’appelle Julie. Aujourd’hui c’est la rentrée. L’horreur!

Julie (réjouie): Le collège… la récré… LES COPAINS!

(Junior, double page 10-11) Exemple 1

Les dialogues où il est question des disciplines ciblent d’autres acquisitions que la connaissance/reconnaissance des matières enseignées:

A: Oh! quelle horreur! Lundi, maths. Mardi, maths et mercredi, maths.

B: Moi je suis content: j’aime bien les mathématiques.

A: Il est fou, il aime les maths! (Idem) Exemple 2

Le lexique du matériel scolaire est bien présenté, mais à l’occasion du déballage du sac de Julie (p. 14), et d’une manière qui rappelle la méthodologie directe et son utilisation de la désignation ("Qu’est-ce que c’est?

C’est le X").

Soulignons cependant l’utilité d’une double page "Infos" à la fin du dossier, L’école comment ça marche? Présentant un tableau succinct du système scolaire français, les changements d’école à chaque étape (école primaire, collège, lycée), l’ordre des classes (de la 6e à la 1ère), un emploi du temps, le système de notation, quelques différences entre matières (histoire- géographie, sciences et éducation routière) et les langues étrangères enseignées.

En définitive même ce manuel, qui se veut pourtant spécialisé, nous semble accorder trop d’importance aux usages généraux de la langue au détriment des usages spécifiques de l’école.

3.2 Quel projet?

Il nous semble urgent de sortir, pour ces publics, d’une conception communicative universaliste de l’enseignement / apprentissage des langues et de viser à rendre l’élève capable d’exercer son "métier" dans l’institution

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scolaire française. L’élève étranger doit se familiariser avec des activités langagières typiques de l’école (française) et c’est celles-là qu’il importe de travailler en priorité avec lui, afin qu’il puisse le plus rapidement possible retrouver la classe qui correspond à son âge et à son cursus normal. Dans le même esprit, il s’agit de lui permettre d’utiliser au mieux tous les savoirs et savoir-faire déjà appris dans son système scolaire d’origine et de ne pas oblitérer ces connaissances "déjà là" sous prétexte d’un manque d’habileté linguistique dans la langue de l’école.

Le phénomène que nous étudions, car il nous semble particulièrement important pour les Enaf (acronyme officiel pour "Enfant nouvellement arrivé en France"), est celui des interactions verbales et non-verbales, en français et "à la française", telles qu’elles se déroulent dans nos écoles. Autant dire que pour nous ces interactions correspondent à des contraintes fonctionnelles, didactiques, mais aussi à des contraintes plus culturelles liées à une tradition pédagogique.

En allant plus loin et pour reprendre des termes utilisés dans ce colloque, il s’agit de particulariser la compétence scolaire "à la française" que doit développer le jeune étranger pour devenir un membre de la communauté scolaire en question, le collège. Cette compétence scolaire, nous allons en chercher des manifestations dans des classes ordinaires et dans leur fonctionnement le plus habituel, c’est à dire l’interaction dite frontale entre maître et élèves.

Nous rappellerons d’abord diverses caractéristiques générales de cette interaction, avant de tenter de voir comment elle peut se particulariser suivant les disciplines, en étudiant ce qui se passe en histoire et géographie et en l’opposant ponctuellement à ce qui se passe en mathématiques, considérées comme une discipline d’intégration dans la mesure où leur objet plus proprement scolaire se retrouve de manière assez stable d’un système scolaire à l’autre et ou leur notation plurisémiotique est en partie translinguistique.

4. Compétence scolaire et interactions pédagogiques

4.1 Les interactions pédagogiques en général

D’une manière générale, nous avons montré ailleurs (Bouchard, 1998, 1999, 2004, 2005a, 2005b) que les interactions pédagogiques proprement dites, lors de ces enseignements frontaux qui restent les plus fréquents, partagent plusieurs caractéristiques dont le cumul leur est propre. Elles sont à la fois:

• polylogales: elles mettent en rapport un nombre important de participants, dont l’un possède des droits et devoirs particuliers (elles sont donc aussi de ce fait inégales et complémentaires);

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• longues et (préalablement) organisées: elles se prolongent plus qu’une conversation ordinaire, et en conséquence exigent, pour être "suivies"

collectivement au delà de leurs aléas locaux, une organisation globale, repérable par tous, même si elle est gérée essentiellement par l’adulte- responsable;

• inégales et complémentaires: les droits et les devoirs de l’adulte

"dominant" ne sont pas les mêmes que ceux des élèves;

• praxéologiques: tout à la fois, elles sont finalisées, mêlent des interactions verbales et non verbales, et impliquent des objets variés;

• oralographiques: si le discours oral normal des enseignants de toutes disciplines expose directement l’élève allophone à des formes syntaxiques qu’on ne lui enseigne que rarement dans la classe de FLS, cet oral est dans le même temps précédé, accompagné, organisé et suivi par de l’écrit, voire d’une manière plus générale par de l’"inscrit"

plurisémiotique.

Nous ne pourrons reprendre toutes ces caractéristiques ici. Nous nous contenterons donc de développer la dernière.

4.2 Compétence orale et compétence plurisémiotique

Le premier phénomène que l’élève va devoir maîtriser dans cet oral authentique est celui des bribes et des reformulations: l’enseignant natif ne parle pas "comme un livre". Il développe, réorganise, ses interventions de manière dynamique en fonction de l’évolution de la situation didactique et des réactions de ses interlocuteurs.

P oui alors chut\... le verbe de commande qui est utilisé\ jeremy a raison c’est i-ma-gi- nons que l’on découpe\ . alors moi ça fait longtemps quand même que je suis prof de math\ et j’peux vous dire une chose\ c’est que ... pour imaginer quand c’est en 3D on est pas tous égaux\.. y’en a qui arrivent très bien mais y’en a qui arrivent pas et ça n’a rien à voir avec le niveau en mathématique\... moi. je suis professeur de mathématique et j’ai beaucoup de peine à imaginer dans l’espace\ par exemple\ . alors quand on a beaucoup de peine\ il faut beaucoup découper beaucoup manipuler :: beaucoup faire d’exercices\ pour remplacer ce qui ne se fait pas tout seul dans la tête\... et puis à coté d’ça y’a des élèves. moi j’ai des élèves qui sont pas très forts en math d’habitude et tout ce qui est en 3D alors ça. i voient super bien... donc si je ne vois pas bien en 3D dans ma tête. il faut que je travaille et que je découpe et tout.\ c’est pour ça que je vous avais donné le pa[pier.. ce qui permet de découper et de voir\. (6e maths)

Exemple 3

L’ambiguïté de l’école se manifeste dans le fait que cette oralité n’est pas

"pure". L’oral est toujours sous-tendu par un écrit omniprésent. Le maître fait alterner communication orale et prise en compte de documents écrits qui exigent une capacité de lecture et d’interprétation. Chaque discipline va ainsi utiliser des codages sémiotiques "annexes" (langage mathématique, formes géométriques, cartes de géographie, schéma, graphiques…) que seul l’élève

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étranger bien scolarisé préalablement dans un système scolaire de pays développé a quelque chance d’avoir rencontrés dans son expérience d’apprenant antérieure.

4.3 Oralo-graphisme et rôle interactionnel des documents d’appui en histoire-géographie

Nous avons pu montrer (Bouchard, 1999) qu’en histoire-géographie ces documents organisent le temps de la leçon dans ses grands moments, ou qu’en langue, les prises de note au tableau noir de l’enseignant ponctuent localement un de ses épisodes. En histoire-géographie chacune des phases de la leçon est ouverte par la distribution d’un document qu’il s’agit d’interpréter. Chaque interprétation doit même être précédée par une présentation méta-sémiotique de ce document et du mode de "lecture" qu’il impose. Chaque fois qu’un codage résiste à l’interprétation, l’enseignant peut même avoir recours à un nouveau document utilisant un autre codage, non- linguistique en général. La participation à un cours de géographie suppose donc bien autre chose qu’une simple compétence linguistique même spécialisée: la capacité à interpréter un ensemble de codifications sémiotiques comme le partage de routines de comportements au sein d’une communauté.

Le début de l’exemple 1 ci-dessous est intéressant du point de vue des routines langagières qu’il met à jour.

1. P oui&

2. A1 [heu madame]

3. P & t’as bien réfléchi/

4. A1 heu madame allez ce n’est pas une question/

5. P qu’est ce qu’y a/

6. A1 heu normalement heu faut être riche pour être consul

7. P on a vu que normalement c’est les plus riches qui arrivaient à ces grades dans l’armée qu’on appelait comment/ les familles riches\ c’étaient des familles de/ (5e Histoire)

Exemple 4

D’une part il manifeste les limites des possibilités de prise de parole de l’élève:

poser des questions individuelles impromptues n’est peut-être pas le comportement effectivement attendu d’un élève de collège participant collectivement à un événement planifié à l’avance. On voit de même l’art de la récupération pédagogique de l’enseignant qui profite de cette question sur les faits pour revenir à son propre questionnement sur les mots pour les dire.

Il est évident que la langue en général et le lexique en particulier posent un problème spécifique pour l’intégration des enfants étrangers dans ce type de cours.

4.4 Abondance d’un lexique semi-spécialisé en histoire au collège Au collège, on note en effet une plus grande activité verbale en histoire qu’en mathématiques par exemple, mais aussi l’abondance du lexique spécialisé de

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la discipline. En y regardant de plus près, il s’agit peut-être plus d’ailleurs d’un lexique semi-spécialisé, "cultivé":

7. P les familles riches\ c’étaient des familles de/

8. X patriciens 9. P [les familles- 10. A [les patriciens

11. P c’étaient les familles patriciennes [et les plé]béiens c’étaient

12. A [les riches]

13. P non [les pauvres\ et chut les patriciens les riches.

14. A [les pauvres

15. P alors on revient à l’armée donc une armée de conscrits on avait vu dirigée par le consul et on avait vu qu’on ne disait pas l’armée\ on disait quoi/

16. A la légion 17. P une légion (Idem, 5e Histoire) Exemple 5

Les mots sur lesquels insiste l’enseignante en en demandant le rappel comme patricien, plébéiens, légion… sont des termes historiques qui sont passés dans le vocabulaire général, "soutenu" et écrit il est vrai!

5. Exigence d’une compétence scolaire "élargie" en histoire- géographie

Nous pourrions élargir cette question du partage de l’information et de la langue. L’histoire et la géographie, qui à une époque de leur développement se sont d’ailleurs voulues des "activités d’éveil" à l’environnement de l’enfant (dans le primaire en tout cas), tablent sur un certain degré de porosité de la frontière symbolique existant entre l’école et le monde extérieur, entre le monde de l’écolier et le monde de l’enfant. Mais encore faut-il que cette porosité existe de fait entre ces deux espaces culturels qui risquent de ne pas vraiment avoir d’intersection, surtout dans le cas de certains élèves dont la famille n’a pas, ne peut pas avoir une conscience très claire de ce qui se passe à l’école.

5.1 Interactions pédagogiques en sciences humaines et porosité des contextes: le déjà connu

Un exemple en serait la consommation culturelle (pré)adolescente "normale"

en dehors de l’école que postulent, et le maître, et le manuel ici. L’histoire romaine se lirait plus aisément dans des documents ludiques comme la bande dessinée et en particulier dans l’incontournable série dont "Asterix et Obélix"

sont les héros:

180 P regarde le plan en couleurs\que vous avez dans votre livre page 119 181 X XXX

182 P alors livre page 119\chut vous l’avez en couleurs ce plan\

et il est extrait heu de quel livre heu ce plan chut on lève bien le doigt.. heu david

183 Da asterix légionnaire

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184 P oui astérix légionnai:re donc il est extrait d’une bande dessinée\ et

est-ce qu’il reproduit bien notre camp romain. finalement. david/ qu’est-ce qu’on retrouve comme élément sur ce dessin/

(Idem, 5e Histoire) Exemple 6

Mais cette culture générale réclamée par l’enseignant d’histoire-géographie s’élargit à d’autres informations, médiatiques par exemple. Le bon élève doit posséder une compétence scolaire élargie il doit savoir faire le lien entre l’école et ses activités non scolaires personnelles. C’est un enfant pour lequel il n’y a pas rupture entre ces deux univers et qui donc est capable de recycler scolairement des informations appartenant à des genres institutionnels différents, les loisirs, les médias, la famille…

360 P quels pays actuellement où ils connaissent encore la guerre civile 361 E (CRIE) libéria

362 P ou au rwanda

vous avez vu quand même hein' les / tutsis / et les hutus 363 E /madame/

364 P vous n’avez pas entendu parler des / tutsis / 365 E / ah si /

366 P et des / hutus‘/

367 E / non /

(Idem; à propos de la notion de "guerre") Exemple 7

L’enfant étranger peut apparaître de ce point de vue valorisé par son

"étrangeté" même, par les informations spécifiques qu’il est censé posséder du fait de son exotisme. Dans le même temps, cette identité étrangère que le maître lui "impose" n’est peut-être pas celle que l’enfant s’attribue à lui-même, en particulier quand il est immergé dans la communauté scolaire.

313 P dis-moi nabil est-ce que tu sais par hasard depuis quand l'algérie a est a indépendante est-ce que quelqu'un sait / depuis quand l'algérie est indépendante

(5e Géographie) Exemple 8

On sait d’ailleurs que même une proclamation d’appartenance ne va pas forcément de pair avec une maîtrise "savante" correspondante (suivant l’exemple bien connu "ma langue maternelle est X mais je ne la parle pas").

On peut constater aussi que le savoir scolaire décontextualisé, objectif, suppose une transposition du savoir quotidien, chargé d’affects et autrement

"situé": il est difficile d’être simultanément un élève de l’Ecole française et un

"indigène" du pays étudié:

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12 P comment on l'appelle toute la partie d'afrique du nord' . ...

12 P c'était le maghreb

vous vous souv=nez le maghreb on l'avait vu quand on a vu les

musulmans/ bien

fallait l= dire plus fort kamel le maghreb hein / (Idem, 5e Géographie)

Exemple 9

6. Conclusion

En tant que linguistes et didacticiens, nous intéressant aux interactions verbales en milieu scolaire, il nous semble particulièrement intéressant de donner à voir les comportements verbaux et non-verbaux effectifs des enseignants et des élèves, comportements qui correspondent aux compétences scolaires complémentaires des uns et des autres. Les enseignants, en tant que professionnels mais aussi qu’(anciens) usagers de l’école, les manifestent souvent sans les penser voire même en pensant opérer tout différemment, et ce en toute clarté... didactique. Symétriquement, ce type d’étude met au clair les activités langagières et non langagières dans lesquelles nous cherchons implicitement à enrôler nos élèves, natifs ou étrangers, activités qui vont conditionner leur réussite au sein de nos institutions scolaires.

L’hypothèse du français langue de scolarisation, progrès par rapport à la notion brute de FLE ou même de FLS, n’est sans doute pas la seule solution à l’intégration scolaire des Enaf. Cependant, redéployée sous la forme plus praxéologique de la "compétence scolaire", elle vise alors globalement à permettre au nouvel arrivant de mieux vivre son métier d’élève, tant verbal que non verbal, au sein de la culture scolaire française (dans l’idéologie partagée des rapports maître-élèves), et ce dans les meilleurs délais. Les enseignants avec qui nous travaillons remarquent que les primo-arrivants captent très rapidement les habitudes non-scolaires de leurs condisciples, habillement, attitudes, comportements de groupe et s’y identifient. Il s’agit, dans des milieux ou le comportement de (bon) élève est moins facilement lisible, de le décrypter pour eux dans ses réalisations tant langagières qu’interactionnelles, afin que – s’ils le souhaitent – ils puissent en adoptant ces comportements se catégoriser eux-mêmes comme (bon) élève et montrer leur adhésion au contrat didactique.

Il est certain que la solution didactique à l’intégration scolaire et disciplinaire des Enaf passe alors autant par une indispensable formation linguistique "sur objectif spécifique" que par un très rapide partage du vécu scolaire des élèves natifs. Ce sont des dispositifs d’intégration associant les deux pratiques – et

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par ailleurs préparant autant les Enaf à intégrer l’école français que l’école français à accueillir les Enaf – qu’il est nécessaire de mettre sur pied.

BIBLIOGRAPHIE

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