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1- Enseigner n’est pas une science

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Academic year: 2022

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DEUX TRIBUNES

1- Enseigner n’est pas une science Par Roland GOIGOUX

Ce ne sont pas les neurosciences elles-mêmes qui posent problème, mais la tentation autoritaire dans la prescription du travail enseignant.

Enseigner n’est pas une science. C’est une pratique sociale, l’exercice d’un métier fondé sur une relation humaine entre des élèves et des professeurs qui transmettent des connaissances et des valeurs.Cette pratique est en constante évolution sous de multiples influences : les programmes, les manuels, les caractéristiques des publics d’élèves, les contextes d’exercice, la formation… Pour l’influencer positivement, autrement dit pour améliorer l’enseignement, il faut tenir compte de toutes ces dimensions. C’est probablement ce que le Conseil scientifique de l’Education nationale (CSEN) aura du mal à faire en raison de sa composition.

L’enseignement a une histoire et s’inscrit dans un contexte. L’exercice du métier de professeur repose sur des savoirs, des savoir-faire et des outils mais aussi sur des systèmes de valeurs, des croyances, des us et coutumes qu’on ne peut ignorer si on veut le transformer.

Autant prévenir le cabinet du ministre : il est inutile de tenter d’imposer une technique qui aurait fait ses preuves dans un contexte expérimental, cela ne marche pas. Les études internationales sont unanimes : il n’y a pas d’amélioration sans implication des acteurs, sans construction avec eux des solutions aux problèmes qu’ils rencontrent. Pour cela, les professeurs ont besoin de maîtriser les contenus disciplinaires, mais ils doivent aussi connaître les processus d’apprentissage et les stratégies d’enseignement efficaces.

La recherche apporte des éclairages nouveaux sur ces deux activités, et ce serait une erreur de survaloriser la première, apprendre, au détriment de la seconde, enseigner.

La formation professionnelle constitue un levier pour améliorer la qualité de l’enseignement.

Elle apporte des connaissances actualisées, des techniques pour agir et de nouveaux instruments intellectuels pour comprendre les réalités linguistiques, cognitives et sociales auxquelles les enseignants sont confrontés. Pour notre part, à l’Espé (Ecole supérieure du professorat et de l’éducation), nous transmettons les connaissances produites dans trois sphères scientifiques : 1) les neurosciences (qui étudient le niveau cérébral) ; 2) les sciences du comportement (la psychologie cognitive, la psychologie sociale et du développement ou la sociologie) et 3) les sciences de l’intervention (dont la didactique et les sciences de l’éducation). Parmi tous les savoirs aujourd’hui disponibles, nous retenons ceux que les maîtres n’ont pas le droit d’ignorer en examinant la compatibilité des trois ensembles de résultats et leurs domaines de validité car ils sont parfois abusivement généralisés ou trop hâtivement transposés en prescriptions. Nous nous efforçons aussi à développer l’esprit critique des étudiants et, avec l’aide des neuroscientifiques, à réfuter les neuromythes.

On accole trop souvent le préfixe «neuro» à de vieilles lunes pour les rendre plus modernes ou plus crédibles. Gare aux fake news pédagogiques !

Nous apprenons aux enseignants à ne pas confondre neurosciences et sciences du comportement même si le dialogue entre ces deux disciplines est intense au sein des sciences cognitives : mieux on comprend le niveau comportemental, plus il est facile d’investiguer ses bases neuronales (et réciproquement). Les professeurs découvrent que, pour l’essentiel, les neurosciences valident les modèles élaborés par la psychologie cognitive au cours des trente

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dernières années dans des domaines transversaux, comme la mémoire, le raisonnement ou la métacognition, et dans des domaines spécifiques, comme la lecture ou le calcul. Nombre de ces connaissances ont déjà été intégrées aux démarches pédagogiques, d’autres sont en passe de l’être grâce au regain d’intérêt pour les sciences cognitives. Nous nous en réjouissons. Il est probable que, dans le futur, les neurosciences ouvriront des voies nouvelles, mais nous devons admettre qu’à l’heure actuelle, elles n’ont pas apporté aux enseignants grand-chose de plus que ce que les autres sciences cognitives avaient déjà mis au jour. Les «quatre piliers de l’apprentissage», définis par Stanislas Dehaene, confortent plus qu’ils ne bouleversent les conceptions des enseignants. Ceux-ci savaient déjà que les élèves apprennent mieux s’ils sont engagés dans les tâches scolaires, s’ils savent réguler leur attention, s’ils bénéficient de feedbacks positifs et s’ils peuvent consolider leurs acquis à travers des tâches de mémorisation bien conçues. Bref, l’imagerie neuronale permet de valider et d’expliquer les fondements scientifiques de leurs savoirs d’expérience. Si l’action pédagogique n’est pas une application de la psychologie expérimentale, elle ne doit pas en ignorer les principaux résultats, a fortiori les contredire lorsqu’ils sont solidement établis.

Ce ne sont donc pas les neurosciences et encore moins les sciences cognitives qui nous inquiètent. Ce sont les modalités de gouvernance du système scolaire qu’elles pourraient servir à cautionner. Une tentation hégémonique et une tentation autoritaire affleurent. Le ministère semble valoriser un seul type de recherches, celles qui testent la supériorité d’une méthode pédagogique par rapport à une autre en comparant un groupe expérimental à un groupe témoin. Ce paradigme expérimental pourrait drainer tous les financements publics et devenir, pour la recherche en éducation, une norme scientifique au détriment des approches qualitatives de type clinique ou monographique et au détriment des approches quantitatives écologiques, celles qui évaluent l’effet des pratiques pédagogiques sans les manipuler expérimentalement. Dans un domaine où les opinions jouent un grand rôle et où les acteurs de la recherche se muent souvent en prescripteurs, la quête de données probantes est indispensable mais l’expérimentation n’est pas la seule voie possible : on peut aussi étudier la diversité des pratiques d’enseignement et apprendre de la variété ainsi décrite.

La tentation autoritaire pointe son nez dans la prescription du travail enseignant, par exemple pour l’apprentissage initial de la lecture. Sous couvert de neurosciences, le ministère envisage d’imposer un manuel basé sur une approche exclusivement syllabique. Or, les neurosciences n’ont pas établi la supériorité de ces méthodes, elles n’ont même jamais essayé de le faire. Les deux seules études scientifiques publiées en France à ce sujet ne l’ont pas démontrée non plus.

Le consensus scientifique porte sur la nécessité d’un enseignement explicite des correspondances entre lettres et sons (b.a.-ba) dispensé dès le début du cours préparatoire.

Mais cet enseignement, présent dans presque toutes les classes françaises, n’est pas l’apanage des manuels que le ministère recommande. Espérons que le CSEN saura contenir les velléités ministérielles et qu’il aura à ce sujet la même prudence que son président, dans son livre Apprendre à lire : «La connaissance du cerveau ne permet pas de prescrire une unique méthode de lecture. Au contraire, la science de la lecture est compatible avec une grande liberté pédagogique, des styles très variés d’enseignement et de nombreux exercices qui laissent le champ libre à l’imagination de l’enseignant et des enfants.»

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2- Les neurosciences ne font pas une politique de l’école Dominique Bucheton

L’enseignement n’est pas un simple modelage technique des cerveaux. Le nouveau Conseil scientifique de l’Education nationale ignore les sciences de l’éducation et les didacticiens.

Pas le temps de souffler ! Le ministre envoie sans l’ombre d’une concertation une annonce ou une réforme par mois. La trêve des fêtes à peine achevée, la «Blanquer-Dehaene-mania»

reprend de plus belle : maxi photos, double page, longue interview du professeur Stanislas Dehaene, spécialiste de neurosciences désigné pour diriger le Conseil scientifique de l’Education nationale (CSEN) !

La composition sidérante de ce conseil de 21 membres vaut le détour. Il a pour mission de piloter la politique du ministère pour la recherche en éducation, l’innovation et l’expérimentation. S’agit-il d’un gag ou d’une OPA ? La pluridisciplinarité annoncée y chausse les lunettes très étroites de deux ou trois domaines scientifiques et ignore tous les autres !

Mis à part un spécialiste de mathématiques théoriques et deux ou trois spécialistes de l’évaluation, des statistiques et du management éducatif, l’essentiel des troupes appartient à des champs très connectés : les recherches fondamentales ou appliquées, relevant des travaux des neurosciences (les bases cérébrales des opérations fondamentales du cerveau), de la psychologie cognitive (la mémoire, l’acquisition du langage, l’intelligence, le raisonnement, la résolution de problèmes, la perception ou l’attention, etc.), les travaux cliniques sur les pathologies et leurs applications-remédiations. Mais on ne trouve aucun didacticien de la lecture-écriture, des mathématiques, du sport, de l’histoire ou de la biologie. Aucun sociologue reconnu de l’éducation. Aucun spécialiste de la communication scolaire.

Cinquante ans de travaux ignorés, méprisés, balayés d’un revers de manche. A la poubelle, on reprend tout. «On» va créer des sous-commissions pour réfléchir à nouveau ! La guerre des étoiles pour la conquête de l’espace scolaire a commencé !

Pourtant, depuis cinquante ans, les didacticiens travaillent sur les pratiques scolaires, observent les élèves, les enseignants, les contenus enseignés, s’intéressent aux familles, aux contextes sociaux. Ils croisent leurs analyses pour décrypter les bons fonctionnements, les bugs de l’école, ses évolutions. Ils permettent aujourd’hui d’analyser finement les gestes professionnels complexes des enseignants : ceux qui favorisent la mise en route d’un questionnement ou l’inhibent, ceux qui réveillent ou non les mémoires, encouragent à la persévérance ou la désespèrent. Ceux qui apprennent à penser ensemble ou simplement à répéter, etc. Des convergences se dessinent : l’extrême importance des interactions langagières, l’éthique de la relation à l’école pour le développement de la pensée, la culture familiale.

Mais le plus inquiétant, ce sont les élèves, le regard de leurs familles sur leurs résultats et le mépris abyssal du travail enseignant. Que nous proposent Stanislas Dehaene et ses équipes à titre de modèle pour les apprentissages ? La folie selon laquelle l’apprentissage serait d’abord et surtout l’affaire d’un simple modelage technique du cerveau, avec des «outils», des

«protocoles» ; la frénésie de tests vendus par des «experts». Leur visée : «étiqueter»,

«cataloguer» les enfants.

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Alors testons les élèves ! Ouf, ils ont réussi, et toute la famille est soulagée. Malheur ! Ils ont

«raté», n’ont pas compris ce qu’on leur demandait ou ont refusé de répondre par peur de se tromper ! Et la galère de l’échec commence. Un désordre fonctionnel, «neuronal», diraient nos amis cognitivistes, s’est produit, une aire du cerveau ne s’est pas allumée ! Vite, vite, remédiation, répétitions, mise à l’écart dans le petit groupe de ceux qui ne comprennent pas assez vite, stigmatisation, image d’eux-mêmes dégradée, cervelle bloquée. Souffrance.

Faut-il pour autant crier haro sur les neurosciences ? Certainement pas. Mais elles sont récentes et les travaux depuis dix ans vont si vite que les affirmations péremptoires d’hier sur la perte des neurones et le vieillissement du cerveau ont été radicalement contestées par les instruments d’imagerie cérébrale. Et ce n’est pas fini ! Les images montrent le miracle réjouissant de la plasticité cérébrale : de nouveaux neurones et synapses réparent ou remplacent en partie des aires cérébrales défaillantes, ou les reconfigurent.

Il faut patience garder, automatiser le plus possible des opérations mentales de bas niveau pour libérer de l’espace pour des résolutions plus complexes. Il faut faire attention aux émotions négatives et encourager les positives. Les neurosciences peuvent aujourd’hui le prouver. Mais par innovation, intuition et recherches, nombre de ces observations ont déjà été intégrées dans la culture des enseignants. Enseigner n’est pas modeler, contrôler, évaluer les cerveaux. C’est un métier au service d’élèves, des personnes singulières, pour leur apprendre à apprendre, à parler, à travailler, à penser et à vivre ensemble. Les évolutions nécessaires de l’école, une des plus importantes institutions de la République, ont besoin de démocratie, d’écoute, de respect, de collaborations de l’ensemble des communautés de recherche s’intéressant aux questions d’éducation, et tous les acteurs : enseignants de terrain, cadres, associations diverses. Ce ne peut être l’affaire d’un groupuscule et de quelques décrets.

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