• Aucun résultat trouvé

les cahiers de la cohésioN sociale

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "les cahiers de la cohésioN sociale"

Copied!
31
0
0

Texte intégral

(1)

Relations sociales

& engagements

au sein du «99» à genève

étude ethnographique d’un espace de quartier:

Laurence ossipow etdavid Bozzini

N°1

les cahiers

de la cohésioN sociale

(2)

le « 99 » au cœuR

de la cohésion sociale

esther Alder

Conseillère administrative

La Ville de Genève poursuit un triple objectif en matière d’information.

Elle vise non seulement à rendre compte de ses activités et à donner des informations sur les prestations qu’elle délivre à la population, mais aussi à diffuser du savoir. L’étude ethnographique sur l’Espace de quartier « Le 99 » que vous tenez entre les mains relève clairement du troisième objectif.

En commandant cette recherche à deux anthropologues, la Ville a cherché à mieux comprendre le fonctionnement de cet espace de quartier, les interactions qui s’y déroulent et l’engagement qu’il suscite.

L’étude de Laurence Ossipow et David Bozzini démontre que le « 99 » constitue un lieu essentiel du quartier de l’Europe. Cet Espace de quartier fonctionne à la grande satisfaction de ses bénéficiaires et des professionnel-le-s qui y travaillent. Il contribue notamment à apaiser et pacifier le quartier. Les interlocutrices et interlocuteurs des deux chercheurs font état d’une diminution notable de l’insécurité et de l’agressivité depuis l’ouverture du « 99 ».

C’est à la fois réjouissant et encourageant. Réjouissant, parce que le

« 99 » prouve qu’il y a d’autres choix possibles que la répression et le tout sécuritaire pour améliorer la qualité de vie de la population d’un quartier. Et encourageant, parce que la participation et l’engagement que suscite le « 99 » indique que la Ville est sur la bonne voie en soutenant la création et le fonctionnement de tels espaces de quartier.

Je souhaite longue vie au 99 !

(3)

Les Espaces de quartier sont de nouvelles institutions soutenues par la Ville de Genève.

Leur configuration est variable car ils répondent aux besoins et aux particularités de quartiers différents. Employées par la Ville, les permanentes coordonnent et facilitent le travail des associations, tiennent le bâtiment et prennent les réservations des salles destinées aux usagères et aux usagers. Au-delà de ces tâches, elles répondent également à toutes sortes de besoins et soutiennent les habitantes et les habitants du quartier avec qui elles sont en contact.

Les usagères et les usagers favorisent des formes d’activités gratuites et sans inscription (cours gratuit, accueil libre). Les réservations de salles répondent à un besoin très important, mais une telle opportunité crée également des frictions et des jalousies. En contrepartie d’une réservation (gratuite), l’habitante ou l’habitant est tenu de rendre un service, s’agissant généralement de la confection d’un mets que d’autres consommeront. Ce contrat permet d’instiguer un don indirect et symbolique entre des personnes qui découvrent par là même de nouvelles cuisines ou recettes.

Les activités focalisent largement sur les enfants et les jeunes. Elles comprennent des activités calendaires devenues rituelles comme La Terrasse ou L’Abri qui sont également des tremplins pour les ados, un premier contact avec le monde du travail, un apprentissage des civilités.

Résumé

en BRef

Le respect est décliné dans une myriade de contextes et de significations et représente une valeur-phare au sein des activités et des interactions. Chaque événement ou fête est l’occasion de convier de nouvelles personnes à participer aux activités proposées au sein du « 99 ». Les liens entre les habitantes et les habitants se tissent avant tout par l’entremise des enfants et l’Espace de quartier fonctionne par contagion : on y entre pour réserver une salle ou manger un repas le mardi soir et plus tard, les habitué-e-s s’essayeront à d’autres activités ou deviendront d’indispensables bénévoles lors d’un événement. Les associations collaborent entre elles, mais le travail de coordination et de facilitation des permanentes est crucial à ce titre. L’Espace de quartier du « 99 » n’est pas cantonné dans son immeuble. Il instaure au contraire une multitude de ramifications avec d’autres actrices et acteurs sociaux, ailleurs en ville ou sur d’autres continents. Le « 99 » sert de plateforme aux liens sociaux, il apaise certaines tensions et induit de nouvelles dynamiques. Si la demande d’activités pour les enfants est grande, l’Espace associatif gagnerait à promouvoir des solidarités entre adultes en cherchant de nouveaux points d’accrochage.

Laurence Ossipov

et David Bozzini, décembre 2013

(4)

1. le 99 au cœuR de l’euRope 2. la peRmanence, pRincipe et

ossatuRe de l’espace de quaRtieR 3. l’appel à pRojet et les associations 4. la « location » de salles

5. moments et événements capitaux

L’Abri La Terrasse Le repas du 99

La fête du printemps, Noël et l’Aïd La Villa Yoyo

La Ville est à vous

6. Ramifications

7. le 99, fouRRe-tout ou plaque touRnante ? 8. les enfants et les « mamans »

9. « les jeunes »

10. le 99, une ouveRtuRe dans la foRteResse 11. notes suR la méthodologie de l’enquête 12. BiBliogRaphie

8

12 14 18 24

36 40 42 48 52 56 58

sommaiRe

(5)

a

Genève, l’Espace de quartier « le 99 » est établi au 99 rue de Lyon et fait partie intégrante de la Promenade de l’Europe (parfois élevée au rang de « quartier de l’Europe ») située dans le quartier des Charmilles. Le 99 est un bâtiment qui ferme symboliquement et presque concrètement le carré formé par deux séries d’immeubles, une école et un centre commercial. Si l’ensemble peut paraître une forteresse ou un ensemble protégé (« de par la configuration, c’est un peu fermé, protégé et du coup tout le monde se connaît » explique une travailleuse sociale), il n’est pas un ghetto pour ses habitant-e-s. « Ce n’est pas Chicago et ses gangs, contrairement à ce qu’avait titré une fois un journal gratuit » affirme l’une des permanentes qui coordonnent les activités de l’Espace de quartier.

La Promenade de l’europe (au centre l’école de l’europe et le 99)

Avec l’Ecole et le centre commercial, le 99 constitue un lieu essentiel du quartier. Il est géré par une équipe de trois permanentes installées dans un petit bureau vitré d’où elles peuvent saluer les passant-e-s tout en s’occupant à préparer les futurs événements et à gérer le prêt de salles. Mais comment ce grand immeuble de quartier fonctionne-t-il ? Quelles sont ses spécificités ? Quelles dynamiques sociales favorise- t-il dans le quartier ? En quoi se distingue-t-il d’une maison de quartier ? A quoi sert- il ? Quelles questions son fonctionnement ne résout-il pas ? C’est à cet ensemble de questions que nous tenterons de répondre sur la base d’une enquête ethnographique qui a duré quatre mois et repose sur des moments d’observations participantes

1. Le 99 au cœur de L’europe

le 99 au cœuR 1

de l’euRope

L’Espace de quartier Le «99» est une institution de la Ville de Genève mais le projet institutionnel lui-même tend à rendre cette affiliation peu lisible.

(6)

(l’essentiel ayant été fait par David Bozzini), des entretiens formels (enregistrés et retranscrits), des entretiens informels et de l’analyse de documents.

Le 99, animé d’une énergie considérable, du sous-sol jusqu’aux combles, se compose d’un bureau des permanent-e-s, de plusieurs salles disponibles pour les habitant-e-s, de bureaux utilisés collectivement par des associations qui proposent toutes sortes d’activités, d’un restaurant scolaire et d’une crèche. L’Espace de quartier est occupé tous les jours de la semaine par les associations et les services de la Ville qui proposent une vaste palette d’activités ; les week-ends sont destinés aux événements privés des habitant-e-s qui ont réservé bien à l’avance l’une des quatre salles mises à leur disposition. Durant l’année, environ 35’000 personnes fréquentent cet espace. Utilisé en semaine comme le week-end, en journée comme le soir, le 99 vit également au rythme des saisons, des fêtes calendaires et des vacances scolaires.

Il est important de noter que l’Espace de quartier est une institution de la Ville de Genève (désormais inscrit au Département de la cohésion sociale et de la solidarité) mais que le projet institutionnel lui-même tend à rendre cette affiliation relativement peu visible. Les permanentes représentent en quelque sorte la passerelle entre le Département et les actions et associations locales. Malgré la « présence-absence » de la Ville au 99, le rattachement institutionnel est toutefois bien en vue sur la façade du bâtiment juste à côté de l’entrée principale. Cette évanescence de la présence et de l’intervention de la Ville dans la réalité quotidienne du lieu est toutefois suspendue à certains moments. Dans l’expérience de nos interlocutrices et interlocuteurs, la Ville a pris par exemple une réalité beaucoup plus significative lorsqu’il a été question d’intégrer une Villa Yoyo dans l’Espace de quartier (voir plus loin). ■

1. Le 99 au cœur de L’europe

(7)

l

e 99 n’est pas une maison de quartier. Trois permanentes sont au service des habitant-e-s et des associations qui proposent des activités. Ces permanentes, émanant de divers univers de formation (une comédienne, une psychologue et une travailleuse sociale) sont des organisatrices, des coordinatrices, des hôtesses, des gestionnaires, des personnes attentives au bon fonctionnement de la maison. Pivots entre les habitant-e-s, les associations et les services de la Ville, elles conseillent et accompagnent les nouveaux arrivant-e-s, elles encouragent les initiatives et participent à leur réalisation. Elles suggèrent aussi de nouveaux partenariats et de nouveaux projets aux associations qui gravitent autour de l’Espace de quartier. Si elles sont l’âme de la Maison, elles ne sont toutefois pas des animatrices. Ce ne sont pas non plus de simples concierges, même si elles passent beaucoup de leur temps à ouvrir des portes, distribuer des clefs, vérifier que tout soit propre et en ordre.

Notamment chargées d’attribuer les salles et bureaux de l’immeuble aux associations qui s’inscrivent sur la base d’un appel à projets dûment évalué et aux habitant-e-s du quartier, elles ont mis en place un habile système de prêt et de contreparties qui permet, comme on le verra, d’initier d’autres prestations et de faire - au moins symboliquement - connaissance les un-e-s avec les autres.

Le bureau des permanentes

2. La permanence, principe et ossature de L’espace de quartier

la peRmanence, 2

pRincipe & ossatuRe de l’espace de

quaRtieR

La Permanence a mis en place un habile système de prêts et de contreparties qui permet d’initier d’autres prestations.

(8)

d

urant la semaine, les salles libres du 99 (situées au rez-de-chaussée et au deuxième étage ; le premier étant uniquement réservé à la crèche) sont occupées par diverses associations ou groupes d’habitant-e-s ayant déposé des projets. Plus d’une trentaine ont répondu à l’appel à projets en 2013. Ces projets sont variés et peuvent aussi bien concerner des associations fonctionnant sur l’entre- soi (entre migrant-e-s ; par exemple l’association de danse albanaise, celle de danse bolivienne, celle de rencontre entre enfants et adultes « de culture japonaise ») des associations s’articulant avant tout sur une activité plus générique ou « universelle » (soutien psychologique, accueil enfants-parents, par exemple). Les unes ne sont pas plus exemplaires que les autres. De nombreuses recherches anthropologiques ont en effet montré que l’entre-soi (entre autres Bolzman, Fibbi, Valente 1992 ; Ossipow, Waldis 2002a, 2002b ; Ossipow 2011 ; Lavanchy, Dervin, Gajardo 2011) pouvait consister un tremplin vers une intégration toujours en train de se faire. Certaines associations jouent un rôle informatif (la consultation juridique par exemple), d’autres sont davantage récréatives (Jeudi pour tous, Petits débrouillards). D’autres encore ont des ambitions artistiques, sportives (éveil musical, ateliers corporels, yoga, Pilates, cours d’origami, studio d’enregistrement), ou éducatives (comme l’association Anjali qui est au service des enfants du quartier souhaitant une aide pour effectuer leurs devoirs ou dans certains apprentissages scolaires et l’Atelier lecture de bénévoles travaillant avec l’Ecole de l’Europe). Ces associations rassemblent tantôt des enfants avec des adultes, tantôt seulement des jeunes ou des adultes. La plupart sont mixtes, même si la part des associations rassemblant des femmes entre elles est importante (nous y reviendrons).

Ces associations n’émanent pas nécessairement du quartier, mais elles doivent s’inscrire dans une démarche locale, participer aux événements organisés au 99 tout au long de l’année et proposer leurs activités aux habitantes et habitants de la Promenade de l’Europe. L’ouverture à des associations provenant d’autres quartiers témoigne de la richesse des activités proposées au 99 et contribue aussi à dé-stigmatiser le lieu parfois considéré à tort comme un ghetto. Ainsi, les activités proposées font découvrir le 99 à des habitant-e-s d’autres quartiers qui reconnaissent n’avoir « pas d’autres raisons de venir dans ce coin de la ville ». Ces personnes s’aperçoivent alors que le 99 n’est pas réservé aux habitant-e-s de l’îlot et que c’est un lieu ouvert et accueillant.

Cette ouverture n’est toutefois pas toujours ressentie comme un avantage par les habitant-e-s de l’îlot. Pour certaines personnes interrogées cette présence de non- résident-e-s atteste parfois que « le 99 n’est plus aux gens du quartier » et renforce leur perception que le lieu d’abord destiné aux habitant-e-s a perdu sa vocation première. Si cette perception nous semble largement biaisée, il ne faut toutefois pas l’écarter d’emblée : d’une part, un certain nombre d’activités payantes organisées par

3. L’appeL à projet et Les associations

l’appel à pRojet 3

et les associations

Venir au « 99 » et franchir le seuil de l’Espace de quartier est une démarche qui s’appuie sur des liens pré-existants.

(9)

des associations du 99 draine principalement des non-résident-e-s1 et d’autre part, elle traduit peut-être un malaise plus général qui s’articule sur d’autres dynamiques actuelles dans le quartier (notamment de gentrification, et des perceptions relatives à la réservation des salles le week-end2).

Le tableau des activités proposées par les associations à l’entrée du 99

Les associations doivent une contre-prestation au même titre que les habitant-e-s qui utilisent les salles. Pour elles, il s’agit avant tout de s’engager collectivement lors d’un événement (comme pour le centre aéré l’Abri notamment) ou d’une fête (Noël).

Ce faisant, les membres des différentes associations se rencontrent et s’organisent collectivement pour peut-être ensuite imaginer d’autres formes de collaborations plus durables. C’est l’un des rôles également du Conseil de Maison qui se tient quatre fois par année.

Notre enquête montre que les nouveaux participant-e-s aux activités proposées par les associations ont généralement pris connaissance de ces activités parce qu’elles et ils y participaient ailleurs auparavant ou que des proches, ami-e-s généralement, les ont incités à se joindre à un cours ou un événement. Ainsi, la plupart du temps, venir au 99 et franchir le seuil de l’Espace de quartier est une démarche partagée qui

3. L’appeL à projet et Les associations 3. L’appeL à projet et Les associations

nécessite et s’appuie sur des liens sociaux pré-existants. Or, ces liens ne se réfèrent pas toujours à des liens entre participant-e-s puisque comme le remarquait un membre d’une association : « si aujourd’hui le 99 est reconnu c’est parce qu’on vient aussi parce qu’on connaît Barbara ou parce qu’on connaît Emilie [deux des trois permanentes]. ».

Franchir le seuil du 99 n’est pas toujours chose aisée et la participation des habitant- e-s de l’îlot à des activités proposées par certaines associations est parfois limitée, voire inexistante. Cette faible participation constitue un problème pour la réputation du 99. Il s’agirait donc de réfléchir aux différents modes d’incitation qui pourraient être mis en place. Nos observations permettent de penser que le mode de participation proposé par les associations ne convient pas à des habitant-e-s plus habitué-e-s à des formes d’accueil libre (qui ne requiert pas d’inscription ni de suivi des activités sur le long terme) et gratuit. Il s’agit toujours d’activités spécifiques, payantes et parfois encore peu connues du grand public. Il faudrait donc multiplier les formes d’information et d’incitation. Une information spécifique et des invitations incitatives (une série de cours gratuits, des « démos » dans le square durant l’été ?) devraient être proposées aux habitant-e-s de l’îlot, peut-être en lieu et place d’autres échanges. ■

1. Nous n’avons pas effectué de statistique précise mais cette évaluation tient compte des réponses que nous avons collectées de plusieurs membres et professeur-e-s des associations de l’appel à projet.

2. Voir section suivante

(10)

s

i la semaine les salles appartiennent aux associations qui ont été retenues suite à l’appel à projet, le week-end elles sont proposées aux habitant-e-s d’un périmètre défini3 qui peuvent les réserver pour célébrer un anniversaire d’enfant ou d’adulte, un mariage, un Baby shower, un recueillement lors d’un décès, un baptême, ou organiser la fête d’une collectivité… La mise à disposition des salles représente un élément clé et fondamental du 99 : “La première raison pour laquelle les habitant-e-s franchissent le seuil c’est les réservations de salles,” comme le souligne l’une des permanentes.

La demande de salles est très importante et nécessite de s’y prendre trois mois à l’avance pour avoir les meilleures chances d’obtenir l’une des quatre salles à la date souhaitée. Les premières permanences du mois sont consacrées à ces réservations et la file de personnes qui se pressent au guichet est considérable. Prévoir à l’avance et patience sont ainsi des prérequis pour obtenir une réservation.

Si la mise à disposition de salles répond à un besoin important qui est généralement salué par toutes et tous, il faut remarquer qu’un tel succès induit également des malentendus et des frictions qui ne sont pas sans importance. D’une part, les plaintes relatives au bruit le week-end semblent se concentrer sur une communauté particulière.

Lors de notre enquête les plaintes des habitants se focalisaient essentiellement sur les fêtes organisées par un groupe d’une communauté d’Amérique du sud. Dans le passé, un groupe d’une nationalité africaine faisait l’objet de tels reproches. Nous ne sommes pas en mesure de reconnaître la réalité des causes de ces plaintes, mais nous pouvons néanmoins souligner qu’elles s’articulent essentiellement autour du critère d’origine nationale. Un autre critère de distinction apparaît à propos d’autres plaintes sérieuses à l’égard de la réservation des salles : l’appartenance au quartier.

En effet, de nombreux habitant-e-s se sont plaint-e-s de voir des personnes d’autres quartiers monopoliser les salles mises à disposition par les permanentes. C’est ici un autre critère géographique qui cristallise les reproches à l’égard de l’Espace de quartier : pour les habitant-e-s, les réservations ne permettent pas d’assurer que les salles du 99 soient disponibles uniquement pour les gens du quartier. Si un périmètre géographique délimite l’accès aux salles, la stratégie du prête-nom représente une stratégie pour qu’un-e habitant-e d’un autre quartier obtienne la réservation d’une salle. A nouveau ici, des groupes nationaux sont particulièrement montrés du doigt, mais de telles accusations restent temporaires et changent selon les années.

4. La « Location » de saLLes

la « location » 4

de salles

La Maison fonctionne par l’exemple et la contagion et cela prend du temps.

3. Le périmètre va de l’avenue d’Aïre à la rue de Bourgogne, le parc Geisendorf marque une frontière et s’étend aussi vers le Rhône jusqu’à l’avenue du Devin-du Village et l’avenue des Tilleuls (voir la carte « secteur géographique pour le prêt de salle au 99 publiée dans le Journal de l’Europe No 16, septembre 2013, p. 7).

(11)

Hormis une caution, les responsables de tels événements privés n’ont rien à débourser, mais ils doivent fournir à l’avance une contrepartie qui prend souvent la forme d’un mets (entrée, plat principal, dessert) ou de biscuits, livrés à une occasion décidée par les permanentes lors de la réservation. Celles et ceux qui n’ont pas l’âme à devenir chef de cuisine peuvent rendre d’autres services, de vaisselle ou de nettoyage ou encore d’achats spécifiques. Les mets préparés sont servis à d’autres habitant-e-s lors des Repas du mardi, lors des fêtes, lors des réunions du Conseil de Maison.

Même si la métaphore du lien social est souvent éculée4, elle prend ici toute sa force, puisque certain-e-s habitant-e-s mangent ce que d’autres ont préparé pour elles et eux, apprenant dans la foulée de nouvelles recettes ou s’initiant à des nourritures typiques d’autres sociétés ou configurations familiales. Le poulet à la sri-lankaise n’a ainsi plus de secret pour cette vieille dame qui vient en retard au repas les mardis soirs, pour ce monsieur qui connaît tout le monde et prend des nouvelles d’autres habitant-e-s, pour cette mère de famille qui a longtemps vécu en Grèce ou pour cette jeune retraitée qui fait déguster des spécialités espagnoles (son pays d’origine) ou japonaises (à la suite d’un voyage dans ce pays).

Certain-e-s contre-prestataires ont également déployé des trésors d’imagination pour fabriquer des paniers de victuailles que les magasins les plus chics de la place pourraient mettre sans honte dans leur vitrine. Ces paniers sont mis en jeu lors du loto qui rassemble les mères, les pères et les proches des enfants qui ont participé à une semaine d’activités organisées durant les vacances d’automne et de février (voir plus loin l’Abri). A nouveau la relation sociale s’incarne dans un objet qui passe d’une main à l’autre puisque certain-e-s habitant-e-s gagneront ce que d’autres auront confectionné avec soin. Ce constat fait écho à de nombreuses études qui démontrent l’importance cruciale que la cuisine et les objets ont dans les rapports sociaux5. En fait, le 99 est un lieu d’hospitalité dans lequel les hôtes et hôtesses sont tantôt les permanentes, tantôt les habitant-e-s en personne. Ainsi des enfants, des « mamans » (parfois des pères), des jeunes et des personnes d’un certain âge se croisent ou sont

4. La « Location » de saLLes 4. La « Location » de saLLes

liés par des liens de services, de convivialité et de commensalité. Elles et ils savent que d’autres habitant-e-s du quartier ont préparé les mets consommés ou ont participé à l’organisation d’un évènement qui les rassemblent. Ce système de contreparties ne relève pas à proprement parler d’un cycle de dons et contre-dons qui s’inscrivent dans un échange librement obligatoire. Il est contractuel6 puisque le retour est exigible et

« généralisé » au sens où la contrepartie n’est pas rendue directement à ceux qui ont initié l’échange.

Les fameux paniers garnis, contre-prestations pour le loto du centre aéré l’Abri

4. Elle est utlisée comme un impensé et/ou comme une expression d’emblée positive dans le travail social qui réfère ce faisant à la façon dont Emile Durkheim le définissait. C’est pour cette raison que certain-e-s chercheur-e-s comme Serge Paugam (2011) proposent d’utiliser de préférence l’expression « liens sociaux » au pluriel qui ne préjugent pas à l’avance de la teneur de ces relations. Pour notre part, nous utilisons, sauf précision, celle de « relations sociales » qui a l’avantage de ne pas être quasi pléonastique comme les deux premières.

5. Voir Marcel Mauss (2001 [1923] : 174-194 et 194-227) sur les échanges de type kula ou potlatch.

Lire aussi Ossipow, Lambelet, Csupor (2008) pour voir les différents objets et ressources échangés dans le cadre de l’aide sociale. Sur le pouvoir des objets dans les interactions sociales et sur des trajectoires historiques voir Bozzini (2003).

6. C’est Alain Testart (2001) qui discute la notion de don et contre-dons élaborée par le très célèbre anthropologue français Marcel Mauss. Pour Testart, lorsqu’une chose ou un service peut être exigé en retour d’un prêt ou d’un don, au lieu d’être plus ou moins « naturellement » rendu, il ne s’agit pas d’un contre-don mais d’un échange plus ou moins contractualisé dans lequel le lien établi entre les bénéficiaires est au moins aussi important que les éléments échangés.

Il en va de même dans un lien contractuel qui associe un-e assistant-e- social-e- et un-e bénéficiaire. (voir Ossipow, Lambelet, Csupor 2008). Ainsi une contrepartie n’est pas un don, mais un échange, mais elle ne représente pas pour autant un échange marchand dans lequel la marchandise transmise compte davantage que le lien établi par la vente et l’achat. Au 99, les salles représentent un bien qui ne peut pas faire l’objet d’une transaction financière au sens strict du terme. Autrement dit, la contrepartie ne s’établit pas avec n’importe qui, elle relève d’un cercle restreint, c’est un privilège réservé aux seul-e-s habitant-e-s ou responsables d’un appel à projet.

(12)

En parallèle, toutefois, des dons spontanés circulent et ouvrent un cycle de don et contre-don entre certaines personnes. Des habitantes ou des habitants offrent par- fois de petits cadeaux pour remercier les permanentes d’un service rendu (une lettre relue, une photocopie, un dossier vérifié, des informations spécifiques données en vue d’une démarche administrative, le rapide aiguillage vers le « bon » service de la Ville ou la « bonne » association, capables de donner une réponse au problème posé).

Ces dons scellent autant une relation d’aide asymétrique qu’une amitié durable et une manifestation de reconnaissance. Ce sont des défis d’amitié7 auxquels les per- manentes répondent comme elles le sentent, posant souvent des limites entre leurs relations personnelles et les réseaux d’affinités et de liens affectifs développés dans leur activité professionnelle. Ces personnes deviennent également des habitué-e-s qui participent à plusieurs activités et sont généralement présentes lors des fêtes.

A ces occasions, elles ne perdent pas l’occasion de rendre de petits services utiles au bon fonctionnement de l’événement et parfois déchargeant les permanentes déjà bien occupées.

D’autres personnes - celles que l’on pourraient nommer des quasi-permanentes puisqu’elles ne sont pas rémunérées - donnent de leur personne en se démultipliant dans toutes sortes d’action bénévoles comme lors des matchs de football et de tirs au but qu’organise l’association Europe-Charmilles ou les repas du mercredi midi servis par des bénévoles aux enfants qui fréquentent la Villa Yoyo. Ces quasi permanent-e-s sont aussi rejoint-e-s par d’autres volontaires qui interviennent au gré de leurs envies ou modalités personnelles d’engagement. C’est par exemple le cas d’une habituée des repas du mardi soir qui a récemment décidé de s’engager au-delà de sa fréquen- tation hebdomadaire de la table du 99.

En résumé, on peut dire que, grâce aux permanentes et aux bénévoles, la Maison fonctionne par l’exemple et par la contagion : les habitant-e-s commencent par fréquenter des activités qui les intéressent, certain-e-s en restent là, mais d’autres se prennent

4. La « Location » de saLLes 4. La « Location » de saLLes

au jeu et voient leur fréquentation déboucher vers une autre forme d’engagement au service d’une collectivité de circonstance. Il est important de souligner deux éléments propres à cette dynamique de la contagion qui ne favorisent pas sa visibilité : d’une part elle n’est pas nécessairement linéaire et, d’autre part, elle s’effectue dans une temporalité relativement longue. Cette dynamique n’est pas souvent cumulative dans le temps (hormis peut-être dans les cas particulier de ceux qui deviennent des quasi-permanents). La contagion s’effectue ponctuellement et la participation, comme dans d’autres formes d’engagements, s’organise en phases d’activité et de retrait.

Les acteurs et les actrices peuvent également s’éloigner (temporairement) de leur première forme d’engagement en s’investissant dans une nouvelle activité. La forme que prend cette dynamique de la contagion est donc assez idiosyncrasique ; elle dépend avant tout des disponibilités et des choix personnels. La mise en place de cette dynamique nécessite également du temps pour que les acteurs et les actrices trouvent leurs marques dans une activité et fasse connaissance avec les autres participant-e-s.

Ce n’est que dans un second temps qu’ils s’intéressent aux « à-côtés » et en viennent à considérer le 99 comme un ensemble, avant peut-être de faire le pas vers d’autres activités et de nouvelles rencontres. Ces étapes nécessitent dans une grande majorité des cas une période relativement longue, de plusieurs mois à plusieurs années, selon les parcours que nous avons pu retracer. ■

7. Et parfois un cadeau empoisonné (sens du mot « gift » en anglais) si l’on se rend compte que le don pourrait être associé à un pot-de-vin ce qui arrive au 99 comme dans l’aide sociale (voir à nouveau Ossipow, Lambelet, Csupor, op. cit).

(13)

Un conseil de maison

Ces collectivités de circonstance se forment au gré de différents moments et événements qui rythment l’année du 99 et présentent des configurations parfois différentes selon le public cible et les personnes mobilisées, engagées. Comme les activités organisées par les associations et les fêtes ou événements de type privé, elles font se rassembler des professionnel-le-s et des habitant-e-s. Ces événements ou moments forts du 99 sont quasi ritualisés, notamment au sens où ils se présentent comme des miroirs de ce qui est organisé et vécu dans l’espace de quartier. Des miroirs qui reflètent vers l’extérieur ce qui est fait au 99 et qui laissent les actrices et les acteurs du rite se voir agir ensemble donc par hypothèse renforcer les liens qui les unissent8. Ce sont aussi sinon des « faits sociaux totaux » 9 au moins certainement ce que nous pourrions nommer des « faits locaux totaux » dans la mesure où ils font appel à toutes

5. moments et événements capitaux

moments 5

et événements capitaux

Les événements au « 99 » constituent des moments clé dans la vie de tout le quartier.

8. C’est ce que les premiers penseurs du rite, par exemple Emile Durkheim et Marcel Mauss suggéraient. Albert Piete (2005) poursuit leur réfexion et celle d’un chercheur américain (Cliford Geertz) en jouant sur cette métaphore du miroir.

9. L’expression est empruntée à Marcel Mauss : « Les faits que nous avons étudiés sont tous, qu’on nous permette l’expression, des faits sociaux totaux ou, si l’on veut — mais nous aimons moins le mot —, généraux : c’est-à-dire qu’ils mettent en branle dans certains cas la totalité de la société et de ses institutions (potlatch, clans affrontés, tribus se visitant, etc.) et dans d’autres cas seulement un très grand nombre d’institutions, en particulier lorsque ces échanges et ces contrats concernent plutôt des individus » [Mauss 2001 [1923] : 274]

(14)

les « institutions » susceptibles d’agir au 99 sur un plan à la fois concret (présence de personnes, énergies diverses déployées par ces personnes, argent, matériel…) et symbolique (importance, autorité… des personnes en présence). Les événements les plus importants dans lesquels les permanentes sont les plus impliquées sont : L’Abri, la Terrasse, les repas du 99, la fête du printemps, Noël, l’Aïd et Bouillon de Culture.

L’Abri est le plus ancien de ceux-ci si l’on compte qu’il préexiste au 99 (février 2001)10. Il s’agit en fait d’une semaine d’activités offertes aux enfants des écoles voisines qui sont en congé durant une semaine en octobre et une semaine en février. L’événement doit son nom au fait qu’il a d’abord été organisé par la Maison de quartier de Saint-Jean dans l’abri PC (de la protection civile) sis dans la cour de l’Ecole de l’Europe. Une fois que le 99 a vu le jour, l’événement s’est alors déplacé en ses murs et est désormais coordonné par les permanentes et organisé par le collectif de l’Abri composé de : la Maison de quartier de Saint-Jean, le 99, l’association Rinia Contact (une association d’origine kosovare qui a ses propres locaux à une centaine de mètres du 99, sur la rue de Lyon), la ludothèque, les Unités d’action communautaire (UAC), la Villa Yoyo, des bénévoles, la gendarmerie, la police municipale, la travailleuse sociale hors murs et la responsable du bâtiment scolaire de l’école de l’Europe. Chaque association ou institution de terrain gagne à collaborer en faisant connaître ses activités ou en profitant pour s’ouvrir à d’autres publics. La police de proximité apprécie en particulier de faire connaissance avec des enfants qu’elle pourra reconnaître, dit-elle, le jour où ces enfants seront devenus des pré-adolescent-e-s ou des adolescent-e-s potentiellement plus difficiles à aborder. Des anciennes et anciens participant-e-s de l’Abri animent aussi des activités en extra, démontrant par là leur attachement au lieu et à la prestation offerte.

Durant cette semaine, 200 enfants sont attendus par jour et se voient servir un goûter dont la matière (tranches de pommes, fromage, pain, chocolat et sirop) est partiellement achetée grâce à des bons offerts par la direction du Centre commercial voisin, ravie que les enfants ne traînent pas dans le supermarché ou dans les boutiques. Cette semaine est destinée prioritairement aux enfants dès quatre ans, mais elle attire aussi des pré-adolescent-e-s, des adolescent-e-s, des grands frères ou grandes sœurs, c’est-à-dire des personnes apparentées aux plus jeunes. D’anciens participant-e-s reviennent pour revêtir le rôle de monitrices et moniteurs rémunéré-e-s ou de stagiaires bénévoles et attestent du même coup d’une forme d’attachement à la fois social et affectif très important. Les enfants se regroupent dans toutes les salles qui leur sont ouvertes selon les activités tandis que les pré-adolescent-e-s se livrent à des tournois de baby-foot. Les plus âgé-e-s organisent des matchs de football dans

5. moments et événements capitaux 5. moments et événements capitaux

la salle de gymnastique de l’école, matchs que les filles regardent depuis la galerie avec une permanente et une travailleuse hors murs pour chronométrer l’exploit sportif.

Les parents sont invité-e-s à rejoindre leurs enfants quand elles et ils le souhaitent, souvent en fin d’après-midi, lors du repas précédant le loto ou encore lors de l’après- midi de jeux en tout genre organisé par la ludothèque11. L’Abri occupe les enfants principalement par le jeu, mais les initie aussi indirectement à la civilité12, à l’égard qu’elles et ils doivent porter à leurs semblables, aux adultes, aux lieux et aux objets.

Cette exigence de civilité est symbolisée dans la charte du « respect »13 qu’elles et ils doivent signer le premier jour. Les enfants prennent également conscience du respect qu’on leur témoigne, par exemple par le fait que les hot-dogs offerts le soir du loto sont à base de poulet et non pas de porc ce qui semble satisfaire grandement une partie des jeunes d’origine musulmane ainsi que leurs camarades qui ne suivent pas d’interdits alimentaires. L’éducation à la santé est également présente dans la présentation de goûters sains qui, comme on l’a vu, ne contiennent pas que des produits sucrés diabolisés par les nutritionnistes. L’Abri est d’abord un lieu de divertissement, de rencontres, de convivialité, mais - comme dans tout domaine du travail social - la volonté de prévention (civile et sanitaire) n’est jamais absente. Le vendredi soir, l’Abri se termine par une parade fanfaronnant dans tout le quartier pour indiquer aux participant-e-s comme aux parents et aux habitants du quartier que l’événement est clos.

Photo de groupe du centre aéré l’Abri en octobre 2013

11. Deux repas par semaine sont, soit confectionnés par les enfants, soit organisés par des habitant-e-s sous la forme de contre-prestations.

12. Pour une réfexion sur ce terme et ses liens avec la notion de citoyenneté ou de civisme, voir entre autres Ossipow, Berthod, Aeby 2014.

(15)

La Terrasse est le deuxième événement phare organisé au 99. Durant l’été, tous les après-midi, le 99 Espace de quartier s’étend dehors, dans le square notamment, pour convier les enfants et les jeunes à plusieurs activités récréatives et formatrices en collaboration avec d’autres institutions comme la ludothèque ou, cette année, le Pavillon Cayla qui a mis à disposition des vélos, rollers, etc. Sur la terrasse, une piscine gonflable est installée pour les petits et une buvette est ouverte l’après-midi.

La Terrasse représente un moment important pour les jeunes dès 16 ans. Pour ces derniers, la buvette représente une première expérience professionnelle à faire valoir, elle constitue souvent aussi un premier contact avec le monde du travail. L’animatrice engagée à ce moment coache ces jeunes. Politesse, ponctualité, loyauté, engagement, amabilité et contrôle font partie des choses qui peuvent être alors discutées et recalibrées ensemble avant de faire face à un « vrai » emploi ou à un apprentissage. L’importance de l’encadrement des jeunes travaillant à la buvette est cruciale en ce sens. Cette première expérience sera non seulement inscrite dans leur CV, mais fera l’objet d’un certificat de travail utile à remettre à une future patronne ou à un futur patron.

Ces activités extérieures organisées durant l’été favorisent les contacts avec les habitant-e-s du quartier et facilitent l’accès et la découverte d’autres activités. C’est également à ce moment-là que les permanentes peuvent plus aisément connaître de nouvelles personnes. Des habitant-e-s consomment à la buvette et les ami-e-s des jeunes qui y travaillent les accompagnent. Certains voudront tenter l’expérience l’an prochain, d’autres habitant-e-s prennent connaissance d’une offre proposée par une association. Chaque jeudi la Terrasse se prolonge par des grillades que d’autres jeunes installent et gèrent. Le choix de ces jeunes se fait par une permanente du 99 en collaboration avec la travailleuse sociale hors murs du quartier et l’engagement est effectué via la Boite-à-boulot. Les grillades convient librement les habitants à s’installer autour d’un repas. Si les personnes doivent se procurer elles-mêmes la viande, elles profitent des salades préparées en contrepartie par des habitant-e-s qui ont réservé une salle. D’après nos observations et les commentaires recueillis, la mise à disposition gratuite des barbecues convient des habitant-e-s qui ne fréquentent pas autrement l’Espace de quartier. L’espace de la terrasse est occupé par les grills et les tables. Il est intéressant de noter que les tablées s’organisent soit par « communauté », soit par groupe d’ami-e-s qui partagent une même activité au 99. Les habitant-e-s viennent en petits groupes d’ami-e-s ou de parents et ne se mélangent pas beaucoup.

Les échanges entre tablées sont cordiaux, mais restent limités.

5. moments et événements capitaux 5. moments et événements capitaux

Les grillades du jeudi durant la Terrasse en été

La présence de la Terrasse du 99 dans le square stimule également les initiatives des habitant-e-s et des jeunes adultes notamment. Lors de notre enquête nous avons pu observer la présence d’un groupe qui s’installe à proximité. En ce sens, et par contagion, la Terrasse déborde de son socle et des relations se constituent. D’une part, les jeunes disposent quelques chaises-longues dans le square et, d’autre part, ils bénéficient du matériel audio du 99 pour diffuser leur musique. Tous les après- midis, ces jeunes (garçons et filles mais majoritairement des garçons, pas toujours les mêmes) s’installent sur les bancs du square gravitant ainsi autour de la Terrasse où parfois ils se ravitaillent. Aux heures d’ouverture de la Terrasse uniquement, ce groupe vient ainsi interagir avec le 99 et marquer - non sans fierté - son appartenance au quartier et mettre en scène son occupation du territoire. Certains d’entre eux n’habitant plus le quartier se déplacent expressément et parfois de loin pour partager ce moment entre ami-e-s devant le 99. Il y a quelques années, certains d’entre eux avaient proposé d’installer des appareils de musculation dans le coin de la terrasse qui borde le restaurant scolaire. Avec le concours des permanentes et d’un jeune qui prêta les appareils, ces jeunes avaient pu s’adonner à l’une de leurs activités favorites en public durant la période estivale.

(16)

Les repas du 99 représentent une autre institution clé du 99. Tous les mardis soirs (hormis l’été), vers 19h, un repas est servi à qui veut bien dans la salle de la buvette au rez-de-chaussée. La présence des convives interloque les passants de la rue de Lyon. Toutefois, les convives représentent un groupe de personnes relativement stable. Durant la période de l’enquête, nous avons remarqué surtout la présence d’une dizaine d’habitué-e-s. Seules quelques personnes se greffèrent ponctuellement au groupe du mardi soir composé d’une large majorité de femmes quinquagénaires ou retraitées. L’ambiance est animée et cordiale, au fil du temps les convives sont devenus des ami-e-s et certain-e-s se fréquentent en dehors des repas. Chaque mardi, les permanentes mettent en place et participent au repas composé par les contreparties livrées par des habitants ayant réservé une salle. Ces contreprestataires apportent l’entrée, le plat principal ou le dessert vers 18h. Le vin et les boissons sont offerts par le 99 et les convives s’acquittent de la modeste somme de 10 CHF. Si parfois des conversations prennent des tournures sérieuses, la boutade et le rire dominent largement. Il s’agit généralement de taquineries qui s’échangent ou de commentaires qui viennent dérouter les conversations glissant vers la confrontation des opinions. Il s’agit toujours aussi de prendre des nouvelles des autres et de montrer de l’intérêt, de l’empathie et de l’admiration. Certaines conversations, généralement en duos, peuvent parfois avoir un caractère intime tandis que les conversations sur l’actualité restent très largement sous-représentées. On parle de soi, de ses activités (voyages, garde des petits-enfants) ou de ses expériences (culinaires), de ses opinions et de ses proches lorsque les commentaires et les boutades sur les mets s’effilochent.

L’alimentation et la famille représentent les deux sujets de conversation pivots dans les échanges et permettent à tout un chacun d’élaborer sa charte normative en la matière.

Respect, obligations, honneur, dévouement et manières de faire (ou de cuisiner) sont les domaines principaux dans lesquels l’échange des normes personnelles sont débattues.

5. moments et événements capitaux 5. moments et événements capitaux

Quelques « habitué-e-s » du repas du 99 en action

La fête du printemps, Noël et l’Aïd sont trois rites calendaires fêtés au 99. Nous n’avons pas pu assister à la fête de Noël, ni à celle du printemps, notre enquête s’étant terminée à ce moment-là. En revanche, nous avons pu participer à la fête de l’Aïd qui consiste en un grand repas coordonné par le 99 et des associations du 99 qui rendent une contre-prestation. Nous avons observé à ce moment la participation bénévole et spontanée d’autres personnes, des habitant-e-s et des habitué-e-s du 99. Les fêtes, au même titre que le centre aéré l’Abri, représentent des moments de collaboration entre différents acteurs et actrices qui font partie ou gravitent autour de l’Espace de quartier. Ce sont ces moments qui permettent, selon les permanentes, de créer du lien entre les acteurs, des liens qui pourront peut-être plus tard déboucher sur de nouveaux projets et de nouvelles collaborations. Ce sont des moments où les liens et le « vivre ensemble » sont mis en scène dans et pour le quartier. Il s’agit aussi pour les acteurs et les actrices de se voir agir ensemble et cela concourrre à forger ou à se redonner à voir les moments qui permettent de se représenter la collectivité du 99.

Les fêtes et les événements, qui plus est lorsqu’ils se déroulent dehors, représentent également des moments importants pour visibiliser les collectifs dans le quartier qu’il s’agisse des associations du 99, du 99 dans son ensemble ou des groupes (religieux,

(17)

Invitation à la fête de l’Aïd du 99 sur Facebook

La Villa Yoyo est un dispositif d’accueil libre subventionné par le Service des écoles et institutions pour l’enfance et proposé par les Unions Chrétiennes qui a d’abord presque fait conflit et a obligé le 99 à réorganiser quelque peu son mode de fonctionnement.

Mais la greffe a pris et un projet a convergé vers l’organisation d’un repas le mercredi midi. La Villa Yoyo propose au 99 un accueil libre pour les enfants depuis la rentrée 2013 et son intégration au sein du collectif s’est faite rapidement sur décision de Madame la Magistrate Esther Alder. Aux vues des acteurs et des actrices du 99, cette décision a été prise sans concertation et a été considérée comme imposée par

« le haut » alors que le fonctionnement de l’Espace de quartier est d’une toute autre nature. Au-delà des malentendus, des peurs et des tensions préalables, les acteurs et les actrices du 99 se sont fait entendre lors de la mise en œuvre de la décision.

Elles et ils ont notamment pu négocier certaines caractéristiques de l’intégration et du fonctionnement de la Villa Yoyo dans les locaux du restaurant scolaire. Ainsi, suite au choc ressenti au début, s’est instauré un dialogue entre plusieurs collectifs qui a débouché au final vers la mise en place d’une nouvelle dynamique entre deux associations déjà présentes dans les locaux. En effet, si la nouvelle fut d’abord source d’inquiétude pour l’association Europe-Charmilles et Rinia Contact qui planifiaient de mettre chacun de leur côté de nouvelles activités en œuvre pour les enfants à la rentrée, l’imposition de la Villa Yoyo les a en quelque sorte rapprochées. Désormais, les activités planifiées de chaque côté n’entrent pas en « conflit » avec les activités de la Villa Yoyo, mais, de surcroît, Europe-Charmilles et Rinia ont développé pour la première fois une collaboration qui les associent avec la Villa Yoyo : les deux

5. moments et événements capitaux 5. moments et événements capitaux

associations se chargent désormais ensemble d’organiser les repas des enfants le mercredi à midi. Les contacts internes se sont donc dynamisés et aboutissent à une collaboration tripartite qui, de plus, permet de mobiliser d’autres bénévoles non- membres de ces collectifs pour préparer les repas. Dans cette configuration, la Villa Yoyo représente un succès incontestable pour les nouveaux liens que son arrivée a permis de tisser intelligemment. Son fonctionnement initial représente déjà aussi un succès incontestable. Les enfants ont afflué dès les premiers jours démontrant ainsi, encore une fois, l’attrait de l’accueil libre dans le quartier (voir plus loin). La limite des effectifs possible a vite été atteinte et désormais, les enfants qui se pressent devant la Villa Yoyo sont en plus grand nombre que celles et ceux qui peuvent s’inscrire quotidiennement. Une caractéristique intéressante est à souligner : très rapidement il a été nécessaire de préciser aux parents qu’elles et ils ne pouvaient pas rester dans les locaux avec leurs enfants. Cela montre d’une certaine manière que les adultes du quartier sont disposé-e-s à participer davantage aux activités du 99 et que le principe qui consiste à « passer par les enfants pour entrer en contact avec les parents » a une certaine réalité (voir plus loin). La Villa Yoyo apparaît donc comme une expérience nouvelle et positive à de nombreux égards. Elle permet au 99 dans son ensemble d’accroître sa « surface de contact » avec le quartier et ses habitant-e-s. Elle facilite en effet certainement les passages entre l’extérieur et l’intérieur du bâtiment et ce, aussi bien au sens propre que figuré, pour des habitant-e-s du quartier qui pourraient avoir été jusqu’alors disposé-e-s à se renseigner sur ce qu’est le 99 et ses activités.

Nous n’avons hélas pas pu participer à des manifestations culturelles telles que Bouillon de culture sous l’égide duquel des expositions de tableaux ou du théâtre sont proposés au 99, soit qu’une compagnie de théâtre joue au 99 profitant par exemple de la scène qu’offre les ombres et lumières du complexe immobilier donnant sur le square, soit qu’une petite troupe d’habitant-e-s se forme sous la houlette d’un-e professionnel-le14. La légitimité de la culture dite cultivée n’est pas remise en cause au 99, mais peut faire débat, certaines personnes pensant qu’il faut faire venir le théâtre au 99 tandis que d’autres préfèreraient voir les habitant-e-s se rendre dans les lieux de culture déjà existant dans la Cité.

14. Dans le cas qui nous a été relaté lors d’un entretien il s’agissait de jeunes flles mais d’autres jeunes ont aussi trouvé à s’occuper avec les éclairages et le maniement du matériel de scène.

(18)

Rencontre entre habitant-e-s et essayage comique durant la Ville est à vous

La Ville est à vous n’est pas à proprement parler une activité organisée sous l’égide du 99. C’est l’association Europe-Charmilles qui s’en charge et tout particulièrement l’un de ses membres qui y attache une grande importance et se charge de tout ou presque. Les permanentes du 99 y tiennent un stand d’information. Le 99 prête du matériel et des locaux et fournit un soutien logistique aux organisateurs. L’édition de l’Europe de la Ville est à vous inclut un vide-grenier, une scène de musique et des stands de restauration et d’activités culturelles. Les participant-e-s, contrairement à d’autres éditions, sont essentiellement des habitant-e-s du quartier et non des professionnel- le-s ou des habitué-e-s de la Ville est à vous. L’organisation implique une coordination avec la Police municipale ainsi que la mobilisation d’un grand nombre de bénévoles.

Ces derniers sont recruté-e-s parmi les enfants de l’Ecole de l’Europe qui offre son préau pour accueillir le nombre considérable de participant-e-s. Malgré la pluie, l’édition de 2013 a été un succès. L’ensemble du préau et des allées avoisinantes a été occupé par les stands des habitants. Dans cet esprit, l’événement représente à proprement parler une occupation des sols. Cette occupation des lieux publics rappelle ce que nous avons dit à propos de la Terrasse. Il s’agit pour les habitants d’investir l’espace publique, de l’occuper physiquement durant un week-end en réservant sa place tôt

5. moments et événements capitaux 5. moments et événements capitaux

le matin. Les objets en vente ne proviennent pas du commerce mais de réserves ou surplus familiaux. Ils s’exposent au sol sur des couvertures. L’analyse que nous faisons de nos observations montre que les participants non seulement s’approprient l’espace publique le temps d’un week-end, mais que cet événement constitue aussi un moment clé dans le quartier où chacun s’exerce à voir et à se montrer selon au moins deux modalités principales. D’une part, tenir un stand permet de se mettre en scène derrière les objets en vente, il s’agit aussi de rentrer en contact avec les passants et cette fois-ci encore, les objets jouent le rôle de médiateurs pour amorcer les discussions qui parfois s’étendent au-delà du simple acte de marchandage. D’autre part, chaque participant-e tenant un stand peut à tout moment le quitter pour faire un tour, chercher la bonne occasion ou discuter avec ses voisines et voisins sur le cours des affaires cette année. Il va de soi que dans un tel quartier, la vente même de quelques objets a son importance financière pour les familles. ■

(19)

l

e 99 ne se limite pas à ses propres espaces, il peut selon les moments et les activités se développer dans d’autres sphères. Il est d’abord connecté avec d’autres espaces qui le prolongent : le square, l’école de l’Europe, la ludothèque, l’EMS Charmilles, le Centre commercial des Charmilles et la Maison de quartier de Saint-Jean sise sur le recouvrement des voies CFF. Les actrices et acteurs de ces lieux sont parfois en contact étroit avec le 99 et les associations qu’il abrite. Le square et les écoles sont fréquentés par les enfants et les parents ; parfois des adolescent-e-s et de jeunes hommes adultes s’y installent aussi, surtout l’été ou de nuit. Le centre commercial propose un espace marchand et des cafés dont la clientèle dépasse de loin celle du quartier. Les bars du Centre sont d’ailleurs un lieu de rendez-vous plus spécifiquement masculins dans lesquels se rendent les hommes désœuvrés ou ceux qui sortent du travail. Ils sont également un point de rencontre et de discussion entre collègues qui travaillent au 99 (personnel de la crèche, membres des associations, etc.). La Maison de quartier de Saint-Jean, est, comme nous l’avons souligné, peu fréquentée par les habitant-e-s de l’Europe, à l’exception des adolescent-e-s et des jeunes adultes. En ce sens, il faut considérer l’Espace de quartier comme un lieu significatif au sein d’un réseau d’institutions plus étendu.

L’espace se ramifie localement en fonction des classes d’âge, du genre, des activités ou des affinités, mais s’étend aussi plus globalement vers d’autres régions ou pays.

Du fait des associations qui s’y déploient, le 99 peut s’étendre jusqu’au Sri Lanka (l’association Anjali reverse par exemple l’argent gagné par la vente d’artisanat ou par l’appui scolaire à une association sri lankaise qui, elle, se charge de le distribuer à un hôpital) ou jusqu’en Bolivie, puisque les membres d’un groupe de danse de ce pays reversent également l’argent recueilli lors de certaines fêtes. Certains habitant-e-s qui utilisent les salles le week end s’organisent pour collecter de manière privée des fonds pour un projet de développement en Amérique du sud ou en Afrique. Ces initiatives vont de l’aide à la famille à des projets plus collectifs qui visent un village par exemple.

Les habitué-e-s du 99, ces habitant-e-s qui gravitent autour de l’Espace de quartier et qui ont développé des liens particuliers avec les permanentes ou des membres d’une association reviennent parfois de vacances dans leur pays d’origine avec des cadeaux typiques de l’artisanat local qu’elles et ils offrent à leurs conctacts privilégiés au 99. Les liens avec ces espaces lointains sont donc de nature concrète, affective et symbolique.

A ces espaces proches et lointains s’ajoutent des espaces virtuels formés par les réseaux sociaux. Le 99 a sa page Facebook sur laquelle apparaissent diverses informations et des échanges entre jeunes du quartier. C’est une page fréquentée par les enfants et par les adolescent-e-s, y compris celles et ceux qui ont quitté le quartier, mais restent ainsi en contact avec des habitant-e-s et les permanentes. Un bénévole s’est particulièrement engagé sur les réseaux sociaux et ne manque pas d’annoncer

6. ramifications

Ramifications 6

Du fait des associations et des activités qui s’y déploient, Le « 99 » peut s’étendre jusqu’au Sri Lanka ou jusqu’en Bolivie.

(20)

sur de nombreuses pages des activités, des opportunités de travail ou de stage qui visent particulièrement les enfants, les ados et les jeunes adultes. Il s’agit également pour lui de sensibiliser les jeunes à un usage adéquat des réseaux sociaux et de mettre en œuvre des valeurs telles que le respect et la politesse sur ces plateformes.

Ces espaces d’échange, d’information, de mobilisation et de sociabilité ne sont donc pas dénués de formes de contrôle et de recadrage.

Last but not least, les ramifications peuvent aussi conduire dans des espaces que peu de personnes connaissent : notamment les sous-sols d’où les permanentes remontent parfois avec du matériel d’entretien ou les garages utilisés marginalement comme lieu de réunion l’hiver par les jeunes gens du quartier. Le vécu de l’espace est complexe et dépend des activités des individus. Ainsi, dans un espace arpenté par des groupes différents, il ressort également que les vécus des lieux peuvent être représentés de manière très différente. Chaque groupe pratique en effet l’espace à sa manière. Les mères ou les pères qui accompagnent leurs enfants à la crèche ont une certaine représentation des étages et de la porte d’entrée qu’elles ou ils doivent ouvrir. Les ados, eux, ont une connaissance étendue des sous-sols qui connectent l’Espace de quartier au centre commercial et aux allées ; ce qui n’est pas le cas pour le groupe qui se retrouve les mardis soirs autour du repas servi au rez. Il apparaît donc que les pratiques spatiales développent des représentations différentes du 99 et du quartier qui ne se recoupent que partiellement et qui se superposent. ■

6. ramifications

(21)

n

ous l’avons déjà dit, le 99 n’est pas une maison de quartier, mais qu’est-ce alors ? Un fourre-tout ou plutôt une plaque tournante ? On choisira assurément la seconde métaphore. Le 99 est bien une plaque tournante, dans la mesure où il permet de mettre en relation divers actrices et acteurs et constitue un nœud très important dans le tissu associatif local. Autrement dit, le 99 n’est pas géré par une association, un comité, comme c’est le cas pour une Maison de quartier. Il constitue un support essentiel pour dynamiser et articuler ensemble les forces vives des associations qui occupent l’espace ou gravitent autour de lui. Le 99 fonctionne ainsi comme un relais entre divers partenaires et comme un accompagnateur lorsque de nouvelles dynamiques et de nouveaux projets viennent à être pensés. La mise en réseaux des motivations et des énergies constitue un élément crucial pour le quartier, la vie sociale locale et le vivre ensemble.

Si les prestations proposées (prêt de salles à des associations et à des privés ; repas du 99) par les permanentes s’adressent plutôt aux adultes, bon nombre d’activités capitales sont en fait adressées aux enfants ou passent par les enfants pour leur réalisation. Les enfants, les mamans et les jeunes deviennent ainsi les catégories privilégiées par le 99. ■

7. Le 99, fourre-tout ou pLaque tournante ?

le 99, fouRRe-tout 7

ou plaque touRnante ?

La mise en réseaux des motivations et des énergies constitue un élément crucial pour le quartier, la vie sociale locale et le vivre ensemble.

(22)

l

es enfants constituent une population clé pour le 99 et ce d’autant plus que la Maison de quartier de Saint Jean est considérée comme trop éloignée de leur habitation, « c’est de l’autre côté des rails » comme le rapportait un bénévole évoquant les paroles de plusieurs familles rencontrées. Population clé aussi, parce que c’est souvent par les plus petit-e-s que les parents, les habitant-e-s en général et les personnes qui ne travaillent pas à l’extérieur de leur foyer sont mobilisé-e-s, les mères en particulier. C’est en ce sens que nous pouvons dire que le 99 dans son ensemble fonctionne parfois selon le modus operandi qui consiste, par le contact avec les enfants, à chercher aussi à établir un contact avec les parents. Les mères sont dès lors ravies de trouver au 99 des espaces dont elles ne bénéficient pas dans leur propre logement souvent trop exigu pour inviter les camarades de leurs enfants. « L’été on peut aller dans les parcs, l’hiver on va au 99 » disait l’une d’elle rencontrée durant l’Abri alors qu’elle s’était rassemblée avec quelques amies autour de la maisonnette qui servait de jeu à de nombreux enfants. Certain-e-s habitant-e-s ne se contentent donc pas d’organiser des activités mais considèrent parfois le 99 - toute proportion gardée - comme une sorte d’annexe de leur propre maison.

De l’avis de ses permanentes, le 99 est néanmoins davantage qu’une annexe. C’est un important instrument de prévention pour des enfants des classes sociales dites défavorisées et dont les parents travaillent beaucoup s’ils ont la chance de ne pas être au chômage ou à l’aide sociale. Partant de l’idée que les enfants sont souvent « livré- e-s à eux-mêmes » dans ce quartier, les permanentes et les associations ont choisi de les occuper en mobilisant tous les dispositifs susceptibles de le faire avec succès.

Au travers de ces activités qui structurent les heures sinon les jours libres de ces enfants, le 99 cherche sans relâche à transmettre les valeurs du bien vivre ensemble et du respect de l’autre. Ces moments servent parfois également aux plus jeunes à se confier et à discuter de certains problèmes qu’elles et ils rencontrent. L’inquiétude des permanentes (en particulier les deux qui ont une formation en travail social ou psychologie) portent aussi sur les grandes sœurs ou les grands frères trop souvent en charge des plus petit-e-s. Agir pour que les dit-e-s grand-e-s « aient encore un bout d’enfance » représente aussi un engagement important dans le fonctionnement des activités proposées au 99.

Cette conception d’une certaine vulnérabilité des enfants n’a pas pu pour l’instant être attestée par un tableau sociologique des familles résidentes à l’Espace de l’Europe, même s’il est vrai que cet Espace figure parmi les zones REP15, zone géographique recevant davantage que d’autres d’aide en matière de fonctionnement et soutien

8. Les enfants et Les « mamans »

les enfants et 8

les « mamans »

Certains habitants ne se contentent pas d’organiser des activités mais considèrent parfois Le « 99 » comme une sorte d’annexe de leur propre maison.

15. Zone couverte par un Réseau d’enseignement prioritaire. Pour être assimilée à une zone d’enseignement prioritaire, l’Ecole doit compter plus de 55% des parents d’élèves issus

(23)

scolaire. Il n’en reste pas moins que cette vulnérabilité mériterait d’être davantage documentée car elle ne correspond pas toujours à des critères objectifs mais aussi à des représentations telles qu’ont pu le montrer certains travaux dévolus à la maltraitance des enfants (voir par exemple Schultheis, Frauenfelder, Delay 2007). Les enfants ont aussi tendance à être considérés comme des non actrices ou acteurs ou comme des personnes dominées qui subiraient les choses et les adultes plus qu’elles et ils n’agiraient de leur propre volonté. Pourtant de nombreuses études ont montré que les enfants sont aussi capables d’« agency », d’action pour leur compte, de stratégies16. Les enfants sont-ils vraiment livré-e-s à eux-mêmes sans aucune surveillance lorsque les grands frères et grandes sœurs ne sont pas présent-e-s ? Sont-ils plus visibles parce qu’elles et ils se trouvent dans la rue ou dans le square au lieu d’être plus souvent enfermé-e-s dans leurs appartements ? Souffrent-ils de davantage de difficultés sociales et scolaires ? Notre étude ne permet pas de le confirmer. La fréquentation joyeuse et enthousiaste aux diverses activités proposées, en particulier l’Abri durant les vacances scolaires d’octobre et de février, laisse en tout cas voir que ces enfants affectionnent d’être ensemble dans un espace extra-scolaire mis à leur disposition17.

enfants et « Mamans » au loto du centre aéré de l’Abri

8. Les enfants et Les « mamans » 8. Les enfants et Les « mamans »

Il faut souligner que la sociabilité et la socialisation des enfants s’organisent de manière très différente de celles de leurs parents. Nous avons en effet souvent entendu que les enfants du quartier se connaissent tous alors que les parents sont figés dans des rapports qui ne les conduisent qu’à être en relation avec des adultes d’un même et seul groupe. Il va de soi que l’école joue ici un rôle crucial, mais affirmer que les enfants se connaissent toutes et tous et au-delà de fractures sociales, c’est peut- être manquer de reconnaître que leur sociabilité s’articule sur d’autres contraintes.

Ici à nouveau l’école joue un rôle central. C’est à travers les classes et les chemins parcourus par les élèves que se créent des groupes et des distinctions entre groupes.

Une habitante qui a grandi dans le quartier affirmait également qu’elle n’avait jamais connu les enfants de son âge résidant dans une allée parce qu’elles ou ils se rendaient dans une autre école primaire. Ce n’est qu’une fois au cycle d’orientation que les enfants de toutes les allées peuvent se côtoyer. L’idée de clan comme manière de décrire le quartier de l’Europe n’est pas uniquement attribuable à cette sociabilité communautaire des parents. Avec des modalités différentes qui ne s’articulent pas sur l’origine nationale, les enfants contribuent également à cette représentation du quartier. Ce sont, cette fois, les « fractures » construites par les enfants entre les écoles qui dressent les sentiments d’appartenance. Ainsi les enfants des Charmilles ou de Geisendorf s’opposent et s’affrontent à ceux de l’Europe. Autrement dit, les enfants se mélangent sans problème sur un critère d’origine ; en revanche, c’est le critère local et territorial qui a de l’importance. Ce dernier critère n’a en revanche presque aucune pertinence pour les adultes.

Avec le principe de l’enfant « levier », le collectif du 99 cherche à faire participer les parents, en particulier les mères qui auraient récemment immigré et ne sauraient pas bien ou pas du tout le français. Ainsi, les mamans qui ont un enfant scolarisé peuvent suivre « l’école des mamans » proposée par une enseignante engagée par l’association de l’école des mamans de l’Europe. Avec les autorités scolaires, le 99 et les UAC se font le relais de ce dispositif.

La catégorie des « mamans » largement utilisée par les permanentes et par celles et ceux qui gravitent autour d’elles devrait être interrogée plus finement. On la retrouve dans l’espace scolaire (quoique l’on parle plus souvent d’ « école des parents » que d’écoles des mamans). Elle correspond évidemment à une catégorie genrée qui veut que les mères s’occupent davantage des enfants que les pères, mais c’est probablement aussi une catégorie qui s’applique aux femmes des milieux dits populaires et aux femmes d’origine étrangère, ces dernières étant, elles en tout cas, particulièrement considérées comme vulnérables, voire « enfermées chez elles », surtout si elles sont étiquetées comme d’origine musulmane. La dénomination de « mamans » permet

16. Pour un panorama récent de telles études en divers lieux (par exemple l’hôpital, les bibliothèques) et sur diverses thématiques (par exemple le travail des enfants), voir notamment Pache, Ossipow (2012).

17. Les parents affectionnent aussi ces moments où leurs enfants sont pris en charge ponctuellement par d’autres adultes. Pache, Ossipow (2012).

Références

Documents relatifs

Ce qui manque à ce paon : c'est bien voir, j'en conviens ; Mais votre chant, vos pieds, sont plus laids que les siens, Et vous n'aurez jamais sa queue. Jean-Pierre Claris de

Actifs sur la Province de Namur et alentours – Commune de Namur Le CREE propose à un public d’enfants et de jeunes sourds et malentendants des activités de loisirs

Bon, c’est sûr que la motricité fine, effectivement dans tous les exercices de motricité fine où on peut voir… parfois, c’est pas flagrant, il y a un enfant qui peut tout à

Il y a plus d'attributs communs entre le chien et la poule (yeux, bouche ; squelette interne ; 4 membres) qu'avec le poisson (yeux, bouche ; squelette interne mais il ne possède pas

La qualification juridique du texte numérique est le préalable indispensable à l ’étude des modalités d’application des droits d’auteur au document numérique par exemple,

Les résultats nous amènent donc à confirmer l’hypothèse, selon laquelle la décision de localisation dépend sur la minimisation des coûts de production, puisque le prix

ﻊﻳرﺎﺸﳌا ﻞﻳﻮﲤ لﻼﺧ ﻦﻣ ﺮﻳﻮﻄﺘﻟاو ﺔﻴﻤﻨﺘﻟا ﻖﻴﻘﲢ ﻰﻠﻋ ﺪﻋﺎﺴﺗ ﺎﻀﻳأو ،ﺔﻄﺳﻮﺘﳌاو ةﲑﻐﺼﻟا تﺎﺴﺳﺆﳌا ﺔﻳرﺎﻜﺘﺑﻻا. لﺎﻣ سأر ﰲ ﺔﺘﻗﺆﻣ ﺔﻛرﺎﺸﻣ ﻞﻜﺷ ﺬﺨﺘﻳ طﺎﺸﻧ ﻞﻛ ﻮﻫ ﺮﻃﺎﺨﳌا لﺎﳌا

La “fête des histoires” n'est pas en soi un outil de formation mais elle peut consti- tuer un support de réflexion sur les relations avec les parents et permettre de mieux