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Mais une question préalable : qu est-ce que l on entend par État?

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Academic year: 2022

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Introduction :

La place prise par l’État est considérable depuis la Révolution industrielle, qui est aussi une révolution bureaucratique au sens où, parallèlement aux transformations économiques et sociales, l’État se construit progressivement au cours du temps. L’État moderne se développe donc avec l’industrialisation et ses besoins, dans une logique économique, en même temps qu’il se développe suivant une logique proprement politique, très variable selon les pays.

La place nouvelle de l’État n’a jamais été “assurée” : au contraire, il y a toujours eu des remises en cause, des critiques virulentes du rôle de l’État. J-B Say, F. Bastiat par exemple sont parmi les premiers à remettre en cause la place, les attributions de l’État. Ce mouvement critique n’a jamais cessé, alors que les missions de l’État s’étendaient.

Pour ce chapitre, trois problèmes :

1) Un débat classique : la question du poids de l’État, de l’extension de ses attributions : faut-il limiter ou au contraire l’étendre au maximum ?

C’est par ex la querelle libérale / socialiste, qui pose la question des relations de l’État avec le marché. Mais on verra que cette querelle est beaucoup plus complexe que sa caricature.

Dans cette première approche, on tend à le traiter “d’un bloc”, comme un ensemble. Or en réalité c’est un ensemble dont les frontières évoluent considérablement, et qu’il est particulièrement difficile de cerner.

La délimitation pose un problème tout à fait central pour les comparaisons internationales, car chaque type de capitalisme a sa définition de l’État

2) Quelles sont les fonctions qui relèvent de l’État ? quel est son champ d’intervention ? C'est la question de la légitimité de la présence de l’État dans chaque domaine. Comme on le verra, la réponse à cette question a historiquement évolué en profondeur, et va bien au-delà de l’analyse économique pure et simple : l’État a aussi une fonction “réparatrice”, et une fonction institutionnelle essentielle (faire évoluer les rapports sociaux : voir le mariage pour tous).

3) la remise en cause de l’intervention de l’État depuis années 1980 : pourquoi ? comment ? L'enjeu est une redéfinition du rôle éco et social de l’État c'est-à-dire non seulement de son contenu mais aussi des frontières de son champ d’action.

Si ces questions sont liées, elles ne sont pas à confondre. L’État peut certainement prendre de l’ampleur parce qu’il prend en charge de nouvelles fonctions. C’est clairement la tendance depuis le XIXème siècle mais il peut également voir son poids limité et dans le même temps ses attributions se modifier en profondeur : c’est en fait tout le débat contemporain qui est posé, sur la question du “ni plus ni moins d’État (années 1970) mais mieux d’État (années 1990)”

Mais avant, il faudra repérer les grandes étapes de la transformation de l’État. Attention : le plan de ce chapitre n’est pas historique. Il faudra donc essayer de bien repérer la chronologie.

Il existe des variantes nationales mais dans le cas français, on repère toujours trois périodes assez distinctes:

1) un État au champ d’intervention encore restreint jusqu’à la Seconde guerre mondiale, mais dont les dépenses augmentent progressivement.

Dans cette période, plusieurs étapes à repérer pour nuancer l’idée d’un État-libéral et insister sur la continuité et la lenteur des transformations :

- l’État et l’industrialisation : la politique volontariste du Second Empire.

- l’État et les débuts de la politique économique : voir par ex le mélinisme.

- la mise en place de la protection sociale : l’État réformateur / instaurateur du social sous la 3e République.

2) l’âge d’or de l’État Providence durant les 30 Glorieuses, dont les bases sont jetées avant.

3) la remise en cause des attributions et du poids de l’État à partir de la crise des années 1970 Mais une question préalable : qu’est-ce que l’on entend par État ?

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Comme le note G. Burdeau (article "État" de l’Encyclopédia Universalis) il existe des définitions de l’État radicalement opposées selon la discipline : pour le juriste (KELSEN), l’État est un système de normes, pour les sciences sociales l’État est défini par la relation de domination entre gouvernants et gouvernés, pour le géographe, l’État est indissociable du territoire qu’il contrôle, etc.

Historiquement, faut-il considérer toute forme de pouvoir politique comme un “État” ? On parle par exemple des cités-Etats de l’Antiquité ou de l’Europe médiévale.

Quelques précisions :

- État et Nation : quelle relation entre le fait national et l’État ? Qu’est-ce qu’un État-Nation?

L’idée de nation s’est développée en Europe au XIXème siècle, avec l’affirmation selon laquelle l’identité commune à une population lui donnait droit à son autonomie politique, contre les pouvoirs monarchiques qui n’était pas attachés nécessairement à une population.

Historiquement, ce mouvement s’est accompagné de la dislocation des Empires continentaux, mais aussi de la formation des Empires coloniaux. On assiste à l’émergence d’État-Nations, dans lesquels la légitimité de l’État s’appuie sur l’existence d’une Nation.

- État de droit : forme démocratique d’État caractérisé par l’application du principe de légalité i.e. société dans laquelle on obéit à des lois et des règlements et non à des personnes (lois s’imposant à tous) ; elle suppose pour tout citoyen la possibilité de recours juridictionnel (i.e.

devant un tribunal) en cas de décision d’une autorité publique ; cette conception de l’État et de la démocratie est née du libéralisme politique considérant que l’individu doit être protégé de l’arbitraire du pouvoir par le droit.

- la définition sociologique de l’État par Weber(1864-1920) : “l’État a le monopole de la violence légitime” (cf. Hobbes, contrat social = abandon de son droit naturel au profit d’un tiers), contre la violence de tous contre tous ; idée de violence légitime par ex celle d’un État à travers la police qu’il impose pour faire respecter la loi.

En tant qu’institution, l’État est une bureaucratie (=au sens commun appareil administratif hypertrophié et inefficace, mais aussi l’ensemble des fonctionnaires) ; pour Weber c’est un système d’organisation rationnel et efficace basé sur la division fonctionnelle du travail et la spécialisation des compétences, d’ailleurs en ce sens ne concerne pas que les organisations administratives mais aussi privées dans les sociétés industrielles modernes)

Selon lui, un pouvoir est légitime lorsqu’il s’appuie sur une relation de domination, acceptée par les individus.

- la domination (ou autorité) : “la chance de trouver des personnes prêtes à obéir à un ordre déterminé” (par opposition à la puissance = possibilité d’exercer une contrainte).

Il existe alors différents types-idéaux de la légitimité, qui se sont en partie succédés historiquement :

- domination charismatique : renvoie à la “grâce personnelle et extraordinaire d’individus” : légitimité des prophètes ou des chefs de guerre, liée à la fascination qu’ils exercent sur leurs disciples.

- domination traditionnelle : elle vient de “la croyance quotidienne en la sainteté des traditions” : c’est la domination qu’exerce le monarque, le chef coutumier, etc. Elle existe aussi à bien d’autres niveaux (autorité du père...).

- domination légale-rationnelle : repose sur la “croyance en la légalité des règlements” ; se fonde sur le respect de règles impersonnelles, qui s’applique à tous (même à celui qui a le pouvoir) : c’est la forme de domination politique aujourd’hui.

Ainsi l’État perçu par Weber est fondé sur la domination légale-rationnelle, et gagne en légitimité parce que les actions, dans de nombreuses activités, se rationnalisent. Pour l’expliquer, Weber fait référence au développement des sciences et des techniques et à leur

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appropriation. NB : cette rationalisation des activités s’accompagne pour Weber d’un

« désenchantement du monde » (revoir cours première année).

Remarque : derrière le modèle wébérien, la mise en place d’un État moderne et bureaucratique dans l’Allemagne bismarckienne. Mais depuis les années 1960, cette “efficacité bureaucratique” est fortement critiquée par certains sociologues. On peut penser aux travaux du sociologue libéral Michel Crozier, depuis Le phénomène bureaucratique (1971), dans lequel il montre qu’une bureaucratie tend à se renforcer lorsqu’elle cherche à pallier ses défaillances (cercle vicieux) ou État modeste, État moderne: stratégies pour un autre changement (1987) dans lequel il défend que l’État est passé d’une logique d’impulsion du changement dans les sociétés industrielles, à une position de frein au changement dans les sociétés post-industrielles. Ou le travail de Pierre Bourdieu sur la formation d’une aristocratie bureaucratique, La noblesse d’État (1989).

Selon Larousse : en droit constitutionnel, l'État est une personne morale territoriale de droit public personnifiant juridiquement la nation, titulaire de la souveraineté interne et internationale et du monopole de la contrainte organisée.)/ ensemble des pouvoirs publics, par opposition aux citoyens.

Au total, Rosanvallon dans L’État en France de 1789 à nos jours (1990) identifie 4 formes d’État, plus précisément 4 modalités du rapport État-société :

- le Léviathan démocratique : modalité de constitution de l’État (autonomisation et séparation de la sphère politique)

- l’instituteur du social : avec société d’individus, l’État joue un rôle de cohésion sociale - la providence (État « réducteur d’incertitudes » selon Hobbes) i.e. État protecteur qui

devient peu à peu providence et

- le régulateur de l’économie avec révolution keynésienne et intégration de la sphère économique au champ d’action de l’État, d’où une nouvelle forme d’action de l’État sur la société : la régulation

Les limites de l’État

Quelles organisations inclure dans l’État ? Quelles frontières ? Le problème s’est complexifié au cours de l’histoire.

Rappelons pour se repérer la définition de la CN des administrations publiques, secteur institutionnel qui considère l'État au sens large (ensemble des unités institutionnelles/agents ayant une production de services non-marchands ou menant des opérations de redistribution), 3 catégories : APUC, APUL, ASSO (revoir cours comptabilité nationale)

Noter que la distinction entre public et privé n’est plus forcément aussi simple qu’on pourrait le penser

- parce qu'il existe ce que l’on nomme aujourd’hui le tiers-secteur justement ou l’économie sociale et solidaire : revoir cours entreprises première année, loi Hamon de 2014

- parce que tout le domaine public ne se limite pas à l’emploi public : il existe des emplois privés qui relève du domaine public par exemple les médecins libéraux conventionnés, ou les associations d’action sociale subventionnées (du privé sur fonds publics) mais aussi du public marchand (quand l’État est entrepreneur par ex avec Orange, La Poste, SNCF).

Dès lors si la délimitation de l’État est possible selon des critères restrictifs (production de services non marchands sur fonds publics par des fonctionnaires), elle est devenue simplificatrice pour saisir à la fois le domaine public (par opposition au privé) et la multiplicité des formes de l’action publique (des fonds publics qui financent des agents privés par ex), d’où l'intérêt de mesurer le poids de l’État Noter le vocable « poids » de l’Etat (auquel j’ai préféré en titre de partie : la place de l’Etat) de diverses manières et surtout d'analyser son évolution.

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I) Le rôle de l'Etat dans la vie économique et sociale A) L'intervention de l'Etat dans l'histoire

Evidemment la question de la mesure du poids de l’Etat apparaît quand l'outil statistique est suffisamment développé, donc pour le XIXème tout est rétrospectif ! (voir par ex évaluation difficile des prélèvements obligatoires)

Dans L’Etat en France de 1789 à nos jours, Rosanvallon note en début d’introduction : « il est peu de domaines dans lesquels le déséquilibre entre la masse des prises de position et la minceur des travaux érudits soit aussi frappant », notamment parce que l’histoire de l’administration française reste encore à étudier précisément, mais il insiste sur la nécessité pour étudier l’Etat à la fois de « déglobalisation » et de « « totalisation » :

- totaliser i.e. d’éviter de trop découper l’action de l’Etat en domaines spécialisés (éco, social, justice, défense, etc.) car l’histoire de l’Etat ne se réduit pas à l’histoire de ces secteurs : « ces histoires sectorielles ne peuvent prendre sens que si elles sont resituées dans un cadre d’ensemble ».

- déglobaliser i.e. sortir du penchant « naturel » consistant à faire de l’Etat un bloc, une structure unifiée, un ensemble cohérent et notamment il souligne les limites de l’approche statistique de l’Etat qui réduit ce dernier à une grandeur , celle de son poids (les dépenses publiques ou plus encore aujourd’hui les prélèvements obligatoires) car 2

« inconvénients majeurs » : 1) aboutit à confondre le poids de l’Etat avec le degré et les formes de son intervention (cf la fameuse phrase de VGE sur les 40% de PO et économie « socialiste ») du coup la cause de l’intervention et ses formes sont cachées par ses conséquences et 2) conduit à négliger l’histoire en réduisant l’analyse à celle de la croissance de l’Etat.

Pb général : comment expliquer l’augmentation de la place de l’Etat dans l’économie ?

La question n’est pas nécessairement liée au débat sur les relations entre l’Etat et le marché, car on observe ce phénomène en longue durée quelle que soit la “politique” adoptée. De plus, cette question ne signifie pas que l’Etat a de plus en plus d’influence sur l’économie. Au contraire, on peut soutenir que l’Etat avait au début du siècle plus de latitude dans l’usage des fonds publics qu’il n’en a aujourd’hui, compte tenu du poids élevé des dépenses soit de redistribution, soit de fonctionnement, quasi incompressible.

Comment peut-on mesurer le poids de l’Etat dans l’économie ? 1- Les dépenses publiques (en % du PIB)

Deux études françaises très classiques ont fait autorité pour montrer l’augmentation du poids de l’Etat : celle de Louis Fontvieille Evolution et croissance de l’Etat français de 1815 à 1869 en 1976 et celle d’A. DELORME et C. ANDRE L’Etat et l’économie. Un essai d’explication de l'évolution des dépenses publiques en France (1870-1980) en 1984.

Selon Fontvieille : dépenses publiques rapportées au pdt physique du pays x3 de 1815 à 1969 Delorme et André : x 3 entre 1870 et 1969

Part des dépenses publiques stricto sensu (hors collectivités locales et dépenses de sécu) par rapport au PIB x 3 ou 4 de 1815 à nos jours

Mais attention aux interprétations : quand faible croissance des dépenses pub en % du PIB, il peut y avoir dans le même temps une forte progression du nb de fonctionnaires (de 1946 à 1986 nb de fonctionnaires civils presque x 3 mais dépenses publiques de 19 à 23,5% du PIB) et penser à comparer à la croissance.

Pour affiner l'analyse, Fontvieille propose de nommer dépenses « non liées » les dépenses de souveraineté (justice et prisons, défense, police, affaires étrangères, finances, administration générale, culte et dépenses exceptionnelles,) ie non liées au développement du capitalisme et

« dépenses liées » celles afférentes aux fonctions d’intervention éco, sociale et

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culturelle (dépenses coloniales, éducation, travaux publics, action éco et sociale y compris intérêts de la dette mais pose pb car souvent dette héritée de la guerre); on constate alors que le développement de l’Etat vient essentiellement de la progression des dépenses liées :

Dép liées = 2,43% du pdt physique en 1815-19 mais 24,25% en 1965-69 Dép non liées = 9,49% à 12,53%

Plus particulièrement : dépenses de défense en 1830 (avant conquête Algérie) =42% du budget alors que 18% à partir des années 1970 et 14,3% en 2001.

Selon Delorme et André défense et dette représentaient les 2/3 en 1872, 1/3 en 1956 et moins d’1/5ème en 1980.

Croissance des dépenses publiques pas plus de 1%/an entre 1815 et 1872, après selon Delorme et André 1,4% (pour l’Etat seul) sur 1872-1912, puis période 1928-56 accélération repérable en tendance longue : 1928-36 : +4,7%/an et 1947-56 : +8,5%/an.

Sauf entre 1922 et 1928 TCAM des dépenses de l’Etat supérieur à celui de la croissance éco donc progression relative des dépenses de l’Etat : tendance longue dépenses publiques rapportées au pdt physique x plus de 4 entre 1830 et Vème République

1815-29 : 11% du pdt physique (ie sans les services) 1830-70 un peu plus de 9%

1895-1910 et 1925-29 environ 15,4%

1930-38 : 33,3%

55-69 : 36,6%

Autre mesure dépenses publiques en % du RNB : 11,6% en 1872, 26,5% en 1920, 49,4% en 1950 et 63% en 1968

Comparaison avec USA : 7,1% en 1890 12,6% en 1922 (la moitié de la F), 23% en 1948 Comparaison avec RU : 8,9% en 1890, 24,2% en 1923 et 39% en 1948

Comparaison avec All : 13,2% en 1890, 25% en 1925 (un peu moins que la F) et 40,8% en 1950 En volume progression des dép publiques base 100 1872 : 203 en 1950 et plus de 520 en 1968 donc noter :

- croissance nette des dépenses publiques à l’occasion des 2 guerres mondiales et de la crise de 1929 et pas de retour au niveau d’avant-guerre après car effet de cliquet expliqué par Peacok et Wiseman par besoins de la reconstruction ainsi que l'accoutumance à des PO plus élévés

- croissance absolue et relative des dépenses de l’Etat

- changement structure des dépenses publiques : décroissance relative de la dette et des dépenses de défense, fluctuations selon vagues de recrutement des dépenses de personnel, surtout croissance des dépenses en capital de 5% en 1914 à plus de 15% fin 30 glorieuses avec des pics en 1920 (10%) et 1956 (26%) et de transferts ie subventions, prêts bonifiés, avantages fiscaux, puis redistribution : de 8,3% en 1872 à 30,6% en 1980 (avec pic à 33% en 1920)

En 2018 dépenses publiques de 55,9% du PIB en France, seule la Finlande proche ce niveau (53, 3%) source OCDE : https://data.oecd.org/fr/gga/depenses-des-administrations- publiques.htm

2- L’emploi public

150 000 fonctionnaires au début du XIXème et 5,7 millions de personnes (y compris emplois aidés) travaillent dans les administrations publiques en 2016 dont 2,4 millions dans la fonction publique de l'Etat.

voir https://www.insee.fr/fr/statistiques/4277666?sommaire=4318291 https://www.insee.fr/fr/statistiques/2493501#tableau-figure1

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6 ministères en 1815 et 30 150 ans plus tard Limites de ces mesures :

- existence de fonctionnaires stagiaires non comptés dans les budgets quand ils ne sont pas payés au XIXème siècle,

- changements de la définition juridique du fonctionnaire

- distinction difficile entre "vrais" fonctionnaires et fonctions d’ordre public à tps partiel, d’où écart de « 30 à 40% dans les estimations pour 1ère moitié du XIXème : 250 000 en 1845 (source : préfet Vivien) mais selon d’autres 150 000

On retrouve ce que l’on a vu pour les dépenses publiques : nombre de fonctionnaires des Finances ou de la justice x 4 de 1830 à 1984 mais x 25 pour fonctionnaires de l’Instruction publique devenue éducation nationale et ceux des Poste et télécommunications x 30 !

Autre indicateur : part des agents des collectivités publiques dans la population active totale 5,2% en 1871 et à peu près pareil jusqu’en 1936 puis plus de 9% en 1956 et 13,5% en 1971 (attention en comptant agents de la sécu et collectivités locales sinon 8,2%)

Aujourd’hui on distingue la fonction publique de l’Etat, fonction publique territoriale et fonction publique hospitalière.

Création en juillet 2000 de l’Observatoire de l’emploi public pour assurer une plus grande transparence en matière d’emploi public ie notamment clarifier les contours des différentes fonctions publiques. 2 définitions de l’emploi public : 1) juridique : relève de la fonction publique tout agent qui travaille dans un organisme à caractère administratif recrutant des agents de droit public 2) économique : approche de la comptabilité nationale qui comptabilise l’ensemble des personnels des services publics financés majoritairement par les PO

Entre 1980 et 2001 l’emploi public (toutes fonctions publiques prises en compte) a augmenté presque deux fois plus vite que l’emploi total (+23% contre +13%) cette forte croissance repose en majeure partie sur le FPT (+38%) et dans une moindre mesure sur la FPH (+28%) alors que la FPE augmentait à peu près au même rythme que l’emploi total.

Les trois fonctions publiques représentent : 3,86 millions de personnes en 1980, 4,53 en 1997 et 5,64 millions en 2018.

3- Les prélèvements obligatoires (PO)

Définition : ensemble des ressources prélevées par l’Etat, les collectivités locales et certaines administrations publiques, qui ne sont pas volontaires. De fait, les cotisations sociales par ex sont prises en compte dans les PO : on parle de recettes parafiscales pour les distinguer des recettes fiscales de l’Etat et des collectivités locales.

Recettes fiscales de différentes nature : impôts directs (personnes et capital) et indirects (consommation).

Plusieurs commentaires :

- Les PO donnent une mesure très extensive de l’Etat : en effet, élargi à l’ensemble des APU, même si elles ont un budget autonome et une personnalité juridique distincte.

- Il ne faut surtout pas percevoir ces prélèvements comme une “ponction improductive” sur le PIB. Une large partie est reversée directement, le reste soutient la demande globale (salaires publics) et les dépenses publiques ont un rôle clé dans la croissance (voir Robert Barro). Les cotisations sociales ne représentent pas seulement une ponction “négative” sur l’économie, elles financent des dépenses de santé qui font vivre un secteur marchand très dynamique, comme le montre le fait que les dépenses de santé ont tendance à augmenter avec la richesse quel que soit leur mode de financement.

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Impôts d’Etat/pdt physique (donc hors services) selon Fontvieille passe de moins de 10% en 1815-70 à 13-14% pour 1875-1914 , entre 1920 et 1939 fluctuation avec maximum de 28% en 1930-34 , sur 1950-1969 entre 29 et 35%

En termes de PO depuis années 1960 : de 34,6% en 1961/73 à 38,4% en 1974/80 et 43,4% en 1981/90 et depuis 44% en 1999, 41,5% en 2010, 44,1% en 2019 voir :

https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381412

Taux de PO au sein de l’OCDE passé de 25% en 1965 à plus de 35% en moyenne à la fin des années 1990, mais aux EU de 24% à 26%.

Attention à interprétation des PO : ne pas en tirer d’interprétation sur libéralisme ou pas car serait simpliste. Par exemple au Japon moindres PO mais Etat moins libéral que celui des EU ; ce sont les deux phrases bien connues de Keynes (au-delà de 25% de PO on franchirait un seuil qui remettrait en cause fondamentalement le régime capitaliste) et celles de VGE (au-delà de 45% passage à une éco socialiste

L’important tient davantage à la dynamique de l’évolution qu’à un niveau “absolu”. Ainsi, noter par exemple la différence entre pays qui ont eu une hausse assez continue et pays qui ont connu un retournement ou un coup d’arrêt, comme la “révolution conservatrice” anglo-saxonne.

- Comparaisons internationales :

Pour le taux de P.O. comme pour les dépenses, on note des différences importantes d’un pays à l’autre. Toutefois il faut souligner :

- le poids des écarts dûs au mode de financement de la protection sociale : en effet, dans certains pays comme les EU où le Japon, une large partie des dépenses qui relèvent de l’assurance sociale sont privées (retraite notamment), de fait elles n’apparaissent pas dans le calcul du taux de P.O.

Dans un livre de 1991, Le maître des Horloges, Philippe Delmas remarque que si l’on prend en compte ce phénomène, la part du PIB consacré aux mêmes services collectifs est en réalité assez proche dans les grands pays industrialisés (voir dépenses de santé aux EU plus élevées qu’en France en % du PIB aujourd’hui). en 2017 17,1% PIB aux USA contre 11,5% en France source https://data.oecd.org/fr/healthres/depenses-de-sante.htm

Il faut aussi penser à la structure des PO selon les catégories d’administrations publiques : avec la décentralisation et le développement de l’UE : croissance de la part des APUL de 3,4% en 1970 à 5,8% en 1998, 6,2% du PIB en 2016 selon TEF, ODAC (Organismes divers d’administration centrale comme CNRS) + UE de 0,2% à 0,6% de 1970 à 2016.

Il faudrait aussi mesurer le poids de l’Etat par le volume de la règlementation, l’évolution des structures administratives et ministérielles (nb de ministères en augmentation 6 en 1791 contre 31 ministères et 17 secrétariats d’Etat en 1988 par ex), etc .

4- Les interprétations de ce poids croissant de l’Etat : la loi de Wagner et les autres

a) Adolf Wagner (1835-1917), économiste institutionnaliste allemand dans Les fondements de l’économie politique (1876), : « loi de l’extension croissante de l’activité publique ou d’Etat chez les peuples civilisés qui progressent ». Idée de croissance en intensité (action plus poussée) mais aussi en extension (élargissement du champ d’action) et croissance absolue (satisfaction d’un nombre croissant de besoins économiques et de biens collectifs) mais aussi relative : part croissante des besoins collectifs satisfaits par l’Etat. Socialiste convaincu, Wagner voyait là un moyen de passer progressivement à la collectivisation de l'économie, en évitant de recourir à la violence révolutionnaire. Tradition du “socialisme de la chaire” universitaire avec Gustav Schmoller, figure de l’école historique allemande donc opposé aux libéraux et s’écartant du marxisme.

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Le constat de Wagner est donc que l’Etat prend en charge un nombre croissant de biens collectifs. Pourquoi ? Trois raisons sont avancées par Wagner :

- la complexité croissante de la société augmente les besoins d’un “Etat-régulateur”, par ex protéger les ouvriers suite à l’industrialisation

- l’urbanisation multiplie les besoins et les disponibilités de services collectifs (santé, éducation, culture)

- la division du travail favorise la concentration et la formation de monopoles que l’Etat doit contrôler.

NB : pour Wagner l’intervention de l’Etat est légitime dans la mise en place et gestion des chemins de fer, du commerce extérieur, et surtout en matière d’assurance sociale (l’Etat doit rendre obligatoires les assurances ouvrières, participer à leur financement et organiser les transferts sociaux).

En fait la loi de Wagner est peu explicative d’abord parce qu'elle n'est pas vraiment démontrée par Wagner, mais plutôt prise comme donnée et l'idée d'un phénomène de civilisation n’explique rien, loi plus descriptive qu’autre chose.

D’où les explications complémentaires :

b) les lois d’Engel insistent sur l’évolution de la nature des dépenses : avec l’augmentation des revenus les besoins des consommateurs se transforment = > d’où une hausse des dépenses sociales, correspondant à des biens supérieurs (santé...). Cette explication est très complémentaire de celle de Wagner.

D'après wiki : La loi d'Engel est une loi empirique avancée en 1857 par le statisticien allemand Ernst Engel.

D'après cette loi, la part du revenu allouée aux dépenses alimentaires (ou coefficient d'Engel) est d'autant plus faible que le revenu est élevé. Même si la proportion d'une catégorie de biens est réputée décroissante dans un budget de consommation donné, cela n'empêche pas que si le revenu augmente, la dépense allouée à l'alimentation, exprimée en valeur absolue, augmente.

Engel a déterminé cette loi à partir de l'observation du budget de 153 familles franco-belges ; cette observation a été confirmée par de nombreuses autres études statistiques.

Dans son étude, Engel a également montré que

la proportion allouée au logement, à l’habillement, à l’éclairage et au chauffage reste constante en fonction du revenu,

la proportion consacrée aux dépenses alimentaires diminue au fur et à mesure que le revenu augmente et inversement,

la proportion allouée aux autres dépenses (santé, éducation, loisirs, produits de luxes) augmente si le revenu augmente et inversement.

c) Peacock et Wiseman en 1961 théorie des effets de déplacement : en temps normal, forte résistance à l’augmentation de la pression fiscale ce qui contraint l’augmentation des dépenses publiques, ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles – guerres ou crises – que les citoyens acceptent de payer plus d’impôts ; ensuite effet d’inertie, les recettes supplémentaires servent à financer de nouvelles missions de l’Etat, donc augmentation des dépenses publiques par paliers. Thèse séduisante pour la crise des années 1930 ou les chocs pétroliers, mais on peut aussi avoir une hausse temporaire de dépenses publiques avec déficit ; en outre il n'est pas impossible de voir les dépenses publiques baisser (ex : dépenses du gouvernement fédéral américain de 18% du PIB en 1940 à 50% en 1944 puis retour au niveau d’avant-guerre en 1947), et ne pas oublier l’importance de l’Etat-providence qui se développe pendant les 30 glorieuses ie en temps de paix

d) Explication de Fontvieille dans une optique marxiste : recours à l’Etat croissant pour surmonter les contradictions du capitalisme et permettre de poursuivre l’accumulation

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e) Dans l'approche du Public Choice, théorie du marché politique de Wolfelsperger : les élus qui cherchent à favoriser les citoyens électeurs potentiels, hausse des dépenses des hommes poli en échange de moindres tensions sociales

NB : analyse libérale du Public Choice : courant aux lisières de la science éco et de la science politique, voire de la sociologie, autour des travaux de Gordon Tullock et de James Buchanan et Niskanen. Son but est d’appliquer à d’autres domaines que les questions éco le paradigme de l’individualisme méthodologique, en expliquant les phénomènes collectifs par les choix rationnels des individus. Le Public choice rejoint en cela l’idée que dans une démocratie, les choix individuels sont de plus en plus motivés par le calcul rationnel : rejoint la thèse de Weber de la loi de la rationalisation des pratiques.

Plus précisément : utilisation de l’instrument d’analyse que constitue le marché dans le domaine politique avec confrontation d’Offre (le personnel politique) et de Demande (les électeurs).

Le point essentiel : l’analyse du marché politique les conduit à critiquer l’économie publique de Pigou et Samuelson. Les politiques ne se contentent pas de compenser les défaillances du marché, mais ils sont conduits à augmenter les dépenses pour essayer d’attirer davantage de voix .

Niskanen en 1971 : les citoyens sous-estiment les impôts futurs qu’ils auront à payer et surestiment les bénéfices qu’ils tirent des dépenses publiques : illusion fiscale car l’info sur le budget est coûteuse et le bénéfice individuel des dépenses publiques pour ceux qui en bénéficient est supérieur au coût marginal de la dette répartie sur toute la population.

Explication : théorème de l’électeur médian = > les partisans de gauche et de droite qui ont des convictions affirmées ne changent guère de camp, on fait basculer une élection par le centre.

Donc il faut augmenter les dépenses publiques pour satisfaire les électeurs médians, qui sont les seuls à obtenir une satisfaction maximale, et cela contribue à favoriser le marchandage politique : clientélisme, lobbying, pour attirer les électeurs médians.

Conclusion : en présence d’un effet d’agrégation, ou effet pervers ici, - c’est-à-dire d’une conséquence collective non voulue par les agents, mais qui découle de l’agrégation des choix rationnels individuels- l'augmentation des dépenses publiques est permanente, conséquence du marchandage politique. Le Public Choice prépare donc le terrain à la critique libérale des dépenses publiques.

f) Dans la même lignée : analyse de W. Nordhaus sur l’existence de cycles politiques (1975) (voir cours de première année sur les cycles) : relances en fin de mandat, politiques de rigueur en début de mandat, en comptant sur la mémoire courte des électeurs pour se faire réélire ! (Modèle peu applicable en France, car économie plus ouverte que les EU).

g) Chez les historiens : Peter Flora dans State, Economy, and Society in Western Europe 1815–

1975 (1983, 1987) explique le take off de l’Etat-providence par la nécessité de résoudre les problèmes sociaux créés par industrialisation capitaliste et par les ressources disponibles du fait de la réduction du nombre de conflits ; Hartmut Kaelble l’explique par la régression des solidarités traditionnelles, familiales notamment et doncun besoin de protection plus fort.

h) L'analyse de W. Baumol insiste sur la faible productivité des services publics : du fait du différentiel de productivité les services publics ne peuvent que grossir plus rapidement que le secteur privé (thèse proche, pour les services non-marchands, de la fameuse thèse du déversement de Sauvy).

En guise de transition avec le B) : Grille de lecture des formes d’Etat, donc de ses formes d’intervention

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- Gueslin : ce qui distingue le XIXème du XXème ce n’est pas absence d’Etat/tout Etat car Etat très présent même au temps du libéralisme triomphant mais après la Première guerre mondiale on assiste à un gonflement de l’appareil d’Etat ; au XIXème intervention surtout par réglementation pas gestion directe, après la Première guerre mondiale et surtout après la Seconde, il fait plus lui-même ; donc quelque part comme le disait l’historien Jean Bouvier

« l’Etat a toujours été lourd », pas de rupture nette mais maturation longue même pour l’Etat providence de 1945 qui ne tombe pas du ciel.

NB Etat douanier, percepteur, banquier et gendarme au XIXème siècle mais surtout pas producteur ou providence

A SAVOIR : les fonctions de l’Etat selon Robert Musgrave (Theory of public finance, 1959) devenues traditionnelles (optique keynésienne) :

o fonction d’allocation production de biens et services non marchands (et en France dotations en K aux entr publiques)

o fonction de redistribution : transferts sociaux ou plutôt revenus de transferts aux ménages (sécu et différentes aides) et aux entreprises (subventions)

o fonction de régulation : optique plus keynésienne mais pas seulement penser aussi aux réglementations

Selon Nordhaus et Samuelson (respectivement conseiller de Carter et Kennedy) dans leur fameux manuel Economie, les fonctions de l’Etat peuvent être résumées en 4 points :

o améliorer l’efficacité économique ie atteindre allocation socialement souhaitable des ressources, enjeu laisser faire ou multiplication des règlementations, observer situation réelle et mesurer écarts par rapport à la situation idéale, corriger les défaillances du marché, par ex constat de l’absence de CPP et d’existence de monopoles, phénomène d’externalités négatives notamment, information imparfaite

o améliorer la répartition du revenu : fonction de redistribution du revenu, par impôts+politique budgétaire+éventuellement règlementations

o stabiliser l’économie par des politiques macroéconomiques ; après le traumatisme de la crise des années 1930, instrument politiques budgétaire+monétaire+fiscale

o conduire la poli économique internationale : réduction des barrières douanières, promouvoir les programmes de coopération (assistance internationale), coordination des poli éco (G7, G8, G20) et même préservation de la planète (type accords de Kyoto)

Le classement de la Banque Mondiale :cf montoussé p 273 distinction des interventions de l’Etat pour remédier aux dysfonctionnements du marché/pour assurer l’équité sociale et en précisant 3 niveaux : fonctions minimales (ordre public, défense, protection de la propriété, stabté macroéco, santé publique et de l’autre côté programmes de lutte contre la pauvreté et aide aux sinistrés), fonctions intermédiaires et fonctions de type interventionniste

Selon G. Vindt in Alternatives économiques :

- Etat palliatif : Smith, lutte contre paupérisme (la question sociale), défaillances du marché de Marshall, Pigou et pollueur-payeur, rôle d’incitation de l’Etat

- Etat régulateur de l’éco : perspective keynésienne et post-keynésienne - Etat usurpateur : Bastiat, Robbins, Böhm Bawerck, Mises et surtout Hayek

On va voir maintenant les différentes interprétations du rôle économique de l’Etat ce qui revient aussi à analyser les limites de son intervention c'est-à-dire à définir ce qui est légitime et ce qui ne l’est pas, au fond les multiples et récurrentes polémiques depuis le XIXème sur trop d’Etat

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ou pas assez d’Etat pose une question sous-jacente : quel est le partage optimal entre Etat et marché ?

Quatre directions possibles pour l’analyse de la place de l’Etat dans une économie de marché : - l’une est libérale, et débouche sur “l’économie publique”. L’Etat est jugé indispensable, mais uniquement pour compenser les imperfections du marché : il s’agit donc de mettre l’Etat au service du bon fonctionnement d’une économie de marché.

- une deuxième approche donne à l’Etat un rôle organisateur des relations économiques, il encadre et corrige l’action des marchés. C’est la perspective réformatrice qui a conduit à la mise en place des Etats-Providence.

- une troisième approche voit dans l’Etat au contraire une alternative au marché, et s’est développée chez des économistes hostiles aux libéraux, avec la question de la planification et celle de la collectivisation de l’économie.

- une quatrième qui consiste d’un point de vue libéral à considérer que l’Etat n’est pas indispensable mais qu’il est au contraire nuisible, version Hayek.

Mais d'abord, ne pas oublier que l’Etat fixe le cadre réglementaire des activités économiques : ex loi sur durée du travail, loi sur SA en 1867 et même fondamentalement protection de la propriété privée (sans elle pas de capitalisme), respect des contrats ; on peut distinguer la réglementation économique (contrôle des prix, conditions d'entrées et de sorties d’un marché, normes) et réglementation sociale (protection sociale des travailleurs – durée travail, accidents du travail, santé des consommateurs – pcpe de précaution à l’égard des OGM par ex- et même de l’environnement – normes de pollution pour automobiles par ex.

Justification de la réglementation de l’activité économique :

- éviter abus de pouvoir des entreprises : monopoles et oligopoles - corriger externalités négatives

- lutter contre les carences en information exemple : obligation des étiquettes indiquant la composition des produits (colorants, OGM) et l'origine géographique.

B) Diverses conceptions de l'Etat

Rappel sur les mercantilistes : ils prônent l’intervention de l’Etat en matière commerciale mais aussi sont aussi populationnistes (Bodin "il n’est de richesse ni de forces que d’hommes") donc appel l’Etat à favoriser la croissance démographique; règlementation en Angleterre dès 1563 pour le statut des artisans (l’organisation du travail repose alors sur 3 piliers selon Polanyi : l’obligation de travailler, un apprentissage de 7 ans et l’évaluation annuelle des salaires par des fonctionnaires publics) et les lois sur les pauvres qui sous prétexte de les protéger visent surtout à réprimer très durement le vagabondage et à les mettre au travail.

En France Antoine de Montchrestien auteur du Traité d’économie politique en 1616 insiste sur l’importance du rôle de l’Etat dans le développement du commerce et des manufactures, application par le colbertisme de cette doctrine dans le dernier tiers du XVIIème siècle.

1- l’analyse de Smith et quelques autres classiques

a) La doctrine libérale est souvent identifée à celle de l’Etat-gendarme, évoquée par Smith : selon lui, 3 fonctions , les « devoirs du souverain » :

1- la sécurité extérieure, défense nationale, protection des frontières : fonction régalienne par excellence

2- la sécurité intérieure de chaque membre vis-à-vis d’autrui, « celui de protéger autant qu’il est possible chacun des membres de la société contre l’injustice ou l’oppression de tout autre membre de cette société ie d’établir une administration de la justice » but respect de l’individu et garantie du droit de propriété

Les 2 premiers devoirs sont caractéristiques des fonctions régaliennes de l’Etat

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3- le troisième est plus intéressant : “devoir d’ériger et d’entretenir certains ouvrages publics et certaines institutions que l’intérêt privé d’un particulier ou de quelques particuliers ne pourrait jamais les porter à ériger et entretenir, parce que jamais le profit n’en rembourserait la dépense” c'est-à-dire les routes, ponts, voies navigables qui facilitent les échanges et servent la croissance économique, mais aussi service d’éducation : encourager voire imposer l’instruction du peuple.

Ce point constitue une large partie du programme de recherche de ce qu’on appelle aujourd’hui l’économie publique : l’analyse néo-classique des situations où l’intervention de l’Etat bénéficie à la collectivité.

En effet on trouve chez Smith :

- Etat luttant contre les effets de la division du travail qui provoque un abrutissement des ouvriers (« l’homme dont toute la vie se passe à accomplir un petit nombre d’opérations très simples […] devient aussi stupide et ignorant qu’il est possible pour une créature humaine de le devenir […] c’est l’état dans lequel les travailleurs pauvres doivent nécessairement tomber à moins que le gouvernement ne prenne quelque peine pour l’empêcher » donc compenser par l’éducation les effets de la DT

- Etat gardien de l’intérêt des consommateurs : Smith s’en prend aux manufacturiers et aux marchands : « l’intérêt du consommateur est à peu près constamment sacrifié à celui du producteur », donc il préconise la concurrence (suppression des règlements qui sont en faveur des producteurs et lutte contre les monopoles : antagonisme intérêt des marchands et manufacturiers avec ceux de la société) car l’intérêt du marchand est d’agrandir le marché et de réduire la concurrence et possibilité d’entente entre producteurs (parle de "conspirations") or pour lui le monopole « nuit à l’intérêt de toutes les autres classes d’hommes de ce pays et à tous les hommes de tous les autres pays », ex commerce colonial contraire à l’industrialisation du pays, lutter contre la “coalition des maîtres” qui forme des quasi-monopoles : l’Etat se fait alors le garant de l’intérêt économique du citoyen (cf cours d’HPE de première année).

Au total, contre simplification traditionnelle de Smith à la main invisible (« chaque ind travaille nécessairement à rendre aussi gd que possible le revenu annuel de la société. A la vérité, il ne sait pas jusqu’à quel point il peut être utile à la société […] il est conduit par une main invisible pour remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions » en fait que 3 occurrences de la main invisible dans tte son œuvre une fois dans son histoire de l’astronomie, une fois dans Théorie des sentiments moraux en 1759, une fois dans la Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations ; en fait en 1759 Smith étudie non pas le capitalisme mais le fonctionnement du système féodal donc main invisible ne saurait désigner les mécanisme de marché asbents d’une société féodale par contre dans la Richesse désigne pcpe d’autorégulation du marché artisanal (car il décrit des échanges entre entrepreneurs individuels) donc contestable de parler de main invisible pour régulation de l’éco de marché qui n’existe encore pas vraiment D’où proposition contre Etat mercantiliste d’un système « le système simple et facile de la liberté naturelle » : dans ce système tout individu tant qu’il n’enfreint pas les lois, doit pouvoir rechercher librement son intérêt.

Au total, l'intervention de l’Etat peut être assez vaste déjà dans perspective de Smith et on voit qu’il pallie certaines difficultés nées de l’industrialisation (DT), donc il intervient pour suppléer à la carence des individus quand l'intérêt individuel n'est pas suffisamment puissant pour promouvoir des initiatives utiles à la collectivité, au bien commun ; au fond la liberté individuelle n’exclut pas l’intervention de l’Etat.

NB : insister sur le fait que l’Etat dans ce libéralisme naissant est une « tension », entre Etat répressif et Etat nourricier.

b) JB Say, le représentant du libéralisme économique en France au début du XIXème, insiste sur le droit essentiel celui de la propriété privée et donc rôle essentiel de l’Etat est de la garantir

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au lieu de le spolier ; comme pour Smith, coordination des activités individuelles par recherche de l’intérêt mais sous certaines conditions : « quoique l’intérêt personnel se trompe quelquefois c’est, au demeurant, le juge le moins dangereux et celui dont le jugement coûte le moins. Mais l’intérêt individuel n’offre plus aucune indication lorsque les intérêts particuliers ne servent pas de contrepoids les uns pour les autres (1803 in Traité d’économie politique) or les privilèges accordés à certains par l’Etat gênent la concurrence ; et dénonciation très sévère de l’Etat producteur c'est-à-dire quand il prend en charge des activités de production : argument « les particuliers fabriquent à moins de frais que le gouvernement » donc idée de moindre incitation à la bonne gestion mais si cette gestion étatique était bonne pas vraiment d’opposition donc au total un Etat dénoncé souvent comme trop pesant mais en même temps auquel Say attribue des fonctions non moins importantes : sûreté des personnes, garantie du respect de la propriété privée et même développement des transports comme chez Smith.

c) John Stuart Mill (1806-1873) in L’Etat et la question sociale : alors qu’il veut limiter l’intervention de l’Etat pour défendre la liberté individuelle, il en appelle à intervention de l’Etat dans le domaine économique pour lutter contre pauvreté et modifier la répartition de la propriété : en faveur des coopératives de production (comme plus tard Walras), de l’éducation en réponse à la question sociale.

Donc chez Smith et Mill et dans une moindre mesure chez Say l'Etat est palliatif.

2- Les principes de l’Economie Publique : l’économie du bien être

Point de départ : naissance de l’économie néoclassique dans les années 1880 conclut à un équilibre spontané si CPP, pour autant les cas d’imperfections du marché n’ont pas été passés sous silence

Cournot dès 1838 avec monopole et duopole (repris en micro), Walras distinction économie politique pure et économie politique appliquée (rappel : Walras est socialiste !!)

D’ailleurs, la pensée de Walras montre les ambiguïtés dont font parfois preuve les néo- classiques face à l’Etat. En distinguant l'économie pure, l'économie appliquée et l'économie sociale Léon Walras est amené à dissocier l'étude de la production et des échanges d'une part et celle de la répartition d'autre part. Pour Walras l'économie politique pure devait exposer, en utilisant les mathématiques, la théorie de la détermination des prix dans le cadre d'une économie représentée sous la forme d'un modèle de plusieurs marchés où l'équilibre résulte des mécanismes de la concurrence fonctionnant dans des conditions très spécifiques. C'est à l'économie politique appliquée de définir les fonctions de l'État : là où la concurrence ne peut être organisée il doit réguler l'économie. Etat garant de la concurrence donc pas opposition entre Etat et concurrence mais complémentarité : « dire libre concurrence n’est pas du tout dire absence de toute intervention de l’Etat. Cette intervention est nécessaire pour établir et maintenir la libre concurrence là même où elle est possible » (in 1896 Etude d’économie sociale. Théorie de la répartition et de la richesse sociale) .Il peut aussi procéder à des nationalisations, en particulier dans l'agriculture et les chemins de fer et dans certaines situations de monopole. Enfin l'économie sociale « trace les limites de jouissance de l'individu et de l'État » et propose une théorie de la propriété et de l'impôt. Du point de vue de Léon Walras il est logique que la question de la place de l'État dans chacun de ces trois domaines ne reçoive pas la même réponse puisque « leurs critères respectifs sont le vrai pour l'économie pure, l'utile ou l'intérêt pour l'économie appliquée, le bien ou la justice pour l'économie sociale ».

Donc un Walras hétérodoxe passé sous silence par la tradition néoclassique qui en a fait son totem dans les années 1950-70 puisqu’il considère que les terres devraient être nationalisées pour des raisons de justice et d’efficacité, idem pour les ressources naturelles (éviter impôts sur le travail et financer les besoins de l’Etat, lutte contre les monopoles, etc.) ; il est aussi favorable à la nationalisation des moyens de transport (cf célèbre mémoire en 1875 L’Etat et les chemins

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de fer) et puis surtout distinction biens privés/biens publics pour lesquels le monopole étatique peut être justifié, éducation, définition des conditions de travail

Au total chez Walras un Etat qui a une fonction de première importance : « c’est à l’Etat d’assurer la répartition de la richesse sociale à la fois équitable et conforme à l’ordre éco, grâce au traitement conjoint des questions de la propriété et de l’impôt » (in 1896)

La notion d’Economie publique désigne la théorie économique qui a pour objet la définition des circonstances où l’intervention de l’Etat est justifiée. C’est donc une approche normative de la question, qui, en quelque sorte, est une extension très approfondie de la “3ème fonction”

de l’Etat selon A. Smith, dans une perspective néo-classique. La justification de l’intervention de l’Etat repose alors sur les “défaillances du marché” (market failures) : situations où les hypothèses de CPP ne peuvent être respectées et plus généralement cas où l’équilibre spontané du marché n’est pas le meilleur possible (sous-optimalité ex en situation de monopole le surplus collectif est inférieur à celui de la CPP même si celui du producteur est supérieur).

Quand l’intervention de l’Etat est-elle souhaitable ? Pour les néo-classiques, seulement quand elle augmente la satisfaction collective, au-delà de ce qu’apporte le fonctionnement normal du marché. Tout le problème est de saisir cette “amélioration de la satisfaction collective” : comment savoir si une situation est préférable à une autre ?

Les néo-classiques utilisent le critère de Pareto, présenté dans son Manuel d’Economie Politique en 1906 :

Au sens de Pareto, une situation est optimale lorsque l’on ne peut plus améliorer la satisfaction d’un agent sans détériorer celle d’au moins un autre agent. L'optimum de Pareto s’appelle aussi un optimum de premier rang.

Ce critère est très général, et considère à égalité l’intérêt de chacun : comme le dit M. Allais, prix Nobel, il mesure l’efficacité d’un système, et non le bien-être collectif (en effet on ne sait pas “additionner” les biens êtres des individus : peut être qu’un autre système diminuerait celui d’un petit nombre pour améliorer la situation de tous les autres). Pareto ne dit pas que l’optimum est la meilleure situation possible d’un point de vue social, une situation pouvant être jugée optimale alors qu’une petite minorité accumule l’essentiel des richesses selon les dotations initiales.

Pour les néo-classiques, il est essentiel de montrer que le marché, en concurrence pure et parfaite, conduit à un équilibre optimal au sens de Pareto. En effet, l’échange marchand améliore la satisfaction de tous. Plusieurs démonstrations à la suite des travaux de Pareto, ici celle de la boite d’Edgeworth Francis Isidro Edgeworth, 1845-1926) représentation dans une perspective d’équilibre général une éco à deux biens et deux agents

Objectif : montrer que dans le cadre d’une économie d’échange, où chaque agent a une dotation initiale, l’échange peut améliorer la satisfaction de tous.

modèle simplifié : 2 biens et 2 consommateurs dans une éco d’échanges pure

chaque côté donne la quantité totale d’X et de Y (donc le rectangle donne l’ensemble des possibilités d’échange).

On place sur le même graphique les courbes d’indifférence des deux consommateurs.

On prend une dotation initiale quelconque et on montre graphiquement que l’on peut améliorer la satisfaction de B sans léser A ; on a intérêt à poursuivre l’échange jusqu’au point de tangence de 2 courbes d’indifférence (en C, en ce point on vérifie l’égalité des TMS pour les deux consommateurs = c’est bien un point d’équilibre de marché).

On peut faire la démonstration symétrique en faveur de A = > l’échange améliore donc la satisfaction de tous : optimum de Pareto.

La courbe bleue dite courbe des contrats est l'ensemble des allocations de biens efficientes entre deux consommateurs.

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Les théorèmes de l’économie du bien-être : ils montrent l’existence d’une correspondance étroite entre équilibres du modèle de CPP et les optima de Pareto, donc essentiels pour comprendre le statut normatif des équilibres de CPP pour les auteurs néoclassiques :

premier théorème : l’affectation des ressources d'un équilibre de CPP est un optimum parétien

second théorème : il est possible d’associer à toute affectation des ressources optimale au sens de Pareto un système de prix tel qu’à ces prix cette affectation des ressources soit celle d’un équilibre de CPP

Donc le second est la réciproque du premier, mais attention repose sur l'existence d’un système complet de marchés ( = il existe pour chaque bien un prix unique et une forme d’organisation sociale qui permet aux agents d’effectuer les transactions qu’ils désirent à ce prix). Le système complet de marchés n’est pas réalisé par ex quand existent des externalités comme on va le voir un peu plus loin.

Conclusion : en CPP, l’intervention de l’Etat n’est jamais justifiée, mais la concurrence imparfaite peut la légitimer, pour améliorer le bien-être collectif.

Au moins deux limites à ce qui précède :

1) quand il existe une multiplicité d’optima de Pareto, comment choisir ? C'est le problème de la définition d’une fonction d’utilité collective et celui de la transitivité des préférences déjà posé par Condorcet : la détermination d’une fonction d’utilité collective est soumise à deux risques :

a) la tyrannie du vote à l’unanimité

b) si vote majoritaire, risque d’avoir un résultat indéterminé, montré par le paradoxe de Condorcet (1743-94)

ex si pour l'individu 1 : A préféré à B préféré à C, pour 2 : B préféré à C préféré à A et pour 3 C préféré à A préféré à B alors on a bien transitivité des préférences individuelles mais collectivement A semble préféré à B d’après les deux premiers, mais C comme B et comme A est préféré 2 fois donc indétermination des préférences collectives , ce n’est pas toujours le cas

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mais d’autant plus souvent que le nombre de votants est élevé et que le nombre d’options est important ; d’où Etat fort (dictature?) comme solution « par le bas » de ce problème ou pour rester démocratique, confirmation des problèmes : c'est le théorème d’impossibilité de Arrow en 1951, sous les hypothèses suivantes :

1- chaque individu établit un ordre de préférence entre toutes les situations alternatives, pas de mouvements d’opinion (ie pas des sous-groupes ayant des préférences communes), tous les ordres sont possibles

2- si une option s’élève dans l’échelle des préférences individuelles, elle ne doit pas s’abaisser dans l’échelle des préférences collectives ceteris paribus (les préférences collectives doivent dériver des préférences individuelles)

3- le choix collectif ne doit pas être modifié par l’introduction ou le retrait d’une option ie respect de l’ordre (on peut intercaler une option Z entre A et B mais pas avoir du fait de l’intervention de l’option Z B préféré à A)

4- le choix collectif doit respecter les préférences unanimes (ie choix choisi par tous et 5- il n’y a pas de dictateur (même bienveillant) ie pas d’individu dont les choix correspondent à la fonction de préférences collective

alors impossibilité d’établir un choix collectif transitif, ie que l’ordre collectif sera forcément en contradiction avec l’ordre des préférences des individus

Ce résultat est fondamental (a permis à Arrow d’avoir le Nobel en 1972) , mais ne condamne pas pour autant condamner la démocratie car de nombreux travaux ont prolongé le travail de Arrow : par ex Duncan Black montre avec disparition de la 1ère condition, disparition de l’impossibilité c’est le cas par ex si existent des mouvements d’opinion qui guident les opinions individuelles, ainsi rôle des partis consiste à faire un premier tri parmi les options possibles (ie réduire le champ des préférences) et c’est le rôle aussi de l’échelle politique qui exprime les opinions selon une seule échelle (gauche/droite) (idem encore avec bon nombre de votes qui reposent sur une bipolarisation politique, seulement 2 choix donc possibilité d’avoir une majorité).

Finalement ce théorème d’impossibilité montre que le choix public n’est pas assimilable à un échange marchand (selon Samuelson la mathématique politique n’apporte pas de solution à la question du choix social) NB lire article de Jacques Généreux sur blog ; d’autres, comme Buchanan remettent en cause des conditions de Arrow car elles supposent que les agents sont a priori capables de mesurer les véritables résultats de tel ou tel choix, donc pour lui le problème n’est pas d’agréger des préférences individuelles mais de « mettre en place des procédures transparentes de construction des préférences collectives par tâtonnement ».

2) Si l’existence d’un équilibre général est prouvée depuis 1954 par Arrow/Debreu, la stabilité de l’équilibre ne l’est pas (stabilité locale = un système à l’équilibre revient-il à l’équilibre après un choc transitoire ? stabilité globale = quelles que soient les valeurs initiales y a-t-il convergence vers l'équilibre?). Le théorème de Sonnenschein-Mantel-Debreu : avec CPP grand risque d’instabilité

L’éco du bien-être est le titre d’un ouvrage de Sir Arthur Cecil Pigou en 1920 : il introduit le problème des externalités et justifie l’intervention de l’Etat pour tenir compte d’aspects sociaux non pris en compte par le marché.

De ce point de vue, trois cas où l’intervention de l’Etat est justifiée par l’amélioration du bien- être collectif par l’économie publique, ce sont les défaillances du marché (market failures) : 1) en raison d’imperfections des marchés : cela tient à sa structure d’un marché ou au manque d’information

2) en présence d’externalités

3) en raison des propriétés du bien considéré (bien collectif)

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Conclusion : la diversité des libéralismes

Le courant libéral ne s’est pas fondé sur la négation de l’Etat, mais sur la conviction qu’il doit limiter au mieux son intervention, pour garantir le bon exercice des libertés individuelles. A replacer dans son contexte historique : les libéraux ne rêvent donc pas d’une disparition de l’Etat, mais d’une stricte limitation de son rôle, ils sont alors des “réformateurs de l’Etat” sous la Révolution Française, et les premiers théoriciens de l’Etat.

Cependant, certains libéraux ont une contestation beaucoup plus radicale de l’Etat. Voir Robert Nozick en particulier (1938-2002) : il pense que l’Etat doit être limité au minimum pour garantir les droits de propriété de chacun (Etat, anarchie et utopie, 1974) ; toute redistribution est illégitime. Plus radical encore, David Friedman (fils de Milton, libertarien) : il faut supprimer totalement l’Etat : c’est le courant anarcho-libéral. On en reparlera dans la remise en cause de l’Etat à la période récente, mais aussi avec la dénonciation de l’Etat par le courant hayékien.

3- Plus d’Etat : l’Etat régulateur

C'est une conception alternative à celle que l'on vient de voir, celle d’un Etat qui vient corriger et réguler l’économie de marché. Historiquement, cette conception est liée à trois grandes étapes : l’histoire de la social-démocratie, la construction de l’Etat-Providence et le courant keynésien.

a) les socialismes et l’Etat : contrairement à une idée reçue, la pensée socialiste ne s’est pas construite sur la position inverse de celle du libéralisme, la défense systématique de l’Etat. C’est ce que montre l’émergence du mouvement socialiste. Les socialistes utopiques sont clairement orientés vers une indépendance envers l’Etat parmi lesquels les socialistes libertaires sont très hostiles à l’Etat : cf la défense de Proudhon de la libre association, du mouvement mutualiste (cf Ferdinand Pelloutier vient de l’anarcho-syndicalisme et ensuite passera au mouvement socialiste). Le mouvement ouvrier reste très longtemps hostile à l’Etat, soupçonné d’être un

“Etat bourgeois”, et favorable à une action politique qui ne passe pas par la conquête de l’Etat : c’est l’appel à la grève générale, et l’indépendance du syndicat envers le parti politique, proclamée par la Charte d’Amiens en 1906.

Il faut attendre l’entre-deux-guerres pour que se diffuse progressivement l’idée que l’Etat peut aussi être une source de transformation sociale, d’une part, via la question de la planification, de l’URSS au PCF, d’autre part, via les transformations qui ont suivi la guerre de 1914-18. Une distinction politique s’opère progressivement entre un camp réformateur, qui se retrouve dans les partis socio-démocrates favorables à une construction du socialisme par des réformes progressives impulsées par l’Etat, et un camp révolutionnaire pour lequel l’Etat doit être combattu, car il est un “allié objectif du capital”.

Quelques points de repère très brefs dans une histoire complexe :

- des précurseurs d’une pensée régulatrice de l’intervention de l’Etat : «Nous regardons le gouvernement comme devant être le protecteur du faible contre le fort. » affirme Sismondi qui assigne aussi à l'Etat de limiter les excès de production,

- le cas allemand : pendant longtemps une domination du courant marxiste, malgré la répression de Bismark et ses efforts pour limiter le mouvement ouvrier par sa politique sociale. Tournant clairement marxiste pris en 1891, mais tournant social démocrate “moderne” après la création du parti communiste en 1918 (par Rosa Luxemburg). En 1959, le SPD supprime toutes les références révolutionnaires dans son programme : la rupture est clairement consommée entre réformateurs et révolutionnaires.

- dans tous les pays, influence de l’exemple soviétique, qui pousse à la création de PC liés à lui et à sa tactique à partir de 1919 avec la création de la IIIe Internationale (Komintern).

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- le cas français : le Congrès de Tour en 1920 entérine la rupture entre SFIO (socialiste) et PCF (marxiste).

Dans cette histoire, on voit clairement deux conceptions antagonistes des relations entre l’Etat et l’économie de marché.

b) l’émergence de l’Etat Providence :

La notion d’Etat providence semble être à l’opposé, puisque bâtie sur l’idée que l’Etat a pour mission d’assurer le bien-être des citoyens. L’expression a été créée en France par politique E.

Ollivier, un “socialiste bonapartiste” à qui on doit la loi sur le droit de grève de 1864. Le terme a d’abord un sens péjoratif, puisqu’Ollivier désigne ainsi la prétention de l’Etat à se substituer à la divine Providence... Ollivier préfère les associations de prévoyance à l’intervention de l’Etat (pas d’assurance sociale), c'est la différence entre une logique caritative et une logique redistributive (=prise en charge par l’Etat), c'est-à-dire au fond entre assistance et assurance.

Par ex au moment de la création du Ministère du travail en 1906, a lieu un débat sur la nature de la protection sociale, entre assurance et assistance (l'assurance s'inscrit dans une logique de protection contre le risque, contributions sous forme de cotisations qui ouvrent des droits tandis que l’assistance participe d'une logique de solidarité (verticale).

Il a fallu une lente transformation des mentalités pour que le terme prenne un sens positif. En anglais, l’expression de “Welfare State” semble être née en Angleterre en 1942, par un jeu de mots qui l’opposait à Warfare State (état de guerre), et son « inventeur » fut peut-être l’archevêque de Canterbury, William Temple, apôtre contemporain du christianisme social.

Après la Seconde Guerre mondiale, son acception fut très large, s’appliquant aussi bien à des mesures économiques, nationalisations et dirigisme, qu’aux réformes sociales. Au cours des années 1950, elle se rétrécit à son sens purement social.

Mais en réalité, l’émergence de l’Etat-Providence est une histoire, selon André Gueslin, l’Etat- providence de 1945 ne tombe pas du ciel. Précoce en Allemagne, elle est lente mais continue en France avec les lois sociales de la deuxième moitié du XIXe siècle, et surtout celles de l’entre-deux-guerres : la mise en place des allocations familiales par ex en 1932 (loi Landry).

c) La conception keynésienne de l’Etat :

Pour Keynes la régulation de l’économie de marché est indispensable (il est convaincu de la nécessité d’agir « ici et maintenant"), car le fonctionnement ordinaire des marchés ne conduit pas spontanément à un équilibre de plein-emploi, un équilibre de sous-emploi durable est possible du fait de l’insuffisance de la demande ou mieux des anticipations : « le système ne s’autorégule pas » affirme-t-il. Cf La fin du laissez-faire en 1926 : « les agenda de l’Etat les plus importants ne sont pas les fonctions qui sont déjà remplies de manière privée mais celles qui ne le sont pas, et les décisions qui ne seront prises par personne si l’Etat ne les prend pas » au passage noter à quel point on sent dans cette phrase que l’Etat n’est pas un agent comme les autres…

En même temps, Keynes n’est pas favorable à une hausse permanente du poids de l’Etat, bien au contraire : en 1931, dans son ouvrage intitulé Essais de persuasion, Keynes considérait que, lorsque le taux de prélèvements obligatoires sur la richesse nationale dépassera 25%, on aura franchi le seuil au-delà duquel il y aurait remise en cause fondamentale du régime capitaliste.

Résumé des principaux éléments de l’argumentation keynésienne :

- Sur les objectifs macroéconomiques : la lutte contre la déflation est essentielle pour Keynes vue la crise des années 1930 car elle constitue un cercle vicieux dû au blocage du principe de régulation tel que le conçoivent les « classiques » à cause des anticipations. Il prend position contre les politiques d’austérité en cas de sous-emploi (« La meilleure estimation que je puisse hasarder est que toutes les fois que vous économisez cinq shillings vous privez un homme de travail pendant une journée »). Mais attention Keynes n'est pas favorable à l'inflation : il pense

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