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LIRE DANS CE NUMERO :

HEBDOMADAIRE JUDICIAJRE Commentaires législatifs : La loi du 20 juillet 1962, concer-

nant le divorce et la séparation de corips, pax Jean Eeck- hout.

Edmond Picard 1882 - 1899 Uon Hennebicq

1900 - 1940

ÉDITEURS:

MAISON FERD. LARCIER. S. A.

119, rue de8 Minima BRUXELLES

Chronique judiciaire : Droit professionnel du barreau. - Législation : Commissariat royal à la réforme de la. pro- cédure pénale. - La Vie du Palais : Impressions d'audience solennelle. - La rentrée judiciaire à Liège. - L'installation de M. le procureur général Matthijs. - Les deuils judi- ciaires : u. Ost. - F. Gilson de Rouvreux. - Bibliographie : Revue de droit pénal militaire et de droit de la guerre. - Notes de législation. - Echos. - Elections au Barreau.

La Cour de cassation et la loi étrangère <*>

La mission de la Cour de cassation, écrit En définissant de ia sorte les pouvoirs de la Faye (1), est «de faire respecter par les tribu- Cour, le législateur belge ne fit pas œuvre ori- naux la volonté du législateur et de mainte- ginale; il s'inspira des règles établies, en Fran- nir, par l'interprétation qu'elle donne des tex- ce, par l'Assemblée nationale constituante pour tes, dans les affaires qui lui sont déférées,-· · le tribunal de cassation (8), règles qui trou- l'unité de la jurisprudence qui est la loi en vaient, de surcroît, une expression, imagée dans

action»~ Faisant écho à cet enseignement, le l'article 4 du décret de cette Assemblée des procureur général Paul Leclercq disait aux 11-18 février 1791 : «Les membres du tribu- membres de la Cour : « Vous êtes un rouage nal de cassation porteront, seulement lors- de l'Etat, chargé d'assurer la bonne marche qu'ils s.eront en fonctions... un ruban en sau- du · gouvernement en imposant au pouvoir ju- toir aux trois couleurs de la Nation, au bout diciaire une interprétation uniforme de la duquel sera attachée une médaille dorée sur loi » (2) et, plus tard, « la Cour de cassation laquelle seront écrits ces mots : La loi » (9).

a été instituée exclusivement pour assurer l'observation de la loi» (3).

·M. le procureur général Léon Cornil expri- mera de manière plus complète la même idée fondamentale «ce que la Nation attend de la Cour de cassation : donner le commentaire autorisé des lois, maintenir l'unité de la ju- risprudence, veiller à ce que celle-ci progresse dans l'ordre et l'harmonie, sans que ses au- daces usurpent sur les prérogatives du pou- voir législatif ou que ses hésitations ou ses divergences ne compromettent la sécurité des relations juridiques» (4).

C'est d'ailleurs uniquement soit pour con- travention à la loi soit pour violation des formes substantielles ou prescrites à peine de nullité - violation qui est en réalité une violation de la loi - que, suivant les articles 17 (5) de la loi du 4 août 1832 et 20 de la loi du 25 mars 1876, la Cour saisie d'un pourvoi peut casser un arrêt . ou un jugement, le terme « loi » désignant toutefois non seu- lement les lois proprement dites, mais aussi les arrêtés régulièrement pris en exécution des lois et obligatoires pour la généralité des citoyens (6). En de nombreuses matières la re- cevabilité d'un pourvoi ou d'un· moyen de cas- sation est même subordonnée à la condition que soit indiquée dans le pourvoi la loi violée (7).

(*) Discours prononcé à l'audience solennelle de la Coùr ·de cassation, le 1er septembre 1962.

(1) La Cour de cassation, p. 11. - Voy. aussi Garsoru:iet et Cézar-Bru, Traité th.éorique et pratique de procédure civile, t. Ier, p. 92.

(2) « De la Cour de cassation », discours pronon- cé à l'audience solennelle de rentrée, le 1er octobre 1925, p. 43.

(3) Note 6 sous Cass., 7 févr. 1935 (Bull. et Pas., 1, 146).

(4) « La Cour de cassation. Réformes mineures de la procédure », discours prononcé à l'audience solen- nelle de rentrée, le 15 septembre 1952, p. 3.

(5) L'article 17 de la loi du 4 août 1832 porte même

« contravention expresse ·à la loi», mais le terme « ex~·

presse » n'a pas été repris dans l'article· 20 de la loi du 25 mars 1876. Il ne figure pas davantage dans l'ar- ticle 13 de la loi du 29 octobre 1846 relatif aux pour- vois contre les arrêts de la Cour des comptes.

(6) Cass., 20 nÎai 1916, motifs (Bull. et Pas., 1915- . 1916, p. 467); note du procureur général P. Leclercq, 6, sous Cass., 7 févr. 1935 (ibid., 1, 146).

(7) Voy. notamment, en ce qui concerne la ma- tière civile et les matières y assimilées quant à la

Telle étant la mission de la Cour, on en a déduit :

1) que la Cour est sans pouvoir pour connaî- tre de la violation d'une loi étrangère ou pour exercer un contrôle sur l'interprétation donnée de pareille loi par le juge du fond, alors même que la loi belge prescrit au juge de faire application de cette loi étran- gère;_

2) qu'elle ne peut - quel qu'en soit l'objet - connaître de la violation d'un traité inter- national, auquel la Belgique a été partie ou a adhéré, que si ce traité a été approuvé par une loi belge ou, du moins, a reçu l'assentiment des Chambres (10).

Chacune de ces déductions appelle un exa- men attentif. Seule la première d'entre elles sera aujourd'hui l'objet de mon exposé qui, même ainsi limité, mettra, je le crains, votre patience ~ une pénible épreuve.

** *

En 1882, le procureur général Mesdach de ter Kiele affirmait (11) que « les lois étrangè- res, étant dépourvues en Belgique d'un carac- tère obligatoire, n'ont la valeur que de con- ventions privées ... ; il en résulte que le juge du foad en apprécie souverainement le sens et la portée». Vous êtes - ainsi s'exprimait de-:

vant la Cour le procureur général· Terlinden

forme du pourvoi, l'article 9 de la loi du 25 février 1925; ·en ce qui concerne la matière des impôts directs, l'article 14 de la loi du 6 septembre 1895, modifiée par celle du 23 juillet 1953; en ce qui con- cerne les pourvois en matière de milice, l'article 51, ·

§ 1er, des lois coordonnées le 30 avril 1962 et, en matière électorale, l'article 72 du Code électoral.

(8) Voy. notamment l'article 3 du décret des 27 novembre - 'I. er décembre 1790.

(9) Collection complète des lois, décrets, ordonnan- ces et règlements généraux depuis 1788, par 1. Plai- sant, t. II, p. 200. Aux termes de l'article 5 du décret, sur la médaille portée par les commissaires du Roi

« seront écrits ces mots : La loi et le Roi. »

(10) Voy. notamment Cass., 12 juill. 1923 (Bull. et Pas., I, 424); - 27 nov. 1950 (ibid., 1951, 1, 180).

(11) Conclusions avant Cass., 9 mars 1882, (Bull. et Pas., I, 62 et 63).

(12) - institués pour faire respecter les lois de la Belgique. Vous n'avez ni le droit ni la puissance de frapper de nullité ou de casser les actes et contrats, sous le prétexte de vio- lation des formes légales ou des lois d'un pays étranger. Aussi l'interprétation, faite par le juge du fond, de ces lois étrangères au droit belge est-elle souveraine et échappe+

elle à votre contrôle».

De quoi le procureur général Gesché con- cluait en 1935 (13) : « Suivant une doctrine à laquelle vous êtes toujours restés fidèles,., la décision du juge du fond, interprétant la loi étrangère, doit « être tenue par vous pour ren- due en -fait ,. et partant pour souveraine.

Il est assurément exact qu'un grand nom- bre d'arrêts, - tant antérieurs que postérieurs à l'année 1935 - , décident que la violation d'une disposition légale étrangère ne peut constituer un moyen de cassation et que l'in- terprétation que le juge du fond donne de pa- reille disposition échappe à la censure de la Cour. ·

Mais que sur cette question la jurispruden- ce de la Cour ait été constante paraît contesta- ble. C'est le 25 février 1839 (14) que fut ren- du, en cette matière, le premier arrêt de la Cour. De futurs époux, de nationalité bel- ge, s'étaient rendus à Wesel, ville de Prus- se, et y avaient réglé leurs conventions ma- trimoniales par un contrat passé devant un commissaire de justice-notaire. Par ce contrat était instituée entre les époux une communauté universelle de . biens; il était, en outre, stipulé que, en cas de prédécès de l'épouse, sans en- fant issu du mariage, le mari serait son héri- tier universel.

Après le décès de l'épouse s'élevèrent des contrat était nul parce qu'il n'avait pas été passé dans la forme authentique requi$e par la législation en vigueur en Prusse, cette lé- contestations entre le mari, d'une part, et le frère et la sœur de la défunte, d'autre part.

Ces derniers soutenaient, notamment, que le gislation disposant, suivant eux, qu'un contrat établissant une communauté de biens devait être passé judiciairement.

La Cour d'appel de Bruxelles (15) rejeta cette prétention, considérant que la législation des Etats de Prusse n'exigeait pas, contraire- ment à l'interprétation proposée par le frère et la sœur de la défunte, que le contrat fût passé judiciairement.

Le sixième moyen du pourvoi formé contre cet arrêt invoquait la violation, par la .Cour d'appel, de diverses dispositions du Code des Etats de Prusse et du Code général de pro- cédure des mêmes Etats. A ce moyen la partie défenderesse opposa une fin de non- recevoir déduite de ce que la Cour ne pouvait connaître de la violation de lois étrangères. A quoi l'arrêt répond:

(12) Conclusions avant Cass., 11 juin 1914 (Bull. et Pas., 1, 317).

(13) Conclusions avant Cass., 12 nov. 1935 (Bull.

et Pas., 1936, I, 48).

(14) Bull., 1838-1839, p. 270.

(15) Arrêt du 11 avril 1838 (Pas., 1838, II, 108).

(2)

« Considérant que s'il était vrai, comme le soutiennent les demandeurs, que, d'après les lois du pays où il a été passé et qui régis- saient sa forme extérieure, le contrat de ma- riage' fait à Wesel n'eût que le caractère et la vertu d'un simple acte sous seing privé, l'arrêt attaqué, en lui attribuant des effets que l'article 1394 (du Code civil belge) n'accorde qu'à un contrat en forme authentique, aurait expressément contrevenu à cette _disposition, déjà (16) invoquée par les demandeurs;

» Considérant que, dans cette hypothèse, la violation de la loi étrangère se combinant et se confondant avec la violation de la loi bel- ge, la recevabilité du moyen de cassation ne saurait être douteuse».

Examinant ensuite le fondement du moyen, la Cour, loin de déclarer que l'interpréta-·

tion de la législation des Etats ·de Prusse, donnée par la Cour d'appel, est souveraine ou de se référer purement et simplement à cette interprétation, énonce elle-même, et avec plus de précision que le juge du fond, les termes des dispositions du Code des Etats de Prusse et du Code général de procédure, les « met en harmonie», suivant l'expression de son arrêt, pour en déduire que le contrat ne de- vait pas, en vertu des dispositions légales étrangères invoquées, être passé en justice et que le commissaire de justice avait, en sa qua- lité de notaire, le pouvoir de recevoir les con- ventions des parties et de leur conférer l'au- thenticité.

Et voici le dernier motif de l'arrêt : «Qu'en conséquence en lui (au contrat) donnant effet comme acte authentique, l'arrêt attaqué n'a pas méconnu les dispositions citées des législa- tions étrangères et n'a contrevenu à aucune de nos lois nationales».

J'aurai l'occasion de faire un rapproche- ment entre cette décision et celle que vous avez rendue le 29 mai 1961 (17); mais dès à présent je puis affirmer que la Cour, durant les premières années qui ont suivi son insti- tution, ne tenait point pour souveraine l'in- terprétation de la loi étrangère, donnée par le juge du fond.

En 1855 (18) la Cour fut saisie, en matière civile encore, d'un moyen de cassation indi- quant uniquement, comme lois violées, di- vers articles du Code civil hollandais, la Cour d'appel ayant, suivant le demandeur, admis un mode de preuve non autorisé par ces dis- positions, alors qu'il s'agissait d'actes passés en Hollande.

« Attendu, décide l'arrêt, que les lois ci- tées sont des lois étrangères et que la Cour ne peut casser des décisions judiciaires pour violation de lois étrangères, à moins que l'erreur sur le sens d'une loi étrangère ne fût la source et le principe d'une violation de la loi belge, mais alors il faudrait encore, d'après l'article 8 de l'arrêté du 15 mars 1815, que la requête en cassation contînt l'indication des lois belges que le demandeur prétendrait avoir été violées et en quoi elles ont été violées, toutes circonstances qui ne se présentent pas

ici». '

(16) La violation de l'article 1394 du Code civil bel- ge était invoquée par les demandeurs à l'appui d'un moyen précédent (le deuxième moyen). 11 semble donc que, bien que l'article 8 de l'arrêté du Prince Sou- verain du 15 mars 1815 fût, en ce qui concerne l'in- dication des lois violées, rédigé dans des termes ana- logues à ceux de l'article 9 de la loi du 25 février 1925,

la Cour n'exigeait pas alors que fussent indiquées de manière distincte, pour chacun des moyens, les dispo- sitions légales violées. Comp. Cass., 23 mai 1929, Bull.

et Pas., 1, 194, et les conclusions du procureur général P. Leclercq, ainsi que la jurisprudence constante de- puis cet arrêt (voy. notamment Cass., 24 nov. 1961, Bull. et Pa&., 1962, 1, 367, ainsi que les notes 1 et 2 sous cet arrêt; 5 janv. 1962, ibid., 1962, I, 534).

(17) Bull. et Pa&., 1961, 1, 1037.

(18) Arrêt du 11 mai 1855 (Bull., p. 256).

Il n'y a aucune opposition entre cet arrêt et le précédent. Aux mots « violation de la loi étrangère se combinant et se confondant avec la violation de la loi belge » a été substi- tuée l'expression «violation de la loi étran- gère, source et principe d'une violation de la loi belge».

Troisième arrêt, rendu, le 1er juin 1868 (19), en matière de milice:

Pour décider que le père du demandeur, hollandais de naissance, avait perdu cette na- tionalité et que le demandeur était né, en Belgique, d'un père sans patrie et était, par- tant, soumis à la loi sur la milice, la dépu- tation permanente s'était fondée sur l'article 17 du Code civil. La Cour, dans son arrêt, constate qu'en vertu de l'article 3 du Code civil, conformément à ce que soutenait le de- mandeur en cassation, la députation perma- nente eût dû, pour décider si le père du de- mandeur avait ou n'avait pas perdu sa na- tionalité d'origine, prendre en considération non point la loi belge, mais la loi hollan- daise.

Néanmoins elle déclare que l'erreur de droit commise par le juge du fond « ne peut don- ner ouverture à cassation ».

Pour quelle raison ? Parce que l'arrêté de la députation permanente contient la consta- tation de certains faits qui justifient le dis- positif au regard de la loi hollandaise, dont la Cour cite le texte. (20).

Ainsi, pour rejeter un moyen de cassation, la Cour se livre elle-même à l'examen d'une disposition légale étrangère, dont le juge du fond eût dû faire application.

Le 28 juillet 1870 (21) à un moyen invo- quant, en matière civile, à la fois la violation d'un décret français et celle des articles 1156 et suivants du Code civil, la Cour répond

« que le décret invoqué par les demandeurs est une loi étrangère dont la violation ne peut donner ouverture à cassation, à moins que l'on ne puisse en induire une contraven- tion à la loi belge; qu'à cet égard les deman- deurs n'ont indiqué que les articles 1156 et 1160 du Code civil, qui tracent les règles d'in- terprétation des conventions et qui sont ici sans application».

Quelques mois plus tard, le 9 mars 1871 (22), la Cour rendait une décision conforme à celle du 11 mai 1855 : «que la violation d'une loi étrangère ne donne pas ouverture à cassation, à moins que l'erreur sur le sens de la loi étrangère ne fût la source et le prin- cipe d'une violation de la loi belge et que la requêtè en cassation contînt l'indication des lois belges auxquelles il aurait ainsi été con- trevenu; que la requête du demandeur ne porte aucune indication de cette nature ».

De ces divers arrêts il résulte que jusqu'en 1871 la Cour ne considérait point que la violation d'une loi étrangère ne pût jamais donner ouverture à cassation ni que l'inter- prétation de pareille loi par le juge du fond fût soustraite à tout contrôle de la Cour.

1880 ... Aucun arrêt n'est, cette année, rendu sur la question ici examinée, mais sont pu- bliés les premiers tomes du Droit civil inter- national de Laurent.

(19) Bull., 1868, p. 425.

(20) Dans ses conclusions précédant l'arrêt, l'avocat général Cloquette s'exprimait ainsi : «C'était la loi du statut personnel (la loi hollandaise) qui seule était ap- plicable pour décider si le père du demandeur était resté hollandais et c'est cette loi que la députation per- manente eût dû invoquer», mais, ajoutait-il, certaines des constatations de fait de l'arrêté attaqué justifient le dispositif « d'après la législation actuelle de la Hollande».

(21) Bull. et Pas., 1870, 1, '432.

· (22) Bull. et Pa1., 1871, I, 130.

Celui-ci y traite longuement de l'autorité des lois étrangères à la lumière de la juris- prudence de la Cour de cassation de France (23), qu'il expose comme suit : « Pour qu'il y ait lieu à cassation, il faut supposer qu'une loi française oblige les tribunaux à juger d'a- près la loi étrangère... Mais si le juge dé- clare appliquer la loi étrangère, comme il y est tenu, il s'est conformé à la loi française, partant sa décision est à l'abri de la cassa- tion... La fausse interprétation de la loi étrangère est une violation de cette loi, il est vrai, mais la Cour de cassation n'a pas mis- sion de redresser la fausse application des lois étrangères, ces lois n'étant, en· France, qu'un fait que le juge apprécie souverainement ». /

Il conclut : « Cette doctrine est strictement légale », tout en reconnaissant « qu'il en ré- sulte une conséquence déplorable, c'est que les lois étrangères n'ont pas de force obliga- toire en France, alors même que le législateur français déclare que le juge doit les appli- quer» (24).

On sait l'autorité dont Laurent jouissait en Belgique. Deux ans après la publication de son ouvrage, le 9 mars 1882 (25), la Cour connaissait d'un pourvoi qui, en matière de causes de divorce, c'est-à-dire de statut per- sonnel, reprochait à la Cour d'appel d'avoir violé à la fois la loi anglaise, applicable en l'espèce, et l'article 3, alinéa 3, du Code civil.

Dans ses conclusions, se référant à un ar- rêt de la Cour de cassation de France, cité et analysé par Laurent (26), et ne faisal!t en revanche aucune mention des arrêts anté-l rieurs de la Cour, le procureur général Mes- dach de ter Kiele énonce sans réserve que

« les lois étrangères, étant dépourvues en Bel- gique d'un caractère obligatoire, n'ont la va- leur que de conventions privées, dérivant du consentement des parties; il en résulte que le juge du fond en apprécie souverainement le sens et la portée». La Cour s'abstint de dire que la loi étrangère devait être assimilée à une convention - elle n'eût pu d'ailleurs l'affir- mer qu'en se mettant en contradiction avec son arrêt du 28 juillet 1870 (27) - ; mais pour le surplus elle se rallie aux conclusions du ministère public : « Attendu qu'en .suppo- sant que l'arrêt ait fait une interprétation er- ronée du droit anglais et ait admis à tort que ce droit permet à la. loi du domicile de régler les causes du divorce, cette interprétation, dé- pouillée de toute contravention à une loi bel- ge, n'est plus qu'une appréciation souveraine de fait».

Ce revirement de jurisprudence est confirmé par les arrêts des. 7 septembre 1883 (28) et 30 avril 1889 (29), rendus en matière de mi- lice, aux termes desquels l'interprétation de la loi étrangère échappe à la censure de la

(23) Tome II, n°s 273 et suivants. Laurent cite de nombreux arrêts de la Cour .de cassation de France, rendus pendant la période s'étendant de l'année 1836 à l'année 1876. En revanche, en ce qui con- cerne la Cour de cassation de Belgique, il ne fait mention (no 283) que d'un arrêt, celui du 11 mai 1855.

(24) Le remède, proposé par Laurent (t. Il, n° 279), est original : la conclusion de traités déterminant les lois applicables. L'auteur précise sa pensée en ces termes : « La loi française qui déclare une loi · étran- gère applicable ne s'approprie point cette loi, partant la fausse application de la loi étrangère ne donne pas ouverture à cassation; tandis que les traités sont obli- gatoires dans toutes leurs dispositions, par conséquent aussi les lois étrangères qui y sont comprises».

Cette distinction est certes contestable.

(25)Bull. et Pas., 1882, 1, 62.

(26) Cass. fr., 12 nov. 1872 (Dall., 1874, 1, 168), cité et commenté par Laurent, op. cit,. n° 279.

(27) Ci-dessus cité, note 21 (Bull. et Pas., 1870, 1, 432).

(28) Bull. et Pas., 1883, I, 338. La note sous l'arrêt se réfère au Traité de Laurent.

(29) Bull. et Pas., 1889, 1, 195.

(3)

Cour, et par l'arrêt du 16 mai 1889 (30) ren- du en matière civile. Ce dernier décide que

c la Cour de cassation, instituée pour main- tenir l'unité de la loi belge, n'a pas à re- chercher si la loi étrangère a été bien ou mal comprise; . . . que le juge du fond a appliqué la loi française aux relations entre parties, comme la loi belge lui en faisait un devoir; que cette loi a donc été respectée, la loi étrangère n'étant qu'un fait (31) dont l'appréciation sou- veraine est réservée au juge du fond ».

Toutefois, quelques jours plus tard, le 23 mai 1889 (32), un arrêt apportait à la jurispru- dence nouvelle une précision : si l'appréciation de la portée d'une loi étrangère appartient au juge du fond, la décision de celui-ci que cette loi - en l'espèce la loi néerlandaise sur la faillite - est ou n'est pas un élément du statut personnel de l'étranger relève du contrôle de la Cour.

Suit un nombre impressionnant d'arrêts dé- cidant soit que la violation d'une loi étrangère ne peut donner ouverture à cassation, soit que l'interprétation de pareille loi échappe au con- trôle de la Cour, la plupart sans aucune res- triction (33), quelques-uns rappelant la réserve formulée dans des arrêts antérieurs, à savoir le cas où la violation de la loi étrangère ou l'er- reur dans l'interprétation de celle-ci est soit la source soit le principe de la violation d'une loi belge (34).

Néanmoins, pendant cette période s'étendant depuis la fin du siècle dernier jusqu'à ce jour, on peut relever plusieurs arrêts qui ne sont pas conformes à la jurisprudence généralement suivie ou qui, à tout le moins, en restreignent le champ d'application.

Ainsi, en 1905, le tribunal de première instance de Termonde saisi d'une demande d'autorisation de vente, conformément à la loi du 12 juin 1816, d'immeubles appar- . tenant en indivision, notamment, à des mi- neurs de nationalité hollandaise, avait ac- cueilli la demande, mais en ordonnant que la part du prix, revenant aux mineurs, fût consignée. Sur instructions du ministre de la justice (35), le procureur général près la Cour introduisit un pourvoi fondé sur ce que la tutelle d'un mineur était, en vertu de la Con- vention signée à La Haye, le 12 juin 1902, entre la Belgique et les Pays-Bas et approuvée par la loi du 27 juin 1904, réglée par la loi nationale de ce mineur, que l'administration tutélaire s'étendait tant à l'ensemble des biens qu'à la personne des mineurs et que l'article 449 du Code civil néerlandais, loi nationale

(30) Bull. et Pas., 1889, 1, 220.

(31) Un arrêt du 4 juin 1891 (Bull. et Pas., 1891, 1, 163, col. 2) assimile, cette fois, la loi étrangère à une maxime juridique : « Attendu que la violation de la loi étrangère ne peut, pas plus que celle d'une maxime ju- ridique, donner ouverture à cassation, sauf dans le cas où elle entraîne une contravention à la loi belge ».

(32) Bull. et Pas., 1889, 1, 229. Ce n'est point sans regret, semble-t-il, que le procureur général Mesdach de ter Kiele conclut à la cassation de la décision atta- quée. Après avoir affiimé, une nouvelle fois, que les lois étrangères n'ont, aux yeux de la Cour, «que la valeur de purs faits », il ajoute : « Si nous acquérons la certitude que, dans les Pays-Bas, la déclaration de faillite affecte . le statut personnel, il deviendra bien difficile de décliner l'application de l'article 3 du Code civil ». On peut rapprocher de l'arrêt âu 23 mai 1889 celui du 28 novembre 1929 (Bull. et Pas., 1930, 1, 35, col. 1).

(33) Cass., 6 juin 1907 (Bull. et Pas., 1, 278, col.

2); - 4 juin 1908 (ibid., 1908, 1, 235); - 20 oct.

1910 (ibid., I, 451); - 2f mars 1926 (ibid., I, 318, col.

1); - 6 janv. et 2 juin 1927 (ibid., 1, 119 et 249); - 19 mars 1931 (ibid., I, 123, col. 2); - 19 avr. 1937 (ibid,. I, 115); - 4 juill. 1949 (ibid., 1, 522); - 26 mars 1953 (ibid., 1, 581); - 4 oct. 1956 (ibid., 1951, 1, 88); - 16 janv. 1958 (ibid., 1, 505) et 2 janv. 1961 (ibid., I, 465) analysé ci-après.

(34) 4 juin 1891 (Bull. et Pas., 1, 162); - 13 mai 1897 (ibid., 1, 185); - 20 févr. 1913 (ibid., 1, 115); - 6 oct. 1927 (ibid., I, 300, A, 3°). -

(35) Article 80 de la loi du 27 ventôse an VIII.

des mineurs intéressés, ne prescrivait pas la consignation du prix de vente ..

Etait donc invoquée pour la première fois, devant la Cour, une disposition légale étran- gère, dont le juge eût dû faire application et qu'il avait partant violée. La Cour, par son arrêt du 16 juillet 1906 (36), accueillit le pourvoi.

En 1914 (37) fut rendu un arrêt qui ne se concilie guère avec celui du 9 mars 1882 (38).

Par celui-ci la Cour avait considéré que le juge qui, déclarant, en matière de statut personnel, faire application de la loi nationale de la par- tie, avait mal interprété cette loi, ne violait point par là l'article 3, alinéa 3, du Code civil.

Or, le 11 juin 1914, saisie d'une question de statut personnel - empêchement au mariage - , la Cour, après avoir rappelé «qu'un pour- voi n'est recevable qu'autant qu'il se fonde sur la violation d'une loi belge>, dit que, en l'ab- sence de l'indication, dans le pourvoi, de l'ar- ticle 3 du Code civil, qui formule dans notre législation le principe du statut personnel, l'ap- préciation que le juge du fond a faite du sens, de la portée et de la nature de la disposi- tion de l'article 1315 du Code civil allemand échappe au contrôle de la Cour de cassation ».

Viennent ensuite deux arrêts du 12 novem- bre 1935 (39). Dans le premier, la Cour, con- trairement à son arrêt du 28 juillet 1870 (40);

assimile la loi étrangère « à une convention liant les parties », mais se reconnaît le pouvoir de contrôler le mode auquel le juge a recouru pour interpréter la législation étrangère, consi- dérant à cet égard que le juge ne peut recou- rir uniquement (41) à la jurisprudence des tri- bunaux de l'Etat étranger. Dans le second ar- rêt, la Cour exerce son contrôle sur la déduc- tion que le juge du fond tire de l'interprétation qu'il donne de la loi étrangère (42).

Enfin, le 29 mai 1961 (43), un arrêt dont l'importance doit être soulignée .

Le demandeur en cassation, dont l'extradi- tion était demandée par le gouvernement fran- çais, avait soutenu devant la chambre des mi-

(36) Bull. et Pas., 1906, I, 349. - On peut aussi si- gnaler ici l'arrêt du 20 mai 1916 (Bull. et Pas., 1915-1916, I, 416), dans lequel la Cour recherche si l'article 10 d'un arrêté du 10 février 1915, pris par l'autorité alle- mande, c''est-à-dire par l'Etat ennemi occupant une partie du territoire de la Belgique, entre dans les prévi- sions de l'article 43 du règlemen tannexé à la Convention de La Haye du 18 octobre 1907, approuvée par la loi du 25 mai 1910, citée dans la requête en cassation, et l'arrêt du 27 décembre 1918 (Bull. et Pas., 1919, 1, 28) qui déclare non recevable un moyen invoquant la vio- lation de l'article 11 du même arrêté, non point parce que cette disposition est une dispositipn étrangère, mais parce que n'est pas invoquée en même temps la viola- tion d'une loi belge. Dans ses conclusions précédant ce dernier arrêt, le procureur général vicomte Terlinden précisera que « le demandeur a omis de faire figurer l'indication de la loi de 1910 (c'est-à-dire la loi du 25 mai 1910, approuvant la Convention de La Haye) dans l'énoncé de son moyen».

(37) Bull. et Pas., 1914, 1, 317.

(38) Bull. et Pas., 1882, I, 62, arrêt, cité ci-avant dans la note 25 et qui a inauguré le revirement de jurispru- dence de la Cour.

(39) Bull. et Pas., 1936, 1, 48 et 51.

(40) Bull. et Pas., 8170, 1, 432, analysé ci-avant, note 21. Un arrêt du 24 février 1938 (Bull. et Pas., I, 66) fait à cet égard une distinction entre le cas où le juge ap- plique « les lois étrangères comme telles » et celui où il applique « les dispositions légales étrangères invo- quées et insérées par les parties dans leur convention et devenues, par conséquent, des dispositions conven- tionnelles».

(41) A rapprocher de l'arrêt du 27 octobre 1960 (Bull. et Pas., 1961, 1, 210), aux termes duquel le juge peut interpréter la loi étrangère en se référant, à la fois, au texte de cette loi et à la jurisprudence des tribunaux de l'Etat étranger.

(42) Ce dernier arrêt est dans la ligne tracée par celui du 23 mai 1889 (Bull. et Pas., 1889, 1, 229), déjà cité, et inspirera un motif de l'arrêt du 4 octobre 1956 (ibid,, 1957, 1, 90, col. 2).

(43) Bull. èt Pas., 1961, 1, 1037.

ses en accusation qu'il résultait de l'article 1er de la loi française, du 10 mars 1927, que la condition de réciprocité, requise par l'article 2 de la loi belge du 15 mars 1874 sur les extra- ditions, faisait défaut. Cette défense avait été rejetée par le motif que ladite loi française était, en l'espèce, sans application.

Or, tandis que dans un arrêt du 2 juin 1927 (44), la Cour s'était, quant à la condition de réciprocité en matière de législations belge et française sur les loyers, bornée à affirmer que le juge du fond, interprétant la loi étrangère, constate souverainement l'existence de cette condition de réciprocité, elle s'exprime, cette fois, de manière différente. Elle décide, en effet, que l'arrêt attaqué déclare par une ap- préciation souveraine, c sans méconnaître les termes de l'article

rr,

alinéa 2, de la loi française du 10 mars 1927 », que ladite dispo- sition n'est pas applicable en l'espèce et qu'il

« constate en même temps légalement la con- dition de réciprocité».

Ainsi donc l'appréciation de la portée de la loi étrangère, par le juge du fond, n'est, aux yeux de la Cour, souveraine que pour autant qu'elle ne méconnaisse pas les termes de cette loi.

Décision qui marque incontestablement un retour, partiel au moins, à la doctrine du pre- mier arrêt rendu par la Cour, le 25 février 1839, arrêt qui déduisait de l'argumentation par lui exposée que le juge du fond « n'a pas méconnu les dispositions citées des lois étran- gères et n'a contrevenu à aucune de nos lois nationales ».

* * *

Il n'est peut-être pas sans intérêt de rappe- ler ici que si sur la question, assurément dé- licate, de ses pouvoirs en matière de viola- tion ou d'interprétation des lois étrangères, la jurisprudence de la Cour ne présente pas une ferme unité, la même constatation a été faite par la doctrine en ce qui concerne la jurisprudence de la Cour de cassation de France.

Déjà en 1891, résumant un certain nombre d'arrêts de cette haute juridiction, un auteur (45) concluait : «On voit par ces exemples que la jurisprudence de la Cour suprême est loin d'avoir toute la netteté désirable».

Analysant un arrêt rendu le 29 juin 1922, le professeur Audinet (46) exprimait avec plus de précision la même opinion : « La force des choses, ou plutôt la nécessité juridique, amè- ne quelquefois la Cour suprême à pronon- cer la cassation pour violation d'une loi étrangère, sans qu'aucun texte de la loi fran- çaise ait été violé. Il n'y a pas lieu de le re- gretter. » En 1959, le professeur Louis-Lucas qualifiait la jurisprudence de la Cour « d'at- titude réticente» (47). Et, récemment, le pro- fesseur Mario Giulioano constatait, en se fon- dant sur le rapport du conseiller Audibert, précédant l'arrêt du 20 décembre 1950, rendu en audience plénière, que « lorsque le problè- me posé par l'interprétation du droit étran- ger possède une portée générale, la solution de ce problème n'échappe pas au contrôle de la Cour suprême», ce qui, ajoutait-il, trans- forme « en quelque chose d'incompréhensible et d'indéfendable » la règle suivant laquelle la violation ou la fausse interprétation de la

(44) Bull. et Pas., 1927, 1, 249, cité Ci-avant, dans la note 33.

(45) Prof. Chausse, Revue critique de législation et de jurisprudence, 1891, p. 221.

(46) Sirey, 1923, I, 249.

(47) « Existe-t-il une compétence générale du droit français pour le règlement des conflits de lois ? », Revue critique de droit international privé, 1959, p. 413.

(4)

loi étrangère ne donne pas ouverture à cas- sation (48).

Entre-temps, c'est-à-dire en 1956, le Comité français de droit international privé · (49), composé notamment de plusieurs membres et anciens membres de la Cour de cassation, exa- minait un avant-projet de loi de réforme du Code civil. L'article 56 de cet avant-projet disposait : «L'interprétation des lois étrangè- res ne peut donner ouverture à cassation».

M. Maury proposa la suppression de ce texte :

«On ne peut guère contester, disait-il, que se- rait souhaitable l'application uniforme par les tribunaux français d'une -disposition de droit étranger... A l'heure actuelle la Cour de cassa- tion (quoiqu'il y ait des arrêts contraires) se refuse à contrôler l'interprétation de la loi étrangère... Une évolution peut se produire et, surtout, il peut y avoir un contrôle indi- rect par la .voie de la dénaturation... J'ai peut-être un peu l'impression que les con- seillers à la Cour de cassation ont une sorte de mauvaise conscience en refusant de con- trôler la loi étrangère et qu'ils voudraient bien pouvoir dire : nous appliquons un texte légal.

Laissons ouverte la possibilité d'une évolu- tion de la jurisprudence, qui, incontestable- ment, serait un progrès». «Je suis d'accord, répondit M. l'avocat général Galvada. Par le truchement de la dénaturation, nous pourrons exercer ce contrôle quand il s'imposera». La suppression de la disposition fut agmise.

Or, quelques mois après l'arrêt que rendit la Cour, le 29 mai 1961, et que j'ai analysé, la Cour de cassation de France, le 21 novem- bre 1961 (50), cassait pour violation de l'ar- ticle 1134 du Code civil (51) un arrêt de la Cour d'appel de Paris, au motif que celle- ci avait « méconnu et dénaturé le sens clair et précis d'un document législatif » (la loi belge du 18 octobre 1907, article 1er, sur le gouvernement du Congo belge), c document versé aux débats ».

Commentant cette décision, le professeur Louis-Lucas écrit : « Voici que, poursuivant la tâche émancipatrice commencée, la Cour de cassation déclare, au moins pour l'hypothèse encore limitée de la dénaturation des règles, qui n'est pas moins admissible que la déna- turation des faits, qu'elle a un contrôle à exer- cer sur l'interprétation du droit étranger ...

L'évolution se poursuit et notre arrêt n'en constitue certainement pas le terme».

Un mois plus tard, soit le 19 décembre 1961 (52), la Cour de cassation de France rendit un nouvel arrêt qui confirme l'évolu-

(48) · «Rapport aux Journées 'de droit comparé de Trèves, en juillet 1961 », (Revue internationale de droit comparé, 1962, pp. 18 et 19). Sur cette exception admise par la Cour de cassation de France cons. aussi Zajtay, Contribution à l'étude de la condition de la loi étrangère en droit internatinoal privé français, nos 151 et 159.

(49) «La codification du droit international privé», Travaux du Comité français de droit international privé, 1956, pp. 23, 115 et 149.

(50) Sem. juridique, 1961, no 12.521. Cet arrêt, à vrai dire, donne une forme accentuée à un motü inci- demment énoncé dans un .arrêt antérieur du 4 no- vembre 1958 : « Que les juges du fond ont, sans aucunement dénaturer l'article 313 du Code civil belge, souverainement interprété la loi étrangère applicable », (Revue critique de droit international privé, 1959, p.

310). Cons. aussi Cass. fr., 18 juillet 1876 (Dall. pér.,

1, 497). .

(51) On sait que, lorsque la Cour· de cassation de France casse un arrêt parce que celui-ci a donné d'un

« acte » une interprétation inconciliable avec ses ter- mes, elle fonde la cassation sur la violation de l'article 1134 du Code civil, tandis que la Cour de cassation de Belgique fonde la cassation sur les. articles. 1319 et suivants du Code civil (voy. sur cette . <1uestion les conclusions du procureur général P. Leclercq avant Cass., 17 nov. 1932, Bull. et· Pas., 1933, I, 9, et celles de M. le procureur général .·Cornil avant Cass., 4 avr. 1941. ibid., I, 120; - De Page; t. u; no S67).

(52) Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, 1961, 1re section c~vile, no 614. · ·

tion de sa jurisprudence : « Attendu que la Cour d'appel a, par une interprétation de la loi turque, et sans dénaturation de celle-ci, souverainement apprécié la valeur et la por- tée juridique de l'acte en question (un pro- cès-verbal dressé par un agent de l'Etat turc) ».

* * *

Après avoir tracé la ligne sinueuse de la jurisprudence, il convient de rechercher et d'apprécier les raisons qui peuvent justifier l'abandon au juge du fond de l'interprétation de la loi étrangère dont la loi belge lui pres- crit l'application.

La justification qui fut, pendant longtemps, généralement proposée est que le contenu et l'interprétation de la loi étrangère sont des questions de fait et, à ce titre, échappent au contrôle de la Cour. «La loi étrangère, di- sait l'avocat général Hello avant l'arrêt de la Cour de cassation de- France du 6 février 1843 (53), n'est pour nous qu'un simple fait du procès, susceptible d'être débattu comme les autres faits». Cette conclusion sera repri- se par des procureurs généraux près notre Cour (54) et adoptée par des arrêts de celle- ci, notamment les 16 mai 1889 (55) et 25 mars 1926 (56), ce dernier arrêt précisant que les lois étrangères ne constituent « pour le juge 'du fond lui-même que des éléments de fait>.

Elle est, en revanche, combattue par une doctrine quasi unanime. C'est une c fausse idée »~ écrivait déjà Laurent (57), que la loi étrangère est un fait; c cette opinion mécon- naît entièrement la communauté de droit qui existe entre les nations et l'obligation qui en résulte pour · 1e juge d'appliquer la loi étran-

gère». La doctrine plus récente n'est pas moins formelle. Bartin (58) : «l'assimilation de l'application de la loi étrangère à une ques- tion de fait ne saurait être retenue par per- sonne»; Aubry et Rau (59) : «En ce qui con- cerne la loi étrangère, on ne peut, bien que cela ait été dit souvent, l'assimiler à un sim- ple fait»; Savatier (60) : «Expression d'une souveraineté étrangère, dont le respect s'im- pose au juge, la loi étrangère apparaît elle- même comme une règle de droit».

Le professeur Louis-Lucas (61) rappelle les considérations développées par Wolff et Dalle :

« Il est difficilement possible d'envisager le droit étranger dont l'application est imposée par la règle de conflit du for, comme un sim- ple fait. Car cela signifierait - c'est un pa- radoxe de le formuler - que des faits sont me- surés par des faits, jugés selon des faits», et il ajoute (62) que «l'opinion singulière sui- vant laquelle le droit étranger serait du fait, tandis que, seul, le droit français serait du droit, perd chaque jour de son crédit». Plus précis encore, le professeur Motulsky (63) :

(S3) Sirey, 1843, I, 209.

(54) .Conclusions avant Cass., 11 juin 1914 (Bull. et Pas., 1, 317) : «cette interprétation (de la loi étran- . gère par le juge du fond) s'impose à vous comme un

fait»; conclusions avant Cass., 12 novembre 1935 (ibid., 1936, 1, 48) et avant Cass., 12 juin 1941 (ibid., I, 230, col. 2).

(55) Bull. et Pas., 1889, 1, 220 : «la loi étrangère n'étant qu'un fait».

(56) Bult et Pas., 1926, I, 317.

(57) Droit civil international, . t. II, no 264.

(58) Précis de droit international privé, t. 1, § 107.

(59) T. XII, p. 54.

(60) Cours de droit international privé, no 235. Dans le même sens : Marty. La distinction du fait et du droit, 1929, n°s 88 et .96.

(61) Revue critique de droit international privé, 1959, pp. 412 et 413~

(62) Note sous Cass, fr., 21 nov. 1961 (Sem. Jurid., 1962, n° 12521).

(63) «L'office du juge et la loi étrangère :i> (Mélan- ges offerts. à Jacques Maury, t. Jer, p. 361). ·Pillet et

« En ordonnant l'application de la loi étran- gère, l'impératif de la règle de conflit soumet le litige à l'impératif de la loi applicable... La loi étrangère n'a pas à apparaître au juge com- me un élément de fait, mais, une fois rendue applicable, comme la règle de droit d'après la- quelle le litige doit être jugé». Enfin Zajtay (64) fait observer que, sans doute, c la loi étrangère n'est pas une loi française>, mais

«qu'il n'en résulte nullement qu'elle consti- tue un élément de fait ... Dans son pays d'ori- gine la loi étrangère est l'impératif abstrait et général. C'est du fait de l'ordre du législateur français que la loi étrangère qui, par sa pro- pre force, ne peut s'imposer au juge français, devient applicable par ce dernier. Comment et pourquoi cette application par le juge fran- çais priverait-elle la loi étrangère de sa na- ture. de règle de droit ? Une telle conclusion nous paraît logiquement impossible» (65). Le même auteur relève d'ailleurs (66) que la for- mule c: la loi étrangère est du fait » semble appartenir au passé, la Cour de cassation n'ayant plus, au cours de ces dernières an- nées, invoqué l'assimilation de cette loi à un fait.

Certains, notamment Batiffol (67) et Glas- son, Tissier et Morel (68) ont, il est vrai, pro- posé d'atténuer ladite formule. Celle-ci signi- fierait uniquement qu'il incombe aux parties de prouver le contenu de la loi étrangère et que le juge du for doit en donner non point l'interprétation qu'il estime être la meilleure ou la plus exacte, mais l'interprétation qui résulte de la jurisprudence et de la pratique étrangères; or ceci suppose des recherches qui sont étrangères au rôle de la Cour de cas- sation.

Cette explication rattache, en réalité, la no- tion d'élément de fait à des règles de procé- dure relatives, les unes, à la preuve en justice et, les autres, à la technique du pourvoi en cassation, questions qui seront examinées ci- après. Mais de la nécessité de recherches pour déterminer le texte et le sens de la loi étran- gère on ne saurait logiquement déduire que cette loi n'est elle-même qu'un élément de fait et moins encore qu'elle a ce caractère pour le juge du fond (69). Au surplus, l'expli- cation ici combattue perd toute pertinence lorsque le texte de la disposition légale étran- gère, rendue applicable au litige par la loi belge, a été produit devant le juge du fond et est rédigé en termes clairs et précis, qui ne donnent pas lieu à interprétation.

Je crois pouvoir conclure que la loi étran- gère, dont l'application est prescrite au juge par la loi belge, est non un élément de fait, mais un élément de droit et que, partant, ce n'est pas en se fondant sur une considération

Niboyet (Manuel de droit international privé, pp. 460 et 461) ajoutent que ne considérer la loi étrangère que comme un fait, c'est ouvrir la porte à «l'interprétation fantaisiste » de la loi étrangère. « Cela revient, en somme, à dire que les juges n'ont qu'à faire semblant

d'appliquer la loi étrangère ».

(64) Contribution à l'étude de la condition de la loi étrangère en droit international privé français, nos 15 et 20. - Voy. aussi· J. Chevallier, «Remarques sur l'utilisation par le juge de ses informations person- nelles » (Revue trimestrielle de droit civil, 19~2, pp. 9 et 10).

(65) Voy., dans le même sens : Rogéry, Du recours en cassation pour non-application ou violation de la loi étrangère, p. 107; - Broque!, De l'office du juge en matière d'application des lois étrangères d'après la jurisprudence française, p. 89.

(66) Zajtay, op. cit., no 35.

(6..7) Traité élémentaire de droit international privé, 1955, p. 383.

(68) T. III, no 951. Cons. aussi M. R Legros,

~Considérations sur le fait et le droit» (Rev. de droit pénal et de criminologie, 1962, p. 841).

(69) Zajtay, op cit., p. 18; - M. Giuliano, « Rap- port présenté aux Journées de droit comparé de Trèves, en juillet 1961 » (Revue internationale de droit com- paré, 1962, pp. 13 et 16).

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