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Successions internationales et (sémi-)loi fédérale sur le droit international privé : quelques défis

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Academic year: 2022

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Successions internationales et (sémi-)loi fédérale sur le droit international privé : quelques défis

ROMANO, Gian Paolo

ROMANO, Gian Paolo. Successions internationales et (sémi-)loi fédérale sur le droit

international privé : quelques défis. Swiss Review of International and European Law , 2018, vol. 28, no. 2, p. 183-212

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:135258

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le droit international privé : quelques défis

Gian Paolo Romano*

More human beings than ever before give their property a cross-border dimension by maintaining assets in multiple countries. Treaties on free movement of persons as well as tax and economic cooperation treaties are a testament to the growing propensity by State communities to facilitate mobility and multi-nationalisation of the wealth of their citizens. Just as cross-border estates can only arise through inter-country coordination, determining how cross-border estates will devolve upon death necessarily demands a similar coordination. A self-declared « law » emanating from a single country, such as the Swiss « LDIP », whose binding effect is confined within the Swiss territory, cannot alone pretend to govern successions that are precisely cross-border, i.e. multi-territorial, but it’s a « semi-law » at best that has to harmonise with that of the other countries involved. Otherwise, conflicts of laws, jurisdictions and judgments threaten to arise and the resulting legal disorder ends up hampering estate planning by property owners, stimulating wars among their survivors and potentially discouraging human beings from moving and investing across borders.

Table des matières I. Introduction

II. Le rôle de la coordination inter-étatique dans la genèse des patrimoines internationaux A. La liberté des êtres humains de se déplacer à travers les frontières

B. La liberté des êtres humains de déplacer leurs biens à travers les frontières C. Conclusions

III. Le rôle de la coordination inter-étatique dans la distribution mortis causa des patrimoines internationaux

A. La coordination au stade de la planification par le de cujus de la distribution de sa succession

B. La coordination au stade du règlement d’une succession multi-nationale IV. Conclusions

I. Introduction

Peu après avoir publié une brochure rappelant les bienfaits que les êtres humains re- tirent du droit international1, la Société suisse de droit international (« SSDI ») a

1 La Suisse et le droit international, 2017, disponible sur le site de la SSDI : <http ://svir-ssdi.ch/media/1106/

droit-internat-fr-web.pdf>.

* Professeur à l’Université de Genève.

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organisé, au mois de novembre 2017, une conférence à Saint-Gall sur les successions transfrontières2. Une réforme des articles que la loi fédérale sur le droit international privé (« LDIP ») y consacre était en gestation, et cette première phase des travaux a débouché depuis sur un avant-projet, mis en circulation le 14  février 2018 par le Conseil fédéral, assorti d’un Rapport explicatif3.

Je voudrais, dans les pages qui suivent, inspirées par le colloque saint-gallois, non pas me livrer à un commentaire point par point de l’avant-projet mais, en recueillant l’invitation que nous adresse la SSDI à « participer au débat sur la place du droit in- ternational »4, formuler quelques remarques à propos des difficultés que rencontre la tentative par un Etat de poser unilatéralement des règles visant les successions multi- nationales. Pour en prendre conscience, il convient d’abord de s’intéresser à la genèse d’un patrimoine individuel international en montrant le rôle qu’exerce la coordina- tion inter-étatique au stade de sa formation (I). On se penchera ensuite sur la distribu- tion mortis causa d’un tel patrimoine pour constater que la coordination inter- étatique y est tout aussi nécessaire, un Etat ne pouvant tout seul, par une « loi » ne valant que pour son territoire, assurer le « règlement » d’une succession qui dé- passe – parfois largement – ses frontières (II).

II. Le rôle de la coordination inter-étatique dans la genèse des patrimoines internationaux

Le droit international est formé par des règles posées par deux ou plusieurs Etats moyennant des conventions ou par des principes suivis par la généralité ou un grand nombre d’entre eux, qui composent le droit coutumier5. Aussi considérable que soit l’importance de ce dernier, il n’en demeure pas moins que l’écrasante majorité du droit international en vigueur pour la Suisse tire son origine des 5600 traités environ auxquels la Suisse est partie, dont plus de 80% sont bilatéraux et moins de 20% mul- tilatéraux6. Les traités lient les Etats qui les concluent en « contractant » les obliga- tions qui y sont consacrées en vue de bénéficier, et de faire bénéficier leurs ressortis-

2 Pour cette expression, v. Andrea Bonomi & Patrick Wautelet, Le droit européen des succes- sions – Commentaire du Règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012, 2e éd., Bruxelles 2016, p. 31, n° 8.

3 « Modification de la loi fédérale sur le droit international privé (Successions)  – Rapport explicatif à l’avant projet », <https ://www.ejpd.admin.ch/dam/data/bj/aktuell/news/2018/2018-02-14/vn-ber-f.pdf>.

4 Christine Kaddous, Préface, dans La Suisse et le droit international, supra, n. 1, p. 1.

5 Pour le catalogue des sources du droit international, il est d’usage de se référer à l’article 38 du Statut de la Cour internationale de justice et aux quatre catégories qui y sont énumérées, dont la première intéresse pratiquement seule cette étude.

6 Ces données datent de 2015 : DFAE, Guide de la pratique des traités internationaux, édition 2015, p. 4, note 2 <https ://www.eda.admin.ch/dam/eda/fr/documents/publications/Voelkerrecht/Praxisleitfaden- Voelkerrechtliche-Vertraege_fr.pdf> : « La Suisse a conclu quelques 4’500 traités bilatéraux et elle est partie contractante d’environ 1100 traités multilatéraux ».

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sants et résidents, y compris les personnes morales créées par ceux-ci, des droits subjectifs auxquels de telles obligations sont asservies. Les traités ont une force obliga- toire sur les territoires des Etats contractants : selon la terminologie que j’utiliserai parfois, ils ont une efficacité bi-territoriale s’il s’agit d’un instrument bilatéral, multi- territoriale, si l’instrument est en vigueur pour trois Etats ou plus. Toujours au cha- pitre terminologique, si le traité est bilatéral, les règles qui s’en dégagent sont de source bi-nationale et composent ce qu’il est permis de dénommer droit bi-national, ou bi-étatique ; s’il est multilatéral, ses dispositions relèvent du droit multi-national ou multi-étatique. En revanche, les règles – inscrites au besoin dans une « loi » formel- le – ne provenant que d’un seul Etat, des organes d’une seule communauté étatique, forment du droit que l’on peut qualifier de mono-national, dont la force obligatoire est mono-territoriale, cantonnée au « territoire intérieur » (Inland) de l’Etat qui l’édicte. Le mot inter-étatique qualifie l’œuvre de deux ou plusieurs communautés étatiques. Selon des spécialistes connus, le droit international est précisément le

« droit de la coordination inter-étatique »7.

Par la brochure évoquée et à l’aide d’exemples merveilleusement concrets, la SSDI montre à quel point la vie et les activités internationales des êtres humains sont ren- dues possibles, simplifiées, fluidifiées par le droit international et, du point de vue de la Suisse, à quel point les femmes et les hommes qui forment le peuple ou sont ratta- chés au territoire helvétiques en profitent au quotidien : il s’agit des Suisses, y compris habitant l’étranger (Auslandschweizer) et des doubles ou multi-nationaux, mais aussi des étrangers établis ici, les « résidents de Suisse »8, et de toute personne qui a un lien avec la Suisse, par exemple en y séjournant ou y investissant. Même les gestes les plus banals – l’achat d’un produit cosmétique venant de France ou d’un aliment venant d’Espagne, la réalisation d’un paiement par e-banking vers l’Italie, un voyage en avion de Genève à destination de New York – sont possibles grâce à une multitude d’ac- cords qu’ont établis les communautés étatiques « co-intéressées » par ces mouve- ments de personnes, d’argent et de choses, et qui élargissent notre sphère de liberté personnelle, professionnelle, sociale et affective.

Parmi les activités qu’ouvre aux êtres humains la coordination inter-étatique fi- gurent celles qui se rapportent à ce qu’on peut qualifier d’internationalisation de leur patrimoine. Bien qu’à des degrés variables selon les régions du monde, une telle inter- nationalisation est aujourd’hui – plus souvent que par le passé – autorisée et même encouragée. Parmi ses sources figurent la mobilité des êtres humains (1) et de leurs biens (2).

7 Serge Sur & Jean Combacau, Droit international public, 12e éd., Paris 2016.

8 Cette expression est utilisée par les conventions contre la double imposition (v. par ex. la Convention entre la Suisse et les Etats-Unis du 2 octobre 1996, à l’article 1 al. 2). J’appartiens à cette catégorie, tout comme Andrea Bonomi, Thomas Kadner Graziano et Ilaria Pretelli pour n’évoquer que mes ami-e-s qui en- seignent le droit international privé dans des universités et instituts de Suisse romande.

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A. La liberté des êtres humains de se déplacer à travers les frontières

Lorsqu’un étranger transfère sa résidence en Suisse ou un Helvète se fixe dans un autre pays, voilà qui favorise la distribution internationale de son patrimoine. Une telle installation « transterritoriale » est d’abord possible en vertu de règles posées ensemble par les Etats « co-intéressés ». Les accords bilatéraux conclus par la Suisse et l’Union européenne habilitent les Suisses à s’établir dans un Etat membre – 62%

des Auslandschweizer y vivent9 – tout autant qu’ils permettent aux ressortissants de l’Union de prendre domicile en Suisse : 66% des étrangers habitant ici en proviennent.

Un Allemand ou un Portugais qui s’établit à Zurich ou à Genève ouvre en général un compte bancaire en Suisse sur lequel seront versés les revenus de son travail ; il y ac- quiert des biens de valeur, une voiture ou du mobilier et, pour certains, un apparte- ment ou une villa car les ressortissants de l’Union vivant en Suisse sont autorisés à y acheter autant d’immeubles que les Helvètes eux-mêmes10. Puisque ces personnes maintiennent souvent dans leur Etat d’origine des biens résultant d’une activité an- térieure ou recueillis par succession, leur patrimoine s’internationalise. Il en va de même des Suisses qui s’installent en France ou en Espagne : ils peuvent être titulaires dans ces pays d’autant de comptes bancaires et d’immeubles que les Français ou les Espagnols. S’ils conservent des actifs en Suisse, leur fortune se bi-territorialise. Le droit subjectif au transfert international de résidence  – ici de s’établir à travers le

« macro-territoire » résultant de la somme des territoires des Etats membres de l’Union et de la Suisse – est reconnu non seulement aux professionnels mais aussi à ceux qui n’exercent pas d’activité lucrative. Les Suisses sont nombreux qui s’expa- trient, la retraite venue, la France et l’Espagne offrant les destinations privilégiées au sein de l’Union11  ; des étrangers s’installent ici en âge avancé pour profiter de la qua- lité et du mode de vie helvétique12. L’intéressé doit prouver qu’il a des fonds suffisants à son entretien dans l’Etat de son établissement projeté13. Aussi y déplacera-t-il une partie de sa fortune, par quoi celle-ci acquiert une « assiette » bi-nationale.

9 Office fédéral de la statistique, Communiqué de presse du 8 avril 2018 : <https ://www.bfs.

admin.ch/bfs/fr/home/actualites/quoi-de-neuf.assetdetail.4883814.html>.

10 Article 26 du Point VI, intitulé « Acquisitions immobilières », de l’Annexe I de l’Accord entre la Suisse et l’Union européenne conclu le 21 juin 1999. Ressortissant italien établi en Suisse, j’ai voulu il y a quelque temps acheter un terrain tout aussi exigu qu’idéalement ensoleillé en Valais pour y construire un mi- ni-chalet mais la « lex Weber » du 20 mars 2015 m’en a empêché, tout comme elle en aurait empêché mes collègues suisses.

11 Cf. Andreas Huber, Sog des Südens. Altersmigration von der Schweiz nach Spanien am Beispiel Costa Blanca, Zurich 2003.

12 Feriel Mestiri, « Environ un tiers des retraités touchent leurs rentes AVS à l’étranger », reportage pour la RTS, 22  juin 2017, <https ://www.rts.ch/info/suisse/8724413-environ-un-tiers-des-retraites-touch ent-leurs-rentes-avs-a-l-etranger.html>.

13 Article 24 de l’Annexe I à l’Accord bilatéral évoqué supra, n. 10.

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Gardons-nous de croire que, s’agissant des relations entre la communauté helvé- tique et les pays hors l’Union européenne, il en aille toujours différemment. D’une part, des conventions d’établissement sont en vigueur entre la Suisse et certains d’entre eux14 : par un ensemble de règles bi-étatiques, la Suisse et l’Etat partenaire autorisent, en fixant les conditions, la mobilité « bi-nationale » de leurs ressortissants. Citons les traités conclus avec les Etats-Unis, l’Equateur, le Japon ou l’Iran15. D’autre part, et à défaut d’un accord négocié, l’installation en Suisse d’un ressortissant de ces Etats ou d’un Helvète sur leur territoire, lorsqu’elle intervient légalement, est le fruit de l’opé- ration de deux règles (ou série de règles) mono-nationales qui se coordonnent spontané- ment. Réfléchissons aux ressorts d’un phénomène simple et courant.

Lorsqu’une Chinoise résidant à Suzhou est admise à s’installer en Suisse, c’est qu’une règle chinoise l’autorise à quitter la Chine et une règle helvétique l’habilite à entrer en Suisse et y prendre domicile. La Chine ne saurait toute seule lui garantir le droit subjectif international de s’expatrier de Chine en Suisse car la Chine n’est maître que sur son territoire, encore qu’il soit bien grand, et sur le territoire helvétique, c’est la communauté suisse qui décide « souverainement »16. Bien sûr, la Suisse ne saurait non plus accorder toute seule à notre personnage le droit subjectif dont il est question, car le déplacement auquel aspire l’exercice d’un tel droit a pour point de départ le territoire chinois sur lequel la Chine se détermine en principe sans ingérence exté- rieure. Pour que le mouvement « bi-territorial » qu’elle projette puisse se réaliser, il faut que les deux Etats souverains « co-intéressés » par un tel mouvement s’accordent pour le permettre, il faut une double volonté étatique concordante : la règle chinoise doit lui accorder le droit subjectif de sortir durablement du territoire chinois et la règle suisse le droit subjectif d’entrer et de demeurer durablement sur le territoire helvétique.

Aucune de ces règles mono-nationales ne saurait régler l’ensemble de ce transfert de résidence car chacune n’a d’efficacité que sur le territoire de l’Etat qui l’édicte et ne peut « régler » que la partie de l’activité qui doit y intervenir. Rapportées à l’ensemble d’une telle activité internationale – aux actes, conduites, démarches que suppose sa réalisation – les règles adoptées par chacun de ces Etats ont l’allure de semi- règles. Le seul droit subjectif que chacune est en position d’accorder à la protagoniste de notre hypothèse a pour objet la liberté de réaliser une partie de l’activité projetée, donc en quelque sorte un semi-droit subjectif. Seule la combinaison, la jonction, de ces semi-droits lui assure le droit subjectif international au transfert « sino-helvétique » de sa rési- dence. Les règles chinoises et suisses se rejoignent pour former ce qui semble bien être une règle inter-étatique qui autorise le mouvement transfrontalier en question.

14 La « Liste des traités d’établissement » se trouve sur le site du Secrétariat d’Etat aux migrations : <www.

sem.admin.ch>.

15 Traité entre la Confédération suisse et les Etats-Unis de l’Amérique du Nord conclu le 25 novembre 1850, Traité d’établissement et de commerce entre la Suisse et le Japon conclu le 21 juin 1911, Convention d’établissement entre la Confédération suisse et l’Empire de Perse, conclue le 25 avril 1934.

16 Ce qu’elle a fait en adoptant la « Loi fédérale sur les étrangers » (LEtr) du 16 décembre 2005.

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On peut penser que le résultat d’un tel accord spontané de deux règles mono-natio- nales17 – et des Etats qui les édictent – n’est pas bien différent de celui auquel parvient un accord négocié aboutissant à une convention bilatérale. On sait que, pour certains Etats, une fois que le texte d’un traité a été établi par les organes qu’ils habilitent à cet effet et pour qu’il puisse entrer en vigueur, leur parlement doit le ratifier au moyen d’une « loi » au sens formel. S’il en est ainsi des deux Etats, la mise en oeuvre des dispositions bi-nationales inscrites dans le texte du traité résulte de l’adoption, par chacun de « son côté », d’une loi mono-nationale, et de la concordance entre ces deux lois mono-nationales au sens qu’elles approuvent le même texte. Il en va de même des Etats dont les organes législatifs participent à la procédure d’approbation du traité dans la mesure où leur accord est donné par un acte normatif, qui ne peut qu’être mono-national au sens ici retenu ; il s’agit en Suisse le plus souvent d’un « arrêté fédé- ral » émanant de l’Assemblée fédérale à laquelle il incombe d’« approuve[r] les traités internationaux »18.

La Suisse ne saurait accorder à l’un de ses ressortissants le droit subjectif de s’ins- taller en Australie. La Suisse peut bien sûr autoriser les Helvètes à quitter son ter- ritoire, ce qu’elle fait par une règle de rang constitutionnel consacrant leur droit à l’expatriation19. Mais il appartiendra à l’Australie de leur permettre de se fixer sur son territoire souverain. Quelques 23 000 Helvètes vivent dans le « lucky country »20 et certains d’entre eux détiennent sûrement un patrimoine helvético-australien. La multi-territorialisation de la propriété privée ne suppose pas forcément le transfert du centre de vie de son titulaire.

B. La liberté des êtres humains de déplacer leurs biens à travers les frontières

Ce qui est volontiers désigné sous le nom de « libéralisation » du mouvement des capitaux à travers les frontières suppose une concordance des règles édictées par les communautés étatiques co-intéressées (A). Les traités encourageant la circulation in- ternationale de la richesse individuelle se sont multipliés ces dernières décennies (B), tout autant que ceux qui aspirent à décourager les mouvements illégaux (C).

17 Le résultat et non, évidemment, le régime. Car en cas de coordination spontanée de deux règles mono- étatiques, chacun des Etats demeure libre de modifier unilatéralement la sienne.

18 Article 166 al. 2 et 163 al. 2 de la Constitution fédérale.

19 Article 24 al. 2 de la Constitution fédérale.

20 Ils étaient 23.378 à fin 2011 et forment la troisième « communauté de Suisses d’outre-mer », après les Etats-Unis et le Canada : <https ://www.eda.admin.ch/eda/fr/dfae/representations-et-conseils-aux-vo yageurs/australie/suisse-australie.html>.

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1. Les mouvements transfrontaliers autorisés a) Investissements immobiliers

Les accords en place entre la Suisse et l’Union européenne ne consacrent pas de droit subjectif au profit de l’Allemand domicilié à Munich ou du Français domicilié à Mar- seille d’acquérir un immeuble en Suisse, pas plus que le droit de la Suissesse habitant Genève ou Zurich de devenir propriétaire d’un appartement à Majorque ou d’un terrain agricole en Hongrie. Cela ne signifie pas qu’une telle acquisition soit prohi- bée. Le droit des étrangers domiciliés à l’étranger de devenir propriétaires d’un im- meuble situé en Suisse est évoqué par nombre de traités bilatéraux. Celui que la Suisse a conclu avec l’Italie en 1868 accorde aux ressortissants de chaque Etat partie une

« liberté pleine et entière » d’acquérir des immeubles sur le territoire de l’autre21. Il est vrai que la plupart de ces dispositions bi-nationales soumettent une telle acquisition au respect des conditions fixées par le droit mono-national de chacun des Etats contractants. Comparée à d’autres, la législation fédérale sur l’acquisition des im- meubles par des non-résidents est plutôt restrictive afin d’« éviter l’emprise étrangère sur le sol suisse »22. Mais de telles restrictions s’appliquent aux biens destinés à un usage personnel. Si l’immeuble en question est asservi à l’exercice d’une activité pro- fessionnelle, de l’acheteur ou d’un tiers, l’acquisition demeure en substance libre23.

Le ressortissant d’un Etat membre jouit d’une liberté pratiquement totale d’in- vestir dans un bien immobilier – quelle que soit sa nature : habitative, commerciale, agricole … – situé n’importe où sur le territoire de l’Union. Si l’argent destiné à payer le prix provient de l’Etat membre où l’acquérant a le siège de son patrimoine et que l’objet se trouve dans un autre Etat membre, une telle acquisition est internationale car elle entraîne un mouvement transterritorial des biens. La liberté de réaliser un tel investissement nourrit un droit subjectif international, car son exercice implique des actes, conduites et démarches qui se déploient sur les territoires de deux Etats : c’est en l’espèce le droit objectif multi-national résultant du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (« TFUE ») qui l’accorde. En dehors de l’empire de celui-ci, la loi de bien des Pays sur l’acquisition par des étrangers d’immeubles situés sur leur territoire est bien libérale. Certains d’entre eux – Espagne, Portugal, Turquie, mais aussi la France, les Etats-Unis, et bien d’autres – cherchent aujourd’hui à attirer les investisseurs étrangers. Par une loi de 2013 destinée à favoriser l’« internationalisa-

21 Convention d’établissement et consulaire entre la Suisse et l’Italie, conclue le 22 juillet 1868, article 3.

22 Article 1 de la « Loi fédérale sur l’acquisition d’immeubles par des personnes à l’étranger » du 16 dé- cembre 1983, connue sous le nom de « lex Friedrich » d’abord puis de « lex Koller ».

23 Lors de sa séance du 20 juin 2018, le Conseil fédéral a « renoncé » à une révision de la LFAIE dans un sens ultérieurement restrictif.

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tion » de son économie, l’Espagne va jusqu’à accorder un permis de résidence à l’étranger qui fait l’acquisition d’un immeuble d’au moins 500 000 euros24.

Notons de manière un peu tautologique que lorsque l’acquisition d’un bien im- meuble occupant une portion du territoire d’un Etat A par le ressortissant d’un Etat B qui réside dans ce même Etat B intervient légalement, c’est que, d’une part, l’Etat B d’origine du propriétaire prospectif, qui est par hypothèse l’Etat d’origine des fonds nécessaires à une telle acquisition, autorise celle-ci tout autant que la sortie des fonds voués à la réaliser, et que, d’autre part, l’Etat de situation autorise l’entrée des fonds sur son territoire et leur utilisation pour l’achat d’un immeuble qui s’y trouve. Aussi bien, le droit subjectif d’une Helvète établie en Suisse d’acheter un immeuble en France, Espagne ou Turquie – c’est là un droit subjectif international pour les raisons évoquées – résulte de la concordance entre, d’une part, une règle émanant de Suisse autorisant un tel achat et la sortie des fonds qui y sont nécessaires et, d’autre part, une règle émanant de France, d’Espagne ou de Turquie autorisant l’entrée des fonds et leur emploi pour l’acquisition du bien situé sur leur territoire.

Si les immeubles font parfois l’objet d’un régime spécial, il en va différemment de la richesse mobilière, notamment dématérialisée.

b) Investissements mobiliers

Constatons qu’ici de nouveau un mouvement de ressources économiques en prove- nance d’un Etat vers le territoire d’un autre Etat ne peut avoir lieu légalement que grâce à la volonté concordante de l’un et de l’autre. La Russie ne saurait accorder à un citoyen russe le droit de transférer des fonds de Russie vers la Suisse et de les y main- tenir en internationalisant son patrimoine. Un tel droit subjectif est une fois de plus international en ce sens que sa mise en œuvre suppose un ensemble d’actes, conduites et démarches devant se dérouler pour partie sur le territoire russe et pour partie sur le territoire helvétique. Pour qu’il existe pour de bon, il faut que la Russie lui accorde le droit subjectif de sortir du territoire russe les fonds à la mobilité projetée et que la Suisse lui accorde le droit subjectif de les faire entrer sur son territoire. Une telle conjonction des deux semi-droits subjectifs peut être scellée par les Etats « co-intéres- sés » moyennant un traité comportant des règles bi-nationales ou multi-nationales ou se produire par l’union spontanée de leurs règles mono-nationales selon le mécanisme détaillé plus haut.

Si bien des Pays ont fixé pendant longtemps les restrictions les plus disparates au transfert de fonds à l’étranger par leurs nationaux, la tendance à la libéralisation s’est implantée depuis plusieurs décennies encore qu’il y ait bien sûr des poches de résis- tance. Les règles que le TFUE consacre à la liberté de circulation de capitaux recon- naissent au Polonais qui possède de l’argent sur un compte bancaire en Pologne le

24 Article 63 al. 2 lit b) de la « Ley 14/2013, de 27 de septiembre, de apoyo a los emprendedores y su interna- cionalización ».

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droit subjectif d’ouvrir un compte bancaire en France et y transférer une partie des fonds en « bi-nationalisant » ainsi cette part de son patrimoine. Un tel droit de faire cir culer internationalement ses actifs est même accordé envers les Etats tiers25. Un Français peut se prévaloir du droit européen pour faire sortir de l’argent de France vers les Etats-Unis, mais encore faut-il, pour qu’un tel droit subjectif au mouvement

« franco-américain » des fonds existe réellement, que les Etats-Unis soient d’accord pour le lui reconnaître.

Installé en Suisse depuis quinze ans, j’ai pu donner à mes avoirs une dimension tri-nationale du fait, d’abord, des règles inscrites dans les accords entre la Suisse et l’Union européenne, qui m’ont permis d’acquérir un appartement en Suisse et, en- suite, des règles européennes qui m’ont habilité à investir une petite somme en ache- tant des parts d’une société en commandite allemande active dans la rénovation des immeubles commerciaux. Me voilà doté d’un patrimoine helvético-italo-allemand.

Mon voisin David, suisse diplômé à l’EPFL, a créé il y a quelques années une start-up de siège néerlandais en versant cent-mille euros dans le capital de celle-ci. La société a acquis de la valeur depuis, tout comme la part néerlandaise de son patrimoine, qui est en tout cas helvético-néerlandais. Par où l’on en vient à la fonction incitative que remplissent bien des règles dont il est question.

2. Les mouvements transfrontaliers encouragés

La circulation de l’épargne est de plus en plus favorisée. Le Fonds monétaire interna- tional l’a qualifiée de « bénédiction pour le développement économique partout dans le monde »26. Il s’agit là avant tout d’investissements dits « de portefeuille ». Il est inutile de souligner à quel point l’activité de gestion de fortune est importante pour l’économie helvétique. La Suisse occupe la première place mondiale quant au volume d’actifs qui y sont gérés27, dont environ deux tiers appartiennent à des résidents étran- gers28 : leur patrimoine est alors multi-national car il est partiellement situé en Suis- se29. Une des préoccupations des professionnels du secteur relayée parfois par les autorités consiste à œuvrer pour que la Suisse continue à attirer les actifs étrangers.

Car d’autres pays ont développé une législation favorable aux placements venant de l’extérieur. Cette internationalité patrimoniale est alors activement recherchée.

25 Article 63 du TFUE.

26 Fond monétaire international, « La libéralisation des mouvements de capitaux, Aspects analy- tiques », <http ://www.imf.org/external/pubs/ft/issues/issues17/fre>.

27 Swiss Banking, La gestion de fortune en pleine mutation – Faits et chiffres, tendances sectorielles, dans le monde et en Suisse, novembre 2015, <http ://shop.sba.ch/1100006_f.pdf>.

28 Boris F.J. Collardi, « Gestion de fortune – une vision d’avenir pour un secteur d’exportations », texte prononcé le 18 janv. 2018, <https ://www.vav abg.ch/media/referat_und_slides_collardi_mk_18_

01_18_f.pdf>, p. 1.

29 Il s’agit, selon Boris F.J. Collardi, supra, n. 28, p. 7, de « patrimoines étrangers », qui désignent « la fortune gérée dans un autre pays que celui de résidence ou de domicile ».

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Les investissements de portefeuille sont communément distingués des « investis- sements directs étrangers » (foreign direct investments)30. Or ceux-ci mais le plus sou- vent également ceux-là tombent sous le coup des traités d’investissements31, le plus souvent bilatéraux, qui ont, à bien des égards, remplacé les anciennes conventions d’établissement32. Leur nombre a explosé ces trente dernières années  – quelques 3000 depuis 1959. La Suisse en a conclu plus de 120 avec la majorité des Etats du monde33. Le terme « investissement » désigne des biens34 et, puisque l’investissement en question est international, il s’agit du transfert, par les personnes ressortissant d’un Etat contractant ou établies sur son territoire, de fonds vers le territoire d’un autre Etat, afin d’y acquérir « toute catégorie d’avoirs », telles « la propriété de biens meubles et immeubles », des « parts sociales » ... Le but que poursuit chaque Etat est, d’une part, d’attirer sur son propre territoire des ressources économiques qui y sont transférées par des personnes étrangères tout autant que, d’autre part, d’encourager ses propres ressortissants et les entités qu’ils y créent à investir leurs biens sur le terri- toire de l’autre Etat en les y déplaçant. Autrement dit, ces accords visent à promouvoir les mouvements transterritoriaux « croisés » d’actifs,  la protection des investisse- ments étant asservie à leur promotion35. Le terme « investisseur » désigne des per- sonnes physiques et morales. Quelle que soit la notion exacte du rattachement de celles-ci à l’un des Etats contractants, qui peut varier d’un accord à l’autre36, il n’en demeure pas moins que les personnes morales sont créées, gérées et détenues par des personnes physiques, si bien que les « parts » représentatives de ces entités se trouvent en définitive dans le patrimoine des individus37. Facteur d’internationalisation de la richesse privée, ces traités nous font constater que la multi-nationalisation est recher- chée par les individus et les collectivités qu’ils forment en vue de l’augmentation pa- trimoniale qu’elle promet, et par là de la prospérité individuelle et collective.

30 La distinction a été proposée par Stephen H. Hymer, The International Operations of National Firms, Cambridge, Massachusetts 1976.

31 Comme l’atteste la « saga » des plus de 50.000 Italiens détenteurs d’obligations argentines : v. Abaclat et al. c. République d’Argentine, CIRDI, No. ARB/07/5, décision du 4 août 2011.

32 Cf. Kenneth J. Vandevelde, The First Bilateral Investment Treaties : U.S. Postwar Friendship, Commerce, and Navigation Treaties, Oxford 2017.

33 La Suisse disposerait ainsi « du troisième réseau d’accords de ce type après l’Allemagne et la Chine » :

<https ://www.seco.admin.ch>.

34 Amnon Lehavi & Amir N. Licht, « BITs and Pieces of Property », 36 Yale J. Int’l L. 115 (2011).

35 Cf. p. ex. l’Accord entre la Suisse et l’Egypte concernant la promotion et la protection réciproque des in- vestissements, entré en vigueur le 15 mai 2012 : «  Chaque Partie Contractante encourage et facilite, dans la mesure du possible, les investissements des investisseurs de l’autre Partie Contractante sur son ter- ritoire… ».

36 Mathias Audit, Sylvain Bollée & Pierre Callé, Droit du commerce international et des in- vestissements étrangers, Paris 2016, p. 248, n° 290.

37 Nous négligerons les investisseurs étatiques (State investors), minoritaires mais en augmentation : v.

Jeswald W. Salacuse, The Law of Investment Treaties, 2nd ed., Oxford 2017, section 2.4(a).

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C’est ce que confirment les conventions de double imposition. La Suisse en a conclu un nombre impressionnant – avec plus de cent Etats souverains – de toutes les aires géographiques et culturelles38. Si de tels textes sont semblables entre eux quant à leur structure, ils n’en diffèrent pas moins du fait des spécificités de la législation fiscale de chacun des Etats et l’effort qu’ils consentent de s’y ajuster mutuellement.

Par le droit bi-national qu’elles posent, les communautés « co-intéressées » suppriment un obstacle à l’activité transfrontalière qu’engagent leurs nationaux et résidents en facilitant la mobilité transterritoriale – la prestation internationale de biens et ser- vices entre les deux territoires – et par là, une fois de plus, la multi-territorialité de la propriété individuelle. Car ces traités épargnent aux personnes auxquelles ils s’appli- quent la diminution patrimoniale pouvant résulter du fait que l’internationalisation de leurs avoirs leur vaudrait d’être assujetties à l’application cumulative ou non-coor- donnée des lois des deux Etats contractants39. Un tel objectif est atteint moyennant désignation de celui d’entre eux dont les autorités sont compétentes pour percevoir les impôts et dont la loi est applicable à l’étendue de l’obligation fiscale qui incombe à chaque personne relevant de leur domaine d’efficacité. La plupart de ces règles bilaté- rales – posées ensemble par les deux Etats « partenaires » – de conflit de compétence et de conflit de lois vont jusqu’à prévoir, en cas de conflit positif de résidences, le recours à une « cascade » de rattachements40. Selon le critère résiduel qu’elles retiennent,

« les autorités compétentes des Etats contractants tranchent la question [de savoir quelle est la loi applicable] d’un commun accord », par une sorte de décision bi-natio- nale41. Voilà qui nous conduit à l’internationalisation patrimoniale illégale.

3. Les mouvements transfrontaliers prohibés

L’illégalité du mouvement transfrontalier d’un bien – d’une valeur patrimoniale en tout genre – peut résulter du fait que son titulaire ou possesseur le fait sortir du terri- toire d’un pays en violation des règles de ce pays (illégalité à la sortie) ou le fait entrer sur le territoire d’un autre en violation de ses règles à lui (illégalité à l’entrée). L’objectif que recherche le plus souvent la personne qui réalise un tel transfert est de s’épargner

38 La liste est consultable sur le site de l’Administration fédérale : <https ://www.admin.ch/opc/fr/classified- compilation/0.67.html>.

39 Vassily Kokh, ancien étudiant à l’Université de Genève et à l’institut Lomonossov, a entrepris une activité d’exportation de caviar de Russie en Suisse en maintenant des actifs dans les deux pays. Il ne serait pas lancé dans un tel business – m’a-t-il avoué – s’il n’avait pas pu bénéficier de la Convention entre la Suisse et la Russie conclue le 15 novembre 1995.

40 Le texte de l’article 4 al. 2 du modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune élaboré par l’OCDE (<https ://www.oecd.org/fr/ctp/conventions/47213777.pdf>) a été repris par la plupart de ces accords. Pour quelque cas d’application, v. arrêts du TAF A-1462/2016 du 24 août 2017, consid. 4.3.5 et suiv., TAF A-2548/2016 du 15 septembre 2016, consid. 2.3.

41 Sur ce qu’un tel « accord amiable… constitue un accord international », v. Xavier Oberson, Précis de droit fiscal international, 4e éd., Berne 2014, p. 293.

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la diminution patrimoniale qu’entraînerait le prélèvement d’impôts dans l’Etat d’origine ; on sait à quel point la soustraction fiscale inspire le déplacement d’actifs

« loin des plages » (off-shore). Il arrive aussi que les biens en question soient le fruit d’activités criminelles, inaptes, au regard de la loi de l’Etat souvent dit d’« origine », à faire acquérir la propriété à celui qui s’y adonne ; on parle parfois de « biens mal acquis ». Dans un cas comme dans l’autre, la frontière est exploitée par le titulaire ou possesseur des biens qui la franchissent pour qu’ils puissent échapper, en la franchis- sant, à la surveillance des autorités de l’Etat d’origine et pour que le titulaire ou pos- sesseur puisse en profiter dans l’Etat de destination, ou à partir de celui-ci, y compris en les « blanchissant ». Pareille internationalisation s’en trouve facilitée lorsque l’Etat de destination considère que ces biens ne sont pas entrés illégalement chez lui – en devenant Etat d’accueil au sens propre, volontaire, du terme – ou, en tout cas, que ses autorités ne prêtent pas leur concours à celles de l’Etat d’origine pour « tracer » ces biens et signaler leur maintien chez lui. L’illégalité ainsi définie est favorisée par le fait que ce qui est illégal pour l’Etat d’origine ne l’est pas pour l’Etat d’accueil, que la collectivité vivant sur le territoire de celui-ci tire profit de ce flux de biens pourtant interdit par celui-là. S’ensuivent des désaccords entre Etats – et des conflits juridique- ment irrésolubles – quant à la question de savoir si telle valeur patrimoniale, ou une créance de valeur équivalente, appartient à la fortune de telle personne, y compris morale ou collective, ou bien de telle autre, et par conséquent quant au droit subjectif à la restitution, ou au versement d’une somme de valeur équivalente : droit subjectif qui existe du point de vue de l’un des Etats « co-intéressés » mais non pour l’autre.

Mais observons que tout comme les communautés étatiques tendent à faciliter l’internationalisation légale des patrimoines privés, de même elles s’engagent progres- sivement à combattre l’internationalisation illégale en réduisant les désaccords signa- lés. La lutte contre celle-ci peut d’abord intervenir moyennant la coordination spon- tanée des règles que pose unilatéralement chacun des Etats « co-intéressés ». Ainsi, l’Etat vers lequel des valeurs patrimoniales ont été déplacées en violation de la loi de l’Etat dont ils proviennent peut, moyennant une loi mono-nationale, spontanément décider de les restituer aux personnes à qui ils appartiennent d’après la loi de l’Etat d’origine, ou à leurs représentants, en astreignant de la sorte les fonds en question à subir une trajectoire transterritoriale inverse à celle qui leur a été imprimée initiale- ment42. En l’absence d’instrument multilatéral, un droit subjectif international à la restitution de biens et à leur réintégration dans le patrimoine de la personne qui s’en prévaut ne peut que résulter de la concordance des règles mono-nationales qui s’ac- cordent spontanément pour le lui reconnaître.

Par où l’on constate que la lutte contre l’internationalisation illégale est d’autant plus efficace qu’elle s’incarne en des règles élaborées ensemble par les Etats « co-inté-

42 Que l’on pense à la « Loi fédérale sur la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite » du 18 sep- tembre 2015.

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ressés ». Le nombre – en hausse chaque année – des instruments bilatéraux et multi- latéraux qui ont pour objet le droit subjectif international à la restitution transfron- talière de biens illégalement acquis ou déplacés est considérable car il englobe ceux qui visent l’entraide en matière pénale, la criminalité internationale, la corruption, les biens culturels, et tant d’autres43. Contentons-nous d’évoquer, en matière fiscale, la Convention concernant l’assistance administrative mutuelle et l’échange automa- tique de renseignements (« EAR ») en vigueur pour une centaine d’Etats – en Suisse depuis le 1er janvier 2017.  En qualifiant de « largement bénéfique » « le dévelop- pement des mouvements internationaux de personnes, de capitaux, de biens et de services », les Etats participants n’en observent pas moins dans le préambule que « les possibilités d’évasion et de fraudes fiscales » qu’il a accrues « nécessite[nt] une co- opération croissante » entre elles44. Il en résulte une multiplication des cas d’accords entre les communautés quant à la détermination du montant du passif représenté par la dette fiscale envers elles dont est grevée la fortune internationale d’un être humain.

Une fois cette dette honorée, rien ne s’oppose à la libre circulation internationale de  ses actifs que le surcroît de transparence inter-étatique aboutit en définitive à stimuler45.

C. Conclusions

En refermant ce pan de l’analyse, risquons-nous à trois constats. D’abord, la constitu- tion par les êtres humains de patrimoines pluri-localisés n’est juridiquement possible qu’en vertu de règles élaborées ensemble par les Etats « co-intéressés » ou de la con- cordance spontanée de leurs règles mono-nationales. La souveraineté d’un Etat, le contrôle du territoire sur lequel elle s’exerce, implique la possibilité d’empêcher per- sonnes et biens d’en sortir ou y entrer.

Ensuite, les communautés étatiques tendent aujourd’hui à favoriser les mouve- ments transfrontaliers de leurs nationaux et, plus encore, de leurs biens et, par con- séquent, l’internationalisation de leur patrimoine. La circulation de l’épargne, les investissements directs et de portefeuille connaissent de moins en moins de limites

43 Pour une classification, v. Alvaro Borghi, Le blocage et la restitution de biens illicitement acquis, Bâle 2006.

44 Convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale conclue le 25 janvier 1988, telle qu’amendée par le Protocole du 27 mai 2010, précisée par l’Accord multilatéral entre autorités com- pétentes concernant l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers conclu le 29 octobre 2014, l’une et l’autre entrées en vigueur pour la Suisse le 1er janvier 2017.

45 Celui qui transfère des fonds d’un pays vers un autre pour les soustraire aux prétentions du fisc du premier ne peut souvent pas les retransférer vers celui-ci s’il devait vouloir les y employer. S’il n’est pas prêt à ag- graver l’illégalité d’origine, il est souvent limité quant à la possibilité de leur imprimer un mouvement transfrontalier ultérieur.

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au-delà de celles – de plus en plus souvent fixées multilatéralement – nécessaires pour prévenir les mouvements illicites.

Enfin, la propriété d’une personne acquiert une assise multiterritoriale du fait qu’elle décide elle-même de la lui donner. Le transfert de résidence, l’ouverture d’une gestion de fortune ou l’acquisition d’un bien immeuble par delà les frontières sous- tendent des choix juridiquement libres. Les hommes et les femmes composant les Etats qui se partagent le territoire de notre planète se prévalent, en les réalisant, d’une liberté que seules peuvent leur accorder des règles de droit inter-étatique, car une telle liberté a pour objet des activités se déployant sur les territoires de deux ou plusieurs Etats et nourrit dès lors des droits subjectifs internationaux. La coordination entre les communautés organisées en Etats – qui sont des communautés d’êtres humains – se noue au service précisément des êtres humains qui les forment, de leur prospérité, de leur épanouissement, de leur bonheur.

Un constat ultérieur – la mortalité comme attribut de l’humanité – nous conduit au passage du patrimoine international à la succession internationale.

III. Le rôle de la coordination inter-étatique dans la distribution mortis causa des patrimoines internationaux

Dans son livre Tous les hommes sont mortels, Simone de Beauvoir proclame que la vie n’a de valeur que par la finitude qui la marque46. Pour Steve Jobs « death is the single best invention of life » en raison du progrès qu’entraîne le renouvellement de l’espè- ce47. Faut-il essayer un jour de la vaincre ? Si l’on a prophétisé que c’est ce à quoi l’« agenda humain » s’attachera48, gageons qu’aucun des hommes et femmes à ce jour vivants ne saurait s’y soustraire, qu’ils soient fortunés ou non, quelle que soit leur nationalité ou domicile, ou le degré d’internationalisation de leurs biens  – nous sommes, à ce point de vue, tous égaux. D’ici cent-vingt ans la richesse privée d’au- jourd’hui aura ainsi changé de main par voie de succession.

Polysémique, ce terme désigne, s’il est enrichi du qualificatif mortis causa, le pro- cédé par lequel les biens d’une personne sont recueillis à son décès par une autre ou d’autres personnes – ses « successeurs » – et, par extension, le patrimoine lui-même.

L’expression consacrée est « règlement de la succession », qui désigne l’attribution et la distribution des biens de celui ou celle « dont l’héritage est en cause », de cujus, au moyen – justement – de règles, qui composent le droit successoral. L’aspiration pre- mière animant les communautés étatiques est d’empêcher que le décès de l’un de leurs membres déclenche une lutte entre les survivants, une course vers les biens, à l’image

46 Paris : Gallimard, 1946.

47 Discours prononcé à l’Université de Stanford, le 12 juin 2005, dont le texte est disponible sous <https ://

news.stanford.edu/2005/06/14/jobs-061505>.

48 Yuval Harari, Homo Deus – A Brief History of Tomorrow, London 2015.

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des pilleurs à la suite des catastrophes naturelles49. Il s’agit pour la communauté – c’est un second objectif  – d’assurer le transfert ordonné des biens de ceux de ses membres qui viennent à disparaître au profit de ceux qui leur survivent selon des cri- tères fixés par avance, fondés le plus souvent sur une proximité présumée entre ceux-ci et ceux-là. Mais de tout temps – et nous en venons à un troisième objectif – si une communauté encourage l’accès par ses membres à la propriété privée tout autant que la liberté d’initiative que stimule la perspective d’un tel accès, une telle communauté est portée à reconnaître et protéger la liberté du propriétaire d’imprimer lui-même le sort de ses biens – pour qu’il puisse tenir compte des liens réels qu’il entretenait avec ses proches – sous réserve de la protection de la collectivité incarnée par l’administra- tion fiscale et, au besoin, de certains proches du de cujus qui, à défaut, pourraient rester à la charge de celle-ci. Aussi convient-il de distinguer le rôle que joue le droit successoral au cours de la vie du titulaire du patrimoine (1) puis à son décès (2).

A. La coordination au stade de la planification par le de cujus de la distributionde sa succession

C’est du vivant du de cujus qu’une partie importante du droit successoral remplit la fonction qui lui est connaturelle (A). Le caractère multi-national du patrimoine qu’il détient n’y change pas grand-chose tout en révélant les limites d’une loi mono-natio- nale sur les successions internationales (B).

1. Le de cujus comme destinataire des règles de droit fixant l’étendue de sa liberté de disposition

Bien des règles de droit en ce domaine s’adressent au de cujus. Au moment où elles aspirent à opérer, celui-ci est encore en vie et souhaite en général le rester le plus long- temps possible. Sa succession n’est que prospective. C’est en contemplant le moment où elle s’ouvrira qu’il s’interroge sur sa liberté de réaliser des actes de disposition, dits mortis causa car ils prendront effet quand sa vie se sera fermée. Un premier pan du droit successoral vise à lui signaler l’étendue d’une telle liberté et à lui permettre de l’exercer50. A l’intérieur des limites que lui prescrit le droit objectif, le titulaire du patrimoine se voit reconnaître le droit subjectif de planifier le sort de celui-ci, de fixer lui-même les droits et les obligations des survivants sans ingérence d’autrui. Ce n’est pas le notaire qui les fixe selon ce qui lui paraît expédient, ce n’est pas non plus le juge selon qu’il juge bon. Le sens de ce pan du droit des successions consiste à permettre

49 Christian Navarre, Psy des catastrophes – Dix ans auprès des victimes, Paris 2007.

50 Les cours et formations sur l’« anticipation successorale » ou « planification du patrimoine » (estate plan- ning) foisonnent.

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au particulier de devenir lui-même législateur, d’édicter les normes individuelles. Le testament et les autres actes de disposition sont bien des actes normatifs51.

Si les études sociologiques y sont rares, il semble bien que les êtres humains, quand ils énoncent leurs dernières volontés, souhaitent avant tout épargner aux survivants des incertitudes. Le testateur désagrège de manière ordonnée son patrimoine afin d’empêcher la désagrégation de sa famille, en tout cas de réduire les probabilités de conflits entre ses proches52. La perspective « Après moi le déluge » ne le séduit en géné- ral pas. C’est à la sécurité juridique post-mortem qu’il travaille. Une telle œuvre de

« certification » est en général conforme aux intérêts de la communauté étatique, qui tire avantage de ce que le règlement d’une succession se fasse de manière efficiente, la moins coûteuse pour les contribuables, la moins conflictuelle pour les survivants.

Cela vaut pour les autres instruments de planification autorisés – variables selon les législations53 – tels les pactes successoraux, les trusts et d’autres encore.

Or les règles de droit qui fixent l’étendue, les limites et le mode d’exercice de la liberté du de cujus de concourir au règlement de sa succession n’ont de sens que s’il est en mesure de les connaître. Comment peut-on exercer un droit subjectif si l’on ignore qu’il existe ou en profiter pleinement si l’on en méconnaît l’étendue ?

Le fait qu’un patrimoine privé soit situé multi-territorialement n’affecte pas la substance du problème. Comme elle ne change rien à sa mortalité, l’internationalité de la fortune d’une personne ne change rien aux besoins qui en résultent, et d’abord au besoin pour elle d’en prévoir et au besoin en orienter la destinée post mortem.

Seulement, les lois que se donnent les communautés étatiques peuvent diverger quant à la mesure de la liberté d’organisation successorale qu’elles jugent bon de reconnaître à leurs membres : quant à l’opportunité de protéger tel membre de sa famille en lui

« réservant » une « portion » des biens, quant à l’admissibilité d’un pacte successo- ral, etc. Aussi longtemps qu’il n’y a pas de droit matériel multi-étatique, ce ne peut qu’être une loi étatique qui attribue aux êtres humains rattachés par leurs biens à plusieurs Etats le droit subjectif d’en disposer mortis causa ; ou bien plusieurs lois étatiques, mais non pas applicables chacune au patrimoine envisagé comme une uni- versalité, car elles peuvent être conflit – c’est le conflit de lois – mais à des éléments

« scindibles » de celui-ci.

Quiconque a une expérience en planification internationale du patrimoine sait que les hommes et les femmes qui s’y essaient souhaitent avant tout connaître le cadre légal qui gouverne une telle planification. Par conséquent, ils souhaitent avoir une

51 En témoigne leur structure, qui reproduit celle d’une loi : « Article 1 », « Article 2 », etc. parfois précédés par un « préambule ».

52 Ce qui n’exclut évidemment pas que certains seront mécontents de ce qu’ils auront reçus de lui. L’absence de conflits familiaux – au sens notamment de litiges judiciaires – ne suppose pas encore l’harmonie fa- miliale.

53 Andrea Bonomi, « Successions internationales : conflits de lois et de juridictions », 350 Recueil des Cours (2011), p. 262.

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certitude raisonnable quant à l’identité de la loi étatique ou des lois étatiques au profit desquelles le conflit de lois est prévenu car ils veulent être raisonnablement sûrs que l’organisation qu’ils donneront à leur succession recevra effet en tant que « conforme au droit ». S’ils veulent « être en règle », les êtres humains veulent aussi pouvoir ex- ploiter toute la liberté que ces règles leur offrent. Un tel besoin du de cujus peut se manifester déjà en contemplation d’un acte patrimonial international qu’il hésite à réaliser. Tout comme je peux souhaiter connaître les effets fiscaux d’une acquisition projetée, de même je peux bien me demander : « Si j’achète un immeuble dans tel pays, quelles sont les règles qui gouverneront la détermination de la succession relative à cet immeuble ? ». Un Emirien vivant en Angleterre souhaitait récemment acheter à Genève une propriété pour laquelle il était prêt à verser un prix qui dépassait de loin les attentes du vendeur. Mais il y a renoncé au motif que le droit applicable à la dévo- lution de cet immeuble était peu prévisible54 et il ne souhaitait pas augmenter les chances de conflits entre ses proches. C’est là qu’on rencontre la première limite d’une codification mono-nationale.

2. Les limites d’une loi mono-nationale du droit international privé

A moins que des règles inter-étatiques n’en prescrivent autrement, chaque Etat dé- tient un pouvoir souverain sur son propre territoire et n’a a priori aucun pouvoir sur le territoire souverain d’aucun autre Etat. Aussi les dispositions inscrites dans une loi qui n’émane que d’une communauté étatique n’ont en principe pas le pouvoir de

« régler » les activités humaines se déployant sur le territoire des autres communau- tés55. Une loi votée par le Parlement suisse qui prétendrait régir l’aménagement d’un espace bi-territorial situé à cheval de la frontière franco-suisse ne saurait-elle être

« loi » pour la portion française. Le fait qu’un tel acte normatif prenne le nom de

« Loi fédé rale de l’aménagement du territoire dans un espace transfrontalier » ne fait pas de lui une « loi » au sens substantiel. La construction du tunnel du Grand Saint Bernard n’a pu que résulter d’un régime bi-national tirant sa source d’accords entre la Suisse et l’Italie, tout comme sa gestion – horaires d’ouverture, maintenance, etc. –, ne peut qu’être fixée par un tel régime italo-suisse.

C’est aussi le cas d’une loi dite de droit international privé. Dans la mesure où elle prétend régler des actes, conduites, démarches devant se dérouler pour partie sur son

54 Cf. Rapport explicatif (note 4), p. 20 : « il existe sur ce point une grande insécurité juridique ».

55 Ce principe est suffisamment incontesté pour qu’on soit dispensé de se pencher sur ce qu’on appelle parfois, par un terme à vrai dire polysémique, « lois extraterritoriales » : d’une part, l’adoption de celles-ci peut « ne […] pas [être] a priori conforme à la répartition des compétences telles que déterminée par le droit international public » (Mathias Audit, Sylvain Bollée & Pierre Callé, Droit du com- merce international et des investissements étrangers, 2e éd., Paris 2016, p. 96) ; d’autre part, il n’a semble- t-il, du moins pour l’instant, pas été soutenu qu’il en existerait dans le domaine des successions transfron- tières.

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propre territoire et pour partie sur le territoire d’un autre ou d’autres Etats – car, par exemple, elle vise à régir également le sort de biens qui se trouvent sur le territoire souverain d’autres Etats –, une telle loi n’est qu’une semi-loi au sens qu’elle doit être complétée par une semi-loi concordante de l’Etat « co-intéressé ». Nous avons déjà rencontré un phénomène de ce type56.

Aussi bien, la Suisse, par une loi votée à Berne, ne saurait déterminer toute seule le droit applicable à la distribution d’un patrimoine franco-suisse ou helvético-égyp- tien. Supposons que la Suisse, moyennant la LDIP, s’adresse à l’Egyptien établi en Suisse de la manière que voici : « Vous êtes soumis à la loi suisse de votre domicile57 et vous avez dès lors tous les droits subjectifs que vous reconnaît le Code civil suisse, y compris quant à la part de votre patrimoine qui est située sur le territoire souverain d’Egypte, car en vertu du principe de l’universalité de la succession, votre patrimoine doit être envisagé comme une unité ». Supposons qu’un acte émanant de l’organe lé- gislatif égyptien lui dise en même temps : « Vous êtes soumis à la loi égyptienne de l’Etat dont vous tenez la nationalité58 et vous avez tous les droits subjectifs que vous reconnaît le Code civil égyptien, y compris pour la part de votre patrimoine qui est située sur le territoire souverain de la Suisse, car votre patrimoine doit être envisagé comme un tout ». Notre de cujus, qui s’interroge sur l’étendue de la liberté de dispo- sition de son patrimoine se trouve face à un conflit helvético-égyptien de lois. Ignorant le droit objectif – suisse ou égyptien ? – qui le définit, il ignore quel est le droit subjec- tif qui lui revient : il ignore s’il peut faire un pacte successoral (le droit suisse le per- met) ou non (le droit égyptien l’interdit), quelle est la « quotité disponible » , etc. Le préambule de la Constitution fédérale ne nous prévient-il pas que « seul est libre qui use de sa liberté » ? Seulement, pour qu’il puisse « user de sa liberté » , celui qui la détient doit en connaître l’étendue et donc les règles de droit qui la fixent. Tout comme le droit subjectif d’internationaliser son patrimoine ne peut échoir à un être humain que de règles inter-étatiques – résultant d’un accord organisé ou spontané des Etats « co-intéressés » –, de même cet individu ne saurait se dire titulaire d’un droit subjectif de disposer mortis causa d’un tel patrimoine multi-territorial qu’en vertu d’une coordination inter-étatique du même type.

Evoquons alors les règles inscrites dans les traités que la Suisse a conclus avec les Etats-Unis, l’Italie, la Grèce, l’Iran59. Anciens, ces instruments – prenons par exemple le traité italo-suisse – attestent le lien qu’entretiennent tout à la fois le droit subjectif international d’un individu au transfert de sa résidence du territoire d’un Etat

56 Supra, sections I.1 et I.2.A.a) et b).

57 C’est en principe que ce qu’énonce l’article 90 al. 1 LDIP, qui reste inchangé dans l’Avant-projet.

58 C’est ce qu’énonce l’article 17 du Code civil égyptien de 1948.

59 Traité du 25 novembre 1850 conclu entre la Confédération suisse et les Etats Unis d’Amérique du Nord, Convention d’établissement et consulaire du 22 juillet 1868 entre la Suisse et l’Italie, Convention d’éta- blissement et de protection juridique entre la Suisse et la Grèce du 1er décembre 1927, Convention d’éta- blissement du 25 avril 1934 entre la Confédération suisse et l’Empire de Perse.

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contractant à celui de l’autre Etat contractant, son droit subjectif international à la constitution et au maintien d’un patrimoine sur les territoires des deux Etats contrac- tants, et le droit subjectif lui aussi international se rapportant à la distribution mortis causa d’un tel patrimoine. Tout comme il faut des règles de droit italo-suisses pour accorder à un Italien ou à un Suisse le droit subjectif de se constituer un patrimoine en Italie et en Suisse, de même il faut des règles italo-suisses pour déterminer com- ment, et d’abord selon quel droit étatique un tel patrimoine italo-suisse sera dévolu au décès de son titulaire. Quant au critère décidé bilatéralement pour désigner le droit applicable, le Traité italo-suisse est couramment interprété en ce sens qu’il soumet le patrimoine d’un Italien domicilié en Suisse ou d’un Suisse domicilié en Italie à la loi de l’Etat de sa nationalité60.  Il en va semblablement de la Convention helvético- iranienne61. En revanche, l’accord que la Suisse a conclu avec les Etats-Unis en 1850 s’en rapporte à la loi du domicile pour ce qui est des meubles et à la loi de situation pour les immeubles62. On constate ainsi que la Suisse, en vue de se coordonner avec un Etat « partenaire », est prête à s’adapter aux circonstances – historiques, cons- titutionnelles, économiques – propres à celui-ci et établir une règle sur le droit ap- plicable dont le rattachement qu’elle retient peut différer de celle qu’elle a établi avec un autre Etat. Rien d’étonnant à cela car la coordination suppose que les personnes qui cherchent à se coordonner s’ajustent mutuellement à leurs spécificités. Chacun de nous en fait l’expérience s’agissant de fixer le menu d’un repas63.

Il est vrai que la majorité des dispositions que consacrent ces textes ait été depuis supplantées par d’autres. Il suffit de penser aux accords que la Suisse a conclus avec l’Union européenne qui « règlent » de manière bien plus précise le statut des Italiens en Suisse et des Suisses en Italie. Mais ces accords, s’ils autorisent les Italiens à s’établir en Suisse et les Suisses à s’établir en Italie, s’ils autorisent les Italiens vivant en Suisse à acheter des biens immeubles en Suisse aux mêmes conditions que les Suisses eux- mêmes, ne disent rien quant au sort post portem de ces biens. C’est le vieux Traité ita- lo-suisse qui continue à avoir son mot à dire. Ne convient-il pas de faire également évoluer les dispositions vieilles de 150 ans qu’il consacre aux successions en édictant de plus conformes à l’esprit d’aujourd’hui ? Le Tribunal fédéral a reconnu la validité de la professio iuris en faveur du droit suisse faite par un Italien domicilié en Suisse64. Seule- ment, pour qu’un Italien établi en Suisse ait réellement le droit subjectif de choisir la loi suisse comme applicable à son patrimoine situé sur les territoires des deux Etats, il faut que l’Italie soit d’accord pour le lui reconnaître. Il s’agit une fois de plus d’un droit

60 Article 17(3) et (4) : v. Tito Ballarino & Ilaria Pretelli, « Una disciplina ultracentenaria delle successioni », Rivista ticinese di diritto 2014, 889 s.

61 Art. 8(2).

62 C’est la manière dont est interprété l’article VI.

63 A ma tante italienne je sers en « antipasto » du jambon et melon, tandis qu’à un ami musulman prati- quant, je sers plutôt de la « caprese » en évitant le jambon.

64 ATF 136 III 461 et ATF 138 III 354.

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subjectif international qui seul prend naissance du fait de l’accord des deux commu- nautés sur les territoires desquels doit s’exercer la liberté qu’il a pour objet. Italien do- micilié en Suisse, je souhaiterais faire un pacte successoral – prohibé par le Code civil italien – avec une personne qui m’est proche et je serai pret à soumettre ma succession au droit suisse. Mais je n’ai pas de certitude quant à mon droit de le faire. Il faut bien qu’un tel doute soit levé au bénéfice des 316 000 Italiens vivant en Suisse65. Mais gar- dons-nous de croire que, parce que les dispositions que comportent des anciens accords bilatéraux sont dépassées, c’est l’idée même du bilatéralisme qui est dépassée.

Revenons à l’Egyptien vivant en Suisse et envisageons-le en contrepoint d’un Suisse vivant en Egypte. Environ 2100 Egyptiens résident aujourd’hui en Suisse et 1500 Helvètes en Egypte. Certains de ces expatriés détiennent des biens dans les deux Etats. Notons d’abord que, dans la mesure où nos personnages ont légalement trans- féré leur résidence du territoire de leur Etat d’origine au territoire de l’Etat où ils sont établis actuellement, un tel transfert helvético-égyptien ou égypto-helvétique de leur centre de vie a été possible du fait que les deux communautés se sont accordées pour l’autoriser. Notons ensuite que celles-ci ont conclu une série de traités nourrissant les

« relations bilatérales » entre elles, ce que l’Administration fédérale se plaît à relever avec fierté66. Parmi les fruits de ce bilatéralisme, citons le traité de libre échange conclu en 200767. La Suisse et l’Egypte ont entendu faciliter la vente par des Suisses, et les entités qu’ils créent, de biens à des Egyptiens, c’est-à-dire tout à la fois le mouvement international de ces biens du territoire suisse au territoire égyptien et le transfert inter- national d’argent d’Egypte vers la Suisse ; et inversement. Certes, s’il vise à promou- voir la conclusion de contrats helvético-égyptiens, un tel traité n’entraîne pas inévita- blement la formation de patrimoines helvético-égyptiens, encore que le Suisse qui achète du coton en Egypte peut bien, pour faciliter les transactions, ouvrir un compte en Egypte. Evoquons alors le traité d’investissements que nos Etats ont conclu en 2012. Pourquoi la Suisse s’y est-elle engagée ? Afin, d’une part, d’encourager les Suisses qui le souhaitent à investir sur le territoire égyptien, c’est-à-dire de favoriser le transfert par les Helvètes d’actifs de Suisse vers l’Egypte et leur emploi pour des acquisitions en Egypte de biens de toute sorte ; et, d’autre part, d’encourager les investissements égyp- tiens sur son propre territoire68. En souhaitant protéger les acquisitions réalisées par des Suisses, la Suisse montre qu’elle ne se désintéresse pas du régime applicable aux biens acquis par les Suisses en territoire égyptien, qui sont tout à la fois égyptiens quant à leur situation et suisses quant à leur appartenance. Au contraire la Suisse a souhaité,

65 <https ://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/population/migration-integration/nationalite- etrangere>.

66 <https ://www.eda.admin.ch>.

67 Accord de libre-échange entre les Etats de l’AELE et la République arabe d’Egypte conclu le 27 janvier 2007 et entré en vigueur le 1er septembre 2008.

68 Accord entre la Confédération suisse et la République arabe d’Egypte concernant la promotion et la pro- tection réciproque des investissements conclu le 7 juin 2010, entré en vigueur le 15 mai 2012.

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