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Circa Histoire de l art et nouvelle photographie

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Politique des images / Illustration photographique

Circa 1930. Histoire de l’art et nouvelle photographie

Circa 1930: Art History and the New Photography

Matthew S. Witkovsky

Traducteur : Marine Sangis

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/etudesphotographiques/2653 ISSN : 1777-5302

Éditeur

Société française de photographie Édition imprimée

Date de publication : 1 mai 2009 Pagination : 116-138

ISBN : 9782911961236 ISSN : 1270-9050

Référence électronique

Matthew S. Witkovsky, « Circa 1930. Histoire de l’art et nouvelle photographie », Études

photographiques [En ligne], 23 | mai 2009, mis en ligne le 18 mai 2009, consulté le 20 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/etudesphotographiques/2653

Ce document a été généré automatiquement le 20 avril 2019.

Propriété intellectuelle

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Circa 1930. Histoire de l’art et nouvelle photographie

Circa 1930: Art History and the New Photography

Matthew S. Witkovsky

Traduction : Marine Sangis

NOTE DE L’ÉDITEUR

traduit de l’anglais par Marine Sangis

« Ne voyez-vous pas, mon cher Roh, que tous ces écrits sur l’art l’étouffent plus qu’ils ne le font avancer. […] Dieu merci, ceux qui comptent vraiment […] se passeront bien de nous pour faire leur chemin. Il va de soi que nous n’influencerons en rien leur parcours, pas plus que l’évolution de l’art en général. » Lettre d’Hans Baeker à Franz Roh, 30 décembre 19251.

1 Hans Baeker adresse cette lettre à Franz Roh en réaction à la publication de son livre intitulé Post-expressionnisme (Nach-Expressionismus), une étude des différentes tendances de la peinture contemporaine, qui comporte également un chapitre consacré à la photographie. Roh, l’un des protégés de l’historien de la Renaissance Heinrich Wölfflin, fait ici exception. En effet, il est très rare en 1925 de voir le titulaire d’un doctorat produire un essai sur l’art de son temps, thème abordé seulement dans des articles isolés.

Une approche qui suscite l’inquiétude et les remarques de Baeker, l’un de ses anciens condisciples. Selon lui, écrire sur l’art contemporain signifie abandonner la recherche scientifique pour l’exercice d’un banal « journalisme artistique2 ». Post-expressionnisme est le second ouvrage de Roh, dont la thèse, portant sur la peinture hollandaise, a déjà été publiée. Cette nouvelle publication confirme les pires craintes de Baeker : les chercheurs

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pourraient bien abolir la distance critique et temporelle nécessaire à la juste évaluation de l’art en tant qu’objet historique.

2 Une rupture qui s’opère néanmoins, mise en œuvre par une poignée d’historiens d’art d’Europe centrale à qui Roh s’associe. La photographie occupe une place cruciale dans leur démarche et ils contribuent largement à sa valorisation et à l’élaboration de son statut. Ces passionnés sont tout autant enclins à commenter les productions contemporaines que les débuts de la photographie au XIXe siècle. Certains parmi eux sont photographes et entretiennent un rapport à la fois théorique et pratique aux images.

Ensemble, ils s’emploient à faire de la photographie un domaine à part entière des études historiques. La conjugaison de leurs démarches pose les bases d’une prise en compte de la photographie en tant que médium. Le mot « médium » qui apparaît soudain dans les textes et les discours est demeuré jusqu’à aujourd’hui, accumulant confusions et incertitudes quant à son véritable sens. Il n’en constitue pas moins depuis les années 1930 le socle commun de toutes les revendications visant à unifier le champ de la photographie, par trop hétéroclite3.

3 Livres, articles, conférences et expositions se multiplient en Europe centrale autour de 1930 ; véhiculant des idées nouvelles, ils forment ce que Martin Gasser présente dans un texte capital comme les toutes premières « histoires des photographies comme images4 ».

Ces différentes manifestations – quel que soit leur support – se fondent sur un principe à la fois simple et remarquable : toute image porteuse d’une composante photographique s’inscrit au sein d’une grande histoire esthétique ininterrompue. Cette stratégie, plus explicitement la création d’une histoire de l’art englobant toutes les formes de photographies, adopterait inévitablement le modèle des beaux-arts (tendances académiques et avant-gardistes confondues), bien que ce ne soit pas si simple. En effet, Roh a une préférence très marquée pour les auteurs anonymes, imitant en cela son mentor Heinrich Wölfflin, et considère que le génie de la photographie réside dans la productivité générale des amateurs (allgemeineLaienproduktivität). Ses anciens camarades d’études, Hans Finsler et Siegfried Giedion – respectivement photographe professionnel et historien d’art passionné par la photographie –, associent de plus la photographie à l’ingénierie et l’envisagent comme une discipline débarrassée de tout style personnel et affranchie d’une expressivité passée de mode5.

4 La question de l’élitisme s’avère de toute façon être moins intéressante à développer que celle des implications de cette nouvelle approche tant pour les études sur la photographie que pour la pratique même. De fait, prétendre inscrire les multiples pratiques et formes de la photographie dans un cadre encyclopédique cohérent, en adoptant pour modèles les productions des années 1930, n’est pas sans effet. La première conséquence, la plus visible, est que le modernisme se révèle être le cadre privilégié de cette synthèse des différents temps de la photographie, sans cependant renier, ni déprécier le passé. Une remarque qui contredit d’emblée le discours prôné par les peintres de l’époque, désireux, pour la plupart, de faire table rase des conventions passées qu’ils ont toujours dédaignées, principalement celles de la bourgeoisie du XIXe siècle. Toutefois, notre propos n’est pas de débattre des écarts théoriques opposant beaux-arts et photographie, mais de faire valoir la convergence qui s’établit alors entre photographie et traditions intellectuelles d’Europe centrale. C’est, en effet, dans cette région du vieux continent et dans la période de l’entre-deux-guerres, où les progressistes font souvent appel au passé et à l’histoire pour légitimer leurs exigences réformistes, que s’ancre le modernisme dont il est

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question ici. Une démarche pour le moins paradoxale. C’est dans ce contexte que les tout premiers textes abordant la photographie en tant qu’image sont écrits6.

5 Ce premier pas vers une unité encyclopédique engendre un autre effet : le postulat d’une équivalence entre la photographie et son histoire en tant qu’art, toutes deux entendues comme des initiatives modernistes, sous réserve d’être correctement mises en œuvre. Dans ce cadre, la photographie avant-gardiste paraît s’établir naturellement sur un terrain encyclopédique et interprétatif. Si l’on s’en tient aux deux courants dominants de l’époque, du côté de Franz Roh qui admire surtout le travail de László Moholy-Nagy et de la Nouvelle Vision (voir fig. 2), la création d’images visiblement composites est assimilée à une sorte d’archivage d’objets, ou dans le cas des photomontages d’images préexistantes.

Cette activité de fabrication ou de triage constitue une forme de commentaire historique7. Du côté de Heinrich Schwarz, Carl-Georg Heise ou Helmut Th. Bossert, où l’on se passionne pour Albert Renger-Patzsch et la Nouvelle Objectivité (fig.3), on attribue aux photographies une valeur de « témoignage ». Celles-ci témoignent – semble-t-il – de la culture à travers ses artefacts, ainsi que le fait l’historien. Elles portent en elles un savoir propre à nous éclairer sur les qualités essentielles d’une époque et à en définir le sens profond. Dans chacun des cas, l’aboutissement des projets avant-gardistes confère à la photographie une dimension nouvelle, où se mêlent savoir et analyse. Une omniscience, en quelque sorte, qui ressortirait de l’appareil même, voire du processus d’enregistrement.

6 Ainsi, c’est par pur intérêt que les historiens d’art d’Europe centrale investissent dans la photographie et soutiennent les productions modernistes de leur temps. Par d’autres moyens, la “nouvelle photographie” incarnerait alors l’histoire de l’art. Une équation sur laquelle s’appuient les premières revendications pour la reconnaissance de la photographie comme médium. Les théories les plus importantes des décennies suivantes reprennent la formule, mais remplacent le mot « médium » par des termes aux consonances ontologiques plus subtiles, tels memento mori, punctum, ou index. Pour bien saisir le sens de cet héritage intellectuel, il convient de se pencher tout d’abord sur ses origines historiques ; puis, en second lieu, de comprendre que les premiers historiens de la photographie comme art construisent eux-mêmes leur discipline. Celle-ci se présente comme un vaste champ de connaissances, bien balisé chronologiquement, qu’ils déroulent à la manière d’un cours magistral scandé de diapositives, idéalisant par là leur propre profession.

7 C’est Heinrich Schwarz qui signe, en 1930, la première monographie d’histoire de l’art consacrée à un photographe. Cet essai, qui porte sur l’œuvre de David Octavius Hill, photographe et peintre portraitiste écossais, s’appuie sur des recherches de terrain menées en Écosse (fig. 4). Il est illustré par des planches reproduites exclusivement à partir d’originaux et comporte également des commentaires sur les sujets portraiturés. Le livre s’impose par son caractère inédit et son érudition8. Son auteur, docteur en histoire de l’art formé à l’université de Vienne, est d’autre part conservateur à la galerie du Belvédère. En 1928, il y monte une exposition de photographies historiques, première manifestation du genre dans l’Autriche post-impériale. À cette occasion, la ville de Hambourg prête un important ensemble d’œuvres de David Octavius Hill et d’Adamson, son collaborateur injustement laissé dans l’ombre. Schwarz poursuit ses efforts en reprenant à Vienne “Film und Foto”, l’exposition emblématique organisée dans un premier temps en Allemagne. Elle se présente comme une exploration du champ de la photographie, de sa naissance à son présent le plus immédiat, dans une perspective

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profondément marquée par l’esprit du Bauhaus. La position de Schwarz s’affirme clairement et consiste à observer avec la même acuité le monde contemporain et celui des origines, un facteur décisif dans son approche historique.

8 Les convictions positivistes et progressistes de Schwarz sont bien connues, d’autant plus qu’on les retrouve dans de nombreux écrits publiés autour de 1930. Selon lui, la technique photographique est fondamentalement réaliste et particulièrement adaptée à une époque où dominent raison, science et croyance dans le progrès9. Les nombreuses tentatives de mise au point du procédé photographique menées par différents acteurs au début du XIXe

siècle « témoignent que le moment est venu ; et elles renvoient l’acte personnel de l’invention à un mouvement en marche, dépassant l’échelle du seul individu, à une dynamique strictement déterminée par les forces de l’histoire ». Schwarz entend par là l’avènement du nouvel ordre social que constitue la bourgeoisie. Celle-ci affirme nettement son désir de représentation, son besoin d’un « témoignage pictural » dans lequel les « aspects inédits » doivent être « exprimés plastiquement par le biais d’un medium nouveau, unique, et tout spécialement adapté à cette fonction.10 »

9 Schwarz partage un certain nombre d’idées avec les auteurs qui écrivent comme lui sur la photographie dans les années 1930 ; il considère notamment que depuis son invention, elle a connu une évolution en trois phases : ascendance, déclin puis renaissance. La

« génération de 1840-1870 », communément dénommée ainsi « se reconnaît inconditionnellement dans la mission artistique de la photographie, qui constitue le moyen le plus radical de ses aspirations réalistes en matière d’art ». Celle qui lui succède et couvre la période 1870-1900, trahit cette mission, précisément en tournant le dos au réalisme ; une tendance qui se confirme par la suite. Il faut attendre « l’émergence dans un passé encore très proche d’un nouveau souffle artistique » conclut Schwarz, pour admettre à nouveau qu’art et photographie – de même qu’art et science – peuvent s’associer et avoir la même finalité. « Aujourd’hui, écrit-il, ce sont les artistes qui se mobilisent pour faire valoir tout l’intérêt de la photographie, comme ils le firent au temps de son invention. Ils prétendent qu’elle constitue un médium [ce mot, à nouveau]

parfaitement adapté à l’expression de leur idéal artistique : un enregistrement exact de la réalité, une reproduction substantielle de la nature […]11. »

10 Le « destin » de la photographie serait donc de répondre à un appel au réalisme, formulé par une civilisation tout entière. Il doit nécessairement s’accomplir, quand bien même certaines générations (les pictorialistes par exemple) s’écarteraient volontairement de son axe téléologique. Il ne serait pas déplacé d’établir un lien entre cette appréciation négative des courants déviants de la photographie et le sentiment de trahison qu’éprouvent les libéraux des années 1930 à l’égard de leurs pères, estimés responsables de la terrible régression que fut la Première Guerre mondiale12. Ce « destin » est donc un mouvement irréversible voué à se réaliser. Il n’est pas question ici de relativisme historique, mais d’une évolution inéluctable. Or l’évolution échoit aux révolutionnaires.

D’où l’allusion de Schwarz aux surréalistes. Un mouvement qu’il mentionne en conclusion et dont il sait apparemment peu de choses, mais qu’il fait néanmoins adhérer à sa cause. Il cite également en notes le travail d’Albert Renger-Patzsch, qui fait alors figure de référence. Parallèlement, toute révolution implique un retour supposé aux origines.

Pourquoi dans un livre traitant essentiellement des années 1840, Schwarz a-t-il besoin de faire à ce point l’éloge de l’art contemporain comme de la tendance avant-gardiste ? En quoi celle-ci mérite-t-elle d’être encensée pour avoir privilégié une vision rétrospective ?

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11 Les écrits d’Helmut Th. Bossert véhiculent le même type de discours. Docteur en histoire de l’art spécialisé dans les arts appliqués, il est l’auteur d’un ouvrage sur les débuts de la photographie dont la publication est contemporaine de celle du livre de Schwarz. Comme lui, Bossert y parle des « honnêtes travailleurs » et de leurs successeurs, actifs dans les années 1840-1870 (période traitée dans son livre) ; puis il est question, après 1870, d’un passage à vide où dominent imitateurs dégénérés et marchands spéculateurs ; enfin survient la rinascita des dernières années. Dans sa conclusion, Bossert laisse deviner un parti pris pour une des différentes approches modernes :

« Le temps présent en revient aux origines et y reconnaît quelques réussites exemplaires. Il y apparaît que l’image, lorsqu’elle est le fruit du savoir technique le plus avancé et d’un sens artistique aigu, répond à une exigence d’objectivité absolue [Sachlichkeit], sans rien perdre de son âme13. »

12 L’énoncé de telles qualités et l’emploi du mot Sachlichkeit évoquent fortement la personnalité d’Albert Renger-Patzsch, qui vers 1930, incarne la figure la plus largement respectée en Europe centrale chez les amateurs de photographie pure. Bossert et Schwarz (qui parle de lui en termes identiques) ne sont pas alors les seuls historiens d’art à élever Renger-Patzsch au rang d’artiste photographe modèle. Au début de l’automne 1927, Carl Georg Heise, proche associé de Schwarz, se découvre une passion pour la photographie contemporaine, suite à une visite de l’exposition d’Albert Renger-Patzsch à Hanovre. En l’espace de quelques semaines, Heise, lui aussi conservateur au musée de la ville hanséatique de Lübeck, achète tout un ensemble d’œuvres du photographe, expose ses travaux dans son musée et entreprend de rédiger un essai et de lui consacrer une conférence. Parallèlement, il négocie un contrat qui vaut à Renger-Patzsch l’obtention d’une impressionnante commande de vues de Lübeck et de ses monuments – elle-même l’objet d’une exposition l’année suivante14.

13 Heise fait également de Renger-Patzsch la pierre angulaire de ce qu’il nomme, au sein de son musée, sa « collection de photographie exemplaire » : il acquiert 145 des vues de Lübeck, puis lui achète à nouveau 75 autres pièces. Ce remarquable ensemble, essentiellement construit en fonction des choix de Renger-Patzsch, comporte aussi des projets d’écoles d’art contemporain, des photographies de presse, des portraits et, faisant office – une fois de plus – de repère voire de fondement historique, bon nombre de photographies d’Hill et Adamson, acquises à la suite d’une discussion avec Schwarz.

14 On pourrait expliquer le succès de Renger-Patzsch par son conservatisme social. Ses photographies sont sobres, disciplinées et laissent percer, en filigrane, un sentiment de piété. En cela, elles répondent parfaitement aux attentes de Bossert, ou de Schwarz, en quête d’une matérialité pénétrée de spiritualité. Renger-Patzsch s’inspire de ce mot d’ordre et en fait l’un de ses thèmes privilégiés : il photographie des cheminées et des arbres comme s’il s’agissait de flèches de cathédrales, puis prend des vues de cathédrales ( fig.5) ; il photographie des mains au travail comme si elles étaient jointes en prière, puis des mains véritablement en prière. Qui plus est, il donne à tout son travail cet accent modeste et laborieux qui va lui attirer l’admiration du public d’Europe centrale.

15 Derrière la conjugaison de telles attentes, il y a l’écho d’un parti pris culturel discret mais profondément enraciné. Une tendance qui relie directement l’intérêt suscité par Renger- Patzsch à la formidable passion qui se développe dans les années 1930 autour de la photographie ancienne, mais aussi pour une histoire de la photographie per se. C’est justement la dimension encyclopédique du travail de Renger-Patzsch qui séduit. Elle fascine tous ceux qui cherchent dans les images l’accès à une forme d’omniscience. Une

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qualité qui pousse Heise à décrire l’œuvre du photographe – dans une lettre adressée à l’éminent critique littéraire Kurt Tucholsky – en termes de « fantastiques, magnifiques possibilités nouvelles s’ouvrant pour l’art de l’image photographique15 ». Par ce discours enthousiaste, Heise entend solliciter l’aide de Tucholsky pour la publication du Monde est beau, superbe recueil d’images sorti fin 1928 qui fait accéder Renger-Patzsch à la notoriété. On trouve dans ce texte d’Heise l’idée que Renger-Patzsch représente la photographie dans tous ses possibles, singuliers ou exceptionnels. En conséquence, si la photographie dispose d’un tel éventail de possibilités, si elle se manifeste sous tant de formes diverses, c’est qu’en définitive elle a une identité propre, et possède bien une essence. Heise dépeint ainsi les qualités de Renger-Patzsch dans sa lettre à Tucholsky :

« En réalité, il ne photographie pas seulement des mains [voir fig. 6], des machines, des plantes, ou des animaux […] mais en fin de compte, il photographie absolument tout […] des pierres tombales aux filets de harengs, jusqu’aux gouttières et aux flèches de cathédrales, sans oublier tout ce qui se situe dans l’intervalle16. »

16 Des affirmations qui participent d’une évolution radicale du mode de légitimation de la photographie. En effet, jusqu’ici, la profusion des images avait toujours été considérée comme une tare plombant d’emblée toute aspiration esthétique. Sa théorisation soudaine en fait la raison même de concevoir la photographie comme un art17. Il n’est plus question désormais pour les artistes photographes ambitieux de s’évertuer à produire un tirage unique et exceptionnel, fidèle aux normes esthétiques établies. Bien au contraire, les théoriciens ou auteurs-photographes les plus influents incitent leurs confrères à rechercher sans relâche de nouveaux sujets et à découvrir d’autres modes de reproduction ou de distribution. Au cours de l’année 1930, pour en donner un exemple, le quotidien populaire Berliner Tageblatt publie un compte-rendu critique des parutions récentes. Ce commentaire reprend dans leur ensemble les idées exprimées par Heise dans sa lettre à Tucholsky, il semble même en être l’application directe :

« C’est le monde entier qui nous est révélé dans ces images : la neige recouvrant un paysage, des cheminées d’usine hautes comme des tours crachant des jets de flammes, un avion attendant de décoller, une jeune fille souriant à quelqu’un […]

une pousse de vigne montrant ses griffes, les cloches des églises, les spirales des macaroni, les piles de planches formant une image fascinante ; l’armature d’acier d’une tour de radio s’élevant élégamment vers le ciel, un paysage charmant au bord du Danube, des arbres menus projetant leur ombre dans la forêt thuringienne, une carpe ouvrant grand sa gueule, […] un bateau doucement couché sur le rivage […].

Une centaine de sujets tirés de la vie même, du visage paisible d’un vieil homme, jusqu’aux beaux reflets lumineux produits par une lampe invisible18. »

17 Toutefois, il y a là une grande ironie. Il s’avère que l’auteur du compte-rendu ne commente pas Le Monde est beau de Renger-Patzsch, mais fait l’éloge de trois autres livres, parmi lesquels Le Visage de notre temps d’August Sander et Foto-Auge (Œil et photo), l’anthologie d’images dirigée par Roh et Jan Tschichold, deux livres assez différents, dans leur contenu et leur méthode, de celui de Renger-Patzsch. En réalité, comme les spécialistes de la période le savent, Renger-Patzsch entretient une aversion profonde pour Foto-Auge et pour le monde expérimental du Bauhaus qu’il représente.

18 Dans le fond comme dans la forme, le livre de Roh se distingue manifestement du Monde est beau. Contrairement à ce que laisse supposer le ton idyllique du passage cité plus haut, le monde qu’il décrit est discordant, fragmenté, fortement connoté politiquement et sexuellement, et empreint de violence sanguinolente à la fin. On y trouve de nombreuses reproductions des premiers travaux dadaïstes de Max Ernst (fig. 7), de George Grosz et de John Heartfield, dont Walter Benjamin dit, dans son essai “L’œuvre d’art à l’ère de sa

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reproductibilité technique”, qu’ils sont littéralement des « projectiles19 ». Les images les plus exubérantes, comme cette planche du service iconographique du NewYork Times représentant un plongeur sur le point d’entrer dans l’eau (fig. 8), trahissent une énergie dérangeante, nerveuse et chancelante, il y plane toujours la menace d’une catastrophe, d’un basculement possible du banal dans le tragique.

19 Roh aborde la photographie, non par le biais des arts appliqués, comme Bossert, ni par la lithographie, comme le fait Schwarz dont ce fut le sujet de thèse, mais par la peinture contemporaine. Dans son livre Post-expressionnisme mentionné plus haut, Roh consacre un chapitre à la photographie. Il y parle comme tous les partisans de l’art photographique de l’importance de la sélection et du cadre, opérations mentales décisives précédant toute intervention manuelle. Cependant, à l’opposé de Schwarz, Roh considère que c’est dans le photomontage que s’exprime la forme la plus achevée de la lucidité intellectuelle et non pas dans un tirage exempt de toute retouche. L’œuvre de Paul Citroen, Metropolis (fig.9), s’inscrit parfaitement dans la lignée de ce que Roh appelle des « fragments de réalité photographiques » dans les courants expressionnistes et futuristes. Selon lui, ce travail est exemplaire dans sa combinaison d’éléments contraires : tendresse et fantasme, impressionnante liberté artistique associée à de pures imitations du monde réel. Ces termes contradictoires ne minent en rien la cohérence esthétique et interprétative de l’ensemble : « Ici, l’œuvre d’art débute par la collecte patiente et précise de fragments, facteurs décisifs, étroitement liés les uns aux autres ; elle ne trouve sa structure définitive que lorsqu’ils sont collés ensemble dans un ordre spécifique qui produit du sens20. » Le montage d’images fragmentaires, souvent très diverses, se conçoit, dans son stade final, comme une interprétation esthétique cohérente de la réalité. Un procédé qui s’apparente remarquablement à la démarche de l’historien.

20 Dans Foto-Auge, Roh fait le point sur ce qui le distingue de Renger-Patzsch : « Notre livre ne cherche pas seulement à dire que “le monde est beau”, mais qu’il est aussi exaltant, cruel et étrange21. » Son panorama, aux sources iconographiques variées, est composé en grande partie d’images montrées lors de l’exposition “Film und Foto” de 1929, une manifestation conçue par le grand mentor de Roh en la matière, László Moholy-Nagy (et indirectement par son ancien condisciple, Siegfried Giedion, qui s’est lié d’amitié avec Moholy-Nagy). Renger-Patzsch, de son côté, fait largement part de sa déception et de son amertume à Heise, dans un courrier qu’il lui adresse après avoir assisté au vernissage de l’exposition : « En toute franchise, j’ai trouvé l’exposition médiocre et unsachlich (subjective). » Il accuse Moholy-Nagy de ne s’être préoccupé que de sa propre promotion et de celle du Bauhaus. Il aurait de plus marginalisé ceux qui comme Renger-Patzsch,

« s’accordent mal avec ce bazar tape-à-l’œil » et éliminé purement et simplement certains autres. Il convient de rappeler qu’aucun photographe ne figure parmi les membres du jury, mais qu’on y trouve un peintre également graphiste et architecte, un typographe et – une fois de plus – un historien d’art. L’organisateur de l’exposition, Gustav Stotz, « m’a demandé pourquoi je lui avais envoyé si peu de pièces », relate Renger-Patzsch à Heise avec une délicieuse ironie, « et puis il a ajouté que je devais avoir bien d’autres tirages intéressants à la maison. Sur quoi je lui ai dit que je trouvais l’exposition bien trop intéressante, mais il n’a pas saisi22 ».

21 La scission survenue entre Renger-Patzsch d’un côté et Moholy-Nagy ou Roh de l’autre a longtemps retenu l’attention de certains historiens de la photographie, attentifs aux querelles “historiques” et plus précisément aux différences formelles. Pourtant, au-delà des apparences, l’idée que l’appareil peut capturer le monde s’impose comme un

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dénominateur commun dans la démarche des trois artistes. Finalement, Moholy-Nagy et Roh ne font que prendre Renger-Patzsch à son jeu. Ainsi que Roh l’affirme lui-même, leur monde est infiniment plus vaste, comme l’est l’éventail de leurs points de vue. Il n’est donc pas surprenant que Renger-Patzsch, en dépit de ses écarts, soit invité à participer à la “Fifo”, ou bien que son travail apparaisse (même sporadiquement) dans le Foto-Auge de Roh. Son « Monde » s’est tout simplement abîmé dans une galaxie.

22 Mais quel rapport y a-t-il entre l’enseignement de l’histoire et ces questions de profusion des images et d’universalité ? Il faut le chercher dans la représentation que l’on se fait de cette discipline qui se conçoit à cette époque comme la quintessence de l’encyclopédisme.

La photographie, en accédant à “son” histoire, franchit la dernière marche qui la sépare de cet univers en constante expansion. À la variété des sujets, poses, angles, procédés de tirages, contextes de présentation, modes de reproduction, vient désormais s’ajouter une éternelle accumulation d’instants. Des instants qui se déploient, en même temps, dans un lointain presque sans horizon. La démonstration la plus frappante de cette idée se trouve dans le livre de Lucia Moholy, A Hundred Years of Photography, publié en 1939. Professeur et photographe au Bauhaus, elle est, comme Schwarz, originaire de Prague où elle a étudié l’histoire de l’art avant de s’établir à l’étranger. « Le désir pour la photographie » daterait selon Lucia Moholy « depuis les origines de l’humanité ». Les cent ans d’histoire mentionnés par le titre sont de loin dépassés, puisque l’auteur suppose que ce « désir » photographique est déjà présent en Chine au IIe siècle avant Jésus-Christ, à Pompéi, en Assyrie et dans l’Égypte ancienne. Lorsqu’elle arrête enfin sa machine à remonter le temps à l’ère de l’invention officielle de la photographie, c’est pour déclarer, en reprenant à son compte la formule de Schwarz, que « le moment est venu23 ».

23 Présenter la photographie comme un domaine cohérent et en évolution constante (la dérive pictorialiste exceptée) correspond donc à un choix stratégique. À cette fin, on la dote par le biais d’un raisonnement à l’emporte-pièce, d’une préhistoire et d’une histoire sans ruptures ni détours, ainsi que d’un présent et d’un futur aux contours indéterminés.

Pour envisager de cette façon la photographie dans son ensemble, il convient de dépasser les questions de sujets, de techniques de tirages, de modes de distribution ou de contextes de réception, les antagonismes entre amateurs et professionnels, les divergences entre auteurs de clichés privés ou d’albums de photographies de famille et praticiens avertis, ou encore les tensions entre tenants de la Nouvelle Objectivité et partisans de la Nouvelle Vision. C’est dans sa capacité à contenir et à intégrer un très large spectre de procédés, de métiers, d’applications, de courants et d’expressions, que réside l’identité synthétique de la photographie en tant que « médium ». Et cette identité se voit consacrée par les forces de l’histoire.

24 En conclusion, j’évoquerai la toute première publication de Schwarz traitant de photographie. Il s’agit d’un texte rédigé au printemps 1929, peu après la clôture de l’exposition de la galerie du Belvédère consacrée aux débuts de la photographie, et parallèlement à l’inauguration de la “Fifo” à Stuttgart. Contre toute attente, cet essai ne porte ni sur les productions des années 1840, ni sur les expérimentations du Bauhaus.

C’est un commentaire critique, dont l’objet n’est autre que Le Monde est beau :

« Je ne sais pas comment les photographes amateurs ou professionnels ont réagi à ce livre ; j’ignore, par exemple, si sa lecture a pu inciter l’un de ces praticiens à cesser toute activité jusqu’à ce qu’il se remette de ses émotions et soit en mesure [d’en retirer] une expérience profonde et durable. Mais peut-être ce livre aurait-il plus d’impact sur un “non-photographe”, peut-être la beauté de ces images fascinerait-elle plus immédiatement et plus profondément quelqu’un qui ne serait

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pas un spécialiste avec des œillères, mais qui ressentirait et s’enthousiasmerait simplement, sans plus de principes24 ? »

25 En quelques mots, Schwarz prononce la liquidation totale et définitive du cloisonnement des pratiques photographiques. Pourtant, le spectateur modèle de ces images n’est pas aussi ignorant que le laisse supposer la dernière phrase. Schwarz explique bien vite ce qu’il entend par « non-photographe » et tout l’intérêt qu’il y a à reconnaître une telle figure :

« Les écrivains ont, plus rapidement, et avec plus de sagacité que les peintres, saisi la démarche créative et révolutionnaire d’un Manet, d’un Van Gogh, d’un Cézanne, ou d’un Marées. Ils se sont battus pour eux et ont engagé leurs noms dans la mêlée.

Pendant ce temps, les peintres hurlaient avec les loups et dénigraient les plus grands artistes, sans faire preuve du moindre discernement. Pourquoi ce drame ne se reproduirait-il pas dans le cas de la photographie ? Il semble que cela doive se répéter, invariablement et en tout lieu, comme par l’effet d’une loi immuable25. »

26 En d’autres termes, Renger-Patzsch serait le Manet (ou peut-être le Hans von Marées) de son temps, mais l’historien d’art qui défendrait sa cause n’en prendrait pas moins de risques. Dans le cas de la photographie, le préjugé semblerait sévir non seulement à l’encontre d’un individu, mais encore nuirait à un médium tout entier. Manifestement, seul le recours à l’histoire de l’art peut inverser la tendance. Cette dernière forge et construit le médium en tant que tel, et cela doit s’entendre comme un geste avant- gardiste. Dans cette logique et en contrepartie, l’avant-garde photographique assume la tâche – autrefois dévolue à l’historien d’art – de collectionner, d’interpréter et d’élaborer une conscience de l’époque. C’est un curieux état de fait dont les conséquences et les zones d’ombres mériteraient un examen plus approfondi.

NOTES

1.Hans BAEKER, lettre à Franz Roh, 30 décembre 1925, Getty Research Institute, Franz Roh Papers, numéro d'inventaire 850120, boîte 1, dossier 2.

2.H. BAEKER, lettre à F. Roh, 21 juin 1925, Getty Research Institute, Franz Roh Papers.

3.Anne McCauley dans sa réponse à la table ronde de 2005 – dont les contributions ont été publiées dans le recueil Photography Theory – pointe les nombreuses imprécisions présentes dans les débats historiques et contemporains, quant à ce que le terme “photographie” désigne, et à ce qui fait d’elle un médium, cf. Anne MCCAULEY, “Do We Know What We Are Talking About ?”, inJames ELKINS (dir.), Photography Theory, New York, Routledge, 2006, p. 409-419.

4. Martin GASSER, “Histories of Photography 1839-1939”, History of Photography, vol. 16, no 1, printemps 1992, p. 50, 54. Je m’accorde avec Gasser ici pour bien distinguer la prise en compte des images de celle de la technique, bien que les meilleurs commentateurs, tels Siegfried Kracauer et Walter Benjamin, n’ont jamais abordé le sens des images sans considérer son rapport à l’ère industrielle, à la conscience de l’époque, à l’économie.

5.Roh développe ce point dans son introduction au livre Photo-Eye (1930), dont il est question plus loin ; voir dans sa version anglaise : Franz ROH, “As Mechanism and Expression : the Essence and Value of Photography”, in David MELLOR (dir.), Germany, the New Photography 1927-1933, London, Arts Council of Great Britain, 1978, p. 29-34. Roh idéalisait les productions des amateurs,

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mais cela a relativement peu pesé sur ses véritables choix en tant qu’historien d’art. C’est du moins ce que laissent supposer les deux ouvrages qu’il publie à la suite de Photo-Eye. Il s’agit de deux volumes d’une collection inachevée, nommée Fototek. Un article de 1931 reprend la déclaration d’intention de l’éditeur, qui prétend vouloir aborder « la photographie policière, le photomontage, la photographie kitsch, mais aussi sportive, érotique et sexuelle. » Cf.Oswell

BLAKESTON, “Recapitulation. A Review of Franz Roh’s Fototek Series”, in D. MELLOR, op. cit., p. 43.

Pourtant, les deux livres que Roh écrit pour la collection sont des monographies consacrées à des artistes photographes, Aenne Biermann et László Moholy-Nagy. Des contradictions du même ordre viennent régulièrement embarrasser les réflexions de Finsler, de Giedion et de Wölfflin lui- même, malgré son penchant affirmé pour une « histoire de l’art anonyme ».

6. Parmi les treize études classées par M. GASSER, op. cit., comme relevant de la catégorie des histoires de la photographie comme image, dix furent écrites par des auteurs originaires d’Europe centrale. On pourrait ajouter à cette liste certains essais de Karel TEIGE, tels que “Sur le photomontage” (O fotomontáži, 1932), réimpr. dans K. TEIGE, Zápasy o smysl moderní tvorby. Studie z 30. let, Robert KALIVODAet al. (dir.), t. 2, Prague, Československý spisovatel, 1969, p. 69-72, et “Les Tâches de la photographie moderne” (Úkoly moderní fotografie, 1931), réimpr. dans R. KALIVODAet al ., op. cit., p. 58-60 ; extraits en anglais sous le titre “The Tasks of Modern Photography”, in Christopher PHILLIPS (dir.), Photography in the Modern Era: European Documents and Critical Writings, 1913-1940, New York, Metropolitan Museum of Art, 1989, p. 312-322. Le dernier ouvrage contient un long préambule historique tiré de sources françaises et allemandes. Au cours de l’année 1947, Teige, qui avait abandonné ses études universitaires en histoire de l’art en 1920 pour se lancer dans une carrière de critique et d’artiste, écrit la première étude d’histoire de l’art sur la photographie tchèque (Cesty čsl. fotografie), publiée d’abord en allemand sous le titre Das moderne Lichtbild in der Tschechoslowakei à Prague en 1947, puis en tchèque l’année suivante ; réimpr. in K. TEIGE, Osvobozování života a poesie. Studie z 40. let, Jiří BRABECet al. (dir.), t. 3, Prague, Aurora, 1994, p. 235-256. Le photographe tchèque Jaromír Funke tente lui aussi, à plusieurs reprises, de rédiger une histoire de l’art photographique. Il débute par quelques remarques élémentaires dans un article consacré à Man Ray en 1927, et poursuit en 1936 avec les textes complémentaires La Photographie ancienne (O staré fotografii) et Tendances contemporaines dans la photographie (Současné směry ve fotografii), voir Matthew S.WITKOVSKY, “Jaromír Funke’s Abstract Photo Series of 1927-1929, History in the Making”, History of Photography, vol. 29, no 3, automne 2005, p. 228-239.

7. Moholy en tire lui-même cette conclusion, au moment de la “Fifo”, sous l’influence de Giedion et, peut-être, de Roh également. Voir Olivier LUGON, allocution donnée à la National Gallery of Art, Washington, juin 2007.

8. Le livre, aujourd’hui encensé, a fait l’objet d’une étude historiographique exhaustive, voir Bodo

VON DEWITZ, “In einsamer Höhe”, in B. VON DEWITZ et Karin SCHULLER-PROCOPOVICI (dir.), David Octavius Hill & Robert Adamson. Von den Anfängen der künstlerischen Photographie im 19. Jahrhundert, Cologne, Museum Ludwig/Agfa Photo-Historama, 2000, p. 45-52 ; voir aussi les remarques d’Anselm Wagner in Heinrich SCHWARZ,Techniken des Sehens – vor und nach der Fotografie. Ausgewählte Schriften 1929-1966, Anselm WAGNER (dir.), Vienne, Fotohof, 2006.

9. Timm Starl voit, très justement, dans ces idées reçues une survivance des années 1850, période où le développement de l’histoire de la photographie suscite l’hostilité, alors que les écrits relatifs aux beaux-arts, ou relevant d’autres disciplines attachées aux sciences humaines sont encouragés. Voir Timm STARL, “Die Geschichte der Geschichte”, introduction au numéro spécial de Fotogeschichte, vol. 17, no 63, 1997, p. 2.

10.H. SCHWARZ,David Octavius Hill – Master of Photography, New York, Viking Press, 1931, p. 3-4, (nous soulignons). Anselm Wagner atteste que la version allemande du livre paraît en novembre 1930, voir H. SCHWARZ, Techniken des Sehens, op. cit., p. 20.

11.H.SCHWARZ, David Octavius Hill…, op. cit., p. 9.

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12. On peut constater dans le texte de Walter BENJAMIN, “Petite histoire de la photographie”, traduction d’André Gunthert, Études photographiques, no 1, novembre 1996, p. 6-39, un jugement équivalent porté sur « la génération de 1870 » également présent dans des textes plus précoces de JosefČapek, particulièrement dans Les Photographies de nos pères, publié pour la première fois en octobre 1918, quelques semaines avant l’Armistice. À « l’harmonie, la grandezza, le sérieux et la clarté » d’un portrait photographique d’avant 1870, Čapek oppose, dans son feuilleton journalistique, « l’aspect vide et embrumé […] » et par-dessus tout « l’ennui », « le disharmonieux », « le trouble » visible sur un portrait réalisé dans les années 1880. L’image la plus ancienne, remarque-t-il, est le reflet d’une société qui « respectait l’individu », tandis qu’en

« des temps déjà plus proches », les Tchèques (et peut-être tous les Européens) « ont de la vie une vision étroite ». Josef ČAPEK, “Fotografie našich otců”, inNejskromnější umění (Le plus simple art), Prague, Dauphin, 1997, p. 41.

13. Helmuth Th. BOSSERT et Heinrich GUTTMANN, Aus der Frühzeit der Photographie 1840-70. Ein Bildbuch nach 200 Originalen, Francfort, Societäts-Vlg, 1930, n. p.

14. Voir Die neue Sicht der Dinge. Carl Georg Heises Lübecker Fotosammlung aus den 20er Jahren (cat.

exp.), Lübeck, Hamburger Kunsthalle, 1995.

15.Carl Georg HEISE, lettre à Kurt Tucholsky, 3 mai 1928, Getty Research Institute, Albert Renger- Patzsch Papers, numéro d'inventaire 861187, boîte 1, dossier 3.

16. Ibid.

17.Olivier Lugon expose très adroitement cet argument cf. O. LUGON, “Photo-Inflation : Image Profusion in German Photography, 1925-1945”, History of Photography, vol. 32, no 3, automne 2008, p. 219-234.

18. Eugen SZATMARI, “Neues Sehen in neuen Büchern” (New Vision in New Books), Berliner Tageblatt, 16 janvier 1930 ; cité inO.LUGON, op. cit., p. 220-221.

19. W. BENJAMIN, “L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique”, in Œuvres III, Paris, Gallimard, 2000 [1935], p. 309.

20. F. ROH, Nachexpressionismus, Magischer Realismus, Probleme der neuesten europäischen Malerei, Leipzig, Klinckhardt und Biermann, 1925, p. 46.

21. F. ROH, “As Mechanism and Expression : the Essence and Value of Photography”, in D. MELLOR,

op. cit., p. 31.

22.Albert RENGER-PATZSCH, lettre à Carl Georg Heise, 8 juin 1929, Getty Research Institute, Albert Renger-Patzsch Papers.

23.Lucia MOHOLY, A Hundred Years of Photography, 1839-1939, Harmondsworth, Middlesex, Penguin Books, 1939, p. 22-23.

24. H. SCHWARZ, “Die Welt ist schön” (1929), réimpr. in H. SCHWARZ, Techniken des Sehens, op. cit., p. 28.

25. Ibid.

RÉSUMÉS

L’auteur explore les origines de l’histoire de la photographie comme art et l’introduction du mot médium comme terme synthétique unifiant les domaines multiples de l’expérience photographique. C’est en Europe centrale, dans les années 1930, qu’une histoire de la photographie en tant qu'art se constitue et accède à un certain degré de reconnaissance. Elle

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résulte des efforts conjugués d’une poignée de théoriciens et praticiens, diplômés et docteurs en histoire de l’art qui s’attachent à promouvoir les œuvres des débuts de la photographie tout autant que celles de leur époque. La “nouvelle photographie” se voit donc curieusement présentée comme l’expression d’une continuité entre les xixe et xxe siècles. Heinrich Schwarz, Carl-Georg Heise et Franz Roh n’ont pas seulement contribué à abolir la distance traditionnelle entre un passé conventionnel et un présent radical, ou encore entre réflexion historique et création contemporaine, ils ont aussi fait de la photographie un substitut de l’analyse en histoire de l’art – et de l’histoire de l’art une pratique qualifiable d’avant-gardiste.

This paper explores the origins of photography’s history as art and the introduction of the word

‘medium’ as a term unifying the many and disparate fields of photographic endeavor. The art history of photography was established, to a significant degree, in central Europe around 1930 by a group of writers and practitioners with advanced degrees in art history who simultaneously promoted nineteenth-century work and the ‘new photography’ of their time. Innovative photography was therefore present-ed, perhaps surprisingly, as an expression of continuity with the past. Heinrich Schwarz, Carl-Georg Heise, Franz Roh, and others did not simply counter the traditional distance between (conventional) past and (radical) present, or between historical reflection and contemporary creation, they made photography into an ersatz form of art historical analysis – and art history into a practice worthy of the label ‘avant-garde.

AUTEURS

MATTHEW S. WITKOVSKY

MATTHEW S. WITKOVSKY est professeur et conservateur au département des photographies à l' Art Institute of Chicago. Il est l’auteur de Foto : Modernity in Central Europe, 1918-1945 (2007) et a codirigé The Dada Seminars (2005). Il a écrit sur l’art et l’architecture tchèques et a publié des fac- similés en traduction anglaise des livres tchèques Alphabet (1926) et Photography Sees the Surface (1935). Il travaille à différents projets d’exposition dont “Light Years : Conceptual Art and the Photograph, 1965-1977”, prévue pour 2011. Matthew S. Witkovsky is curator and chair of the department of photography at the Art Institute of Chicago. He is the author of Foto: Modernity in Central Europe, 1918–1945 (2007) and co-editor of The Dada Seminars (2005). He has written widely on Czech art and architecture and published facsimile translations into English of the Czech photography books Alphabet (1926) and Photography Sees the Surface (1935). Forthcoming exhibition projects include ‘Light Years: Conceptual Art and the Photograph, 1965–1977’ (2011).

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