• Aucun résultat trouvé

00 Prem LORIOL & LEROUX Le travail :- 02/09/15 17:29 Page3 Le travail passionné

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "00 Prem LORIOL & LEROUX Le travail :- 02/09/15 17:29 Page3 Le travail passionné"

Copied!
22
0
0

Texte intégral

(1)

Le travail passionné

00 Prem LORIOL & LEROUX Le travail…:- 02/09/15 17:29 Page3

(2)

Ont COLLabOré à Cet OuVrage: Mathieu bensoussan

Cécile briec Marie buscatto

Marina Honta samuel julhe Christina Karakioulafis

Moufida Oughabi Line spielmann

00 Prem LORIOL & LEROUX Le travail…:- 02/09/15 17:29 Page4

(3)

Sous la direction de

Marc Loriol et Nathalie Leroux

Le travail passionné

L’engagement artistique, sportif ou politique

Postface de Maud Simonet

Clinique du travail

00 Prem LORIOL & LEROUX Le travail…:- 02/09/15 17:29 Page5

(4)

Aux termes du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle de la présente publication, faite par quelque procédé que ce soit (reprographie, microfilmage, scannérisation, numérisation…) sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

L’autorisation d’effectuer des reproductions par reprographie doit être obtenue auprès du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC), 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris, tél. 01 44 07 47 70, fax 01 46 34 67 19.

Conception de la couverture : Anne Hébert

Version PDF © Éditions érès 2015 CF - ISBN PDF : 978-2-7492-4869-1 Première édition © Éditions érès 2015 33, avenue Marcel-Dassault, 31500 Toulouse, France

www.editions-eres.com

00 Prem LORIOL & LEROUX Le travail…_- 02/09/2015 18:01 Page6

(5)

Table des matières

INTRODUCTION

Les ambivalences de la passion au travail

Marc Loriol et Nathalie Leroux. . . 7

Le travail artistique et la passion créative Aux fondements du travail artistique. Vocation, passion ou travail ordinaire ?

Marie Buscatto. . . 31 Ne vivre que de son activité de plasticien:

une condition exclusive pour affirmer sa passion au travail ?

Moufida Oughabi . . . 57 Être acteur professionnel en Grèce:

un travail de passion ou un emploi comme les autres ?

Christina Karakioulafis. . . 89 Quand la passion s’emmêle. De l’investissement

de soi à la souffrance dans une MJC

« scène de musiques actuelles »

Marc Loriol, Line Spielmann. . . 117

01 Int LORIOL & LEROUX Le travail…_- 02/09/2015 18:03 Page345

(6)

Les mondes du sport Expression et maintien de la passion au travail chez les agents du ministère des Sports.

Une approche par les capacités.

Samuel Julhe, Marina Honta. . . 155 De la passion du sport à la raison d’entreprise

Nathalie Leroux. . . 183 L’engagement politique, social et économique Les diplomates et l’expression obligatoire

de la passion au travail

Marc Loriol. . . 217 L’activité syndicale au sein d’une section

départementale: les destins liés de l’engagement et de la transformation de l’organisation

Cécile Briec. . . 245 Trajectoires et « passions » de cadres d’entreprise:

une étude des causes de l’engagement intense dans le domaine professionnel

Mathieu Bensoussan. . . 271 POSTFACE

La passion au travail, une ambivalence à ne pas dépasser

Maud Simonet. . . 309 BIBLIOGRAPHIE. . . 321

Le travail passionné 01 Int LORIOL & LEROUX Le travail…_- 02/09/2015 18:03 Page346

(7)

Introduction

Les ambivalences de la passion au travail

Marc Loriol et Nathalie Leroux

Cet ouvrage est né d’un double constat : celui d’une recrudescence de l’usage du mot « passion » à propos du travail, aussi bien dans le vocabulaire courant d’un certain nombre de travailleurs, de journalistes, que dans la rhéto- rique managériale, notamment depuis les deux dernières décennies du xxesiècle, et celui du faible nombre de travaux de recherche portant spécifiquement sur la théma- tique de la passion au travail.

Un certain nombre d’activités professionnelles sont vécues à la fois comme un travail et comme une passion allant bien au-delà de la simple recherche nécessaire d’une rémunération. Dans les mondes de l’art, les métiers du sport, mais aussi dans de nombreuses activités profes- sionnelles où existe un fort engagement (par exemple, politique, civique ou syndical), la frontière entre travail et pratique libre de loisir, entre subordination et épanouisse- ment personnel, entre plaisir et contrainte, n’est pas évidente, comme le montre, par exemple, la coexistence en un même lieu de bénévoles et de professionnels. Associer

01 Int LORIOL & LEROUX Le travail…:- 02/09/15 17:30 Page7

(8)

« travail » et « passion », c’est alors interroger les intersec- tions de deux univers (celui de la contrainte sociale, de la subordination, et celui du libre tropisme individuel) qui paraissent n’avoir que peu de choses en commun.

Et pourtant, de façon certes variable d’un milieu profes- sionnel à l’autre, voire d’une personne à l’autre, certains utilisent spontanément un mot aussi fort que celui de

« passion » pour parler de leur engagement dans le travail.

Le mot « passion », quand il est évoqué par ces personnes, renvoie le plus souvent à l’engagement fort et personnel, à l’enthousiasme, voire à l’amour ou l’emportement pour la mission ou le but dans lequel on s’engage, que ce soit la création d’une œuvre, la compétition sportive, l’engagement militant ou politique, la réalisation d’un bien ou d’un service de qualité… La passion a ainsi généralement, pour les sala- riés qui mobilisent ce vocable, une signification plus forte que l’intérêt, la motivation ou le simple plaisir au travail, qui peuvent s’exprimer sans référence à une valeur trans- cendante (l’art, la performance sportive, le travail bien fait, le bien commun…) ou à un plein engagement de soi.

Cependant, les usages de sens commun du terme font que le mot « passion » est également utilisé par les travailleurs dans les entretiens de façon moins précise, comme un quasi-synonyme d’« amour du travail », de « fort investis- sement », « d’engagement total » ou peut-être simplement de motivation ou de plaisir.

Un certain nombre de questions émergent alors.

Comment saisir le sens que revêt la passion au travail pour ces personnes ? Pourquoi mobilisent-elles cette notion ô combien chargée de significations et d’ambivalences ?

8 Le travail passionné

01 Int LORIOL & LEROUX Le travail…:- 02/09/15 17:30 Page8

(9)

Comment s’exprime et se manifeste cette passion ? Quelles en sont les incidences ou les conséquences ? On peut se demander également si « le travail passionné » peut être éclairé par les profils et parcours des individus, par les logiques professionnelles et organisationnelles des mondes du travail qu’ils traversent, ou par un contexte plus large de mutation des valeurs du travail, et de quelle manière ces différentes perspectives s’articulent. En définitive, comment peut-on lire et interpréter cette résurgence de l’usage du mot « passion » dans le cadre du travail ?

À travers l’analyse d’un prisme d’activités profession- nelles relatives aux mondes de l’art, du sport et de l’engage- ment politique au sens large, particulièrement propice à l’émergence d’un discours en rapport avec la passion au travail, la finalité de cet ouvrage est double. Il s’agit d’explo- rer dans une perspective compréhensive les différentes signi- fications et manifestations de la passion au travail et de mettre au jour les débats théoriques à l’œuvre autour du travail et de l’engagement de soi. Selon les diverses pers- pectives sociologiques et cliniques de l’activité mobilisées par les auteurs de cet ouvrage, on voit apparaître tensions et arti- culations entre ce qui relève d’une aspiration générale des travailleurs à la réalisation de soi vial’accomplissement d’un

« travail passionné », ce qui peut être appréhendé comme la construction subjective d’un rapport spécifique à l’activité tout au long d’une trajectoire, en fonction de ressources propres et en rapport avec un monde professionnel particulier, et enfin ce qui peut être analysé comme la réponse plus ou moins contrainte à une injonction croissante de la part des entre- prises à l’investissement passionné de soi au travail.

Introduction 9

01 Int LORIOL & LEROUX Le travail…:- 02/09/15 17:30 Page9

(10)

1. Selon la définition que donne le Laroussede la passion en littérature.

UNE NOTION SURCHARGÉE DE SIGNIFICATIONS:

LAMBIVALENCE FONDAMENTALE

La question de la passion au travail, à la fois concept et mot du langage courant, soulève de nombreuses interroga- tions qui traversent les différents articles de ce livre. La première difficulté tient au caractère polysémique de la notion de passion, en même temps concept travaillé par plusieurs disciplines (philosophie et psychologie notamment) avec des orientations assez variables et mot du langage courant. En philosophie, les débats sur la passion sont complexes et multiformes : si certains se penchent sur l’op- position passion/action (en rappelant l’étymologie commune entre passion et passif), d’autres mettent plutôt en avant l’op- position entre passion et rationalité, les émotions venant perturber l’intelligence. Pour René Descartes (Lettre à Élisa- bethdu 6 octobre 1645) : « On peut généralement nommer passions toutes les pensées qui sont ainsi excitées en l’âme sans le concours de sa volonté (et par conséquent, sans aucune action qui vienne d’elle), par les seules impressions qui sont dans le cerveau, car tout ce qui n’est point action est passion. Mais on restreint ordinairement ce nom aux pensées qui sont causées par quelque particulière agitation des esprits. »

C’est ici la volonté qui est rendue passive sous l’impul- sion du corps et de ses changements internes. Cette approche « cartésienne » des émotions va profondément influencer les conceptions occidentales de la passion, large- ment soutenues par la création romanesque, comme un

« état affectif intense et irraisonné qui domine quelqu’un1».

10 Le travail passionné

01 Int LORIOL & LEROUX Le travail…:- 02/09/15 17:30 Page10

(11)

Il s’agit alors de savoir « vaincre ses passions » pour faire triompher son jugement ou de laisser libre cours à ses émotions et à sa sensibilité comme les artistes ou les romantiques.

À partir du xvIIIesiècle, il s’ensuivra un renversement de la perspective philosophique. Le passionnel devient désor- mais l’objet d’une valorisation qui n’a de mesure que l’ana- thème qui pesait sur lui jusque-là. La passion désigne maintenant le moteur essentiel des grandes entreprises humaines (Diderot, Montesquieu), voire le fondement unique de l’activité (Hume). À une longue carrière philo- sophique de la notion succède alors une carrière littéraire qui imprègne les conceptions et le langage courants. Niklas Luhmann (1990) note ainsi « qu’à partir d’environ 1760 se multiplient les romans dans lesquels les héros présentent leur Passion comme leur nature, et s’insurgent, au nom de la Nature, contre les conventions morales de la société ».

En même temps, dans les romans d’amour, la passion, en privant celui qui la subit de sa raison, en le poussant à commettre des actes répréhensibles (comme l’adultère), peut parfois être assimilée à une maladie (Cossart, 2002).

Cette tension, voire cette ambiguïté, entre passion qui aliène le jugement et passion qui alimente les ressorts de la vie et de la créativité humaine semble être une constante des écrits sur le sujet. Il existe ainsi parmi les différentes disciplines (philosophie, psychologie, sociologie…) des positions clivées entre ceux pour qui la passion serait alié- nante, voire pathogène, et d’autres pour qui elle serait la condition de l’épanouissement personnel et notamment du plaisir au travail.

Introduction 11

01 Int LORIOL & LEROUX Le travail…:- 02/09/15 17:30 Page11

(12)

Pour la psychologie, voire la psychopathologie, la passion revêt d’abord une connotation négative et pathologique. Sur certaines échelles d’évaluation de l’état maniaque dans les troubles bipolaires, la passion se situe dans un état inter- médiaire entre la normalité et la folie (Martin, 2013). Dans le même temps, si les psychiatres positionnent les personnes diagnostiquées comme « maniaco-dépressives » du côté de l’irrationalité, de la dépendance, les malades et quelques médecins soulignent le fait que certains personnages célèbres (artistes, politiciens, hommes d’affaires, etc.) ont dû leur succès à la mise en valeur de leur comportement maniaque et passionnel. Au-delà de ces individus exceptionnels qui ont su trouver dans leurs mondes sociaux respectifs les ressources pour sublimer ces affects hypertrophiés, la clinique de l’activité (Clot, 2006) voit dans le « développement du pouvoir d’agir sur le monde et sur soi-même, collectivement et individuellement », un moyen d’échapper aux « passions tristes » (selon les termes de Spinoza) du ressentiment, de transformer la confrontation au réel et au social en plaisir.

Dans la théorie du burn-out(Maslach et Schaufeli, 2001), la passion, dès lors qu’elle reste raisonnable, est un signe de bonne santé, de plaisir et d’efficacité au travail. Mais si elle est excessive, elle peut épuiser peu à peu les réserves d’énergie et de motivation du salarié et le conduire, pour se protéger, à déshumaniser les personnes qu’il a en charge ou à dévelop- per une attitude cynique envers son activité. Il perd alors toute passion, voire tout intérêt pour l’objet de son travail, le rôle ou la mission qui faisait sa fierté. Mais où est la limite entre

« trop » et « pas assez de passion » ? Repose-t-elle sur la personnalité et l’histoire de chaque individu, sur des normes

12 Le travail passionné

01 Int LORIOL & LEROUX Le travail…:- 02/09/15 17:30 Page12

(13)

2. Une attitude de ce type a pu être observée chez certains diplomates, comme le montre le chapitre de Marc Loriol dans cet ouvrage.

collectives construites et entretenues, avec plus ou moins d’emprise sur chacun, par les communautés de travail ? La psychodynamique du travail (développée par Christophe Dejours) et la clinique de l’activité (portée par Yves Clot), la psychosociologie du travail, mais aussi la sociologie (l’ap- proche par les dispositions et les positions contre l’approche par la situation) ont apporté des réponses diverses et diver- gentes à ces questions.

Les quelques sociologues qui se sont intéressés à la passion (par exemple, Bertrand, 2009 ou Sarfati, 2012) n’ont généralement pas proposé de définitions précises de la notion, de façon à respecter le sens que chaque catégo- rie d’acteurs attribue au mot passion. La spécificité et la culture de chaque milieu de travail et la trajectoire des acteurs peuvent ainsi être mieux prises en compte.

Toutefois, il est possible de retrouver dans les écrits socio- logiques quelques avatars du débat sur l’ambivalence de la passion. Parmi ceux-ci figure notamment la question de la

« servitude volontaire ». Éric Hamraoui (2010), philosophe, rappelle que dans son texte éponyme, La Boétie (1574) explique cette abdication de la liberté par la soumission aux puissants et la recherche de protections et sécurité. À sa suite, Adam Smith, dans sa Théorie des sentiments moraux (1759), évoque l’admiration et la fascination pour les riches et les gens de pouvoir qui poussent au désir de les servir et de les satisfaire2.

Pour les sociologues garants d’une certaine orthodoxie marxiste (par exemple, Braverman, 1976 ou Durand, 2004),

Introduction 13

01 Int LORIOL & LEROUX Le travail…:- 02/09/15 17:30 Page13

(14)

la passion ou l’engagement de la subjectivité dans le travail ne serait qu’une ruse du capitalisme ou une illusion – entre- tenue ou non par le management – pour accroître l’exploi- tation de la main-d’œuvre. Un exemple peut être donné par le cas des programmateurs dans une petite entreprise de services Internet : surchargés de travail, ils accumulent les heures supplémentaires non payées et doivent, en plus, trouver le temps sur leurs loisirs de se former en perma- nence. Comme l’explique une de leurs collègues graphiste :

« Il y a tout le temps des nouvelles technologies, des nouvelles possibilités, donc, je pense que ça doit être une passion et qu’ils doivent être à ça tout le temps » (citée dans vendramin, 2004). Une consultante dans une autre entre- prise de services informatiques ajoute : « On ne peut pas tout avoir, avoir un métier qui est enrichissant [au sens de rémunérateur] et qui est passionnant. Par exemple, il y a des journées où, du matin au soir, je ne vois pas l’heure passer parce que ça me passionne. » Les faibles salaires, les heures supplémentaires non payées, l’absence de formations offertes par l’employeur, l’absence de syndicats et de conventions collectives sont vus par les profession- nels des NTIC(Nouvelles technologies de l’information et de la communication) interrogés comme le « prix à payer » pour faire un travail passionnant (ibid.).

Mais peut-on réduire cette « passion » à de l’exploita- tion ? La question du « travail gratuit » ou du « surtravail » réalisé en plus de ce qui est exigé par la fiche de poste en échange de la rémunération renvoie (au-delà du simple écart entre travail prescrit et travail réel) aux travaux sur le sens du travail, l’engagement dans le travail, et les évolutions qui les

14 Le travail passionné

01 Int LORIOL & LEROUX Le travail…:- 02/09/15 17:30 Page14

(15)

remettent en cause (affaiblissement des collectifs, évaluation quantitative à partir de critères extérieurs au métier, hiérar- chie de plus en plus étrangère au métier et à ses règles, etc.).

Pour d’autres auteurs, en effet, afin de saisir ce que les salariés investissent d’eux-mêmes dans leur travail, il faudrait tenir compte des processus de socialisation profes- sionnelle, des luttes symboliques autour de la construction du sens de l’activité, des contraintes, des difficultés ou de l’identité (Collinson, 1992 ; Buscatto, 2010). Les socio- logues, plus sensibles à la subjectivité des acteurs, propo- sent alors une analyse moins tranchée. La question du lien entre les discours sur la passion et les affects effectivement éprouvés invite à développer une sociologie de la subjecti- vité au travail dans le cadre de collectifs de travail. Pour Danièle Linhart (2010), la soumission à des normes sociales et professionnelles est à la fois l’occasion de faire recon- naître la contribution au bon fonctionnement de la société et d’entretenir le sentiment d’appartenance à une commu- nauté, un collectif ; ce qui participe à la construction de soi et de son identité sociale positive. Marie-Anne Dujarier (2006) voit dans la poursuite d’un idéal de métier (sociale- ment et collectivement défini) une condition de la motiva- tion personnelle, une force, un moteur pour l’action ; à condition de ne pas tomber dans le sentiment de toute-puis- sance. Seuls « les pères et les pairs » sont en mesure d’évaluer les arrangements pratiques pour gérer les écarts entre l’idéal et le réel. Danièle Linhart (2010) comme Marie- Anne Dujarier (2006) entrevoient alors bien les risques liés à la fragilisation de ces régulations collectives, cette

« subjectivité précaire », car insuffisamment étayée par le

Introduction 15

01 Int LORIOL & LEROUX Le travail…:- 02/09/15 17:30 Page15

(16)

social. Un travail sans fins (au sens d’objectifs légitimes et partagés) devient dès lors un travail sans fin (au sens d’ab- sence de limites dans la poursuite d’un idéal inatteignable).

L’économiste Mathieu Narcy (2013) a comparé, dans le secteur des services, les salariés des associations et ceux d’entreprises privées. Les premiers se distinguent, dans les statistiques, par une « motivation intrinsèque », mesurée par le moindre salaire à niveau équivalent d’efforts fournis. Si ces salariés acceptent de fournir le même travail pour une moindre rémunération, c’est qu’ils trouvent d’autres sources d’intérêt en dehors des incitations financières (donc extrin- sèques au travail lui-même). Toutefois, cette terminologie de

« motivation intrinsèque », si l’on se contente de la saisir indépendamment des parcours des salariés concernés et du contexte social dans lequel ils se trouvent pris, peut laisser penser à tort que la source de la motivation ou de l’engage- ment se trouve dans l’individu lui-même comme un trait de son caractère, de sa personnalité ou de ses préférences. La genèse sociale et la production collective de cet engage- ment, voire de cette passion, semblent négligées.

LES RÉGULATIONS SOCIALES DE LA PASSION

Si les approches philosophiques et psychologiques ont pu faire de la passion une force (ou un danger) qui vient de l’intérieur, du psychisme individuel, la tradition sociologique, mais également la clinique du travail et de l’activité invitent plutôt à en explorer les dimensions sociales et collectives.

Comme la tendance à valoriser l’individualité, la glorification de l’engagement et de la passion, notamment dans le travail, pourrait être vue comme une attente sociale de plus

16 Le travail passionné

01 Int LORIOL & LEROUX Le travail…:- 02/09/15 17:30 Page16

(17)

3. Cf. l’article de Mathieu Bensoussan dans ce volume.

4. Cf. les articles de Marc Loriol, de Samuel Julhe et Marina Honta dans ce volume pour les diplomates et les conseillers techniques et sportifs, ou de Christian Le Bart (2010) pour les professionnels de la politique.

5. Cf. l’article de Nathalie Leroux, dans ce volume, sur les cadres de grandes surfaces d’articles de sport.

en plus prégnante (Martin, 2013). Les cadres seraient ainsi fortement invités à s’engager totalement dans leur activité3 tandis que ceux qui peuvent être soupçonnés de faire un métier de « privilégiés » (par exemple, les diplomates, les conseillers techniques et sportifs, les artistes ou les hommes politiques4), peuvent se justifier en mettant en avant la passion nécessaire et les efforts fournis dans le travail. Dans les métiers en relation avec le sport5, la passion sportive est exigée comme un signe de compé- tence, de dynamisme et de combativité, mais aussi comme une marque de loyauté à l’entreprise. Les métiers artis- tiques, enfin, sont marqués par une idéologie du don, du talent naturel, dont la passion, l’engagement total dans son art, serait une sorte de signe électif, un peu comme la réus- site était perçue par les puritains décrits par Max Weber comme une preuve de la prédestination divine.

Toutefois, ne faut-il pas renverser l’analyse ? Comme le suggèrent les chapitres sur les artistes plasticiens, les acteurs grecs ou les diplomates, la capacité à vivre et à déclarer sa passion au travail n’est-elle pas d’autant plus forte que la personne concernée possède le plus de ressources pour réussir et vivre de et dans sa passion ? Les artistes, pour qui travail, vie personnelle et être social se confondent, sont souvent ceux qui étaient les plus destinés à devenir des artistes reconnus grâce à leur capital culturel,

Introduction 17

01 Int LORIOL & LEROUX Le travail…:- 02/09/15 17:30 Page17

(18)

social et familial. Comme le note Hassen Slimani (2015) à propos de son étude des métiers de l’équitation, le « rapport passionnel » au cheval varie selon que les ressources économiques et sociales permettent ou non de réussir professionnellement. De même, les diplomates qui parlent le plus de leur passion sont aussi généralement ceux qui font les plus belles carrières. Réussite personnelle, talents reconnus et discours de la passion se renforceraient ainsi mutuellement, venant appuyer l’injonction sociale à la passion. Le débat stérile entre le don (et la passion) inné et la construction de talent (et de la passion), en fonction des différentes ressources disponibles tout au long d’une carrière, peut être dépassé en montrant comment les capa- cités, la motivation ou la soumission à un idéal sont copro- duites dans un processus d’interaction entre le travailleur concerné et son monde professionnel.

Les activités exercées au titre d’une vocation se heurtent parfois à une réalité de travail différente de celle envisagée au préalable (comme l’évoque Everett Hughes (1967), le passage à travers le miroir peut s’avérer douloureux). Elles peuvent par exemple se révéler être une source insuffisante de rémunération ou moins romantiques et exaltantes que prévu. S’ensuivent alors fréquemment des bricolages de carrière où s’entremêlent activités alimentaires et activités passionnées. À l’instar des joueurs de jazz étudiés par Howard Becker (1963), tiraillés entre la volonté de se consa- crer exclusivement à la « vraie musique » et le besoin de faire de la « musique commerciale » pour gagner leur vie, les travailleurs passionnés peuvent aussi dévaloriser certains aspects de leur travail au nom d’un idéal supérieur ou d’une

18 Le travail passionné

01 Int LORIOL & LEROUX Le travail…:- 02/09/15 17:30 Page18

(19)

haute idée de leur pratique. Les mondes de l’art étant consi- dérés comme l’archétype de l’engagement et de la vocation, il a semblé utile de commencer par explorer différentes professions artistiques. « Pour vygotski, loin de seulement simuler pour le sujet le champ de bataille où peuvent se reproduire les vieilles guerres de son passé, le conflit des sentiments dans l’expérience artistique nous permet d’ima- giner un autre destin pour nos affects et nos passions. L’art est une transformation de nos affects, un moyen d’en vivre d’autres et donne donc forme à l’inachevé. C’est ce qui explique l’attrait puissant qu’il exerce sur nous, au risque même de nous faire exister par procuration, vivre au-dessus de nos moyens, psychologiquement à crédit » (Clot, 2006).

Toutefois, la passion au travail ou pour son travail peut se manifester dans n’importe quel métier et pas seulement dans les métiers artistiques, ni même ceux qui apparaissent comme les plus prestigieux.

Ce discours et cet impératif de l’engagement et de la passion au travail touchent aussi d’autres secteurs (les métiers du sport, la diplomatie, l’engagement syndical, les fonctions d’encadrement) comme l’illustrent les textes des deux dernières parties. Dans son étude sur le travail d’en- seignant-chercheur, Marc Guyon (2014) fait du discours sur le « métier-passion » une composante des stratégies collec- tives de défense : « La réaffirmation de la passion du métier contribuerait à annuler tout ressenti désagréable. L’activisme et la réaffirmation de la passion participent alors à l’étouffe- ment des dimensions réflexives de l’activité et de toute expé- rience sensible. Ils contribuent à une forme d’objectivisme permettant de satisfaire la multiplication des prescriptions

Introduction 19

01 Int LORIOL & LEROUX Le travail…:- 02/09/15 17:30 Page19

(20)

issues de la complexification des procédures. » La passion redevient, pour la psychodynamique du travail, un masque ou un leurre pour tromper la souffrance dans tout métier où l’engagement dans le travail n’est pas suffisamment régulé en amont.

Cette injonction à la passion est, on l’a vu, paradoxale et ambivalente. En effet, il s’agit de ne pas aller « trop loin », au risque d’être perçu comme irrationnel ou incontrôlable (même si ce « trop loin » peut être interprété différemment d’un monde professionnel à l’autre). Le risque d’un travail passionné serait de « se fixer la barre trop haute » avec pour résultat surmenage ou insatisfaction. Le bon niveau d’engagement doit faire l’objet d’un apprentissage collectif.

Thomas Marshall (2012) cite ainsi l’exemple d’un apprenti menuisier qui évoque la façon dont il a pris conscience, par l’apprentissage, des limites de l’engagement passionné :

« On peut être passionné, perfectionniste à un certain niveau, et être content du résultat. D’autres sont passion- nés, très perfectionnistes, et donc ne peuvent pas être très contents du résultat, parce qu’ils ont peut-être raté un petit truc. […] Souvent, c’était ça, j’étais très peu satisfait du boulot. Il y avait toujours un petit truc que j’aurais aimé faire autrement. » Mais peu à peu, l’apprentissage auprès de son patron et de ses collègues plus expérimentés lui apprend à considérer le processus de fabrication comme un compro- mis entre les normes contradictoires de la qualité et les différentes contraintes du métier artisanal, à construire son estime de soi non sur un idéal inatteignable mais sur un idéal tenant compte de son évolution professionnelle et des circonstances.

20 Le travail passionné

01 Int LORIOL & LEROUX Le travail…:- 02/09/15 17:30 Page20

(21)

Louis Le Guillant Le drame humain du travail essais de psychopathologie du travail

Cet ouvrage présente des textes classiques de la clinique du travail : du métier de roulant à la SNCFjusqu’à celui des «bonnes à tout faire», des téléphonistes aux méca- nographes jusqu’à l’analyse de l’existence «empoisonnée» d’une ouvrière d’usine, Mme L, il s’agit d’une véritable introduction à une nouvelle clinique. Yves Clot qui a supervisé cette édition montre pourquoi la contribution de Le Guillant reste une force de rappel pour tous ceux qui s’intéressent aux rapports entre psychologie et travail.

Louis Le Guillant (1900-1968) psychiatre, a joué un rôle novateur dans la psychiatrie qu’il concevait comme enracinée dans la vie sociale.

Jean-Luc Roger refaire son métier essai de clinique de l’activité

Dans nombre de branches professionnelles, comme les soins en gériatrie et l’ensei- gnement du second degré, le personnel est confronté, dans son travail quotidien, à de fortes épreuves psychologiques et à de forts enjeux sociaux qui découlent des conditions actuelles d’exercice de leur métier. Dans un tel contexte, les situations « tiennent » souvent « malgré tout ». Mais c’est généralement au prix d’un engagement individuel qui met parfois en danger l’équilibre personnel ou la santé. Les directives venues « d’en haut » imposent de « bonnes pratiques » et contraignent les profes- sionnels à puiser toujours plus avant dans leurs ressources personnelles pour faire face aux exigences du travail. Dans l’exercice des métiers, il n’existe plus en effet de collectifs qui autorisent des échanges entre pairs autour des doutes et des difficultés pour envisager l’adaptation et la transformation des situations. Ce livre s’attache à réhabiliter cette fonction du collectif. S’appuyant sur une recherche utilisant une méthodologie de la clinique de l’activité, il révèle les étonnantes ressources dont dispo- sent les professionnels concernés pour réorganiser ensemble leur travail et renou- veler leur métier.

Sous la direction de Danièle Linhart Pourquoi travaillons-nous ?

une approche sociologique de la subjectivité au travail

La subjectivité au travail est un enjeu central dans la compréhension du monde actuel puisque les directions d’entreprise s’y réfèrent en permanence et que le phénomène des suicides au travail en devient une facette inquiétante. Les auteurs de cet ouvrage proposent, à partir de dix enquêtes de terrain approfondies et diversifiées, une analyse de l’engagement subjectif dont le management entend faire, aujourd’hui, un outil de performance. Qu’est-ce que les salariés investissent d’eux-mêmes au travail, pour quelles raisons, et selon quelles modalités ?

01 Int LORIOL & LEROUX Le travail…:- 02/09/15 17:31 Page351

(22)

Gabriel Fernandez Soigner le travail

itinéraires d’un médecin du travail

Au lieu de se centrer sur les aspects destructeurs du travail (épuisement, stress, souf- france), l’auteur s’intéresse aux collectifs de travail qui, en mobilisant le pouvoir d’agir de chacun dans son environnement, ont un lien avec la santé et la prévention de la maladie. Dans cet ouvrage sur une profession mal connue, celle de médecin du travail, l’auteur engage à penser de manière différente les rapports entre santé et maladie, entre santé et travail. Pour lui, il s’agit de soigner le travail pour prévenir les maux chez les personnes, c’est-à-dire favoriser les soins qu’elles peuvent porter à leur travail, et qui développent du même pas leurs capacités et leur santé.

François Danets La médecine d’urgence

vers de nouvelles formes de travail médical

À l’heure où émergent de nombreux débats sur l’avenir de l’hôpital, cet ouvrage décrit de façon précise comment les médecins urgentistes élaborent des méthodes de travail innovantes, et en quoi la médecine d’urgence dévoile et incarne les paradoxes habi- tés par le système de soins français, qui oscille entre l’accueil tous azimuts et l’hyperspécialisation.

Sous la direction de Marc Loriol, Marie Buscatto et Jean-Marc Weller Au-delà du stress au travail

une sociologie des agents publics au contact des usagers

Si le stress est d’emblée une notion fourre-tout et galvaudée, s’il demeure une manière commune de qualifier le malaise des travailleurs, notamment ceux qui sont en rela- tion avec le public, force est de constater que c’est aussi une notion investie de plus en plus par tout un ensemble d’acteurs politiques, scientifiques et économiques.

Quelles sont les conséquences de ces usages sociaux ? Tel est le point de départ de cet ouvrage : non pas une exploration frontale et, il faut bien le dire, un peu dépri- mante du stress conduisant à un catalogue de situations de travail plus ou moins malheureuses, mais bien une volonté de décrire les usages sociaux auxquels il donne lieu : une autre façon de parler du stress au travail qui évite les habituelles lectures psychologiques standardisées pour entrer de façon concrète dans les particularités de chacune des activités professionnelles étudiées.

01 Int LORIOL & LEROUX Le travail…:- 02/09/15 17:31 Page352

Références

Documents relatifs

Le travail en réseau et l’enseignement à distance exigent une connaissance assez profonde des dispositifs numériques et rendent positivement sur l’innovation pédagogique,

Le salariat s'est généralisé, s'est achevé dans le fait que la subordination n'a même plus le travail comme objet, c'est une subordination sociale tout court, dans laquelle des

Le Mali a su également tirer profit du Cadre intégré renforcé (CIR) grâce à l'opérationnalisation de son Unité de mise en oeuvre, à travers laquelle

Exit, voice and loyalty a ainsi pour objectif d’étudier les conditions de développement, conjoint ou non, des deux modes d’action, leur efficacité respective dans

La gouvernance envisagée pour l’eurozone la place sur une trajectoire de collision frontale avec le modèle social. En fait sans véritable solidarité financière, budgétaire, sociale

Les prix seront inchangés. Mais il nous faudrait un plus grand nombre d'abonnés. 2° La Gerbe continuera telle queile. Elle répond à un besoin et elle satisfait

Quand nous endormons une personne pour la premiere fois, nous ne la laissons pas plus d'une demi-heure dans cet état ; mais, apres plusieurs séances, nous pouvons sans crainte

La douleur ne se confond ni avec la détresse ni avec la souffrance, elle en désigne l’au-delà, dans une radicalité qui défait les liaisons trop convenues entre les affects