• Aucun résultat trouvé

La théologie face aux exigences de la science et de la spiritualité. ASKANI, Hans-Christoph

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "La théologie face aux exigences de la science et de la spiritualité. ASKANI, Hans-Christoph"

Copied!
5
0
0

Texte intégral

(1)

Article

Reference

La théologie face aux exigences de la science et de la spiritualité

ASKANI, Hans-Christoph

ASKANI, Hans-Christoph. La théologie face aux exigences de la science et de la spiritualité.

Revue des Cèdres , 2012, no. 38, p. 129-135

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:30439

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

1 / 1

(2)

Revue des Cèdres

science et

Dossier

Hans-Christoph Askani Prof. de théologie systématique, UNIGE

« L'homme habite au bord d'un énorme océan ... », écrit le théologien Y. Tourenne 1

elon toute probabilité, le moine franciscain n'a pas voulu rappeler que certains acteurs, joueurs de foot ou autres stars possèdent une villa près de la plage. Que voulait-il dire alors? Probablement ceci : l'être humain - par le simple ±::lit de son existence - se trouve face à un horizon, entouré d'un horizon qui est plus large et plus ouvert que tout ce que l'homme peut mesurer et épuiser par sa pure rationalité, ct encore moins par une rationalité qui se limite à sa fonction instrumentale pour se soumettre le monde comme un objet quantifiable et gérable. Il est vrai que le monde ainsi préparé et schématisé se présente à l'homme sous sa forme la plus séduisante : celle de la promesse d'une faisabilité sans bornes, d'un progrès linéaire, d'une croissance visible et calculable ...

Est-ce pourtant tout? Tout l'enjeu, tout le risque et toute la promesse de la vie humaine? L'image de la mer parle d'une autre dimension, d'un autre défi, d'une autre ouverture. La démesure, à laquelle renvoie

«l'océan», est propre à l'être humain sans que celui-ci n'en puisse jamais faire sa propâété, c'est-à-dire l'objet de sa gestion et de sa volonté d'être rassuré.

1 Y. TOURENNE ofm., La théologie du dernier Rahner, Paris, Cerf, 1995, p. 12. L'auteur renvoie avec sa formulation à des pensées du grand théologien catholique auquel il consacre son livre.

(3)

La Revue des Cèdres Dossier

Qu'est-ce que la « spiritualité » ?

On peut comprendre la «spiritualité», notion souvent dans ces deux numéros de la Revue, de deux manières radicalement (mais peut- être pas totalement) opposées : a) comme le complément d'une vie déterminée - jusqu'à l'excès - par la domination que l'être humain exerce autour de lui (une domination qui n'admet comme réel que ce qui s'intègre sans reste en elle), complément donc qui équilibrerait jusqu'à un certain degré la fadeur d'une existence qui tourne en rond entre ses ambitions, ses calculs, ses succès et ses frustrations ; ou b) comme l'ex- position à un horizon qui nous dépasse infiniment - comme la mer qui promet l'inouï, mais qui ne le promet pas sans le risque que nous perdions, en lui répondant, rien de moins que nous-mêmes. Comprise dans ce sens, la « spiritualité » est la grande question de l'être humain : la question de sa vie qui est inséparable de la question de sa mort. Cette question dépasse la compétence et la maîtrise de celui qui croit pouvoir la poser ou non ... Elle est là avant que l'on ne la pose, elle est là comme une question errante : insaisissable et incontournable à la fois. Ainsi cherche-t-elle et trouve-t-elle dans l'existence de l'homme le lieu d'ancrage sans fond de sa présence débordante 2. Cette présence débordante, qui squatte l'existence de l'homme comme lieu de son habitat, peut-être appelée« spiritualité».

Parmi les sciences, le discours spécifique de la théologie

Les sciences dans leur conception moderne, comprises comme recherches méthodiques, vérifiables et falsifiables selon les critères qui correspondent à l'idéal d'une raison qui maîtrise sa propre rationalité et qui l'exerce sur ces objets, n'auront évidemment pas de place pour la spiritualité conçue comme démesure principielle au sein de l'existence humaine. - La question est de savoir si vraiment aucune science, aucun type de rationalité n'est prêt à accueillir l'infini d'une promesse qui se donne et se

2 Qui cherche un point d'appui biblique de ce qui vient d'être dit, lira (parmi nombre d'autres textes) Jean 3, le dialogue entre Nicodème et Jésus, ou Marc 8, 31-38, l'échange entre Jésus et Pierre et sa suite.

No 38- décembre 2012 130

Cèdres Dossier

retire en même temps, à offrir donc asile à cet hôte qui, par principe, est trop peu modeste. La théologie en tant qu'interprétation d'un croire qui ne se laisse pas délimiter de l'extérieur, et selon sa destination à être réponse à une question qui la dépasse par pândpe, ne saura pas fermer ses portes à la vue de cet intrus. Ainsi devient-elle elle-même

«l'intrus» dans l' «orchestre» des sciences qui se réconfortent mutuellement dans l'assurance de leur rationalité.

Quoi qu'il en soit, si théologie il y a, elle trouve sa définition dans la rencontre avec la revendication d'un infini qui la hante sous forme de parole, d'une parole sans filet de sécurité -pour la parole elle-même et celui qui la reçoit. C'est à cette parole qu'elle va, qu'elle veut et qu'elle doit répondre. Quant à la scientificité de la théologie, on doit donc dire : la spécificité de son caractère scientifique tient au va-et-vient entre ces deux paroles. Va-et-vient sans garantie mais non sans promesse.

Qu'est-ce que cela signifie pour le discours de la théologie ? Il s'appuie comme tout discours sur des mots, des concepts, des formules et des données grammaticales et rhétoriques préétablis et avérés dans leur usage. Mais l'inouï qui les touche (la mer qui jette ses vagues jusqu'à nos pieds et que nous n'aurons pas perçue comme mer si nous ne savions pas que nous devons nous y jeter pour nous perdre dans son étendue, une étendue que nous ne pouvons pas vouloir, mais quj nous « veut>> sans nous avoir demandé préalablement notre accord), l'inouï donc qui touche les mots, les formules, et même les structures syntaxiques, les arrache- à leur propre compétence. C'est cela, la rencontre entre spiritualité et science« au sein» de la théologie.

Les théologiens eux-mêmes ne l'ont pas toujours voulue et supportée.

Ainsi ont-ils inventé des «solutions» pour échapper à l'aventure trop aventureuse de cette théologie. Nous en mentionnons deux:

1. Au lieu de s'intéresser à la théologie et à son rapport à la foi, dans leur défi démesuré, on s'intéresse à la religion comme phénomène culturel et

No 38- décembre 2012 131

(4)

La Revue des Cèdres Dossier

social3. Le discours qui est, en théologie, par définition ouvert - trop ouvert pour être complètement maîtrisé - rentre donc dans un espace bien circonscrit, dans lequel - comme les locomotives des CFF dans leurs gares-, les concepts et les méthodes sont déjà sur les rails.

2. Mais il y a une autre option : pour rendre justice (comme on le prétend) à la dimension spirituelle, on propage une théologie

« convictionnelle ». Celle-ci aurait l'avantage de ne pas camoufler les présupposés de la foi, au contraire elle les mettrait sur la table, pour ensuite pouvoir développer ce que serait - sous ses présupposés - l'enjeu de la foi chrétienne. Cela serait un geste d'honnêteté intellectuelle d'indiquer d'emblée les présupposés selon lesquels une science (ou en tout cas une réflexion) se déroulerait. Cette démarche comporterait deux avantages : a) celui de l'intégration de la dimension spirituelle dans la théologie et b) celui de l'annonce, de l'exposition explicite de la précompréhension.

Cependant une question surgit: est-ce que la foi (car il s'agit en théologie chrétienne bel et bien de la foi) est une conviction? Bien sûr, dira-t-on, quoi d'autres? C'est justement là que j'ai mes doutes. Mon hypothèse est la suivante : Une « théologie convictionnelle » ne saura justement pas rendre justice à la dimension spirituelle liée au christianisme, parce qu'entre conviction et foi il y a une différence radicale. Une conviction se replie sur son contenu et sur celui qui l'affirme et qui la défend ( « Moi, je suis convaincu que la Suisse va devenir championne du monde ... » ;

«Moi, je suis convaincu que l'homme est bon de nature»). La foi dit autrement et dit autre chose.

Nous pouvons en faire la preuve. Regardons quelques formulations concernant le rapport entre Dieu et l'homme tel que le christianisme conçoit ce rapport. Par exemple : «Moi, je suis convaincu que Dieu a créé le monde» ; «Moi, je suis convaincu que Jésus est ressuscité» ;

«Quant à moi, je suis convaincu que Jésus-Christ est mon Seigneur» ;

3 Tendance académique actuellement très répandue en Allemagne, en Suisse et dans beaucoup d'autres pays.

Revue des Cèdres Dossier

«Moi, je suis convaincu que Dieu m'aime». Toutes ces formulations sont tout proches du vrai enjeu, mais elles sont néanmoins inadéquates. Une conviction inclut dans la référence à soi - qui est à la base de toute conviction («je suis convaincu ... ») -un contenu extérieur qui devient ainsi l'objet et l'enjeu de la conviction. Je sors de moi-même et je reviens à moi-même enrichi de - ma conviction, ou : enrichi de la résurrection de Jésus, de l'amour de Dieu ... Le cercle s'est élargi, mais il se referme d'autant plus fermement - ce qui est d'ailleurs explicitement souligné : non seulement je crois, mais c'est encore plus, c'est plus fort : je suis même convaincu ... Cette précision est dans l'intention de celui qui parle voulue : il a non seulement la foi, mais une foi sûre. Néanmoins, on le ressent : une formulation comme «Je suis convaincu que Jésus- Christ est mon Seigneur» («Moi, je suis convaincu que Jésus est ressuscité » ) inclut ce « Seigneur » (cette résurrection) trop parfaitement dans l'être propre de celui qui parle, trop élégamment dans l'attitude de sa propre« disposition». Toutes ces formulations, toutes ces convictions comportent un rien de poids en trop mis sur le « Moi », un rien de sûreté en trop; en d'autres termes, un retour à soi - trop précipité et trop forcé.

Ainsi la différence entre la foi et la conviction, même l'abîme qui sépare les deux, se montre de manière très claire. En effet, là où la conviction se replie sur elle-même, la foi s'ouvre radicalement à autrui. La conviction est auto-relation qui inclut l'objet de sa certitude ; la foi est relation à autrui qui déplace celui qui croit en direction de la relation, relation à autrui qui le libère de la prépondérance de sa relation à soi-même. La foi comprise comme conviction ou plutôt transformée en conviction - brade cette libération en faveur d'une auto-relation renforcée et affichée.

Dans ce sens-là la conviction est l'opposé de la foi.

(5)

La Revue des Cèdres Dossier

La théologie à l'Université?

Nous nous sommes posé la question du rapport entre la spiritualité et la théologie comme science.

Nous avons compris la spiritualité non pas comme un complément à la vie quotidienne qui lui ajouterait une couche de profondeur, de profondeur ou de transcendance, mais plutôt comme la rencontre de l'être humain avec l'enjeu infini de son existence. Qu'est ce que cela implique donc pour la théologie et son caractère scientifique ? Est-elle une science comme les autres ? En tout cas, elle ne va pas renoncer aux exigences d'une réflexion méthodique et critique ; et elle ne va pas cesser de chercher à se rapprocher de plus en plus de son « objet» ; elle ne va pas renoncer non plus à proposer et exposer son discours, ses arguments et ses découvertes à la discussion et à la mise en question. Cependant, plus elle va dans le sens de cette «scientificité», dans le sens de ce rapprochement «objectif», plus elle sera consciente qu'elle sera entraînée dans une rencontre dans laquelle la pure maîtrise de son objet et de ses méthodes s'exposent à un ébranlement, à une révolution qui ne se terminera jamais.

Cette théologie a-t-elle sa place à l'Université ? La question mérite d'être posée. Ne se pose-t-elle pourtant pas aussi dans l'autre sens : l'Université est-elle toujours prête, a-t-elle toujours le courage (comme elle l'a eu pendant des siècles) de supporter en son sein un type de science (ou de pensée) qui rappelle sans concession que la rationalité humaine est moins restreinte que ne le laissent croire les succès de nos découvertes bien circonscrites et nos besoins d'être rassurés dans l'incertitude de notre existence ? Car en effet, en comparaison avec d'autres sciences, la théologie a sa particularité dans la dé-mesure de son ouverture face à des enjeux qui la dépassent et qui en même temps demandent sa réponse.

Pourquoi ? Parce que, sans ces enjeux, l'être humain ne serait pas ce qu'il est.

Devant cet arrière-fond, la question : «la théologie devrait-elle avoir une dimension spirituelle» ne se pose donc même pas. Elle est l'accueil -

No 38- décembre 2012 134

La Revue des Cèdres Dossier

dans ses paroles et ses expériences - d'une spiritualité qui de son côté n'est rien d'autre que l'éclatement des paramètres qui sont trop figés pour ne pas réduire l'enjeu de la foi et de sa pensée à la mesure du gérable. - L'accueil d'un éclatement donc qui sc donne comme ouverture, ouverture que la théologie poursuit (ou qui poursuit la théologie) - sans pourtant que la théologie puisse jamais suffire totalement à cet horizon. Pour le dire avec l'image évoquée plus haut (est-ce cependant seulement une image ?) : dans le rapport entre la spiritualité et la théologie se refléterait et se réaliserait le défi humain (et jamais suffisamment humain), d'habiter au bord d'un «océan énorme», et non pas seulement-à proximité d'un joli ruisseau.

No 38- décembre 2012 135

Références

Documents relatifs

Evoquant la tendance prédominante dans le domaine péda - gogique contempora in de ((l'éducation spécialisée )) qui impose une ((pédagogie curative)) , cette vague

Car nous sommes au service des enfants. Leurs regards anxieux nous implorent. Nous ne pouvons attendre pour leur venir en aide. Eh bien! Nous allons d'abord

Face à des c ontingen- ces diverse s avec lesquelles nous devons ca11pter , nous ne pouvons que rareme nt avplique r in- tégralement les techniques Freinet.. Enfin,

Les chiffres so nt là.. Qu e je

• Les membres délégués des syndicats de la FEC-CSQ, au prorata des membres (le double de la délégation au Conseil général). • Le Bureau exécutif de la FEC-CSQ et les

Sinon, la personne à la présidence des débats dispose de deux minutes pour expliquer les motifs de sa décision, et c’est l’assemblée qui tranche. Vous pouvez signaler un

Une Nuit Pour 2500 Voix est un évènement national mis en place par 2500 Voix, qui propose Une Nuit Pour 2500 Voix est un évènement national mis en place par 2500 Voix, qui propose

Le réseau GS Airlines couvre actuellement 2 destinations à Madagascar : Fianarantsoa et