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LES JOURS LES PLUS PROFONDS

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Academic year: 2022

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LES JOURS

LES PLUS PROFONDS

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DU MÊME AUTEUR :

LES ÉPAVES DE L'OR (Le Livre Contemporain, Paris 1958).

LA CHASSE AUX GALIONS (Marabout, Bruxelles 1962).

VACANCES CHEZ NEPTUNE (Éditions Arts et Voyages, Bruxelles, 1963).

LE LIVRE DES TRÉSORS PERDUS (Plon, Paris 1964).

MERVEILLEUX MONDE SOUTERRAIN (Hachette, Paris 1964).

LE PETIT GUIDE DE LA SPÉLÉOLOGIE (Hachette, Paris) Sous presse (en collaboration avec Marc Jasinski).

HOMME LIBRE, TOUJOURS roman, (A paraître).

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ROBERT STENUIT

LES JOURS

LES

PLUS PROFONDS

Avec 31 illustrations hors texte et 6 in texte

P L O N

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© 1965 by Librairie Plon, 8, rue Garancière, P a r i s - 6 Imprimé en France.

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A mes Compagnons du Fond des Mers les Aquanautes français, américains et russes...

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La première fois que j'ai rencontré Robert Sténuit, c'était dans la baie de Vigo, en Espagne, où il travaillait dans l'équipe des Plongeurs aux Trésors de John Potter. Je fus extrêmement impressionné par l'art réfléchi, le calme et le soin avec lequel il plongeait là, jour après jour.

Plus tard, quand il me fallut trouver un Chef de Plongée pour descendre plus bas et rester plus longtemps qu'on ne l'avait jamais tenté, je choisis Sténuit, l'un des très rares plongeurs au monde parfaitement qualifiés pour une tâche si importante.

Les deux plongées qu'il a faites, l'une de vingt-six heures à 60 mètres, l'autre de quarante-neuf heures à 130 mètres, ont prouvé la justesse de ce choix. Il sera encore notre Chef de Plongée pour une nouvelle expérience de saturation à 180 mètres, que nous ferons en 1965, et plus tard, pour un séjour de quelques jours à quelques semaines, que nous essayerons de faire à 300 mètres.

Ce livre, nourri de son expérience unique, sera, j'en suis sûr, la plus passionnante des introductions à notre projet Man in Sea et à tout ce que son succès signifie pour l'avenir.

E . A. LINK.

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I N T R O D U C T I O N

E n octobre 1962, j'assistais à Londres au I I Congrès de la Confédération Mondiale des Activités Subaquatiques.

Le thème d u Congrès, c'était le challenge, le défi jeté a u x Terriens p a r la mer, et l'un des orateurs les plus ap- plaudis y fut E d w i n A. Link, parce qu'il é t a i t l ' u n de ceux qui s'étaient le plus acharnés à relever ce vieux défi.

C'est devenu u n lieu c o m m u n de dire que notre p l a n è t e devrait s'appeler non pas la Terre, mais la Mer, puisque de l'eau salée couvre les sept dixièmes de sa surface. Or, à l'heure où l'on court le cosmos et où l'on lève le nez vers la lune, l'Océan où b a i g n e n t nos d e u x pieds est encore inex- ploré et inexploité.

P o u r t a n t , une large plate-forme s ' é t e n d t o u t a u t o u r des continents, comme une première m a r c h e facile à descendre ; c'est le « p l a t e a u continental », qui s'abaisse en p e n t e douce vers les profondeurs de d e u x cents ou trois cents mètres.

Là, b r u t a l e m e n t , le fond t o m b e vers les abysses, presque à la verticale. Ces quatre-vingt-cinq millions de kilomètres carrés de terres immergées (la surface de l'Asie) qui b o r d e n t nos cent q u a r a n t e millions de kilomètres carrés de terres émergées, c'est le premier objectif que t o u t désigne à la colonisation p a r les Terriens.

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Le 20 octobre 1962, a u x plongeurs, a u x médecins, a u x militaires, a u x océanographes de toutes les disciplines réunis à Londres, E d w i n L i n k exposait c o m m e n t une vic- toire décisive venait d ' ê t r e arrachée, dans la longue ba- taille de l ' h o m m e contre la m e r hostile. Il r a c o n t a i t com- m e n t u n h o m m e , p o u r la première fois, a v a i t p u tra- vailler, se nourrir, dormir, vivre sous la m e r p e n d a n t plus de v i n g t - q u a t r e heures, p a r soixante m è t r e s de fond.

J e suis cet h o m m e d o n t parlait M. Link, et c'est là, c'est au Congrès de Londres, que j ' a i compris pleinement l ' i m p o r t a n c e de l'enjeu et la portée exacte de ce que j'avais fait, en a c c e p t a n t d ' ê t r e le p r e m i e r h a b i t a n t de la première maison sous la mer.

Car le leit-motiv qui revint sans cesse t o u t au long des c o m m u n i c a t i o n s scientifiques présentées p a r des orateurs d u m o n d e entier, c ' é t a i t précisément l'immensité des ressources qui a t t e n d e n t au fond de la m e r que l ' h o m m e soit capable de les exploiter, ressources en nourriture, ressources en énergie, ressources en minerais et en matières premières vitales.

Le monde souterrain fut ma première passion.

A dix-sept ans, je découvris les grottes : la nuit, la boue, le froid, le silence, l'effort exténuant, l'effort gratuit de chaque minute. Pour un jeune Bruxellois, c'était la plus accessible des nombreuses formes de l'aventure, et un jeune citadin a besoin d'aventure plus que de pain.

Avec des cordes pourries et des lampes frontales bricolées, nous partions le samedi, à trois ou à quatre, vers les gouffres du Namurois. Je m'étonne, quand je repense à ces des- centes, que chacun de nous ne se soit pas tué, plusieurs fois, à force d'imprudences et de fautes graves.

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Mais l'eau nous a souvent arrêtés. L'eau est l'obstacle le plus fréquent, pour un spéléologue qui explore une ca- verne inconnue.

Une galerie en pente douce, un cône d'éboulis, un talus glaiseux, s'achèvent en une nappe d'eau calme, si limpide qu'elle est invisible dans le faisceau de la lampe frontale.

Ça ne passe plus. L'explorateur pourra y patauger, y na- ger, s'il apprécie la température de 6° centigrade ou, plus efficacement, y naviguer en canot pneumatique ; mais un moment viendra où le plafond rocheux s'abaissera jusqu'à rejoindre l'eau, et l'exploration s'arrêtera là. Pour passer, il faut plonger.

En 1953, j'avais vingt ans. En Belgique, c'était l'époque héroïque de la plongée. Que dire alors de la plongée sou- terraine ? Chaque week-end, nous étions deux ou trois à nous glisser au plus profond de quelque trou noyé de boue liquide. Scaphandre autonome au dos, nous grelot- tions dans une combinaison d'emprunt ; nos connaissances techniques et physiologiques étaient dangereusement rudi- mentaires ; souvent nos plongées s'achevaient dans des culs de sac noyés ou d'inextricables labyrinthes.

Là, je conçus ma deuxième passion : la plongée.

Et la plongée me fit découvrir la mer, et ce monde sous la mer où l'homme n'a plus de poids, où l'improbable est normal, où le merveilleux est la règle, où je crus naître une deuxième fois dans un deuxième univers.

Pendant de longues années, la mer resta pour moi un terrain de chasse, chasse aux poissons, chasse aux images, chasse aux trésors engloutis, aux émotions et à la joie.

J'écrivais un livre sur la spéléologie quand un parallé- lisme fulgurant me frappa l'esprit. J'avais travaillé pen- dant des semaines à une synthèse complète des découvertes d'archéologie et de paléontologie humaine dans les grottes

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de l'Europe, et soudain l'idée s'imposa à moi que l'état de l'Europe, à l'époque où les descendants de l'homme de Cro-Magnon se fixèrent sur le sol, était très exactement l'état où est laissé l'Océan au milieu du XX siècle.

Sur l'océan, nous en sommes aujourd'hui au stade où étaient sur la terre nos ancêtres de l'âge de la pierre : nous en sommes à la chasse et à la cueillette. Nous pêchons, nous chassons, nous tendons des pièges grossiers, nous prenons ce que nous pouvons grappiller, nous ramassons ce qui est à notre portée, à notre si faible portée.

Ainsi faisaient les hommes de la préhistoire. Un jour, l'un d'eux sans doute eut une idée de génie : « Ce bœuf musqué, ce lapin, ce jars, gardons-le vivant, les pattes liées. Nous le mangerons demain. » Et puis une autre idée :

« Gardons-le dans une cage ou un enclos, apportons-lui sa femelle, nourrissons-les tous les deux, ils nous rendront leurs petits, ils nous donneront des œufs ou du lait. Notre pitance sera assurée, tous les jours, hiver comme été. »

« Et ces graines, plantons-les dans la terre, en grand nombre.

Nous mangerons la récolte l'été et nous garderons le surplus pour l'hiver. »

Or, quand ces hommes que nous osons appeler « primi- tifs » ont commencé à cultiver la terre et à garder captif le bétail, ils ont dû se fixer, ils ont habité à demeure une hutte, qu'ils ont faite confortable et d'où ils pouvaient garder un œil, jour et nuit, hiver comme été, sur leurs plantations et sur leurs biens. L'état sédentaire était la condition d'une exploitation organisée et systématique du sol, qui était pour eux et pour la race la sécurité du len- demain.

Rendons-nous compte à notre tour, nous les hommes du xxe siècle, hommes d'un monde surpeuplé et aux deux tiers affamé, que si nous voulons garantir notre lendemain,

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il nous faudra trouver de nouvelles ressources naturelles.

L'Océan en contient plus que nous ne pourrions en con- sommer ; mais, pour exploiter rationnellement le fond des mers, il nous faudra, nous aussi, nous fixer et habiter à demeure une hutte confortable, sur le fond, d'où nous pourrons, jour et nuit et hiver comme été, garder un œil sur nos plantations, sur nos exploitations et nos biens. Car les brèves incursions des scaphandriers, pieds lourds ou autonomes, ne suffisent pas. Une heure de travail à soixante mètres leur coûte quatre heures de paliers de décompres- sion à la remontée, sous peine d'accident mortel ; et cette heure de travail si chèrement payée, l'ivresse des grandes profondeurs en limite sévèrement l'efficacité et le rende- ment, en même temps qu'elle menace la vie du plongeur.

Les résultats scientifiques des plongées en sous-marins, en soucoupes plongeantes ou en bathyscaphes, quoique très limités, sont précieux ; mais l'utilité pratique de ces engins, au point de vue du travail proprement dit, est nulle.

Il faut le dire, il faut le crier et il faudra le répéter : on ne pourra jamais exploiter rationnellement le plateau continental en y envoyant de simples plongeurs. Pour coloniser le dernier des continents vierges, par-delà la dernière frontière, il faudra que des colons s'y installent, pour y vivre longtemps, y vivre comme les pétroliers français du Sahara, comme les savants dans l'Antarctique.

Peut-être même seront-ils plus gâtés ? Au lieu de vivre en ermites, qu'est-ce qui les empêchera d'y emmener femme et enfants ?

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1957

BAIE DE VIGO

« Ma vie durant, je n'ai jamais fait que m'amuser. » C'est Edwin Link qui parle, avec son demi-sourire en coin et des éclairs de malice derrière ses grosses lunettes. « M'amu- ser quatorze heures par jour, à faire ce qui me passionnait. » En s'amusant, Ed Link a fait fortune, il a aidé les Alliés à gagner la Deuxième Guerre mondiale et il est en train d'ouvrir aux hommes le plateau continental. Car ce qui le passionne, c'est inventer, c'est construire, expé- rimenter, perfectionner.

La crise de 1929, qui balaya Wall Street comme un ouragan, enterra pour de bon une industrie que les succès du cinéma parlant avaient déjà mise à mal, celle de la fa- mille Link, qui fabriquait des pianos mécaniques et des orgues de cinéma à Binghamton, dans l'État de New York.

Mais Edwin Albert *, ruiné comme tout le monde, à vingt- cinq ans, gardait une passion : les aéroplanes.

Bien des gens sérieux s'accordaient alors à décrire l'avia- tion comme une curiosité amusante, un sport acrobatique pour têtes brûlées. Ce ne seraient jamais les prouesses ro-

* Edwin Albert Link est né à Huntington (Indiana) le 26 juillet 1904.

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m a n t i q u e s d e q u e l q u e s p i l o t e s , d e q u e l q u e s as, q u i p o u r - r a i e n t p e s e r b i e n l o u r d d a n s l ' i s s u e d ' u n e g u e r r e . Q u a n t a u x t r a n s p o r t s , le p r o g r è s n ' a v a i t - i l p a s p o r t é à l a p e r f e c - t i o n le c h e m i n d e fer, les v o i t u r e s a u t o m o b i l e s e t les n a - v i r e s ? E d w i n L i n k n e p a r t a g e a i t p a s c e s v u e s , m a i s il s a v a i t q u e les t i m o r é s e t les r e t a r d a t a i r e s a u r a i e n t r a i s o n t a n t q u e les p i l o t e s a u r a i e n t a u t a n t d e m a l à a p p r e n d r e l e u r m é t i e r e t t a n t q u e les v o l s s e r a i e n t l i m i t é s a u x b e l l e s j o u r n é e s e n s o l e i l l é e s .

I l é t a i t e n a v a n c e s u r s o n t e m p s , il se t r o u v a d o n c t o u t s e u l . P o u r v i v r e , il f o n d a u n e é c o l e d e p i l o t a g e , s u r u n e p i s t e d e g a z o n . C ' é t a i t u n e d e s p r e m i è r e s é c o l e s d u p a y s , les c a n d i d a t s a u x « c e r c u e i l s v o l a n t s » é t a i e n t r a r e s , e t l a c r i s e n ' a m é l i o r a i t p a s d u t o u t ses fins d e m o i s . I n s t r u c t e u r , il c o m p r i t q u ' i l d e v a i t y a v o i r u n m o y e n p l u s é c o n o m i q u e , p l u s s û r , p l u s r a t i o n n e l , d e f o r m e r d e j e u n e s p i l o t e s ; e t il i n v e n t a le L i n k - t r a i n e r : u n siège, d e u x p é d a l e s , u n m a n c h e à b a l a i , u n e b o u s s o l e ; c ' é t a i t le p r e m i e r s i m u l a t e u r d e v o l , q u ' i l n ' a p a s c e s s é d e p e r f e c t i o n n e r d e p u i s . N o u s é t i o n s e n 1 9 2 7 e t l ' a p p a r e i l v e n a i t t r o p t ô t . P e n d a n t d e l o n g u e s a n n é e s e n c o r e , L i n k v é c u t , m a l , d e ses l e ç o n s e t d ' e x h i b i - t i o n s d e v o l a c r o b a t i q u e d a n s les c a m p a g n e s a m é r i c a i n e s . E n t r e - t e m p s , il e n s e i g n a le p i l o t a g e s a n s v i s i b i l i t é . I l c o n s - t r u i s i t d e s e s m a i n s d e n o u v e a u x i n s t r u m e n t s d e b o r d , e t , i n f a t i g a b l e m e n t , il e n fit l a d é m o n s t r a t i o n d a n s le b r o u i l - l a r d , d a n s l e s n u i t s b o u c h é e s , d a n s les o r a g e s d e m o n t a g n e e t les b o u r r a s q u e s d e s g r a n d e s p l a i n e s .

A l a fin d e 1 9 2 9 u n e j e u n e j o u r n a l i s t e - r e p o r t e r s ' e n v i n t , l ' i n t e r v i e w e r . C e s « c a s s e - c o u d u ciel » é t a i e n t u n s u j e t e n o r p o u r u n p a p i e r f a c i l e . L i n k l a c o n d u i s i t d e f o r t b o n n e g r â c e à t r a v e r s les h a n g a r s b r a n l a n t s o ù il r a f i s t o l a i t « ses g r a n d s o i s e a u x d e t o i l e », e t il p a r l a l o n g u e m e n t d u ciel, d e s e s p r o j e t s e t d e s a foi e n l ' a v e n i r d e s m a c h i n e s v o l a n t e s .

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Marion Clayton, la journaliste, était trop fascinée pour prendre note et son papier ne fut jamais écrit, mais « le

« fou du ciel » l'enrôla dans sa classe. D'élève, elle devint bientôt l'assistante du professeur ; tous les soirs ils travail- laient ensemble à composer un cours théorique de pilo- tage, dont la substance est toujours celle des cours actuels.

Plus il la connut, plus il la trouva charmante, si charmante qu'il se hâta de l'épouser, afin qu'elle puisse le suivre dans le ciel et généralement partout. Marion Link, depuis lors, suit son époux dans les airs, au fond des bois, sur la mer et sous la mer.

Tout changea le jour où ce qui était alors l'Army Air Force adopta le Link-trainer pour former les pilotes de ses courriers. En même temps, l'Amérique émergeait de la crise, et l'aviation civile prenait son vrai départ. Le pre- mier Link-trainer, Ed l'avait bricolé de ses mains avec un tabouret d'harmonium, les pédales d'un piano mécanique et des tuyaux d'orgue en guise de pistons. Très vite, il fallut produire industriellement, et l'ampleur champigno- nesque de ce succès fit de Link un nouveau personnage : le capitaine d'industrie. Il remplaça son agenda par un autre, de format supérieur, et sur son bureau les télé- phones s'alignèrent. Sa première fabrique en enfanta une deuxième, puis une autre. Les instruments de bord, les appareils de navigation et l'équipement de sécurité des avions civils modernes sont nés dans ces jeunes usines.

Au lendemain de Pearl Harbor, l'Amérique se mit à construire des forteresses volantes et des chasseurs, au rythme où les conserveries de Chicago produisent normale- ment des saucisses. A ces dizaines de milliers d'avions il fallait des pilotes et des navigateurs. Le Link-trainer les forma tous, au sol, vite, bien, sûrement, sans immobiliser un seul appareil, sans brûler un litre d'essence. Le Canada,

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l'Australie, la Nouvelle-Zélande, l'Afrique du Sud, l'Angle- terre, l'U.R.S.S. réclamaient des simulateurs de vol et des instruments à cor et à cris. Link, maintenant, ne s'amusait plus quatorze heures par jour, mais seize et dix-huit heures, dimanche compris, et ce faisant, il apporta au succès de la Bataille d'Angleterre et à la victoire des Alliés « une con- tribution extrêmement importante ». (Winston Churchill.) La guerre gagnée, il se trouve à la tête d'une vaste in- dustrie, qu'il conduit de succès en succès à travers les remous de l'après-guerre et les épreuves de la reconversion.

Quinze ans après la victoire il emploie seize mille personnes, il a des intérêts dans une ligne d'aviation, une banque et une demi-douzaine d'industries différentes ; instruments de précision, instruments de navigation, photographie, élec- tronique, etc. Tous les pilotes de Jets, civils et militaires, apprennent leur métier dans des simulateurs de vol de plus en plus complexes et de plus en plus perfectionnés, qui sont constamment adaptés et remis à jour. Aujourd'hui, enfin, à Houston, la toute nouvelle base de la N.A.S.A., seize astronautes, les yeux fixés sur un paysage lunaire qui se jette vers eux en couleur et en relief, répètent dans tous les détails le premier alunissage, aux commandes d'un

« Simulateur d'Approche Lunaire Link », solidement planté sur le sol du Texas.

Le secret d'Ed Link, de son succès, de la réussite qui le suit partout ? Il n'y a pas de secret. Il y a seulement un rassemblement de facteurs positifs qui est exceptionnel dans une seule et même personne : intelligence aiguë, jugement sûr, mains adroites, dons d'organisateur, courage raisonné, sévérité intellectuelle. Pourquoi cette activité, cette re- cherche constante ? Edwin Link, je crois pouvoir tracer de lui ce portrait, Edwin Link est un amoureux de la nature, des bois, des cieux et des quatre océans. Comme les moyens

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n'existaient pas, de parcourir dans tous les sens toutes ces parties de la planète où le Bon Dieu n'avait pas prévu qu'il voudrait aller, il a inventé les véhicules qui pourraient l'y conduire par tous les temps, et, une fois arrivé, l'y abriter longtemps et sûrement. Il a « fait » quelques millions de dol- lars en passant ? Tant mieux, mais ce n'est pas là l'important ! La preuve ? Les castors américains et les businessmen américains, les vrais, ont ceci en commun qu'ils travaillent par instinct, jusqu'à leur dernier souffle. Aveugles, rongés d'ulcères, la patte cassée, ils élèvent toujours obstinément des barrages et des fortunes. Mais Ed, lui, n'a pas la fibre d'un businessman. L'après-guerre gagné, il abandonne son personnage d'emprunt, il devient président-fantôme.

Il achète un yawl de treize mètres, Blue Heron, voilier superbe qu'il barre lui-même, avec sa femme pour second et ses deux fils pour matelots, dans les eaux du Gulf Stream et la mer des Caraïbes. Les pêcheurs des Bahamas, mainte- nant, le connaissent bien, et ceux des Keys et de Cuba, et les yachtmen aussi qui suivent souvent son sillage, de loin, en course croisière. Mais ses directeurs et ses vice-présidents, à Binghamton, à New York et à Washing- ton, ont bien du mal à le saisir.

Sur le tableau de bord de ses avions il avait adapté les instruments de navigation classiques des bateaux.

Maintenant, ce sont les instruments de vol qui sont en avance, et il les reprend à ses avions pour les caser dans son bateau. Il gagne la fameuse course Saint-Petersburg - La Havane, devant tous les favoris, en appliquant sur mer les méthodes de la navigation aérienne, et en tirant parti des bulletins météorologiques de l'aéronautique, qui cou- vrent des zones immenses...

Il se lasse vite de la course. La croisière vagabonde l'attire davantage.

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Au printemps 1951, avec William, leur grand fils de treize ans, et Clayton, leur cadet, qui vient d'avoir neuf ans, les Link relâchent à Key Vaca, entre Key West et Miami. Le propriétaire des appontements de Marathon, Bill Thompson, est une vieille connaissance. A peine sont-ils amarrés que Bill monte à bord et raconte à la famille Link une histoire qui va changer radicalement le cours de son existence.

Bill a découvert une épave ; « une vieille carcasse de ga- lion, précise-t-il, en baissant la voix, aucun doute » ; il a vu ses canons, il a ramené des boulets, de la vaisselle d'argent et d'étain, des théières, des défenses d'éléphant.

Et ce n'est pas tout ; à demi enfouies sous le sable, il a vu, il a touché des dizaines de barres noires, oblongues, épaisses, si lourdes qu'il n'a pas pu les remonter. Bien évidemment, ce sont des lingots d'argent. Bill prépare une deuxième expé- dition sur les lieux, avec un couple de médecins. Ed veut-il en être, avec son Blue Héron ?

Le lendemain matin, quand Marion, qui vient de termi- ner le ménage, cherche son mari, il a disparu. Mais un deuxième coup d'œil lui révèle William et Clayton, très occupés à manœuvrer une pompe à bras d'où part un tuyau de caoutchouc qui disparaît sous l'eau. Là-bas, au milieu, de gros paquets de bulles font bouillonner la surface.

Ed fait ses premiers pas sous-marins, la tête dans un espèce de seau retourné qui lui sert de casque. Les bulles s'appro- chent du bord, et il émerge tout souriant : « Ça marche, mais il me faut un peu plus d'air. »

Marion écrivait, quelques années plus tard : « A cet instant, j'aurais dû le comprendre, Ed venait d'arriver à l'un des tournants de sa vie, un de ces moments où son perpétuel besoin d'enthousiasme devait découvrir un nouvel aliment, pour progresser dans une nouvelle direction...

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Ce que je compris tout de même, c'est qu'une activité comme la plongée et la recherche des épaves allait modifier le genre de vie que nous menions à bord de Blue Heron. » Ce que Marion pourtant n'aurait pas pu croire encore, c'est que le gracieux Blue Heron, tout animé de la romantique tradition de la voile, allait être vendu très ignominieuse- ment, pour être remplacé par un crevettier puant, un de ces

« autobus flottants », pétaradants et vibrants, que naguère Ed couvrait d'injures choisies chaque fois qu'il croisait leur sillage. Ce qu'elle ne pouvait imaginer non plus, c'est qu'elle se trouvait au départ de l'une des plus belles aven- rures de notre époque et qu'elle allait quelques années plus tard écrire tout un livre pour la raconter *.

Les chasseurs de trésors arrivent, l'expédition se cons- titue. Le D Crile, qui était de la première tentative, con- duit les trois bateaux du groupe en face de Looe Key. Ed et Marion, d'emblée, sont à bonne école. L'épave n'a rien de commun avec ce que les films de Hollywood leur ont montré jusque-là. D'abord, il n'y a pas d'épave, il n'y a rien là que des débris hachés menu par les vagues d'oura- gan, des masses difformes de corail et des fantômes d'objets, camouflés et déformés par une vie grouillante.

Et les lingots ? Ils y sont bien, mais quand Ed en approche un compas, l'aiguille s'affole. Voilà : ce ne sont que des gueuses de fer. Elles servaient de lest au bateau, sans doute ; l'usage était commun dans la marine de guerre anglaise ; car les débris éparpillés sur Looe Key n'étaient pas non plus ceux d'un galion du roi d'Espagne. Une

* Sea Diver, par Marion Clayton LINK, Rinehart 1959.

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longue enquête à Londres apprit plus tard à Mme Crile que c'étaient ceux d'une frégate de Sa Majesté, éventrée en 1743 alors qu'elle croisait sur les Keys. H.M.S. Looe avait laissé son nom au récif, ce que tout le monde avait oublié depuis.

Les vestiges de la malheureuse frégate Looe, la première épave ancienne dont la récupération ait eu un certain retentissement aux U.S.A., et les problèmes d'identifica- tion qu'ils posaient, furent au départ d'une autre vocation : celle de Mendel Peterson, conservateur du département de l'Histoire des forces armées à la Smithsonian Institution de Washington, qui fit là ses premières armes et qui est devenu depuis, avec Ed Link, l'un des grands spécialistes américains de l'histoire des épaves du XVI au XIX siècle.

C'est là la matière passionnante de la très jeune archéologie sous-marine américaine. Un département spécial, le Depar- tement Of Underwater History, abrite aujourd'hui à Wa- shington (Art and Industries Building) les restes du Looe et ceux des autres épaves étudiées depuis.

Rien, évidemment, ne convient moins à la récupération des épaves qu'un voilier de course-croisière. Le travail de récupération est un travail sale ; les moteurs font vibrer la mâture ; les compresseurs secouent les membrures ; l'huile et l'essence coulent partout ; les câbles et les élingues éraflent la peinture et griffent le vernis ; la rouille marque les roofs blancs de taches indélébiles, sous le poids des ceintures de plomb, les coraux et le sable s'incrustent dans les lattes d'acajou du pont ; les canons et les lingots dé- foncent le bastingage et les plongeurs dégoulinants trans- portent du sel, du talc et de la crasse dans les pimpantes couchettes.

Très vite, Link se trouva à la barre d'un deuxième bateau, l'Eryholme, un Diesel Cruiser de vingt-deux mètres, qui

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aurait pu constituer une très acceptable plate-forme de travail s'il avait été moins nickelé et plus marin. Mais, comme tous les yachts américains de ce genre, ce n'était guère plus qu'un engin de plaisance confortable, pour vacanciers à blazer et pantalon blanc, avec de larges fenêtres en verre à vitre.

Le bateau idéal, tous les marins le savent, le bateau idéal n'existe pas, il devrait concilier trop d'inconciliables ; mais celui qu'Ed se décida à acheter, pour le transformer en un vrai bateau de plongée, devint à tout le moins un engin de travail excellent.

Vu du dehors, Sea Diver, premier du nom, offrait l'as- pect d'un humble crevettier : une de ces solides coques de bois, aux superstructures très sur l'avant, qui traînent leurs chaluts sur tous les fonds à « Shrimp » du Gulf Stream.

Dedans, c'était un yacht confortable, sans aucun luxe inu- tile, qui témoignait du bon goût et du bon sens du premier propriétaire, un yachtman de Miami.

Marion se laissa séduire d'emblée par l'harmonieux agencement intérieur ; mais, pour Ed, c'était vingt mètres de pont solide que l'on pouvait érafler sans remords, c'était un huit cylindres Diesel Caterpillar, pratiquement neuf, c'était une bôme de levage pour hisser des canons, et surtout c'était de la place, plus de place qu'il n'en fallait pour ranger le matériel, pour les compresseurs et tous les appareils détecteurs existants et à inventer...

Ed, maintenant, passait le plus clair de son temps sous l'eau. Il travailla avec Art Mc Kee, en Floride, et avec Teddy Tucker, aux Bermudes, qui sont les deux plus cé- lèbres chercheurs de trésors des U.S.A. et les plus success- full à ce jour *. La carcasse du H.M.S. Winchester lui

* Les fabuleuses trouvailles de Kip Wagner, sur les épaves de la flota de 1715 au cap Canaveral (1963-64), remettent ce jugement en question.

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livra ses secrets, et celles de trois ou quatre galions d'Es- pagne, un doublon d'or fondu (sans doute dans l'incendie du navire) et des seaux entiers de pièces d'argent, piezas de a ocho et de a cuatro, complètement corrodées et à peu près méconnaissables. En même temps que, sous l'eau, il remuait le sable, il faisait secouer la poussière des biblio- thèques, à Londres, à Paris, à Séville, à Simancas et ail- leurs, pour constituer à son bord une collection à peu près complète de documents sur la marine : artillerie, armes à feu, armes blanches, instruments de navigation anciens, architecture navale, etc. Trouvait-il une demi-couleu- vrine de bronze marquée d'un signe bizarre sur un récif de Cuba, il n'avait qu'à remonter l'échelle de plongée pour trouver la gravure qui la daterait et le document qui éta- blirait sa nationalité.

Pendant les quatre ans qu'il passa sur Sea Diver I, Ed n'arrêta pas d'y installer de nouveaux appareils de navi- gation, de nouveaux instruments, de nouveaux détecteurs et de nouveaux gadgets. Mais la plongée ne lui apportait pas toutes les satisfactions qu'il eût voulu y trouver. Il rêvait d'épaves vierges, donc très profondes, mais il butait comme tout le monde sur les limitations physiologiques de l'homme sous la mer : la narcose de l'azote et la décom- pression. La plongée en était, en 1955, là où en était l'avia- tion en 1925. Comme il avait conquis le ciel, il s'efforça de conquérir la mer. L'azote est narcotique en profondeur, se dit-il. Supprimons l'azote. La remontée pose des pro- blèmes ? Ne remontons pas. Vivons sous la mer, dans un abri, une maison, d'où nous sortirons le jour pour aller au travail et que nous retrouverons le soir pour dîner et pour dormir.

En 1956, c'était une amusante utopie.

Pour servir de navire de base à la première maison sous

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I M P R I M E R I E P L O N A M E A U X ( S . - E T - M . )

Dépôt légal : 3 trimestre 1965.

Mise en vente : Septembre 1965.

Numéro de publication : 9139.

Numéro d'impression : 9799.

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