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Les contrats de distribution exclusive

CHAPPUIS, Benoit

CHAPPUIS, Benoit. Les contrats de distribution exclusive. In: Pichonnaz, Pascal & Werro, Franz. La pratique contractuelle : actualité et perspectives : Symposium en droit des contrats . Genève : Schulthess, 2009. p. 73-93

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:28983

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Les contrats de distribution exclusive

Benoît Chappuis

Docteur en droit, avocat, chargé de cours à l'Université de Fribourg

Table des matières

1. Introduction ... 74

Il. Les limites imposées par le droit de la concurrence aux con- trats de distribution ... 76

Ill. La qualification du contrat ...... 77

IV. Le droit de résilier pour justes motifs ... 78

A. Le principe ... 78

B. Les questions spécifiques liées au cas pratique ... 80

1. Le délai de résiliation ... 80

2. L 'er:istence d'un juste motif lié au changement de contrôle du représentant exclusif et des clients de ce dernier ... 81

V. Les conséquences d'une résiliation injustifiée: ATF 133111360 .......... 84

A. La problématique : l'absence éventuelle d'effet de la rési- liation ... 84

B. La nouvelle jurisprudence : la continuation du contrat ... 85

C. Les conséquences pratiques, partîculièrement les mesures provisionnelles en exécution ... 86

VI. L'indemnité pour clientèle: ATF 134 Ill 497 ... 87

A. L'enjeu pour le contrat de représentation exclusive ... 87

B. La nature de l'indemnité ... 88

C. Les conditions ... 89

D. Le principe de l'indemnité du représentant exclusif et son montant ... 89

1. Les différences entre l'agent et le représentant exclusif ... 89

2. L'évolution des circonstances économiques ... 90

3. Les analogies entre 1 'agent et le représentant exclusif ... 91

4. Les circonstances concrètes fondant l'analogie ... 91

VIl. Conclusion ... 93

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1. Introduction

La présente contribution est basée sur la présentation qui a été faite d'un cas pratique lors du Symposium du 12 novembre 2008. Ce cas - inspiré d'événements réels mais avec des noms fictifs- était destiné à mettre en lumière quelques éléments de la jurisprudence récente et à répondre ainsi au principe de l'actualité contractuelle dont le Symposium s'était donné mission de rendre compte. Ce cas soulevait également des questions que l'actualité économique et commerciale pose au juriste, sans que toutefois la jurisprudence n'ait encore eu l'occasion d'y apporter quelque élément de réponse à ce jour.

Les organisateurs du Symposium ont finalement décidé de ne pas se limiter, dans la publication, à la seule résolution schématique du cas, mais bien plutôt de faire paraître un article complet sur les questions traitées lors de sa résolution orale.

La présente contribution prendra donc la fonne d'une présentation théorique des questions traitées, sans qu'il ne soit plus fait allusion de quelque manière aux faits résultant du cas pratique. Il en ira ainsi des conséquences d'une résiliation injustifiée d'une part (ci-après V) et de l'indemnité pour perte de clientèle due au représentant exclusif en fin de contrat d'autre part (ci-après Vl), questions abor- dées respectivement par les A TF 133 Ill 360 et 134 Ill 497.

En revanche, une des questions centrales discutées avec les participants du Sym- posium, celle de J'existence de justes motifs de résiliation, liés à la perte d'indé- pendance économique du représentant exclusif, n'a à ce jour pas trouvé d'écho en jurisprudence. Elle sera dès lors présentée sur la base du cas pratique (ci-après IV.B) dont les éléments essentiels à la bonne compréhension de ce problème spécifique sont rappelés ici :

. V anger Industries Corp., société ayant son siège en Suède, est aujourd'hui l'un des principaux producteurs mondiaux de produits chimiques à usage industriel.

Le 29 mars 1988, elle signa avec Salander S.A., société suisse ayant son siè- ge à Genève, un contrat intitulé « Agency Agreement». Aux termes de ce contrat, Salander S.A. devait promouvoir et vendre la gamme de produits de Vanger Industries Corp. en Suisse, en France, en Italie, en Espagne et au Portugal. V anger industries Corp. assurait l'exclusivité à Salander S.A. sur ces territoires, à charge pour cette dernière d'atteindre un minimum de ven- tes semestrielles par territoire.

Concrètement, Salander S.A. achète les produits de V anger Industries Corp.

à des prix fixés chaque année par cette dernière. Salander S.A. vend ces produits, en son nom et pour son compte, aux clients finals suisses, français,

italien, espagnols et portugais. Salander S.A. adresse la commande du client final à Vanger Industries Corp .. laquelle livre, aux frais et risques de Salan-

der S.A., les clients finals, depuis les usines de production via des sociétés de transport.

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Les clients finals de Salander S.A., dans les pays où elle jouit de l'exclusivi- té, sont Molineros S.L. en Espagne, Pisa S.p.A. en italie, WASP SAS en France et Betonor Lda au Portugal.

Ce contrat se renouvelle automatiquement pour cinq ans, sauf notification contraire de l'une des parties, six mois avant cette échéance. Ce contrat ne contient aucune clause de résiliation avant terme contractuel, d'élection de droit ou de for.

En 2006, Salander S.A. se fit racheter par le Groupe norvégien Armanskij, géant mondial de la pétrochimie. Salander S.A. garda néanmoins dans les faits son indépendance fonctionnelle et son activité ne s'en trouva nullement

modifiée.

En août 2008, le Groupe Armanskij annonça dans la presse une ouverture de ses activités au domaine de la constn1ction et son possible rachat des géants espagnols et italiens de la construction Molineros S.L. et Pisa S.p.A.

Or il se trouve que ces deux sociétés sont les clients finals principaux de Sa- lander S.A., respectivement en Espagne et en Italie.

V anger industries Corp. s'adressa le 1er septembre 2008 à Salander S.A.

pour lui marquer que si cet achat venait à se faire 1 'Agency Agreement se- rait résilié pour justes motifç, Salander S.A. ne pouvant être simultanément distributeur et appartenir au Groupe Armanskij dont feraient partie les prin- cipaux clients des produits de V anger Industries Corp. pour les marchés es- pagnol et italien. A lire Vanger industries Corp., il en allait de 1 'indépendance de Salander S.A. et de la confidentialité que celle-ci devait à son fournisseur.

Le Groupe Armanskij finalisa l'achat de Molineros S.L. et de Pis a S.p.A. le 15 septembre 2008 et le rendit public quelques jours plus tard.

Le 30 septembre 2008, Vanger industries Corp. adressa par courrier re- commandé à Salander S.A. la résiliation immédiate de l'Agency Agreement pour justes motifs. Les motifs avancés étaient la perte d'indépendance vis-à- vis des clients finals et la violation de la confidentialité duë au fournisseur.

Le même jour, V anger Industries Corp. adressa par fax à chacun des clients de Salander S.A. un courrier au terme duquel elle invitait ces derniers à passer désormais leurs commandes des produits de V anger Industries Corp.

auprès de V anger Distribution Switzerland S.à.r.l.

La structure du réseau de distribution, après les différentes opérations defu- sion et de rachat se présente ainsi :

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Vanger Industries Corp.

Il. Les limites imposées par le droit de la concurrence aux contrats de distribution

Une remarque préalable s'impose : le contrat de représentation exclusive est une convention de droit privé, essentiellement gouvernée par le principe de la liberté contractuelle, sous réserve de dispositions impératives qui lui seraient applica- bles. On ne saurait toutefois analyser les obligations contenues dans ce contrat sans garder à l'esprit les limites qui lui ont été posées par le droit de la concùt- rence. S'il n'est pas question de traiter de ce sujet ici, dans le cadre limité d'une brève contribution qui ne s'inscrit pas dans le cadre du droit de la concurrence, il s'impose en revanche de rappeler qu'en matière de distribution les parties ne sont pas libres de régler leurs relations contractuelles comme bon leur semble1Elles doivent respecter non seulement les dispositions de la loi sur les cartels2 mais également les principes que la Commission de la concurrence en a déduits, qui sont maintenant regroupés dans la «Communication concernant l'appréciation des accords verticaux », décision rendue par la Commission de la concurrence le 2 juillet 20073, entrée en vigueur le ler janvier 2008 en remplacement de la communication antérieure, datant de 2002. Cela, sans parler des droits étrangers sur la concurrence, tout particulièrement européen, si la convention règle la dis- tribution de produits au-delà de la frontière helvétique.

A titre d'exemple de l'impact que le droit de la concurrence peut avoir sur le contenu des contrats de distribution, on retiendra l'art. 5 al. 4 LCart qui dispose que «sont également présumés entraîner la suppression d'une concurrence

Sur cette question, cf. Pierre TER CIER! Pascal G. FAVRE, Les contrats spéciaux, 4èn~e éd., 2009, N 7905 ss et références citées.

Loi fédérale sur les cartels et autres restrictions à la concurrence du 6 octobre 1995 (RS 251 ), Loi sur les cartels.

Disponible à 1 'adresse suivante :

http:/ /www .weko.admin.ch/dokumentation/00 160/index.html?lang=fr.

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ejficace les accords passés entre des entreprises occupant différents échelons du marché, qui imposent un prix de vente minimum ou un prix de vente fixe, ainsi que les contrats de distribution attribuant des territoires, lorsque les ventes par d'autresfournisseurs agréés sont exclues>>.

De la décision de la Commission on peut retenir, toujours à titre d'exemple, le chiffre 12 let. f qui dispose que les accords verticaux qui contiennent une obliga- tion de non-concurrence d'une durée indétenninée ou qui dépasse cinq ans affec- tent la concurrence de manière notable au sens de l'art. 5 al. 1 LCart.

C'est dire que les contrats de distribution sont particulièrement exposés à la réglementation du droit de la concurrence et que le Code des obligations ne doit pas constituer la seule référence qui retiendra l'attention du juriste confronté à l'analyse d'un tel contrat.

III. La qualification du contrat

La première question à résoudre pour la solution du cas pratique est celle de la qualification du contrat. Elle ne pose pas de problème particulier mais permet de rappeler la prudence dont il y a lieu de faire preuve à l'égard des intitulés de contrats, particulièrement lorsqu 'ils sont rédigés dans une langue étJ·angère. Le recours à des mots étrangers et, plus encore, à des concepts juridiques étrangers, peut induire en erreur lorsqu'on doit faire application du droit suisse.

Ainsi, dans le cas pratique soumis à la discussion, le « agency agreement >> qui lie Vanger à Salander n'est nullement un contrat d'agence au sens du droit suis- se, ainsi qu'une hâtive traduction littérale pourrait le laisser penser. Selon l'art.

18 CO, les dénominations inexactes ne doivent pas faire obstacle à l'interprétation du contrat ni à en établir la véritable nature. Or le contrat d'agence au sens de l'art. 418a CO est le contrat par lequel l'agent s'engage à agir au nom du mandant. Cette première condition n'est pas réalisée en l'espèce puisque Salander vend en son propre nom les produits de V anger.

Il ne s'agit ainsi pas d'un contrat d'agence mais bien d'un contrat de représen- tation exclusive4 dont les éléments caractéristiques essentiels sont les suivants :

le contrat est sui generis, non soumis à un type prévu par la loi;

il contient une promesse du concédant de livrer au représentant des biens déterminés à un certain prix ;

il concède une exclusivité au représentant dans un certain rayon géographi- que;

ATF 134lll497.

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il renferme enfin l'engagement du représentant de payer le prix des biens livrés, de promouvoir la vente de ces derniers dans le rayon d'exclusivité et les vendre en son propre nom.

Ces caractéristiques sont d'ailleurs celles qui se retrouvent dans la définition anglo-américaine de « exclusive agency » puisque ce contrat consiste en « the righi to representa principal- esp. either to sel/ the principa/'s products orto act as the seller 's real-es tate market agent- within a particular market free from competition )>5Ce type de contrat est particulièrement important dans le do- maine de la distribution où il constitue l'un des moyens utilisés pas les fabricants pour écouler leurs produits6. Il se rencontre donc également sous le nom de concession exclusive7 ou de distribution exclusive8

IV. Le droit de résilier pour justes motifs

Dans le cas pratique analysé, Y anger entend résilier le contrat pour justes motifs, alors qu'il n'est nulle disposition légale (le contrat est sui generis) ni contrac- tuelle qui lui confère un tel droit de résiliation. La question est ainsi de savoir si, ce nonobstant, elle peut mettre fin immédiatement au contrat et à quelles condi- tions.

A. Le principe

Il est un principe qui est acquis, tant en jurisprudence9 qu'en doctrine10, selon lequel les contrats de durée peuvent être résiliés de façon anticipée pour justes motifs, cela à côté des cas de résiliation ordinaire et extraord.inaire prévus par la loi ou le contrat.

En matière de contrat de représentation exclusive, il y a lieu de faire applica- tion par analogie11 de 1 'art. 418r CO qui dispose que le mandant et 1 'agent peu- vent, sans avertissement préalable, résilier immédiatemeat le contrat pour de

JO

Il

Black's Law Dictionary,

7'""'

éd., Bryan A. Garner.

TERCIER/FAVRE, N 7885.

TERCIERIFAVRE, N 7884.

Pour un exemple d'un tel contrat, ct: ATF 134 Ill 497.

ATF 122 111162 = JdT 1997113.

Marie-Noëlle ZEN-RUFFINEN, La résiliation pour justes motifs des contrats de durée, thèse Fribourg, 2007 (cité: thèse), N 339 et références citées; ZEN-RUFF!NI:N, La résilia- tion pour justes motifs des contrats de durée, in SJ 2008 li 1 (cité: SJ), particulièrement

13 ss; Jean-Paul VULLIETY, Résili~tion extraordinaire injustifiée d'une concession de vente en droit suisse :poursuite ou tin du contrat, in SJ 2003 II 91 ss, 95.

ATF 9911 308, c. 5. Cf. également, ZEN-RUFFINEN, thèse, N 335 et références citées.

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justes motifs. Cette disposition renvoie elle-même, par analogie, aux dispositions du contrat de travail applicables en matière de résiliation immédiate (art. 337 ss CO).

La notion de juste motif- qui repose sur des faits dont la gravité rend la conti- nuation du contrat insupportable-doit être envisagée sous deux formes12 :

La gravité absolue qui résulte d'un acte ou d'une omission pris isolément qui en lui seul rend la continuation du contrat intolérable. Il n'est besoin ni de répétition de cet acte ni d'avertissement préalable pour que le droit de ré- silier pour juste motif soit donné.

La gravité relative qui provient de la réitération d'actes similaires ou d'un cumul de plusieurs actes. Un seul de ces actes ne serait pas suffisant pour fonder un juste motif. Dans une telle situation, un avertissement préalable est nécessaire pour que la partie victime de ce comportement soit fondée à dé- clarer la résiliation du contrat.

On se référera à la riche jurisprudence rendue en matière de droit du travail pour Circonscrire la notion de juste motif13Il faut toutefois mentionner quelques élé- ments spécifiques à prendre en compte dans le cadre du contrat de représentation exclusive14

12

Il

14

La durée écoulée depuis la conclusion du contrat : une longue période de relation contractuelle entre les parties penne! l'instauration d'un rapport de confiance particulier dont on admettra plus difficilement qu'il 'puisse être rompu avec effet immédiat que cela ne sera le cas dans le cadre d'un contrat

de courte durée. ·

La durée résiduelle du contrat: il s'agit de la période qui lie encore les parties jusqu'à-la fin du contrat. Plus cette période est courte, plus on sera exigeant pour l'intensité que doit représenter un juste motif. On peut en effet exiger qu'une partie supporte la grave détérioration des relations contractuel- les pendant les quelques mois qui la séparent de la fin du contrat. La situa- tion se présente autrement s'il reste plusieurs années à courir, la continuation du contrat sur unè longue période devenant insupportable.

L'exclusivité conférée au représentant : la perte de liberté contractuelle que la concession d'un~ exclusivité représente pour le concédant implique

Pour une présentation et une analyse détaillées de 1 'exigence de gravité et des critères de distinction entt:e les deux types de gravité, cf. ZEN-RUFFINEN, thèse, N 405 ss. Cf. Rémy WYLER, Droit du travail, 2<""' édition, 2008, 490-491 pour la présentation de cette ques- tion dans le contrat de travail.

ATF 130 III 28, c. 4,1 : doivent notamment être considérées comme des justes motifs

« toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonnefoi, ne permettent pas d'exiger de celui qui a donné le congé la continuation df;S rapports de travail». Pour une présenta- tion co.mplète de la question, cf. WYLER, 489 ss.

ZEN-RUFFINEN, thèse, N 417 ss.

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qu'un lien de confiance particulier s'instaure entre les parties puisque l'une d'entre elles s'en remet totalement, quant à la marche de ses affaires sur un territoire donné, à l'activité d'un tiers. Vienne ce lien à disparaitre que le concédant doit pouvoir sans libérer.

L'obligation de promouvoir les produits: l'exclusivité concédée s'accompagne généralement de l'obligation faite au représentant de promou- voir les produits du concédant. Il s'agit de l'économie de base du contrat qui veut qu'en échange de l'exclusivité dont il jouit, le représentant défende les intérêts de son cocontractant en favorisant la vente de ses produits. Si cette obligation est gravement violée, il se peut que l'économie même du contrat soit en péril, ce qui constitue un juste motif de rupture de la convention.

B. Les questions spécifiques liées au cas pratique

1. Le délai de résiliation

La jurisprudence en matière de contrat de travail est extrêmement stric- te concernant le délai dans lequel la résiliation doit être faite: seuls deux à trois jours ouvrables doivent séparer le moment où l'employeur découvre ce qu'il considère constituer un juste motif de résiliation et le jour où il déclare cette demière1s. Une prolongation de quelques jours n'est admissible qu'à titre excep- tionnel, selon les circonstances particulières du cas concret16

Il en va en principe de même pour la représentation exclusive dans le cadre de laquelle l'avis doit être donné sans retard, tout comme cela est le cas pour le contrat d'agence17Un tel délai est parfois jugé excessivement court pour des contrats commerciaux 18Il est vrai que la complexité de certains contrats de représentation exclusive et le temps indispensable pour prendre pleinement cons- cience du problème survenu dans l'exécution de la convention rendront parfois nécessaire une plus grande souplesse dans l'appréciation du respect de la condi- tion de l'immédiateté de l'avis de résiliation. Le Tribunal fédéral est d'ailleurs même prêt à le considérer pour le contrat de travail. On retiendra en tout cas, quel que soit le contrat considéré, que le délai mis pour résilier le contrat doit être approprié aux circonstances et, partant, ne doit pas conduire à penser que la

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16 17

18

TF, 4C.291/2005, c. 3.2, arrêt du 13 décembre 2005; 4C.348/2003, c. 3.2, arrêt du 24 août 2004 ; ATF 130 III 28 c. 4.4.

ATF 130 Ill 28, c. 4.1.

Dominique DREYER, Commentaire romand, Code des obligations 1, THÉVENOZIWERRO éds. (cité: ComRom-DREYER), CO 418r N 3 ; Suzanne WEITENSCHWEILER, Basler Kommentar, Obligationenrecht 1, HONSELLI VOGT/WIEGAND éds., 4èmo édition (cité:

BaK-WETTENSCHWILER), CO 418r N 3.

Yvan CllëRPILLOD, La fin des accords de distribution, in Les accords de distribution, 2005, n. 48 ; ZEN·RUFFINEN, thèse, N 1193 ss.

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partie qui résilie s'est accommodée de la situation, montrant par là que la conti- nuation du contrat n'est pas insupportable. Le Tribunal fédéral a clairement posé le principe que «celui qui se déclare prêt à poursuivre la collaboration avec son partenaire, nonobstant des faits connus invoqués après coup à l'appui de la résiliation, montre par là qu'il ne leur attribue pas le caractère de justes mo- tift »19L'Obergericht de Zurich a considéré que le délai d'un mois mis par le mandant pour résilier le contrat, après le séquestre opéré par l'agent sur les avoirs de ses clients, était excessivement long20

Pour le dies a quo, il faudra faire une distinction entre la résiliation intervenant pour un acte unique d'une gravité absolue, remplissant à lui-seul la condition de juste motif, et celle faisant suite à une accumulation d'actes d'une gravité rela- tive (supra IV.A). Dans le premier de ces cas, il sera aisé de déterminer quand le délai a commencé à courir alors que, dans le second, il faudra apprécier quand l'accumulation des violations contractuelles est devenue réellement insupporta- ble pour le cocontractant.

En l'espèce, le seul changement de contrôle de Salander survenu il y a plusieurs années, même s'il constituait un juste motif- ce qui resterait à vérifier -, est trop ancien pour pouvoir être invoqué ; il a été accepté par le concédant qui ne peut plus l'invoquer.

La situation est différente en ce qui concerne le changement de contrôle dans les sociétés clientes du représentant exclusif. C'est le 30 septembre 2008 déjà que la résiliation est intervenue pour un fait survenu le 15 septembre et rendu public seulement quelques jours après. Donné moins de deux semaines après la prise de connaissance du fait considéré comme un juste motif, l'avis l'a été à temps.

2. L'existence d'un juste motif lié au changement de contrôle du représentant exclusif et des clients de ce dernier

Plus délicate est la question de savoir si le changement d'actionnaire des clients du représentant exclusif constitue un juste motif. Pour apprécier la question, quelques rappels s'imposent.

Premièrement, la notion de juste motif n'exige pas que le fait qui le fonderait résulte d'un comportement fautif de la partie à laquelle la résiliation est signifiée.

Quand bien même, la plupart du temps, la notion de juste motif se confond avec une (grave) violation du contrat par l'une des parties21, il n'en va pas nécessaire- ment ainsi: Le fait qui fonde l'existence d'un juste motif peut en effet être celui d'un tiers puisque, selon la définition généralement retenue, le juste motif consi-

19 20 21

ATF 99 II 31 0, c. 5a.

OGer, ZR 1984, W 2, p. 6, c. VI 2.

ZEN-RUFFINEN, thèse, N 377.

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ste en des « circonstances faisant que la continuation des rapports contractuels ne peut raisonnablement être exigée au regard du principe de la bonne foi »22

C'est d'ailleurs là la définition que le Tribunal fédéral a retenu pour le contrat de travail lorsqu'il a énoncé que, concernant les justes motifs,« doivent notamment être considérées comme tels toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d'exiger de celui qui a donné le congé la continua- tion des rapports de travail »23L'existence du juste motif ne découle ainsi pas forcément de la faute de l'une des partJes. En l'espèce, il s'ensuit que le rachat par Armanskij des deux sociétés clientes de Salander pourrait- même si cette dernière n'en est en rien responsable - constituer en lui-même un juste motif.

Deuxièmement, se pose la question de savoir si le passage des clients du repré- sentant lui-même et de ses clients sous le contrôle d'un concurrent du con- cédant constitue une circonstance rendant insupportable la continuation du con- trat, en raison du risque concret que l'activité du représentant serve les intérêts du concuJTent. Poser la question en ces termes revient à se demander si le repré- sentant exclusif a un devoir de fidélité envers le concédant, devoir dont le non- respect rendrait la continuation du contrat impossible.

Alors qu'il n'est pas contestable que l'agent a un devoir de fidélité envers son mandant- devoir qui, s'il ne lui interdit pas par principe de travailler pour des concuJTents, prohibe par exemple la double représentation ou le contrat avec soi- mème24- il n'en va pas forcément de même en matière de représentation exclu- sive. Hormis le cas d'une clause contractuelle particulière qui le prévoirait, il est en effet discuté en doctrine de savoir si une obligation générale de fidélité serait à la charge du représentant exclusif envers le concédant25. La jurispmdence n'a pas eu l'occasion de se prononcer à ce jour. Il semble majoritairement admis que la réponse est négative et que, partant, il n'y a pas une interdiction générale de concurrence à charge du concessionnaire, notamment par le biais d'une interdic- tion d'approvisionnement auprès de concurrents. C'est selon les circonstances qu'il faut apprécier la situation en déterminant si, en raison de la teneur du con- trat du cas d'espèce, le représentant exclusif a une position assimilable à celle de l'agent26, notamment par la place qu'il occupe dans le réseau de distribution. Sur la base des avis exprimés en doctrine, on ne saurait, en tout cas, exiger par prin- cipe du représentant que son actionnariat resle exempt de lien avec des entrepri- ses concurrentes.

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23 24 25 26

CHERPILLOD; La fin des contrats de durée, 1988, N 235. Dans le même sens, ZEN- RUFFINEN, thèse, N 377 ; VULLIETY, 96.

A TF 130 III 28, c. 4.1.

TERC!ERIFAVRE, N 5744.

TERCIERIFAVRE, N 7926; BaK-AMSTUTZISCHLUEP, Introduction à CO 184, N 146.

TERCIERIFAVRE, N 7926; Baie-AMSTUTZ/SCHLUEP, Introduction à CO 184, N 146.

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La situation du cas d'espèce présente toutefois une particularité remarquable.

Comme tout concédant, V anger voulait, en concluant un contrat avec un distribu- teur exclusif, assurer la vente de ses produits d'une façon qui soit la plus effi- ciente possible. En arrière-fond, se dessine inévitablement la question de la lutte commerciale contre les entreprises concurrentes par rapport auxquelles le concé- dant s'efforce de se positionner de la meilleure manière. Si le distributeur exclu- sif du concédant dans plusieurs pays passe sous le contrôle de l'un des princi- paux concurrents de ce dernier, il n'est P.aS douteux que l'économie du contrat peut être mise en péril. La situation n'est toutefois pas limpide puisque l'actionnaire ne se confond pas avec la société, ni dans ses droits ni dans ses obligations, de sorte que l'on pourrait soutenir que le changement de contrôle du distributeur exclusif reste un fait sans conséquence sur le contrat.

La situation devient toute autre lorsque les principaux clients du distributeur passent à leur tour sous le contrôle du même actionnaire. Il faut alors constater que ce dernier met en place une structure de distribution intégrée verticale dans laquelle son concurrent, le concédant, se trouve désormais obligé de prendre place pour vendre ses propres produits. Il n'est sans doute pas possible de donner une réponse abstraite à la question de savoir si une telle situation constitue en elle-même et dans tous les cas, un juste motif de résiliation. Les circonstances du cas d'espèce sont toujours déterminantes pour apprécier la question de savoir si la continuation du contrat est devenue intolérable. Sans doute la nature des pro- duits, le nombre de conctments sur le marché, le nombre de clients finals poten- tiellement intéressés par les produits en cause, la faculté que le nouvel action- naire a d'influencer concrètement la distribution des produits de son concurrent constituent-ils des éléments essentiels pour apprécier l'impact réel que la consti- tution de cette structure de distribution intégrée peut avoir sur l'économie du contrat de distribution exclusive. li paraît en tout cas concevable de prétendre quë cette situation pourrait, en principe, constituer un juste motif de résiliation du contrat de distribution.

La création de très grands groupes, fortement structurés et centralisés de même que les concentrations d'entreprises au niveau international, qui sont maintenant devenues une réalité quotidienne de la vie des affaires et du commerce, rendent cette approche nécessaire. Le nier par principe reviendrait sans doute à admettre qu'un contrat de distribution exclusive, par lequel un producteur de biens cher- chait à assurer la bonne marche de leur distribution, deviendrait l'instrument juridique par lequel un concurrent pourrait sceller la perte dudit producteur. Il est cependant important de souligner qu'il n'est pas de décision judiciaire publiée qui aurait fait droit à une telle argumentation et qu'il semble que les rares déci- sions arbitrales rendues en la matière auraient rejeté une telle façoii de voir.

Vu l'importance des enjeux, la prudence voudra donc que l'on prévoie dans le contrat une clause stipulant que constitue un motif de résiliation du contrat le changement de contrôle du représentant exclusif- cette notion devant être

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84 Le contrat de distribution exclusive

définie exactement-ou tout autre changement de circonstances de fait mettant la position du concédant en péril.

V. Les conséquences d'une résiliation injustifiée : ATF 133 III 360

A. La problématique : l'absence éventuelle d'effet de la résiliation

Une question qui retient l'attention depuis des décennies est celle de savoir quel est l'effet d'une déclaration de résiliation pour justes motifs alors que ces der- niers n'existent pas. Deux théories s'affrontaient, J'une consistant à affirmer que l'absence de justes motifs privait purement et simplement le concédant du droit de résilier alors que l'autre admet que la résiliation produit ses effets- le contrat prenant fin - mais que son caractère injustifié ouvre la voie à une action en dommages-intérêts.

Cette dernière solution est celle retenue par le Code des obligations en matière de contrat de travail puisque l'art. 337c CO dispose que« lorsque l'employeur rési- lie immédiatement le contrat sans justes motifs, le travailleur a droit à ce qu'il aurait gagné, si les rapports de travail avaient pris fin à 1 'échéance du délai de congé». Dans ce dernier cas, le contrat prend fin avec la résiliation, même si elle est injustifiée. L'employé n'a pas un droit à être réintégré, mais doit se contenter de dommages-intérêts27

Transposée dans le domaine du contrat d'agence et de la représentation exclu- sive, la question a donné matière à de nombreuses publications dont la majorité des auteurs soutiennent qu'une résiliation prononcée pour justes motifs, alors que ces derniers sont inexistants, est inefficace et que le contrat continue à produire ses effets2R. En matière de contrat d'agence, la solution a été donnée par le Tri- bunal fédéraF9 qui, rappelant que l'art. 418r al. 2 CO renvoie aux dispositions relatives au contrat de travail en ce qui concerne la résiliation du contrat d'agence pour de justes motifs, a déclaré ne pas voir pourquoi, contrairement à certains doutes exprimés dans la doctrine, l'art. 337 CO ne serait pas applicable au con-

27

28 19

WYLER, 513. On remarquera 1 'exception importante que constitue à cet égard l'art. 10 al.

1 LEg qui dispose que «la résiliation du contrat de travail par l'employeur es/ annulable lorsqu'elle ne repose pas sur un motif justifié el qu'elle jclÎ/ suite à une ,réclamation adressée à un supérieur ou à un autre organe compétent au sein de /'en/reprise, à l'ouverture d'une procédure de conciliation ou à lïnlroduclion d'une action en justice;

sm!f dans le cadre de la loi .l'Ill' l'égalité>>.

ZEN-RUFFINEN, thèse, N 1430.

ATF 12511114 c. 2a = JdT 19991359 et SJ 1999 1315.

(14)

trat d'agence. Il en a conclu que, « compte tenu du fait que le difjërend entre les parties quant à l'existence d'un juste motif peut rarement être réglé de manière à les lier pendant le délai de résiliation ordinaire, il se justifie également d'admet- tre la fin immédiate du contrat d'agence dans l'hypothèse où la résiliation sans délai s'avère par la suite injustifiée >). Cette décision fait cependant l'objet de critiques30.

Concernant le contrat de distribution exclusive, le Tribunal fédéral avait déjà eu l'occasion de trancher la question en 1973 en parvenant à la conclusion qu'une résiliation dénuée de fondement ne mettait pas fin au contrat de représentation exclusive, lequel continuait à produire ses effets après la résiliation3l. On aurait pu en déduire que la question était dès lors définitivement tranchée par la juris- prudence. Il n'en était toutefois rien, ainsi que Zen-Ruffinen l'a bien montré. Cet arrêt ancien, resté isolé, fut en effet rendu alors que le droit du contrat de travail, auquel le droit du contrat d'agence appliqué en l'occurrence renvoyait, prévoyait que Je contrat résilié sans motif continuait à produire ses effets. Il était donc normal que l'on considérât, à cette époque, que cette conséquence devait égale- ment s'appliquer au contrat de représentation exclusive. L'entrée en vigueur de J'art. 337c CO a modifié la situation, depuis le ler janvier 1989, en prévoyant que le contrat de travail résilié prend fin, même en l'absence de justes motifs. La solution de l'ancien arrêt de 1973 n'est ainsi plus transposable dans le contexte de la nouvelle règlementation du droit du travail.

B. La nouvelle jurisprudence : la continuation du contrat

La nouvelle solution jurisprudentielle a été donnée par le Tribunal fédéral en 200632Après un large tour des solutions doctrinales, mais en l'absence de toute référence à son propre arrêt de 1973 auquel il vient d'être fait allusion, le Tribu- nal fédéral a exclu toute application des règles du contrat de travail à la résilia- tion pour justes motifs du contrat de représentation exclusive de sorte qu'une résiliation sans fondement laisse le contrat pleinement subsister et produire ses effets. Il s'agit-là d'une avancée jurisprudentielle importante en ce qu'elle per- met aux justiciables de faire reposer leurs relations contractuelles sur une base claire concernant les conséquences d'une résiliation injustifiée.

Ce constat doit cependant être tempéré sur un point : subsiste en effet encore la question de savoir si une résiliation prononcée avec effet immédiat, en l'absence de justes motifs, produit des effets pour le prochain terme contractuel ou si la résiliation est purement et simplement inefficace (notamment par application

JO JI 32

ZEN-RUFFINEN, thèse, N 1423.

A TF 99 II 308, c. 5b.

ATF 133 III 360 = SJ 2007 1 482.

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analogique de l'art. 266a al. 2 C0)33On peut regretter que le Tribunal fédéral ait laissé cette question indécise, après l'avoir mentionnée. Les conséquences prati- ques peuvent en effet être considérables. Il est fréquent que ce type de contrat contienne une clause prévoyant la reconduction pour une nouvelle période, sauf l'une ou l'autre des parties à déclarer le résilier dans un préavis qui peut être de six mois, voire d'une année. Si la résiliation pour justes motifs injustifiée- par- tant sans effet immédiat- n'est pas considérée comme valant résiliation ordi- naire pour le prochain terme contractuel, il est alors trop tard pour la partie qui voulait mettre un terme au contrat pour signifier une nouvelle résiliation ordi- naire. Le contrat est dès lors reconduit pour une nouvelle période, alors que les relations des parties sont des plus mauvaises.

La solution peut paraître excessivement sévère et formaliste. La partie qui a déclaré résilier a en effet clairement manifesté son intention de mettre fin au contrat. Cette déclaration ne peut certes pas avoir un effet immédiat, comme son auteur le souhaitait ; son destinataire est cependant dûment averti de la volonté non ambiguë de sa contrepartie de ne pas reconduire le contrat de sorte que cette déclaration devra produire ses effets à la prochaine échéance contractuelle per- mettant une résiliation ordinaire. C'est ainsi que la déclaration de résiliation doit être interprétée et que ses effets doivent être compris. Restent cependant réser- vées les éventuelles obligations ou incombances que le contrat imposerait pour une résiliation ordinaire, dont le non-respect priverait la déclaration de résiliation

d'efficacité. ·

C. Les conséqu{!nces pratiques, particulièrement les mesures provisionnelles en exécution

L'intérêt de la nouvelle jurisprudence du Tribunal fédéral n'est pas seulement théorique. Le litige qu'il avait à trancher en constitue d'ailleurs la parfaite dé- monstration. Les conséquences pratiques ont déjà été mises en lumière34 et s'articulent principalement autour du droit de la partie qui conteste la résiliation d'obtenir l'exécution du contrat, au besoin par le biais de mesures provisionnelle.

Même s'il est sans doute exact que les parties lésées par la résiliation injustifiée demandent fréquemment des dommages-intérêts35, il ne faut pas négliger le fait que la jurisprudence s'est rangée aux avis doctrinaux récents selon lesquels les mesures provisionnelles ne sont pas limitées aux seules mesures d'interdiction mais sont également ouvertes, sous certaines conditions, à des mesures

JJ

34 35

Reto HILTY, Lizcnzvertragsrecht : Systematisierung und Typisierung aus schutz- und schuldrechtlicher Sicht, 2001, 990.

VUil.LlETY, 93 ; ZEN-RUFFINEN, thèse, N 1380-1381.

ZEN-RUFFINEN, SJ, 29.

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d'exécution36Dans sa décision récente, le Tribunal fédéral a mis en évidence cette conséquence, renvoyant la cause à l'autorité cantonale, précisément afin que cette dernière réunisse les éléments de fait permettant de déterminer si de telles mesures pouvaient être ordonnées.

Des mesures provisionnelles d'exécution ne s'octroient pas à la légère, les juges fédéraux mettant en évidence à cet égard d'une part qu'elles sont particulière- ment incisives (« particolarmente incisivi ») pour la partie contre laquelle elles sont dirigées et, d'autre part, qu'il se peut que la rupture des rapports de confian- ce empêche toute collaboration future, même temporaire. Il résulte de ces consi- dérants qu'il sera sans doute souvent difficile pour le représentant exclusif évincé d'obtenir i.m ordre judiciaire ordonnant à sa contrepartie d'exécuter le contrat à titre provisionnel. Il n'en est pas moins vrai cependant que l'intérêt à le deman- der est entier. Si le juge devait fmalement, dans la décision au fond, constater que la résiliation était injustifiée, il sera trop tard et impossible au représentant de remettre sur pied un réseau de distribution qu'il aurait dû interrompre. La déci- sion judiciaire qu'il obtiendrait en sa faveur n'aurait donc d'autre intérêt pratique que d'ouvrir la voie à une indemnisation. En revanche, s'il a pu contraindre l'autre partie à lui livrer les produits objets du contrat pendant la durée du procès, la situation se présentera sous un autre jour.

VI. L'indemnité pour clientèle : ATF 134 III 497 A. L'enjeu pour Je contrat de représentation exclusive

La règlementation du contrat d'agence institue, à l'art. 418u CO, une indemnité pour perte de clientèle en faveur de 1 'agent aux conditions cumulatives suivan- tes37 :

une augmentation sensible du nombre des clients ; un profit effectif en résultant pour le mandant ; le caractère non inéquitable d'une telle attribution.

Depuis des décennies, la question de savoir si une telle indemnité devait égale- ment être reconnue au représentant exclusif fut débattue. Alors que le Tribunal fédéral avait exclu en 1962 qu'une indemnité puisse être octroyée au représen-

36 A TF 125 1II 451, c. 4c ; SJ 2000 1 222. En matière cantonale, on peut mentionner une ordonnance du juge instmcteur de la Cour civile du canton de Vaud du 26 tëvrier 2008, in DPC 200R/3, 519, rendue en matière de LCart. Tout en refusant la mesure sollicitée, le juge rappela que des mesures d'exécution provisoires étaient admissibles. Pour un résumé de·cet arrêt, cf. Jean-Marc REYMOND, Droit de la concurrence et des cartels et droit de la concurrence, J dT 2009 1 129, 131.

1\. TF 134 Ill 497, c. 4.1 ; 4C.218/2005, c. 4 à 6, arrêt du 3 avril 2006.

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88 Le contrat de distribution exclusive

tant exclusif pour la clientèle qu'il avait développéé8, la doctrine a suivi des voies divergentes, les uns mettant en évidence les analogies unissant l'agent et le représentant exclusif, les autres soulignant les différences existant entre ces deux types de partenaires contractuels. Selon la constatation faite par le Tribunal fédé- ral39, un courant majoritaire s'est finalement dessiné en faveur du principe d'une indemnité due à l'agent de sorte que les juges fédéraux décidèrent de reprendre la question et de rendre un arrêt de principe, tranchant en faveur de cette concep- tion nouvelle.

Ici encore, une décision sur un sujet dont les implications pratiques sont aussi grandes ne peut qu'être saluée. Cependant, la portée de la décision est limitée en ce que le Tribunal fédéral est parvenu au constat que, vue la variété des situa- tions de faits à envisager, toute solution dogmatique était exclue, « la sécurité du droit dût-elle en pâtir »40La solution retenue par le Tribunal fédéral est ainsi la suivante : l'indenmité due à l'agent peut être reconnue au représentant exclusif par le biais d'une application analogique de l'art. 418u CO. Cela implique qu'il existe une véritable analogie entre la situation concrète du représentant exclusif qui réclame une indemnité et la situation d'un agent, de sorte que «l'octroi d'une indemnité pour la clientèle au représentant exclusif dépendra toujours de l'examen des circonstances du cas concret » 4'.

B. La nature de l'indemnité

Avant de procéder à l'application de l'art. 418u CO à la situation du représentant exclusif, le Tribunal fédéral procède à un rappel complet des principes régissant l'indemnité de clientèle due à l'agent. On en retiendra les éléments essentiels suivants:

Jij l9

40

41

l'indemnité de clientèle ne constitue pas une rémunération supplémentaire due à l'agent;

pas plus ne constitue-t-elle l'indemnisation d'un dommage que l'agent serait réputé avoir subi ;

ATF 88 li 169.

ATF 134 II! 497, c. 4.2.2 et les nombreuses références citées. Pour un commentaire de cet arrêt, cf. Christiana FOUNTOULAKIS, Zur Kundschaftsentschadigung bei Beendigung ei- nes Alleinvertriebsvertrags (Vertragshiindlervertrags). Anmerkungcn zu BGE 4A.61/2008 vom 22.5.2008, in recht 2008, 221 ss.

ATF 134 Ill 497, c. 4.3. Par ailleurs, FOUNTOULAKIS, 223 ss., estime que plusieurs ques- tions sont restées indécises, notamment celle de savoir s'il est nécessaire, pour qu'il soit tenu au paiement d'une indemnité, que le concédant ait un droit contractuel à la remise des informations concernant les clients ou si une simple possibilité de fait suffit.

A TF 134 III 497, c. 4.3 in fine.

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l'indemnité de clientèle doit être vue comme la contre-prestation due à l'agent pour le profit que le mandant réalise après la fin du contrat. En exé- cution de ses obligations, l'agent a augmenté la clientèle du mandant. Si ce dernier met fin au contrat, il profitera encore dans l'avenir de cette augmen- tation de clientèle, sans qu'il n'ait plus à rémunérer sa contrepartie. C'est pour corriger ce décalage temporel que l'indemnité a été instituée, en ce qu'elle rétribue l'agent pour l'effet différé de son activité en faveur du man- dant. Le Tribunal fédéral relève à cet égard que« l'art. 418u CO est une dis- position singtt!ière dans le système du droit civil suisse, en tant qu'elle con- traint une partie, qui a exécuté toutes ses obligations, à rétribuer son co- contractant pour des avantages qu'elle retire de l'exécution du contrat après que celui-ci a pris fin »42

C. Les conditions

De l'arrêt, on retiendra que l'agent doit prouver les faits suivants pour qu'tm droit à une indemnité lui soit reconnu :

une augmentation sensible de la clientèle ; un profit effectif pour le mandant ; l'aspect non inéquitable de l'indemnité.

Alors· que l'agent a le fardeau des deux premières conditions, il revient au man- dant d'établir que l'indemnité serait inéquitable.

D. Le principe de l'indemnité du représentant exclusif et son montant

1. Les différences entre l'agent et le représentant exclusif Selon la loi, le montant de l'indemnité est fixé équitablement par le juge, le ma- ximum étant toutefois fixé au gain annuel net, selon la moyenne des cinq derniè- res années. Cela dit, les principes qui sous-tendent l'octroi de l'indemnité de CO 418u au représentant exclusif, tels qu'arrêtés par le Tribunal fédéral, mettent bien en lumière les dissemblances et les convergences entre l'agence et le contrat de représentation exclusive.

Le point de départ de la réflexion réside dans le fait que, dans le cadre du contrat agence, les clients deviennent ceux du mandant de sorte qu'il y a lieu de mettre à charge de ce dernier une indemnité de clientèle en faveur du premier. Tel n'est pas le cas en matière de représentation exclusive où le représentant vend les

42 ATF 134 li! 497, c. 4.2.1.

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biens en son propre nom et développe sa propre clientèle. C'est ce qui expliquait la réticence mise pendant longtemps à lui reconnaître un droit à une indemnité de clientèle. A tout le moins, telle était la vision classique que l'on avait du repré- sentant exclusif il y a quelques décennies. Le Tribunal fédéral le rappelle dans sa décision, se référant à sa jurisprudence ancienne43: l'archétype classique du représentant exclusif était «un commerçant indépendant, qui dirige son affaire selon son bon vouloir et se borne à acheter auprès de son cocontractant les produits qu'il vend pour son propre compte».

2. L'évolution des circonstances économiques

Or, les circonstances économiques et la nature des relations contractuelles ont changé, ce que la doctrine majoritaire a mis en évidence au cours des années. Les principales critiques de la doctrine contre 1 'ancienne jurisprudence consistaient essentiellement à remarquer ceci :

les principes sur lesquels la jurisprudence reposaient étaient trop fonnalistes en ce qu'ils se fondaient exclusivement sur la qualification du contrat (con- trat d'agence opposé au contrat de représentation exclusive), qualification incapable de restituer dans le détail la véritables économie du contrat liant les parties ;

la jurisprudence méconnaissait le pouvoir attractif de la marque qui fait que la clientèle, après la fin du contrat, reste le plus souvent attachée plus à cette dernière et, partant, au concédant qu'au représentant;

on n'avait pas suffisamment pris en compte le fait que le représentant exclu- sif, en sa qualité d'indépendant exposé à tous les aléas de la vie des affaires, court plus de risques que l'agent ;

il y a avait lieu de tenir compte de l'évolution actuelle de la vie des affaires qui voit se développer des systèmes d'intégration verticale toujours plus poussés dans la distribution.

Sur la base de ces constats, les conclusions auxquelles la doctrine parvenait étai- ent alors les suivantes :

43 44

le principe de l'octroi d'une indemnité de clientèle au représentant exclusif doit être admis44 ;

les conditions auxquelles l'octroi de l'indemnité est soumis ne sont pas stric- tement définies ;

ATF 88 II 169 c. 7.

FOUNTOULAKIS, 224, critique le fait que le Tribunal fédéral n'accorde le droit à

!'.indemnité que si le représentant est exclusif. Elle relève que les juges n'ont pas réelle- ment mis en évidence ce qui justifiait cette limitation. Ce qui est déterminant selon elle, c'est la dépendance du représentant par rapport au concédant, particulièrement lorsque ce dernier a un droit d'instruction.

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un droit à une indemnité doit être reconnu au représentant exclusif à tout le moins lorsque sa situation est économiquement comparable à celle de l'a- gent.

3. Les analogies entre l'agent et le représentant exclusif

Le Tribunal fédéral a décidé de franchir le pas et de suivre la doctrine majori- taire, considérant que les principes dégagés dans sa décision antérieure, vieille de plus de quarante ans, ne pouvaient plus être maintenus. On retiendra de la déci- sion du Tribunal fédéral les éléments saillants suivants :

il n'y a pas dans la loi un silence qualifié qui interdirait qu'une indemnité ne soit octroyée au représentant exclusif; ·

la variété des situations de fait et celle de l'équilibre des relations contrac- tuelles sont telles qu'il n'est pas possible de donner une réponse dogmatique qui conviendrait à tous les contrats de représentation exclusive ;

le caractère exceptionnel de la norme dans le système du Code des obliga- tions, caractère qui avait été mis en évidence par le Tribunal fédéral dans sa jurisprudence antérieure, ne fait pas obstacle à son application analogique à

d'autres situations contractuelles proches ;

la condition fondamentale de l'analogie réside essentiellement dans la situa- tion du représentant exclusif qui doit être économiquement si proche de celle de l'agent qu'elle réclame un traitement identique;

l'indemnité dépendra ainsi toujours des circonstances du cas concret, parti- culièrement de la question de savoir si le représentant exclusif se trouvait dans la dépendance du concédant ;

l'indemnité doit être équitable si on la considère du point de vue du repré- sentant, particulièrement parce qu'il a contribué au développement de la no- toriété de la marque, développement dont il ne profitera pas une fois le con- trat terminé ;

l'article 418u CO est une disposition impérative dont l'agent bénéficie quel que soit le contenu de la convention qui le lie au mandant. L'application ana- logique de cette disposition au représentant exclusif n'en supprime pas le ca- ractère impératif: dès l'instant que les conditions de l'analogie sont réunies, l'art. 418u CO s'applique dans tout son contenu, y compris donc l'interdiction qui y est faite aux parties d'y déroger.

4. Les circonstances concrètes fondant l'analogie

Cette modification de jurisprudence repose, on l'a vu, sur les changements qui ont affecté la vie des affaires depuis des décennies. De plus en plus souvent, le concédant se réserve un droit de contrôle très large et oblige le représentant à s'intégrer dans son organisation de vente, à le renseigner ou à lui céder son fonds de clientèle à la fin du contrat. Parmi les circonstances que l'on rencontre au-

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jourd'hui fréquemment dans la pratique contractuelle et qui_ peuvent jouer u'lrôle dans la reconnaissance de l'analogie entre la situation de l'agent et celle du re- présentant exclusif, le Tribunal fédéral retient les clauses suivantes :

Le contrat dispose que le concédant doit approuver les nouveaux points de vente du représentant. Ce dernier n'est donc pas libre d'organiser son activi- té contractuelle comme il l'entend afin de parvenir à exécuter le contrat. Ses points de vente sont dans une large mesure destinés à satisfaire les exigences particulières du concédant et de sa clientèle.

Le représentant à une obligation d'achats minimums : son activité s'inscrit dans le budget de développement de la société qu'il représente.

Le représentant doit consacrer un budget déterminé à des démarches publici- taires. Cette activité, qui doit être développée indépendamment de la ques- tion de savoir si le représentant réussit ou non à atteindre les objectifs contractuels, participe clairement à la promotion de la marque ou des pro- duits du concédant.

De la même façon, l'obligation faite au représentant de maintenir un certain stock s'inscrit dans la politique commerciale du concédant qui entend, no- tamment, s'assurer par-là que sa clientèle sera servie dans des délais et d'une manière compatible avec l'image qu'il entend donner de lui-même. Il entend également se prémunir contre la fuite de la clientèle vers d'autres marques qu'une rupture de stock de ses produits pourrait engendrer.

L'obligation de fournir des rapports mensuels sur les ventes et les activités des concurrents est une autre des contraintes contractuelles faites au repré- sentant destinées à permettre au concédant de contrôler le développement de sa ou ses marques sur le marché dans lequel le représentant a l'exclusivité.

L'obligation de tenir ses livres et registres ouverts au concédant permet à ce dernier de contrôler le développement de ses produits sous la conduite du re- présentant exclusif et lui confère ainsi une position presque similaire à celle d'un supérieur hiérarchique au sein d'un groupe de sociétés.

L'obligation de communication périodique au concédant de la liste des clients du représentant exclusif est celle qui justifie de manière la plus évi- dente l'indemnité de clientèle. Elle parachève le système contractuel mis en place qui permet au concédant de profiter de l'activité de développement de ses marques par le représentant eJtclusif. Elle lui permettra, au terme du con- trat, de s'approprier la clientèle pour travailler avec elle, soit directement soit par l'intermédiaire d'un nouveau représentant exclusif.

L'examen du cas concret englobe encore une autre vérification, soit celle du type de clientèle à laquelle l'on a affaire. JI faut en effet distinguer les deux clientèles suivantes:

la clientèle personnelle, soit celle qui est liée au représentant ;

la clientèle réelle, soit celle qui se forme autour d'une marque et, par consé- quent, essentiellement autour du concédant.

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Alors que la premièrerestera largement acquise au représentant exclusif après la fin 'du contrat, tel n'est pas le cas de la seconde qui aura tendance à continuer à acheter la même marque, qui qu'en soit le vendeur. Par conséquent, lorsque l'intermédiaire a constitué une clientèle réelle, on doit retenir que les conditions posées par l'art. 418u CO seront presque toujours remplies.

VII. Conclusion

Le contrat de distribution exclusive est l'une des conventions essentielles de la vie des affaires. Il n'en n'est pas moins un contrat innommé, le législateur lais- sant à la pratique et aux tribunaux le soin d'en dessiner les contours.

Les formes sous lesquelles ce contrat apparaît sont extrêmement variées, les obligations des parties, particulièrement celles du représentant exclusif, n'étant de loin pas façonnées dans un moule unique. Quelle que soit l'importance prati- que du contrat de représentation exclusive, la jurisprudence rendue en la matière n'est pas abondante. Il faut sans doute en chercher la raison dans le fait qu'un grand nombre des contrats de représentation exclusive comportent des clauses d'arbitrage, faisant échapper les litiges à l'empire des juridictions étatiques et les décisions aux collections officielles d'arrêts.

Les deux décisions analysées ci-dessus ont certes franchi un pas important, en tranchant deux points largement débattus : la résiliation injustifiée ne met pas fin au contrat d'une part ; le représentant exclusif peut prétendre, selon les circons- tances du cas d'espèce, à une indemnité de clientèle d'autre part.

Restent les zones d'ombre: premièrement, la question de savoir si la résiliation immédiate injustifiée peut être tenue pour une résiliation ordinaire. Deuxième- ment, le Tribunal fédéral a pris soin de souligner qu'en matière d'indemnité de clientèle au représentant exclusif, il ne pouvait donner une réponse dogmatique et que, seules les circonstances du cas d'espèce étaient déterminantes. Une avan- cée certes, mais également un risque d'une certaine insécurité juridique.

Enfin, la notion de justes motifs n'a pas donné lieu récemment à des développe- ments significatifs concernant la définition spécifique qu'il fallait en retenir dans le cadre du contrat de représentation exclusive. L'enseignement de la riche juris- prudence du droit du travail trouve en effet ses limites dans la dissemblance des enjeux et des questions économiques qui séparent les deux types de contrat. En particulier, les conséquences de la création de grandes groupes de distribution, par le biais d'acquisition et de restructuration d'entreprises, n'a pas donné lieu à des décisions appréciant les conséquences des ces changements sur les contrats en cours. Seule les prévisions contractuelles des parties ont aujourd'hui la mis- sion de régler les conséquences de tels événements.

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