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«Si les conservateurs l emportent, la lutte contre le changement climatique perdra du temps»

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« Si les conservateurs l’emportent, la lutte contre le changement climatique perdra du temps »

24 juin 2020 / Entretien avec Grégory Doucet

Lyon, la troisième ville française, pourrait être dirigée par Grégory

Doucet, un écologiste jamais élu. Il faudra que sa liste surmonte

l’alliance conclue pour ce second tour entre Les Républicains et La

République en marche. Une union qui illustre, selon le candidat

écolo, le nouveau clivage entre terrestres et non-terrestres.

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À Lyon, la liste écologiste conduite par Grégory Doucet est arrivée en tête du premier tour des élections municipales, avec 28,46% des voix, devant les candidats des

Républicains et de La République en marche (liste soutenue par le baron local, Gérard Collomb). Membre d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), M. Doucet est cadre dans l’humanitaire chez Handicap international.

Reporterre — Vous n’avez jamais été élu et pourriez devenir maire de la troisième ville de France. Comment en êtes-vous arrivé là?

Grégory Doucet — C’est un cheminement, avec quelques déclics. Pendant des années, j’ai milité modérément, parce que je m’investissais beaucoup dans mon boulot et que j’avais des enfants en bas âge, tout en ayant déjà conscience qu’il fallait s’y mettre.

En 2017, lors des élections présidentielle et législatives, les écolos étaient dans les choux.

Aucun député EELV n’a été élu à l’heure où il fallait avancer vite sur le climat. Hormis quelques personnalités, les forces politiques qui portaient l’écologie n’étaient pas

présentes. Il y avait une espèce de contradiction, d’anachronisme. Cette même année, j’ai décidé de devenir secrétaire d’EELV à Lyon; mais le moral des écolos était localement au plus bas. On ne pouvait pas baisser les bras comme ça! Je voyais déjà les élections municipales arriver, et je me suis dit «notre projet doit être de gagner la ville». On a construit un projet, fait un plan d’action, et on s’y est mis. D’étape en étape, le moral s’est regonflé, de nouvelles personnes sont arrivées. Et puis la démission de Hulot, et puis les marches pour le climat… chaque actualité venait donner raison à la nécessité de s’engager pour ces municipales.

Je ne suis pas devenu secrétaire d’EELV en pensant à la mairie, en me demandant quel tableau je pourrais accrocher dans le bureau du maire. Je voulais me mettre au service de notre victoire. Mais à force de m’investir, de me mettre dans la peau de celui qui

mobilise, anime, organise… petit à petit, les gens ont fini par me reconnaître comme

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étant assez légitime pour porter le projet, et j’ai été désigné lors de primaires.

«Avec le temps qui s’est étiré du fait de la crise sanitaire, ce second tour a permis de clarifier les choses. S’il n’y avait pas eu trois mois entre les deux tours, l’alliance entre Les Républicains et LREM [La République en

marche] ne se serait pas faite.»

Quel regard portez-vous sur ce second tour?

Il participe plus qu’on aurait pu l’imaginer à la recomposition politique. Une nouvelle ligne de fracture, qui n’est plus gauche / droite, est en train de s’imposer. Comme Bruno Latour le dit, il s’agit d’un clivage terrestres / non-terrestres.

Avec le temps qui s’est étiré du fait de la crise sanitaire, ce second tour a permis de clarifier les choses. S’il n’y avait pas eu trois mois entre les deux tours, l’alliance entre Les Républicains et LREM [La République en marche] ne se serait pas faite. On voit se dessiner un camp conservateur, que certains appelleront technolibéral, qui pense encore que la planète est sans limite. Je les positionne parmi les non-terrestres. Et il y a le camp des terrestres, qui regroupent des personnes avec des parcours politiques différents — venant de partis aujourd’hui classés à gauche et d’autres peut-être plus classés centristes.

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Dans l’entre-deux tour, vous avez notamment discuté avec la liste centriste de Georges Képénékian (dissident LREM)… l’alliance ne s’est pas faite. Vous avez privilégié un accord avec la France insoumise et le Parti socialiste. Ce choix d’alliance ne montre-t-il pas que l’écologie politique est ancrée à gauche?

Non, ce n’est pas si simple. L’écologie puise un certain nombre de ses réflexions et de ses références dans ce qu’on appelle la gauche. Mais pas uniquement. Il existe à gauche des tas de gens qui sont productivistes, ou qui défendent le nucléaire. Par ailleurs, il y a aussi dans le libéralisme philosophique — pas économique — beaucoup de choses qui irriguent l’écologie : dans la reconnaissance de l’énergie créatrice de la prise d’initiative, dans l’idée de renouveler la démocratie, de donner la parole aux citoyens. Placer

l’écologie dans ce clivage gauche / droite, c’est vouloir faire entrer un rond dans un carré.

«On est devenus le mouvement politique ennemi pour certains — donc le péril écolo, les Khmers verts… En plus, on parle de changement, de transition, de remise en question d’acquis pour certains, de remise en cause de places, de postes. Certaines personnes se sentent en danger, et développent des réflexes primaires de sauvegarde, de sauvetage. Il y en a

qui mordent, qui hurlent.»

Face à vous, l’ancien macroniste Yann Cucherat est désormais soutenu par Les Républicains dans le cadre d’une alliance entre Gérard Collomb et la droite. Sans oublier les inquiétudes du monde économique lyonnais, relayées début juin. Bref, un front «anti-écolo», un «camp conservateur» comme vous dites, se cristallise

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face à votre progression. Cela vous surprend-il?

On s’attendait à une campagne de second tour beaucoup plus agressive et violente du fait de notre score le 15 mars. Au début, on ne faisait pas peur aux autres mouvements

politiques. Avec le premier scrutin, ils nous voyaient encore comme en 2014, avec un score à 10%, peut-être 15%… mais on fait 28%… Et la crise sanitaire a crédibilisé beaucoup de nos propositions, de l’urbanisme tactique qui sanctifie la pratique du vélo en ville, à la plus grande place qu’on veut donner aux piétons, rendue nécessaire par la

distanciation physique…

Bref, on est devenus le mouvement politique ennemi pour certains — donc le péril écolo, les Khmers verts… En plus, on parle de changement, de transition, de remise en question d’acquis pour certains, de remise en cause de places, de postes. Certaines personnes se sentent en danger, et développent des réflexes primaires de sauvegarde, de sauvetage. Il y en a qui mordent, qui hurlent.

Comment entendez-vous lancer la transition écologique de votre ville?

On doit se mettre au service de la préservation du climat et du vivant. Chaque décision devra en tenir compte, ces enjeux doivent irriguer toutes nos actions, notre pensée, notre réflexion.

À la suite de la crise, on a amendé notre programme, en identifiant des éléments

supplémentaires ou prioritaires. Il faut accélérer sur certaines mesures : on va profiter de la mise en place nécessaire de l’urbanisme tactique pour avancer plus vite sur les

déplacements cyclables.

La crise est sanitaire mais aussi sociale. Que portez-vous comme réponses à la crise sociale?

Un des sujets urgents, c’est la question de la déscolarisation. Les enfants ne sont pas allés

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à l’école, et beaucoup n’ont pas repris le chemin de l’école; particulièrement les enfants des familles les plus pauvres. Et c’est souvent dans ces familles qu’on trouve les enfants en difficulté à l’école.

Un creusement des inégalités s’est produit, il faut y répondre rapidement. D’où la nécessité d’agir durant l’été, en complément de l’Éducation nationale, pour offrir des activités de resocialisation, de préparation de la rentrée.

Ensuite, certaines questions se traitent au niveau métropolitain. À Lyon, la métropole a les compétences d’un département en matière sociale. Bruno Bernard [la tête de liste écolo à la métropole] souhaite tester un RSA jeune pour répondre aux problématiques de précarité chez les jeunes.

«Si une force politique est relayée et renforcée par la société civile, elle pèse d’autant plus dans une collectivité. L’écologie s’est imposée dans le

débat public, la question du climat est là, devant nous.»

La métropole de Lyon a en effet aujourd’hui énormément de pouvoirs et de

compétences. Comment comptez-vous gouverner et appliquer votre programme si vous ne gagnez pas la métropole?

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La métropole, c’est aussi une assemblée métropolitaine, avec des élus. Au vu de la configuration politique actuelle, aucun camp ne l’emportera de manière massive le 28 juin. Même si on ne gagne pas la majorité, il y aura dans tous les cas une présence forte des écologistes à la métropole. De toute façon, on sera là et on pèsera.

Par ailleurs, il n’y a pas que les politiques qui entrent en ligne de compte : la société civile, les associations pèsent de plus en plus. Sans la pression répétée des associations contre «l’anneau des sciences» — le projet d’un périphérique routier autour de Lyon -—, le président de la métropole actuel aurait-il changé d’avis à quelques mois des élections [1]?

Si une force politique est relayée et renforcée par la société civile, elle pèse d’autant plus dans une collectivité. L’écologie s’est imposée dans le débat public, la question du climat est là, devant nous. Même si la majorité nous échappait à la métropole, le chemin est globalement tracé. Mais si ce sont des conservateurs qui l’emportent, on perdra du temps.

Et probablement que les choix qu’on peut faire aujourd’hui dans un moment qui est encore approprié, on devra les faire avec le couteau sous la gorge.

À quoi ressemblera la ville de Lyon dans six ans?

Elle sera assurément plus verdoyante, plus respirable, plus apaisée. Avec moins de circulation automobile, plus de déplacements «doux», plus de place pour les piétons.

Avec des quartiers piétonniers dans tous les arrondissements de la ville, et des abords des écoles piétonnisés, plus sécurisés pour les enfants. Une ville avec un couvert végétal beaucoup plus important, avec des arbres plantés en «plein sol», donc une ville moins chaude en été, où on pourra plus facilement se déplacer à l’ombre. Une ville où on a travaillé sur le bien-être, et sur la solidarité. La crise a démontré l’appétence forte de tous et toutes pour plus d’entraide et de coopération. On ne parle pas seulement de

changements radicaux sur les transports ou la cantine, on parle aussi de changements sociétaux sur la façon dont on souhaite interagir avec les autres. Six années seront

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certainement insuffisantes pour tout réaliser, mais il faut se mettre en route.

Propos recueillis par Lorène Lavocat

[1] En novembre 2019, le président de la métropole, David Kimelfeld, a annoncé son opposition au projet, alors qu’il y était favorable

Lire aussi : Municipales

Source : Lorène Lavocat pour Reporterre Photos : © Mathieu Génon/Reporterre . chapô :

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