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L E RÔLE D E L'ASPECT DANS L'ÉVOLUTION DU SYSTÈME V E R B A L E N FRANÇAIS

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L 10, 1888 (ÉTUDES BOMANES D E BBNO XIX)

R Û È E N A O S T R Â

L E RÔLE D E L'ASPECT DANS L'ÉVOLUTION DU SYSTÈME V E R B A L E N FRANÇAIS

E T E N TCHÈQUE

1. D a n s le présent article, nous essaierons d'établir dans quelle mesure les considérations aspectuelles interviennent dans l'évolution d u système verbal en français. N o s réflexions reposeront sur l'analyse fonctionnelle des temps verbaux en ancien français et sur l a confrontation de l'état de l'ancien français avec celui d u l a t i n et d u français moderne. E n même temps, nous avons l ' i n - t e n t i o n de tenir compte de l'évolution de l a catégorie de l'aspect en tchèque, car i l nous a semblé intéressant de constater que les é t a t s anciens des deux langues sont moinB éloignés l ' u n de l'autre que leurs é t a t s actuels et que, paraît-il, l a situation d u slave c o m m u n et d u l a t i n présente des coïncidences encore plus significatives.1

1.1. Cependant, i l nous semble difficile — sinon impossible — de traiter de l'aspect indépendamment de l a catégorie d u temps. E n l a t i n , e n effet, les traits aspectuels étaient englobés dans l a catégorie d u temps et i l n ' y a v a i t pas de système de marques grammaticales spécifiques pour les signaler. L a notion de l'aspect (perfectif, duratif, itératif) y était néanmoins présente et elle mar- quait sensiblement le fonctionnement d u système verbal. B i e n que l a distinc- t i o n — spontanée et régulière chez les grammairiens latins - des temps de l'infectum de ceux d u perfectum ne soit pas assimilable à des différences d'aspect, i l ne serait pas juste de l ' e n séparer complètement.2

1.2. D ' u n autre côté, o n sait que les langues slaves, dont le tchèque, consti- tuent aujourd'hui le seul groupe de langues indoeuropéennes (pour les langues baltes, l a situation n'est pas aussi nette), où l'aspect se Boit constitué en une catégorie grammaticale v r a i m e n t indépendante3 disposant d ' u n système élaboré et complexe de marques formelles et représentant, a u même titre que les autres catégories grammaticales d u verbe, une des ressources fondamentales

1 A . E r h a r t , Indoevropské jazyky, Academia, Praha 1982, p . 165—167.

2 F . N o v o t n y , Historicka mluvnice latinského jazyka, C S A v , Praha 1955, p. 129 et 131.

3 Cf. A . E r h a r t , op. cit. p. 165.

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d u fonctionnement d u système verbal. Cela n'empêche pas que, même dans ces langues, l'examen de l'aspect serait difficile à entreprendre sans que l ' o n prenne en considération l a catégorie d u temps et les instruments grammaticaux qui y correspondent, notamment dans l a diachronie.

2. L ' a n c i e n français

L e système des temps verbaux de l'ancien français procède d u l a t i n . A u cours de l'évolution, son inventaire s'est enrichi pour répondre à des besoins fonctionnels nouveaux. Ceux-ci apparaissent notamment après l a modification d u caractère d u parfait l a t i n et représentent une des importantes impulsions données à l a progression des formes périphrastiques.

2.1. D a n s nos réflexions, nous laisserons de côté le présent q u i présente peu d'intérêt pour l'étude de l'aspect d u verbe l a t i n et r o m a n .

2.1.1. D a n s le domaine des temps a valeur de passé, les systèmes l a t i n et français ancien se présentent comme i l suit:

le latin l'ancien français

imparfait imparfait parfait passé simple

plus-que-parfait passé composé passé antérieur plus-que-parfait

2.1.2. L e s trois temps passés d u l a t i n se distinguent les uns des autres t a n t par des traits temporels (antériorité) que par des traits aspectuels (caractère perfectif-résultatif opposé au caractère imperfectif-duratif). A i n s i donc l ' i m - parfait l a t i n peut être défini comme u n prétérit à valeur durative; le parfait comme u n prétérit à valeur perfective-résultative, marquant l'antériorité par rapport a u présent; le plus-que-parfait comme u n prétérit perfectif mar- quant l'antériorité par rapport au passé.

L e rôle revenant à l'aspect était en l a t i n d'une importance certaine: l a perfectivité est le t r a i t aspectuel q u i est à l a base de l a division d u système temporel d u verbe l a t i n en perfectum ( = sous-système temporel constitué par les formes verbales formées à p a r t i r d u soi-disant radical perfectif) et infectum ( = sous-système comportant les formes construites à l a base d u soi-disant radical d u présent). B i e n que cette division n'épuise pas le problème d u rôle de l'aspect en l a t i n et qu'elle ne soit pas réductible a u x seules différences d'aspect, elle présente u n grand intérêt pour nos réflexions, car elle représente une manifestation grammaticale de l'aspectualité.

O n a v u que des trois temps à valeur de passé, seul l'imparfait ne porte pas l a marque de perfectivité. D ' a u t r e part, l a perfectivité est presque régulière- ment accompagnée d u t r a i t temporel d'antériorité o u d u t r a i t aspectuel de résultativité. L ' a c t i o n exprimée par le parfait est donc présentée comme a) accomplie

b) u n état résultant de cette action c) antérieure à une autre action.

Ces traits secondaires étaient, dans une certaine mesure, grammaticalisés dans ce sens qu'ils déterminaient les possibilités combinatoires et les incompati- bilités des formes verbales dans l a phrase, donc leurs fonctions syntaxiques.

2.1.3. Cependant, le système des temps d u passé connut une modification intérieure sensible pendant l'évolution d u l a t i n . L e s symptômes de cette modifi-

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cation, q u i sont observables même dans le l a t i n écrit, deviennent plus fréquents et plus probants dans le l a t i n vulgaire.

E h quoi consiste cette modification?

E l l e concerne le parfait l a t i n dont les caractéristiques fonctionnelles subissent une évolution importante: progressivement, les formes d u parfait cessent de désigner une action (passée) accomplie au moment présent (où l ' o n parle) pour désigner simplement une action passée, c'est-à-dire pour devenir u n simple prétérit.

M a i s l a perfectivité était, semble-t-il, profondément ancrée dans le système verbal l a t i n q u i chercha u n autre moyen de l'exprimer, donc de présenter une action comme accomplie à u n moment donné (perfectivité), le cas échéant comme ayant a b o u t i à u n é t a t (perfectivité résultative). Ce moyen fut trouvé dans le parfait périphrastique d u t y p e habeo factum q u i remplaça le parfait et dans les autres formes périphrastiques q u i doublèrent et, ensuite, remplacè- rent le plus-que-parfait l a t i n .

2.1.4. Cette évolution q u i eut pour conséquence l'enrichissement mentionné de l'inventaire des temps d u passé en l a t i n vulgaire et dans les langues romanes démontre que le système temporel d u verbe l a t i n tenait systématiquement compte de l'aspect de l ' a c t i o n verbale.

2.2. E n ancien français, les temps à valeur de passé continuent à s'opposer en v e r t u des distinctions aspectuelles. A l a différence d u l a t i n où l'absence d u t r a i t de perfectivité mettait en opposition l'imparfait contre les deux autres temps d u passé, en ancien français l'opposition est faite, à l a base d u même t r a i t distinctif, entre l'imparfait et le passé simple d'une part et les autres temps d u passé — tous périphrastiques — de l'autre.

O n constate donc q u ' a u bout de l'évolution décrite ci-dessus, le système temporel de l'ancien français se retrouva dans u n é t a t de tension q u i appelait des solutions fonctionnelles nouvelles: le passé simple ne p o u v a i t plus être employé de l a même façon qu'en l a t i n , car sa structure intérieure a v a i t changé:

i l n'était plus u n parfait. E n même temps et pour l a même raison, i l empiète sur le domaine fonctionnel de l'imparfait q u i a v a i t perdu l a position exclusive d u seul temps non perfectif. L a fonction d u parfait l a t i n était assumée, do- rénavant, par le passé composé.

2.2.1. L e problème de l a valeur et de l'emploi des temps verbaux en ancien français est abondamment discuté par les spécialistes. L e s différences que l'ancien français présente dans ce domaine t a n t par rapport au l a t i n que par rapport au français moderne ont été interprétées de différentes façons: comme une confusion «qui met pêle-mêle les t e m p s . . . dans le récit»;4 comme une preuve d u fait qu'en ancien français «chaque temps d u passé a encore sa valeur fonction- nelle et sa signification stylistique bien déterminées;»5 comme une application raffinée de critère stylistiques extrêmement délicats;6 comme expression d'une élaboration insuffisante de l a notion d u temps chez l'homme d u m o y e n â g e7

4 W . v o n W a r t b u r g , Evolution et structure de la langue française, Berne 1962, p. 92.

5 E . G a m i l l s c h e g , compte-rendu dans Zeitschrift fur franzôsische Sprache und Literatur 63 (1940), p. 492.

6 A . G . H a t c h e r , «Tense Usage inthe Roland», danB: Studies in Philology 39 (1942), p. 597—624.

7 P. I m b s , Les propositions temporelles en ancien français, Paris 1956, p. 2.

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o u encore comme le résultat de l a v a r i a t i o n habituelle, sinon obligatoire, chez les auteurs de l'époque ou des exigences de l'assonance.8 N o u s essaierons, p o u r notre part, d'envisager ce problème d u point de v u e de l'aspectualité.

2.2.2. V o y o n s t o u t d'abord le passé simple et l ' i m p a r f a i t q u i se retrouvent tous les deux pour constituer le terme de l'opposition n o n marqué par l a perfectivité. A notre avis, c'est cela q u i explique en grande partie l'inter- changeabilité des deux temps dans de nombreuses fonctions et, par là même, l a fréquence réduite de l'imparfait dans les textes français anciens: le passé simple ayant perdu l'aspectualité d u parfait l a t i n dont i l procède et é t a n t devenu u n prétérit non marqué, les deux temps sont pratiquement synonymes en ancien français et ce n'est que vers l a fin de l a période ancienne qu'ils s'ncheminent vers une spécialisation nouvelle.

D a n s les textes français anciens, l'imparfait et le passé simple sont très souvent interchangeables dans les fonctions les plus diverses, mais q u i sont toutes réservées à l'imparfait en français moderne. C'est t o u t d'abord celle de rendre les états, les situations ayant existé dans le passé:

Noz cumpaignuns, que otimes tant chers,

Or sont Ù morz, nés i devuns laiser. R o l a n d 2178 —9.

Morz est Bottant et li quens Oliver,

Le doze per que Caries aveit tant chers. R o l a n d 2792—3.

De l'autre part es toit un escuier Nés de Pâtis s'avoit a nom Gautier

Et fut cosins Guillaume, lou guerrier. Charroi 719—21.

P o u r rendre les états plus ou moins durables et les états — et les actions aussi — q u i ne sont pas présentés dans l a vision de leur accomplissement, l'ancien français se sert indifféremment de l'imparfait o u d u passé simple, ce dernier étant plus fréquent. L'interchangeabilité des deux temps ressort encore davantage dans les citations suivantes:

Rices om fu et de grant manantie;

Quatre roiaumes a v o i t en sa baJlie. Aspremont 6542 —3.

Rices om ert, si ot a justichier.

Tote la terre qui fu al roi Tempier. Aspremont 6441 —2.

Saves om ert et mervellos devin;

As dos traîtres estoit germain cosin.

Soie ert la terre des puis de Monmatin. Aspremont 6471 —3.

Saves om fu et de grant riceté.

Bois fu de Batre, l'admirable chité. Aspremont 6582—3.

Saves estoit et molt bon batellier.

Et molt savoit de la loi Vaversier;

A Agolant fu maistre consellier. Aspremont 6444—6.

O n v o i t que, dans les mêmes contextes, voire dans des constructions identi- ques d u point de vue sémantique et syntaxique, on emploie, dans le cadre de l a même Chanson, t a n t ô t le passé simple, t a n t ô t l'imparfait, sans q u ' i l soit possible d'établir l a . r a i s o n de l a préférence donnée dans t e l contexte à t e l temps. I l semble que l'alternance des deux temps dans les mêmes fonctions n'ait d'autre raison que l a v a r i a t i o n , si chère a u x auteure anciens. P o u r que cette v a r i a t i o n

M . S a n d z n a n n , «Syntaxe verbale et style épique», dans A t t i del VIII Congresso Internazionale di Studi Romanzi Firenze 1966, vol. II, p. 379—402.

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puisse avoir lieu, i l faut, toutefois, que le caractère des temps verbaux q u i y par- ticipent ne s'y oppose pas, q u ' i l n ' y ait pas une incompatibilité fonctionnelle.

I l y a cependant une fonction q u i , même en ancien français, restait réservée à l ' i m p a r f a i t : celle de «l'imparfait d'habitude» q u i présente les actions passées répétées et les usages et les moeurs des temps passés:

Ceste cité, dont je vos chant, de Nymes, Est en la terre de mon seignor saint Gïle, A une part des estres de la vile;

Mes a cele heure n'en i a v o i t il mie, Ainz iert la loi de la cent paiennie...

Et si tenoient lor plet et lor concile,

S'i assembloient de par tote vile. Charroi 1092 —2000.

Cet emploi de l'imparfait est donc «grammaticalisé», donc obligatoire dès cette époque, ce q u i peut être considéré comme u n héritage direct d u l a t i n écrit.9 D a n s le domaine de cet imparfait itératif, i l n ' y aurait jamais eu l a concurrence d u passé s i m p l e .1 0 D a n s les fonctions q u i , en français moderne, utilisent le caractère d u r a t i f de l'imparfait et en font le temps de l a description, des actions simultanées, des données statiques et des circonstances secondaires, o n a en ancien français soit le présent, soit le passé simple:

Clers fut li jurz et li soleilz luisanz. R o l a n d 3345.

Perron i ot, entaiïlié de vert marbre. Charroi 1102.

Blancandrins fut des plus savies païens, De vasselage fut assez chevaler,

Prozdom i out pur sun seignur aider. R o l a n d 24—6.

La fut Oarniers, un chevalier nobile;

Vavassor fut et molt sot de boidie,

D'engignement sot tote la mestrie. Charroi 918 —20.

L e passé simple de l'ancien français e x p r i m a i t toute action et tout état en- visagés comme appartenant complètement au passé, même s ' i l s'agissait d ' u n passé t o u t récent:

Li nostre deu i unt fait félonie.

Ki en bataille oi matin li faillirent. R o l a n d 2600 — 1.

Kar hoi matin vos v i plurer des oilz. R o l a n d 3629.

C'est u n prétérit q u i n'est marqué par aucun t r a i t de spécification capable de limiter son champ d ' e m p l o i . I l apparaît dans le discours direct aussi bien que dans l a n a r r a t i o n suivie en e x p r i m a n t u n passé fini et séparé d u présent de celui q u i parle o u q u i écrit.

I l est employé, en outre, pour rendre l ' a c t i o n q u i se déroule simultanément avec une autre action passée:

Un sun destrer Baligant est muntét

L'estreu li t i n t Marcules d'ultre mer. R o l a n d 3156.

L e passé simple peut également marquer l'antériorité en ancien français:

...Et q'or li doit des Danois ramembrer

Que il li fis de sa tiere jeter, Âspremont 890—891.

Disons pour résumer que le passé simple est en ancien français u n prétérit

» F . S t e f e n e l l i — F û r s t , Die Tempora der Vergangenheit in der Chanson de Geste, W . BraurnûUer, Wien 1966, p. 156.

1 0 L . F o u l e t , Petite syntaxe de l'ancien français, Paris 1930, p. 222 et suiv.

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d'usage universel et q u ' i l n'est marqué d'aucun t r a i t g r a m m a t i c a l o u stylistique qui limite son champ d ' e m p l o i .

2.2.3. L a situation d u passé composé est différente, car le fonctionnement de ce temps est marquée par l a perfectivité. I l sera utile de rappeler que le passé composé, ce parfait périphrastique, était à l'origine u n présent; en effet, le verbe q u i le compose est au présent.

Ai fait équivalait, en ancien français encore, plutôt à mâm udêlâno d u tchèque qu'à j'ai fait d u français moderne. Cette construction servait donc, à l'origine, à désigner non pas une action, même pas une action résultative, mais t o u t simplement u n é t a t :

Et après lui en giterent cent hors

gui ont brisiez et les bras et les cors. Charroi 1461 —2.

Mult fièrement chevalchet l'emperere.

Il est darere od cele gent barbee

Desur lur bronies lur barbes unt getees. R o l a n d 3316 — 18.

E n ancien français, cette valeur de l a construction est encore assez fréquente.- O n comprend alors que le passé composé eut à cette époque l a propriété de présenter l ' a c t i o n passée d u point de vue d u présent, donc comme une action- passée dont l'accomplissement se situe au présent et, quelquefois, se prolonge, dans le futur. Ce temps exprime donc u n passé rattaché a u présent de l a per- sonne q u i parle t a n t d u point de vue chronologique que par ses conséquences éventuelles.

Ce rattachement au présent se manifeste, entre autres, par l'alternance fréquente d u passé composé avec le présent dans l a présentation des actions

qui se trouvent au même niveau temporel:

Aumons parole, bien se sont toit tenu. Aspremont 779.

Les napes traient et li rois a mangié. A s p r e m o n t 481.

Lur esperuns u n t en lor piez calcez, Vestent osbercs bancs et forz et légers, Lur helmes clers u n t fermez en lor chefs,

Ceignent espees enhedees d'or mier. R o l a n d 3863—6.

C'est toujours sa perfectivité prononcée q u i permet a u passé composé de marquer l'antériorité par rapport au présent:

Nos ont toluz nos destriers arragons Si les en m a i n n e n t . . . A s p r e m o n t 1341—2.

Cum a d orét, si se drece en estant. R o l a n d 3110. , Cet emploi n ' a rien pour nous étonner, parce q u ' i l est courant en français,

moderne. Ce q u i nous frappe, par contre, c'est l'emploi d u passé composé pour marquer l'antériorité par rapport à une action passée o u future:

De cels d'Arabe si grant force i p a r a d

De la contrée u n t porprises les parz. R o l a n d 3330—31.

Jol vus d i r r a i quant tu le m'as demandé.

Chanson de Guillaume 1650.1 1 Ja vostre rois n'estra de moi amé

S'il ne s'est ainz a mon nié incliné. Aspremont 1176—7.

Se jo m u i r , fait ai bone jornée: Aspremont 5335.

D u point de vue d u français moderne, le passé composé est i c i employé à l a place d u passé antérieur et d u futur antérieur. Ces emplois s'expliquent, nous l'avons d i t , par le caractère perfectif de ce temps: i l exprime une action q u i , à

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u n moment donné — présent, passé ou futur — est accomplie, donc chrono- logiquement antérieure à ce moment.

L a perfectivité résultative explique aussi les emplois récapitulatifs d u passé composé, tels que l ' o n en trouve souvent au début de laisses dans les Chansons de Geste: le passé composé reprend i c i et résume ce q u i était décrit et expliqué en détail, dans les vers précédents ou dans les laisses précédentes, au présent o u au passé simple en le présentant comme achevé et en l'envisageant dans ses conséquences présentes.

C'est ainsi qu'après une description détaillée d u retour de Charlemagne, faite au présent, o n constate au premier vers de l a laisse suivante:

Li empereres est repairét d'Espaigne. R o l a n d 3705.

O u u n autre ,,résumé" encore:

Païen sunt morz, alquant turnét en fuie

Et Caries a d sa bataille vencue. R o l a n d 3648—9.

L ' e m p l o i d u passé composé dans l a n a r r a t i o n suivie à côté et en alternance avec le passé simple est parfois considéré comme l a preuve que, dès l'époque de l'ancien français, le passé composé a v a i t le caractère d ' u n prétérit et était employé à l a place d u passé simple, sans q u ' i l y eût différence a u c u n e .1 2 Cela signifierait que l é passé composé aurait déjà perdu sa perfectivité. N o u s ne saurions être d'accord avec cette opinion, car i l nous semble que l'opposition aspectuelle entre les deux temps est encore nette en ancien français. N o u s estimons que l'emploi fréquent d u passé composé dans l a narration suivie doit être attribué plutôt à l a technique spécifique de l a . n a r r a t i o n épique q u i fait progresser l'action par à-coups, comme une suite des actions-états momenta- nés et fermés en eux-mêmes.1 3 L a perfectivité résultative d u passé composé correspond admirablement à cette technique.

2.2.4. L e s autres temps composés de l'ancien français sont toujours employés pour marquer l'antériorité, avec une nuance résultative le plus souvent. O n observe, par ailleurs, que ces caractéristiques aspectuelles l'emportent dans leur contenu sur l a temporalité: le passé antérieur, de même que le plus-que- parfait, peuvent marquer l'antériorité n o n seulement par rapport au passé simple ou à u n autre temps d u passé, mais aussi par rapport au présent (le plus souvent historique):

Nanties remonte, quant reposés se fut. A s p r e m o n t 1957.

Li cuens Ouillelmes reperoit de herser, D'une for est ou ot grant pièce esté.

P r i s ot des cers de prime gresse assez... Charroi 1719.

Et cil li cunte cum il 7'aveit b a i l l i . Chanson de Guillaume 4 6 2 .1 4 3. L e v i e u x tchèque

L e système des temps verbaux d u v i e u x tchèque, très différent de celui d u tchèque moderne, continue le système d u slave c o m m u n q u i disposait de deux temps à valeur dé passé: l'imparfait et l'aoriste. L ' a o r i s t e désignait les

1 1 Cité d'après F . S t e f e n e l l i — F û r s t , op. cit., p. 51.

« Cf. L . F o u l e t , op. cit., p. 234.

1 3 Cf. E . A u e r b a c h , Mimesis, Praha 1969, p. 86 et suiv.

'« Cité d'après F . S t e f e n e l l i — F û r s t . op. cit.. p. 112.

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actions achevées dans le passé tandis que l'imparfait correspondait aux actions qui duraient dans le passé et se déroulaient simultanément avec une autre action. L e s deux temps présentent des différences que l ' o n pourrait considérer comme aspectuelles, mais o n est encore très l o i n de l a constitution de l'aspect en catégorie grammaticale indépendante.

I l paraît, par ailleurs, que c'est l a détermination spatiale de l ' a c t i o n q u i était à l'origine des distinctions aspectuelles dans le verbe slave. Ce n'est que dans une Beconde étape que l a détermination spatiale se convertit en une détermination portant sur le oaractère d u déroulement de l ' a c t i o n v e r b a l e .1 1 3.1. L e système verbal d u v i e u x tchèque est plus riche: en dehors de l'aoriste et de l'imparfait, i l comporte des temps périphrastiques formés d u verbe btfti ( = «être») et d u participe: le prétérit composé (volai jsem) et les anté- prétérits: bych volai (à base d'aoriste), biech volai (à base d'imparfait) et byl jsem volai (à base d u prétérit composé).

3.2. L e prétérit composé était, à l'origine, u n parfait à valeur résultative. L e participe en -l (le soi-disant participe passé actif) est par son origine u n adjectif verbal exprimant le résultat de l ' a c t i o n : sstûpil d u vieux tchèque équivaut à

«étant descendu». L a construction jsi sstûpil correspondrait donc à «tu est (celui) q u i est descendu». Cette valeur p r i m i t i v e d u participe et de l a péri- phrase verbale dont i l fait partie dès le v i e u x tchèque: le parfait composé, a y a n t progressivement p e r d u sa valeur résultative, avait acquis une valeur de prétérit. C'est dès cette époque aussi que l a présence d u verbe auxiliaire cesse d'être obligatoire dans toutes les personnes d u paradigme, les formes d u p a r t i - cipe étant capables de signaler l a majorité des catégories verbales.

Ce n'est donc pas prétérit composé (ni les anté-prétérits périphrastiqueB) qui servit de point de départ pour l a grammaticalisation de l'aspect.

3.3. Celle-ci s'imposa par une t o u t autre voie — celle de l'opposition aspec- tuelle des radicaux verbaux.

E n effet, le slave a v a i t commencé à pratiquer l'opposition de détermination dans les verbes (cf. ci-dessus 3.), de constituer des paires de verbes aspectuelle- ment opposés. L e s anciennes oppositions — q u i n'avaient pas u n caractère systématique — se faisaient a u m o y e n de radicaux différents:

terme perfectif imperfectif de l'opposition nesç noSç skocç skaëç

C'est que les verbes déterminés ( = perfectifs) étaient fonctionnellement surchargés: leur i n d i c a t i f présent était employé pour désigner

a) les actions présentes actuelles b) les actions présentes habituelles c) les actions futures.

. L e besoin de former les contraires i m perfectifs était donc pressant. A cette fin, tout u n système de procédés morphologiques fut mis au point t o u t d ' a b o r d pour former les verbes imperfectif s à p a r t i r des perfectifs et, u n peu plus t a r d , apparaissent les moyens morphologiques servant à produire les contraires

1 5 I. N é m e c , Geneze slovanakého systému vidového, Praha 1968, p. 000.

1 7 H . S e n s i n e , L'emploi des temps en français ou le mécanisme du verbe, Genève 1951, p. 27 et suiv.

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perfectifs à p a r t i r des imperfectifs. C'est là le moment où l ' o n peut parler d u début de l a grammaticalisation des oppositions aspectuelles.

L'évolution en était là a u moment où le tchèque e n t r a dans l a période historique de son évolution, mais ce n'est q u ' a u 14e siècle que l ' o n peut con- sidérer le processus de cette grammaticalisation comme a c h e v é .1 6

3.4. L ' a o r i s t e et l ' i m p a r f a i t avaient participé à cette évolution: l'aoriste était devenu le temps passé des verbes perfectifs, tandis que l ' i m p a r f a i t ne se construisait généralement qu'à p a r t i r des radicaux imperfectifs. L a période d u v i e u x tchèque représente, d'ailleurs, une époque de décadence de ces deux temps, fortement concurrencés par le prétérit composé et devenus inutiles d u moment que l a perfectivité et l'imperfectivité des verbes était régulièrement signalée par le r a d i c a l d u verbe. Dès le 14e siècle, q u i est l'époque de grands changements morphologiques dans le tchèque, les deux temps simples commen- cent à dépérir p o u r disparaître vers l a fin d u 15e siècle. L e système temporel d u verbe tchèque, organisé désormais en fonction de l a catégorie de l'aspect, ne comportera q u ' u n seul temps à valeur de passé — le prétérit composé, le présent et le futur.

4. V o y o n s à présent l'évolution des deux systèmes décrits et l a place qu'ils ont réservée à l'aspect dans leur é t a t actuel.

4.1. L e système v e r b a l d u français moderne présente, par rapport à l'ancien français, les différences fondamentales suivantes:

4.1.1. L e passé simple a perdu le caractère universel q u ' i l a v a i t eu en ancien français:

a) i l n'est plus employé dans le discours direct;

b) i l n'est pas employé pour désigner les actions remontant à u n passé relative- ment proche ou ayant u n rapport a u présent;

c) i l ne peut plus désigner une action passée se déroulant simultanément avec une autre a c t i o n exprimée par u n temps à valeur de passé;

d) i l n'est plus employé dans les descriptions et, plus généralement, i l ne désigne plus les états passés.

D a n s les emplois sous a) et b), i l a été remplacé par le passé composé, dans les autres par l'imparfait. Quelles sont les raisons de l a restriction d u champ d ' e m p l o i de ce prétérit q u i a v a i t été le pilier d u système temporel de l'ancien français? N o u s nous contenterons d'en rappeler une que nous considérons com- me l a plus i m p o r t a n t e : l'estompement de l a perfectivité résultative dans le passé composé q u i est devenu s y n o n y m e d u passé simple p o u r le remplacer dans de nombreuses fonctions. L e passé simple, q u i n'est plus u n temps parlé, exprime u n passé complètement séparé d u présent de celui qui écrit et i l ne s'emploie guère que dans l a n a r r a t i o n h i s t o r i q u e .1 7

4.1.2. L ' i m p a r f a i t s'est affirmé dans les emplois q u ' i l avait partagés avec le passé simple en ancien français: i l est employé, à l'exclusion des autres temps v e r b a u x , pour marquer l a simultanéité des actions passées, leur caractère itératif et leur durée. I l est exclusif dans les descriptions a u passé et son champ d ' e m p l o i n ' a cessé de croître depuis l a période de l'ancien français,1 8 car le français moderne l'emploie toujours davantage comme u n temps de narration.

1 8 F . B r u n o t , Histoire de la langue française des origines à 1900, vol. Ie r, Paris 1905, p. 241 et suiv.

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4.1.3. D u parfait q u ' i l a v a i t été en ancien français, le passé composé est devenu prétérit. L e rattachement au présent et le caractère résultatif se sont beaucoup affaiblis1 9 et i l ne marque plus l'antériorité que par rapport au présent. I l n'est pas employé non plus dans l a narration historique.

4.1.4. Les autres temps composés marquent toujours l'antériorité, mais les règles de leur emploi tiennent scrupuleusement compte de l'enchaînement chronologique des actions, donc de l a temporalité. Généralement parlant, le système verbal d u français moderne se distingue d u système de l'ancien fran- çais par une spécialisation plus poussée de ses temps.

4.2. L'évolution d u verbe tchèque a continué dans l a voie amorcée dans l a période ancienne — celle d u développement de l a catégorie de l'aspect en enrichissant l'inventaire des moyens permettant d'exprimer les oppositions aspectuelles. L ' i n v e n t a i r e des oppositions aspectuelles grammaticalisées s'en- richit: à partir d u 16e siècle, le tchèque signale à l'aide des marques morpho- logiques non seulement l'aspect perfectif et imperfectif, mais enore l'aspect itératif (vraclval se = «il a v a i t l'habitude de revenir») ou distribut i f (pozotvlrat okna = «ouvrir les fenêtres une à une»).

L e système temporel d u tchèque moderne et bien plus pauvre que celui de l a langue ancienne: des temps à valeur de passé, i l ne reste que le prétérit composé. P o u r exprimer le rapport d'antériorité et d'autres nuances de l a temporalité, le tchèque moderne a recours aux procédés aspectuels ou lexicaux.

5. Conclusion.

L a comparaison de l'évolution d u côté aspectuel et temporel d u système verbal des deux langues nous permet de formuler les conclusions suivantes:

5.1. L e s états de langue anciens présentent des ressemblances intéressantes:

l'opposition latine d u perfectum et de l'infectum est très bien comparable à l'opposition des verbes déterminés et indéterminés d u slave. D e même, l a naissance d u passé composé en r o m a n et d u parfait périphrastique en slave est frappante et peut correspondre au même besoin : celui d'exprimer l a perfecti- vité.

5.2. Cependant, le slave développe en même temps u n autre système de moyens pour exprimer l a manière d'envisager le déroulement de l'action ver- bale: celui de l'opposition aspectuelle pratiquée au niveau des radicaux verbaux.

Ce système, pleinement grammaticalisé en tchèque dès le 14e siècle et perfecti- onné p a r l a suite, constitue aujourd'hui u n instrument capable d'exprimer de façon très précise de très nombreuses nuances d'aspectualité et, secondaire- ment, de relations temporelles. S i l ' o n veut insister particulièrement sur l'en- chaînement chronologique des actions, on se sert de moyens lexicaux. L e système temporel d u verbe tchèque est pauvre.

5.3. L e français finit par renoncer aux distinctions aspectuelles systématiques pour développer le système temporel, dont les ressources consistent non seule- ment dans l a richesse de l'inventaire des temps verbaux, mais encore dans l'élaboration fonctionnelle de ces temps q u i , par rapport à l'état de l'ancien français, ont u n degré de spécialisation plus élevé. Soumis à des règles d ' e m p l o i

J . S a b r ê u l a , Minimdlnë verbâlnî konstrukee a povaha dëje ve francouzstinë, Acta Universitatis Carolinae, Praha 1962, les considère néanmoins comme des caractéristiques importantes du passé composé.

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aussi souples que sévères, ce système possède les moyens suffisants pour expri- mer toutes les nuances de l a temporalité, quelque délicates et abstraites qu'elles soient. Derrière l'enchaînement chronologique soigneusement signalé grâce à l'emploi bien ordonné des temps verbaux, o n devine à peine quelquefois l'aspectualité résultative. Q u a n d besoin se présente de signaler l'aspect de l'action verbale, le français a recours à des procédés lexicaux.

5.4. P o u r enrichir les ressources de son système verbal, le français a développé et affiné les instruments de l'expression de l a temporalité, le tchèque, p a r contre, ceux de l'aspectualité.

L I S T E D E S A B R É V I A T I O N S

L a Chanson d'Aspremont, chanson de geste du X I I Ie siècle, éditée par L . Brandin, Paris 1919.

Le Charroi de Nîmes, chanson de geste du X I Ie siècle, éditée par J . - L . Parrier, Paris 1931.

Das altfranzôsische Rolandslied nach der Oxforder Handschrift, édité par A . Hilka, Tùbingen 1960.

Aspreinont = Charroi = Roland =

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