ECTROMÉLIE BITHORACIQUE HÉRÉDITAIRE
CHEZ LE CHIEN
J. LADRAT,
P.-C. BLINJ.-J.
LAUVERGNELaboratoire de Zootechnie, École nationale supérieure agronomique, 78-Grignon;
Laboratoire d’Anatomie comparée, École nationale vétérinaire, 9g-Alfovt;
Station centrale de
Génétique
animale,Centre national de Recherches zootechniques, 78-Jouy-en-Josas
Institut national de la Recherche agronomique
SOMMAIRE
Des cas d’ectromélie bithoracique ont été observés chez des animaux des deux sexes dans trois générations de chiens. L’anomalie est simple et sa manifestation est à peu près constante.
Les animaux porteurs sont viables mais, éprouvant des difficultés à se déplacer dans le jeune âge,
ils sont d’un élevage plus difficile. Les données génétiques recueillies indiquent que l’anomalie est sous la dépendance d’un gène autosomal récessif.
Il y a
quelques années,
l’un d’entre nous eut l’occasiond’acquérir
une chienneectromèle
bithoracique. I,’animal,
du nom deYama,
était né en ig5o, dansune ferme de
l’Ariège.
Sans être inscrite au livre desorigines,
elleappartenait
à larace de Chien couyant de
l’Ariège : petite taille,
oreillestombantes, pelage
noir etfeu,
avec une assezgrande
extension de lapanachure
blanche. Amenée àl’École
nationale
d’Agriculture
deGrignon,
elle servit à desexpériences
de croisements( 1 ).
I. -
ÉTUDE
DESCRIPTIVE. A. - La mère
Yama vécut 5 ans; c’est sur elle que nous avons les
renseignements
lesplus complets.
Extérieurement,
la seule anomalie résidait dans l’absence totale de lapartie
libre des membres
thoraciques;
ondistinguait toutefois,
dechaque côté,
sous la (1
) VERGER (1967) a fait état, dans sa thèse, de quelques-uns des résultats présentés ici et CADRAT (
19
67) en a donné une brève relation.
peau, des reliefs osseux
qui
nepouvaient
êtrequ’une scapula
etqu’une portion
del’humérus
engagée
dans la cavitéglénoïde.
Au repos, l’animal se tenait en décubi- tus sternal. Pour sedéplacer,
il se mettait debout en se dressant sur ses membrespostérieurs (fig. i);
il marchait enplantigrade,
contrairement aux chiens decirque qui,
dans la mêmeposition,
demeurentdigitigrades;
sesépaules
oscillaient en syn- chronisme avec ledéplacement
des membrespelviens.
La station debout semblait conférer à l’animal une certaine
prééminence
surses
congénères quadrupèdes : ainsi, lorsque
lachienne, agacée
par sescamarades,
s’élevait sur ses membres
postérieurs,
touteagacerie
cessait et leurs auteurs s’éloi-gnaient.
REDIGER et SIRCOM( 1955 )
ont fait les mêmes observations sur des car-nivores maintenus en
captivité.
L’anomalie n’empêcha
pas Yama d’avoirquatre portées;
ce fut même unebonne nourrice. Lors des
accouplements,
on dutcependant
soutenir la chienne par lepoitrail.
Anatomiquement,
les anomalies relevées neportaient
que sur les membresthoraciques.
De
chaque côté,
seules lascapula
et unepetite partie
de l’humérus sontrepré-
sentées
(fig. 2 ). L’angle
ventral de lascapula (angulus vent y alis)
est étiré et la cavitéglénoïde (cavitas glenoidalis)
estplus
ouverte quenormalement; l’angle
caudal(angulus caudalis)
s’incurve fortement en arrière.Les divers reliefs de
l’os, épine scapulaire (sfiina sca!ulae), pointe
acromiale(processus hamatus), paracromion (processus su!rahamatus), apophyse
coracoïde(processus coracoideus)
sont peumarqués,
effacés.La
pièce humérale, irrégulièrement parallélépipédique, s’oppose imparfai-
tement à
l’angle
ventral de lascapula;
elle s’incurve et déborde cetangle
en avant.Le muscle
brachio-céphalique (m. byachioce!halicus),
les muscles del’épaule,
le
grand
dorsal(m.
latissimusdorsi),
dont l’insertion inférieure se fait normalementen divers
points
del’humérus,
concentrent leurs attaches aupourtour
de la «pièce
humérale » et
constituent,
avec lespectoraux
amincis et confondus en une « lamepectorale
», un « revêtement musculaireenveloppant » qui
recouvre lemoignon
osseux en
question.
Lebiceps
brachial(m. biceps brachii),
lesous-scapulaire (m.
subsca!ularis)
et legrand
rond(m.
teresmajor)
sont peudéveloppés;
letriceps
brachial
(triceps brachii), également réduit,
se fixe en arrière dumoignon
huméral.L’anomalie
décrite chez Yama n’est pas sansrappeler
celle que nous avions observéeprécédemment
aubipède
antérieur d’une chèvre(B LIN
etOV!J!RO
D!r,A
GUA
, 1952 ). Ajoutons
que, sur leplan vasculaire,
l’artère sous-clavière(a.
sub-clavia)
sedivise,
à saterminaison,
en deux fortes branches dont le territoire dedrainage rappelle
assez bien celui d’une artèresus-scapulaire (a. suprascapularis)
et d’une artère
sous-scapulaire (a. subsca!ularis). L’artère
axillaire(a. axilla y is) prolongement
de l’artère sous-clavière(M ILL E R
etal., 19 6 4 )
n’est donc pasrepré-
sentée. Le
plexus
brachial(plexus b y achialis)
est peudéveloppé;
outre ses branchesdu tronc, il fournit des rameaux ténus aux seuls muscles du membre
thoracique
représentés. Corollaire,
le bulbe brachial de la moelleépinière (intumescentia
cer-vicalis)
est peumarqué.
B. - Les descendants
Sur
3 6
descendants depremière
et deuxièmegénération,
la chienne Yama euty ectromèles
( II mâles,
6femelles);
la durée degestation
fut normale(6 0
à6
3 jours).
Deux chiots étaientmort-nés,
14 moururent dans lapremière semaine,
un seul
sujet,
unmâle, put
être élevéjusqu’à l’âge
de 15 mois. Tous les animaux étaient de taille normale. Cette forte mortalitépost-natale
sembledue,
enpartie,
aux difficultés
d’élevage
et d’entretien des chiots anormaux;ceux-ci, handicapés
par leur
infirmité, éprouvaient
lesplus grandes
difficultés pour téter. Le seul ani- mal ectromèlequi vécut, prit spontanément,
versl’âge
de 6semaines,
les mêmes attitudesstatiques
etdynamiques
que sagrand-mère.
Extérieurement,
les animaux ressemblaient fort à leur mère ougrand-mère.
Un des
chiots,
unefemelle, présentait,
en outre, un bec-de-lièvre.Les anomalies observées chez les chiots
rappellent
celles décrites chez Yama;elles affectent une
remarquable symétrie
et diffèrent peu d’unsujet
à l’autre.Le
squelette
du membrethoracique
necomporte qu’une
seulepièce,
la sca-pula (fig. 4 );
en raison de l’absence de« pièce humérale »,
les musclesqui,
chez lamère,
se fixaient sur cettedernière,
s’attachent aupourtour
del’angle
ventralde la
scapula
en formant souvent une sorted’aponévrose
résistantequi enveloppe
le
moignon glénoïdien.
Untype
de musculature de chiot ectromèle estreprésenté figure
5.Re!narque: Aux variations morphologiques de détail près, chez tous les chiots ectromèles nés de YAMA, dépourvus d’humérus, les muscles du cou, de l’épaule et du thorax ayant normalement une inser- tion inférieure humérale s’unissent sous des formes diverses pour englober l’angle ventral (augulus ventra- lis) de la scapula, en s’y fixant partiellement.
Comme chez
Yama,
les branches duplexus
brachial sontparticulièrement
ténues et ceci bilatéralement. I,e bulbe
brachial,
ainsi que les racines dorsale et ventrale des nerfs rachidiensqui
rentrent dans la constitution duplexus brachial,
sont peu
développés, comparativement
à ceux d’un chiot normal de même race et de mêmeâge.
Ces faits ont étéévoqués également
par SALMON( 190 8)
dans sonétude des modifications du
système
nerveuxqui accompagnent
l’ectromélie et par SP!NGI,!R( 195 o)
dans sa thèse sur lapéromélie
du chat.Signalons
enfin que, chez les chiots ectromèles que nous avonsdisséqués,
l’anse sous-clavière ou anse de Vieussens
(ansa subclavia)
ne se forme pas à l’entour de l’artère sous-clavière. Nous l’avionsdéjà
mentionné chez ces mêmes chiens dans notre étudecomparée
dusympathique thoracique (B LIN , 195 8).
II. -
ÉTUDE GÉNÉTIQUE
La chienne Yama a été tout d’abord croisée à un mâle
fox-terrier
àpoil
rasde même
format;
elle a donné 4produits,
tous normaux.Unie ultérieurement à l’un
d’eux,
elle mit au monde en 3portées
i2 ani-maux dont 7ectromèles.
Enfin,
des croisements detype
F2ont étéréalisés :
7 por- tées totalisant 23 descendants dont 13 ectromèles(tabl.i).
Ces résultats
plaident
en faveur del’hypothèse
d’un déterminisme monofac- toriel autosomalrécessif, hypothèse qui
est mise àl’épreuve
dans le tableau 2.Les résultats de
première génération
et du back-cross sont en bon accord avecl’hypothèse.
Ceux de la F2semblent,
àpremière
vue, la contrediremais,
avec la correction deY!ATES,
pour lespetits effectifs,
on retrouve des écarts nonsigni-
ficatifs au seuil de 5 p. 100.
III. - DISCUSSION ET CONCLUSION
Bien que BURNS et FRASER
( 19 66)
n’en fassent pas état dans leur traité degénétique
duChien, plusieurs
cas d’ectroméliebithoracique
à allure héréditaire sontrapportés
par différents auteurs. Nous avonsessayé
de réunir dans le tableau 3 lesrenseignements,
très souventincomplets, qui
les concernent.Les
descriptions
coïncident assez bien avec celles que nous avons donnéesplus
haut : la démarche est
plantigrade (cas
5,8, 9 ),
avec des mouvementssynchrones
des
scapulae (cas 8);
ces os sont les seulsreprésentés
aux membresthoraciques (cas 5 );
le bec-de-lièvre estquelquefois
observé en association avec l’ectromélie.Quant
à la transmissionhéréditaire,
elle semble indéniable dansplusieurs
cas(i, 2,
3
, 6), probable
dans les cas 4et 7. Les cas i, 2 et 6peuvent s’expliquer
par ungène
autosomalrécessif;
cette récessivité serait alors confirmée par les observa- tions 4 et 7. Sur le cas n° 3, il est difficile de conclure.Ainsi,
les observations dupassé apparaissent
fort semblables entre elles etrappellent
les nôtres tant sur leplan descriptif
quegénétique. Cependant,
de là àproposer
l’hypothèse
selonlaquelle
ils’agirait
d’une seule et même mutation dans tous les cas, il y a loin.Il, faut,
eneffet,
tenircompte
de latératogénèse
acciden-telle
qui peut
éclairer certaines formes d’ectromélie et duphénomène
demimique qui expliquerait plus
facilementpeut-être
que lamigration, l’apparition
en deslieux si
éloignés
et à desépoques
si diverses d’anomaliesphénotypiquement
sem-blables.
Reçu pour publication en août 1968.
SUMMARY
HEREDITARY BITHORACIC FCTROMELIA IN DOGS
Eighteen male and female dogs of the same family were observed to have a bithoracic ectromelia.
The skeleton of the forelimbs has only a scapula; Yama, the mother, presented a unique
case i.e. on each side of her trunk there was a stump of the humerus adjoining the scapula.
The observed anomaly is simple : but, in one of the puppies this was accompanied by a hare-lip.
Ectromelian animals appear able to survive and produce offspring but the puppies are handicapped by the infirmity which prevents them from suckling properly. Hence the high postnatal mortality rate.
The phenotypical ratios observed in Fi, F,, and back-crosses, indicate a monofactorial, autosomal, recessive determinism.
Our observations agree with many points already published. However, the incomplete
and dispersive nature of previous findings prevents us from stating categorically that this condi- tion is one and the same mutation.
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