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6 avril 2011actualité, info
: depuis le début de l’année des factures restent en rade.
Les assurances maladie ne veulent pas prendre à leur charge douze mi- en marge
Freud (Sigmund) avait (comme toujours) raison : se méfier comme de la peste des psychanalystes, capables de tout, coupables de rien. Et, par définition, jamais où on les attend. Prenons le cas de Jean-Bertrand Pontalis. L’homme est responsable, à lui seul, d’une vingtaine d’ouvrages dont un certain «Après Freud» publié en 1968 ; sans parler (avec Jean Laplan che) du «Vocabulaire de la psychanalyse» (1967). J.-B. Ponta- lis, «figure marquante de la vie intellectuelle, littéraire, psychana- lytique», «éveilleur de conscience»
et qui, à ce titre, se fait une joie de publier sans faire de distinctions entre les genres mariant psychana- lyse et littérature. J.-B. Pontalis (15 janvier 1924), philosophe, psy- cha nalyste, éditeur qui écrivit un jour : «Privé de la lecture, je serais réduit à n’être que ce que je suis.»
Et J.-B. Pontalis aujourd’hui, à nouveau, en devanture des librai- ries francophones. Il y trône avec un ouvrage ouvertement consacré aux crimes croisant les jours qui passent.1 Derrière la vitrine, ce
sont 179 pages, petit format, trente chapitres et l’assurance d’une somme infinie de bonheurs de lecture ; un ouvrage signé par un psychanalyste qui a choisi de ne pas être docteur en médecine alors qu’il se rêve à haute et intel- ligible voix médecin légiste. Une forme, tout bien pesé, de Maigret au carré.
Précaution de langage : l’auteur parle bien de crime, un concept à géométrie hautement variable. Le crime ne saurait être réduit au meurtre, à l’homicide, à l’assassi- nat, ce meurtre prémédité. Et J.-B.
Pontalis (études secondaires au lycée Pasteur de Paris ; supé- rieures à Henri-IV avant la Sor- bonne ; diplôme (1945) d’études supérieures en philosophie avec un travail sur Spinoza ; élève de Jean-Paul Sartre ; disciple et dissi- dent de Lacan) nous éclaire. Le mot vient du latin crimen qui ren- voie non pas au geste lui-même mais bien à l’accusation à laquelle il donne lieu. En d’autres termes, c’est l’accusation qui définit l’acte.
On peut le dire autrement : est criminel celui que la loi désigne comme tel. C’est certes là une vieille histoire, bien connue d’Anti gone ; mais une histoire qui mérite d’être rappelée. Combien sommes-nous à nous souvenir (en France et ailleurs) que le viol (quand il n’était pas suivi du meurtre-assassinat de la victime) était considéré comme un simple délit. Et ne parlons pas de la
«séques tration prolongée» ou des pratiques pédophiles. D’autres temps renvoient, comme chacun sait, à des mœurs qui sont autres.
Avec cette exception moderne qui veut parfois, que la justice décide d’un «non-lieu» (la belle formule) quand le discernement du meur- trier-criminel est «aboli» ; sans évoquer ce que peut bien être un
«crime de guerre» dès lors que l’on peut soutenir que toute guerre est «criminelle» comme peuvent – parfois – le rapporter les «reporters de guerre», carnet en poche, caméra au bras, micro- phone en main.
Les crimes et la presse, c’est préci- sément l’objet de cet ouvrage qui se penche sur le «fait divers», ce concept charbonneux qui nourri(ssai)t les fourneaux média- tiques. Ainsi cette savoureuse défini tion de Pierre Larousse :
«Le rédacteur chargé dans chaque journal de ce qu’on est convenu d’appeler la cuisine doit apporter une attention toute particulière à la confection des faits divers, sortes de beurre et radis (qu’on nous passe l’expression) du repas quotidien, parfois un peu fade, servi à des lecteurs passablement blasés. S’il ne sait pas raconter avec précision un assassinat, il est perdu.» «Rien n’est plus beau que la vérité sinon un fait divers joli- ment raconté» écrivait en écho, au début des années 1980 dans une colonne du Monde, Jean-Pierre Quélin lui qui, aux heures finis- santes du plomb de la rue des Ita- liens, savait mieux que d’autres nous dire ce que cette cuisine pouvait signifier.
Jean-Bertrand Pontalis nous offre donc un livre sur le crime, lui qui jamais ne lit de «polar» ; à l’excep- tion de certains Simenon (Liège, 1903 – Lausanne, 1989) «qui ne relè vent pas du genre », des ro-
mans de Patricia Highsmith (Fort Worth, Texas 1921 – Locarno, Suisse 1995) ; ainsi que de quelques
«Série noire» comme LaReinedes
pommes «quand c’est la descrip- tion d’un milieu plus que l’intri- gue qui l’emporte». Savoureux
livre sur le crime, en dépit des défi nitions juridiques, qui ne fait pas l’économie d’une réflexion sur la mélancolie, la bile noire et les quelques méthodes dont dis- pose l’homme pour conjurer sa propre mise à mort.
Jour de crime, crime du jour
… est criminel celui que la loi désigne comme tel …
Source : Wikipedia/The York Project
Paul Cézanne (1839–1906)
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6 avril 2011783
1 Pontalis JB. Un jour, le crime. Paris : Edi- tions Gallimard, collection nrf, 2011.
ISBN : 978-2-07-013276-8.
: ça prendrait énormément de temps, sans garantie que les EMS soient remboursés un jour. Surtout que l’avis de droit pourrait être suivi de recours devant les tribunaux.
Magalie Goumaz Le Matin du 27 mars 2011 Les moyens, nous confie l’auteur,
ne manquent pas. Il n’en liste pourtant, hasard ou fatalité, que treize. Les voici :
1. Multiplier les activités afin de ne laisser aucune place au temps mort : courir toute sorte de risques mettant notre vie en péril ou, à l’inverse, se tenir prudemment à l’abri, au risque, cette fois, de n’être plus qu’un mort vivant ; 2. Se saouler à mort ;
3. Recourir aux paradis artificiels pour s’y dissoudre et arrêter le Temps, ou à des excitants pour l’accélérer – ce sont deux façons d’essayer de la maîtriser ; 4. Occuper des positions de pou- voir pour défier le maître absolu qu’est la mort ;
5. Accumuler de l’argent, toujours plus, pour dominer les autres et se faire croire qu’on est invulnérable ; 6. Conquérir une femme après une autre, histoire de se prouver qu’on existe et qu’on est irrésis- tible ;
7. Se convertir à une religion qui promet l’immortalité ;
8. Ecrire des livres dans l’illusion qu’au moins eux survivront quelque temps, un tout petit peu de temps, à notre disparition ; 9. Faire des enfants qui réussis- sent là où nous avons échoué et qui, avec un peu de chance, se souvien dront de nous ;
10. Seprendre de passion pour la généalogie qui atteste notre ins- cription dans une lignée et, si néces saire, s’en inventer une presti gieuse ;
11. Collectionner des œuvres d’art, des affiches ou des timbres rares, venus de régions exotiques, de nations disparues, oblitérés loin dans le temps, ou de vieilles boîtes d’allumettes, n’importe quoi, pourvu que cela soit conservé, protégé, éventuellement légué ; 12. Perdre d’énormes sommes d’argent au casino avec l’espoir de les récupérer en mieux, preuve que rien n’est irréversible, et c’est
alors un pied de nez adressé au Temps ;
13. S’acheter une maison en mau- vais état, la «retaper», ce sera pour les enfants, plus tard, tout en redoutant que, plutôt que de s’enterrer au fin fond de la Creuse, ils ne préfèrent s’aventu- rer dans des pays lointains.
Quelques limiers dénués de fines se feront remarquer que les proposi- tions 2 et 6 semblent a priori incom patibles ; quoique. Les rares agences immobilières creusoises porteront bientôt plainte avant que les agnostiques n’interrogent le psychanalyste sur les raisons véritables qui le font qualifier d’«artificiels» certains «paradis»
postulant que d’autres pourraient naturellement exister. Et nous ferons bien évidemment ici l’éco- nomie des réactions, pour la sixiè- me proposition.
Mais il faut vite dépasser tout cela
pour entrer dans le cimetière par procuration dont J.-B. Pontalis nous ouvre les portes. Cimetière avec ou sans tombe où l’innom- mée voisine avec l’innommable.
Nulle tombe, ici, pour l’enfant de sexe féminin – mort autant que né – issu «des œuvres» de Guy Desno yers (1920-2010), curé d’Uruffe. Aucune trace de la
«conférence» tenue en la villa Marlier, le 20 janvier 1942, non loin de Berlin. Une «conférence»
voulue par Göring, destinée à accé lérer l’obtention de la Solution finale au terme de laquelle (le fait est avéré) on servit du cognac.
Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com
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